Jules Janin (Piedagnel)/1

JULES JANIN
ous causions avec l’auteur de la
Fin d’un Monde (il y a de cela une
quinzaine d’années), assis près de
lui, par une belle matinée de juin, sous sa tonnelle
verdoyante, en face d’une table rustique
chargée de livres et de papiers. Jamais le chalet
de Passy ne nous avait semblé plus paisible et
plus riant. Le lierre le couvrait à demi de ses opulentes guirlandes. Pas un nuage dans le ciel bleu ! Partout des gazons pareils à du velours, des fleurs épanouies, et d’épais ombrages doucement agités par une tiède brise, qui caressait à la fois le marronnier centenaire, la rose odorante et les cheveux bouclés et blanchissants de l’ami Horace. L’acacia et le cytise mêlaient leurs grappes nombreuses, incessamment balancées, et la vigilante abeille bourdonnait et butinait alentour.
Ah ! nous ne saurions oublier l’attrayante physionomie du maître ! Étendu dans un large fauteuil de jonc, vêtu de son ample vareuse de drap rouge, la figure illuminée par son rire clair et ses yeux pétillants, il était bien le souverain légitime de cet enviable royaume, et l’on devinait tout de suite que la grâce parfaite, la véritable poésie, la loyauté et l’intime contentement, seraient toujours les hôtes familiers du logis.
En regardant cet honnête homme, ce charmant et vaillant esprit qui mettait sa plus grande joie, son suprême honneur, à écrire d’une main légère et infatigable des pages que tous les délicats se plaisent à relire, nous songions avec émotion à l’éloquente préface de ses Contes du Chalet (ils venaient justement de paraître), et nous nous redisions ces beaux vers, qui racontent si bien, en quelques lignes, toute une vie de travail, semée de bonnes actions, de pures espérances et de petits bonheurs :
Ami des braves gens et content de moi-même :
Un jardin sans épine, un logis sans remords,
Un cortège affligé quand j’irai chez les morts…
La Muse en donne moins au poëte qu’elle aime.
En si petit espace, ô ciel ! tant de bienfaits !
Un si cher compagnon, tant de grâce et de paix !
Ces rayons, cette fleur, ce rêve, cette branche,
Ce balcon si joyeux, ce toit qui rit et penche,
Ce grand œil bleu sur moi doucement arrêté !
Tout ce beau quart d’arpent, pour mon unique usage…
À ces bonheurs, dans leur bonté,
Si les dieux ajoutaient un peu de liberté,
Je n’en voudrais pas davantage !
Tout en parlant, Jules Janin annotait au crayon des volumes et des manuscrits, car il se reposait rarement ; et comme l’entretien roulait sur la magie du souvenir, nous lui dîmes soudain :
« Vous devriez dicter vos mémoires.
— Y pensez-vous ? » Et il se prit à rire joyeusement. « Mes mémoires, grand Dieu ! Je suis, mon cher ami, comme les peuples heureux : je n’ai point d’histoire. Lorsque je ne serai plus, si un homme de loisir et de bonne volonté juge à propos de narrer la vie de l’humble J. J., sa tâche, à coup sûr, ne lui demandera pas des années ! On pourrait se borner à écrire ceci : « Il rédigea fidèlement, pendant… supposons un demi-siècle !… le feuilleton des Débats, et il composa des Contes à la louange de la jeunesse aux dents blanches et des esprits en belle humeur. La goutte le tourmenta souvent ; mais, pour triompher de cette ennemie intime, il avait à ses côtés, Dieu merci ! une compagne intelligente et dévouée, et ses chers livres à portée de la main. »
Et il ajouta, après un court silence : « Quand on a toujours sincèrement honoré les lettres et que l’on possède des amis qui s’appellent Bossuet. Corneille, Molière, Diderot, Horace et Virgile, on est vraiment riche et digne d’envie, car le morne ennui vous demeure inconnu ! »
Puis, prenant parmi les livres ouverts çà et là un mince cahier in-18 : « Tenez, nous dit-il, voici un fragment de ma jeunesse, et l’un des meilleurs, à coup sûr : c’est la préface de mes Contes nouveaux, si vieux aujourd’hui que personne, hélas ! ne les connaît plus. Lorsque j’écrivais ces pages printanières, le diable habitait le fond de ma bourse, tout le long de la semaine et même le dimanche, mais mon cœur débordait d’illusions. Oh ! le beau temps des folles chimères, vêtues d’or et de soie ! C’était en 1832… Ah ! que c’est loin ! Emportez cela, mon ami ; vous le lirez à vos moments perdus. » Alors il nous tendit la brochure jaunie, zébrée de notes griffonnées en tous sens. Et, voyant que nous cherchions à déchiffrer quelques-uns de ces hiéroglyphes, dignes des patients efforts d’un Champollion :
« Oui, fit-il, souriant, j’ai voulu récemment corriger ce fatras. Grâce au Ciel ! je me suis vite aperçu de mon erreur. Cette préface exubérante est remplie d’inexpérience, j’en conviens volontiers ; mais en revanche, ô mon lecteur ! ne garde-t-elle point, je vous prie, ce je ne sais quoi, ce duvet juvénile, cette ineffable senteur d’avril qui pénètre, qui réchauffe, et que rien ne remplace ? Allons, allons, croyez-moi, il ne faut pas toucher à ces choses-là. »


II
ous la relisions, hier encore, cette
préface émue et radieuse, dans
laquelle l’illustre auteur du Livre,
— ce vif esprit toujours prêt, — raconte son
arrivée à Paris, sa pauvreté, ses espérances, ses
veilles fécondes, les mille obstacles qu’il a fallu
vaincre, le rêve enivrant, les petits bonheurs —
si grands ! — de la vingtième année, les
robustes illusions et le travail léger, l’heureuse
insouciance qui console et l’énergie qui
triomphe !… Nous étions de nouveau sous le
charme de cette lecture, et, dans notre pensée attendrie, ressuscitant soudain tout le passé de
cet admirable écrivain, constamment sur la
brèche, et qui a tenu une place exceptionnelle
dans le monde littéraire, nous voyions se
dérouler devant nous cette existence si bien
remplie : tant d’œuvres étincelantes, tant de
probité, de dévouement, et tant d’honneurs
mérités !
En effet, que d’indicibles joies trouvées, durant plus de cinquante ans, dans l’accomplissement de la tâche de chaque jour, et quel noble exemple qu’une telle vie !
