Justice aux Canadiens-Français !/Chapitre II

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II

Je viens de relire le second paragraphe de votre étude.

J’avoue mon embarras à répondre, dans un ordre logique, aux contradictions qu’il renferme.

Après avoir déclaré précédemment que le clergé canadien dirige la « politique assez mal, et qu’il enchaîne les esprits en prétendant les guider, » vous assurez, à la suite d’une trop courte esquisse du passé historique des Canadiens, que « l’histoire du monde n’offre pas un second exemple d’un esprit politique aussi remarquable. »

Après avoir constaté que ces mêmes Canadiens jouissent aujourd’hui d’une entière liberté, vous vous empressez d’ajouter, quelques lignes plus bas, que « l’usage de cette liberté n’est pour eux qu’une billevesée. »

Enfin, pour compléter cet édifiant tableau, vous terminez votre chapitre en décrétant que les Français d’Amérique possèdent tout… sauf l’initiative et l’indépendance de caractère !

Tout ceci est un peu confus ; et, pour vous répondre mot par mot, ligne par ligne, il me faudrait repasser avec vous les annales canadiennes de plusieurs siècles.

Peut-être, alors, laissant de côté le caractère officiel de votre mission, admireriez-vous avec moi le rôle glorieux et patriotique joué par les Canadiens sous la direction de leur clergé.

Laissez-moi vous conter, entre mille, deux épisodes de ces époques passées, où, dans le sang, les larmes, et une lutte de tous les instants, se façonnait cette nationalité canadienne si dédaignée par vous.

C’était en 1775 ; les Américains venaient d’envahir le Canada. Montréal était tombée entre leurs mains. Les troupes anglaises battaient en retraite devant l’ennemi, et deux corps d’armées investissaient Québec. Un dernier effort des confédérés, et la puissance anglaise disparaissait à tout jamais du continent américain. En ce moment de danger suprême, une voix s’élève, vibrante de patriotisme et d’accent religieux : celle d’un Français, de l’évêque de Québec.

Cette voix trouve un écho dans tous les cœurs. Les Canadiens-Français, oubliant les injustices commises, les persécutions dont ils ont été les victimes, rejettent loin d’eux toute pensée d’union avec les confédérés, et volent au secours du drapeau anglais menacé. C’est en vain qu’Arnold et Montgomery livrent de furieux assauts à l’antique métropole française ; à chacune de leurs attaques, un rempart de poitrines canadiennes s’offrent à leurs coups !

La lutte est sanglante, mais la victoire se range, enfin, du côté de la loyauté et de la fidélité à la foi jurée.

Les confédérés reculent ; Québec est sauvée ; une fois de plus la croix de Saint-Georges règne en maîtresse sur le champ de bataille, et c’est aux Canadiens-Français, à la parole entraînante d’un évêque catholique, Monseigneur Briand, qu’elle en est redevable.

En 1812, une lutte nouvelle s’engage entre l’Angleterre et les États-Unis ; le Canada est de nouveau menacé.

Monseigneur Briand est mort, qu’importe ? un autre évêque l’a remplacé sur le trône épiscopal de Québec. Écoutez les belles paroles que l’auguste prélat, Monseigneur Plessis, adressait aux Canadiens, à l’approche du danger !

« …Après un aussi brillant succès, que ne devez-vous pas espérer, nos très chers frères, dans le cas où l’ennemi, poussant plus loin sa témérité, oserait entreprendre l’invasion du Bas-Canada ? Que n’aurait-il pas à craindre d’une armée qui, par son organisation et sa discipline, fait l’admiration des officiers les plus expérimentés ; d’un peuple entier brûlant du désir de se lever en masse, pour donner des preuves de sa fidélité et de son courage ; d’un commandant en chef dont l’activité infatigable fait le sujet continuel de vos conversations, dont la condescendance a gagné tous les cœurs, dont la sage expérience a prévu tous les dangers, dont l’impartialité fait comprendre à tous les sujets de Sa Majesté, dans ces provinces, qu’ils n’ont qu’un seul et même intérêt, celui de la défense commune ?

… « Guerriers, c’est à vous qu’il appartient de vous opposer comme un mur à l’approche des ennemis, et de déconcerter leurs mesures. Ils cesseront d’être formidables dès que le Dieu des armées combattra avec nous. Marchez au combat comme à la victoire. Soutenez cette réputation d’obéissance, de discipline, de valeur et d’intrépidité, que vous ont méritée vos premiers succès. Votre confiance ne sera pas vaine, si, en exposant vos vies, pour la défense de votre roi et de vos foyers, vous avez soin, avant toute chose, de faire votre paix avec Dieu. En vous mettant dans la nécessité de combattre les ennemis de l’État, il vous impose l’obligation préalable de vous réconcilier à lui. C’est à cette condition qu’il s’engage à vous protéger ; or vous n’ignorez pas que de cette protection, beaucoup plus que de vos efforts et de vos veilles, dépend la conservation de nos cités et de nos forteresses.

« Pour vous, prêtres, clercs, vieillards, femmes, malades, enfants, qui, par état ou par circonstance, êtes dispensés du service militaire, ne restez pas dans une stérile inquiétude des événements de la guerre. Unissez-vous de cœur et d’esprit à votre premier pasteur ; servez la patrie autant que vous le pouvez, soit en priant avec plus de ferveur dans vos maisons, soit en vous rendant chaque jour aux pieds des autels, pour répandre vos âmes devant le Seigneur, et faire au ciel une sainte violence.

« Vous savez qu’il peut accorder la victoire au petit nombre comme au plus grand. Suppliez-le donc en toute humilité de ne pas appesantir son bras sur nous, mais de faire (Ps. 9. 16) tomber nos ennemis dans les pièges qu’ils nous préparent, en sorte que leurs nouvelles tentatives ne servent qu’à donner à nos armes un nouveau lustre, et à nous une occasion de plus de chanter à jamais ses miséricordes. »

À cet appel, le peuple canadien se masse une fois de plus autour des couleurs Britanniques, et, fidèle, toujours, à la voix de son clergé, repousse ses envahisseurs.

Le 26 octobre 1813, un français, le colonel de Salaberry, à la tête de « 300 canadiens, » mal armés, demi paysans, demi soldats, battait et repoussait un corps de l’armée confédérée de plus de 7 000 hommes !

Mon cher de Coubertin, vous avez salué, à Chambly, la statue de ce héros ; mais ses exploits ne vous ont sans doute pas paru assez glorieux pour lui consacrer un souvenir dans votre livre.

Tout est grand dans l’histoire des Canadiens ; et en dépit, cependant, des liens qui les unissent à nous autres français des « vieux pays, » vous paraissez ne vous être attaché qu’à déprécier tout ce qui porte l’empreinte canadienne-française.