Kleudde (Verhaeren, Petites Légendes)
Kleudde
À se damner pour une pomme
Rare, qu’il n’eût pu s’adjuger
Et ses pommes fortes et grasses,
Comme des poings multipliés,
Gonfler leurs chairs pourpres et mûres ;
Le feuillage mouillé lavait,
Rayonnantes, au long des haies ;
D’autres, comme des seins lascifs
Dans les troncs fous tordait ses membres
Et les gonflait, lourds et vermeils,
Se dégageait du verger rouge.
Dont l’échevin Sixtus Van Mol
Dentée, en haut, d’éclats de verre,
Le séparait du strict jardin
Des fruits choisis pour ces asiles
De réguliers et saints bonheurs,
Ils dévoilaient leurs ors d’icônes ;
Ils croissaient nets et textuels,
De l’Enfançon qui tient le monde ;
Leurs tons lisses étaient tiédis
Sur des fleurs pâles de Hollande ;
Il s’en mirait au bénitier
Glorifiaient l’âme éternelle ;
Les doigts rejoints, les yeux mi-clos,
L’avait reçue en patrimoine,
Jadis, au temps diocésain,
Qu’aucun texte connu ne range,
Parmi les fruits que l’on décrit,
Qui séparait le clos sévère
Et le jardin paisible et blanc
Vola, du haut de ce mur mixte,
Chez ses voisins silencieux,
Sitôt planté, hors de son cloître,
Dans un terrain gras et luisant,
À chaque échec, un flot de rage
Montant de son orgueil, s’en vint
— Oh ! ces naïfs, qui sont des traîtres ! —
Il souhaitait qu’un vent soudain
Pourtant, un soir d’ample ripaille,
Lorsque Sixtus revint chez lui,
Vêtu d’ouates, ceint de calmandes,
Fantôme en laine, être en coton,
« Je sais un clos où tu vois luire
Des fruits rares, mais interdits
Auprès de l’arbre autoritaire,
Qui ne veut pas, sur mon conseil,
Folle dont ton âme est étreinte
À cette heure, je suis ton roi,
Par bravade, se mit à rire,
Mais Kleudde-Jan n’écouta pas
Le dos en deux, comme un vieux livre,
Dut transporter jusque chez lui
En des fourrés, en des venelles,
Après des cris et des jurons
Aveugle et sourde, en la nuit morte,
Et le vieux mur de désespoir
Il prit un ton protestataire
De vive et soudaine amitié.
La force et la ruse majeure
Qu’il n’employait jamais en vain,
Croître le tronc, bien à sa place,
Il en courba les rameaux longs
Les bourgeons neufs, les jeunes pousses
Entre les joints, comme en du brou,
L’octobre d’or chanta la fête
Du fruit superbement pendu
Les oiseaux fous chantaient victoire,
Sixte en monta jusqu’au zénith
On le voyait, à ses fenêtres
Pendre du buis et du housset
Sans défiance et sans lésine,
Le Kleudde-Jan dont il titrait
Quand l’hiver sale aux murs s’essuie,
Près des tisons échafaudés,