Jules Janin, né le 16 février 1804[1] à Saint-Étienne, y commença ses études, et les termina au collège Louis-le-Grand.
Voici, sur ses premiers souvenirs d’écolier, une bien jolie page, absolument inédite :
Quand il parlait de son cher collége de Saint-Étienne, l’ermite de Passy devenait tout joyeux. — « Ma pensée y revient, disait-il, aussitôt que je veux faire un beau rêve ! »
Lorsqu’il dut s’éloigner de sa famille et de ses amis d’enfance, combien son cœur se serra !
Il n’a jamais oublié cette tristesse des premiers adieux :
Le cruel moment de la séparation arriva pourtant[3] — Les trois années passées au no 167 de la rue Saint-Jacques auraient été, en somme, assez monotones, si notre écolier (il allait avoir quinze ans quand il entra dans le vieux collège royal) ne s’était lié bientôt avec quelques condisciples d’élite : Cuvillier-Fleury, Lerminier, Boitard, Sainte-Beuve, et deux ou trois autres encore dont la chaude amitié, depuis, ne lui fit jamais défaut.
À peine sorti de Louis-le-Grand, et ardemment désireux de se créer une petite place au soleil parisien, il se sentit tout à coup bien seul et profondément découragé. Cette ville éternelle est si vaste, et l’égoïsme y règne d’une façon si terrible ! Un tourbillon, ce Paris, une fournaise, et en même temps, hélas ! un immense désert. Ô le triste miracle : on y étouffe et on y gèle !
Il restait donc rêveur, sur le seuil du collège aux murs sombres et couverts de mousse, regardant, accablé, et en quelque sorte frissonnant, « ces joyeux enfants devenus des hommes s’en aller à cheval, en voiture, à pied, dans des maisons toutes préparées pour les recevoir » ; il songeait, avec une inquiétude toujours croissante, à l’avenir si incertain, lorsque, tout au bas de la rue étroite, ô bonheur inespéré ! sa seconde mère apparut. Mais laissons-le lui-même nous dire éloquemment sa joie infinie :
Quels embrassements de cœur à cœur et quelles douces larmes !
Ils se mirent aussitôt en devoir de chercher un abri :
Néanmoins, les voilà enfin installés, cet allègre hiver et ce gai printemps, tout au haut d’une maison de la rue du Dragon, dans un nid « triste, mais décent ; élevé, mais au quatrième ; d’une entrée obscure, mais très-clair ; loué par un huissier, mais à un prix raisonnable ». Quatre ans s’écoulèrent dans ce paisible et modeste logis. Pour vivre, le futur académicien donna d’abord, sans relâche, des leçons à deux francs le cachet, luttant bravement contre la misère, et confiant d’ailleurs en son étoile. N’avait il pas pour auxiliaire la jeunesse, cette fée enivrante qu’il a toute sa vie si poétiquement célébrée ? Écoutez comme il en parle :
Nous trompons-nous ? Ces lignes ne sont-elles point vivantes et ravissantes ? Comme il a su voir, n’est-il pas vrai, tout ce beau cortège de la jeunesse à travers un prisme enchanteur ? Eh bien, cette saine et intarissable gaieté, cette sève d’avril, lui furent d’un puissant secours évidemment ; mais gardons-nous d’oublier que la vieille tante, témoin de son labeur, compagne de sa pauvreté, humble, tendre et ingénieuse consolatrice des heures mauvaises, mérita sans cesse l’ardente reconnaissance du courageux écrivain[5].
Lui, du reste, ne l’oublia pas un seul instant, et, à l’aide du premier argent gagné avec sa plume au Journal des Débats, savez-vous ce qu’il fit ? S’étant adressé à un artiste de grand talent, à Eugène Devéria lui-même, qui comprit bien vite sa généreuse pensée, il le pria de reproduire la douce physionomie de sa Providence en cheveux blancs. Ce portrait de la bonne vieille, de l’amie de l’enfance turbulente et de la première jeunesse pauvre et studieuse, que de fois nous l’avons vu dans le chalet de Passy ! Que de fois nous avons contemplé avec recueillement cette figure colorée et ridée, si franche et si sympathique, encadrée dans un bonnet de blanche mousseline à larges tuyaux !… Jusqu’à la dernière heure il l’a eue sous les yeux. Elle était placée tout près de son lit ; et, au bas de cette chère image, d’une main tremblante d’émotion, il écrivit (le 3 juin 1865) ces vers improvisés par son cœur :
Voici donc le portrait de ma seconde mère,
Ma tante, ange gardien qui mourut centenaire.
Ô toi, qui dans cent ans trouveras quelque jour,
Sur les quais, sur les ponts, au coin du carrefour,
Livrée à tous les vents de bise et d’agonie,
Cette image à bon droit honorée et bénie,
Accepte, ami Passant, par grâce et par raison,
Ce cadre, qui sera l’honneur de ta maison.
Ainsi, dans ton respect et ta reconnaissance,
D’un honnête écrivain j’aurai la récompense.


III
ais, quel qu’en soit le charme, ne
nous attardons pas davantage à ces
souvenirs du printemps. L’espace
nous est mesuré, et il nous reste à dire tant
de choses encore !
Les débuts littéraires de Jules Janin eurent lieu dans le Courrier des Théâtres : il y rendait compte des leçons de M. Villemain. Son entrée au premier Figaro ne tarde guère (1827), et le voilà riche et content — avec cinquante francs par mois ! Un peu plus tard, il devient l’un des rédacteurs de la Quotidienne puis il passe au Messager des Chambres. En novembre 1829, il entre au Journal des Débats, où il fait d’abord de la politique ! Un an après, il y succède à Duvicquet, comme critique théâtral, et, à dater de cette heure fortunée, que de batailles livrées joyeusement, d’une plume alerte et vaillante, et que de victoires à enregistrer ! Chaque semaine, un triomphe nouveau. Il étonne, il attire, il règne, il juge, il enchante, et ses feuilletons du lundi sont attendus avec impatience et savourés par les gourmets. Pendant quarante ans, sans un seul jour de lassitude, ces pages exquises, si vives, si brillantes, si originales et si variées, ont été la fête des lecteurs des Débats, et en même temps l’honneur de ce journal célèbre.
