Julie de Lespinasse (RDDM)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 30 (p. 102-145).
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JULIE DE LESPINASSE[1]

L’EXPIATION


I

L’année entière qui suit la disparition de Mora est pour Julie de Lespinasse une année de troubles et de tempêtes. Le choc qu’elle a reçu a singulièrement ébranlé sa constitution délicate, et ce corps frêle est tourmenté par les plus pénibles souffrances, vertiges, douleurs de tête, perpétuelles insomnies, dont d’énormes doses d’opium ne peuvent toujours triompher, spasmes nerveux et « convulsions, » qui la laissent presque « anéantie. » Cet état maladif est la cause et l’excuse des variations d’humeur dont sa volonté affaiblie n’est plus guère aujourd’hui maîtresse. Jamais elle ne fut ombrageuse, irritable à ce point. Tout la heurte, la blesse et la met en méfiance ; sa jalousie, constamment en éveil, épie toutes les actions, toutes les paroles et jusqu’aux silences de Guibert ; et ce sont, sur le moindre indice, des insinuations, des reproches, souvent des scènes de colère et de larmes, auxquelles succèdent sans transition des transports de tendresse et des effusions passionnées. « Tant de contradictions, tant de mouvemens contraires, sont vrais et s’expliquent par ces mots : Je vous aime[2]. » Cette phrase échappée de sa plume résume exactement cette période de sa vie. Il serait fastidieux de donner le détail de tant de violentes querelles, suivies de raccommodemens impétueux. Je me contenterai de noter les plus graves de ces crises, et d’indiquer la gradation, qui va finalement aboutir au plus terrible déchirement.

Au milieu de juillet, Guibert quittait subrepticement Paris, sans en avoir prévenu Julie. Ce départ subit, ce mystère, inquiètent fort cette dernière. « Vous vouliez, lui dit-elle[3], me faire un secret de votre voyage. Si c’était l’honnêteté qui en était l’objet, pourquoi craigniez-vous de me le dire ? Et si ce voyage doit offenser mon cœur, pourquoi le faites-vous ? Jamais vous n’avez avec moi l’abandon de la confiance… Je ne sais pas où vous êtes ; je suis dans l’ignorance de vos actions… » Guibert, dans la réalité, avait des raisons de se taire, car son absence était causée, comme on l’apprendra tout à l’heure, par un projet, vague encore, de mariage. Mais, embarrassé de son rôle, impatienté de ces reproches, il se tira d’affaire par un billet bref, ironique et sec, où Mlle de Lespinasse crut lire, sinon un congé dans les formes, au moins un désaveu des sermens d’autrefois.

Bien que Guibert, cette fois, fût évidemment dans son tort, nous ne saurions lui en vouloir, car son injuste procédé nous vaut une lettre admirablement éloquente, où la tendresse déçue, l’orgueil blessé, la colère indignée, trouvent des accens, dont, après un siècle écoulé, l’ardeur ne s’est pas encore refroidie. On en jugera par ces quelques extraits : « Je ne crois pas de ma vie[4]avoir reçu une impression plus pénible, plus flétrissante que celle que m’a faite votre lettre ; et, avec la même vérité, je vous dirai que l’espèce de mal que vous m’avez fait ne mérite guère d’intérêt, parce que c’est mon amour-propre qui a souffert, mais d’une manière qui m’est tout à fait nouvelle. Je me suis sentie si humiliée, si accablée, d’avoir pu donner à quelqu’un l’effroyable droit de me dire ce que je lisais !… Mon cœur, mon amour-propre, tout ce qui m’anime, tout ce qui me fait sentir, penser, respirer, en un mot tout ce qui est en moi, est révolté, blessé et offensé pour jamais. Vous m’avez rendu assez de forces, non pour supporter mon malheur, — il me paraît plus grand et plus accablant que jamais, — mais pour m’assurer de ne pouvoir plus être tourmentée ni malheureuse par vous. Jugez et de l’excès de mon crime, et de la grandeur de ma perte ! » C’est ici pour la première fois qu’elle prononce le mot de rupture : « Si c’est là l’expression de ce que vous pensez et de ce que vous sentez pour moi, croyez au moins que je ne serai pas assez vile pour me justifier et pour demander grâce… C’en est donc fait ; soyez avec moi comme vous pourrez, comme vous voudrez ; pour moi, à l’avenir, — s’il y en a un pour moi, — je serai avec vous comme j’aurais dû toujours être, et si vous ne laissiez point de remords dans mon âme, j’espérerais bien vous oublier… Pourquoi donc me plaindre ? Ah ! pourquoi ? Parce qu’un malade qui est condamné attend encore son médecin, parce que ses yeux se lèvent encore vers les siens pour y chercher de l’espérance, parce que le dernier mouvement de la douleur est une plainte, parce que le dernier accent de l’âme est un cri ! »

Malgré l’attendrissement voilé qui perce dans ces dernières lignes, elle tient rigueur, les premiers temps, au repentir du coupable : « Ayez assez d’honnêteté pour cesser de me persécuter, lui jette-t-elle après son retour. Je n’ai qu’une volonté, je n’ai qu’un besoin, c’est de ne plus vous voir en particulier… Laissez-moi, ne comptez plus sur moi. Si je puis me calmer, je vivrai ; mais si vous continuez, vous aurez bientôt à vous reprocher de m’avoir rendu la force du désespoir. Epargnez-moi le chagrin et l’embarras de vous faire exclure à ma porte dans les heures où je suis seule. » Huit jours se passent ainsi, huit jours de fermeté stoïque ; puis, un matin, Guibert force sa porte, et elle tombe dans ses bras : « Quel horrible projet j’avais conçu ! Ne plus vous voir ! Cela serait impossible, vous le savez bien. Vous savez bien que, quand je vous hais, c’est que je vous aime avec un degré de passion qui égare ma raison. »

Quelques semaines plus tard, c’est une séparation nouvelle, plus facilement explicable que l’autre, puisque, cette fois, il s’agit pour Guibert d’aller faire un séjour dans sa terre de famille, près d’un père et d’une mère dont il est la joie et l’orgueil. Les jours qui précèdent le départ, il se montre plus attentif, plus empressé, plus tendre, qu’il n’a jamais été : « Je suis poursuivi de pensées tristes, écrit-il à Julie[5] ; presque toutes vous sont relatives. Vous n’êtes pas heureuse, votre santé est languissante : à peine êtes-vous rattachée à la vie. Vous l’êtes par un sentiment auquel vous n’avez jamais osé vous livrer tout entière, dont vos remords étouffent une partie et que l’absence va peut-être tout à fait détruire. Je frémis de vous quitter dans cette situation ; mais mon père m’attend ; il y a quinze jours que je devrais être parti… » — « Que vos lettres, dit-il encore, me seront nécessaires ! Les miennes vous le seront-elles de même ? Je les rendrai fréquentes comme si elles l’étaient. Cette occupation remplira bien mal le vide affreux que vont me laisser votre société, votre conversation, l’habitude que j’ai si doucement contractée de vous voir presque tous les jours. Je sens que cet intérêt et l’étude suffiraient à ma vie ; mon ambition s’est éteinte auprès de vous… Jamais mon existence n’a été attachée plus fortement à aucune autre. J’ai eu des sentimens plus vifs, plus tumultueux ; je n’en ai point eu d’aussi doux, et sur lesquels j’aie de même fondé mon bonheur. » Même note sentimentale et même musique de mots au début de l’absence : « Votre pensée[6]m’a occupé ; elle me suivra ainsi demain, après-demain, tous les jours. Devinez les premières lignes que j’ai lues ? Trois ou quatre de vos lettres, que j’ai dans mon portefeuille et qui ont échappé à votre barbare méfiance. Je les ai gardées sans scrupule :


Quiconque est soupçonneux invite à le trahir.


« Adieu, mon amie, je vous écrirai de Rochambeau, de Chanteloup, de partout. C’est pour moi une consolation, un plaisir, un besoin. Je compte, aux mêmes titres, sur votre exactitude.

À cette lettre, point de réponse, non plus qu’à celles qui lui succèdent. Grande est la surprise de Guibert. Dix jours plus tard seulement, le voyageur trouve à Bordeaux un billet « sec et froid, » du ton dont on écrit « à un homme avec lequel on veut rompre tout commerce[7]. » Point de griefs nettement articulés, mais des allusions inquiétantes et de dures épithètes, qui mettent Guibert fort mal à l’aise, comme il appert de sa réplique : « Je ne suis ni si faux ni si malhonnête qu’il vous plaît de me supposer. J’ai été entraîné vers vous et, en même temps que je l’étais, je ne vous ai pas caché ce qui m’attachait, me ramenait malgré moi à un autre objet. Vous avez vu mes combats, mes regrets, mes déchiremens. Cette malheureuse position m’a souvent forcé à des réticences, à des mensonges, si vous voulez les appeler ainsi, dont le principe n’a jamais été que de la délicatesse… Il m’arrive ce que j’avais si tristement et si souvent prévu : vous finissez par me haïr[8]. » La cause de cette rancune, on voit qu’il la soupçonne vaguement ; ce qu’il apprend bientôt achève de lever tous ses doutes : une heure après son départ de Paris, Julie a reçu l’assurance, par une voie restée mystérieuse, que la veille, lorsqu’elle l’attendait, il passait toute l’après-dînée et la soirée entière en tête à tête avec Mme de Montsauge ; c’est au prix d’un mensonge qu’il s’est efforcé de cacher ce rendez-vous suspect. « Je vis donc et je crus, — dit-elle, après avoir fait ce récit[9], — tout ce qui pouvait m’affliger davantage. J’étais trompée, vous étiez coupable, vous veniez dans le moment même d’abuser ma tendresse !… Cette pensée soulevait mon âme ; je me sentais au comble du malheur ; je ne pouvais plus vous aimer ! » Dans son indignation première, elle a fait le serment de cesser à jamais tous rapports avec le perfide, de ne même plus ouvrir ses lettres. Dix jours, elle s’est tenu parole, et si elle rompt aujourd’hui le silence, c’est pour exiger, coûte que coûte, une explication décisive et une confession sans réserve.

Nous possédons la réponse de Guibert[10]à cet ultimatum. Elle est franche et sincère, autant que malhabile, et peu faite, à coup sûr, pour panser la blessure de ce cœur ulcéré : « Que je suis fâché de tout le mal que je vous ai fait ! Je vous en ai fait, je ne prétends pas me justifier. Je vous ai caché que Mme de Montsauge était partie le samedi au soir pour la Bretèche, que je l’avais vue. En effet, elle partit à neuf heures du soir. Je restai jusqu’à cette heure-là avec elle et, vous l’avez deviné, je ne voulus pas en la quittant aller chez vous ; je rentrai chez moi. Je m’étais séparé d’elle avec attendrissement, et cette émotion était venue d’elle ; quelques larmes avaient mouillé mes yeux. Ce n’est plus que de l’amitié, me disait-elle ; mais c’est de l’amitié vive, tendre, telle qu’elle aurait une peine mortelle, si je pouvais jamais l’oublier. J’ai passé une partie de la nuit à m’examiner et à ne pas me comprendre, à sentir que je n’étais pas guéri, et que, cependant, vous m’étiez chère… Quel labyrinthe que mon cœur ! Quel dédale malheureux ! » Suit une dissertation confuse sur des « mensonges » qui sont, dit-il, plutôt des « réticences, » et qui d’ailleurs lui coûtent si fort que, lorsqu’il les profère, « son visage et le fond de sa pensée font en même temps réparation à la vérité. » Il termine par ce trait, plus juste que rempli de tact, et qui blessa au vif la sensibilité chatouilleuse de Julie : « Eh ! grands Dieux, n’y a-t-il pas entre votre situation et la mienne des rapports qui doivent exciter votre indulgence ? Vous m’aimez, et votre âme est remplie de M. de Mora. Si je vous proposais de vous détacher de son souvenir, ce serait vous arracher la vie. Mon amie, nous sommes, vous et moi, d’étranges exemples de l’activité du cœur humain ! »

Le résultat de cette défense fut ce qu’on en pouvait attendre : une lettre foudroyante[11]annonçant une irrémédiable rupture : « Jusqu’à quel point j’ai été égarée et jetée au-delà des bornes de la vertu, et munie de tout intérêt personnel !… Ce sacrifice, mon Dieu, quel en était l’objet ? Un homme qui n’a jamais été à moi, et qui est assez cruel et assez malhonnête pour me dire qu’il m’a faite sa victime, sans m’aimer ! Après avoir trahi la vérité, après m’avoir trompée mille fois, il prend un plaisir barbare à prononcer une vérité qui m’avilit et qui me désespère. Oh ! Ciel, n’y a-t-il point de vengeance ! Faut-il seulement se borner à haïr et à mourir !… » Longtemps, sur ce ton véhément, se poursuit le réquisitoire, passant de l’ardente invective à la plus amère ironie : « En ne me laissant que la ressource du désespoir, vous me dites que je vous dois de l’indulgence, vous vantez la délicatesse de votre sentiment, qui vous faisait me tromper et mentir du matin au soir. Mon Dieu, qu’il est cruel d’entendre une justification qui est un outrage de plus pour moi ! Cette passion, que vous prétendez qui vous ramène toujours à un objet qui y répond si peu, cette passion si forte, si involontaire, vous a pourtant permis d’assurer à quelqu’un que vous n’étiez plus amoureux de cette femme, et que vous aviez l’âme si libre, si dégagée de tout sentiment, que votre désir le plus vif était de vous marier. Comment accordez-vous tout cela ? »

La fin de cette éloquente philippique dénonce un parti arrêté de brûler ses derniers vaisseaux : « Perdez donc cette lettre, suivant votre usage, ou gardez-la, si vous l’aimez mieux, pour la lire à cet objet qui vous est si cher et avec qui vous avez une conduite si délicate. En un mot, faites de ce que je vous dis l’usage qu’il vous plaira. Je ne saurais plus rien craindre de vous. Vous n’avez été vraiment dangereux pour moi que lorsque j’ai pu vous croire sensible et vertueux. Adieu ; si un jour je puis vous coûter un regret et vous faire connaître le remords, je serai vengée[12] ! »

