Kachmir et Tibet, étude d’ethnographie ancienne et moderne/02


DARDES ET MONGOLS


RÉPONSE À M. GIRARD DE RIALLE
lue à la séance du 21 décembre 1882.


J’ai écouté, avec toute la déférence que doit un novice à son ancien, la leçon que M. Girard de Rialle a cru devoir m’administrer, à notre réunion du 2 novembre dernier, sur le thème de ma communication — Kachmir et Tibet — du 6 avril de cette année.

Notre collègue a trouvé mon travail semé d’hérésies et, avec la franchise de bon aloi, qui est ici notre apanage commun, il a dénoncé mes hérésies. C’est, à l’en croire, par douzaines, qu’il faut les compter.

Mon cas est grave ; si grave qu’il soit, j’espère bien cependant me tirer honorablement d’affaire.

Vous vous rappelez que, le 6 du mois d’avril dernier, revenant moi-même sur une communication que nous avait faite, le 16 du mois de mars précédent, M. de Ujfalvy, j’avais eu à parler des Dardis, et que, me basant sur les données historiques et topographiques consignées dans les ouvrages des géographes et des historiens grecs et latins, ou fournies par les lettrés chinois, j’étais arrivé à cette conclusion : que les Dardis dont a parlé M. de Ujfalvy, après Klaproth, après le docteur Leitner, sont d’origine mongole, comme les Daldis du colonel Prjévalski, qui les a vus en Mongolie, dans la province de Kan-sou[1], où ils se trouvent être là, pour ainsi dire, sur leur berceau primitif ; de plus, que les Gètes et les Massagètes de l’antiquité historique étaient d’origine dite aujourd’hui mongole, au même titre que les Daradas des écrivains sanscrits, Daradæ des classiques latins, Daradai des auteurs grecs, ce qui, à mon sens, devait expliquer la présence d’une colonie de Dardis sur des territoires anciennement occupés par des Massagètes.

Critique concis, trop concis, sec, tranchant et incisif, M. Girard de Rialle, mal content des développements que j’ai fournis, heurté, dans ses sentiments de savant, par les conclusions que j’en ai fait ressortir, a relevé une à une, et avec une complaisance peut-être affectée, les erreurs qu’il m’attribue et a condamné avec solennité les conclusions que je viens de rappeler.

Les griefs de M. Girard de Rialle sont nombreux et puisque j’entends répondre à tous, il convient de les faire connaître par le menu.

La guerre — guerre courtoise — que me fait notre savant collègue, s’est acharnée contre moi aux circonstances les moins intéressantes comme aux questions les plus graves, et vous allez voir qu’en athlète sûr de lui, bien posé et bien pensant, il ne s’épargne point pour redresser les torts de ses aventureux collègues.

Mes torts, il les a trouvés nombreux ; en voici la litanie :

J’ai dit : Dardi ; si nous en devons croire notre savant collègue, j’aurais dû dire : Dardou.

J’ai avancé que les Chinois, manquant dans la gamme de leurs consonances de l’articulation R, la remplacent, pour la transcription des mots étrangers, par l’articulation L, et notre savant collègue, qui a besoin que Daldi ne soit pas le même mot que Dardi, insinue que mon observation orthographique pourrait bien n’être qu’un manège à mon usage particulier ;

J’ai affirmé que le territoire compris entre le Kaboul, le Badakhshan et le Kachmir, était l’ensemble des contrées, le plus ordinairement et pour des temps anciens, dévolues aux Aryas-Bactriens, et notre savant collègue s’est indigné ;

Je me suis appuyé sur les géographes grecs pour montrer, dans les temps anciens, les Gètes et les Massagètes, établis dans le sud-ouest au-delà de l’Oxus, et M. Girard de Rialle assure qu’en parlant ainsi j’ai calomnié la mémoire des géographes grecs ;

Sans compter avec les distances et les obstacles, j’ai fait voyager les bandes de l’émigration scythique à travers des contrées que M. Girard de Rialle croit impraticables ; et à ce propos notre savant collègue met à ma charge une lourde erreur géographique ;

J’ai soutenu que les Tibétains, venus du nord de la Chine, sous des noms particuliers que j’ai indiqués, sont ainsi d’origine mongole, et notre savant collègue assure que j’ai forfait à l’ethnographie ;

Quant aux Mongols, dont j’ai cependant fort peu parlé, les erreurs par moi commises à leur sujet seraient, à s’en rapporter à mon savant contradicteur, de celles qui sont honteuses, et s’il n’a pas requis contre moi la peine du « bonnet d’âne » à perpétuité, c’est qu’il a le cœur bon et peut-être bien aussi le sentiment intuitif d’une presciente confraternité.

I

À bien compter, il y a, dans l’ensemble des griefs formulés par M. Girard de Rialle, une douzaine de questions à résoudre ; les unes, comme je l’ai déjà dit, de réelle importance, les autres sans grande portée. Et il est bien certain que, si je ne craignais pas de paraître me dérober et vouloir esquiver les provocations de notre savant collègue, il est quelques-unes des objections qu’il a soulevées, il est telles de ses critiques auxquelles je ne répondrais pas, parce que je les tiens pour si secondaires et si notoirement mal fondées, que le redressement que j’en dois faire, aussi succinct que je le puisse établir, nous prendra, à moins de n’en rien dire, plus de temps qu’elles ne méritent.

II

En tête de ses objections, et comme pour me dire que je ne connais pas même le premier mot de ce dont j’ose parler, M. Girard de Rialle a placé cette critique : « Vous avez dit Dardi, c’est Dardou qu’il faut dire, comme on dit Hindou. »

J’avoue que j’avais tout bonnement accepté de nos devanciers : Abel-Rémusat, Klaproth, Langlois[2], Troyer et des voyageurs modernes, Ujfalvy, Prjévalski, le mot Dardi, sans m’informer s’il est ou non une expression de quintessence ethnographique ; et dans ma bonhomie, je me croyais, sous ce rapport, derrière mes gigantesques patrons, bien à l’abri de toute imputation fâcheuse.

L’observation de M. Girard de Rialle a excité ma curiosité et je vais montrer à notre savant collègue qu’il eût eu un grand avantage à ne pas faire sur ce mot : Dardi, de l’érudition transcendante.

On doit dire Dardou, comme on dit Hindou : ainsi parle M. Girard de Rialle.

Évidemment, si mon contradicteur trouve, dans cette phrase brève et sèche, la satisfaction de ses appétits scientifiques, c’est qu’il voit une corrélation légitime entre Hindou et Dardou. Je ne peux m’expliquer sa préférence qu’à cette condition, et alors je me demande sur quoi repose cette correlation nécessaire, et ici tout à fait indispensable, pour motiver une préférence.

La désinence en ou a-t-elle une valeur ethnique, spécificative d’une race, d’un climat, d’une situation topographique y exprimée ? Non, absolument non ! A-t-elle une valeur grammaticale qui en commande, ou qui seulement en recommande l’emploi ? Pas davantage ! et les textes sanscrits qui écrivent Hindou, écrivent Cambodjas pour les Arachosiens, Yavanas pour les Grecs, Sacas pour les Sacques, Paradas pour les Paropamisiens, Palhavas pour les Persans, Tchinas pour les Chinois, Daradas pour les Dardis.

Il semblerait donc, à nous en rapporter aux textes sanscrits, qui sur la question ont une importance réelle, que le corrélatif de Hindou est Darada et non Dardou.

Pour que Dardou pût à juste titre arriver comme le corrélatif de Hindou, il faudrait en effet que l’on pût nous faire lire dans les textes sanscrits : Cambodjou au lieu de Cambodjas, Yavanou au lieu de Yavanas, Sacou au lieu de Sacas, Paradou au lieu de Paradas, Palhavou au lieu de Palhavas, Tchinou au lieu de Tchinas. Il n’en est pas ainsi, et je suis d’autant plus étonné de la préférence que donne notre collègue à Dardou sur Darada, que lui-même, au cours de ses critiques, s’est complu à ressasser avec leur désinence en as toutes les appellations ethniques que je viens de rappeler.

Si d’ailleurs, nous en rapportant à la règle dont M. Girard de Rialle a lui-même posé les principes, des deux mots Hindoustan et Dardistan — l’un et l’autre formés d’une appellation ethnique et de l’affixe stan, qui signifie contrée — nous retranchons l’affixe stan, il nous restera Hindou et Dardi, et alors ce n’est pas Dardou, mais bien Dardi qui est en réalité et, au nom de la règle posée par M. Girard de Rialle, le corrélatif de Hindou.

Dès que nous n’utilisons pas le mot sanscrit Darada, je ne vois donc pas de bonnes raisons pour préférer Dardou à Dardi, qui, lui, a du moins reçu la sanction du temps par l’emploi presque exclusif qu’en ont fait nos devanciers, gens dont la science vaut bien celle de notre collègue.

Mais, si je ne connais pas de bonnes raisons capables de légitimer la préférence à donner au mot Dardou sur le mot Dardi, il est bien certain qu’il en existe au moins une, mauvaise et détestable. Dardou est une injure, une injure sanglante que les Kachmiri de mauvaise humeur décochent avec aigreur contre les habitants du Dardistan.

M. le major Biddulph, agent politique du gouvernement anglais de l’Inde, a, durant six années, résidé dans le Dardistan. Observateur par tempérament et par emploi, homme d’intelligence et d’étude, le major Biddulph a mis son temps à profit et en l’année 1880, sous le titre de : Tribes of tke Hindoo Koosh (Tribus de l’Hindou-Kouch), il a publié à Calcutta un important ouvrage sur l’Ethnique et la Linguistique des tribus de l’Hindou-Kouch.

Dans son livre, M. le major Biddulph nomme Dards les habitants du Dardistan[3], ce qui infirme déjà d’une manière sensible la valeur de la préférence que M. Girard de Rialle affecte pour ce mot Dardou, et quant à ce mot Dardou, il ajoute que les habitants du Dardistan le repoussent comme une injure. « Pourquoi me nommez-vous Dardou » ? est, dit le major Biddulph[4], une question que les habitants de Gilgit, visitant Kachmir, ont fréquemment occasion d’adresser aux Kachmiri, et la réponse qu’il fait connaître témoigne hautement de l’intention injurieuse des Kachmiri à l’égard des gens de Gilgit, quand ils les appellent Dardou.

« C’est, répondent en effet les Kachmiri, parce que vous descendez d’un ours »[5]. Et le major Biddulph ajoute que dans l’esprit des Kachmiri ce mot Dardou revêt le sens de voleur et de malfaiteur[6]. Ainsi donc, pour désigner honnêtement un habitant du Dardistan, ce mot vaut moins que le mot Rural, qui a eu cours un instant à Paris pour désigner un habitant des départements ; moins encore que le mot Cockney pour désigner un habitant de Londres.

Dans ces conditions : ou bien je franciserai tout à fait le mot, et je dirai : Darde, comme nous disons : Sarde, comme nous disons : Parthe, ou bien je m’en tiendrai au mot Dardi, que le temps et des autorités considérables ont consacré, et comme, dans l’un et l’autre cas, je suis assuré de ne blesser ni les convenances prochaines ni les convenances lointaines, je n’accepte pas, sur ce point, la leçon, à mon avis incorrecte, de M. Girard de Rialle.

III

Même après cette longue dissertation j’ai à parler encore des Dardis, ou du moins du mot Dardi. Ce que je peux avoir à dire maintenant à l’occasion de ce mot change la nature de la discussion.

Je veux ici dénoncer et repousser un procédé d’argumentation qui ne devrait pas avoir sa place chez nous et entre nous et qui joue cependant un rôle presque prépondérant dans l’exposé des griefs qu’a relevés à ma charge M. Girard de Rialle parlant sur ma communication du 6 avril dernier.

À propos du mot Daldi qui intervient dans le livre : Mongolie et Pays des Tangoutes, de M. le colonel Prjévalski[7], j’ai fait observer, en reprenant le mot pour mon compte, qu’il est exactement le même que Dardi, parce que les Chinois remplacent l’articulation R, qu’ils n’ont pas, par l’articulation L, qui fait partie de la gamme phonétique de leur vocabulaire.

Notre collègue a bien voulu répéter mon observation, mais il la fait suivre d’une phrase restrictive de sa valeur réelle. Les choses sont ainsi, « d’après M. Beauregard, » a ajouté M. Girard de Rialle. J’ai eu tort sans aucun doute de négliger, après avoir fourni mon renseignement, d’en faire suivre l’énonciation d’une note indicative de l’ouvrage, du tome, du chapitre, du paragraphe, de la page et de la ligne où s’en pouvait trouver la confirmation ; mais, fournissant un renseignement que je croyais, entre nous et chez nous, acquis d’avance, il ne m’est pas venu à l’esprit qu’il fût nécessaire d’une aussi minutieuse précaution.

Toutes les grammaires chinoises éditées en France, et elles sont nombreuses, pouvaient, s’il eût bien voulu prendre la peine de les consulter, édifier notre savant collègue.

Tout spécialement dans ses Éléments de la grammaire chinoise, Abel Rémusat lui eût offert, page 24, la preuve de l’absence de l’articulation R, et, dans son premier volume des Mélanges asiatiques, pages 4 et 5, il eût appris comment, bien malgré eux, les Pères Jésuites des missions de la Chine ont dû, dans la traduction en chinois du Nouveau Testament, transfigurer en Ki-li-sse-tou le mot Christo où figure un R. Dans la Grammaire mandarine de Bazin il eût trouvé le mot France transcrit de six manières différentes, mais toujours avec la substitution de L à R, à côté du mot Paris, qui a trois variantes de transcription. Ailleurs encore, car les moyens d’information ne manquent pas, sans recourir aux grammaires chinoises pour s’édifier sur l’objet en question, rien qu’en lisant avec quelque attention l’histoire des Mongols, qu’il a dû suivre de près, comme nous le verrons tout à l’heure, notre collègue eût trouvé, dans les notes dont Quatremère accompagne sa traduction de Raschid-eldin, de suffisantes informations sur l’objet qui nous occupe. Là, sous l’imposante garantie du traducteur, M. Girard de Rialle eût pu lire cette phrase tout à fait explicite : « C’est entre les sources de ces deux rivières et celles de la Toula[8] que l’on doit chercher Sari-Kouhour, où Tchinghis-khan tenait ordinairement sa cour, et qui était située sur une rivière du même nom que les Chinois appellent Sali, parce qu’ils n’ont pas de R dans leur langue[9]. » Le Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois[10], par Édouard Biot, convenablement étudié, eût aussi donné satisfaction à notre collègue.