Un pareil succès suffirait à contenter les plus ambitieux de renommée. Eh bien, ce n’est pas tout ! Que de romans pleins de verve et d’élégance (quoique un peu inférieurs, en général, à ses feuilletons), que d’études finement écrites, que de trésors semés d’une main prodigue par ce charmeur inimitable : l’Âne mort, Barnave, la Confession, le Chemin de traverse, la Religieuse de Toulouse, les Gaietés champêtres, la Normandie, la Bretagne, la Fin d’un Monde, l’Amour des Livres, l’Interné, les Oiseaux bleus, les Petits Romans d’hier et d’aujourd’hui, le Talisman, les Contes fantastiques, Rachel et la Tragédie, Debureau, Circé, les Contes du Chalet, les Contes non estampillés, le Livre, les Amours du chevalier de Fosseuse, les Petits Bonheurs, la Poésie et l’Éloquence à Rome au temps des Césars, Paris et Versailles il y a cent ans, la Semaine des trois Jeudis, et la Dame à l’Œillet rouge[6] ! Est-ce tout, cette fois ? Non, pas encore. Il fait à l’Athénée (en 1834) un cours sur l’Histoire du journal en France ; puis il part pour l’Italie, et raconte allègrement son voyage ; il rajeunit Clarisse Harlowe, et se repose de ce travail en habillant Sterne à la française et en allongeant les aventures de Manon Lescaut. Son Histoire de la Littérature dramatique, en six volumes (choix de ses feuilletons du lundi), lui vaut un ravissant article de M. de Sacy, et cinquante autres non moins élogieux. Sa plume, toujours légère et féconde, écrit d’attrayantes et innombrables préfaces[7]. Il fonde la Revue de Paris et le Journal des Enfants ; il collabore, en outre, aux Cent-et un, au Dictionnaire de la Conversation, à l’Artiste, au Diable à Paris, à l’Album de la Mode, aux Français peints par eux-mêmes, et à l’Encyclopédie des gens du monde ; on le rencontre à l’Indépendance belge, sous le pseudonyme d’Éraste, et on le trouve à la même heure à la Revue contemporaine, à la Revue nouvelle, à l’Illustration, à l’Universel et au Musée des Familles. Il donne çà et là des fantaisies, des esquisses, des contes, des articles bibliographiques, des nouvelles ; il publie des portraits littéraires (Lamartine, François Ponsard, Alexandre Dumas ; Béranger et son Temps[8]), ne se lassant jamais de produire, et bien certain que les délicats le suivront partout et toujours !
Hélas ! il faut, bon gré, mal gré, renoncer au plaisir d’analyser ces ouvrages si nombreux, dont une notable partie vivra, car l’esprit y pétille et la grâce y rayonne ! Mais à quoi bon, d’ailleurs ? Vous les avez lues, ces pages charmantes et prime-sautières, et vous les relirez, on peut aisément le prédire. Cependant nous devons nous arrêter au moins quelques minutes devant un chef-d’œuvre incontestable, devant ce tableau si mouvementé, si réussi, qui a pour titre : La Fin d’un Monde et du Neveu de Rameau !
Ce beau livre prouve, en effet, avec quel zèle passionné Jules Janin a ressuscité l’époque, vraiment curieuse, justement appelée la fin d’un monde. Les chapitres, pleins de vie, nous montrent tour à tour les physionomies, les grâces, les originalités, les coutumes, les faiblesses, les erreurs, de ce siècle bizarre, sceptique, élégant, spirituel et frivole. Que de titres riches en promesses toujours tenues, et combien de détails piquants mis vigoureusement en lumière !
Il y a dans ce tome, sur le xviiie siècle, la matière de dix volumes. Et tout cela est vivant, sémillant, finement railleur, poudré, pimpant, énergique, galant, musqué, amoureux, saisissant…, ravissant ! Comme l’illustre écrivain a su comprendre ces singuliers types de philosophes, ces mignons abbés, caillettes à petit collet ; ces irrésistibles comédiennes, ces roués conquérants, ces poëtes enrubannés, ces féroces pamphlétaires, ces adorables duchesses ! Comme il a su peindre et raconter les ballets de l’Opéra, les bruits de l’Œil-de-Bœuf et ceux de la Place Royale, les soupers exquis, le café Procope plein de discussions orageuses et d’épaisse fumée, les fermiers généraux pleins de suffisance, l’étiquette et la fantaisie, les magnifiques processions de Saint-Sulpice, les séances de la Sorbonne et le boudoir de Mlle Duthé, le For-l’Évêque et les racoleurs, l’Almanach royal et les chansons du carrefour, tout ce tumulte, toutes ces malices, toutes ces grandeurs, toutes ces élégances, toutes ces misères, tout ce monde enfin, si complètement disparu !
Tour à tour, avec un esprit infatigable, avec une science profonde, — on jurerait qu’il a vécu de leur temps, — Jules Janin nous parle de Diderot et de Rameau, du Mercure, de l’Encyclopédie, de Lantara, de Mlle Hus et du censeur royal, de la Guimard, du financier Bourette et du marquis de Nesle, des romances de Moncrif et des romans de Mme de Graffigny, du lieutenant civil et du poëte Gilbert, du prince de Conti, de Jean-Jacques Rousseau, de la Dugazon et de Mme de la Popelinière… Le siècle entier y passe, avec ses folies, ses spirituelles gaietés, ses éclairs de génie et le terrible coup de tonnerre final ! L’enchanteur agite sa baguette, et tout s’anime à l’instant : tantôt nous voici éblouis, et tantôt effrayés.
L’historien, mettant ainsi fort ingénieusement en présence le célèbre neveu du musicien Rameau et le philosophe Diderot, continue et complète, avec un art infini, la création étonnante de Diderot lui-même. À côté des pages sombres et énergiques, indispensables, il en existe d’ensoleillées et de joyeuses, dans ce livre qui nous retrace l’étrange et charmante époque où tant de grâce et de vif esprit ont été mêlés à tant de scandales et de légèretés coupables, hélas ! si cruellement punis !