Plus encore, s’il se peut, que cette fougueuse diatribe, les lettres ultérieures font présager la brouille définitive. Après quinze jours de silence et de réflexions, elle a repris possession de son âme, et elle juge les choses de sang-froid : « Je me suis recueillie[13], je suis rentrée en moi-même, je me suis jugée, et vous aussi, mais je n’ai prononcé que contre moi. » Elle voit clairement qu’elle a demandé « l’impossible » en prétendant fixer un homme jeune, séduisant, aimé de toutes les femmes ; elle reconnaît enfin son fol orgueil et son aveuglement ; aussi a-t-elle fait effort sur elle-même pour libérer son cœur d’un amour insensé ; elle croit y avoir réussi : « Non que je cesse jamais d’avoir de l’amitié pour vous et de l’intérêt pour votre bonheur, mais ce sera en moi un sentiment modéré, qui pourra, si vous y répondez, me faire goûter quelques momens de douceur, sans jamais troubler ni tourmenter mon âme. » Si sa main tremble en écrivant ces lignes, sa volonté est ferme et sa sincérité complète. On ne peut lire sans émotion de quelle façon digne et touchante elle dit adieu à ses rêves de bonheur : « Je vous pardonne tout ce que vous pouvez m’avoir dit d’offensant, et j’abjure, avec tout ce qui me reste de force et de raison, tout ce que je vous ai écrit dans les convulsions du désespoir. C’est aujourd’hui que je dépose dans vos mains ma profession de foi : je vous promets, je m’engage à ne plus rien exiger ni prétendre de vous. Si vous me conservez de l’amitié, j’en jouirai avec paix et reconnaissance, et si vous veniez à ne pas m’en trouver digne, je m’en affligerais sans vous trouver injuste. Adieu, mon ami ; c’est l’amitié qui prononce ce nom ; il n’en est que plus cher à mon cœur, depuis qu’il ne peut plus le troubler. »

Qu’elle ressente néanmoins dans toute son étendue la dureté de ce sacrifice, il suffit, pour n’en pas douter, de lire les confidences qu’en ce même temps elle fait à Condorcet[14]. « Quand on est arrivé à ce degré de dégoût qui fait qu’on se demande intérieurement et sans même le vouloir : à quoi bon ? Quand on n’a même plus le désir de changer de disposition et que, sans avoir l’activité de désespoir qui fait qu’on se donne la mort, on sent tous les soirs qu’on serait bien heureuse de ne pas se réveiller, alors, mon ami, on n’a plus le droit de juger rien ; on est de trop dans ce monde. » Si profonde que soit sa tristesse, sa résolution se maintient pendant de longues semaines, non cependant sans combats intérieurs, quelquefois même avec des retours avoués de tendresse. Une indisposition qui, pendant quelques jours, tient Guibert alité la bouleverse et l’affole : « Vous êtes malade, vous avez la fièvre. Oh ! mon ami, ce n’est pas mon intérêt que cela réveille, c’est de l’effroi que cela me cause. Je crois que je porte malheur à ce que j’aime. » Les refus qu’il oppose à l’idée de rupture, quelques phrases d’un accent plus chaleureux que de coutume, la jettent aussi dans des perplexités cruelles : « Remettez-moi dans la bonne route, soyez mon guide. Je n’ose plus vous dire : je vous aime. Je n’en sais plus rien. Jugez-moi ; dans le trouble où je vis, vous me connaissez mieux que je me connais moi-même. » Et quand il touche enfin au terme de son long voyage : « Je n’ose pas désirer votre retour, mais je compte les jours de votre absence. »

Ce retour même et la joie du revoir ne brisent pas, comme on pourrait croire, sa détermination. Elle le reçoit souvent, régulièrement ; les entretiens reprennent leur cours ; elle désire ses visites avec la même ardeur ; mais leur intimité redevient innocente, elle refrène les fougueux transports, elle fuit les dangereux abandons ; et Guibert, étonné, déçu, cherche vainement à triompher de cette vertueuse résistance : « Mon Dieu, pouvez-vous donc toujours regarder l’amour comme un crime ? Pouvez-vous donc toujours ne vous abandonner qu’à demi et passer votre vie à vous déchirer ?… Ne savez-vous pas que l’amour est comme le feu ? Il épure tout ; il n’y a de malhonnêteté que là où il n’est pas. » Cette rhétorique est superflue ; ce n’est point par des raisonnemens qu’il reconquerra sa maîtresse. Mais, pour le malheur de Julie, il dispose d’armes plus puissantes, le charme prenant de sa voix, l’éloquence magique de son verbe, l’irrésistible attrait qui émane de son être ; ou, pour mieux dire, Julie trouve en elle-même, dans sa nature brûlante, dans la passion qui la consume, le poison destructeur de son propre repos. Certain soir, une heure de faiblesse anéantit l’effet d’un long mois de courage ; et l’infortunée, le lendemain, proclamait sa défaite par ce billet énigmatique, que Guibert n’eut sans doute que peu de peine à déchiffrer[15] : « J. n. v… d…. p.. q.. j. v… a…, n. q.. v… m’…. e…… h… d’.. s…….. q.. j. v…… n. p… c…….. D…. m.., p.. s…….., m., a.., q.. v… m’….. ! » (Je ne vous dirai pas que je vous aime, ni que vous m’avez enivrée hier d’un sentiment que je voulais ne plus connaître, Dites-moi, par surcroît, mon ami, que vous m’aimez ! )

Leur liaison, de ce jour, entre dans une phase nouvelle. La honte que lui cause cette rechute, le sentiment qu’elle a de ce qu’elle appelle sa « lâcheté, » arrêteront désormais, sur les lèvres de Julie, les paroles outrageantes, les sanglantes récriminations. La jalousie, sans doute, n’est pas morte en son cœur, et Mme de Montsauge demeure son perpétuel tourment ; mais aux reproches et aux querelles succède une sorte de résignation, quelquefois ironique et toujours douloureuse. C’est sur ce ton qu’elle énumère un jour à son volage ami tout ce qu’elle a appris sur le programme de sa semaine : « Appliquez-vous[16]et écoutez-moi : Lundi, dîner chez M. de Vaines et souper avec Mme de Montsauge ; Mardi, dîner au contrôle général et souper avec Mme de M… ; Mercredi, dîner chez Mme Geoffrin et souper chez Mme de M… ; Jeudi, dîner chez le comte de Crillon, et souper avec Mme de M… ; Vendredi, dîner chez Mme de Châtillon et souper chez Mme de M… ; Samedi, dîner chez Mme de M…, aller à Versailles après dîner, et revenir dimanche au soir passer la soirée avec moi. » C’est à peine si, de temps en temps, il lui échappe un murmure de révolte, aussitôt réprimé : » Vous avez plus d’affaires[17]que la Providence, car vous veillez sur le bonheur de deux personnes. Il faut d’abord que Mme de Montsauge soit contente, et puis je viens après, mais de bien loin, comme de raison ; et je devrais dire comme la Chananéenne : Je me contenterai des miettes qui tomberont de la table de mon maître. Mais, mon ami, cette morale, ce ton de l’Évangile, est d’une bassesse dont il n’y a qu’un chrétien qui puisse se contenter ! Pour moi, qui n’aspire point au Ciel, je ne veux point me nourrir dans cette vie des miettes qui tombent de la table de personne. Bonjour. Si je vous vois, je serai ravie ; si vous ne venez pas, je me dirai : il est mieux qu’avec moi, et cette pensée si douce me calmera sans doute. »


II

Les disputes violentes, les réconciliations presque aussi agitées, dont on vient de lire le récit, ne sont pourtant, dans la liaison de ce couple mal assorti, que de tristes et trop fréquens épisodes. Entre deux périodes de tempête, il se produit des accalmies. Pareillement cultivés d’esprit, pareillement amoureux du beau, ils font alors trêve un moment aux questions personnelles pour revenir à des idées plus hautes, à des occupations plus nobles et plus dignes d’eux-mêmes ; et Mlle de Lespinasse, comme il arrive chaque fois que la passion ne trouble plus son âme, redevient aussitôt l’amie utile et sage, la fine et lucide conseillère qu’admirent tous ceux qui vivent dans son intimité. Au point de cette histoire où nous sommes arrivés, c’est dans le domaine littéraire qu’elle a l’occasion d’exercer, vis-à-vis de Guibert, ses dons charmans de goût, de tact et de bon sens, et elle lui rendrait à coup sûr les plus précieux services, si, par malheur, l’orgueil, le contentement de soi, l’encens de la flatterie, ne contrecarraient trop souvent l’effort de sa clairvoyante affection. Non que Guibert, rendons-lui cette justice, prenne sa franchise en mauvaise part ; il appelle au contraire et provoque ses avis : « J’aime à me faire juger par vous, lui dit-il[18] ; vous savez me critiquer sans me blesser ; votre amitié frotte toujours de miel les bords du vase. » Mais, s’il supporte la contradiction, il n’en fait jamais qu’à sa tête, comme elle l’observe un jour avec un mouvement d’impatience : « Je ne sais pourquoi je vous dis tout cela. Je devrais être rebutée de vous dire mon avis ; vous avez la bonté de l’écouter, mais de le suivre, jamais[19] ! »

La bonne opinion de soi-même qui est le propre de Guibert est, au reste, bien excusable ; je ne sais quel cerveau aurait pu résister aux effets du vin capiteux que lui versait, sans trêve, l’admiration de ses contemporains. C’était l’époque où, laissant pour un temps ses études sur l’art de la guerre, il s’orientait vers la littérature. Une période de paix prolongée ne lui permettant pas d’être un nouveau Turenne, il s’avisait d’être un nouveau Corneille. Tout lui donnait à croire qu’il avait réussi. Sa première tragédie, Le Connétable de Bourbon, colportée par l’auteur de salon en salon, soulevait des transports d’enthousiasme. Les hommes, électrisés, s’épuisaient en applaudissemens ; les femmes tombaient en pâmoison[20] ; les princes du sang royal, le Duc d’Orléans, le Prince de Condé, sollicitaient l’honneur d’une audition particulière ; la Reine elle-même mandait le poète à Versailles, lui faisait lire Le Connétable et s’en déclarait fanatique. L’art extraordinaire du lecteur, la musique de sa voix, ajoutaient sans doute au succès ; mais Voltaire, à Ferney, subissait de loin le même charme, criait également au chef-d’œuvre, proclamait publiquement la pièce « étincelante de beaux vers, » toute « remplie de génie. » Sans d’ailleurs s’endormir sur ce lit de lauriers, » le « sublime écrivain » entreprenait sur l’heure une deuxième tragédie, Les Gracques, dont il espérait des merveilles : « Je commence le second acte, et je suis parfaitement content du premier, annonçait-il sans modestie à Mlle de Lespinasse[21]. Les plus grandes richesses se présentent à moi dans ce sujet. Il y en a qui vous tourneront la tête ! »

Dans ce concert de louanges hyperboliques, Julie est à peu près la seule qui parle librement et qui lui dise la vérité. Sa judicieuse finesse a promptement discerné le point faible de ces ouvrages, le vice qui gâte irrémédiablement les réelles qualités d’éloquence et d’élévation qu’on ne peut refuser aux écrits de Guibert, et elle le reprend sans relâche, avec douceur et fermeté, sur cette incorrection de forme, cette impropriété de termes, cette négligence de versification, qui donnent à ses pompeuses tirades je ne sais quel air d’inachevé, de bâclé et d’improvisé. « Dites-moi, lui demande-t-elle[22], si vous vous accoutumez à vous hâter lentement, si vous vous résoudrez à faire comme Racine, qui faisait difficilement des vers. Mon ami, je vous impose le plaisir de lire, de relire tous les matins une scène de cette musique divine ; et puis vous vous promènerez, vous ferez des vers et, avec le talent que la nature vous a donné de penser et de sentir fortement, je vous réponds que vous en ferez de fort beaux. » Il admet de bonne grâce ces critiques enveloppées et semble accepter ces conseils : « Vous seriez bien contente de moi. Je ne fais quelquefois pas quatre vers par jour. Je me rends fort difficile ; tout ira bien. Mon Dieu, le superbe sujet[23] ! » Mais la nature reprend vite le dessus et, de plus belle, sa plume recommence à « courir la poste, » au grand chagrin de son amie. Une fois que, devant elle, il s’est laissé aller à « de petites et vilaines critiques » sur les faiblesses qu’il trouve dans La Fontaine : « Mon ami, réplique-t-elle avec quelque impatience, soyez difficile pour vous, avec vous, et ayez de l’indulgence pour ce qui est bon ; et surtout pardonnez-moi d’avoir raison[24]. »

Lorsque, en août 1775, à l’occasion des fêtes du mariage de Madame Clotilde, Marie-Antoinette fait jouer Le Connétable au château de Versailles, avec Lekain, Mme Vestris, des costumes, des décors qui coûtent 300 000 livres, Julie refuse nettement de prendre part à cette solennité, pour laquelle tout Paris s’arrache les fauteuils et les loges : « Non, je n’irai point au Connétable : je ne sais plus juger ni jouir de pareils plaisirs ; je prendrai le plus vif intérêt à vos succès, et j’en serai comblée. « C’est que, non sans raison, elle redoute pour Guibert l’épreuve difficile de la scène, et elle le conjure à l’avance de ne jamais l’affronter de nouveau : « J’espère que vous reviendrez cette nuit, écrit-elle le grand jour, soit que vous soyez couvert de gloire ou abattu par un médiocre succès ; mais, quoi qu’il en puisse être, jurez donc de ne plus faire jouer de pièce, au moins celle-ci, qui sera connue, jugée et qui, si elle vient à Paris, ne pourra qu’y perdre[25]. » C’est qu’en effet, quand chacun présage un triomphe, elle est seule à concevoir des doutes : « Si vous êtes[26]dans le comble de la gloire, dites-le-moi, et, si vous n’étiez pas content, c’est à moi qu’il faut le dire aussi, parce que ce qui est vous est plus moi que moi-même. »