Dans un ouvrage, dont M. Girard de Rialle ne peut pas ignorer l’existence, dans les Mémoires sur les contrées occidentales de Hiouen-thsang[11], mémoires écrits en chinois, mais que Stanislas Julien a mis à la portée de tous les érudits des classes élémentaires, il aurait pu prendre à pleines mains, sur la question qu’il réserve, des enseignements multipliés et positifs et, par exemple, il y aurait appris que la transcription chinoise de Gandhara est Kian-to-Lo ; celle du mot Kachmir, Kia-chi-mi-Lo ; celle du mot Djalandara, Chia-lan-to-Lo, transcriptions qui attestent de la façon la plus énergique le remplacement constant et obligé de l’articulation R par l’articulation L.

Enfin, dans un précieux ouvrage qui a pour titre : Méthode pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits qui se rencontrent dans les livres chinois[12], Stanislas Julien a fourni avec ampleur, aux esprits curieux de s’instruire sur ce point spécial, tous les éléments nécessaires à la bonne conduite des transcriptions qui doivent faire passer régulièrement les noms propres d’une langue dans l’autre ; et, par exemple, page 32, Ire partie, de l’ouvrage que je viens d’indiquer, on trouve que la semi-voyelle sanscrite Ra peut être transcrite par cinq caractères chinois qui se prononcent LO, comme nous l’avons vu dans Kian-to-Lo pour Gandhara ; dans Kio-chi-mi-Lo pour Kachmir ; dans Chia-lan-to-Lo pour Djalandara.

Par ces notions, qu’il pouvait si facilement acquérir, mon contradicteur se fût soulagé d’une réserve ad hominem qui a dû coûter tout autant à son amour-propre de savant qu’à sa courtoisie de bienveillant collègue et nous eussions eu l’avantage de nous trouver d’accord sur ce point, où la controverse n’est pas possible.

IV

Suivant pas à pas notre collègue, je devrais examiner ici l’opinion négative qu’il a émise sur la valeur ethnique des Dardis, qui sont pour lui gens tombés de la lune ; car il nie leur origine mongole, mais il ne leur en assigne pas une autre. Il est pourtant certain, ainsi que l’enseigne Brid’oison, que l’on est toujours le fils de quelqu’un et comme, quant aux Dardis, la recherche de la paternité n’est pas interdite, un petit effort de recherche sur ce point, de la part de notre collègue, eût été un témoignage de bonne volonté dont pour ma part je lui eusse su gré.

Quoi qu’il en soit, l’examen de cette question de l’origine des Dardis viendra tout naturellement, quand, plus tard, je parlerai des Mongols, de qui je les fais descendre ; et, sans m’attarder ici plus longtemps, je continue ma campagne contre les méprises héroïques de M. Girard de Rialle.

V

Ma communication du 6 du mois d’avril dernier contient les lignes dont voici l’exacte et textuelle reproduction : « Il s’agit de savoir qui, dans l’antiquité, des peuples historiques que je dénommerai tout à l’heure, ou des Dardis de Klaproth, du docteur Leitner et de M. de Ujfalvy — quels que soient d’ailleurs chez ces Dardis le poil et l’ouverture de l’angle facial — a occupé les territoires que M. le docteur Leitner a spécifiés ainsi : « Dans le sens le plus large le Dardistan comprend les pays situés entre le Kaboul, le Badakhshan et le Kachmir ; ce serait un triangle ayant pour base Peshawer. » Dans ces conditions de délimitation, le Dardistan serait l’ensemble des contrées, le plus ordinairement, et pour des temps anciens, dévolues — à tort ou à raison, je ne veux pas le savoir ici — aux Aryas-Bactriens[13]. » M. Girard de Rialle, après avoir reproduit ce texte, l’a fait suivre sans autre commentaire de cette courte observation : « Non ! la contrée dévolue aux Aryas-Bactriens, c’est l’Inde. »

Cette riposte, alerte et serrée qui m’arrive comme un coup droit, accuse au moins une distraction de la part de notre collègue.

Ce que je vais dire, M. Girard de Rialle le sait aussi bien que moi et il ne lui a manqué, c’est certain, qu’un peu de réflexion pour se garer d’erreur.

Depuis que la science moderne s’occupe des Aryas, — et elle a produit de gros livres à leur sujet, — elle les a divisés en trois catégories. Elle a distingué : les Aryas-Bactriens proprement dits ; les Aryas-Iraniens, qui sont une expansion vers l’ouest des Aryas-Bactriens ; les Aryas-Indous, qui sont une expansion vers l’est des Aryas-Bactriens, et ce n’est un secret pour personne ici et ailleurs que l’Iran ou la Perse était le domaine dévolu aux Aryas-Iraniens et l’Inde aux Aryas-Hindous, tandis que les contrées intermédiaires entre la Perse et l’Inde, à savoir : le Kaboul, le Badakhshan et les hautes vallées de l’Oxus, étaient, exactement comme je l’ai dit, le patrimoine des Aryas-Bactriens. Je ne méritais donc pas d’être repris ni durement ni autrement, puisque, après les plus autorisés, et une fois de plus, j’énonçais tout simplement une vérité axiomatique.

Mais, comme je l’ai déjà fait remarquer, cette malencontreuse boutade ne peut être de la part de notre savant collègue qu’une innocente distraction. On peut en effet commettre de plus graves erreurs. Par exemple, celle que je vais immédiatement relever.

VI

Il s’agit des géographes grecs, dont M. Girard de Rialle m’accuse d’avoir compromis la véracité.

Il assure en effet qu’en me targuant de leur appui pour affirmer la présence des Gètes et des Massagètes dans le sud, au-delà de l’Oxus, j’ai commis un affreux abus de confiance, car, ajoute notre savant collègue, les géographes grecs ont tous indiqué le fleuve Iaxartes, aujourd’hui Syr-Daria, comme l’extrême limite que, de leur temps, n’ont point dépassée les Massagètes.

La mémoire de notre collègue l’a trahi, et je vais prouver que tous les géographes grecs, qui ont parlé des contrées qui nous occupent, ont, contrairement aux assertions de M. Girard de Rialle, mentionné les établissements des Gètes et des Massagètes dans le sud, au-delà et dans le voisinage de l’Oxus.

Denis le Periégète est un géographe grec contemporain d’Auguste, il enseigne que de son temps les Massagètes avaient passé l’Araxe[14].

L’Araxe est un fleuve qui se décharge dans le sud de la mer Caspienne. Il a été longtemps la limite séparative de l’Arménie et de la Médie.

Strabon, qui a vécu sous Auguste et Tibère, est aussi un géographe grec, il constate que les Massagètes, voisins de l’Hyrcanie, savent tirer de leur fleuve Araxe de grands avantages pour la culture[15].

Ptolémée, l’Alexandrin, contemporain d’Adrien et de Marc-Aurèle, est bien aussi un géographe grec ; il atteste la présence des Massagètes dans la Margiane, province située à l’orient de l’Hyrcanie et dans le voisinage de l’Oxus[16].

Les géographes grecs ont donc parlé de l’établissement des Massagètes au-delà de l’Oxus, et sur ce fait il y a entre eux unanimité et concordance.

Voici d’ailleurs, en contre-épreuve, le sentiment des auteurs latins sur la question.

Pomponius Mela, géographe latin de la première moitié du premier de notre ère, place des Massagètes dans le voisinage de la mer Caspienne et à proximité des Hyrcaniens et des Ibères[17].

Les historiens latins, les historiens grecs nous donnent sur l’établissement des Massagètes au-delà de l’Oxus des témoignages identiques à ceux des géographes.

Ainsi Justin, l’écrivain latin de l’époque d’Antonin, atteste après Trogue-Pompée, dont il est l’abréviateur, la présence des Massagètes sur l’Araxe[18], et si nous remontons de cinq siècles le courant de l’histoire, nous trouvons chez Hérodote cette même attestation de la présence des Massagètes sur l’Araxe[19].

Nous savons que l’Araxe se déverse dans le sud de la mer Caspienne, et cette position indique un éloignement de l’Oxus qui se traduit par plusieurs centaines de lieues[20].

Il est donc bien certain qu’en m’appuyant sur les géographes grecs pour attester la présence des Massagètes au-delà de l’Oxus, à une époque antérieure à l’éclosion de notre ère, je n’ai pas forfait à la véracité des géographes grecs, véracité qui, dans ces derniers temps, a reçu, quant aux Gètes et aux Massagètes, une éclatante consécration des assertions conformes de l’histoire et de la géographie des Chinois pour les temps anciens.

Je n’ai point à revenir ici sur ces précieuses attestations des auteurs chinois. Je les évoquerai plus tard, et je passe à l’examen d’un autre grief de M. Girard de Rialle.

VII

Je ne peux pas douter et je ne doute pas que la critique que notre collègue a dirigée contre mes notes — Kachmir et Tibet — ne lui ait été inspirée par son vif esprit de vérité, et j’ajoute, en toute sincérité, que si j’en doutais, je serais un ingrat.

Fidèle observateur de ce proverbe quelque peu narquois, qui nous enseigne que l’on ne prête qu’aux riches ou aux personnes que l’on croit riches, M. Girard de Rialle, ajoutant à ses autres libéralités du même genre, me prête en effet une erreur que je n’ai pu commettre, puisque, telle qu’il la présente, telle qu’il la formule, l’erreur, dont il faut cependant que je me défende, relève de détails qui ne m’ont point occupé.

C’est à peine, en effet, si, au cours de ma communication du 6 du mois d’avril dernier, j’ai fait allusion, sans d’ailleurs rien discuter à ce sujet, à l’itinéraire de migration des tribus de nomades dont j’ai parlé.

Notre collègue cependant me reproche, à titre d’erreur géographique, de n’avoir tenu compte, ni des distances, ni des obstacles naturels, pour amener les Gètes et les Massagètes dans les positions où je signale leur présence.

Un tel reproche m’a surpris, et pourtant, si j’avais eu quelque lueur d’intelligence, j’aurais dû deviner ce reproche, car notre savant collègue lui-même m’y avait pour ainsi dire préparé.

M. Girard de Rialle a écrit un livre sérieux, un Mémoire sur l’Asie centrale, où il a fait preuve de savoir et aussi de savoir-faire. C’est dans ce livre que, pour la première fois, j’ai rencontré l’argument de la distance et des obstacles[21], et puisqu’il avait versé une première fois dans cette ornière, notre collègue devait y verser encore. J’aurais dû le comprendre. Chacun de nous a ses marottes qu’il caresse, ses faiblesses qu’il subit. Je ne sais pas et ne veux pas savoir quelles sont les marottes que caresse M. Girard de Rialle, mais je crois pouvoir affirmer qu’au nombre de ses faiblesses, s’il en a plusieurs, il souffre de celle qui se traduit par l’horreur des voyages de long cours et des difficultés de route. Il n’est pas possible d’expliquer autrement cet argument chronique de la distance et des obstacles chez un homme de science qui n’ignore pas, qui ne peut pas ignorer, car il a cent fois occasion de le lire, de se le dire et de le dire, que les Aryas du Pamir ou du Caucase — je fais intervenir ici le Caucase pour ne pas m’attirer une affaire avec Mme Royer — que les Aryas du Pamir ont, depuis cinq ou six mille ans, couru tous les chemins bons ou mauvais du monde occidental et du monde oriental ; que les Huns, partis de l’Altaï, sont depuis 800 ou 900 ans en Hongrie ; qui sait que les Tou-kioue, les Turcs, partis aussi du voisinage de l’Altaï, tiennent depuis cinq siècles Constantinople et se sont avancés jusqu’à Vienne ; qui sait que les Berbères, Asiatiques d’origine, occupent depuis tantôt 4 000 ans le nord-ouest de l’Afrique.

Nous avons nos Flatters et nos Grevaux ! mais nos devanciers de tous les temps et de toutes les races ont eu aussi leurs martyrs. Et, tenez, je relève dans les Annales des Huns une histoire toute faite, au début comme à la fin, de péripéties sinistres. Elle nous apprend que l’on avait, au temps passé, pour avancer dans la possession du monde, d’aussi pénibles difficultés à vaincre que nous en avons de nos jours.

La légende que je vais rapporter est d’ailleurs assez transparente pour nous instruire et nous encourager, s’il en était besoin. Le récit en est bien un peu long, mais je n’en veux rien retrancher et je copie de Guignes :

« Je ne crois pas devoir négliger ici, dit-il, ce que les historiens du pays rapportent sur l’origine des Turcs, ou plutôt sur le rétablissement de cette nation. J’ai remarqué que les deux empires des Mogols et des Tartares, dont parlent les historiens persans, étoient, suivant toutes les apparences, les deux empires des Huns du Nord et des Huns du Midi, si connus dans l’histoire chinoise. Après la destruction de celui des Mogols ou des Huns, du Nord, Kaïan et Nagos, le premier fils et le second neveu du dernier empereur, avoient échappé au massacre général que les Tartares avoient fait de la nation mogole, et quoiqu’ils eussent été faits prisonniers, tous les deux, à peu près du même âge, s’étoient mariés dans la même année, avoient ensuite trouvé le moyen avec leurs femmes de se sauver et de retourner dans leur pays, d’où, après s’être emparés des chevaux, des chameaux et de tous les bagages de ceux qui avoient été tués, ils sortirent pour aller chercher une retraite plus sûre au milieu des montagnes du pays. Ils découvrirent un petit sentier fait par de certains animaux, appelés en langue tartare Archara, mais si étroit, qu’il n’y pouvoit passer qu’un homme à la fois ; il étoit environné des deux côtés de précipices affreux. Les Turcs fugitifs s’y engagèrent et entrèrent ensuite dans une plaine fort agréable qui étoit entrecoupée de ruisseaux. Ils se fixèrent dans ce lieu inaccessible où, pendant l’hiver, ils vécurent de chair ; pendant l’été, de laitage et de fruits. Ils donnèrent à cette contrée le nom de Erkené-Kom (vallon bordé d’escarpements, inaccessible).