On voit à merveille, en lisant cette étude puissante et colorée, écrite à l’automne de la vie, que l’esprit du maître est demeuré jeune et pétillant, et que sa verve intarissable n’a rien perdu de son originalité. En vain les années ont marché, en vain ce fervent admirateur des vrais chefs-d’œuvre a blanchi, en vain il s’est courbé, en vain la goutte impitoyable l’a condamné, lui, l’ami des ombreux sentiers, à rester immobile dans son vaste fauteuil, on peut l’affirmer, son heureuse passion pour les lettres a jusqu’au bout conservé toute sa force. En dépit de l′âge et de la maladie, l’auteur de la Fin d’un Monde, fidèle à son passé, donne raison à M. Barbey d’Aurevilly, qui a dit excellemment : « Le brillant talent de M. Jules Janin n’a jamais été qu’une jeunesse. Ce talent s’appelle vingt-cinq ans. »


IV
onc, l’été a fui, puis l’automne ;
voici l’hiver ! Croyez-vous que le
maître se repose ? Non, certes. Sur
sa tête il a neigé, mais le cœur est resté jeune.
Pour oublier la souffrance maudite qui l’assiège
trop souvent, il travaille toujours, au contraire,
et il se console de ne pouvoir marcher dans les
allées sinueuses du jardin en traduisant son
cher Horace. Encore un triomphe ! Les éditions
se succèdent, et l’ermite de Passy se met à
traduire Virgile — en vers cette fois. — Il vit,
paisible et honoré, indulgent et cordial, au milieu de ses beaux livres artistement groupés ;
et, sans quitter son fauteuil de cuir, — le
fauteuil où mourut Béranger ! — devenu président
d’honneur du Caveau (en 1866), il
compose gaiement la chanson d’usage, malgré
la goutte qui le tyrannise, et en buvant à
petits coups un grand verre d’eau rougie :
Ô vous dont les grâces parfaites Le fils de Sémélé ne veut pas que je chante |
Vous vouliez une chanson aimable et pimpante, soyez satisfaits ; ce n’est pas plus difficile que cela.
Enfin, le 7 avril 1870, Jules Janin est nommé membre de l’Académie française (ô la juste récompense !)[9] ; il dicte son discours de réception[10], et voilà vingt belles pages de plus. Ajoutons que ce discours, prononcé le 9 novembre 1871, fut très-chaleureusement accueilli.
On comprendra sans peine cet éclatant succès, rien qu’en lisant le passage où le nouvel académicien parle des laborieuses années de la jeunesse de Sainte-Beuve, son prédécesseur, et de ses études personnelles :


V
aguère,
rue de Richelieu (en septembre 1838), le critique des Débats,
tout radieux, découvrait une véritable
tragédienne. La salle, ce soir-là, était presque
déserte. — Quelle bonne fortune pour ce lettré,
une étoile à signaler avec enthousiasme ! Amis,
applaudissez ! Et l’amour, et la haine, et la
majesté, et toutes les violences, et toutes les
séductions, le crime terrifiant, l’exquise tendresse
et l’émotion poignante : c’est elle ! c’est
Phèdre, c’est Athalie, c’est Andromaque, c’est
Pauline, c’est Camille, c’est Chimène !… Voyez ce regard profond, chargé d’éclairs ; admirez
ce geste sobre et éloquent, prêtez l’oreille à
cette voix pénétrante. Saluez, saluez la grande
Rachel !
Plus tard, fidèle à sa noble et chère passion, il met Ponsard en lumière. Il l’encourage, il le protège, il l’aide de toutes ses forces persévérantes ; et, quand le poëte de l’Honneur et l’Argent est frappé par la maladie, il le reçoit à bras ouverts dans sa maison, et l’entoure, jusqu’à la minute suprême, de la plus tendre sollicitude.
M. Camille Doucet, répondant à Jules Janin, lors de son entrée à l’Institut, rappela ce fait si honorable, dans un discours tout rempli de grâce et de spirituelle vivacité :
Les traits les plus saillants du caractère de Jules Janin ont toujours été, incontestablement, l’ardent amour des lettres, auquel nous avons déjà rendu hommage, et (comme l’a si bien dit M. Louis Ratisbonne) son faible pour les vaincus. On sait quel culte il avait pour la famille d’Orléans. Personne non plus n’a oublié les pages admirables qu’il écrivit, dans son Histoire de la Littérature dramatique, à propos de l’exil de Victor Hugo. Et les vers émus et splendides que le grand poëte lui adressa de Guernesey, en guise de remercîment, restent aussi dans toutes les mémoires :
Je dormais, en effet, et tu me réveillas.
Je te criai : « Salut ! » et tu me dis : « Hélas ! »
Et cet instant fut doux, et nous nous embrassâmes ;
Nous mêlâmes tes pleurs, mon sourire et nos âmes.
..................
Et voilà qu’à travers ces brumes et ces eaux,
Tes volumes exquis m’arrivent, blancs oiseaux,
M’apportant le rameau qu’apportent les colombes
Aux arches, et le chant que le cygne offre aux tombes,
Et jetant à mes rocs tout l’éblouissement
De Paris glorieux et de Paris charmant !
Et je lis, et mon front s’éclaire, et je savoure
Ton style, ta gaîté, ta douceur, ta bravoure.
Merci, toi dont le cœur aima, sentit, comprit !
Merci, devin ! merci, frère, poëte, esprit,
Qui viens chanter cet hymne à côté de ma vie[15] !
Jules Janin fut toujours fidèle à ses amitiés. Lisez cet adieu à Théodose Burette, et dites s’il est possible de parler avec plus d’émotion d’un camarade d’enfance :
Et ces lignes, sur une vente après décès, écrites en février 1854, au moment de la mort d’Armand Bertin, directeur du Journal des Débats, le digne fils du vénérable Bertin l’aîné, son « ancien patron », ne sont-elles pas remplies d’une touchante éloquence ?
L’éminent lundiste a prouvé, d’ailleurs, d’une façon peu ordinaire, son attachement à la famille des Bertin et au Journal des Débats.
En 1848, par suite du ralentissement général des affaires, M. Armand Bertin prévint Jules Janin qu’il se trouvait forcé (à son grand regret, bien entendu) de réduire ses appointements à 6,000 francs, ou de lui rendre sa liberté, en ajoutant toutefois qu’il lui laissait quelques jours pour se décider.
Sur ces entrefaites, la direction du Moniteur universel, qui désirait depuis longtemps s’attacher Jules Janin, essaya de profiter de la circonstance et lui offrit un traitement annuel de 24,000 francs, « Impossible, répondit le critique, je viens de passer un nouveau bail avec les Débats. » Et, en effet, il avait écrit déjà ces simples mots à M. Bertin : « Je reste. »
Presque au même instant, le directeur du Journal des Débats, qui avait tout appris, entrait brusquement chez son ami Janin, et, lui sautant au cou, s’écriait, avec des larmes plein les yeux : « Ah ! le brave garçon ! »
N’était-ce pas là un éloge mérité ?