D’ailleurs, quand l’événement lui a donné raison, les nouvelles qu’elle reçoit, — la mauvaise humeur de Louis XVI pendant la représentation, le jeu médiocre de Lekain, et le silence glacial qui a suivi le baisser du rideau, — l’affligent plus que l’auteur lui-même, et c’est avec une infinie tendresse qu’elle le console de son échec ; mais elle n’en est que plus ardente à lui déconseiller de renouveler cette dangereuse expérience et d’en appeler du verdict de la Cour à la sentence du grand public. La Reine l’y poussait fort et, enhardi par cet encouragement, il retouchait sa pièce, changeait le dénouement, préparait tout pour une série de représentations nouvelles. La lettre par laquelle Mlle de Lespinasse cherche à le détourner de cette résolution est admirable de logique, de justesse et de sens pratique. Faute de pouvoir la citer tout entière, j’en donne ici quelques fragmens[27] : « Je désapprouve les grands changemens que vous faites dans Le Connétable, et voici mes raisons : remarquez qu’en changeant et bouleversant ainsi cette pièce, elle sera jugée de nouveau et avec plus de sévérité que la première fois, et cela est juste. La première fois, vous aviez cédé à la volonté de la Reine, vous aviez annoncé que vous n’aviez jamais songé à la faire pour le théâtre ; dès lors, voilà l’indulgence établie ; on vous sait gré de toutes les beautés qui sont en foule dans cette pièce, on loue votre talent, et si l’on se permet quelque critique sur le fond ou sur la diction de l’ouvrage, on ajoute : Il ne l’avait pas fait pour être joué. Actuellement, mon ami, vous voilà avec toutes les prétentions d’un auteur : vous êtes donc obligé à beaucoup, car il est bien démontré que c’est pour la faire jouer que vous avez fait tous ces changemens à la pièce, et l’on ne doutera pas que ce soit vous qui ayez engagé la Reine à la redemander… Dans tous les cas, dit-elle plus loin, le seul changement qu’il fallait vous permettre, c’était d’employer tout votre temps à la pureté, à l’élégance et à la noblesse du style ; il fallait que tout le monde, en sortant de votre pièce, dît : Mais je ne la croyais pas si bien écrite, mais il n’y a ni négligence ni incorrection… Au lieu de cela, il y aura un déchaînement affreux, et, quel que soit le changement que vous ferez, je vous réponds qu’il tuera les beautés réelles de l’ouvrage… Mon ami, vous me tueriez que je soutiendrais que j’ai raison. Et puis vous ferez comme vous voudrez : je m’en lave les mains. Mais je ne vous dirai point comme toutes ces dames qui savent louer et point sentir : Ah ! que cela est beau ! Que cela a gagné au changement ! Que cela aura de succès ! Moi je vous répéterai cent fois : non, cela n’aura pas de succès, précisément parce que c’est changé. »

Jamais il ne se vit plus juste prophétie. Jouée devant un public qui avait payé pour l’entendre, la pièce tomba à plat et ne se releva jamais. « Comment avez-vous trouvé Le Connétable ? demandait-on le lendemain à Chastellux. — Je l’ai trouvé d’un changement affreux. Au reste, dès la première fois, il était évident qu’il couvait une grave maladie. » Les salons firent chorus, et les mêmes gens qui naguère la portaient aux nues n’eurent pas assez de quolibets pour la malheureuse tragédie. Dès lors, les rôles s’intervertissent ; c’est au tour de Julie à défendre la pièce contre ses détracteurs, à la défendre avec emportement, jusqu’à risquer la brouille avec certains de ses intimes ; car, avoue-t-elle avec ingénuité, « il me paraissait que c’était le comble de l’injustice et de l’insolence que d’oser vous juger. Je voudrais avoir le droit exclusif de penser mal de vous ! »


III

A prendre aussi chaudement l’intérêt de Guibert, à le soutenir envers et contre tous dans sa mésaventure, Julie avait quelque mérite et témoignait d’une belle obstination dans la fidélité, car elle passait, à cette heure même, par la plus humiliante épreuve qui puisse atteindre une femme dans sa situation : voir l’homme qu’elle aime, chercher, en pleine liaison, à se créer un foyer régulier et passer de ses bras dans ceux d’une épouse légitime. Ce projet de mariage n’était pas, à vrai dire, une nouveauté pour Mlle de Lespinasse : déjà, l’année d’avant, au mois de septembre 1774, l’idée s’était produite avec une certaine persistance. C’était au début du séjour de Guibert dans la demeure de ses parens ; dans une lettre à Julie, il interrompait soudainement les protestations les plus tendres pour tracer un triste tableau de la situation des siens : « Mille peines[28]de détails m’assiègent ; le plaisir de me retrouver dans ma famille a été bien empoisonné. » Et il s’étend longuement sur les soucis dont il est accablé : les édits de l’abbé Terray qui menacent de ruiner son père, ses deux sœurs à marier avec de maigres dots, sa mère malade et inquiète de l’avenir, quelques dettes personnelles « que la vie de Paris augmente insensiblement tous les jours. » Il termine cette navrante peinture par ce trait, jeté en passant, comme d’une main négligente : « Dans la perplexité où je suis, avec l’avenir que j’entrevois, me marier est peut-être le seul moyen d’échapper à mes dettes, d’affermir la fortune de ma famille, de pouvoir lui devenir secourable. On a proposé à mon père des partis assez considérables en province ; je les ai refusés, j’aimerais mieux me tuer que d’habiter la province. » Point de réponse à cette invite ; mais, six semaines plus tard, il revient à la charge avec une plus grande précision : « Mon père[29]ne viendra à Paris que dans le mois de janvier. Il a un projet de mariage pour moi, qui m’établirait dans ce pays-là. Je vous dirai cela ; je vous dirai toute ma situation ; vous me conseillerez, vous me servirez. » Et brusquement il passe à une proposition bizarre : cette héritière qu’il lui faudrait pour refaire sa fortune, pourquoi Julie elle-même ne la lui choisirait-elle pas ? « Si je suis forcé de prendre le parti de me marier, je voudrais que ce fût par vous. »

Sans doute Julie va-t-elle se révolter devant cette étrange ouverture, et l’on attend une scène plus violente encore que celles dont nous avons entendu les éclats. Goûtons cependant la saveur de ces lignes imprévues : « Vous ne devinerez[30]jamais ce qui m’occupe, ce que je désire : c’est de marier un de mes amis. Je voudrais qu’une idée qui m’est venue pût réussir… C’est une jeune personne de seize ans, qui n’a qu’une mère et point de père… On lui donnera en la mariant 13 000 livres de rente ; sa mère la logera, la gardera bien longtemps, parce que son fils est un enfant. Cette fille ne peut pas avoir moins de 600 000 francs, et elle pourrait être beaucoup plus riche. Cela vous conviendrait-il, mon ami ? Dites, et nous agirons. » Si cette affaire échouait, elle connaît une autre famille où l’on serait « heureux d’avoir Guibert pour gendre ; » il est vrai que la fille n’a encore que onze ans, mais « elle est unique et elle sera bien riche. » Après cela, Julie n’est-elle pas fondée à écrire : « Convenez que les Quiétistes et le sensible Fénelon ne pouvaient pas aimer Dieu avec plus d’abnégation ! »

Veut-on connaître le fin mot de cette surprenante complaisance ? C’est que cet échange de propos a lieu pendant la brouille dont j’ai parlé plus haut, au temps où Mlle de Lespinasse se croit trahie et délaissée pour Mme de Montsauge. S’il faut céder la première place dans les affections de Guibert, mieux vaut, pense-t-elle, pour l’occuper une femme légitime qu’une maîtresse, une inconnue que l’ancienne rivale abhorrée. Mais ce calcul ne survit pas aux craintes qui l’ont fait naître ; dès qu’elle reprend un faible espoir de reconquérir l’infidèle, elle change aussitôt de langage et elle use toute son éloquence à détourner des voies matrimoniales celui qu’elle y encourageait naguère : « Mon ami[31], j’en suis plus sûre que jamais : tout homme qui a du talent, du génie, et qui est appelé à la gloire ne doit pas se marier. Le mariage est un éteignoir de tout ce qui est grand et qui peut avoir de l’éclat. Si on est assez honnête et assez sensible pour être un bon mari, on n’est plus que cela. Et sans doute ce serait bien assez, si le bonheur est là ; mais il y a tel homme que la nature a destiné à être grand, et non pas à être heureux. » Or Guibert n’appartient-il pas sans conteste à cette race supérieure ? « Diderot a dit que la nature, en formant un homme de génie, lui secoue le flambeau sur la tête en lui disant : Sois grand homme, et sois malheureux. Voilà, je crois, ce qu’elle a prononcé le jour où vous êtes né ! »

Six mois coulent après cette première alerte, six mois pendant lesquels il n’est plus question de mariage ; Julie, rassurée sur ce point, croit l’affaire enterrée, quand, certain soir de mars, au cours d’une causerie tête à tête, une phrase échappée à Guibert déchaîne une agitation violente. Elle se contient pourtant, mais, dès qu’il l’a quittée, elle se jette sur sa plume, elle lui écrit sur l’heure ce qu’elle n’a pas osé lui dire : « Onze heures du soir, Mardi. Vous souvenez-vous de ces mots : Oh ! ce n’est pas Mme de Montsauge que vous avez à craindre, mais… Et le ton avec lequel ils furent prononcés ! Et le silence qui suivit ! Et la réticence ! Et la résistance ! Mon Dieu, en faut-il tant pour porter le trouble et la douleur dans mon âme agitée ? Joignez à cela le désir que vous aviez de me quitter ; et pour qui étiez-vous si pressé ? Pouvais-je me calmer ? Je vous aimais, je souffrais, je m’accusais. » Vainement, le jour suivant, attend-elle une réponse ; Guibert se tait et fait le mort ; il n’explique pas les paroles ambiguës, il oppose le silence à ces interrogations angoissées. Ce mutisme avive les soupçons ; elle pressent avec certitude qu’il se trame quelque chose, qu’un malheur encore inconnu va fondre sur sa tête ; c’est avec des sanglots qu’elle implore l’aveu redouté : « Mon ami[32], soyez de bonne foi, je vous en conjure. Que faut-il faire pour mériter la vérité ? Dites, rien ne me sera impossible ; écoutez le cri de votre âme, et vous cesserez de déchirer la mienne… Estimez-moi assez pour ne pas me tromper. Je fais serment, par ce qui m’est le plus cher, par vous, de ne jamais vous faire repentir de m’avoir dit vrai. Je vous aimerai du trouble, de la honte que vous m’aurez épargnés ; jamais vous n’entendrez un reproche… Mon ami, songez-y bien, vous seriez bien maladroit et bien malhonnête, si vous manquiez cette occasion-ci de vous abandonner au penchant de votre âme ; songez que, de ce moment, il ne vous est plus permis de me laisser dans l’erreur. Je vous ôte tout prétexte de me tromper, et, si vous m’abusiez, vous seriez trop coupable ! »

Adjuré, pressé de la sorte, Guibert parla enfin ; il lui dit le secret dont elle devait mourir. Son mariage était résolu, l’époque presque fixée. Il épousait Mlle de Courcelles[33], une fille de dix-sept ans, jolie, intelligente, riche et de bonne naissance. Arrière-petite-fille de Dancourt, le célèbre auteur dramatique, elle avait des goûts littéraires et professait par suite une fanatique admiration pour le comte de Guibert. Ce projet de mariage était d’ailleurs presque vieux d’une année ; l’absence mystérieuse de Guibert, au mois de juillet précédent, n’avait d’autre motif qu’une première entrevue ; et si la réalisation avait alors dû être retardée, l’affaire n’était pas moins décidée en principe, et les rapports étaient restés suivis entre Guibert et les Courcelles. Un billet par lui adressé à sa future belle-mère, à la fin de l’automne de 1774, témoigne, dès ce temps, de son intimité dans la maison et de sa galante impatience : « Je suis engagé[34], et j’en ai bien du regret. Je vais voir ces tableaux de Julien[35], avec Mlle de Lespinasse, M. d’Alembert, et je ne sais qui encore. Disposez de moi vendredi et samedi. Mon Dieu, que notre soirée d’hier a été charmante ! Que je serai heureux quand ma vie sera composée de soirées pareilles ! »

Les détails que l’on vient de lire, Julie les ignora longtemps. Guibert lui représenta son mariage comme un simple acte de raison, une union de convenance, presque imposée par sa famille et récemment conclue. Le coup n’en fut pas moins terrible ; il semble qu’elle en fut d’abord comme écrasée. Le premier mot qui sortit de ses lèvres fut pour dire à Guibert : « Nous ne pouvons plus nous aimer ; » le second : « Je ne peux plus vivre. » — « Tout ce que je souffre, tout ce que je sens est inexprimable, écrit-elle le lendemain[36] ; il me paraît impossible de n’y pas succomber. Je sens l’épuisement de ma machine, et il me semble que je n’ai qu’à me laisser aller pour mourir. » Les jours suivans ne sont qu’un long et pénible débat entre son orgueil offensé, qui lui commande de rompre, sa passion, qui le lui défend, les instances de Guibert, qui la supplie de rester son amie, et les scrupules de sa conscience au sujet de son aptitude à se contenter de ce rôle : « Comment voulez-vous[37]que je vous dise si je vous aimerai dans trois mois ? Vous voudriez que, lorsque je vous vois, lorsque votre présence charme mes sens et mon âme, je puisse vous rendre compte de l’effet que je recevrai de votre mariage. Mon ami, je n’en sais rien, mais rien du tout… C’est l’habitude de ma vie, de mon caractère, de ma manière d’être et de sentir, en un mot, c’est toute mon existence qui me rend la feinte et la contrainte impossibles. » — « Je sens bien, reprend-elle encore, que si vous aviez à créer en moi une disposition, vous me formeriez un caractère plus analogue au parti que vous allez prendre. Ce n’est pas de la roideur et de la force qu’on veut trouver dans les victimes, c’est de la faiblesse et de la soumission. Oh ! mon ami, je me sens capable de tout, excepté de plier. J’aurais la force du martyre, j’aurais la force, le dirai-je, oui, la force du crime, pour contenter ma passion ou celle de qui m’aimerait ; mais je ne trouve rien en moi qui me réponde de pouvoir jamais faire le sacrifice de ma passion[38]. »