« La postérité de ces deux chefs turcs se multiplia dans cette vallée. Celle de Kaïan (torrent impétueux), la plus nombreuse, fut appelée Kaïath. Celle de Nagos fut divisée en deux branches principales, dont la première porta le nom de Nagoster et la seconde celui de Derlighin. Tous ces peuples demeurèrent dans la vallée d’Erkené-Kom pendant plus de 400 ans et s’y partagèrent en différentes tribus ou hordes. Dans la suite, s’y trouvant trop resserrés, ils convinrent, dans une assemblée générale, de reprendre le chemin de leur ancien pays. Il ne s’agissoit plus que de retrouver ce fameux sentier qui y conduisoit et dont on avoit perdu la connoissance. Toutes les recherches furent inutiles et il fallut avoir recours au merveilleux. On rapporte qu’un maréchal, qui avoit examiné avec attention cette montagne, découvrit un endroit moins épais et d’autant plus favorable qu’il n’étoit composé que de matières ferrugineuses. Il proposa d’y mettre le feu ; on y appliqua soixante et dix soufflets de cuir à l’aide desquels on fit fondre ce métal, ce qui ouvrit un chemin par lequel un chameau chargé pouvoit passer. Toute la nation sortit, et, pour conserver la mémoire de cet événement, les Mogols célébroient tous les ans une fête : elle consistoit à mettre rougir dans un grand feu un morceau de fer sur lequel le Khan venoit donner le premier coup de marteau et, après lui, tous les chefs des hordes, pendant que le peuple faisoit la même cérémonie dans chaque horde[22]. »

Cette légende est la consécration épisodique de la réapparition des Mongols septentrionaux et remonte à l’année 545 de notre ère.

Si je la comprends bien, elle signifie que, forcés, pour se soustraire à une entière destruction, de s’enfermer d’abord dans un centre montagneux presque impénétrable, les Turcs-Mongols, désireux plus tard de reprendre leur essor, mirent le feu aux forêts qui obstruaient les passages d’issue de leur retraite ; que par l’ardeur du feu les roches, tout à l’heure difficilement attaquables, furent calcinées et cédèrent à l’action des masses ou des pioches en fer préparées par le maréchal, et purent, en s’effaçant, grâce aux efforts de tous, livrer un facile chemin aux familles nombreuses des tribus multipliées. Tant il est vrai que, pour un peuple en quête d’un bien-être qui lui fait défaut, il n’y a pas d’obstacles insurmontables, pas de distances infranchissables. Les obstacles, il les brise ou il les tourne ; les distances, il y use des générations ; mais il les franchit[23].

C’est pourquoi, n’ayant pas, à mon avis, à me préoccuper des distances à parcourir et des obstacles à vaincre, j’avais cru devoir n’en pas parler.

Pouvais-je d’ailleurs sérieusement occuper notre Compagnie de pareilles questions ? Tous tant que nous sommes ici, ne savons-nous pas que les Aryas sont aujourd’hui les maîtres du monde ! De leurs bras séculaires, ils enceignent la terre entière ! Ils sont la plus grande somme des populations de l’Europe, Depuis plus de 400 ans ils sont en Amérique ; ils sont en Australie ; ils sont à Sumatra ; ils sont aux Philippines ; ils sont en Cochinchine ; ils sont plus que jamais dans l’Inde et les voilà enfin chez les tribus sous-équatoriales, au cœur de cette Afrique, que nos devanciers de deux mille ans avaient déclarée inhabitée et inhabitable.

Oh ! nous le savons bien ! cette prise de possession du monde est l’œuvre patiente et souvent tragique de bien des siècles de générations ! mais ce n’est pas une raison pour en ignorer ou en nier la conquête.

Mais maintenant parlons du Tibet.

VIII

Sur l’ethnique des Tibétains, l’opinion de M. Girard de Rialle n’est pas faite, ou plutôt il n’a pas d’opinion sur la question. Elle s’offre à lui tout à la fois négative et affirmative. Notre collègue dit en effet : « Je ne sais pas ce que sont les Tibétains, mais j’affirme qu’ils ne sont pas Mongols. »

C’est là ce que, dans le monde de la science, on appelle parler pour ne rien dire. J’aurais compris que M. Girard de Rialle nous eût dit : « Je crois que les Tibétains ne sont pas Mongols, et voici les raisons qui, dans mon estime, s’opposent à ce qu’ils soient Mongols » ; et qu’il s’en fût tenu là. C’était sans doute rester en chemin, mais au moins ce n’était pas se contredire.

Je me demande en effet comment notre savant collègue peut affirmer que les Tibétains ne sont pas Mongols, quand il se croit autorisé à ajouter qu’il ne sait pas ce qu’ils sont.

Nous connaissons à Paris une nombreuse colonie de braves gens qui ne sont ni hommes ni femmes[24] ; mais il faut aller au Tibet de M. Girard de Rialle pour voir des hommes qui sont ce qu’ils ne sont pas.

En attendant que notre collègue veuille bien nous tirer d’embarras sur l’exacte valeur de ses déclarations ; qu’il veuille bien surtout nous expliquer comment il se fait qu’il sait ce qu’il ne sait pas, j’affirme de nouveau — en réservant toujours quelques tribus primitives aborigènes — que les Tibétains sont Mongols ; et, bien que M. Girard de Rialle, même par sa théorie sur les langues asiatiques — théorie qui n’est pas, comme nous le verrons tout à l’heure, applicable au tibétain — n’ait pas effacé les raisons que j’ai précédemment indiquées comme décisives de l’ethnique du Tibet, j’apporte aujourd’hui, à l’appui de mon affirmation, un contingent nouveau d’indications précises, puisées à bonne source.

C’est d’abord l’enseignement de l’historien chinois Ma-touan-lin ; Ma-touan-lin, le savant consciencieux dont Abel Rémusat a dit : « Sous certains rapports, on peut comparer sa géographie historique pour l’Asie orientale à ce qu’est la géographie de Strabon pour les parties occidentales de l’ancien continent[25]. »

Voici, tel que le résume Abel Rémusat, l’enseignement précis que nous fournit Ma-touan-lin sur l’ethnique des Tibétains.

La note est un peu étendue, mais elle n’a toute sa signification que dans son ensemble.

« Le livre trois cent trente-quatrième de la Recherche approfondie renferme l’histoire des Thsoung-thseu, peuples de race tibétaine, établis au midi du Grand Désert, à l’orient des montagnes Bleues ; celle des Thou-kou-hoen, peuples de Tartares orientaux, sortis au troisième siècle de la province actuelle de Liao-thoung, qui vinrent habiter les environs du lac Bleu, du côté du Tibet ; celle des Yi-fe-ti, peuplade ichtyophage des mêmes contrées ; celle des Thang-tchhang, des Theng-tchi et des Tang-hiang, trois peuples de même origine, qui ont joué un rôle brillant dans le Tibet, et dont le dernier a fondé une principauté connue des Européens sous le nom de Tangout, qui est un nom formé par les Tartares de celui des Tang-hiang avec le signe du pluriel particulier à la langue des Mongols[26] ; une notice sur les Pe-lan, autre tribu tibétaine de la race des Tang-hiang ou Tangutains ; enfin l’histoire de ces peuples qui ont réuni sous leur domination, aux septième et huitième siècles, toutes les tribus des montagnes tibétaines, ainsi qu’une partie de la Tartarie et de l’Inde, et dont le nom, altéré par les étrangers, est resté sous la forme que les Mongols lui ont donnée : Tobout ou Tebet, appliqué à l’ensemble des nations tibétaines[27]. »

Si maintenant, comme complément à la note que je viens de produire, note qui énonce nominalement les diverses tribus dont s’est formé le corps de la nation tibétaine à une époque déjà fort ancienne, je précise la position géographique de la province chinoise d’où sont sorties les diverses tribus dénommées par Ma-touan-lin, je crois que, selon ce que sera cette position, les doutes, s’il en existe encore, sur l’origine des Tibétains devront complètement s’effacer.

C’est qu’en effet, si jamais contrée fut terre mongole, c’est assurément cette province de Liao-toung.

Cette province de Liao-toung, province boréale de la Chine, s’étend du 40° au 42° degré de latitude et du 114° au 123° degré de longitude[28].

L’historien arabe Maçoudi fait, il est vrai, venir de l’Arabie (de l’Yémen) les anciens habitants du Tibet. Pour lui, musulman, ils sont fils d’Amour, petit-fils de Japhet, fils de Noé. « Les anciens habitants du Tibet, dit-il, sont Hémyarytes ; leur patrie primitive était l’Arabie » ; mais il ajoute aussitôt que les Hémyarytes ont été absorbés par les Turcs[29]. Ce qui doit s’entendre des Mongols, parce que, pour les écrivains arabes et persans, Turcs et Mongols sont même peuple, ainsi que nous aurons tout à l’heure occasion de l’apprendre.

Al Byrouny, autre historien arabe, confirme en termes brefs, mais absolus, la présence des Turcs (des Mongols) au Tibet : « L’Indus, dit-il, prend sa source aux montagnes de Onannak, sur les confins du pays des Turcs (Mongols)[30]. »

Cette dernière indication, bien précise et bien facile à vérifier, affirme positivement que les Turcs (Mongols) sont au Tibet.

Et, à moins que M. Girard de Rialle ne puisse nous prouver que Ma-touan-lin, Maçoudi et Al Byrouny se sont malicieusement ligués pour lui jouer un mauvais tour, nous devons tenir les peuples du Tibet pour gens d’essence mongole.

Cependant, avant de sortir de cette question du Tibet, nous ferons quelques observations sur la langue tibétaine ; cela, pour répondre, comme je l’ai promis, aux objections que M. Girard de Rialle a présentées sous la même rubrique.

Il va de soi que Maçoudi, qui, pour satisfaire ses scrupules de mahométan, a fait venir de l’Arabie les Hémyarytes au Tibet, donne l’idiome hémyaryte pour première langue aux Tibétains ; mais, cette obligation de conscience une fois remplie, il a soin de faire savoir que la langue hémyaryte a été altérée complètement par l’immigration des tribus turques (mongoles)[31] et c’est là un aveu bon à retenir.

Au surplus, voici, pour trancher cette question de la valeur ethnologique de la langue tibétaine, l’appréciation d’un maître dont personne ici ne contestera la souveraine compétence.

M. Ph.-Éd. Foucaux est professeur de langue tibétaine à l’École des langues orientales. Il a écrit et publié une grammaire pour l’étude de la langue tibétaine, et il en a fait précéder l’exposition d’une introduction où il affirme, avec toutes les précautions en usage chez les savants, l’affinité de la langue tibétaine avec la langue chinoise, affinité qui indique, sinon une complète communauté d’origine, au moins une origine collatérale et voisine.

« Ce n’est donc pas, dit M. Foucaux[32], après avoir passé en revue les dialectes du Tibet, ce n’est pas dans les dialectes de la famille sanscrite qu’il faut aller chercher les affinités du tibétain, mais dans le chinois, le birman et l’annamite, affinités qui s’expliquent d’ailleurs naturellement par le cours des fleuves qui descendent des montagnes du Tibet, pour arroser les contrées habitées par les peuples que je viens de nommer. »

M. Foucaux constate encore que la langue tibétaine est monosyllabique comme la langue chinoise[33] ; que beaucoup de mots sont communs aux deux langues, et que leurs syntaxes sont assez souvent d’accord[34].

Enfin, et je terminerai par là mes observations sur l’essence mongole des populations du Tibet, voici, pour la constater une fois de plus, un certificat d’imprégnation mongole, écrit de main de maître : « Si quelqu’un des Tibétains ou des Ouralo-Altaïens a pénétré chez l’autre, ce sont à coup sûr ces derniers qui ont implanté de nombreuses tribus mongoliques dans les vallées occidentales de l’Himalaya[35]. »

J’emprunte ce certificat au Mémoire sur l’Asie centrale de M. Girard de Rialle, 2e édition.

IX

Je crois avoir épuisé toutes les questions secondaires qu’a fait surgir la critique de notre savant collègue. Je vais maintenant examiner la question des Mongols dans ses rapports avec les Dardis, les Gètes et les Massagètes.

Ici, la discussion doit s’élever et s’élargir. Elle sera d’ailleurs moins personnelle, quoique j’aie encore à combattre quelques allégations de M. Girard de Rialle à propos des Dardis.

Mais, au moment où je vais ainsi m’occuper des dernières objections de notre collègue, j’ai le droit de faire observer que toute la critique qu’il a dirigée contre ma communication du 6 avril dernier est faite de négations toutes nues, d’affirmations toutes sèches. Cette façon de traiter les questions scientifiques a, j’en conviens, de fières allures et des airs de grand seigneur qui vont très bien à notre collègue, mais ce n’est pas là de la discussion, et, pour ma part, je regrette les raisons bonnes ou mauvaises qu’aurait pu nous valoir, de la part de M. Girard de Rialle, la défense méthodique des opinions qu’il s’est contenté de formuler par négation ou par affirmation.

Il pouvait nous instruire et il a négligé de le faire, sans compter qu’il m’oblige à discourir sur des points d’histoire assez obscurs et à faire des démonstrations répétées qu’il eût été peut-être possible d’écarter, au moins en partie, par quelques précautions d’études préalables de sa part.

Par exemple et surtout pour les Mongols, dont il nous reste à parler.

Ici, je vais avoir tout à faire. Au fond, je ne le regrette pas. J’aime l’étude et la discussion, mais je ne voudrais pas passer pour un monsieur qui se plaît à « l’étalage », quand, en réalité, je prends à ma charge la plus lourde et la plus ingrate part de la discussion.

Venons aux Mongols.

X

La question à résoudre ici, question fort complexe, est celle-ci : étant admis — et il est admis — que les Dardis ou Dardes ne sont pas originaires de la contrée qu’ils occupent, d’où viennent-ils ? Sont-ils congénères des Gètes et des Massagètes ? Les Dardis, les Gètes et les Massagètes ayant une origine commune, cette origine commune est-elle mongole ?

