Juvénal Satire VI (Traduction Raoul)

Traduction par Louis-Vincent Raoul.
Wouters, Raspoet et cie (p. 119-177).


SATIRE VI.


Oui, je le crois, du temps de Saturne et de Rhée,
On a vu la Pudeur sur la terre honorée,
Et même elle y put faire un assez long séjour,
Lorsque d’une caverne à peine ouverte au jour,
Inutile rempart contre l’âpre froidure,
L’asile étroit, formé des mains de la nature,
Sous un même couvert, dans les flancs d’un coteau,
Réunissait les dieux, les maîtres, le troupeau,
Et qu’au sommet des monts, une épouse sauvage,
Se composant un lit de peaux et de feuillage,
Auprès de son mari rassasié de glands,
Des flots de sa mamelle abreuvait ses enfants :
Différente de vous, amante de Catulle,
Et de vous, tendre objet des soupirs de Tibulle,
Dont les beaux yeux troublés par l’excès des douleurs,
Pour la mort d’un moineau se gonflèrent de pleurs.
Né de chênes brisés, ou sorti de la terre,
L’homme vivait alors sans vice héréditaire :
De cette chasteté, l’honneur du siècle d’or,
On put sous Jupiter voir quelque trace encor ;
Mais c’était Jupiter en sa tendre jeunesse,
Quand le parjure était inconnu dans la Grèce,
Quand chacun, pour ses fruits ne craignant nul larcin,
Dormait en sûreté sans clore son jardin.
Depuis, loin des mortels, dans les cieux retirés,
La Pudeur s’est enfuie avec sa sœur Astrée.



Non, mon cher Posthumus, ce n’est pas d’aujourd’hui
Qu’un profane adultère insulte au lit d’autrui.
Ce crime est déjà vieux. Tous les autres, peut-être
C’est le siècle de fer qui les a vus paraître ;
Mais la fidélité dans l’amour conjugal,
N’alla pas jusqu’au temps du troisième métal.
De l’hymen, cependant, tu prépares la fête ;
D’un habile coiffeur le peigne orne ta tête,
Et peut-être déjà, pressant un jour si beau,
Au doigt de ta future as-tu placé l’anneau.
On vantait ton bon sens, et tu prends une femme !
Dis, quelle Tisiphone a donc saisi ton Ame ?
Quels serpents ont soufflé leur poison dans ton sein ?
Tandis qu’un bout de corde à tes jours mettrait fin ;
Quand du haut de ces toits qui montent vers la nue,
Tu peux, la tête en bas, te jeter dans la rue,
Lorsque le pont d’Émile est à deux pas de toi,
D’un maître en ta maison tu vas subir la loi !
Si de tous ces moyens aucun ne peut te plaire,
Ne vaudrait-il pas mieux laisser à l’ordinaire
Dormir auprès de toi ce bel adolescent
Qu’un sordide intérêt ne rend point caressant,
Et qui, si ton ardeur vient la nuit à s’éteindre,
De ta langueur du moins n’a pas droit de se plaindre ?
Mais non, Ursidius heureusement changé,
Sous la loi Julia désormais s’est rangé ;
D’un fils en espérance il caresse l’image,
Dût-il des captateurs de son riche héritage,
Perdre et les surmulets et les grands tourtereaux,
Et tout ce qu’ils lui font de précieux cadeaux.
Quoi d’incroyable, alors qu’Ursidius prend femme,
Alors qu’un débauché, qu’un adultère infâme,
Obligé tant de fois, pour tromper un mari,
A chercher dans un coffre un ridicule abri,
Lui-même, travaillant à son propre esclavage,

Présente un front stupide au joug du mariage ?
Que dis-je ?… Ursidius en ses chastes amours,
Exige les vertus, les mœurs des anciens jours :
On les cherche pour lui. Venez, fils d’Archigène,
Et qu’au milieu du front on lui frappe la veine,
Il a perdu la tète. Homme délicieux !
Immole une génisse à la mère des dieux,
Cours du mont Tarpéïen adorer le portique,
S’il t’échoit en partage une femme pudique.
Quelle vierge, ô Cérès ! en ces jours criminels,
Est digne de toucher tes bandeaux solennels ?
Et combien en voit-on dont la bouche adultère
Ne fît, en le baisant, rougir le front d’un père ?
N’importe : de lauriers ombrage ton palais.
La chaste Ibérina va combler tes souhaits :
Un homme lui suffit. —Un homme ! l’impudente !
Avec un œil plutôt elle vivrait contente.
—J’en sais une pourtant qui, prônée en tous lieux,
Vit au simple village où sont nés ses aïeux.
—Qu’à Fidène, à Gable, elle soit aussi sage,
Et je crois aux vertus de son simple village.
Encor qui répondra que sur le haut des monts,
À l’ombre des forêts, dans les antres profonds,
Son austère pudeur n’a pas reçu d’outrage ?
Mars est-il décrépit, et Jupiter hors d’Age ?

Parcours, ô Posthumus, ces portiques nombreux ;
Dans le cirque avec moi viens assister aux jeux,
Et de tant de beautés, dans l’assemblée entière,
Dis celle qui te plaît, à qui tu voudrais plaire,
Que tu pourrais aimer avec sécurité,
Et sur laquelle enfin ton choix s’est arrêté.
L’efféminé Bathylle, en une danse obscène,
Sous les traits de Léda paraît-il sur la scène ?
Tous les cœurs embrasés frémissent de désir :
Chloris se pâme : Églé pousse un cri de plaisir.

Thymelé, d’une danse encor plus expressive,
Vient-elle déployer la mollesse lascive ?
Demain nos moindres bourgs auront leur Thymelé.
Mais quand des jeux publics le temps est écoulé,
Lorsque du barreau seul la lutte opiniâtre
Remplace par ses cris le fracas du théâtre,
Et qu’il faut, dans l’ennui, des fêtes du printemps,
A celles de novembre, attendre encor longtemps,
Accius les console avec son jeu burlesque,
Son thyrse, sa ceinture et son masque grotesque.
Dans un exode, ensuite, Urbicus le bouffon,
Les fait rire en jouant la mère d’Actéon.
De l’indigente Aelie aussitôt le cœur brûle :
Mais ce n’est qu’à grands frais qu’on le désinfibule.
Il en est dont le chant fixe avant tout le choix,
Et qui de Chrysogon ont ruiné la voix.
Hispulla que transporte une ardeur héroïque,
Réserve ses faveurs pour un acteur tragique.
Voudrais-tu, par hasard, qu’un cœur tel que le sien,
Se laissât enflammer pour un Quintilien !
Tu prétends contracter un hymen légitime :
Tu veux un fils : eh bien ! Ambrosius le mime,
Le harpiste Ecbion, Glaphyrus le flûteur
Te donneront ce fils où tu mets ton bonheur.
Dresse des échafauds, décore ton portique,
Pour que, sur le duvet d’un berceau magnifique,
Quelque jour, Lentulus, un noble rejeton,
Vienne offrir à tes yeux les traits d’un mirmillon.