Si pitoyable est sa détresse, si aiguë sa souffrance, qu’elle en arrive presque à souhaiter l’approche de l’échéance fatale ; dans le fait accompli, peut-être trouvera-t-elle un peu de calme et de repos : « J’attends, je désire votre mariage[39]. Je suis comme les malades condamnés à une opération ; ils voient leur guérison, et ils oublient le moyen violent qui doit la leur procurer. Mon ami, délivrez-moi du malheur de vous aimer. » Toutefois lorsque, le 1er mai, se signe le contrat, ce premier pas dans la voie de l’irréparable amène une crise de désespoir : « Le voilà donc signé[40], cet arrêt ! Dieu veuille qu’il ait prononcé aussi sûrement pour votre bonheur qu’il a prononcé sur ma vie ! Mon ami, je ne puis plus soutenir ma pensée. Vous m’accablez ; il faut vous fuir, pour retrouver la force que vous m’avez ôtée… Ne faites plus rien pour moi. Votre honnêteté, vos bons procédés ne font qu’irriter ma douleur. »

Mille sentimens, mille désirs opposés, se heurtent dans son âme ; elle n’est plus que contradictions. Un certain jour de mai, une folle envie la prend de connaître, de voir celle qui, sans s’en douter, est l’occasion, la cause et l’instrument de son malheur. Elle a su de Guibert qu’il attend chez lui, ce soir même, à sept heures, Mme de Courcelles et sa fille[41] ; elle y arrive quelques instans plus tôt, s’installe pour les attendre, au grand effroi du maître du logis : « C’est donc pour me mettre au supplice, est-il sur le point de lui dire, pour épier mes mouvemens, pour avoir ensuite de quoi vous abreuver de fiel et m’accabler de reproches ! » Rien de tel ; la double visite se passe le mieux du monde. Julie se montre affable, gracieuse, « caressante » même avec la jeune fiancée ; « le langage du Ciel est sur ses lèvres ; » Mlle de Courcelles est « enchantée » de cet accueil ; et Guibert, confondu, touché, reconnaissant, est tenté, comme il dit, de « tomber aux pieds » de Julie et de « lui demander pardon de ses efforts. » Un billet qu’il reçoit quelques instans après ne fait que redoubler sa surprise et sa joie : « J’ai trouvé cette jeune personne charmante, et bien digne de l’intérêt qu’elle vous inspire ; la manière, la figure et le ton de sa mère sont également aimables et intéressans. Oui, vous serez heureux. »

Le lendemain, soudaine volte-face, complet changement à vue. La grâce et la beauté de celle que Guibert a choisie exaspèrent jusqu’à l’injustice le cœur aigri de la femme délaissée, et elle accable l’inconstant sous une avalanche de reproches, contre lesquels il se débat avec une indignation légitime : « Vous me faites de moi, de ma conduite, un tableau qui fait horreur ! s’écrie-t-il[42]. Vous me mettez à côté de Lovelace et de tous les scélérats ! Vous me prêtez gratuitement le projet de vous tourmenter, de dévouer vos jours au malheur, de vouloir vous faire vivre d’une passion qui satisfait ma vanité. Vous dites que j’ai tourné et retourné le poignard dans vos blessures… Ainsi donc, je jouis de vos larmes, de vos convulsions, de vos projets de mourir, et de ce sentiment infortuné qui vous garrotte à la vie. Je m’en repais, et vous me faites l’âme d’un bourreau ! » Contre ces imputations outrageantes, il se défend pourtant avec quelque douceur : « Je me regarde, je descends dans mon cœur, et mon cœur me rassure. Non, je ne suis pas aussi coupable envers vous que vous le supposez… Je vous aime à présent, je vous ai aimée, j’ai été entraîné. J’ai tâché de vous consoler ; j’aurais donné et le donnerais encore de mon sang pour vous ; voilà mes crimes. Relisez mes lettres, jugez-moi, replacez-vous dans toutes les circonstances où étaient votre cœur et le mien, et voyez si je suis un méchant. »

Ces protestations sont sincères. C’est que, dans la réalité, il n’a jamais compris et il ne comprendra jamais les contrastes, les soubresauts, les mouvemens opposés de ce cœur tumultueux, de cette nature nerveuse, délicate et ardente, exaltée jusqu’à la folie, sensible jusqu’à la torture, si différente de celles qu’il a jusqu’alors rencontrées. La sécheresse, l’égoïsme, la « barbarie, » dont Julie l’accusera jusqu’au seuil de la tombe ne sont que la suite et l’effet d’un perpétuel malentendu. Guibert est de bonne foi quand, quelques mois plus tard, il confesse à Julie le trouble où elle jette sa pensée : « Votre âme est tantôt si active et si brûlante, tantôt si froide et si flétrie, toujours si douloureuse et si difficile à manier, qu’on ne sait plus comment traiter avec elle[43]. »

Plus les semaines s’écoulent, plus l’époque du mariage est proche, plus la tête de Julie se monte et plus la fièvre la dévore : Elle réclame constamment Guibert, et elle ne peut supporter sa présence. Chaque parole d’affection est accueillie comme une insulte : « Je veux que vous sachiez qu’il n’est pas en mon pouvoir de souffrir la protection et la compassion. Mon âme n’a pas été façonnée à tant de bassesse ; votre pitié mettrait le comble à mon malheur ; épargnez-m’en l’expression. Persuadez-vous que vous ne me devez rien, et que je n’existe plus pour vous. » Il est décidé que la noce s’effectuera, le 1er juin, au château de Courcelles, situé non loin de Gien, aux confins du Berry ; Guibert, dix jours avant cette date, y doit aller rejoindre sa fiancée La veille de son départ, il reçoit un dernier billet, décousu, presque incohérent, dont chaque mot semble un cri d’angoisse : « Adieu, ne me voyez point[44]. J’ai l’âme bouleversée, et vous ne me calmez jamais. Vous ne connaissez ni le tendre intérêt qui console et qui soutient, ni cette bonté et cette vérité qui inspirent de la confiance et qui rendent au repos une âme blessée et affligée profondément. Ah ! que vous me faites mal ! Que j’ai besoin de ne plus vous voir ! Si vous êtes honnête, partez demain après dîner. Je vous verrai le matin, c’est bien assez. »

A l’instant du cruel adieu, Guibert fit présent à Julie d’une petite bague commandée à son intention, un simple cercle de cheveux, retenus par quelques fils d’or, emblème de l’attachement fidèle qu’il lui gardait dans le fond de son cœur. Elle s’en montra touchée ; l’humble joyau fut, à ses yeux, plus beau et plus précieux, dit-elle, que « le Sancy » et que tous les diamans du Roi. Guibert à peine parti, elle passa la bague à son doigt : « Deux heures après, elle était rompue ! » écrit-elle[45]. Ce minime accident la glaça d’une superstitieuse épouvante ; elle y crut voir un signe mystérieux, le symbole de sa destinée.


IV

« Jour de mon mariage, commencement d’une vie nouvelle. Frémissement involontaire pendant la cérémonie ; c’était ma liberté, ma vie entière que j’engageais. Jamais tant de sentimens et de réflexions n’ont fatigué mon âme. Oh ! quel abîme, quel labyrinthe que le cœur de l’homme ! Je me perds dans tous les mouvemens du mien. Mais tout me promet le bonheur : j’épouse ma femme jeune, jolie, douce, sensible, qui m’aime, que je sens faite pour être aimée, que j’aime déjà[46]. » C’est en ces termes que Guibert, le soir de son mariage, épanche dans son journal intime les impressions, mêlées de trouble et d’espérance, dont il sent son âme agitée. Une semaine plus tard, l’accent est déjà plus joyeux : « Jours passés comme un songe ! C’en est un, en effet, pour moi que cet état nouveau. Amour, amitié, candeur, amabilité de ma femme ! Son âme se développe chaque jour ; je l’aime, je l’aimerai ; je crois fermement que je serai heureux[47]. » Dès lors, sa tendresse conjugale croît, pour ainsi dire, d’heure en heure. Au cours de la première absence que lui impose son métier militaire, ses lettres à sa femme sont celles d’un amoureux plus peut-être que d’un mari : « Être neuf jours sans avoir de tes nouvelles, c’est comme si j’étais à cinquante lieues de toi. Ce sont les silences qui séparent, plus encore que les distances… Ah ! répète-moi sans cesse que tu m’aimes ! Je chéris ces répétitions ; ce désordre est l’éloquence du cœur. » Un peu plus tard : « Ce vilain Lépine ne m’a pas encore envoyé ma, montre, mais j’ai ton portrait. Je puis bien dire comme la duchesse du Maine : l’une marque les heures, l’autre les fait oublier[48].

La comtesse de Guibert était digne en tous points de cette affection passionnée. A la jeunesse, à l’attrait d’un gracieux visage, — dont un portrait de Greuze a perpétué la délicate beauté, — elle joignait une douceur, une patience, une raison précoces, qui devaient l’aider rapidement à exercer sur son fougueux époux une action, presque imperceptible au début, mais aussi forte que durable. Ce n’est pas elle qui l’irritera par des jalousies maladroites. Jamais, dans sa correspondance avec sa mère ou son mari, elle ne prononce le nom de Mlle de Lespinasse, sauf pour lui faire porter un jour, de la part de Guibert, une lettre et une loge de théâtre. Elle se montre remplie d’égards pour Mme de Montsauge, bien qu’elle devine chez cette dernière une sourde antipathie. Le désir de Guibert était que les deux femmes eussent un commerce familier : « Je voudrais que ce que j’aime tienne à mes amis, écrit-il à Mme de Guibert ; c’est un enchaînement dont je pense que je suis le premier anneau. — Je lui pardonnerais de me haïr, si elle était moins aimée de toi, » lui répond-elle doucement[49] ; après quoi, sans plus insister, elle rend visite à Mme de Montsauge, l’invite fréquemment à souper, consent même à faire un séjour dans son château de la Bretèche.

Vertu plus appréciable encore, la comtesse de Guibert ressent pour l’homme dont elle porte le nom une admiration sans mélange, absolument sincère, et qui ne faiblira jamais. Comment Guibert pourrait-il résister à l’atmosphère d’encens qu’il respire constamment au foyer conjugal, lui pour qui l’applaudissement est une nécessité, presque un besoin physique ? C’est ce qui n’échappe point à la pénétration jalouse de Mlle de Lespinasse, quand elle lui parle, avec une amère ironie, de « cette famille toujours à ses genoux, » de ces louanges qui, « matin et soir, caressent son amour-propre. » — « Voilà comme elle vous a attiré, s’écrie-t-elle[50], comme vous vous êtes soumis, et comme vous serez subjugué tout le reste de votre vie ! » Sur ce dernier point, elle voit juste. Par sa foi absolue dans le génie de son époux, au moins autant que par ses exquises qualités, la jeune femme conquiert peu à peu et fixe définitivement ce cœur divers, ce cœur volage ; et c’est avec une entière conviction que Guibert proclamera bientôt sa soumission complète et sans réserve à ce joug aimable et léger : « Charmante et douce créature, le Ciel t’a formée selon le vœu de mon cœur. Il t’a donné pour premier charme la bonté, et ensuite la grâce, plus belle que la beauté, la modestie, la simplicité, la raison ; et tous ces attraits croissent à l’ombre de la vie que tu mènes… Oui, dans quelques années, tu ne seras plus une femme ordinaire, tu seras l’objet exclusif de mon culte ; tous mes autres sentimens seront réunis sur ta tête ; et mes ennemis pâliront d’envie, en me voyant un bonheur qu’ils ne pourront ni m’ôter ni affaiblir[51] ! »


Tandis que s’ébauchait cette édifiante idylle, Julie de Lespinasse, demeurée à Paris dans sa pauvre maison, évoquait en esprit ces scènes déchirantes pour son cœur et se mourait de honte, de désespoir et de remords. Huit jours durant, suivant son expression, elle fut « sans mots ni larmes, » gardant un silence effrayant, que coupaient seuls des accès convulsifs. Plus que jamais, dans cette détresse, son âme se tourne vers Mora ; presque chaque jour elle lui écrit, pour lui raconter sa misère, implorer son pardon, le conjurer de cesser sa vengeance. Ces lettres à un mort sont, pour l’instant, sa seule correspondance. Dix jours après le départ de Guibert, elle a reçu de ce dernier un billet laconique, d’un ton froid et gêné, s’excusant de son abandon, lui conseillant l’oubli. Dans l’état où elle est, ces lignes la mettent hors d’elle-même ; de chaque parole, comme elle l’avoue, elle fait « du fiel et du poison. » Une phrase inoffensive : « Vivez, je ne suis pas digne du mal que je vous fais, » la révolte à tel point qu’elle en est « suffoquée ; » elle y veut découvrir je ne sais quel secret outrage, et, dans ses longues nuits d’insomnie, si elle s’assoupit un moment, elle « se réveille avec effroi, dit-elle, au son de ces horribles mots. » Aussi refuse-t-elle de répondre, et pendant six semaines, elle n’ouvrira même pas les lettres de l’absent. Sans cesse, dans son cerveau fiévreux, revient la même pensée, dont elle fouette sa colère : Guibert ne l’a jamais aimée, elle n’a jamais été que son jouet et sa dupe, ce qu’elle formule un peu plus tard en ces termes sanglans : « Je vous vois aujourd’hui[52]tel que vous êtes. Je vois que vous avez fait une action vile ; je vois que vous n’avez pas craint de me réduire au désespoir, pour me faire servir de remplissage dans un temps que vous vouliez employer à rompre une liaison que vous ne pouviez conserver en vous mariant ; et, pour mettre quelque honnêteté dans vos procédés avec Mme de Montsauge, il vous a peu importé de m’avilir et de me faire perdre le seul bien qui me restait, l’estime de moi-même. »