Quand une première fois j’eus occasion de me préoccuper de la solution à donner à ce problème, m’étayant de souvenirs classiques, je formulai cette réponse : Dardis, Gètes et Massagètes ont été mêlés dans l’antiquité, et puisqu’ils ont alors vécu d’une vie commune, ils sont d’une origine commune et cette origine est mongole, puisque Gètes et Massagètes sont Mongols.

Aujourd’hui, tout en maintenant cette solution telle que je l’ai formulée, je vais fournir de nouveaux témoignages de son exactitude, témoignages non plus recueillis dans les souvenirs de l’antiquité classique, mais dans ce qui nous est advenu de connaissances de l’antiquité asiatique. Je veux dire dans ce qui s’y trouve de témoignages acceptables.

Ce sera une contre-épreuve de l’examen que j’ai déjà présenté. La nouvelle source d’informations que je vais ouvrir rajeunira le débat et le montrera sous un aspect tout à fait neuf et original.

XI

Mais avant d’entreprendre cette discussion sur les Dardis dans ces conditions toutes spéciales, il convient de bien s’entendre sur la valeur et la portée des mots dont nous allons user ; et, par exemple, M. Girard de Rialle ayant déclaré qu’il ne veut reconnaître pour véritables Mongols que les Mongols de la race pure et jaune de Tchinghiz-khan, il nous faudra d’abord savoir ce que l’on doit entendre par Mongols. À cet effet, nous interrogerons les historiens les plus autorisés ; nous saurons ce qu’est la race d’où est sorti Tchinghiz-khan ; nous dirons l’étymologie du mot Mongol, nous apprendrons ainsi quelle portée il a dans l’histoire et ce qu’il vaut pour la discussion actuelle.

Par avance je m’engage à prendre le mot Mongol dans le sens le plus favorable aux prétentions scientifiques de notre collègue.

Cette base une fois acquise sans conteste possible, je déterminerai historiquement l’origine des Dardis, origine essentiellement mongole. Ce résultat obtenu, nous reviendrons aux Gètes et aux Massagètes ; ici la besogne sera facile et pourra se mener rondement.

Faisons d’abord la périlleuse besogne, l’autre nous reposera.

L’Histoire des Huns de de Guignes me viendra en aide, mais c’est surtout de l’ouvrage de Raschid-eldin, traduit par Quatremère ; des « Mémoires de Hiouen-thsang » traduits par Stanislas Julien ; du Thian-tchu ou l’Inde traduit par Pauthier ; de la Radjatarangini de Kalhana, traduite par Troyer, que je tirerai mes principales informations. J’utiliserai d’autres sources encore et j’aurai soin de les indiquer avec précision.

XII

L’historien persan Fadl-Allah-Raschid ou plus simplement Raschid-eldin ; fils d’Imad-Eldevlack-Aboul’kaïr et petit-fils de Mouwaffack-Eldevlack-Ali, est né à Hamadan, l’ancienne Ecbatane, et mort à l’âge de quatre-vingts ans l’an 718 de l’hégire ou 1318 de notre ère, ce qui ferait remonter sa naissance vers l’an 638 de l’hégire ou 1240 de notre ère ; mais nous savons par Raschid-eldin lui-même qu’en l’année 705 de l’hégire il avait environ soixante ans, ce qui reporte la date de sa naissance à l’année 645 de l’hégire ou 1247 de notre ère[36].

L’avènement de Tchinghiz-khan à la suprême puissance sur toutes les nations mongoles a eu lieu au printemps de l’année mongole du Léopard, qui correspond à l’année 602 de l’hégire ou 1205 de notre ère. Raschid-eldin, à peu près contemporain de Tchinghiz-khan, a vécu à la cour de Gazankhan, petit-fils et l’un des successeurs de Tchinghiz-khan. C’est sur l’invitation de Gazan-khan que Raschid-eldin a écrit l’Histoire des Mongols d’où j’extrais les renseignements que je vais faire connaître.

L’œuvre de Raschid-eldin a, dans tout l’Orient, une réputation bien méritée de scrupuleuse exactitude[37].

Nous allons savoir par lui ce que, historiquement, on doit entendre par Mongols. Voici en quels termes il s’en exprime dans la préface générale de son ouvrage :

« Le premier tome qui, d’après les ordres du roi de l’islamisme Oldjaïtou-sultan, a conservé le nom de son frère, le sultan heureux, Gazan-khan, se compose de deux divisions :

« La première expose avec étendue l’histoire de l’origine des nations turques, des détails sur les différentes branches et tribus, l’histoire des pères et des ancêtres de chacune. Elle comprend une préface et quatre sections.

« La préface indique la limite des lieux occupés par les Turcs, les noms et les surnoms de chaque tribu, autant qu’on le peut savoir.

« La première section retrace les faits qui concernent les peuples descendus d’Ogouz, le petit-fils d’Abou-Betchehkhan, autrement nommé Japhet, fils du prophète Noé, ainsi que l’histoire des peuples issus de ses oncles, sa généalogie et son origine.

« La seconde section donne l’histoire des nations turques, comprises sous la dénomination de Mongols, mais qui, dans l’origine, avaient chacune un nom et un surnom particuliers, un chef et un émir.

« La troisième comprend l’histoire des nations turques, dont chacune avait un roi et un chef à part, mais qui ne se rattachent par aucun lien aux peuples indiqués dans les chapitres précédents.

« La quatrième section donne l’histoire des nations turques qui, de temps immémorial, portent le nom de Mongols. Cette section se subdivise en deux parties : la première traite des Mongols-Derlekin ; la seconde des Mongols-Niroun.

« La seconde division, qui expose l’histoire des souverains mongols et turcs, se partage en deux sections.

« La première renferme l’histoire des pères et des ancêtres de Tchinghiz-khan. Elle comprend dix histoires : l’histoire de Douïoun-baïan ; celle d’Alankoua et de ses trois fils ; celle de Bouzendjir, fils d’Alankoua ; celle de Doutoumenen, fils de Bouzendjir ; celle de Kaïdou-khan, fils de Boutoumenen ; celle de Sangour, fils de Kaïdou-khan ; celle de Toumeneh-khan, fils de Sangour ; celle de Kabl-khan, fils de Sangour ; celle de Bertan-behadur, fils de Kabl-khan ; celle de Iisouka-behadur, fils de Bertan-behadur.

« La seconde section raconte l’histoire de Tchinghiz-khan et de ses parents illustres, dont quelques-uns ont porté le titre de kaân, d’autres n’ont pas eu d’empire particulier ; avec un abrégé de l’histoire des différents princes contemporains jusqu’à ce jour. »

Plus loin, au cours de cette intéressante préface, Raschid-eldin dit encore : « Turcs et Mongols se ressemblent d’une manière frappante et furent, dans l’origine, désignés par le même nom[38]. »

Les Annales des Huns confirment cette communauté d’origine dans les termes suivants :

« Alingé-khan eut deux fils jumeaux, l’un appelé Tatar et le second Mogul ou Mung’l, entre lesquels il partagea ses États. C’est du premier de ces princes que la tribu des Tartares prétend être descendue, de même que celle des Mogols rapporte son origine au second[39]. »

Il est donc acquis par les termes exprès de l’exposé emprunté à Raschid-eldin et par la généalogie que fournissent les annales des Huns que, dans la pensée des Orientaux les mieux instruits de la situation ; dans la pensée de ceux à qui leur position officielle et particulièrement favorable a permis de persévérantes et de profondes recherches, que Turcs et Mongols ont même origine, ou tout au moins, qu’ils ont été, dès les temps les plus reculés, confondus dans l’esprit des peuples de l’Asie centrale, et admis dans les temps modernes, sous la dénomination générale de Mongols.

Cette apparente confusion n’est pas particulière à notre écrivain persan et aux annales des Huns. Silvestre de Sacy, commentant un traité conclu entre les ambassadeurs génois et Khan Mogol du Kiptchak, fait observer à propos de cette expression : Brachii recti imperii Gazariæ, que les Mogols et les Tartares étaient dans l’usage de diviser leur empire, comme leurs camps et leurs armées : en aile droite et en aile gauche[40], et c’est ainsi en effet que le vaste domaine de Tchinghiz-khan se présente à nous dans l’histoire. Le centre administratif est Kara-koroum (fondation de Tchinghiz-khan), la droite est le pays des Tou-kioue (Turcs, Tartares occidentaux), la gauche, le pays des Tartares-Mandchoux, et cet ensemble était officiellement dénommé : Mongols de la droite, Mongols de la gauche, Mongols du milieu.

Langlès, dans les considérations dont il accompagne l’alphabet mandchou[41] ; Klaproth, dans la préface à sa Chrestomathie mandchoue[42] ; Abel Rémusat, dans sa notice sur le dictionnaire intitulé : Miroir des langues mandchoue et mongole[43], consacrent à plusieurs reprises cette même confusion qui fait mongoles toutes les nations tartares, sans que, chez aucun de ces écrivains, nous puissions recueillir un motif explicite à l’élasticité de ce terme : Mongol.

Cette élasticité dont, à ma connaissance, aucun ethnographe n’a encore recherché la cause, parce que fort probablement aucun ethnographe n’avait encore eu besoin de s’en rendre compte, réside, nous allons nous en convaincre, dans l’étymologie même du mot Mongol, étymologie parlante par elle-même et par sa provenance.

XIII

À propos du mot : « Mongol », qu’elles écrivent constamment « Mogol », les Annales des Huns s’expriment ainsi : « Mogol-khan et sa postérité formèrent un puissant empire qui subsista en même temps que celui des Tartares. Le nom de Mogull est une corruption de celui de Mung’l, qui signifie « triste », parce que ce prince était naturellement triste[44]. »

Cette étymologie, faite à la main et toute de convention, est certainement fautive.

Dans les Annales des Huns, elle arrive immédiatement après une note généalogique qui fait descendre Alingé-khan, père de Tatar et de Mogul, de Noé, par Japhet, à la troisième génération[45], et il suffit de faire remarquer que la Bible, qui parle de Noé et de sa descendance, n’est arrivée aux Tartares que par la conquête des Arabes musulmans au neuvième siècle ; que les Tartares, Huns ou Mongols, existaient bien longtemps avant la conquête qu’en ont faite les Arabes musulmans et que, par conséquent, généalogie et étymologie, telles qu’elles sont ici présentées aujourd’hui, sont absolument œuvre de convention et sans valeur historique. Elles ont d’ailleurs la mauvaise fortune d’être une importation venue d’Occident, tandis que les Mongols viennent surtout de l’Orient.

Pour les Chinois, au contraire, les Mongols sont de vieilles connaissances. Pendant des siècles nombreux, les peuples, qui depuis ont été nommés Mongols, ont inquiété leurs frontières septentrionales et occidentales ; pendant des siècles ils ont dû les combattre, et ils ont été un jour conquis par eux.

Les Chinois ont écrit une histoire des Mongols et, dans cet ouvrage, qui est une œuvre sévère, mais de ressentiment national, les Chinois écrivent le nom des Mongols en deux monosyllabes qu’ils orthographient ainsi : Moung-Kou[46].

C’est de ces deux mots que les Occidentaux ont fait le mot : Mongol.

Les deux monosyllabes chinois Moung-Kou signifient, dans l’ordre même où nous les prononçons : « Hache rouge ».

Dans ces conditions, la dénomination de « Mongol », tant prodiguée, n’a donc réellement en soi aucune valeur ou portée ethnique, aucune de ces significations indicatives de la race ou de l’habitat, comme, par exemple, la dénomination de Normand, spécificatif d’homme du Nord, et le mot Highlander, qui correspond à notre mot Montagnard, mais qui, à cause du langage dont il relève, est spécificatif de l’habitat de l’Écossais et indicatif de sa race.

Quant au mot Mongol, il est absolument vrai qu’en raison de son étymologie et de sa provenance chinoise, sa valeur première et intentionnelle doit être purement indicative du mode particulier d’armement des tribus agressives, à qui il fut, dès l’abord, appliqué par les Chinois[47].

Des hommes armés de haches au manche rouge s’étant un jour rués sur eux, ils les ont désignés par les mots « Moung-Kou, Mongols, Haches rouges », comme nous nommons lanciers, carabiniers, fusiliers, canonniers, les hommes armés de la lance, de la carabine, du fusil ou desservant des canons, et, de la même manière que les appellations lancier, carabinier, fusilier, canonnier, peuvent avec justesse s’appliquer aux lanciers, aux carabiniers, aux fusiliers, aux canonniers de toutes les armées où existent des armes constitutives des appellations indiquées, la qualification spéciale de Mongol a pu s’étendre à tous les confédérés qui, plus tard, se joignirent à la tribu que les Chinois avaient primitivement ainsi désignée.

L’élasticité de ce nom s’explique si bien par son étymologie chinoise, par les éléments d’histoire nationale qu’il renferme, par le facile chemin qu’il a fait au treizième siècle dans le monde asiatique, qu’aucune autre étymologie ne semble possible et acceptable, car aucune autre ne lui donnerait ce cosmopolisme asiatique et impersonnel dont l’histoire l’a revêtu.

XIV

J’aurais donc beau jeu si, à la faveur de ces constatations historiques et étymologiques, je me prévalais de l’accueil fait à l’appellation de Mongol, par toutes les nations tartares, pour soutenir, avec plus de duplicité que d’adresse, que les Dardis sont Mongols ; puisque, à ce compte, bon gré, mal gré, ils seraient Mongols quand même, soit qu’ils vinssent originairement du nord, de l’est ou de l’ouest. Mais, je le répète, je n’entends pas user de pareils moyens de discussion, et si je les ai fait connaître, c’est précisément pour les repousser, et circonscrire le champ clos.

Il est cependant bien certain que je ne peux pas non plus accepter comme étalon mongol, ainsi que le demande M. Girard de Rialle, la race pure et jaune de Tchinghiz-khan.

Ce n’est point sans bonne raison que je me refuse à suivre mon savant contradicteur sur le terrain qu’il a choisi. Il y a en effet à mon refus une raison dirimante et sans réplique. Mon refus se base précisément sur cette circonstance qui semble être, dans l’esprit de M. Girard de Rialle, comme un témoin irrécusable de la valeur de ses prétentions historiques. Notre collègue veut des Mongols à la mine orangée ; eh bien, dût M. Girard de Rialle m’accuser d’être impitoyable et de lui faire perdre ses plus chères illusions, ma raison, la voici : c’est que la lignée jaune de Tchinghiz-khan est bâtarde : On connaît sa grand’maman, on ne connaît pas son grand papa.