Oubliant à la fois sa maison, sa patrie,
N’a-t-on pas vu naguère aux murs d’Alexandrie,
Du noble Véïenton l’épouse sans pudeur,
Hippia, sur le Nil, suivre un gladiateur,
Et de Canope même excitant la censure,
Y faire des Romains détester la luxure ?
Rien ne put l’arrêter, son époux ni ses fils,

Ni sa sœur, je dis plus, le cirque, ni Pâris ;
Et bien que née au sein d’une molle opulence,
Elle eût sur l’édredon dormi dans son enfance,
Elle affronta la mer, défia les autans,
Ainsi qu’on l’avait vue, à la fleur de ses ans,
Fouler aux pieds l’honneur, cette vaine chimère
Dont, en un rang pareil, la perte est si légère.
Elle supporta donc les flots thyrréniens,
Les rochers et le bruit des bords Ioniens,
Et ne s’effraya pas, si loin de nos rivages,
De voguer chaque jour vers de nouvelles plages.
Qu’un honnête motif de braver le danger,
Force une épouse à fuir sous un ciel étranger ;
Elle pâlit d’effroi, son courage chancelle,
Et ses genoux tremblants se dérobent sous elle.
Ce n’est que lors qu’il faut oser son déshonneur,
Que le cœur d’une femme est exempt de terreur.
L’époux ordonne-t-il ? on n’obéit qu’à peine ;
Au moment du départ, tout déplaît et tout gêne.
La sentine fait mal, le ciel tourne ; on vomit.
Sur les pas d’un amant le cœur se raffermit.
La plus timide alors affronte les orages ;
Ses mains ne craignent pas de toucher les cordages ;
Elle parcourt le pont, se plait à voir les flots,
A causer, à manger avec les matelots.

Mais est-il donc si beau, si brillant de jeunesse,
Celui dont Hippia daigne être la maîtresse ?
Qu’a-t-elle vu dans lui, pour supporter l’horreur
De s’entendre nommer la femme d’un lutteur ?
Déjà Sergiolus a droit à la réforme :
Vieux et privé d’un bras, une tumeur énorme,
Du milieu de son front de rides sillonné,
S’aplatit sous son casque et descend sur son né,
Et de ses yeux que ronge une humeur épaissie,
Distille incessamment une immonde chassie.

Il est vrai ; mais que dire ? il est gladiateur ;
Le fer remplace tout, beauté, grâce, fraîcheur ;
C’est au gladiateur qu’Hippia sacrifie
Son époux, ses enfants, sa sœur et sa patrie.
Sans ce titre, il n’est plus qu’un homme indifférent,
Qu’un autre Véïenton. Hippia te surprend ;
Mais regarde plus haut : vois, sous le diadème,
Quels rivaux sont donnés à l’empereur lui-même ;
Vois les affronts de Claude : à peine il s’assoupit :
Sa femme qui l’observe et que l’ombre enhardit,
Seule avec une esclave, auguste courtisane,
S’échappe, et, pour cacher un rang qui la condamne,
Sans bruit, le front voilé, trompant tous les regards,
Préfère un lieu d’opprobre au palais des Césars.
Noble Britannicus, c’est là que toute nue,
D’un simple réseau d’or la gorge retenue,
Sous un nom supposé, dans sa loge, à son tour,
Elle étale les flancs qui t’ont donné le jour.
Tous ceux qu’elle aperçoit, son regard les dévore ;
Elle ose les combattre et les défie encore ;
Et lorsqu’au point du jour il faut enfin sortir,
Lorsque le Proxénète ordonne de partir,
La dernière, à regret, par l’heure poursuivie,
Elle sort fatiguée et non pas assouvie ;
Pâle, les yeux éteints, elle rentre au palais,
Et du réduit impur, témoin de ses excès,
De la lampe fétide au plafond suspendue,
L’odeur à son retour sur ses pas répandue,
Jusque sur l’oreiller du stupide empereur,
De son infâme nuit va révéler l’horreur.


Dirai-je les transports d’une mère jalouse,
Préparant l’hippomane au fils d’une autre.épouse ?
Dirai-je ses poisons, philtres enchantés ?
Des coupables écarts aux femmes imputés,
La débauche n’est pas le plus digne de haine ;

A de plus grands excès leur sexe les entraîne.
— Comment Césennia, citée à tout propos,
Aux yeux de son époux est-elle sans défauts ?
—Comment ! c’est pour sa dot qu’il la trouve si sage :
Un million comptant vaut bien un tel hommage.
Oui, si d’un trait de flamme il fut jamais blessé,
Ce trait par Cupidon ne lui fut point lancé,
Il part du coffre-fort : à ce prix il l’admire,
La laisse librement tout entendre et tout dire,
Et ne s’offense pas de la voir chaque jour
Lire des billets doux, en écrire à son tour.
Près d’un époux avare, heureuse en mariage,
Une femme opulente a les droits du veuvage.
— Pourquoi Sertorius, toujours plus amoureux,
Est-il pour Bibula si constant dans ses feux ?
— Si tu veux réfléchir à cet amour extrême,
Ce n’est point Bibula, c’est sa beauté qu’il aime.
Que l’émail de ses dents perde de sa blancheur,
Ses yeux de leur éclat, son teint de sa fraîcheur :
Qu’une ride survienne, et que ce beau visage,
Des ans, par quelque trace, annonce le ravage :
Allons, viendra lui dire un impudent laquais,
Vite pliez bagage et faites vos paquets.
Depuis assez longtemps vous nous êtes à charge :
Plus de délais, vous dis-je, et qu’on gagne le large.
Vous êtes si ridée ! et vous vous mouchez tant !
Partez : un nez plus sec nous arrive à l’instant.
Belle et jeune, elle règne : et, dès qu’elle demande,
Il faut qu’à tous ses vœux son époux condescende,
Qu’il lui donne des prés, des vignes et des bois ;
Qu’un nombreux domestique obéisse à ses lois ;
Que, s’il est chez quelque autre un meuble de toilette,
Un bijou qui lui manque, à l’instant on l’achète.
Même au mois de janvier, lorsque d’un long hiver
Les frimes aux marchands ont interdit la mer ;

Lorsque le matelot, que la froidure assiège,
Se voit dans sa cabane enfermé par la neige,
Elle veut qu’en dépit et des vents et des flots,
On courre lui chercher les plus rares cristaux,
Les murrhins les plus grands, les perles de l’aurore,
Et ce beau diamant plus précieux encore,
Depuis que d’Agrippa, complice de ses feux,
Bérénice en reçut le don incestueux,
Chez ce peuple où les rois, comme la foule obscure,
Aux fêtes du sabbat assistent sans chaussure,
Et mieux que leurs sujets traitant de vils troupeaux,
Laissent paître sans trouble et vieillir leurs pourceaux.