Ajoutons que jamais l’auteur de Barnave ne s’est préoccupé, à l’égard de ses productions, de la question d’argent. « L’essentiel, disait-il, c’est d’être lu par d’honnêtes et bienveillants esprits ! » Et, en guise de traités avec les éditeurs, il se contentait volontiers, d’habitude, d’une parole échangée ou d’un serrement de main.
Lamartine et Béranger aimaient beaucoup leur voisin de Passy et le visitaient fréquemment. Combien d’inconnus ont aussi frappé à cette porte hospitalière ! Combien de lettres de recommandation chaleureuse nous avons écrites, au nom du maître et sous son inspiration ! Que de manuscrits de tout genre (hélas ! souvent fastidieux) ont été lus ou résumés par nous à ce juge excellent, à ce patient auditeur !
Jules Janin n’a jamais refusé de rendre un service ; au contraire, il est sans cesse venu en aide de son mieux, et avec joie, aux pauvres, aux obscurs et aux souffrants. Rappelons un fait entre mille : l’admirable feuilleton qu’il rédigea et le magnifique concert organisé naguère par ses soins, avec le concours empressé de Fanny Elssler, de Mme Damoreau, de Mme Loïsa Puget, de Baillot, de Liszt, de Chopin, de Rubini, de Tamburini… au profit des malheureux inondés de sa ville natale.
Il entoura de louanges respectueuses cet astre dramatique à son déclin : Mlle Mars. Il a pleuré la Malibran et Mme Dorval. Il se plaisait également (comme Sainte-Beuve) à sonner le premier coup de cloche. Ôter les cailloux et les ronces de la route d’un jeune confrère ; mettre en lumière un talent naissant, une œuvre attrayante et saine, c’était pour lui une fête toujours nouvelle et toujours plus charmante. Il a encouragé, applaudi à leurs débuts (citons quelques noms, presque au hasard), le doux poëte Charles Reynaud ; Armand Barthet, l’aimable auteur du Moineau de Lesbie ; les deux frères de Goncourt, ces spirituels érudits ; Joséphin Soulary, pour les beaux sonnets duquel il a écrit une préface en vers, et tant d’autres, qui sont demeurés fiers et reconnaissants de cet indulgent appui.


VI
e
fécond écrivain se préoccupait
fort peu des injustes attaques de la
presse. Lorsque des vaniteux, blessés
d’un jugement sévère, mais équitable, l’injuriaient
dans les journaux, il ne daignait jamais
répondre. Au sujet de Félix Pyat, qui ne lui
pardonna point son compte rendu d’Ango
(un méchant drame qui méritait toutes les
rigueurs de la critique), il disait sagement :
Ses théories politiques, il vous les exposera volontiers :
Ces lignes vigoureuses datent de quarante ans… Ne dirait-on pas qu’elles sont d’hier ?
Les réflexions suivantes intéresseront à coup sûr. Quoi de plus philosophique et de plus poétique en même temps ?
Et, maintenant, voulez-vous savoir comment Jules Janin comprenait les devoirs et les récompenses du critique :
Quels nobles élans ! quel souffle !… Ainsi parlait (vers 1850) l’homme de cœur qui nous écrivait un jour, en nous offrant sa traduction de Clarisse Harlowe : « Ami, j’ai bien travaillé ! » Oh ! oui, certes ; et toujours avec la même conscience, avec la même ardente et honnête passion !


VII
oici quelques lettres, écrites par
Jules Janin, qui permettront d’apprécier
davantage encore son esprit
pétillant et sa réelle bonté.
La première fut adressée à Mlle Rachel, le 30 juillet 1849. Nous la devons à l’obligeance de M. Chesnel, l’un de ces cœurs droits et fidèlement dévoués que le maître se plaisait à nommer les rares amis de l’aurore au couchant !
Le 10 août 1841, M. Constant Janin, étudiant en philosophie au grand séminaire d’Évreux[17], recevait, tout ravi, la lettre suivante, en réponse à des éloges enthousiastes qu’il avait adressés au critique des Débats :
Haud facilem voluit Pater ipse colendi
Esse viam, curis acuens mortalia corda.
La lettre que voici, écrite au courant de la plume comme les précédentes, fut envoyée, en juin 1856, à M. Twist, un horticulteur hollandais :
Nous possédons beaucoup de lettres du maître, remplies à la fois de grâce, d’esprit et d’exquise bienveillance. La première date du 8 février 1855. Le grand critique, alors dans toute sa gloire, nous l’adressa, à Cherbourg, au temps heureux de notre vingtième année, en réponse à un témoignage de fervente admiration ; et (on le croira sans peine) cette cordiale missive nous rendit bien joyeux !