C’est miracle, à vrai dire, que son corps frêle, déjà presque épuisé, résiste à ces secousses et au régime qu’elle lui impose. Elle ne mange presque plus ; pour éteindre sa fièvre, elle passe quotidiennement plusieurs heures dans le bain ; elle calme ses nerfs affolés avec d’énormes doses d’opium. Sur quoi, en vue de s’étourdir, elle reprend fougueusement l’existence mondaine d’autrefois, soupe en ville, rouvre son salon, court les spectacles avec rage. Quand ces moyens ne suffisent plus et qu’elle sent l’impérieux besoin de soulager son âme, elle prend sa plume et accable Guibert. Car elle s’est enfin décidée à renouer la correspondance : un jour, elle a, — machinalement, dit-elle, — ouvert un paquet de la poste ; c’était une brochure de Guibert, l’Éloge de Catinat, accompagnée d’une lettre de l’auteur. Elle lit, et se détermine à répondre, mais de quel ton et avec quel accent ! Les mots de « haine » et de « vengeance » reviennent presque à chaque page, parmi de cruelles invectives ; à moins qu’elle ne joue la froideur, le détachement hautain : « Souffrez-moi le mouvement d’orgueil et de vengeance qui me fait trouver du plaisir à prononcer que je vous pardonne et qu’il n’est plus en votre pouvoir de me faire connaître la crainte. » Ou encore elle étale un écrasant dédain : « Votre mariage, en me faisant connaître votre âme tout entière, a repoussé et fermé la mienne à jamais. Il a été un temps où j’aurais mieux aimé que vous fussiez malheureux que méprisable ; ce temps n’est plus[53]. »

Cette virulence, ces outrages, ces excès, malgré leur injustice, appellent pourtant le blâme bien moins que la pitié, tant on y sent d’atroce souffrance, et tant ce fracas de colère ressemble à un râle d’agonie. Au reste, peu s’en faut qu’il n’en soit réellement ainsi : le 15 juillet, elle est prise d’une crise si terrible, de spasmes si affreux, de si effrayantes convulsions, qu’on croit sa dernière heure venue. Ses mains, ses bras étaient « tordus et retirés ; » des mots entrecoupés s’échappaient de ses lèvres : « Je mourrai… Allez-vous-en ! » D’Alembert, au pied de son lit, pleurait à fendre l’âme : « Que je suis malheureux de ce que M. de Guibert n’est pas ici ! répétait-il avec égarement. C’est le seul qui pourrait adoucir vos maux ! » Ces paroles, assure-t-elle, lui rendirent la raison : « J’ai senti[54]qu’il fallait me calmer pour rendre le repos et la vie à cet excellent homme. Je me suis fait effort, je lui ai dit qu’il s’était joint une attaque de nerfs à mes douleurs habituelles. » Un violent accès de larmes survint quelques minutes après, provoquant une détente ; un hasard heureux fit le reste, l’arrivée du facteur portant dans sa sacoche deux lettres de Guibert : « Mes mains tremblaient, dit-elle, au point de ne pouvoir les saisir ni les ouvrir. Oh ! pour mon bonheur, le premier mot que j’ai pu lire était : Mon amie. Mon âme, mes lèvres, ma vie sont allées s’attacher au papier ; je ne pouvais plus lire, je ne distinguais rien que des mots détachés, je lisais : Vous me rendez la vie, je respire. Mon ami, c’est vous qui me la donniez. Jamais, non jamais, je n’avais éprouvé un sentiment aussi tendre et aussi passionné ! »

Comme le font présager ces lignes, cette crise aiguë amène un apaisement moral. Elle « ne veut plus, » elle « ne peut plus haïr. » Elle se résigne peu à peu à l’idée, longtemps rejetée, que, sans régner seule sur un cœur, on y peut conserver une place. Le partage, à coup sûr, lui inspire un juste dégoût ; mais, à défaut d’amour complet, elle entrevoit dorénavant la possibilité d’une chaste et innocente tendresse, et cet espoir la rattache à la vie : « Oui, nous serons vertueux, dit-elle avec courage[55], je vous le jure, je vous en réponds. Votre bonheur, votre devoir me seront sacrés ; je me ferais horreur, si je trouvais en moi un mouvement qui pût les troubler. Oh ! mon Dieu, si j’avais pu conserver une seule pensée qui pût blesser la vertu, vous me feriez frémir !… Non, mon ami, vous n’aurez rien à me reprocher… Vous connaissez la passion, vous savez la force qu’elle peut donner à l’âme qu’elle possède. Eh bien ! je vous promets de joindre à cette force toute celle que peuvent donner l’amour de la vertu et le mépris de la mort, pour ne jamais porter atteinte à votre repos et à vos devoirs. Je me suis bien consultée ; si vous m’aimez, j’aurai la force du martyre. »

Un nouveau pacte est conclu sur ces bases, et Guibert, il en faut convenir, sa conscience ainsi en repos, fait paraître une plus tendre et plus attentive affection. Les rôles semblent changés ; c’est lui maintenant qui fait appel aux souvenirs du passé, qui implore des lettres fréquentes, ou qui réclame l’indulgence, de Julie, avec une humilité toute nouvelle : « J’ai des chagrins, des remords ; tout ce que j’ai aimé, tout ce que j’aime, tout ce qui m’a aimé est malheureux. C’est vraisemblablement ma destinée de répandre le malheur autour de moi… Dites-moi un mot, et que ce soit encore celui de mon ami ! » Après un court silence de Mlle de Lespinasse : « Je vous écris sans avoir l’espérance que vous me répondiez, mais je ne me lasserai pas, je vous poursuivrai de mon sentiment, dussiez-vous me mander qu’il vous est un supplice. » Sur une phrase où elle a laissé percer quelque amertume : « Ces mots m’effraient : Je ne vous aime pas partout où vous êtes. Ah ! moi, mon amie, je vous aime partout où je suis, et je ne changerai jamais[56]. » Ces protestations, à vrai dire, sont parfois accueillies par un sourire de doute et d’incrédulité : « Est-il bien vrai ? Avez-vous besoin d’être aimé de moi ? Cela ne prouve pas que vous soyez sensible ; cela prouve seulement que vous êtes insatiable[57]. » Néanmoins, pour le cœur malade de Mlle de Lespinasse, de telles paroles sont un baume bienfaisant, et sa plume retrouve par instans les douces expressions d’autrefois : « Ce qui est la première vérité, c’est que je vous aime avec autant d’âme que si vous aviez fait à mon repos et à mon plaisir le sacrifice de votre bonheur[58]. »

C’est aussi dans ce temps que, par hasard, elle rencontre un jour à Paris Mme de Guibert et sa mère : « J’ai été au-devant d’elles, dit-elle d’un ton de fierté, je leur ai parlé de leurs santés, de leurs talens, enfin j’ose vous répondre que vous entendrez dire que je suis bien aimable, et vous n’en croirez rien. » C’est à peine si cette mansuétude est acidulée d’ironie : « Je deviens parfaite à me faire peur. Je crois que je suis comme le cygne ; son chant de mort est le plus parfait. Enfin, c’est quelque chose. Vous direz : elle est morte mal à propos, c’est bien dommage ! » Quand la saison d’automne a définitivement ramené Guibert vers les bords de la Seine, elle le reçoit chez elle sur le même pied que trois années plus tôt, au début de leur connaissance, fréquemment, publiquement, dans une honnête intimité, qui ne comporte aucun remords.


Si cette situation nouvelle et délicate se maintient jusqu’au bout sans accroc et sans défaillance, c’est à Julie qu’en revient le mérite. Une scène que rapporte Guibert en est le témoignage. Certain soir de novembre, il la trouve seule chez elle ; il vient, sur sa prière, lui rapporter un paquet de ses lettres, des lettres de l’époque récente où la passion déçue parlait le langage de la haine ; avant que de s’en séparer, il réclame la faveur de les relire avec elle ; laissons ici la parole à Guibert : « Jamais, écrit-il[59], l’amour ne m’a enivré à ce point ! Vos lettres, ces mêmes lettres qui devaient me refroidir, le souvenir du passé qui s’est tout à coup présenté devant moi, ma main qui s’est portée sur la vôtre, enfin que pourrai-je vous dire ? Je n’ai plus été maître de moi… » Entre l’homme affolé et la femme éperdue, une querelle, une lutte pour mieux dire, s’est alors engagée, courte, mais violente : « Tout le feu, tout le désordre de la passion était dans mon cœur, et vous, vous me repoussiez par des témoignages de haine et de mépris ! » Pas plus que la brutalité, ni les instances, ni les supplications ne peuvent venir à bout de la résistance de Julie. Confus, humilié, vaincu, Guibert s’enfuit enfin, rentre dans son logis., d’où la nuit même, en termes repentans, il demande grâce pour une heure de folie : « Mon amie[60], par quelles expressions, par quelle conduite, pourrai-je me faire pardonner les mouvemens qui m’ont entraîné ? Vous m’accusez, vous me- condamnez, vous me haïssez, vous me croyez sans morale et sans vertu !… Je meurs de repentir et de regret ; je ne puis point trouver le sommeil ; je suis au désespoir de vous avoir déplu, je ne puis dire offensée ; on n’offense que quand on méprise ou qu’on forme de sang-froid le projet de séduire et d’allumer, et j’étais si loin de ce projet !… Je retarderai mon voyage, j’irai demain me jeter à vos pieds et vous demander ma grâce. Jamais je ne l’ai plus méritée, jamais vous ne m’avez été aussi chère. »

Qui s’attendrait, pour une pareille offense, à une tenace rancune, à une implacable rigueur, démontrerait par là qu’il connaît peu le cœur des femmes. Sans mollir dans sa volonté, sans revenir sur une décision sans appel, Julie, lorsque sa colère est éteinte, ne voit bientôt qu’une chose dans la scène qui l’a bouleversée : la preuve qu’elle est encore aimée. Le billet qui répond à la lettre qu’on vient de lire respire, en même temps qu’un grand trouble, une infinie tendresse : « Je ne sais plus vous écrire[61], je crains de vous parler. Mon âme est à la torture ; je confonds tout, je ne sais plus si c’est le crime ou la vertu qui fait le malheur, je ne sais ce qu’il y a de plus douloureux, des remords ou des regrets… Je vis et, je vous le répète, ce qui me retient à la vie, c’est que je me sens aimée ; ce mot est tombé de mon cœur hier au soir. Vous le voyez, vous m’enlevez à tout ; au bout d’un quart d’heure de votre présence, je reste seule avec vous dans l’univers ; vous anéantissez le passé et l’avenir ; vous n’êtes plus coupable, je ne suis plus malheureuse ! »


V

Une âme moins passionnée que celle de Mlle de Lespinasse se serait sans doute, à la longue, accommodée de ce demi-bonheur ; sur les ruines de l’amour se serait établie une douce et solide amitié. Il n’en peut être ainsi avec la créature ardente et impérieuse qui ne connaît en rien, comme elle l’avoue elle-même, « ni modération ni mesure. » Elle a vu clairement son devoir ; inébranlablement elle y sacrifie son bonheur ; le lien qu’elle a rompu, elle ne le renouera jamais, mais elle se meurt de cette rupture. La saison d’automne et d’hiver qui suit le mariage de Guibert n’est qu’un long appel vers cette mort, dont elle parle comme d’une amie : « Oh ! qu’elle vienne, s’écrie-t-elle[62], et je fais serment de ne pas lui donner de dégoût et de la recevoir au contraire comme ma libératrice ! » — « En m’interrogeant sur ce que je veux, sur ce qui reste pour moi dans la nature, reprend-elle[63], je ne trouve rien à me répondre, sinon ce que demanderait un voyageur bien las : un gîte ; et je vois le mien à Saint-Sulpice. » Un jour qu’elle est plus faible encore que de coutume : « Laissez-moi arrêter, reposer ma pensée, sur ce moment tant désiré, si attendu, et dont je me sens approcher avec une sorte de transport[64]. »

Ce ne sont point propos en l’air, attitude affectée ; elle sent, elle sait qu’elle est atteinte dans les sources mêmes de la vie, que l’incurable mal qui la ronge nuit et jour a passé, comme elle dit, « de son âme à son corps ; » et quand elle a recours aux soins de son médecin, il ne se trompe pas sur la cause de cette effrayante destruction : « Il me répète sans cesse que je suis consumée de chagrin, que mon pouls, que ma respiration annoncent une douleur active, et il s’en va toujours en disant : Nous n’avons point de remèdes pour l’âme. »

Il est rare, au surplus, dans cette dernière période, qu’elle fasse appel aux lumières de la Faculté. Elle a pris le parti de se soigner elle-même, et son unique souci est de se délivrer de la souffrance physique. « Des calmans, » c’est-à-dire des soporifiques, voilà presque son seul remède, dont elle use immodérément et qu’elle s’administre à sa guise, malgré les remontrances de ses meilleurs amis. C’est ce dont la reprend, avec esprit et sans succès, la comtesse de Boufflers : « C’est une chose bien singulière[65]de trouver une personne d’esprit qui redoute les médecins et non les drogues. Vous vous imaginez donc que c’est avec un couteau qu’ils tuent les gens ? Croyez-moi, leurs pilules sont plus malsaines que leur présence ; et quand on se livre une fois aux médicamens, le plus court est de les consulter ; quelque ignorans qu’ils soient, ils en savent encore plus que nous là-dessus. » Nul raisonnement n’a prise sur son obstination, car cette conduite fait partie d’un plan préconçu, et cette phase ultime de sa vie n’est, à vrai dire, qu’un lent suicide, froidement prémédité, accompli sans faiblesse. Elle prend, dès cette époque, toutes ses dispositions dernières, réglant d’avance les détails de son enterrement, indiquant avec minutie ce qu’on doit faire après sa mort, comme de « lui faire ouvrir la tête par un chirurgien de la Charité, » funèbres vœux qu’elle confie à Guibert et qui le glacent d’horreur : « Il faut donc, s’écrie-t-il[66], que vous soyez sans aucune sorte de sentiment pour moi, pour porter ainsi le désespoir dans mon âme ! Mais vous ne l’y portez, pas, dites-vous ; tous mes chagrins ne sont que fugitifs ; mes larmes mêmes ne prouvent rien, j’en ai si souvent versé ! Peu s’en faut que vous n’alliez à dire qu’elles sont fausses ! »