Quoi ! dans un si grand nombre, eu ville, à la campagne,
Je ne trouverai pas une digne compagne !
— Je veux que le destin t’en ait fait une exprès
Dont l’aimable décence égale les attraits ;
Qui joigne à la beauté les vertus domestiques ;
Qui soit riche, féconde, et qui, sous ses portiques,
Avec magnificence étale à tous les yeux
Les bustes triomphants de ses nobles aïeux :
Une femme en un mot pareille à ces Sabines
Qui, les cheveux épars, pudiques héroïnes,
Coururent au milieu d’un combat plein d’horreur,
Désarmer des époux, des pères en fureur :
Phénomène, à coup sûr, peu commun en cet âge,
Et non moins merveilleux qu’un cygne au noir plumage ;
Ce phénix, cette épouse accomplie en tout point,
Qui pourrait la souffrir ? moi, je n’en voudrais point,
Et, dédaigneux du lit d’une patricienne,
J’irais plutôt chercher quelque Vénusienne,
Que de vous épouser, vous, mère des Gracchus,
Si, gonflant votre dot de toutes vos vertus,
Sans cesse vous veniez, des exploits de vos pères,
Le sourcil rehaussé, m’opposer les chimères.
Laissez-moi, vous dirais-je, avec votre Annibal,

Votre Syphax vaincu, votre char triomphal,
Et, sans venir ici m’étourdir davantage,
Retournez en Afrique avec votre Carthage.

Grâce pour mes enfants, grâce, dieu de Délo,
Et toi, Diane aussi, laisse tes javelots,
Mes enfants n’ont rien fait, n’immolez que leur mère,
S’écriait Amphion ; mais, sourd aux cris d’un père,
L’immortel a saisi son arc et son carquois ;
La flèche part : il frappe, il immole à la fois
Et ce troupeau d’enfants et leur mère elle-même,
Niobé qui se croit, en son orgueil extrême,
Plus noble que Latone et sa postérité.
A quoi sert la vertu ? qu’importe la beauté,
Lorsqu’une épouse altière, abusant de ses charmes,
S’en fait, pour te vexer, un prétexte et des armes,
Et que, par des discours pleins d’aigreur et de fiel,
De ces dons précieux elle corrompt le miel ?
Aussi, quel homme épris des vertus de sa femme,
Sentit jamais pour elle une assez vive flamme,
Pour n’être pas tenté sept fois au moins par jour,
De maudire en secret l’objet de son amour ?


Il est des torts moins grands, des travers à la mode,
Dont pourtant avec peine un mari s’accommode.
Quoi de plus fatiguant que cette vanité,
Qui, croyant que le grec sied seul à la beauté,
Tourne en petite grecque une campanienne,
Ou change une toscane en pure athénienne ?
Toujours du grec, lorsque sous le toit d’un Romain,
Il est bien plus honteux d’ignorer le latin !
Crainte, colère, amour, chagrin, secrets de l’âme,
Tout en grec ; c’est en grec qu’une amante se pâme.
Qu’à de jeunes beautés on passe un tel travers ;
Mais soupirer en grec après soixante hivers !
Vieille infâme, crois-tu que l’on puisse à ton âge
Te permettre en public cet obscène langage,

Ce Zoé kai Psuké, dans un hideux conflit,
Récemment étouffé sous le drap de ton lit ?
On sait tout ce que peut sur la faiblesse humaine,
La dangereuse voix d’une impure syrène.
Plus prompts que le toucher, ses lubriques accents
De l’impuissance même éveilleraient les sens ;
Mais, va ! ce doux refrain des amoureux mystères,
Plus mollement qu’Emus en vain tu le profères,
De dix lustres complets entassés sur ton front,
Tu n’en portes pas moins l’ineffaçable affront.

Si l’amour ne doit pas survivre à l’hyménée,
A quoi bon, Posthumus, en presser la journée ?
A quoi bon ce banquet, ces gâteaux délicats,
Friandise indigeste à la fin du repas ;
Et ce riche bassin, prix d’une ardeur pudique,
Où brille en pièces d’or le vainqueur germanique ?


Mais si, de ton épouse amant respectueux,
Tu veux bien consentir à combler tous ses vœux,
Au joug, d’un cœur soumis, cours présenter ta tête.
Toute femme prétend régner sur sa conquête :
Toutes, insultant même à l’amour d’un époux,
Se font de son tourment le plaisir le plus doux.
Et quand même la tienne à son devoir fidèle,
Répondrait à l’ardeur dont tu brûles pour elle,
Tu n’en serais pas moins pillé, persécuté :
L’amant le plus docile est le plus maltraité.
Oui, ta femme à son gré fera tout sans ton ordre :
Rien de ses volontés ne la fera démordre :
Elle seule aura droit de vendre, d’acquérir :
Elle te prescrira ceux que tu dois chérir :
L’ami que ta maison a connu dès l’enfance,
De paraître chez toi recevra la défense ;
L’histrion, le lutteur, dans ses droits respecté,
Dispose de ses biens en pleine liberté :
Toi, contraint de souscrire un codicile infâme,

Tu légueras les tiens aux amants de ta femme.
—Vite qu’à cet esclave un gibet soit dressé.
— Quel crime a-t-il commis ? qui vous l’a dénoncé ?
Avez-vous des témoins ? il faut au moins l’entendre.
Pour mettre un homme à mort, on ne peut trop attendre.
— Un homme ! l’imbécile ! est-ce un homme en effet
Qu’un misérable esclave ? au reste, il n’a rien fait :
Soit : mais il périra : je le veux, je l’ordonne ;
Et ma seule raison, c’est l’ordre que j’en donne.
Ainsi tu fléchirais sous le joug conjugal ;
Mais non ; elle renonce au voile nuptial,
Court porter chez un autre un amour infidèle,
Et bientôt, désertant cette maison nouvelle,
Ces bandeaux, ces festons, ces portiques sacrés
D’un feuillage encor vert récemment décorés,
Elle fuit, et chez toi revient avec audace,
Dans ton lit méprisé redemander sa place.
Voilà comme, en cinq ans, une femme chez nous,
Beau sujet d’épitaphe, a souvent huit époux !


Plus de repos pour toi, plus de paix sur la terre,
Si ta femme près d’elle a conservé sa mère.
Sa mère lui dira par quels adroits moyens,
On outrage un époux, on dissipe ses biens ;
Comment, en femme habile et sans se compromettre,
On fait à son amant parvenir une lettre ;
Et s’il faut endormir d’incommodes argus,
C’est elle qui bientôt les aura corrompus :
Près de sa fille alors elle appelle Archigène,
Écarte un drap trop lourd qui lui pèse et la gène ;
L’adultère introduit, de désirs palpitant,
S’excite dans un coin au plaisir qui l’attend.
Penses-tu qu’à l’honneur cette mère infidèle,
Puisse engager ta femme à vivre autrement qu’elle ?
D’une mère sans mœurs l’amour-propre blessé,
A corrompre sa fille est trop intéressé.