Il nous sera permis d’en citer ici quelques passages :
Et, peu de mois après, insistant de la manière la plus séduisante, il terminait ainsi une

Tous les délicats connaissent à merveille la prose si française et si pétillante de Jules Janin, mais bien peu de personnes savent qu’il écrivait en latin, à l’occasion, d’une façon fort agréable. Nous croyons donc intéressant de publier ici une lettre qu’il nous dicta le 7 février 1872. Le destinataire de cette gracieuse épître, M. Chappuyzi, officier de l’Université, ancien professeur de seconde au lycée Bonaparte, avait offert à l’ami d’Horace une traduction, en vers latins, de plusieurs des célèbres Contes rémois de M. de Chevigné ; c’est en réponse à cet hommage d’un érudit que les lignes suivantes furent improvisées :


VIII
ans
la préface des Gaietés champêtres,
Jules Janin a exposé ses
idées bien arrêtées sur l’art d’écrire :
« À faire un livre, je l’avoue, il faut que je trouve mon compte, à savoir : la peine et le travail, la cadence et la recherche. Il me faut le tour, le détour et le contour. La singularité me convient, la subtilité ne me déplaît pas ; l’excès est un écueil, un bel écueil… C’est le droit de l’écrivain qui ne songe qu’à plaire un instant de chercher avant tout la forme, le son, le bruit, la couleur, l’ornement, la prodigalité, l’excès. »
Il nous répétait souvent : « Mon cher ami, écoutez ce conseil d’un ancien : Rien ne vaut mieux, pour un véritable homme de lettres, que la sainte horreur de la banalité ! »
L’auteur de l’Amour des Livres était d’ailleurs de l’avis de Chateaubriand, qui a dit, non sans raison : « On ne peint bien que son propre cœur, en l’attribuant à un autre ; et la meilleure partie du génie se compose de souvenirs. »
Jules Janin n’a jamais laissé échapper l’occasion de rendre hommage aux vraies gloires littéraires. Cette chaleur d’âme lui a inspiré beaucoup de pages excellentes ; celle-ci par exemple :
Lorsque la souffrance empêchait le fécond écrivain de travailler, il recourait d’ordinaire à la lecture des auteurs classiques ; dans ses dernières années, Bossuet et La Bruyère étaient ses préférés : « Faisons, disait-il souvent en inclinant sa tête blanche, faisons une petite visite à nos maîtres éternels, et saluons-les avec respect ! »
Comme nous lui lisions, cinq ou six mois avant sa mort, quelques chapitres d’un chef-d’œuvre du grand siècle, il s’écria soudain d’une voix sonore et enthousiaste, tandis que sa figure s’éclairait de ce charmant sourire que lui eût envié Horace :
« Ah ! que c’est beau ! Relisons cela, voulez-vous ? C’est plein de soleil ! »
Cette exclamation nous remet en mémoire un fait inédit du temps de sa jeunesse. Il dînait ce jour-là chez M. Chaix-d’Est-Ange. Resté silencieux pendant le repas, il s’anima tout à coup vers la fin de la soirée. On venait de parler de Bossuet, en le critiquant un peu, et Janin, s’étant levé brusquement, plaida, vingt minutes durant, avec une chaleur et une éloquence merveilleuses, la cause de l’immortel évêque. Tous les auditeurs étaient sous le charme. Deux d’entre eux, prenant à part aussitôt le maître du logis, lui demandèrent simultanément :
« Quel est ce jeune homme ? » Nous serions heureux de le connaître et de le recevoir. »
Ces admirateurs de la verve et du caractère de Jules Janin lui vouèrent une amitié qui ne se démentit jamais. Le premier s’appelait M. Thiers[21] ; l’autre, M. Benoît Fould.
L’œuvre la plus caressée par l’ermite de Passy a été, incontestablement, son heureuse traduction d’Horace, saluée d’une louange unanime, et au sujet de laquelle M. Cuvillier-Fleury a publié une étude fort intéressante, dont nous détachons cette jolie anecdote[22] :
Sur un certain nombre d’exemplaires de ce livre, offerts à ses amis, se trouvent de spirituels petits vers qu’il improvisait avec une facilité et une grâce ravissantes[23]. Voici plusieurs de ces dédicaces, que nous avons soigneusement recueillies :
Je viens vous présenter en son habit français
Un Latin de l’ancienne Rome,
Auprès de vous qu’il ait accès,
En qualité de galant homme.
Vous aimerez sa bonne humeur,
Son cœur droit et son âme tendre ;
Il fut plein de sens et d’honneur :
Vous êtes faits pour vous entendre.
De ce triple salut ne prenez point d’ombrage !
Ami, je vous présente un sage
Traduit, mais non pas corrigé.
Il vous dira qu’à la sagesse
On n’est pas toujours obligé ;
Que, chaque mois, à sa maîtresse
On peut fort bien donner congé.
Il aimait le vin, moins l’ivresse ;
Il piquait, mais il était doux.
Il faut qu’on l’aime ou qu’on le craigne.
Il savait… Eh ! ce qu’il enseigne
Pas un ne le sait mieux que vous.
Il vous apprit l’art d’écrire et de plaire,
À mêler l’utile au charmant ;
Vous nous apprenez maintenant
L’art du courage et du bien-faire.
Prenez-la, mon ami, vous qui valez mieux qu’elle.
Pourquoi ? me direz-vous. — Vous êtes plus fidèle[24].
Les bons livres, les vers, l’amour, la liberté,
Tout ce que vous aimez, Horace l’a chanté !
Fille des vieux Latins de Rome et de Corneille,
En lisant ces échos d’un esprit tout romain,
Tu diras : Ces accents ont frappé mon oreille,
Et j’ai porté ma lèvre à cette urne d’airain !
Entre les sages d’ici-bas
Homme heureux, je vous donne un livre
Qui vous apprendrait à vivre,
Si vous ne le saviez pas.
Voici, confrère, un bon garçon,
Compagnon de notre jeunesse !
Il nous chantait à l’unisson
Le vin, l’amour et la paresse.
Il fut votre maître en chanson,
Il est notre émule en sagesse.
La veille de la publication de l’ouvrage (10 avril 1860), Jules Janin, causant avec nous, improvisa gaiement le quatrain que voici :
Piedagnel
Ne fera pas le pied de grue
Au devant de l’Horace, édition incongrue,
Dans laquelle l’abeille a laissé peu de miel !
Le surlendemain, nous accusions réception du livre, en adressant à notre illustre maître les vers suivants, que nous plaçons ici seulement à titre de sincère hommage :
Je viens de lire le volume
Qu’hier vous m’avez envoyé :
Ce Benjamin de votre plume
Mérite bien d’être choyé !
À tout le monde il saura plaire ;
Déjà partout on l’applaudit,
Lui trouvant la grâce et l’esprit
De ses aînés et de leur père.
Vous aimez le divin Horace,
Et vous savez le faire aimer ;
On le voit, vous suivez la trace
De ce maître en l’art de charmer.
Votre Muse a ce qui scintille
Chez ce poëte séduisant,
Et chacun croit, en vous lisant,
Que vous êtes de sa famille.
Même pendant ses accès de goutte il conservait de l’enjouement, et sa physionomie avenante ne laissait deviner qu’aux familiers du chalet les luttes courageuses et opiniâtres qu’il soutenait contre la souffrance.
Vers la fin de 1873, un de ses anciens condisciples vint lui demander, en notre présence, sa photographie, avec un mot de dédicace. Il écrivit aussitôt ces quatre vers :
Ami Charnay, mon camarade !
Nous étions aux mêmes printemps ;
Qu’un de nous sous la faux du Temps
Tombe, hélas ! l’autre est bien malade.