XV

Voici l’histoire — j’allais dire : amoureuse, mais c’est merveilleuse qu’il faut dire pour être dans le ton — voici donc l’histoire merveilleuse d’Alankoua, la grand’mère de Tchinghiz-khan : « Les Mogols, qui regardent Genghis-khan comme leur plus grand prince, lui donnent une origine miraculeuse. Ils prétendent qu’un de leurs anciens khans, nommé Julduz, eut deux enfants qui moururent avant lui. L’un laissa un fils appelé Dejun-baïan et l’autre une fille nommée Alancava. On les maria ensemble. Dejun-baïan qui survécut peu à son grand-père Julduz, laissa Alancava veuve avec deux enfants, le premier, nommé Belgadei, âgé de sept ans ; le second, appelé Begdsadei, âgé de six ans. Alancava, occupée du soin de les élever, ne voulut pas se remarier. Mais on rapporte que quelque temps après, en s’éveillant un jour, elle vit dans sa chambre une grande lumière qui se changea en la figure d’un homme de couleur orangée et qui avoit les yeux d’une beauté parfaite ; qu’elle en fut si épouvantée, qu’elle voulut appeler du monde, mais que ses forces lui manquèrent et que cet esprit coucha avec elle. Alancava n’avoit d’abord osé publier cette aventure, dans la crainte qu’on ne crût qu’elle en imposoit, mais l’esprit étant venu plusieurs fois, elle se trouva enceinte, et l’on s’aperçut de sa grossesse. Cet événement fit beaucoup de bruit dans la horde ; pour se justifier, elle dit qu’elle consentoit à être traitée en coupable si elle n’accouchoit pas de trois enfants mâles. En effet, elle mit au monde trois enfants qui furent nommés : Bocum-catagun, Boskin-saldgi et Bouzendgir ; on les appela tous les trois : les Nouranioun, c’est-à-dire les Illuminés, parce qu’on les regarda comme fils du Soleil. C’est du dernier que descend Genghis-khan[48]. »

Oh ! premier ou dernier, le numéro ne fait ici rien à la chose, et quoi qu’ait dit ou fait dire Tchinghiz-khan du coup de soleil indiscret, qui pénétra itérativement sa grand’mère, il est certain qu’il sort d’une lignée entachée de bâtardise, et M. Girard de Rialle m’accordera galamment, je pense, que je suis en droit de récuser son prétendu étalon pur sang.

Cette autre mésaventure ethnographique de notre savant collègue, quoiqu’elle nous prive d’un étalon de son choix ; quoiqu’elle me laisse maître absolu du champ clos, ne m’en fera pas recaler les barrières, ne me fera pas dévier du programme d’honnête et complète discussion que je me suis imposé.

Une nation mongole existait avant Tchinghiz-khan, une contrée voisine de la branche occidentale de la grande muraille de la Chine lui est généralement attribuée comme terre d’origine et c’est de cette contrée, voisine de la branche occidentale de la grande muraille de la Chine, que j’entends faire venir les Mongols que je donne pour ancêtres aux Dardis.

XVI

En Asie, dans les vallées supérieures de l’Indus, au-delà et au nord de cette vaste enceinte de hautes montagnes qui encadrent la délicieuse vallée de Kachmir, et dans un espace compris, à peu près, entre le 35e et le 37e degré de latitude et les 68e et 72e degrés de longitude, vit, dès longtemps jetée là par les hasards de la guerre ou les caprices de la migration, une population sans histoire et désormais sans avenir.

Les travaux de M. le docteur Leitner et de M. Drew nous ont appris que cette population se divise en castes de diverses appellations, mais dont les Shins et les Bouroutes forment la plus grande partie[49].

Les Shins figurent dans l’ensemble de cette population dans la proportion de 46 pour 100, les Bouroutes dans la proportion de 37 pour 100 ; la différence, c’est-à-dire 17 pour 100, est fournie par six ou sept castes qui, chacune, ne représentent en moyenne que 2 pour 100 environ de la population totale.

L’ensemble de cette population relève de seize ou dix-sept centres d’agglomération dont les plus considérables sont : Chilas, sur l’Indus ; Gilgit, sur la rivière Gilgity, affluent de la droite de l’Indus, et Astor, sur un affluent de la gauche de l’Indus et dont la vallée porte à la passe de Darikhun qui s’ouvre sur le Kachmir.

La contrée que tiennent ces populations a, dès longtemps et par tradition, reçu la dénomination géographique et purement conventionnelle de Dardistan. Les habitants, selon le caprice des langues de l’Europe, y sont dénommés Dardis, Dardes ou Dards, mais leurs voisins immédiats, les Kachmiri, ainsi que nous l’avons vu, les traitent volontiers de Dardous, dénomination injurieuse qui, d’accord avec une légende accréditée, représente les habitants du Dardistan comme la descendance d’un ours[50].

Chaque caste parle un dialecte qui lui est propre, mais tous ces dialectes sont ramenés par la grammaire à la langue Shina, qui est l’idiome le plus répandu[51].

XVII

Il y a, dans ces indications à peine accentuées, bien plus qu’elles ne le disent d’abord, de valeur historique et topographique.

Aussi bien que les légendes, les traditions relèvent généralement de circonstances vraies dans leur essence, mais que le temps a obscurcies et que l’imagination a travesties.

Ici, comme par faveur spéciale, la tradition s’éclaire de l’éclat de l’étiquette qu’elle porte, et de la signification, que les faits qu’elle contient donnent directement à cette étiquette.

Le mot Dard reflète bien en effet le mot Darada des textes sanscrits, et l’intention injurieuse que, dans l’esprit de leurs voisins, ce mot renferme à l’adresse des Dardes, s’explique et s’accentue par ce fait bien connu que la Mongolie, dont relevait le pays des Daradas, était, aux temps anciens, comme aujourd’hui, le pays des ours[52].

La Mongolie et son voisinage septentrional sont toujours en effet le pays des fourrures et les livres chinois les plus anciens signalent cette contrée comme la terre nourricière de diverses espèces animales qu’ils confondent avec les ours.

Les recueils de l’histoire naturelle médicale des Chinois parlent d’une variété d’ours à trompe et un très ancien dictionnaire chinois, intitulé Eul-ya, nous fait savoir que ce quadrupède porte en Chine le nom de , les commentaires de ce dictionnaire, également fort anciens, disent que le est semblable à un ours ; qu’il a la tête petite et les pieds bas ; qu’il est tacheté de blanc et de noir ; qu’il peut ronger le fer, le cuivre et le bois de bambou ; que ses os sont durs, compacts ; que ses articulations sont droites et fermes ; qu’il a peu de moelle et que sa peau préserve très bien de l’humidité.

Suivant le Choue-wen, autre dictionnaire fort ancien et très estimé, le est semblable à un ours, mais de couleur jaunâtre. On le tire du pays de Chou[53].

Chou est l’ancien nom que portait, avant la quatrième dynastie, c’est-à-dire au cinquième siècle avant notre ère, la province actuelle de Sse-tchouèn.

La position géographique de cette province de Sse-tchouèn s’écrit : en latitude par 26 à 33 degrés et en longitude par 98 à 108 degrés[54]. Nous sommes bien là en Mongolie et, dans ces conditions, il me semble que la maligne tradition qui fait descendre les Dardes d’un ours indique tout simplement le pays d’origine des Dardes[55].

Ptolémée place en effet des Daradrœ dans la Scythie au-delà de l’Emaüs[56], et la position géographique qu’il leur assigne, position qui s’inscrit par 37 degrés de latitude et 105 degrés de longitude, avoisine sensiblement la position de la province de Sse-tchouên.

XVIII

D’autres clartés sortent encore des indications sommaires que je viens de fournir ; j’ai dit en effet que les Shins et les Bouroutes forment ensemble les quatre cinquièmes de la population du Dardistan.

Les Shins passent pour des émigrés mongols : « Les Tchin, dit de Guignes, étaient des Chinois qui avaient passé anciennement en Tartarie, où leur postérité s’était conservée[57], » et le major Biddulph affirme le même fait à propos des Shins du Dardistan : « Les Shins, dit-il, étant venus volontairement dans le pays, n’ont pu lui imposer leur langue propre[58] ; » quant aux Bouroutes, je n’ai point à craindre de voir M. Girard de Rialle s’élever contre moi si je leur assigne une origine mongole, car il enseigne lui-même qu’ils sont d’origine mongole. Dans son mémoire sur l’Asie centrale, au paragraphe qui traite des langues ouralo-altaïques il dit, en parlant des idiomes mongols : « Quatrièmement, la branche mongole, au centre, et se divisant actuellement en trois dialectes : le mongol proprement dit, le kalmouk et le bouriate.[59] »

Laissant donc l’origine mongole des Bouroutes du Dardistan sous la protection immédiate de l’auteur du savant mémoire sur l’Asie centrale, je vais indiquer, avec autant de précision que le permettent les documents un peu vagues que j’ai sous la main, l’origine mongole des Shins.

Nous avons vu que le major Biddulph considère les Shins du Dardistan comme la descendance d’une migration volontaire de Shins dont il n’indique pas le point de départ ; mais de Guignes, qui revient à plusieurs reprises sur le compte des Tchins, dit expressément qu’ils étaient des Chinois qui avaient passé anciennement en Tartarie. Pauthier[60] confirme le fait de cette migration, qui semble, à son avis, coïncider avec la destruction du royaume de Thsin, fondé dans l’ouest de la Chine plus de mille ans avant notre ère. « Au commencement de l’année 642 avant notre ère, dit-il, Mou-Koung, prince de Thsin, dans le Chèn-si[61], perdit contre le prince de Tsi, dans le Chan-si[62], une grande bataille », et, à quelque temps de là, le royaume de Thsin s’efface et la dynastie des Thsin disparaît. C’est alors, trois cents ans environ avant notre ère, que dut se produire vers l’ouest cette migration des Thsins vaincus s’expatriant volontairement. Quelle que soit d’ailleurs la date ancienne où s’effectua cette migration de Thsins de l’est à l’ouest, il est certain qu’elle s’est produite, et il y a tout lieu de croire que les Shins du Dardistan en sont en tout ou en partie la descendance ; leur origine à ce compte serait bien mongole.

La position géographique de la province de Chèn-si, pour l’époque lointaine où nous remontons, se définit en effet par 32 à 40 degrés de latitude et 96 à 109 degrés de longitude[63].

C’est toujours, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, le pays ou fort approximativement le pays des Daradas des textes sanscrits, la Mongolie des temps modernes.

XIX

Une autre circonstance bien digne de remarque et qu’il convient d’affirmer dès à présent, c’est l’existence, contrairement à ce que nous en a dit M. Girard de Rialle, d’un idiome particulier aux tribus du Dardistan.

Cet idiome n’est pas régulier, souple et abondant comme le sanscrit, le grec et le latin, mais tel qu’il est il suffit au besoin du peuple qui le parle et il a excité la curiosité d’observateurs intelligents.

En 1878, M. le docteur Leitner nous a apporté une grammaire et un vocabulaire de cet idiome[64] et en 1880 M. le major Biddulph a fait imprimer à Calcutta une autre grammaire et un vocabulaire de ce même idiome[65].

Le nom Shina que porte cet idiome est significatif et vient en renfort à la tradition qui fait descendre les Dardes de l’ours, c’est-à-dire qui les fait venir originairement du pays des ours, la Mongolie, du nord de la Chine.

XX

Tout cet ensemble de faits et de circonstances que je viens de passer en revue constitue certainement une indication d’origine bien parlante et qui pourrait généralement passer pour suffisante, mais nous avons ici le devoir d’être exigeants et nous dirons, si vous le voulez, au moins provisoirement, que la tradition dont nous venons de parler et la légende sur laquelle elle se greffe ne sont que jeux d’enfant ; quant à moi, quoique je sois persuadé qu’elles affirment la vérité, je consens à ne présenter cette solution que comme une hypothèse et à rechercher avec vous des témoignages plus substantiels.

XXI

L’étude et l’intelligence acquise des langues anciennes et modernes de l’Asie a, depuis trois quarts de siècle, notablement étendu les horizons de l’histoire de ce pays des légendes, et l’histoire particulière des populations si tourmentées de l’Asie centrale n’est pas, autant qu’on paraît le croire, dépourvue aujourd’hui de témoignages fort acceptables.

Je crois pouvoir en effet, sur preuves historiques, montrer les ascendants lointains des Dardes quittant, bien malgré eux, les campagnes relativement voisines de la branche occidentale de la grande muraille de la Chine pour s’acheminer vers celles de l’exil qui leur étaient réservées, 1 200 ou 1 000 ans avant l’ère vulgaire, dans le voisinage de l’État de Kachmir.

Je crois que je réussirai dans ma démonstration. En tout cas, cet exode mongol doit nous intéresser tout particulièrement, et je réclame avec confiance un peu d’attention pour quelques instants encore.

XXII

J’ai déjà eu occasion de faire intervenir ici les Mémoires du pèlerin bouddhiste Hiouen-thsang. Nous savons ce qu’il est : Chinois et bouddhiste fervent, il a voulu connaître autant que possible tous les lieux illustrés par la présence ou le souvenir du Bouddha, et, dans un voyage qui n’a pas duré moins de quatorze années, il a visité une grande partie de l’Inde, le Kachmir, le Gandhara et autres contrées. Chemin faisant, il s’est enquis des mœurs et de l’histoire des peuples qu’il visitait.

Je trouve dans ses Mémoires le récit dont le texte va suivre et qui, nous le verrons, se rattache directement à la question ici posée :

« Jadis, dit Hiouen-thsang, lorsque le roi Kia-ni-se-kia (Kanichka) était sur le trône (de Kachmir), les royaumes voisins étaient émus de sa renommée, et la terreur de ses armes s’étendait jusque chez les peuples étrangers. Les princes tributaires établis à l’ouest du fleuve (Jaune) redoutaient sa puissance et lui envoyaient des otages. Lorsque Kia-ni-se-kia (Kanichka) avait obtenu ces otages, il les comblait d’attentions et de faveurs. Dans trois des saisons de l’année, il les faisait changer d’habitation et leur donnait quatre corps de troupe pour les protéger. Ce royaume était la résidence des otages (chinois) pendant l’hiver. C’est pourquoi on l’appela Tchi-na-po-ti (Tchinapati). Par suite de cette circonstance, le nom de la résidence des otages devint celui du royaume.