Il est peu de procès où l’ardente chicane
D’un sexe querelleur n’ait emprunté l’organe.
Manilie au barreau vient discuter les lois :
Accusée ou plaignante, elle y soutient ses droits,
Et seule rédigeant ses moyens de défense,
Donnerait à Celsus des leçons d’éloquence.

Qui n’a pas vu souvent des femmes sans pudeur
Usurper l’endromide et l’huile du lutteur ?
Qui n’a point, sur le psi en butte à leurs atteintes,
Remarqué de l’épieu les profondes empreintes ?
Art sublime et vraiment digne des jeux Floraux,
A moins que, méditant de plus rudes assauts,
En plein amphithéâtre, athlètes formidables,
Elles n’aillent livrer des combats véritables !
De quoi pourrait rougir, sous un casque effronté,
Celle qui, préférant la force à la beauté,
Pour sa seule vigueur prétend qu’on la renomme ?
Ne croyez point pourtant qu’elle voulût être homme.
Femme expérimentée, elle sait trop combien
Le plaisir d’un amant est moins vif que le sien ;
Le bel honneur pour toi, lorsque, dans une enchère,
Le crieur Machéra, d’une épouse si fière,
Adjuge au plus offrant, l’attirail tout entier,
Son cimier, ses jambarts, ses gants, son baudrier !
Ou que, dans d’autres jeux athlète plus savante,
Elle met en public ses bottines en vente !
Et voilà ces beautés qu’on voit si mollement
Succomber sous le poids du moindre vêtement,
Que d’un fil de Bombyx la simple trame écrase,
Que brûle, que dévore une légère gaze !
Regarde cependant ces habits retroussés,
Ce casque, ce jarret, ces coups sûrs et pressés,
Et ris, lorsqu’en un coin détachant leur ceinture,
Certain besoin les force à quitter leur armure.
Filles des Fabius, parlez : un histrion

Livrerait-il sa femme à cette abjection ?
Et jamais a-t-on vu, contre un pieu, dans l’arène,
L’épouse d’Asylus s’escrimer hors d’haleine ?

Théâtre de discorde et de transports jaloux,
La couche nuptiale est l’enfer des époux :
On n’y saurait dormir ; et c’est lorsqu’une femme
De quelque tort secret s’accuse au fond de l’âme,
Qu’on la voit s’emporter comme un tigre en fureur,
Chez elle sans raison prendre tout en horreur ;
Tantôt persécuter ton affranchi fidèle ;
Tantôt te supposer une amante nouvelle ;
Et pour te mieux trahir, les yeux noyés de pleurs,
En soupirs de commande exhaler ses douleurs.
Sot époux ! ses soupirs ont pour toi mille charmes :
Tu crois que c’est l’amour qui fait couler ses larmes ;
Tu le crois, et ces pleurs longtemps étudiés,
Par tes lèvres déjà je les vois essuyés.
Oh ! que si tu pouvais, de cette digne épouse
Adultère à la fois effrontée et jalouse,
Ouvrir le portefeuille et lire les billets,
La belle découverte, et les touchants secrets !
Tu la surprends aux bras d’un insolent esclave ;
Au sein d’un chevalier tu la vois qui te brave ;
—Parle, si tu le peux, parle, Quintilien,
Parle, et pour l’excuser, cherche quelque moyen.
— Je n’en saurais trouver. — Eh bien ! parle toi-même.
— Moi ! dit-elle, affectant une assurance extrême ;
Quoi ! ne sommes-nous pas convenus entre nous,
Toi, de vivre à ton gré ; moi, de suivre mes goûts !
Pousse des cris, confonds et le ciel et la terre ;
Je suis homme ! Telle est leur audace ordinaire.
Prenez-les sur le fait, la honte dans leur cœur
Ne fait que redoubler la haine et la fureur.


D’où provient, diras-tu, cette horrible licence ?
Dans quelle source impure a-t-elle pris naissance ?

Le voici, Posthumus ; la médiocrité
Jadis de tout péril sauvait la chasteté ;
Et si le Latium eut des femmes pudiques,
Les veilles, le travail, les besoins domestiques,
Annibal sous nos murs plantant ses étendards,
Les maris nuit et jour debout sur les remparts,
Voilà ce qui d’un peuple, armé pour sa défense,
Sous le chaume longtemps conserva l’innocence.
Maintenant accablés du plus grand des fléaux,
D’une trop longue paix nous subissons les maux.
Le luxe, les plaisirs, plus cruels que la guerre,
Ont enfin subjugué les maîtres de la terre :
Ils ont vengé le monde ; et le Tibre indompté
A vu fuir ses vertus avec sa pauvreté.
Rhodes et Sybaris, et Milet et Tarente
les roses, les festins, l’ivresse pétulante,
Apportant parmi nous des exemples impurs,
De la ville aux sept monta ont infecté les murs.

Infâme argent ! c’est toi qui, servant la mollesse,
De nos antiques mœurs énervas la rudesse !
C’est toi qui dans le sein d’un peuple de bergers
Répandis ce torrent de vices étrangers !
Et quels excès craindrait de commettre une femme,
Lorsqu’au milieu des nuits, dans une orgie infâme,
Elle peut, sans horreur, mêlant, confondant tout,
Des plus sales plaisirs affronter le dégoût,
Et que, d’huîtres gorgée, invoquant les bacchantes,
D’un falerne arrosé d’essences enivrantes,
Elle boit jusqu’à l’heure où les flambeaux doublés,
Se lèvent en tournant à ses regards troublés ?
Eh bien ! doute à présent des exploits de Tullie,
Des discours qu’elle tient à sa chère Julie,
De ses gestes lascifs, de son rire moqueur,
Quand elle voit l’autel de l’antique Pudeur !
C’est là que, dans la nuit, leur litière s’arrête :

C’est là qu’à s’escrimer, l’une et l’autre s’apprête.
Au pied de l’autel même à la hâte on descend :
Et, comme d’un syphon, tout à coup jaillissant,
Un double filet d’eau, prompt effet de l’ivresse,
Inonde la statue et souille la déesse.
Alors on se défie, on s’étreint tour à tour,
Et Diane est témoin de cet horrible amour.
Chacune rentre ensuite, et, d’une audace égale,
Regagne effrontément la maison conjugale.
Et toi qui, devançant le lever du soleil,
Cours de tes protecteurs saluer le réveil,
Tu foules en chemin, sur la pierre glissante,
De ces obscénités la trace encor récente.