Telle est effectivement l’idée qui la poursuit sans cesse, la seule crainte qui l’agite au seuil de la tombe entr’ouverte : Guibert l’oubliera vite et ne la pleurera pas longtemps. « Oh ! mon ami[67], rien n’est profond, rien n’est de suite en vous. Il y a des jours où la nouvelle de ma mort vous ferait à peine sensation ; et, voyez si je vous connais, peut-être y a-t-il tel moment où vous en seriez accablé. » On voit combien, malgré son anéantissement physique, l’amour subsiste dans son cœur, vivace, indestructible, vainqueur de la souffrance : « Je ne suis plus à moi[68]lorsque je vous vois ; votre présence charme tous mes maux ; alternativement vous me donnez ou vous m’enlevez la fièvre ; à peine sais-je si j’ai souffert. En vous voyant, je n’ai pas besoin que vous m’aimiez ; le Ciel est dans mon âme, je ne juge plus la vôtre, j’oublie que vous êtes coupable, je vous aime ! »


Il est étrange de constater que, dans son entourage, même le plus familier, nul ne soupçonne la réelle origine de cet état qui désole ses amis. Tous attribuent sa langueur, sa faiblesse, son pitoyable amaigrissement, au chagrin qu’elle éprouve d’avoir perdu Mora et la chapitrent à l’envi, avec une affectueuse logique, sur la stérilité des regrets éternels : « Vous vous êtes fait, lui écrit Suard[69], des idées exagérées de passion, qui raniment un sentiment prêt à s’affaiblir et rappellent à votre imagination tout ce qui peut le rendre plus amer et plus durable. Ah ! mademoiselle, je n’aurais qu’un vœu à former : ne soyez pas plus grande que nature ! Laissez-vous aller à ce qui vous attire, ne rappelez pas les souvenirs funestes qui s’enfuient, et consolez-vous de n’être pas inconsolable. » Condorcet, Mme de Boufflers et ses autres amis lui tiennent le même langage, qui la pénètre, à leur insu, d’une humiliation douloureuse. « Ils croient tous[70]que c’est la mort de M. de Mora qui me tue. Mon ami, s’ils savaient que c’est vous, que c’est votre mariage qui a frappé le coup mortel ! Quelle horreur ils auraient pour moi ! Que je leur paraîtrais méprisable ! Ah ! ils ne m’accuseraient ni plus haut ni plus fort que ma conscience. » Et, dans son aversion pour le mensonge, elle est quelquefois sur le point de leur tout révéler : « Je ne sais comment il ne m’est déjà pas échappé vingt fois les mots qui découvriraient le secret de ma vie et de mon cœur ! » Elle se tait cependant ; personne ne lit dans cette âme déchirée. Trente ans plus tard, quand la veuve de Guibert se décide à faire publier les premières lettres de Julie, Mme Suard ouvre le volume ; à peine en a-t-elle lu dix pages, que le livre lui tombe des mains ; elle court chez son mari : « Mon ami, lui crie-t-elle, elle aimait M. de Guibert ! — Oui, répond-il, je viens de l’apprendre. » Et tous deux demeurèrent confondus d’étonnement[71].

Mais celui dont l’aveuglement passe vraiment toutes les bornes, c’est l’ami qui vit sous son toit et qui suit, heure par heure, toutes les phases de son existence. La tendresse passionnée que d’Alembert professe pour Mlle de Lespinasse, la connaissance parfaite qu’il a de sa nature, ne lui laissent aucun doute sur la cause toute morale des maux dont elle est accablée ; mais, n’ayant jamais cru qu’elle eût éprouvé pour Mora autre chose que de l’amitié, il ne peut, comme les autres, mettre sur le compte de ce deuil le dépérissement de Julie. D’autre part, il constate avec un amer désespoir le changement subit et complet qui, depuis quelques mois, s’est produit dans son attitude, dans sa manière d’être avec lui. Ce n’est plus comme naguère, lorsqu’elle tremblait pour les jours de Mora, la froideur, le silence distrait d’une personne absorbée par de tristes pensées, mais une sécheresse, une aigreur de langage et, chaque fois qu’il s’approche, un mouvement de recul qui semble de la répulsion ; c’est ce dont elle s’accuse elle-même dans ce passage d’une de ses lettres à Guibert : « Si je ne vous paraissais pas trop ingrate, je vous dirais que je verrais partir avec une sorte de plaisir M. d’Alembert. Sa présence pèse sur mon âme ; il me met mal avec moi-même ; je me sens trop indigne de son amitié et de ses vertus. »

Faut-il décrire la peine que ressent d’Alembert d’une telle métamorphose ? Jamais pourtant il ne se plaint, et ce n’est que par sa bonté, par sa douceur constante, par son infatigable dévouement, qu’il cherche à regagner le cœur qui lui échappe. C’est à cette date qu’en apportant son portrait à Julie, il inscrit au-dessous ces vers mélancoliques :


De ma tendre amitié ce portrait est le gage ;
Qu’il soit dans tous vos maux votre plus ferme appui,
Et dites quelquefois, en voyant cette image :
De tous ceux que j’aimai, qui m’aima comme lui ?


C’est en vain cependant qu’il se creuse la cervelle ; jamais, dans ses nuits sans sommeil, il ne devine la triste vérité. « Par quel motif, que je ne puis comprendre ni soupçonner, gémit-il au lendemain de la mort de Julie[72], ce sentiment si doux pour moi s’est-il changé tout à coup en éloignement et en aversion ? Qu’avais-je fait pour vous déplaire ?… Aviez-vous avec moi quelque tort que j’ignorais, et que j’aurais eu tant de douceur à vous pardonner, si je l’avais su ? Vous avez dit à l’un de mes amis, qui vous reprochait la manière dont vous me traitiez, que la cause de votre chagrin était de ne pouvoir m’ouvrir votre âme et me faire voir les plaies qui la déchiraient. J’ai été vingt fois au moment de me jeter dans vos bras et de vous demander quel était mon crime ; mais j’ai craint que vos bras ne repoussassent les miens, que j’aurais tendus vers vous. Votre contenance, vos discours, votre silence même, tout semblait me défendre de vous approcher. » S’il est loin, comme on voit, de supposer chez son amie un amour malheureux, à plus forte raison ne songe-t-il pas à soupçonner Guibert. Nous l’avons entendu, lors de la crise où Julie a cru succomber, déplorer candidement l’absence de ce consolateur ; il lui marque, en effet, toujours et en toute occasion, une confiance toute spéciale, une sympathie particulière. « M. d’Alembert vous aime comme si j’y consentais, » dira Julie à son amant avec un demi-sourire[73]. Il lui écrit toutes les fois qu’il s’absente ; s’il est souffrant, il court chez lui pour s’informer de sa santé ; quand la faiblesse cloue Julie dans sa chambre, il tient Guibert au courant des nouvelles, lui porte même parfois des lettres de la malade, dont il met l’adresse de sa main[74]. Une naïveté si surprenante prêterait à la raillerie, si l’on n’était pris d’émotion devant une foi si absolue, une abnégation si touchante, un si généreux dévouement. Il gardera cette belle fidélité au-delà de la tombe ; quand Marmontel, pour l’arracher à sa douleur, lui rappellera un jour l’ingratitude de son amie : « Oui, répondra-t-il en pleurant, elle était changée, mais moi je ne Tétais pas[75] ! »


VI

Les rigueurs de l’hiver ne pouvaient manquer d’aggraver l’état, déjà terriblement précaire, de Mlle de Lespinasse. « J’ai froid, si froid, écrit-elle[76], que mon thermomètre est à vingt degrés plus bas que celui de Réaumur. Ce froid concentré, cet état de torture perpétuelle, me jettent dans un découragement si total, si entier, que je n’ai plus la force de désirer une meilleure disposition. » — « Je gèle, je tremble, je meurs de froid, je suis dans l’eau, reprend-elle peu après. Mon cœur est froid, serré et douloureux, et je dirais comme la folle de Bedlam : il souffre tant qu’il crèvera ! » Aux frissons qui chaque soir glacent le sang dans ses veines, succède chaque nuit une fièvre ardente, qui la tient éveillée jusqu’à l’aube du matin. Puis ce sont des accès de toux et des suffocations, des maux de tête qui la rendent « presque folle. » Aussi, plus que jamais, invoque-t-elle à son aide le dangereux secours de l’opium, dont il lui arrive d’absorber jusqu’à « quatre grains » à la fois : « Pris à cette dose, dit-elle[77], il me calme à la manière dont la tête de Méduse calmait. Je suis pétrifiée, sans mouvement, je n’ai l’usage d’aucune de mes facultés ; ce que je vois n’est plus pour moi que la lanterne magique, et cela est si vrai que, pendant deux heures cette après-midi, il m’aurait été impossible de mettre les noms sur les visages. Oh ! c’est un singulier état que d’être morte toute en vie ! » Vingt fois, à ce régime, elle risque de s’empoisonner, et ses amis, Guibert en tête, perdent leur éloquence à lutter contre cet excès : « Au nom de Dieu, par pitié, la conjure ce dernier[78], si vous m’avez jamais aimé, ne prenez pas cette seconde pilule ! Je ne vous survivrais pas… Vous m’avez dit des paroles qui m’ont fait trembler : ce froid inconnu que vous sentez dans votre cœur… Mon Dieu, Phèdre s’exprime ainsi ! »

Le pire est son affaiblissement graduel. Malgré son énergie, il est bien rare maintenant qu’elle puisse quitter sa chambre, fût-ce pour une course urgente et nécessaire : « Le moyen de penser à se faire transporter là, dit-elle dans une circonstance de ce genre[79], lorsqu’il y a trop loin de mon lit à mon fauteuil. Vous n’avez pas l’idée de l’état de faiblesse où je suis. Je laboure en vous écrivant ; les oreilles me tintent comme si j’allais m’évanouir. » Ces défaillances sont quelquefois suivies de résurrections passagères, d’un fébrile besoin de mouvement, accompagné d’une espèce de fringale : « Vous ne connaissez pas le plaisir de manger jusqu’à la passion ? Eh bien ! j’en suis là depuis douze ou quinze jours ; et les médecins, qui sont des ignorans ou des barbares, prétendent que c’est un mauvais symptôme pour ma poitrine. Si je pouvais calmer ma toux, je ne me soucierais guère de leurs pronostics ! » — « Jamais, dit-elle encore dans une de ces périodes[80], je n’ai eu tant de vie et de force. Le silence, la solitude des nuits me donnent une intensité d’existence que j’aurais peine à décrire. » Dans ces phases éphémères, elle se reprend à l’espérance, elle esquisse des projets d’avenir. L’idée de quitter son logis pour se rapprocher de Guibert[81]la hanta quelque temps ; c’est avec une hâte maladive qu’elle prétendait terminer cette affaire, dont Guibert, trop lentement à son gré, suivait la négociation.

Au reste, si son corps languit, son âme reste active et brûlante. Sans doute sa porte est, la plupart du temps, fermée pour les indifférens et elle ne reçoit plus qu’un nombre assez restreint d’intimes, mais elle se montre avec ceux-ci aussi pleine de vivacité, de grâce et d’éloquence qu’aux plus beaux jours de son fameux salon. « Vous la trouveriez encore intéressante et animée, au milieu de ses souffrances et dans l’affaissement où elle tombe tous les jours, » mande Morellet à lord Shelburne[82], ajoutant qu’un « miracle seul » pourrait l’arracher à la mort. Le mal n’a pas plus prise sur son cœur que sur son esprit, elle aime Guibert avec la même tendresse, la même ardeur et la même amertume. Elle a toujours le même besoin de le voir chaque jour, à toute heure, et elle ne se lasse pas de solliciter ses visites : « Je devrais avoir la préférence, parce qu’il me semble que l’attention se réveille au moment de se quitter ; les soins ne tirent plus à conséquence. C’est ce qui fait que presque tous les agonisans sont aimés et pleures[83]. » Elle s’excuse néanmoins du spectacle affligeant qu’elle est forcée de lui offrir : « Je meurs de regret de la manière dont vous passez la soirée ici, tandis que vous êtes entouré ailleurs de tous les genres de plaisirs. Point de sacrifice, mon ami[84]. »

Ces derniers mots suffiraient à prouver que, si la passion dure encore, la jalousie, son triste corollaire, n’a pas cédé non plus devant les approches de la mort. La pensée des deux femmes qu’elle laissera derrière elle, l’ancienne maîtresse et l’épouse légitime, empoisonne ses derniers instans, et elle attaque souvent Guibert sur les embarras que lui causent tant de diverses affections, qui réclament tour à tour leurs droits : « Que ferez-vous demain[85], mon ami ? Non pas, comme de raison, ce que vous avez dit que vous feriez, mais ce qui plaira à la première ou à la dernière venue[86] ; et cela est juste, car c’est entre les deux qu’est ma place. Que je rendrais grâce au Ciel si, avant que de mourir, je pouvais m’exiler de ce trio ! En vérité, vous les feriez mourir d’humeur, si vous veniez à leur dire la vérité. Moi, vieille, laide, maussade, mourante, figurer avec ce qu’il y a de plus aimable et de plus charmant dans ce pays-ci ! Mon ami, vous avez le goût dépravé. J’en suis bien fâchée pour vous ; car moi je m’en vais, mais vous, vous resterez dépravé. »