Un matin, comme nous entrions dans sa chambre, il nous tendit un papier sur lequel étaient tracées, au crayon, deux lignes peu lisibles. « Ceci, nous dit-il, est l’épitaphe de mon chien, mort cette nuit. Vous en aurez la primeur :
Glouton, coureur, méchant, lâche et galeux, en somme
Feu mon chien était presque un homme ! »
Cette ironie teintée d’amertume n’était nullement dans ses habitudes ; le fond de sa nature fut toujours l’indulgence à l’égard d’autrui. Il partageait l’opinion de Mme de Staël : « Savoir tout comprendre, c’est savoir tout pardonner ! »
Jules Janin nous témoignait depuis bien des années une confiance et une amitié dont nous étions fier à bon droit. Aussi c’est avec une vive émotion que nous contemplons, tout en rassemblant ici nos souvenirs, le beau portrait au-dessous duquel il a écrit pour nous cette cordiale dédicace :
Abrite, ô mon complice, en ton logis ami,
Ce goutteux, par les ans tout courbé, tout blanchi !


IX
’amour
des livres, cet amour pur,
ardent, fécond, durable et sans mécomptes,
a été célébré par Jules
Janin, en toute occasion, avec le plus séduisant
enthousiasme. Il possédait de si précieux volumes,
et il les aimait tant ! Jamais, à coup sûr,
aucun écrivain ne fut mieux pénétré — ni mieux
entouré — de son sujet favori, et ne donna, par
sa vie tout entière, plus éloquemment raison au
mot si connu de Ménage, en l’honneur du
charmant dada des bibliophiles : « C’est la
passion des honnêtes gens ! »
Quoi de meilleur, en effet, qu’un bon livre pour la nourriture et la joie de l’esprit ? En le lisant, aux heures de fatigue morale, on se sent réconforté, on oublie ses déceptions, ses ennuis ; le calme bienfaisant peu à peu renaît au fond de l’âme, l’œil s’éclaire, le front se déride, et le sourire bientôt refleurit sur les lèvres.
Lorsque, chassées par la bise, les dernières feuilles flétries se sont éparpillées, en tournoyant et gémissant, dans les allées désertes du jardin ; durant les veillées de décembre, tandis que le vent rôde et pleure,
n’est-il pas agréable et salutaire à la fois de
relire un vrai livre, en face des tisons rougis
qui craquent et pétillent, — tout en écoutant la
chanson de la bouilloire ou celle du grillon
familier ?… Et, certes, l’été, sous un ombreux
feuillage, au bruit léger du ruisseau murmurant,
le plaisir n’est pas moindre pour le lecteur
attentif et fidèle ; mieux que jamais, au
contraire, il apprécie tout le bonheur de vivre !
Quelles douces surprises, quelles fêtes intimes, que d’émotions délicieuses on éprouve en ouvrant un beau volume du temps jadis, du xviiie siècle, par exemple (le siècle des élégances) ! La reliure pleine, en veau fauve, ou en maroquin à larges dentelles ; les tranches rouges ou dorées, le papier de Hollande, les caractères elzéviriens, les figures de Gravelot, de Moreau, de Bernard Picart le Romain, ou les vignettes d’Eisen, si délicates et si spirituelles, vous ravissent tour à tour. On croit voir l’heureux auteur de cet ouvrage centenaire ; ou, s’il s’agit de la réimpression d’un classique, le patient lettré qui a enrichi l’édition de notes ingénieuses, de commentaires excellents ; on songe à ses recherches, à ses efforts, à sa persévérance ; on se représente sa joie en découvrant soudain un fait inédit, un détail curieux ; puis on s’incline par la pensée devant l’habile graveur qui a prodigué à son œuvre exquise tant de soins intelligents et passionnés. Le premier possesseur du livre vous apparaît, lui aussi, tout glorieux d’être le maître absolu d’un si bel exemplaire, le feuilletant avec respect, avec admiration, le savourant en quelque sorte, et demandant à ce compagnon docile l’oubli de ses chagrins de la veille et de ses soucis du lendemain !…
Mais écoutez plutôt Jules Janin lui-même parler des livres, avec une autorité incontestable, avec un charme infini[25] :


X
ombien
l’éminent lettré se plaisait
dans son merveilleux cabinet de
travail, au milieu de ses chers livres,
si savamment, si royalement habillés par des
artistes tels que Capé, Niédrée, Duru et
Trautz-Bauzonnet ! D’un regard amoureux,
attendri parfois, il contemplait, sans se lasser,
cette nombreuse et brillante réunion d’amis :
de poëtes, d’historiens, de philosophes, d’orateurs,
de romanciers, de critiques… Les volumes
multicolores, bien alignés dans quatre vastes
bibliothèques en chêne sculpté, semblaient reconnaissants d’une si vive affection et des
hommages sincères qui leur étaient rendus. On
eût dit, à les voir par un jour de soleil, qu’avec
leur maître ils échangeaient des sourires !