De la bonne déesse on connaît les secrets ;
On connaît de l’airain les rapides effets,
Lorsqu’aux accents du cor, des femmes éhontées,
Par les sons et le vin tout à coup transportées,
En tourbillons épars, avec des cris affreux,
Ménades de Priape, agitent leurs cheveux.
Quels désirai quels élans ! quels immondes vestiges,
Sur le parquet sali, trahissent leurs vertiges !
Des plus viles Phrynés provoquant les transports,
L’ardente Sauféia les saisit corps à corps ;
Elle emporte le prix, puis, devant Médulline,
En extase à son tour elle tombe et s’incline.
Entre elles la vigueur, en ce choc glorieux,
Égale la victoire à l’éclat des aïeux.
Ce n’est plus de l’amour une vaine peinture ;
Elles savent si bien imiter la nature,
Qu’elles enflammeraient et l’infirme Nestor,
Et les sens engourdis du vieux père d’Hector.
Mais l’ardeur est au comble, et ne peut plus attendre.
De tous les coins de l’antre, un cri se fait entendre ;
Un cri de rage : Ouvrez, Cybèle l’a permis ;
Ouvrez, et qu’à nos yeux les hommes soient admis.

Que vient-on m’annoncer ? quoi ! mon amant sommeille !
Allez, que par mon ordre à l’instant on l’éveille,
Qu’il accoure. Il hésite ! esclaves soyez prêts.
Point d’esclaves ! eh bien, un rustre, un porte-faix.
Point d’homme ! En son dépit, Pasiphaé nouvelle,
Un époux mugissant pourrait approcher d’elle.

Plût au ciel que du moins ces transports odieux
N’eussent jamais souillé les autels de nos dieux !
Mais, des bords africains aux rivages du Gange,
Qui n’a point su comment une chanteuse étrange,
Du signe triomphant de sa virilité,
Surprit l’asile saint de la pudicité ;
Cet asile où, fidèle à de chastes usages,
D’un sexe différent on voile les images,
Et dont le rat timide et prompt à se cacher,
Avec un testicule aurait peur d’approcher ?
Quel mortel autrefois, quel railleur incrédule
Eût tourné de nos dieux le culte en ridicule ?
Quel impie eût osé du second de nos rois
Mépriser l’humble argile et les vases de bois,
Et la soucoupe noire, où, dans les sacrifices,
De la liqueur sacrée il versait les prémices ?
Maintenant quel autel n’a pas son Clodius ?
J’entends, mes vieux amis : des barreaux, des argus !
Mais par qui ferez-vous garder vos sentinelles ?
Une femme est adroite et commence par elles.



De la corruption qui gagne tous les rangs,
L’opprobre n’admet plus de degrés différents.
Plébéiennes à pied, matrones en litière,
Toutes de la décence ont franchi la barrière.
Voyez Ogulnia : pour assister aux jeux,
Elle prend à loyer des habits somptueux,
Une chaise, un cortège, et jusqu’à l’intrigante,
De ses ordres galants messagère élégante !
Du bien de ses aïeux ce qui lui reste encor,

Sa vaisselle d’argent, son dernier vase d’or,
D’un imberbe histrion tout devient le partage.
La plupart à l’étroit vivent dans leur ménage ;
Mais de la pauvreté conservant la pudeur,
Aucune de ses vœux ne modère l’ardeur.
Les hommes quelquefois, songeant à la vieillesse,
Prennent de la fourmi des leçons de sagesse ;
La femme ne prévoit ni la soif ni la faim :
L’or, sans qu’elle le sente, échappe de sa main ;
Et, quand il faut jouir, ardente, insatiable,
Comme si, dans les flancs d’un coffre inépuisable,
Les écus renaissaient au gré de ses désirs,
Elle ne compte pas le prix de ses plaisirs.

D’autres, dans leurs amours, consultant la prudence,
A l’eunuque impuissant donnent la préférence ;
Ses baisers que sans crainte elles peuvent goûter,
Ne les exposent point à se faire avorter.
Le plaisir n’y perd rien ; et quand d’Héliodore,
Au moment attendu, l’acier le déshonore,
C’est qu’à leurs yeux déjà l’homme est fait tout entier,
Et l’opération ne fait tort qu’au barbier.
L’esclave ainsi traité par sa belle maîtresse,
Eclatant de fraîcheur, rayonnant de jeunesse,
Attire tous les yeux, en entrant dans nos bains,
Et délierait le dieu qui préside aux jardins.
Qu’au lit de ton épouse il aille prendre place ;
Mais sache, ô Posthumus, de sa lubrique audace
Sauver ton Bromius dont le poil déjà noir,
Indice de vigueur, appelle le rasoir.

Le goût de la musique a-t-il saisi ta femme ?
Plus de chanteur gagé qui résiste à sa flamme :
Plus d’anneau qui ne cède et ne tombe à sa voix.
Les instruments toujours résonnent sous ses doigts ;
Et la riche cithare, où la perle étincelle,
Ne répond qu’à l’archet de son cher Hédymèle.

Cet archet précieux, sa joie et son trésor,
Elle le tient, le baise et le rebaise encor.
C’est ainsi qu’à nos yeux, aux yeux de Rome entière,
Une patricienne, une matrone altière,
D’offrandes et de sang remplissant les autels,
Naguère de ses vœux lassait les immortels ;
Et pourquoi ? pour savoir si le bel Hermogène
Obtiendrait au concours la couronne de chêne.
Qu’eût-elle fait de plus pour un époux souffrant,
Pour un père en danger, pour un fils expirant ?
Debout, devant l’autel, se donnant en spectacle,
C’était pour un chanteur qu’elle invoquait l’oracle,
Et que, le front voilé, de l’agneau palpitant,
Elle venait, tremblante, interroger le flanc !
Éternels habitants de la voûte céleste,
Vous avez, je le vois, bien des moments de reste !
Pauvre Janus ! ô toi des dieux le plus ancien !
L’une vient t’implorer pour un comédien !
L’autre pour un chanteur, l’autre… tes aruspices,
Trop longtemps sur leurs pieds, gagneront des varices.

Mais laisse la chanter plutôt que de souffrir
Qu’on la voie en tous lieux par la ville courir,
Et, le sein découvert, l’œil armé d’impudence,
Avec nos généraux parler en ta présence.
Pour une telle femme il n’est point de secrets :
Du Thrace et du Persan elle sait les projets ;
Elle sait ce qu’on dit dans les bains, au théâtre ;
Quel fils, au fond du cœur, brûle pour sa marâtre ;
Quelle veuve est enceinte, et quel est son amant ;
Quand ils se sont parlé ; combien de fois ; comment.
La première elle a vu, sous la voûte céleste,
La comète sanglante au roi parthe funeste ;
Et tout ce qu’on se plaît à semer sur nos bords,
De discours alarmants, d’infidèles rapports,
Au pied de nos remparts, debout, en sentinelle,

Nulle autre n’en apprend les détails avant elle.
Elle invente au besoin. Tantôt du Niphat
Les flots ont entraîné troupeaux, moissons, guérets :
Tantôt la terre, ouvrant ses profondes entrailles,
A d’une ville entière englouti les murailles :
Des lacs ont disparu, des peuples sont détruits,
Et c’est elle partout qui va semer ces bruits.