Ces tristes ironies ont remplacé les violences d’antan. Janvier a vu leur dernière scène, si terrible, à vrai dire, que, le lendemain, lorsqu’il a repris son sang-froid, Guibert a redouté quelque résolution fatale : « Mon amie, quelle réponse ! a-t-il écrit avec effroi[87]. Je la trouve en rentrant chez moi, et je frémis. L’état dans lequel je vous ai laissée se joint à tant d’horreur, et achève de m’accabler. Vous aviez la pâleur de la mort… Moi, votre bourreau ! Ah ! tue-t-on ce qu’on aime, ce qu’on ne peut se passer d’aimer ? Deux mots, je vous en conjure, je ne respire pas. Ah ! mon amie, vous voulez donc que je pleure en larmes de sang la scène d’hier au soir ? » A dater de ce jour, moitié crainte, moitié compassion, il s’est juré de se contenir, de tout accepter sans révolte, et il nous faut maintenant admirer sa patience. Aux mots amers, aux reproches silencieux, plus pénibles encore, il n’oppose plus que la résignation, le repentir, la douceur suppliante : « Je le sens, je le vois[88], je n’ai plus rien à attendre de vous, mon amie. Le désespoir et le désir de la mort habitent dans votre âme. Vous êtes détachée de tout. Pas une parole de douceur et de bonté n’est sortie de votre bouche depuis trois semaines ; et c’est encore plus votre volonté que votre abattement qui me condamne à ce supplice. Hier encore, vous me disiez que vous me vouliez du bien, et vous ajoutiez : autant que vous m’avez fait de mal. Quel vœu !… Vous m’avez parlé de votre santé, et vous m’en avez parlé avec l’accent du désespoir, comme pour m’accabler ; il semblait que vous voulussiez me dire : Oui, je souffre, et vous êtes mon bourreau, je meurs, et c’est pour n’être plus à portée de vous voir ! » A quelques semaines de là[89] : « Vous avez été hier à mon âme d’une manière terrible ; vos larmes, vos regards éteints, et jamais plus expressifs, me suivront longtemps. Vous me regardiez à peine, sinon vous m’auriez vu presque aussi bouleversé que vous ; je souffrais de vos maux et je pleurais de vos larmes. » Jamais, jusqu’à ce jour, il n’a trouvé d’accens si chaleureux et si vraiment sentis. « Je ne cesse de penser à vous ; je baiserais le seuil de votre porte ; j’y mourrais de douleur si vous me la refusiez ! »

Il fallut les instances répétées de Guibert, jointes aux prières de d’Alembert, pour déterminer la malade à recourir à d’autres soins que ceux du « médecin de sa rue, » dont jusqu’alors elle s’était contentée[90]. Ils proposèrent Bordeu[91], le plus fameux praticien de son temps, et elle s’y résigna, « le poignard sur la gorge, » sans illusion sur le succès de cette consultation. « J’ai cédé à l’amitié en voyant Bordeu, écrit-elle. Avant qu’il soit peu, la même amitié gémira de l’inutilité de ses secours. » Bordeu trouva les poumons attaqués et déclara l’état à peu près sans espoir ; toutefois, affirme Guibert à Julie, « il dit toujours que, si votre âme se détendait, si elle cessait de souffrir, vous guéririez. » Les nouveaux remèdes essayés n’amenèrent point d’amélioration. Les forces déclinaient avec rapidité. Depuis le mois d’avril, elle ne quitte plus son lit. Son cercle se restreint encore : avec Guibert, qui vient matin et soir, et d’Alembert, toujours à son chevet, elle ne reçoit plus guère que Condorcet, Suard et Mme Geoffrin. Cette dernière, relevant à peine d’une forte attaque d’apoplexie, demi-paralysée, presque mourante elle-même, se traîne quotidiennement auprès de son amie, au grand attendrissement de Mlle de Lespinasse : « Quel plaisir douloureux j’ai eu en la revoyant ! s’écrie-t-elle. Ah ! elle m’a fait mal ; j’ai vu sa fin plus près que la mienne. Je n’ai jamais pu me rendre maîtresse de mes larmes ; elles m’ont surmontée devant elle ; j’étais désolée. » Lorsque, au début de mai, Suard dut aller passer quelques semaines en Angleterre, ce fut le cœur navré qu’il fit à Julie des adieux qu’il savait être les derniers : « Ce n’est pas que je la plaigne de mourir, mandait-il de Londres à sa femme[92] ; il y a longtemps que ses amis ne voient dans la prolongation de sa vie qu’une prolongation de malheur ; mais je la plains de souffrir, de languir, d’arriver à une mort prématurée par une longue continuité de douleur et de désespoir. Cette image m’obsède et obscurcit tout ce que je vois. »

Quant à Guibert, telle est son anxiété, que c’est à peine si, dans ce mois de mai, il s’absente une fois quelques heures pour aller à Versailles, où l’appellent ses affaires. Le soir, quand il revient, il apprend que dans la journée la malade a failli succomber dans une crise ; il trouve un billet d’elle qu’elle a intitulé son testament de mort, et dont chaque mot éveille en lui l’épouvante et le repentir : « Votre testament de mort ! Ce mot m’a fait frémir. Hélas ! votre lettre porte en effet l’empreinte de la mort ; ce sont les accens de l’agonie… Je vous aime, mon amie, je vous aime ; ces expressions sortent du fond de mon âme ; mes sanglots les interrompraient si vous étiez là[93]. » C’est à son tour maintenant de faire appel à la pitié : « Votre lettre m’accable ; je ne suis pourtant point aussi coupable que vous l’imaginez. Je vous ai toujours aimée, je vous ai aimée du premier moment que je vous ai connue. Vous êtes tout ce qui m’attire, tout ce qui m’attache le plus au monde. Oui, — il faut le dire, puisque, descendant dans mon cœur, je vois que c’est ma plus intime pensée, — s’il fallait opter entre votre mort et celle de tout ce que je connais, je ne balancerais pas ! »

Il fut un temps où ces protestations, ces cris sortis du cœur, eussent enivré de joie celle à qui ils s’adressent ; mais les souffrances de ce corps exténué sont parvenues au point où elles brisent les ressorts de l’âme, et c’est d’une voix éteinte qu’elle murmure un remerciement : « Je n’ai, en vérité, pas la force de tenir ma plume. Toutes mes facultés sont employées à souffrir. Je suis arrivée à ce terme de la vie où il est presque aussi douloureux de mourir que de vivre. Je crains trop la douleur ; les maux de mon âme ont épuisé toutes mes forces. Mon ami, soutenez-moi, mais ne souffrez pas, car cela deviendrait mon mal le plus sensible. »

Sa « sensibilité, » en effet, reste entière, et les bons procédés ne sont pas perdus pour son cœur. Un soir qu’elle est plus mal que de coutume, Guibert, deux fois dans la même nuit, fait prendre des nouvelles ; cet intérêt la touche aux larmes : « Mais cela est comme vous, sans mesure ! Envoyer la nuit deux fois ! Ah ! le meilleur et le plus léger de tous les hommes ! Oui, calmez-vous, je vous le répète, vous hâteriez mes maux ; les vôtres me font mal, bien mal. — Que je me calme, et vous mourez ! réplique-t-il hors de lui. Votre journée a été affreuse, votre nuit va être terrible… Voyez un médecin, prenez du lait, puisque vous avez le pressentiment qu’il peut vous soulager. Je renvoie chez vous, je veux savoir comment vous vous trouvez. Il sera onze heures et demie ou minuit quand votre réponse m’arrivera ; elle me trouvera éveillé et en larmes… Ah ! mon amie, que ne voyez-vous le fond de mon cœur ? Il vous toucherait, vous ne pourriez plus vous résoudre à mourir[94]. »

Ce funèbre dialogue se poursuivra jusqu’à la dernière heure. Les lettres sont d’ailleurs maintenant le seul lien qui subsiste entre eux, car, depuis la crise que j’ai dite, Julie n’a plus voulu que Guibert entrât dans sa chambre. Mme de La Ferté-Imbault nous apprend le motif de cette interdiction : les convulsions, dit-elle[95], avaient tordu et déplacé ses traits, défiguré entièrement son visage ; et, par une coquetterie touchante, elle répugnait à laisser cette image dans les yeux du seul homme dont le souvenir eût pour elle quelque prix. Au moins compense-t-elle cette rigueur par des billets fréquens, où elle donne cours à sa tendresse. Celui qu’elle écrivit dans l’après-midi du 11 mai devait, sans doute, dans sa pensée être l’adieu suprême ; il y règne une sérénité douce et sans amertume, où l’on sent déjà, croirait-on, l’auguste apaisement de la tombe : « Vous êtes trop bon, trop aimable, mon ami ; vous voudriez ranimer, soutenir une âme qui succombe enfin sous le poids et la durée de la douleur. Je sens tout le prix de ce que vous m’offrez, mais je ne le mérite plus. Il a été un temps où être aimée de vous ne m’aurait rien laissé à désirer. J’aurais voulu vivre ; aujourd’hui je ne veux plus que mourir… Je voudrais bien savoir votre sort ; je voudrais bien que vous fussiez heureux par votre situation, car vous ne serez jamais bien malheureux par votre caractère et par vos sentimens… Adieu, mon ami. Si jamais je revenais à la vie, j’aimerais encore l’employer à vous aimer, mais il n’y a plus de temps[96]. »


VII

Elle eut encore quelques jours de répit, dont elle usa pour achever de régler ses affaires. Son testament désignait d’Alembert pour faire exécuter ses dernières volontés : elle lui écrivit, le 16 mai, une lettre destinée à être ouverte après sa mort : « Je vous dois tout, y lit-on[97]. Je suis si sûre de votre amitié, que je veux employer ce qui me reste de force à supporter une vie où je n’espère ni ne crains plus rien. Mon malheur est sans ressources comme sans consolation ; mais je sens encore que je dois faire effort pour prolonger des jours que j’ai en horreur… » Suivent des dispositions touchant ses manuscrits, ses lettres, ses papiers intimes, et une sorte de codicille contenant des legs qu’elle fait à ses amis : « Adieu, mon ami, conclut-elle. Songez qu’en quittant la vie, je trouve le repos que je ne pouvais plus espérer. Conservez le souvenir de M. de Mora comme de l’homme le plus vertueux, le plus sensible et le plus malheureux qui fut jamais… Adieu, le désespoir a séché mon âme et mon cœur. Ma mort n’est qu’une preuve de la manière dont j’ai aimé M. de Mora ; la sienne ne justifie que trop qu’il répondait à ma tendresse plus que vous ne l’avez jamais pensé. Hélas ! quand vous lirez ceci, je serai délivrée du poids qui m’accable… Adieu, mon ami, pour jamais. »

Cette même semaine vit l’arrivée du marquis Abel de Vichy. Mandé par un pressant message, il accourait vers sa sœur moribonde, pour l’assister jusqu’à son dernier souffle. Très croyant, chrétien pratiquant, il entreprit, seul contre tout l’entourage, de ramener à l’Eglise une âme qui, depuis sa jeunesse, en était éloignée, et son témoignage nous apprend que ses efforts eurent plein succès. « Je l’ai vue expirer, écrira-t-il au comte d’Albon[98], et j’ai été assez heureux pour lui faire recevoir tous les sacremens, en face et en dépit de toute l’Encyclopédie. Elle est morte dans les sentimens les plus chrétiens. » Toutefois l’amour divin, en reprenant ses droits sur le cœur de Julie, n’en chassa point l’amour profane. Guibert, jusqu’à la dernière heure, occupa sa pensée. Ecarté du lit d’agonie par une sévère consigne, il passait ses journées dans la chambre de d’Alembert, faisant à chaque minute demander des nouvelles, suppliant que l’on fît appel à tous les médecins de Paris, tantôt suffoqué par les larmes, tantôt plongé dans un morne abattement[99]. Ce désespoir, rapporté à Julie, portait le trouble dans son âme, en la rattachant, malgré elle, à cette vie qui l’abandonnait. Dans sa furieuse impatience de mourir, elle en arrivait à souhaiter de n’être plus aimée, pour s’en aller plus aisément. C’est sous l’empire de cette idée que, le mardi 21, à quatre heures de l’après-midi, elle demanda son écritoire, et que, soulevant sa main par un suprême effort, en caractères un peu tremblés, lisibles cependant, elle traça quelques mots à l’adresse de Guibert. Voici ce court billet[100], le dernier sorti de sa plume, où, parmi les obscurités d’une pensée déjà vacillante, vibre un suprême écho de cette passion, qui lui valut une heure de joie et deux ans de torture : « Mon ami, je vous aime ; c’est un calmant qui engourdit ma douleur. Il ne tient qu’à vous de le changer en poison, et, de tous les poisons, ce sera le plus prompt et le plus violent. Hélas ! je me trouve si mal de vivre, que je suis prête à implorer votre pitié et votre générosité pour m’accorder ce secours. Il terminerait une agonie douloureuse, qui bientôt pèsera sur votre âme. Ah ! mon ami, faites que je vous doive le repos ! Par vertu, soyez cruel une fois. Je m’éteins. Adieu. »

Ces lignes écrites et cachetées, elle appela d’Alembert ; en quelques phrases à peine distinctes, murmurées plus qu’articulées, elle le remercia humblement de ses bontés, de son long dévouement, lui demanda pardon de son ingratitude. Ce langage, ce ton affectueux, dont il avait désappris la douceur, enhardirent sa timidité ; il tenta de l’interroger, de connaître enfin le secret d’une inexplicable conduite ; mais il était trop tard, elle n’avait plus la force « ni de parler ni de l’entendre[101] ; » ils ne purent que mêler leurs larmes. A l’approche de la nuit, elle eut un long évanouissement ; on la fit revenir avec quelques cordiaux ; elle ouvrit les yeux, se souleva : « Est-ce que je vis encore ? » fit-elle d’un air surpris. Depuis lors, elle ne parla plus. A deux heures après minuit, son souffle léger s’arrêta ; ce triste cœur, ce cœur ardent, cessa de battre et de souffrir.