« Anciennement, depuis les frontières de ce pays jusque dans les Indes, il n’existait ni poiriers ni pêchers ; les otages (de la Chine) en ayant planté dans ce royaume, le pêcher fut appelé Tchi-na-ni (Tchînani, apporté de Chine) et le poirier, Tchi-na-lo-che-fo-ta-lo (Tchînarâdjapouttra, fils du roi de Chine). C’est pour cette raison que les habitants de ce royaume montrent un profond respect pour le pays oriental (la Chine). (Lorsqu’ils virent le voyageur) ils le montrèrent du doigt et dirent entre eux : « Cet homme est de la patrie de nos premiers rois[66] ».

Dégageons de cette précieuse confidence de Hiouen-thsang tous les enseignements qui s’y trouvent contenus. Mais d’abord et pour nous bien orienter, sachons au juste quel est ce roi Kanichka dont parle le voyageur.

L’histoire des rois du Kachmir la Râdjatarangini de Kalhana, va nous édifier tout à la fois sur l’époque du règne du roi Kanichka et aussi — circonstance particulièrement favorable — sur sa nationalité originelle.

En ce qui concerne ce roi Kanichka, voici trois çlokas de la Râdjatarangini (liv. I, nos 168, 169, 170)[67] :

« Ensuite (c’est-à-dire après le roi Dâmôdara) régnèrent trois rois, nommés Huchka, Djuchka et Kanichka, qui bâtirent trois villes désignées par le nom de chacun d’eux.

« Djuchka, roi vertueux, construisit un vihâra[68] et les villes de Djuchkapura et de Djayasvâmi.

« Ces rois, issue de la race des Turuchkas, étaient cependant protecteurs de la vertu. Ils bâtirent, dans le champ de Çuchka et dans les autres contrées, des collèges, des temples de Buddha[69] et d’autres édifices. »

Sur la liste chronologique des rois du Kachmir, seconde période, Kanichka figure le 52e dans la série des 54 rois qui remplissent cette seconde période. Parmi ces 54 rois on en compte 3 d’origine étrangère, et Kanichka est le 3e de ces rois d’origine étrangère.

L’origine de ces trois rois est, la Râdjatarangíní le dit en propres tenues : « Tartare, Turuchka, Turque. »

Les 54 rois de la seconde période de l’histoire du Kachmir ont, dans leur ensemble, régné pendant 1 266 ans.

L’avènement au trône du premier roi de cette seconde période remontant à 2448 ans avant l’ère vulgaire, cette seconde période s’achève en l’an 1182 avant l’éclosion de notre ère ; et, Kanichka étant l’antépénultième roi de cette série de 54 rois, nous pouvons, dans les conditions d’une sage et satisfaisante approximation, enclaver dans le douzième siècle avant notre ère le règne de Kanichka.

Des textes combinés de la relation du bouddhiste chinois Hiouen-thsang et de la chronique des rois de Kachmir, à l’endroit de Kanichka, il résulte clairement que le royaume de Kachmir, à l’époque reculée où nous placent les faits qui nous occupent, faisait partie d’un vaste État tartare dont les frontières avoisinaient dans l’Est les frontières occidentales de la Chine.

Cette conjecture, autorisée par les textes que j’ai cités, peut être historiquement constatée. Je trouve en effet dans les Annales des Huns la confirmation expresse de la constitution d’un puissant État tartare 1200 ans avant notre ère, c’est-à-dire à l’époque où se place le règne de Kanichka d’après la Chronique des rois du Kachmir. Voici en entier le passage des Annales des Huns pour le fait qui nous intéresse :

« Les Hiong-nou (les Huns)[70] une des plus nombreuses nations de la Tartarie occidentale, erroient dans ces vastes campagnes qui sont au nord de la Chine, nourrissoient de nombreux troupeaux et habitoient sous des tentes. Ils étoient souvent en guerre avec la Chine, sans que pour cela les historiens chinois nous aient transmis l’histoire des Hiong-nou dès les premiers temps de l’établissement de ces peuples. Ce n’est en effet qu’environ l’an 209 avant Jésus-Christ que l’on commence à trouver d’amples détails sur cette histoire et à pouvoir donner une suite chronologique des princes Hiong-nou, qui portoient le titre de tanjou ou tchen-you. Mais il paraît en même temps que ce n’est qu’à cette époque que nous devons fixer le commencement de la puissance des Huns. Ils portèrent alors la guerre dans les provinces orientales et soumirent les Tartares qui habitoient au nord de la Corée. Ils tournèrent ensuite du côté de l’Occident, où ils étendirent leurs conquêtes jusqu’aux environs de la mer Caspienne et dans la Sibérie.

« Teou-man-tanjou est le premier empereur connu. Il mourut l’an 209 avant Jésus-Christ. En remontant de cette époque jusqu’à Tchun-goei, prince de la famille impériale de Hia (première dynastie, 1766 ans avant notre ère), qui se retira alors en Tartarie, où il fonda l’empire des Huns, on compte environ 1000 ans. Ainsi c’est aux environs de l’an 1200 avant Jésus-Christ que nous devons placer le commencement de l’empire des Huns[71]. »

Les textes dont je viens de donner connaissance ont été écrits à des époques fort distantes les unes des autres et dans des conditions de complète indépendance réciproque. Hiouen-thsang, ou plus justement ses disciples ont écrit ses Mémoires dans la première moitié du septième siècle (648) de notre ère. Hiouen-thsang était Chinois. La Chronique des rois du Kachmir, œuvre de Kalhana, date de la moitié du douzième siècle (1148) de notre ère, Kalhana était Kachmiri. Enfin l’Histoire générale des Huns, par de Guignes, relève de la moitié du dix-huitième siècle.

Rien n’indique que Kalhana ait connu les Mémoires de Hiouen-thsang, et de Guignes, qui, de temps à autre, cite Ma-touan-lin, qu’il nomme Ma-touon-lin, ne parle ni de Hiouen-thsang ni de Kalhana.

C’est, je crois pouvoir l’affirmer, pour la première fois que ces textes ainsi confrontés sont pris, quant au fait spécial qui nous occupe, comme instrument de critique historique. Ils sont d’ailleurs entre eux en parfaite concordance, tant sur le fait en lui-même que pour l’époque à assigner à son existence.

Sans donc nous livrer ici à une analyse comparative dont les détails pourraient sembler oiseux, nous pouvons en toute sûreté de conscience résumer dans les termes suivants les faits qui ressortent de l’ensemble des documents que nous avons fait connaitre :

Au douzième siècle avant notre ère, un empire des Huns existait déjà. Par son étendue de l’est à l’ouest, il embrassait toutes les contrées comprises entre les frontières occidentales de la Chine et les frontières occidentales du Kachmir. — Peut-être même sa limite occidentale atteignait-elle des contrées plus reculées dans l’Ouest. — Vers cette même époque, cet empire eut, entre autres chefs, un prince, que les Mémoires de Hiouen-thsang nomment Kanichka et que nous retrouvons parmi les rois de Kachmir de la seconde période. Redouté de tous ses voisins, ce prince exigeait d’eux des otages comme témoignage et garantie de leurs bonnes dispositions à son égard. Les Chinois, ses voisins d’Orient, lui livrèrent des otages, et Kanichka interna ces otages dans le voisinage de sa province du Kachmir.

Le texte fourni par Hiouen-thsang renferme d’autres enseignements, nous y reviendrons ; mais avant d’aller plus loin, constatons que les otages fournis par la Chine à Kanichka et que Kanichka interna dans le voisinage du Kachmir, ne pouvaient venir de la Chine au prince tartare que par les frontières occidentales de la Chine, qui sont en effet à l’ouest du Houang-Ho, fleuve Jaune ; que ces otages étaient ainsi originaires des provinces frontières de l’ouest de la Chine et notons, pour nous en servir plus tard, les noms et la position géographiques de ces provinces occidentales de la Chine.

Les frontières occidentales de la Chine relèvent aujourd’hui de trois provinces, savoir : le Chèn-si, le Kan-sou[72] et le Sse-tchouèn. Mais autrefois, les espaces sur lesquels s’étendent ces trois provinces étaient divisés en deux provinces seulement, savoir : le Chèn-si et le Sse-tchouèn, qui se nommait autrefois le Chou. Alors le Chèn-si s’étendait du 32e au 40e degré de latitude et du 96e au 109e degré de longitude, et la province de Chou, aujourd’hui Sse-tchouèn, du 26e au 33e degré de latitude et du 98e au 108e degré de longitude. Notons que nous sommes là en pays mongol et continuons notre étude du texte de Hiouen-thsang.

XXIII

Anciennement, dit-il, depuis les frontières de ce pays jusque dans les Indes, il n’existait ni poiriers ni pêchers. Les otages (de la Chine) en ayant planté dans ce royaume, le pêcher fut appelé Tchi-na-ni (en sanscrit, Tchînani apporté de la Chine ou don de la Chine), et le poirier, Tchi-na-lo-che-fo-ta-lo (en sanscrit, Tchînaradjapouttra[73], fils du roi de la Chine). C’est pour cette raison que les habitants de ce royaume montrent un profond respect pour le pays oriental (la Chine).

Cette constatation, à la mine enfantine, est en réalité au fond un précieux document, il y a là de l’ethnographie et de la linguistique, c’est-à-dire, pour nous guider sûrement, une double lumière :

De l’ethnographie, car Hiouen-thsang nous apprend là, implicitement, que les migrations d’otages chinois vers le Kachmir se sont répétées plusieurs fois ; de la linguistique, parce que notre voyageur nous dit la valeur exacte que nous devons attacher ici au mot Shina.

L’importation, aux environs du Kachmir, du poirier et du pêcher de la Chine ne doit point être en effet attribuée à la première migration des otages.

Il n’est pas douteux que les premiers otages chinois, réclamés par le roi Kanichka, durent quitter leur pays natal avec espoir de retour, et, puisqu’ils durent croire leur exil temporaire, accepter cet exil avec ses conséquences de gêne et de privations momentanées. Tout autres durent être l’impression ressentie et les dispositions prises par les otages de contingents nouveaux.

Fixés sur le sort qui les attendait par le sort infligé à leurs compatriotes de la première migration, ils durent penser à doter leur patrie d’adoption forcée, des avantages dont ils avaient le bénéfice dans leur pays natal, et c’est ainsi que la poire et la pêche au Kachmir témoignent de la pluralité des migrations chinoises vers le Kachmir et expliquent comment encore, vers la moitié du septième siècle de notre ère, les tribus voisines du Kachmir montraient, comme le fait observer Hiouen-thsang, « un profond respect pour le pays oriental » (la Chine), et que les populations, lorsqu’elles virent le voyageur, se disaient entre elles, en le montrant du doigt : « Cet homme est de la patrie de nos premiers rois. »

Les Annales des Huns affirment à plusieurs reprises le souvenir des migrations de Chinois mongols vers le Kachmir, et j’ai déjà fait observer que de Guignes parle de Chinois qui avaient passé anciennement en Tartarie, où leur postérité s’était conservée.

L’historien arabe Al Byrouny[74], dont j’ai déjà fait intervenir le témoignage, me vient encore en aide sur ce point ; parlant des pays voisins du haut Indus, il constate que « les pays que les Turcs (Mongols) occupent portent le nom de Ghilghit, Asourah (Assor) et Schaltas (Chilas)… les habitants de Cachemire ont beaucoup à souffrir de leurs incursions. »

Les migrations répétées de Chinois mongols vers le Kachmir et la Tartarie sont donc un fait dont il n’y a pas à douter.

Quant à la dose de linguistique que renferme la confidence de Hiouen-thsang, quoique fort mince, elle est aussi visible que précieuse. C’est de la linguistique à la portée de tous et qui s’accuse tout entière, claire comme le soleil, dans les deux mots Tchînani et Tchînarâdjapouttra, qui, l’un et l’autre, disent, de la manière la plus positive, que le mot Tchîna, qui entre dans leur composition, signifie Chine et affirme un fait dont l’acquisition est capitale pour l’objet de nos recherches, comme nous le verrons plus loin.

XXIV

Il nous reste un dernier enseignement à puiser dans la relation de Hiouen-thsang.

C’est, on se le rappelle, dans les dernières années de la première moitié du septième siècle de notre ère, que le bouddhiste chinois Hiouen-thsang visita le Kachmir et les contrées adjacentes. En ce temps-là, dix-huit cents ans avaient passé sur le monde depuis la fondation de l’empire des Huns et les divisions territoriales de l’Asie centrale s’étaient profondément modifiées. Le Kachmir était indépendant et de nombreux États secondaires, vassaux du puissant suzerain, se groupaient dans son voisinage, sous sa protection.

Au nombre de ces États secondaires, se trouvait alors le royaume de Tchînapati, dont parle Hiouen-thsang,

L’étude de la carte de son voyage nous informe que l’État de Tchînapati était limitrophe du Kachmir, dont il bordait le territoire à l’est-sud-est[75].

C’était, comme nous l’a dit Hiouen-thsang, sur les terres qui furent plus tard, en tout ou en partie, l’État de Tchînapati, qu’étaient, au temps de Kanichka, durant les trois mois de la saison d’hiver, confinés les otages chinois dont Hiouen-thsang a rencontré la descendance, et nous savons de plus par le même Hiouen-thsang que, pendant les neuf autres mois de l’année, ces mêmes otages étaient transplantés sur un autre point voisin des frontières du Kachmir.

Du fait que les otages chinois étaient relégués pendant l’hiver dans une contrée située au sud du Kachmir, nous pouvons valablement induire que, au temps de la saison chaude, ils devaient être placés sur un point plus septentrional[76].

Cette déduction, si naturelle qu’elle semble une vérité acquise par elle-même, a, d’ailleurs, sa preuve écrite.