Je tolère encor moins la cruelle mégère,
Qui, dans l’emportement d’une aveugle colère,
Enlève à ses foyers un voisin sans appui,
Et, lorsqu’on est venu la supplier pour lui,
Pour montrer que son cœur est sensible aux prières,
Le fait tout simplement passer par les lanières.
Qu’un chien, l’interrompant dans son profond sommeil,
En jappant à sa porte, ait hâté son réveil :
Holà ! Dave, Syrus ; des bâtons : courez vite ;
Courez, frappez le maître, et l’animal ensuite.
Faut-il aller au bain ? elle s’y rend la nuit.
Au cortège nombreux dont l’attirail la suit,
Vous diriez une armée emportant son bagage.
Le tumulte, l’effroi, règnent sur son passage.
Il s’agit de suer, c’est un plus grand fracas ;
Et, quand le plomb massif a fatigué son bras,
L’adroit baigneur approche, et d’une main lubrique,
La frotte, en homme instruit des goûts de la cynique
Chez elle cependant tout souffre et meurt de faim :
Tout succombe au sommeil : elle revient enfin,
Rubiconde, brûlant d’une soif si pressante,
Que l’œnophore entier qu’à ses pieds on présente,
La bacchante, en entrant, des yeux seuls l’engloutit.
Deux fois, pour redoubler son avide appétit,
Elle boit : et deux fois le vin qu’elle rejette,
Inonde le parquet ou remplit sa cuvette ;
Car, telle qu’un serpent tombé dans un tonneau,
Elle boit et vomit ; à ce hideux tableau,

Sentant à s’échapper sa bile toute prête,
L’époux ferme les yeux et détourne la tête.

Le supplice, à mon gré, le plus rude de tous,
Le plus propre à vexer un malheureux époux,
C’est une femme auteur, bavarde insupportable,
Qui du chantre d’Enée, en prenant place à table,
Commence par vanter le poème divin ;
S’attendrit sur Didon et son triste destin,
Compare les écrits, les juge en maître habile,
Et, la balance en main, pèse Homère et Virgile.
Tout fléchit devant elle et baisse pavillon :
Les rhéteurs sont vaincus ; les clients, le patron,
A ces cris qu’on prendrait pour un son de clochette,
Demeurent interdits et la bouche muette ;
Et de ce carillon tel est le bruit confus,
Que l’huissier, l’avocat, le plaideur, je dis plus,
Qu’une autre femme en vain voudrait se faire entendre.
Phoebé, toi que des cieux un charme a fait descendre,
A quoi bon ces bassins, ces clairons, ces tambours ?
Elle seule au besoin viendrait à ton secours.
Ce n’est pas encor tout ; philosophe nouvelle,
Le portique n’a rien qui soit caché pour elle.
Car, sitôt qu’une femme a la prétention
De briller par le style et l’érudition,
Elle peut bien aussi, discourant sur l’honnête,
Marquer le point précis où le juste s’arrête,
Se baigner pour un as, retrousser son manteau,
Et faire au dieu des bois l’offrande d’un pourceau.
Garde-toi, Posthumus, d’admettre dans ta couche,
La femme qui, toujours de grands mots à la bouche,
Rougirait de parler avec simplicité ;
Qui décoche avec art l’enthymème écourté ;
Qui sait tout, juge tout, histoire, vers et prose ;
Il est bon qu’une femme ignore quelque chose.
Pour moi, je ne saurais souffrir le vain jargon

De celle qui ne fait qu’invoquer Palémon ;
Qui ne dit pas un mot sans citer la grammaire ;
Qui vient, à tout propos, ennuyeuse antiquaire,
Habile à déterrer des écrits vermoulus,
M’assommer de vieux vers que personne n’a lus ;
Et qui, dans son amie élevée au village,
Reprend avec aigreur des fautes de langage,
Que même dans un homme ou ne remarque pas.
La grammaire est fort bonne, et j’en fais très grand cas,
Mais je veux qu’une épouse, oubliant son purisme,
Parfois à son mari permette un solécisme.

Une femme peut tout, fait tout impunément,
Lorsque d’un précieux et rare diamant,
Son collier à nos yeux étale les merveilles,
Ou que de lourds pendants allongent ses oreilles.
Qu’une épouse opulente est un pesant fardeau !
Du soin d’entretenir la fraîcheur de sa peau,
Chez elle à tout moment on la trouve occupée ;
Son visage est enduit des pâtes de Poppée :
Elle en est rebutante, et l’époux caressant,
A la glu, sur sa bouche, est pris en l’embrassant
Elle se nettoiera, si son amant l’appelle.
Qu’importe à la maison qu’on soit plus ou moins belle ?
Ce n’est que pour l’amant qu’on soigne ses attraits,
Que des parfums de l’Inde on s’inonde à grands frais
Alors le masque tombe, on lève les compresses ;
Elle entre dans un bain fourni par des ânesses
Dont, fût-elle exilée aux plus rudes climats,
Elle ferait traîner un troupeau sur ses pas.
D’emplâtres, de parfums dégoûtant assemblage,
Que dire ? est-ce un ulcère ? ou bien est-ce un visage
Mais depuis le matin suivons-la jusqu’au soir.
L’époux a-t-il, la nuit, trompé son tendre espoir ?
Gare aux femmes d’atour ! intendante, coiffeuse,
Toutes vont lui payer cette injure odieuse.

Le Liburne est venu trop tard : malheur à lui !
Il sera châtié pour le sommeil d’autrui.
L’un rougit de son sang les verges ;
L’autre, tunique bas, reçoit les étrivières ;
Celui-là du bâton se sent meurtrir le dos.
On en voit, à l’année, employer des bourreaux.
On frappe ! elle relève un journal de dépense,
On fait à son amie admirer l’opulence
D’un tissu rehaussé de larges franges d’or.
On frappe. Elle se farde. On frapperait encor ;
Mais les bourreaux sont las. Allons, c’est fait, dit-elle,
Sortez. De Phalaris la cour fut moins cruelle.
Veut-elle, en nos jardins, au milieu des Laïs,
Ou devant les autels de la commode Isis,
Se montrer plus parée encor qu’à l’ordinaire ?
Une Psécas tremblante, empressée à lui plaire,
La sein nu, les cheveux assemblés au hasard,
Accourt pour lui prêter le secours de son art.
Misérable ! pourquoi cette mèche trop haute ?
Soudain le nerf de bœuf a puni cette faute.
Ce crime qui jamais ne peut être expié,
Cet horrible forfait d’un cheveu mal plié !
Cette pauvre Psécas ! quel excès d’injustice !
Si ton nez te déplaît, faut-il qu’elle en pâtisse ?
Le côté gauche enfin, sous des doigts plus savants,
Se démêle, se roule en longs anneaux mouvants,
Là se trouve et préside une vieille édentée,
De l’aiguille aux fuseaux avec l’âge montée.
Elle opine d’abord, et les jeunes après,
Comme lorsqu’il s’agit, en un grave procès,
De sauver d’un client ou l’honneur ou la vie !
Tant elle a de briller une indomptable envie !
Au port de cette femme, à ses cheveux bouclés,
En étages nombreux sur son front assemblés,
En face vous diriez d’Hector la veuve altière ;

Mais quelle différence à la voir par derrière !
Je le crois aisément, puisque, sans brodequin,
Ce n’est plus qu’un pygmée, un ridicule nain,
Et que, pour embrasser l’objet de sa tendresse,
Sur la pointe des pieds il faut qu’elle se dresse !
Cependant elle court au lieu du rendez-vous,
Néglige sa maison, laisse là son époux.
Avec lui désormais elle vit en voisine ;
La seule affinité, c’est qu’elle le ruine,
Et que, pour l’affliger, se croyant tout permis,
Elle bat ses valets et chasse ses amis.