Le lendemain 23 mai, les obsèques et l’inhumation eurent lieu dans l’église Saint-Sulpice. Son testament, daté de février, portait qu’elle voulait être « enterrée comme les pauvres, sans être exposée sous le porche. » Ce vœu fut respecté, et la cérémonie fut simple autant que brève. Le deuil était conduit par d’Alembert et Condorcet, qui passaient pour les deux amis les plus intimes de la défunte[102]. Guibert, confondu dans la foule, semblait accablé de douleur. Si sincère, si profonde que fût cette affliction, l’amant désespéré ne tua point le littérateur : la nuit même qui suivit[103], il prit sa plume et, d’un seul jet, il composa le long morceau, un peu diffus, ampoulé par endroits, d’ailleurs plein d’intérêt, de flamme et d’éloquence, qui fut publié par la suite sous le nom d’Éloge d’Eliza.

D’Alembert, par malheur pour lui, fut absorbé par d’autres soins. Exécuteur testamentaire, il avait pour premier devoir, d’après l’injonction de Julie, de classer ses papiers, de restituer certaines correspondances, et de brûler le reste. Au cours de cette triste besogne, il tomba sur le manuscrit où elle avait conté l’histoire de ses amours avec le marquis de Mora. Avant de le livrer au feu, il en parcourut quelques pages, et le rouleau s’échappa de ses mains… Ainsi Julie avait aimé Mora, aimé d’une tendresse sans égale, de toutes les forces de son être, avec tout son esprit comme avec toute son âme ! Et lui-même, d’Alembert, sans s’en être douté, avait cessé « depuis huit ans » d’être, comme il le dit, « le premier objet de son cœur[104]. » Pour comble de chagrin, en examinant d’un coup d’œil les liasses de lettres qu’il était chargé de détruire, il s’aperçut que, « dans cette multitude immense, » elle n’avait pas « gardé une seule des siennes. » Une affreuse idée le saisit, dont, plusieurs mois durant, il devait rester obsédé. Depuis longtemps, Julie ne l’aimait plus ; peut-être même jamais ne l’avait-elle aimé ; en tous cas, dans ses affections, il ne venait qu’au dernier rang, après « dix ou douze autres » qu’elle lui préférait sans conteste[105]. Toute sa tendresse, ses soins, ses sacrifices, tout avait donc été en vain. Il avait perdu auprès d’elle « seize années de sa vie ! »

L’indignation, les premiers temps, domina presque l’affliction. Éperdu, suffoqué, il ressentit un irrésistible besoin de soulager son âme en l’épanchant dans celle qui, mieux que toute autre sans doute, lui semblait faite pour le comprendre ; et par une ironie suprême, c’est Guibert qu’il élut pour recevoir ses confidences. Voici les passages essentiels de cette lettre[106], déplorable à coup sûr par le choix du destinataire, émouvante cependant par ce que l’on y sent d’angoisse, de déception et de douloureuse amertume : «… A l’égard de mon ingrate et malheureuse amie, qui l’était de tout le monde excepté de moi, que ne donnerais-je pas, monsieur, pour que votre amitié pour elle et pour moi ne se trompât point dans les assurances que vous me donnez de ses sentimens ! Mais malheureusement pour moi, malheureusement même pour sa mémoire, la voix publique ne s’accorde point avec la vôtre. Je crains bien que vous ne vous y réunissiez, si j’ai la force de vous instruire un jour de mille détails qui ne prouvent que trop combien la voix publique a raison, quoique le public les ignore, et que vraisemblablement vous les ignorez vous-même… Plaignez-moi, monsieur, plaignez mon abandon, mon malheur, le vide affreux que je vois dans le reste de ma vie. Je l’ai aimée avec une tendresse qui m’a rendu le besoin d’aimer nécessaire, je n’ai jamais été le premier objet de son cœur ; j’ai perdu seize ans de ma vie, et j’ai soixante ans. Que ne puis-je mourir en écrivant ces tristes mots, et que ne peuvent-ils être gravés sur ma tombe !… Hélas ! elle est morte persuadée que sa mort serait un soulagement pour moi ; c’est ce qu’elle me disait la surveille de sa mort. Adieu, monsieur, j’étouffe, et je ne puis en écrire davantage. Conservez-moi votre amitié ; elle ferait ma consolation, si j’en étais susceptible ; mais tout est perdu pour moi, et je n’ai plus qu’à mourir. »

Avec le temps, l’irritation tomba et laissa place à la douleur. Ni les consolations que lui prodiguèrent ses amis[107], ni la sympathie du public, ni les distractions du travail, rien ne parvint jamais à vaincre sa tristesse : « Il est profondément blessé, écrit Condorcet à Turgot[108], et tout ce que j’espère pour lui, c’est un état supportable. » Par la suite cependant, il rentra dans le monde, il fréquenta quelques salons ; mais, au sortir des entretiens où sa parole brillante avait ébloui l’auditoire, il retrouvait son affreuse solitude et se comparait aux aveugles, « profondément tristes, dit-il, quand ils sont seuls avec eux-mêmes, mais que la société croit gais, parce que le moment où ils se trouvent avec les autres hommes est le seul moment supportable dont ils jouissent. »

C’est avec cette mélancolie profonde, mais avec un cœur apaisé, qu’il évêque désormais, dans le sanctuaire de sa mémoire, celle qui, malgré ses torts, fut pendant tant d’années le charme, l’intérêt, la douceur de sa vie. Pour nous qui, mieux instruits que lui sur son « ingrate et malheureuse » compagne, avons pu suivre jour par jour les phases de cette existence tourmentée et pénétrer profondément dans les replis de cette conscience, ne devons-nous pas accorder à l’héroïne de cette histoire l’indulgence qu’on ne refuse guère aux créatures humaines dont l’âme intime nous est connue et qu’il nous est loisible de juger d’après leurs sentimens plus que d’après leurs actes ? Elle a gravement péché sans doute, mais elle a cruellement expié ; et si elle a beaucoup souffert, au moins a-t-elle beaucoup vécu. Peut-être ne faut-il ni la condamner ni la plaindre.


SEGUR.

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 avril, 15 juin, 1er juillet, 1er septembre et 15 octobre.
  2. Lettre du 13 novembre 1774. — Édition Asse.
  3. Lettre de 1774. — Edition Asse et Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  4. Lettre de 1774. Ibidem.
  5. Lettre de juillet 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  6. Lettre du 15 août 1774, datée de Chartres. Ibidem.
  7. Lettre de Guibert du 27 août. Ibidem.
  8. Lettre de Guibert du 27 août.
  9. Lettre du 25 août. — Édition Asse. Cette lettre se croisa avec celle de Guibert que j’ai citée plus haut.
  10. Lettre du 31 août. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  11. Lettre du 3 septembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  12. La riposte de Guibert à cette vive attaque manifeste surtout la plus profonde surprise : « Votre lettre m’étonne et m’accable. J’en espérais une qui porterait quelque consolation et quelque plaisir dans mon âme ; vous m’outragez avec une dureté sans exemple !… Vous me parlez de haine, et votre lettre en effet la respire… Adieu, vous me faites connaître les regrets, mais non les remords. C’est sans doute pour la dernière fois que vous m’écrivez. En effet, pour m’outrager, pour me dire que vous me haïssez, il vaut mieux m’abandonner tout à fait. Je m’adresserai à vos amis pour avoir des nouvelles de votre santé. » (Lettre du 10 septembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.)
  13. Lettre du 15 septembre. — Édition Asse.
  14. Lettre d’octobre 1774. — Lettres inédites publiées par M. Charles Henry.
  15. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  16. Lettre du 19 novembre 1774. Ibidem.
  17. Lettre de 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  18. Lettre du 22 octobre 1774. Ibidem.
  19. Lettre du 26 août 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  20. Mélanges de Mme Necker.
  21. Lettre d’août 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  22. Lettre du 27 août 1774. — Édition Asse.
  23. Lettre du 30 septembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert
  24. Lettre du 26 septembre 1774. Ibidem.
  25. Lettre du 26 août 1775. — Édition Asse.
  26. Ibidem.
  27. Lettre du 9 novembre 1775. Ibidem.
  28. Lettre du 9 septembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  29. Octobre 1774. Ibidem.
  30. Lettre du 9 octobre 1774. — Édition Asse.
  31. Lettre du 23 octobre. Ibidem.
  32. Mars 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  33. Alexandrine-Louise Boutinon des Hayes de Courcelles, née en 1758, morte en 1826, fille unique de Marc-Antoine Boutinon des Hayes de Courcelles, commissaire-général des Suisses et Grisons, et de Louise-Charlotte-Françoise Valmalette de Morsan. Marc-Antoine de Courcelles avait une sœur, Thérèse Boutinon des Hayes, mariée à Alexandre Le Riche de la Popelinière. C’est la célèbre Mme de la Popelinière, qui fut par conséquent la tante de la comtesse de Guibert.
  34. Novembre ou décembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  35. Simon Julien, dit Julien de Parme, peintre alors estimé (1736-1800).
  36. Billet écrit à Guibert le lendemain de l’aveu. — Édition Asse.
  37. Lettre de mars 1775. Ibidem.
  38. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  39. Lettre de mars 1775. — Édition Asse.
  40. Lettre du 1er mai 1775. — Édition Asse.
  41. Tout ce qui suit est extrait d’une lettre de Guibert de mai 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  42. Lettre de mai 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  43. Lettre de septembre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  44. Lettre du 21 mai 1775. — Édition Asse.
  45. Lettre du 10 juillet 1775. Ibidem.
  46. Journal de Guibert pendant son voyage en France. — Écrit le 1er juin 1775.
  47. Ibidem, 8 juin.
  48. Lettres de juin et juillet 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  49. Lettres de juin et juillet 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  50. Lettre du 8 novembre 1775. Ibidem.
  51. Journal de Guibert. Passim.
  52. Lettre du 1er juillet 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  53. Lettre du 15 juillet 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  54. Ibidem.
  55. Lettre du 15 juillet 1775. — Édition Asse.
  56. Lettres de Guibert de septembre et d’octobre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  57. Lettre de Mlle de Lespinasse du 26 octobre 1775. — Édition Asse.
  58. Lettre du 18 octobre. Ibidem.
  59. Lettre de novembre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  60. Ibidem.
  61. Novembre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  62. Lettre du 15 octobre 1775 à Condorcet. — Lettres inédites publiées par M. Charles Henry.
  63. Lettre du 18 octobre 1775 à Guibert. — Édition Asse.
  64. Lettre du 3 novembre 1775 à Guibert. — Ibidem.
  65. Archives du château de Talcy.
  66. Février 1776. — Archives-du comte de Villeneuve-Guibert
  67. Lettre du 7 novembre 1775. Ibidem.
  68. Lettre du 7 novembre 1775. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  69. Archives du château de Talcy.
  70. Lettre du 7 novembre 177S. — Édition Asse.
  71. Mémoires de Mme Suard. Passim.
  72. Aux mânes de Mlle de Lespinasse. Écrit le 22 juillet 1776.
  73. Lettre du 10 juillet 1775. — Édition Asse.
  74. Pour plusieurs des dernières lettres de Mlle de Lespinasse, la suscription est de l’écriture de d’Alembert. (Archives du comte de Villeneuve-Guibert.)
  75. Mémoires de Marmontel.
  76. Janvier 1774. — Édition Asse.
  77. Lettre de décembre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  78. Lettre de janvier 1776. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  79. Février 1776. Ibidem. — Il s’agissait de visiter un nouvel appartement qu’elle désirait louer.
  80. Lettre à Suard de 1776. — Archives du château de Talcy.
  81. Guibert logeait alors rue de Grammont, dans une maison appartenant à son, beau-père. L’appartement que désirait louer Mlle de Lespinasse était situé au coin de cette même rue et du boulevard.
  82. Lettre de l’abbé Morellet à lord Shelburne du 12 mars 1776, passim.
  83. Lettre de décembre 1775. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  84. Lettre de mars 1776. Ibidem.
  85. Ibidem.
  86. C’est-à-dire Mme de Montsauge et Mme de Guibert.
  87. Janvier 1776. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  88. Ibidem, — Hiver de 1776.
  89. Avril 1776. Ibidem.
  90. « Il s’appelle M. Sontoul, écrivait-elle à Abel de Vichy, et il demeure rue de l’Université, près la rue de Beaune, à côté du pâtissier. On lui donne trois livres, ainsi qu’à tous les chirurgiens de coin de rue. » (Archives du marquis de Vichy.)
  91. Théophile de Bordeu, né en 1722, mort en 1776, célèbre par sa science, et aussi par ses paradoxes et le cynisme de ses propos. Il déplaisait fort, pour cette raison, à Mlle de Lespinasse.
  92. Lettre de Suard à Mme Suard, 14 mai 1776. — Archives du château de Talcy.
  93. Mai, 9 heures du soir. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  94. Mai 1776. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  95. Souvenirs inédits, passim.
  96. Lettre du 11 mai 1776. — Édition Asse et Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  97. Lettres inédites publiées par M. Charles Henry. — Documens complémentaires.
  98. Lettre du 28 mai 1776. — Archives d’Avauge.
  99. Mémoires de Mme Suard.
  100. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  101. Aux mânes de Mlle de Lespinasse, par d’Alembert, passim.
  102. Acte de décès de Mlle de Lespinasse, publié par M. Asse dans sa notice sur Mlle de Lespinasse et Mme du Deffand. Les frais de l’enterrement, y compris « l’ouverture de la tête » exigée dans le testament, se montèrent au total à 414 livres.
  103. Mélanges de Mme Necker.
  104. Aux mânes de Mlle de Lespinasse. Passim.
  105. Lettre de d’Alembert à Guibert du 29 juin 1776. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  106. Ibidem. — A cette lettre était joint l’envoi d’un petit secrétaire légué à Guibert par Mlle de Lespinasse et dont les tiroirs renfermaient ce qu’elle avait conservé de leur correspondance.
  107. Tous les amis de d’Alembert, en effet, crurent devoir lui écrire pour s’associer à sa peine. Citons parmi les plus illustres de ces consolateurs : Frédéric II, Voltaire, M. et Mme Necker, etc.
  108. Correspondance de Condorcet et de Turgot, publiée par M. Charles Henry.