Si nous interrogeons en effet les contrées circonvoisines du Kachmir dans les horizons du sud, de l’ouest et du nord, nous n’y trouvons que sur un point des légendes et des traditions locales, imprégnées de souvenirs chinois ou mongols, et, ce point vers lequel ces souvenirs se portent d’eux-mêmes, ce point, situé au nord du Kachmir, est justement la contrée traditionnellement dénommée Dardistan ; contrée dont les habitants, inconscients de leur origine lointaine, en portent cependant la livrée séculaire, et par le nom de Dardis qui leur est donné et par l’appellation Shina qui désigne leur langage particulier.

Shina rappelle les Shins et les Chinois ; Dardes rappelle les Daradas, et Darde et Shina nous reportent tout naturellement en Mongolie, au pays des Ours, des Daradas, des Tshins et des Chinois. Pays d’où sont venus les otages chinois de Kanichka, les Tchins de de Guignes, les Shins du major Biddulph ; d’accord avec les attestations de Hiouen-thsang, de Kalhana, d’Al Byrouny ; d’accord avec cette légende enencore vivace au Kachmir, légende qui fait venir les Dardis du pays des Ours.

C’est là, ce me semble, une affirmation aussi claire que positive de l’origine mongole des Dardis. Rien n’y manque et dans la démonstration tout répond aux exigences les plus sévères de la vérité.

XXV

Dans la discussion qui précède, j’ai pu suivre, sans jamais compromettre l’une par l’autre, deux pistes différentes pour arriver à la démonstration du même fait, démonstration au terme de laquelle je suis parvenu.

Dès à présent, je pourrais donc me résumer et conclure.

Mais, grâce à l’exquise obligeance de notre collègue M. Rousselet, j’ai été mis en possession de documents capables de fournir une troisième affirmation, et il ne peut qu’être avantageux de connaître ces documents et la valeur dont ils sont revêtus. Ces documents sont fournis par M. le major Biddulph, dont j’ai déjà parlé. Plus favorisé que nous, M. le major Biddulph a pu, pendant six ans, étudier sur place et sur le vif les multiples tribus du Dardistan.

Le major Biddulph ne compte pas moins d’une douzaine de castes ou familles dans les divers cantonnements du Dardistan.

Deux de ces castes ou familles, les Shins et les Bourouts, l’emportent en nombre sur les autres. Ensemble, elles forment les quatre cinquièmes de la population totale[77].

Le major passe en revue les dialectes divers parlés au Dardistan, mais ce qu’il dit de l’idiome Shina semble en faire l’idiome principal de toute la contrée. « La Grammaire de la langue Shina, dit-il, peut fort bien (fairly) s’appliquer à tous les idiomes que parlent les tribus bigarrées (broken) du Dardistan[78]. » M. Biddulph affirme que « la dénomination de Dard n’est franchement acceptée par aucune portion des tribus à qui elle est si libéralement prodiguée ; que c’est à peine si, dans des circonstances particulières, elle est appliquée par une tribu à ses voisins »[79].

Pour M. Biddulph, les tribus du Dardistan sont races abâtardies et méconnaissables.

« Séduits, dit-il, par la beauté, justement célèbre même encore aujourd’hui, des femmes des contrées acquises par leurs ancêtres, les Dards ont dès longtemps compromis par leurs préférences les caractères distinctifs de leur race originelle[80]. Il est impossible, dit M. le major Biddulph, en considérant ces races tout spécialement désignées par la dénomination de Dard, de ne pas constater qu’elles sont en complète décadence. Au sud et à l’ouest, pressées par les Afghans, à l’est par les Tartares et en partie par les Kachmiri, au nord par les Tadjicks, les Dards ne peuvent manquer d’être supplantés et absorbés par leurs voisins[81]

« Les Dards sont sans aucune autre industrie que l’agriculture. Ils sont sans énergie. Ils ne se sentent ni humiliés par la misère, ni excités par le succès de leurs voisins… Ils sont destinés à disparaître prochainement[82]… »

Voilà un tableau chaud de couleur, mais d’assez triste aspect, et je comprends que dans cette contrée, où la promiscuité des races a dès longtemps effacé et confondu les caractères distinctifs de chacune de celles qui sont venues y échouer, on y puisse, en passant, récolter à volonté des bruns et des blonds. Tous les voyageurs peuvent également avoir raison : M. le docteur Leitner avec ses échantillons de bruns ; M. de Ujfalvy avec ses échantillons de blonds, et notre collègue peut en toute assurance restituer à ses Dardis aux yeux bleus la blonde chevelure qu’ils ont perdue dans le trajet de notre tribune à l’imprimerie.

XXVI

Quant au passé des tribus du Dardistan, M. le major Biddulph paraît s’en être enquis avec un soin minutieux, et il a recueilli sur chacune d’elles tout ce qui a échappé à l’oubli. Il a su que les Shins sont la descendance d’une colonie de Shins dès longtemps venus du nord-ouest de la Chine ; et, remontant à propos de la nombreuse famille des Bourouts à l’an 120 avant notre ère, il dit expressément « qu’il convient de voir en eux la descendance des Yuechi qui conquirent la Bactriane vers l’an 120 de notre ère[83] ». C’est également ce que disent les annales des Huns. Parlant des successeurs d’Alexandre dans la Bactriane, De Guignes s’exprime ainsi : « Après sa mort, ses successeurs régnèrent sur la Bactriane et sur les pays le long de l’Indus ; ils ont été


détruits, l’an 134 avant Jésus-Christ, par des peuples tartares venus de la Chine et nommés Yuechi[84], » Enfin, M. Girard de Rialle nous fournit sa part de témoignages pour l’affirmation de l’origine mongole des Bourouts du Dardistan, quand, dans son Mémoire sur l’Asie centrale (§ VI, p. 80), il prend soin de nous faire savoir que, parmi les nombreux idiomes qui sont parlés dans l’Asie centrale, figurent ceux dont se compose la branche Mongole qui se divise en trois dialectes : le mongol proprement dit, le kalmouk et le bouriate, c’est-à-dire le dialecte primitif des Bourouts, qui ont leur descendance au Dardistan.

Cette concordance de témoignages, qui des Bouroutes du Dardistan fait des Yuechi, reporte tout naturellement notre attention sur les Gètes et les Massagètes, qui sont les Yuei-tchi et les Ta-Yuei-tchi des géographes de la Chine pour les temps anciens[85].

XXVIII

Ma-touan-lin, ainsi que je l’ai déjà fait observer, enseigne que la terre d’origine des Yuei-tchi et des Ta-Yuei-tchi, gît au nord-ouest de la province de Chèn-si.

Autrefois la province de Chèn-si s’étendait du 32e au 40e degré de latitude et du 96e au 109e degré de longitude. C’est à l’ouest de cette province qu’était la terre d’origine des Yuei-tchi et nous sommes là en pays mongol.

Ptolémée signale des Massagètes dans le voisinage des Comedi et la Vallis Comedorum occupait, à l’estime de Ptolémée, rectifiée par Gosselin, un espace correspondant au 40e degré de latitude et au 109e (129 — 20)[86] degré de longitude[87], ce qui se rapporte exactement à la position de la province de Chèn-si, telle qu’elle était constituée aux temps anciens.

Enfin les Annales des Huns, dans un chapitre spécial aux Ta-Yuei-tchi disent que ces Ta-Yuei-tchi sont une nation tartare originaire des environs de Kan-tchéou et de So-tchéou[88]. Ailleurs, parlant encore de cette contrée, de So-tchéou, De Guignes fait cette expresse déclaration : « Tout ce pays, avant la dynastie des Han[89], était possédé par des Tartares appelés Yuei-tchi[90]. »

Un autre passage de l’histoire générale des Huns nous fixe tout à la fois sur la position de la terre d’origine des Tsin et des Yuei-tchi. Au tome Ier, liv. Ier, p. 21, on lit : « Les Huns (alors établis dans le nord) repassèrent le Hoam (le Houang-Ho, fleuve Jaune) rentrèrent dans le pays d’Ortous et reprirent tout ce qu’ils possédaient avant d’avoir été chassés par les Tsin », et p. 22 : « Téou-men, empereur des Huns (alors dans le nord), déposa son fils Mé-té, l’éloigna de la cour et l’envoya en otage chez des peuples voisins nommés Yei-chi ». Nous sommes là au nord-ouest de la province de Chèn-si, dont nous connaissons la position. Quant aux positions de Kan-tchéou et So-tchéou dont je viens de parler, les voici : pour Kan-tchéou elle s’inscrit par 34° 37′ en latitude et 106 degrés en longitude[91] ; pour So-tchéou, par 39° 45′, en latitude et 96° 47′ en longitude[92].

En somme, les indications fournies par Ma-touan-lin, par Ptolémée et par les Annales des Huns sur la contrée d’origine des Yuei-tchi, Gètes, et des Ta-Yuei-tchi, Massagètes, peuvent se traduire en points géographiques dont voici la notation : en latitude 32 à 40 degrés, en longitude 96 à 109 degrés.

Et ce serait là ma dernière constatation de ce genre, si je n’avais à faire connaître encore la position géographique de la grande muraille de la Chine, dans le voisinage de laquelle je me suis engagé à reporter l’origine des Dardis, estimant que les populations dont l’origine relève de ce voisinage sont plus essentiellement acquises à la famille mongolique.

XXIX

La grande muraille de la Chine mesure 700 kilomètres environ, elle se divise en plusieurs sections.

La branche qui constitue la section la plus occidentale sous-tend l’arc décrit par le Houang-Ho ou fleuve Jaune entre le 103e et le 108e degré de longitude à la hauteur des 38e et 41e degrés de latitude, et ferme par le nord la province de Chèn-si.

Une autre branche, s’appuyant sur la rive gauche du Houang-Ho, couronne par le nord les provinces de Chan-si et de Tché-li et va prendre fin au golfe de Petchéli à un point de la côte indiqué par l’intersection du 40e degré de latitude et du 118e degré de longitude.

Bien entendu, nous n’avons affaire ici qu’avec la branche occidentale dont la position se définit, en latitude par 37e à 39° 30′ et en longitude par 103 à 108 degrés.

Et maintenant je me résume et je conclus.

XXX

Des témoignages invoqués, des preuves fournies aujourd’hui et précédemment, il résulte que les Dardis ou Dardes, qui, malgré les scrupules bien intentionnés et savants de M. Girard de Rialle, ne peuvent pas constituer un îlot d’êtres sortis d’une génération spontanée, sont certainement :

1o Ou bien la descendance des Daradas des textes sanscrits ;

2o Ou bien la descendance des otages chinois de Kanichka en dernier lieu fixés au nord du Rachmir ;

3o Ou bien la descendance des Yuei-tchi, comme les Gètes et les Massagètes.

S’ils sont la descendance des Daradas, leur terre d’origine embrassait les espaces géographiques définis par 32 à 40 degrés de latitude et 96 à 109 de longitude ;

S’ils sont la descendance des otages chinois, leur terre d’origine se définit par 26 à 40 degrés de latitude et 96 à 109 degrés de longitude ;

S’ils sont la descendance des Yuei-tchti et Ta-Yuei-tchi, Gètes et Massagètes, leur terre d’origine est déterminée par 32 à 40 degrés de latitude et 96 à 109 de longitude.

C’est-à-dire que, pour les trois états de la question examinés séparément, nous arrivons à un seul et même point géographique qui s’écrit par : 32 à 40 degrés de latitude, 96 à 109 degrés de longitude.

Les chiffres déterminatifs de la position de la grande muraille de la Chine, branche occidentale, étant, en latitude 37 à 39° 30′, en longitude 103 à 108 degrés, la terre d’origine des Dardis ou Dardes, des Gètes et des Massagètes, se trouverait par le nord et par l’ouest dans le voisinage immédiat de la grande muraille de la Chine (branche occidentale).

Dardis ou Dardes, Gètes et Massagètes seraient donc bien d’origine mongole et congénères.

C’est bien là ce que j’avais annoncé et ce que je devais prouver.

Après examen vous me direz si j’ai réussi.

  1. La province de Kan-sou ou Kan-so a été formée des deux départements de Kan-tcheou et de So-tcheou, détachés du territoire ancien de la province de Chen-si ; son nom est fait des noms de ces deux départements, elle s’étend du 96e au 104e degré de longitude et du 30e au 40e degré de latitude ; nous verrons plus loin que nous sommes bien là en Mongolie.
  2. Vérification faite depuis la lecture de ce mémoire, je trouve que Langlois dit : Durds et non Dardis.
  3. Tribes of the Hindoo Koosh, chap. xiv, p. 156.
  4. Why do you call me Dardoo ? Même ouvrage, chap. xiv, p. 157.
  5. « Because your grandfather was a bear »  ; littéralement : parce que votre grand-père était un ours. Même ouvrage, chap. xiv, p. 157.
  6. The name Dard may have come to be used as an ethnological term in the same way as Dahyu a robber. Même ouvrage, chap. xiv, p. 157.
  7. Un volume in-8o, Hachette et Ce, 1880.
  8. Cette rivière, après avoir reçu plusieurs affluents, prend le nom d’Orkhon et plus loin celui de Sélinga. La Sélinga se perd dans le lac Baïkal. (Pauthier, Voyage de K’Hiéou, surnommé Tchang-Tchim (Long Printemps), p. 9.)
  9. Histoire des Mongols de la Perse, écrite en persan par Raschid-eldin, publiée, traduite en français, accompagnée de notes et d’un mémoire sur la vie et les ouvrages de l’auteur, par M. Quatremère. Paris, Imprimerie royale, 1836 (p. 117, note).
  10. Voici le titre complet de cet ouvrage : Dictionnaire des noms anciens et modernes des villes et arrondissements de premier, deuxième et troisième ordre compris dans l’empire chinois, par Édouard Biot, Paris, 1842.
  11. Mémoires sur les contrées occidentales, traduits du sanscrit en chinois en l’an 648 par Hiouen-thsang, et du chinois en français par Stanislas Julien. Paris, Imprimerie impériale, 1857.
  12. Voici le titre complet de cet important ouvrage : Méthode pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits qui se rencontrent dans les livres chinois à l’aide de règles, d’exercices, et d’un répertoire de onze cents caractères chinois idéographiques employés alphabétiquement, inventée et démontrée par M. Stanislas Julien. Paris, Imprimerie impériale, 1861.
  13. Page 253 des Bulletins, mars et avril 1882 ; et p. 18 du tirage à part.
  14. Denis le Periégète, vers 739 et 740.
  15. Strabon, liv. XI § 6, p. 483, t. IV. Édit. de Leipsick, 1806.
  16. Géographie de Cl. Ptolémée, liv. IV, chap. x. Édit. in-fo, Amsterdam ; 1619, p. 183.
  17. Pomponius Mela, liv. I, chap. ii, p. 22. Édit. de la Haye, 1782.
  18. Justin, liv. I, chap. viii.
  19. Hérodote, Clio p. 205.
  20. Il convient de faire observer ici que quelques critiques, au nombre desquels Vossius, pensent que le fleuve Arase doit être l’Oxus. Cette appréciation peut et doit être juste, et pour Hérodote et pour Justin. Tous les deux parlent de l’Araxe à propos de la défaite de Cyrus par Tomyris. Dans ce cas l’Araxe doit s’entendre chez Hérodote et Justin du Jaxarte, mais les géographes grecs et les géographes latins précisent trop minutieusement la position de l’Araxe dont ils parlent, pour qu’il y ait chez eux prétexte à rectification. C’est d’ailleurs dans le sens de la valeur du Jaxarte, que j’ai cru pouvoir interpréter l’Araxe d’Hérodote (voir p. 256 des Bulletins, mars et avril 1882, et p. 21 du tirage à part).
  21. Girard de Rialle, Mémoire sur l’Asie centrale. 2e édit., p. 37.
  22. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. I, IIe partie, p. 368, in-4o (1756).
  23. La transmigration des Tourgouths ou Torgotes des bords de la mer Caspienne dans l’empire chinois est un témoignage moderne (1771) de ce que sait réaliser sous ce rapport la volonté d’un peuple.