Des prêtres de Bellone et des chœurs de Cybèle,
Vois-tu l’impur essaim fondre en foule chez elle ?
Vois-tu ce grand eunuque, objet de leur respect !
Le cynique troupeau s’incline à son aspect ;
Et, la tiare en tête, en avant du cortège,
Seul de régler la marche il a le privilège.
Du ton d’un inspiré dans la fourbe enhardi :
De septembre, dit-il, et des vents du midi,
Profanes, redoutez les noires influences,
A moins que par cent œufs expiant vos offenses,
Vous n’ayez désarmé la céleste rigueur,
Ou que, pour détourner quelque soudain malheur,
Le don accoutumé de vos vieilles parures,
N’ait de l’année entière effacé les souillures.
Le matin dans le Tibre, au plus fort de l’hiver,
Trois fois, malgré la glace et la rigueur de l’air,
Elle courra plonger sa tête frémissante.
De là, s’il le prescrit, demi-nue et tremblante,
Autour du champ de Mars, que son sang rougira,
Sur ses genoux meurtris elle se traînera ;
Et s’il lui dit : Partez, la blanche Io l’ordonne :
Vous la verrez, soumise à l’ordre qu’on lui donne,
D’un voyage en Égypte affrontant le péril,
Après avoir franchi les rivages du Nil,

De l’île Méroë rapporter l’onde sainte,
Et du temple d’Isis en arroser l’enceinte,
Non loin du champ modeste où le Tibre autrefois
Vit bondir les troupeaux du premier de nos rois.
Pourrait-elle hésiter, quand d’Isis elle-même
Elle croit accomplir la volonté suprême ?
Quand elle croit l’entendre ? Esprit digne en effet
Qu’un dieu pendant la nuit l’entretienne en secret !
Aussi quelle terreur, quel respect ridicule
Ne sait point inspirer à la foule crédule,
Ce fourbe environné d’un fanatique essaim
De ministres tondus et revêtus de lin,
Qui, d’un peuple abusé redoublant les alarmes,
Sous les traits d’Anubis, court et rit de ses larmes !
C’est lui dont la prière importunant les dieux,
Par des pleurs solennels et des élans pieux,
D’Osiris en fureur désarme la vengeance,
Quand de jeunes beautés, aux jours de continence,
Près d’elles par faiblesse ont admis un époux.
Quel châtiment cruel près de fondre sur vous !
Tremblez, car du serpent la tête vous menace ;
Il dit ; mais, à sa voix, Osiris leur fait grâce,
Osiris que ses pleurs et qu’un gâteau sacré,
A cet heureux pardon ont déjà préparé.
 

Une juive, laissant son foin et sa corbeille,
Vient ensuite en tremblant et mendie à l’oreille.
De Sion près d’un arbre interprétant les lois,
C’est de là que le ciel nous répond par sa voix.
Elle reçoit aussi le prix de ses prestiges ;
Mais on lui donne peu. Voulez-vous des prodiges ?
Parlez au premier juif : il vous en fournira
Au prix le plus modique, et tels qu’il vous plaira.

Un prêtre d’Arménie, espèce d’aruspice,
Aux flancs d’une colombe offerte en sacrifice,
Entrevoit, pour ta femme, un jeune et tendre amant,

Ou d’un riche vieillard l’immense testament.
D’un chien, d’un enfant même il fera sa victime,
Et c’est lui qui sera le délateur du crime.
 

Mais de ces imposteurs à l’envi consultés,
Ce sont les Chaldéens qui sont le plus ventés,
Et leurs oracles seuls de nos jours ont la vogue.
Qu’un mot soit prononcé par leur moindre astrologue,
On le croira sorti de la bouche d’Ammon ;
D’Ammon, car négligeant le trépied d’Apollon,
Sur l’avenir caché dans une nuit profonde,
Delphes à l’ignorance a condamné le monde.
Le premier de la troupe est ce fourbe obstiné,
Qui plus souvent qu’un autre à l’exil condamné,
D’un crayon complaisant, sur sa planche vénale,
De l’ennemi d’Othon traça l’heure fatale,
On ne croit à leur art que si de fers chargés,
Longtemps dans un cachot ils se sont vus plongés
Ce sont les fers en eux, le cachot qu’on vénère ;
Un imposteur absous n’est qu’un homme ordinaire.
Mais si des criminels près de subir l’arrêt,
Trop heureux par l’exil d’échapper au gibet,
Il s’est fait reléguer dans l’étroite Gyare,
Alors c’est un génie et chacun s’en empare.
Nouvelle Tanaquil, ton épouse d’abord
Ira l’interroger sur l’instant de ta mort ;
Sur le trépas trop lent d’une mère ictérique,
Sur le jour ou, suivant un convoi magnifique,
D’une sœur ou d’un oncle elle prendra le deuil.
Doit-elle précéder son amant au cercueil ?
Ah ! qu’il vive après elle ! une faveur si grande
Est tout ce qu’aux autels sa tendresse demande.

Elle ignore du moins sous quel signe en courroux
S’annoncent les fléaux près de fondre sur nous :
Quand Saturne est sinistre et Vénus favorable :
Quel mois porte bonheur : quel jour est redoutable

Souviens-toi, Posthumus, d’éviter en chemin
Celle qu’on voit toujours, ses tablettes en main,
Tourner et parcourir avec des yeux avides,
Les feuillets presque usés de ses éphémérides ;
Qui ne consulte plus, mais qu’on vient consulter ;
Qui, lorsque son époux, contraint de se hâter,
Doit rejoindre le camp ou regagner la ville,
Si le jour est contraire aux nombres de Thrasylle,
Ne pourra se résoudre à partir avec lui.
Veut-elle, pour tromper son indolent ennui,
Se faire transporter à cent pas de la porte ?
Son grimoire lui dit quand il faut qu’elle sorte.
Sent-elle au coin de l’œil une démangeaison ?
C’est son thème natal qui, pour la guérison,
Lui montre la recette en ce cas exigée.
Est-elle dans son lit au régime obligée ?
Pour l’heure qui convient aux aliments prescrits,
Elle n’ajoute foi qu’à son Pétosiris.

Celle qui n’appartient qu’à la classe commune,
Court, aux bornes du cirque, apprendre sa fortune ;
Elle tire les sorts, et l’habile devin
On lui touche le front, ou lui palpe la main.
Elle consent à tout et se prête sans honte
Aux baisers indécents qu’il lui demande à compte.
La plus riche interroge un prêtre phrygien,
Un habile astrologue, un augure indien,
Ou le vieillard chargé d’enfouir sous la terre
Les objets qu’en tombant profana le tonnerre.
Pour celui dont la foule apprend son vil destin,
On va le consulter dans le champ de Tarquin ;
Et celle qui, la tête et le cou sans parure,
Par un simple fil d’or retient sa chevelure,
Entre deux artisans incertaine en son choix,
Trouve aussi son oracle, auprès des tours de bois.


Mais la femme du moins, en cette classe obscure,

N’apprend point à tromper le vœu de la nature,
Et, pliant sous le joug de la nécessité,
Se soumet aux devoirs de la maternité.
L’hymen est plus commode où la richesse abonde.
Une couche dorée est rarement féconde,
Tant a fait de progrès dans son art inhumain,
Celle qui d’un breuvage exprimé de sa main,
Instruite à préparer la coupe délétère,
Sait tuer les enfants dans le sein de leur mère !
Applaudis-toi pourtant, époux infortuné ;
Et, loin de t’opposer au remède ordonné,
Toi-même à l’infidèle apporte le breuvage ;
Car, si de la nature accomplissant l’ouvrage,
De son flanc déchiré le fruit voyait le jour,
Elle ne remettrait peut-être à ton amour,
Qui sait ? qu’un Africain, monstre d’affreux présage,
Admis à partager un jour ton héritage,
Et dont, tous les matins, le visage odieux
De son horrible aspect te blesserait les yeux.

Je ne te parle pas de la femme impudente
Qui, trompant d’un époux la trop crédule attente,
Lui donne des enfants qu’elle n’a point portés ;
Malheureux orphelins sur la rive jetés,
Qui, dans l’éclat pompeux des dignités romaines,
Un jour, malgré le sang qui coule dans leurs veines,
Sous le nom des Scaurus marcheront triomphants.
La Fortune, parfois, sur ces faibles enfants,
La nuit, jette en passant un regard de tendresse,
Les réchauffe eu son sein, les berce, les carrosse,
Et de ses jeux secrets mystérieux acteurs,
Les élève en riant au faîte des grandeurs.

Un autre leur vendra des paroles magiques ;
Un autre, des poisons, des philtres thessaliques
Qui, d’un mari stupide offusquant les esprits,
Le livrent sans défense aux plus sanglants mépris

Alors comme égaré dans la nuit la plus noire,
Il n’aperçoit plus rien, il n’a plus de mémoire ;
Heureux s’il n’en vient pas jusques à la fureur,
Comme ce forcené, ce féroce empereur
A qui Césonia, par un secret breuvage,
Inspira tout à coup moins d’amour que de rage.
Ce qu’une impératrice a bien osé tenter,
Quelle femme aujourd’hui craindra de l’imiter ?
L’empire était en feu : tout allait se dissoudre :
Ou eût dit que Junon, du maître de la foudre
Venait de déranger le sublime cerveau.
Certes, le champignon qui mit Claude au tombeau,
N’a point d’un tel désastre effrayé nos murailles ;
D’un infirme vieillard déchirant les entrailles,
Il n’a fait que hâter son destin glorieux,
Et le précipiter à la table des dieux.
Mais l’oncle de Néron, altéré de carnage,
A peine du poison a senti le ravage,
Il brûle, il assassine et des petits, des grands,
Pêle-mêle égorgés, le sang coule à torrents.
Voilà l’effet cruel d’une coupe amoureuse !
Voilà les maux produits par une empoisonneuse !


Que d’une concubine, objet de sa fureur,
Une épouse trahie ait le sang en horreur :
J’y consens ; c’est l’usage ; et sa haine jalouse
Peut même ôter la vie au fils d’une autre épouse ;
Mais toi, riche pupille, à ses soins confié,
C’est toi que j’avertis ; crains sa fausse amitié ;
Crains la coupe, les mets apprêtés par ta mère ;
Que ta bouche jamais n’y touche la première,
Et qu’un tuteur tremblant entre elle et toi placé,
Goûte d’abord le vin qu’elle t’aura versé.

Loin du sentier battu per nos vieux satiriques,
Je poursuis, diras-tu, des monstres chimériques ;
Je chausse le cothurne, et rhéteur boursouflé,

Je viens, du ton pompeux d’un Sophocle ampoulé,
Conter avec emphase à mea lecteurs crédules,
Des excès inconnus sur les monts des Rutules,
Des crimes que jamais les Latins n’ont commis.
Plût au ciel, Posthumus ! mais écoute et frémis.
Oui, te dit Pontia, le crime est véritable
C’est moi qui fis périr mes enfants à ma table :
Du poison par mes mains le vase fut rempli :
Je l’ai fait, on m’a vue, et je n’ai point péri.
— Quoi ! deux fils innocents, détestable vipère,
Ont péri de ta main, de la main d’une mère !
Deux en un seul festin ! —Sept, dans un seul festin !
Si j’en avais eu sept, seraient morts de ma main !
— Du barbare Térée épouse parricide,
Et toi, monstre odieux qu’enfanta ta Colchide,
A vos plus noirs complots nous croyons maintenant ;
Vos meurtres, vos poisons n’ont plus rien d’étonnant ;
Tout est vrai ; mais du moins, si vous fûtes cruelles,
L’or n’a point mis le glaive en vos mains criminelles.
La femme que transporte un accès de fureur,
Quel que soit son forfait, m’inspire moins d’horreur ;
C’est un roc menaçant dont la masse ébranlée,
Du mont dont il s’arrache, au fond de la vallée
Tombe et se précipite et roule avec fracas.
Le plus tache, à mes yeux, de tous les attentats,
C’est celui qu’une avare et perfide mégère
Médite froidement et commet sans colère.
Tous les jours sur la scène, attendrissant les cœurs,
Alceste, en s’immolant, nous fait verser des pleurs :
Offrez à nos beautés la même alternative :
Dites à cette épouse au spectacle attentive,
De choisir d’un Admète ou d’un chien favori ;
Son choix est déjà fait : périsse le mari.
Vous trouverez partout quelque sœur d’Hypermnestre,
Et demain chaque rue aura sa Clytemnestre.

Mais du moins Clytemnestre en un transport soudain,
Exécuta son crime une hache à la main :
Les nôtres n’ont besoin que d’un simple breuvage,
Du glaive toutefois prêtes à faire usage,
Si leur Agamemnon redoutant le trépas,
A leurs perfides soins ne s’abandonnent pas,
Et qu’imitant ce roi vaincu dans trois batailles,
A l’abri du poison il eût mis ses entrailles.