    Mécontents de la manière dont les traitait le gouvernement russe qui les avait appelés chez lui et établis entre le Volga et le Jaïk, ils ont abandonné une position acquise par des siècles de possession « pour venir, disent-ils, admirer de plus près la brillante clarté du ciel et jouir enfin, comme tant d’autres, du bonheur d’avoir désormais pour maître, le plus grand prince de l’univers » (l’empereur de Chine).

    Malgré les différents combats qu’ils ont eus à soutenir ou qu’ils ont été obligés de livrer à ceux dont ils traversoient les terres, et aux dépens desquels il leur falloit nécessairement vivre ; malgré les déprédations qu’ils ont souffertes de la part des Tartares vagabonds qui les ont attaqués et pillés sur la route plus d’une fois ; malgré les fatigues immenses qu’ils ont essuyées en traversant l’espace de plus de dix mille lys (1000 lieues), dans un pays des plus difficiles à parcourir ; malgré la faim, la soif, la misère et une disette presque générale des choses les plus nécessaires à la vie, auxquelles ils ont été exposés pendant les huit mois qu’a duré leur voyage, ils étoient encore au nombre de cinquante mille familles lorsqu’ils arrivèrent (à Ily) ; et ces cinquante mille familles, pour me servir des termes du pays, comptoient, sans erreur sensible, le nombre de trois cent mille bouches. » (Mémoires concernant les Chinois, t. I, p. 401 et suiv.)

  24. « Ni hommes ni femmes, tous Auvergnats ! »
  25. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. I, p. 186.
  26. C’est ainsi que le mot Firank (Franc) fait au pluriel Firankout, (M. A. Rémusat, Recherches sur les langues tartares, t. I, p. 170-180.)
  27. Abel Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, t. I, p. 189.
  28. Édouard Biot, Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois, p. 102, B.
  29. Langlès et Reinaud, Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et à la Chine, t. I, Discours préliminaire, p. cxlv et suiv.
  30. Reinaud, Fragments arabes et persans relatifs à l’Inde. Al Byrouny, p. 117.
  31. Langlès et Reinaud, ouvrage déjà cité, t. I, p. cxlv.
  32. Ph.-Éd. Foucaux, Grammaire de la langue tibétaine, Introduction, p. 19.
  33. Ph.-Éd. Foucaux, Grammaire de la langue tibétaine, Introduction, p. 15.
  34. Même ouvrage, Introduction, p. 16 et 18.
  35. Girard de Rialle, Mémoire sur l’Asie centrale, p. 37.
  36. Histoire des Mongols de la Perse, par Raschid-eldin, traduction de Quatremère. Ire partie, Vie de Raschid-eldin. Collection orientale.
  37. Même ouvrage. Vie de Raschid-eldin, p. cii.
  38. Raschid-eldin, Histoire des Mongols, Collection orientale. Traduction de Quatremère, t. I, Préface, p. 53 et et suiv.
  39. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. II, liv. i, p. 7.
  40. Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. XI. Pièces diplomatiques tirées des Archives de la République de Gênes, par Silvestre de Sacy, p. 62, note 1.
  41. L. Langlès, Alphabet Mandchou, rédigé d’après le Syllabaire et le Dictionnaire universel de cette langue, 3e édit. Imprimerie impériale, 1807.
  42. J. Klaproth, Chrestomathie Mandchoue ou Recueil de textes Mandchoux, Paris, Imprimerie royale, 1828.
  43. Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. XIII. Notice sur le Dictionnaire intitulé : Miroir des langues mandchoue et mongole, par Abel Rémusat, p. 1 et suiv.
  44. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. II, p. 8.
  45. Même ouvrage, t. II, p. 7.
  46. Examen méthodique des faits relatifs au Thian-tchu ou l’Inde. Pauthier, Imprimerie royale, 1840, p. 18-19, note 3, Moung-Kou (ou Mongols), aux Haches Rouges.

    Dans le Pian-i-tian (pays situé au-delà de la frontière de la Chine), liv. LVIII, on trouve une ville nommée Tchi-Kou, vallée Rouge.

  47. Wôh-tchîn-t’a-wang, quatrième fils de Taï-tsou (Dehinghis-khâan), se nommait Wôh-tch’i-Kin (Wôh à la Hache Rouge). Relation du voyage de K’hiéou, Pauthier, p. 5, note 4.
  48. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. III, liv. xv, p. 9.
  49. Tribes of the Hindoo Koosh, par le major Biddulph. Calcutta, 1880, chap. III, p. 34.
  50. Major Biddulph, Tribes of the Hindoo Koosh, chap. XIV, p. 157.
  51. Même ouvrage, chap. XIV, p. 156.
  52. La même défaveur originelle est déversée sur les Kalmuks, qui eux aussi sont d’essence mongole. Une note, ad finem, jointe au paragraphe VII, parle, de la transmigration des Tourgouths du Volga jusqu’en Chine pour se soustraire aux mauvais traitements que leur infligeaient les Russes. Un des plus vifs griefs que les Kalmuks relevèrent contre eux et dont se servirent les meneurs de la migration, est l’apostrophe suivante, que le grand Pristaw (commissaire) colonel Kichinskoï, lança avec colère à la face de Oubacha, khan des Kalmuks du Volga : « Tu te flattes, lui dit-il en faisant allusion à ses projets de fuite, d’une heureuse réussite ; mais apprends que tu es un ours enchaîné, qui ne peut aller où il veut, et qui ne va qu’où on le mène. » (Voyage de Benjamin Bergmann chez les Kalmuks. Essai sur la fuite des Kalmuks des bords du Volga, p. 288.)
  53. Abel Rémusat, Mélanges asiatiques, t. I, p. 233 et suiv.

    La peau du , dit le Pen-thsao-Kong-mou, ou traité général d’histoire naturelle, sert à faire des matelas pour se coucher et des couvertures ; elle garantit de l’humidité, du mauvais air et des maléfices ; la représentation même de cet animal produit cet effet ; aussi, sous la dynastie des Thang, on avait coutume de peindre des figures de pour se préserver du mauvais air.

  54. Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois, par Édouard Biot, p. 191, AB.
  55. La carte VIII, Scythia extra Imaum de Ptolémée, édit. in-f°, Amsterdam, 1619, porte, comme indication iconologique du pays, des tentes, un chariot et des ours.
  56. Carte IX de l’édition in-f° d’Amsterdam, 1619.
  57. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. liv. I, p. 74.
  58. Major Biddulph, Tribes of the Hindoo Koosh, chap. xiv, p. 161.
    Had the Shins come into the country by many immigration, without conquest they could hardly have imposed their language on, and assumed a position of superiority over a people who outnumbered them.
  59. Girard de Rialle, Mémoire sur l’Asie centrale, 2e édit., p. 80.
  60. Pauthier, Tchian-tchu ou l’Inde, p. 49-50, note 4, et Histoire de la Chine, t. I, p. 109.
  61. Chèn-si : occident frontière.
  62. Chan-si : occident montagneux.
  63. Édouard Biot, Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois, p. 7.
  64. Vocabulaire comparatif des langues parlées entre Kaboul et Kachmir, par M. le docteur Leitner (de Lahore), annexe no 1. (Congrès international des sciences ethnographiques, 1878). Paris, Imprimerie nationale (1881).
  65. Major Biddulph, Tribes of the Hindoo Koosh. Calcutta, 1880, chap. xiv, et appendice B.
  66. Stanislas Julien, Mémoires sur les contrées occidentales, par Hiouen-thsang. Paris, Imprimerie impériale, 1867, t. II, liv. iv, p. 199 et suiv.
  67. Râdjatarangini, Histoire des Rois du Kachmir, traduite par A. Troyer. Paris, Imprimerie royale, 1840, 3 vol.
  68. Le mot sanscrit Vihâra se rend en tibétain par g’tsug-lag-Khang et signifie un salon, un auditoire, une bibliothèque, un temple, où se conservent des livres et des images et où ont lieu des lectures, des discussions et des cérémonies religieuses (renseignements fournis à M. Troyer par Caoma de Körös). En général Vihâra se dit d’une suite d’édifices contigus à deux étages, formant un carré qui renferme un espace couvert, au milieu duquel se trouve le sanctuaire, appelé tchâîtya. (Troyer, Râdjatarangini, t. I, p. 850.)
  69. Ici se présente la question toujours controversée de la date d’existence du Bouddha, je me borne à le faire remarquer, ce n’est pas le lieu d’étudier une question aussi complexe.
  70. Hiong-nou, Vifs Esclaves, dénomination chinoise des Huns.
  71. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. I, liv. v, p. 215-216.
  72. La province de Kan-sou a été formée de la partie la plus occidentale de l’ancienne province de Chèn-si. Son nom est fait des noms des deux départements de Kan-tchéou et de So-tchéou. On écrit en effet Kan-so et Kan-sou (Éd. Biot, Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois, p. 55).
  73. Notons en passant que les deux r du mot sanscrit Tchînaradjapouttra sont transcrits en chinois par la syllabe lo. Le mot Tchi-na-lo-chi-fo-ta-lo est la transcription chinoise du mot composé sanscrit Tchînaradjapouttra. Le nom chinois du Poirier est Han-wang-tseu.
  74. Reinaud, Fragments arabes et persans relatifs à l’Inde, extrait de l’ouvrage de Al Byrouny sur l’Inde, p. 117.
  75. C’est le Katotch actuel.
  76. Ces otages étaient nomades, au moins par ordre, par conséquent pasteurs. Durant la saison chaude, le Nord, plus sûrement que le Midi, pouvait leur fournir des pâturages.
  77. Tribes of Hindoo Koosh, major Biddulph, chap. iii, p. 34.
  78. The Grammar of the Shina language may be taken as fairly typical of that of the languages spoken, by the broken tribes in the Indus. (Tribes of the Hindoo Koosh, major Biddulph, chap. xiv, p. 156.)
  79. The name Dard is not acknowledged by any section of the tribes to whom it has been so sweepingly applied. In a single instance the term is applied by ones to some of their neighbours. (Même ouvrage, chap. xiv, p. 156-157.)
  80. In the process of occupation of this country, they (the Dards Boorish) must have subdued the aryan (Siah Posh) inhabitants, whose women were probably not less sought after for their beauty then than at the present day, and in this way and by absorbing the tribes already occupying the ground, they gained a sufficient infusion of aryan blood to alter their type of feature and their general characteristics. (Major Biddalph, Tribes of Hindoo Koosh, chap. xiv, p. 160.)
  81. It is impossible to view the so called Dards closely without recognising that they are a decadent race, from the south and west the Pathan, from the east the Tartar, and in less degree the Cachmiri, and from the north the Tajik, are steadily pressing upon and supplanting them. (Même ouvrage, chap. xiv, p. 164.)
  82. Their want of energy and adaptability, their unwillingness to employ themselves except in agriculture… unmoved by the contrast presented between their own state and the increasing prosperity of those who settle among them… all the Dards are destined in time to desappear. (Même ouvrage, chap. xiv. Ad finem.)
  83. I beleive that in them (Boorish) we see the descendants of the Yuschi who conquered Bactria about 120 B.C. In the term Yeshkun applied to them by their neighbours, the old name perhaps survives and in the name Boorish by which they still call themselves is perhaps traceable in Pooroosha the ancient name of Peshawar which was the seat of the Indo-Scythic kingdom founded by the son of Kitolo of the little ywechi tribes. (Même ouvrage, chap. xiv, p. 160.)
  84. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. I, p. 159.
  85. Le mot Yuei-tchi est fait des deux mots chinois youèi, lune, et tchi, branche : Branche lunaire. Les Ta-youè-tchi sont les grandes branches lunaires. Ta signifie « grand ».
  86. Ptolémée a compté ses parallèles de longitude à partir de l’extrémité la plus occidentale du vieux monde, du Cap Vert à peu près ; pour ramener ses longitudes au méridien de Paris, il faut en déduire les 20 degrés de différence.
  87. Cl. Ptolémée, Geographia vetus, in-fo. Amsterdam, 1619, p. 187 ; et Gosselin, Recherches sur la Sérique des anciens, p. 26.
  88. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. I, IIe partie, art. 4, p. 88.
  89. De 204 avant notre ère à l’an 9 de notre ère.
  90. De Guignes, Histoire générale des Huns, t. I, IIe partie, p. 9.
  91. Édouard Biot, Dictionnaire des villes et arrondissements de l’empire chinois, p. 56.
  92. Même ouvrage, p. 185.