« J’ai, sous mon humble toit, la Pharmacie de l’âme ! » s’écriait volontiers Jules Janin. Et, en effet, autour de lui rayonnaient les œuvres des plus illustres, des plus aimables écrivains de tous les temps (6,000 tomes environ[26]), dans leurs éditions originales, sur les papiers les plus précieux, et ornées des gravures les plus rares : la Bible en latin, d’Ambroise Didot (1785), et la traduction de Le Maistre de Sacy, enrichie des figures de Marillier ; le Nouveau Testament, traduit par MM. de Port-Royal, imprimé par les Elzévir, en 1667, et relié par Du Seuil ; l’Imitation de Jésus-Christ, mise en vers français par Pierre Corneille, édition de Rouen, 1656 ; la Journée du Chrétien, aux armes de Mme de Pompadour ; l’Alcoran de Mahomet, traduction de Du Ryer (à la Sphère, 1649) ; Homère, Anacréon, Sapho, Bion et Moschus, Pindare et Théocrite, non loin des dignes prédécesseurs du doux poëte des Bucoliques : Catulle, Tibulle et Properce ; le Virgile Elzévir de 1636, et le Lucrèce traduit par Lagrange, en 1768 ; Horace, en vingt-cinq éditions ! Ovide, Juvénal, Perse et Lucain ; Quintilien, Cicéron et Démosthène ; la Mesnagerîe de Xénophon, aux armes de M. de Thou ; la collection des poëtes français de Coustelier, comprenant les œuvres de Guillaume Cretin, de Jean Marot, Coquillart, Martial d’Auvergne et Villon ; le Démon travesty, découvert et confus (1673), et le Faut mourir (1693), deux poëmes de Jacques Jacques, offerts par l’excellent bibliophile Jacob ; les Douze Pairs, édition Paulin Pâris ; les Quinze Joyes de mariage (1734) ; le Clément Marot de 1538, le Joachim Du Bellay de 1568, le Bertaut de 1620, et Baïf, et Philippe Desportes, et Ronsard ! N’oublions pas le Regnier de 1652, qui a successivement appartenu à Nodier, à M. Guilbert de Pixérécourt, l’auteur du vers fameux :
Un peu plus loin, derrière ces glaces éblouissantes, à côté d’un splendide Rabelais, voici Henri Estienne, la Satyre Ménippée, et le Montaigne de 1580, le Bonaventure Desperriers, de Jean Detournes (1544), et les Cent Nouvelles nouvelles, de 1701. Les Contes de La Fontaine, édition des Fermiers généraux, tiennent compagnie au Décaméron (1558) et à l’Heptaméron (1559). Après avoir admiré ce Despréaux Elzévir, relié par Thouvenin, et placé, à portée de la main, tout auprès des Oraisons funèbres, inclinons-nous devant Corneille, Molière, Racine, La Rochefoucauld, La Bruyère, Pascal et Massillon. Saluons aussi ces célèbres épistoliers : Guy Patin, Balzac, Voiture, et, surtout, l’inimitable marquise de Sévigné !… Que de merveilles ! Le Plutarque, imprimé par Vascosan (1567-74), et relié par Derôme, les poésies de Charles d’Orléans, les Marguerites de la Marguerite (1547), exemplaire donné par la reine Marie-Amélie ; Lope de Vega. Calderon, Shakespeare et Schiller ; le Voyage sentimental, Gil Blas et Beaumarchais ; Paul et Virginie et la Chaumière indienne, illustrés par Tony Johannot et Meissonier ; Don Quichotte, les Contes de Voltaire et Manon Lescaut ; Clarisse Harlowe, avec vingt dessins originaux de Boucher ; Daphnis et Chloé (édition du Régent) ; le Cabinet des Fées, aux armes de Mesdames, tantes du Roi ; le Cabinet satirique, les Chansons de Laborde, dont les nombreuses gravures sont si justement célèbres, et cet antique Missel, chef-d’œuvre de patience et d’originalité naïve, sur lequel le peintre en miniature, après avoir fini son long travail, improvisait un distique latin traduit ainsi, librement, par l’ami du divin Horace :
Pour tant de peine et de labeur,
Que ne puis-je avoir du Prieur
La plus vieille bouteille,
Et pour la boire, une beauté vermeille !
Gardons-nous de dédaigner la tablette voisine ! Elle est toute remplie de l’esprit, de la grâce et de la gaieté du xviiie siècle : La Fare et Chaulieu, Dorat (avec les vignettes d’Eisen), Gentil Bernard et Gresset, Berlin, Léonard et Parny ! Ah ! les aimables enchanteurs, les joyeux compagnons, les élégants poëtes !… En tête des œuvres du chevalier de Berlin, reliées en maroquin vert, on lit ce memento, signé J. J. (délicieux spécimen des annotations que le maître se plaisait à écrire sur ses livres préférés) :
Aimer est un destin charmant :
C’est un bonheur qui nous enivre
Et qui produit l’enchantement.
Avoir aimé, c’est ne plus vivre,
Hélas ! c’est avoir acheté
Cette accablante vérité,
Que les serments sont un mensonge,
Que l’amour trompe tôt ou tard,
Que l’innocence est un grand art
Et que le bonheur est un songe.
Paul Lacroix (on le voit de reste) avait raison d’appeler son ami Janin le bibliophile du cœur !
Quelle variété ingénieuse dans la collection splendide de cet amateur passionné ! Des incunables, des Aldes, des Estiennes, des Elzévirs, des ouvrages à figures… Et, parmi les modernes, quel heureux choix ! Que de trésors pour l’esprit et pour l’âme !… Toutes les illustrations contemporaines de bon aloi sont représentées, dans le cabinet du maître, par leurs œuvres imprimées sur des papiers de luxe, et notamment sur chine, avec addition, tantôt de dessins originaux, tantôt de portraits rarissimes et d’épreuves de gravures avant la lettre.
Un grand nombre de ces beaux volumes, sortis, pour la plupart, des presses de Claye, de Jouaust et de Louis Perrin, contiennent des dédicaces qui en augmentent encore la valeur. Ouvrons-en quelques-uns, presque au hasard. — Sur la première page d’un Chateaubriand princier, nous trouvons cette ligne cordiale :
Sur un exemplaire de Volupté, Sainte-Beuve a écrit :
N’oublions pas de citer les derniers vers de François Ponsard. Le 20 mai 1867, il les écrivait, à Passy, en tête d’un exemplaire de ses œuvres complètes, destiné à son hôte si dévoué[27] :
Voici toute la famille Pénélope apprend à dire Et, tandis que, débonnaire, |
Gérard de Nerval, sur son Voyage en Orient (première édition), a noté, en termes énigmatiques, un joyeux souvenir de jeunesse :
En tête d’un Béranger relié avec magnificence, et que l’illustre chansonnier avait emprunté pour l’examiner à loisir, on lit ces mots touchants adressés par le poëte à ses chansons :
Mais comment énumérer toutes ces richesses ?… Mentionnons du moins les autographes précieux : deux mille lettres, classées par Mme Janin, et plusieurs manuscrits originaux de pièces de théâtre, parmi lesquels on remarque le Père prodigue, d’Alexandre Dumas fils ; Julie, d’Octave Feuillet ; la Ciguë, d’Émile Augier ; l’Honneur et l’Argent, de François Ponsard ; un drame de Victor Séjour, un acte de l’auteur des Trois Mousquetaires, une comédie de Scribe et une scène de M. Ernest Legouvé (Près d’un Berceau), écrite pour Mlle Delaporte.
Le possesseur de ces enviables raretés, songeant avec résignation à l’heure si cruelle où il lui faudrait se séparer de ses affections, abandonner soudain toutes ses joies, écrivait dans l’Amour des Livres (en 1866) ces lignes si poétiques et si touchantes :
Terminons ce long chapitre par une courte anecdote inédite.
Un jour (le 15 avril 1855), Rachel, toute radieuse, fit invasion dans le cabinet de Jules Janin, et, lui remettant la liste glorieuse de ses représentations au Théâtre-Français, accompagnée de l’indication des recettes de chaque soir, elle s’écria, avec un beau geste royal et un accent parti du cœur :
À quoi le critique répondit en souriant :
Nous avons feuilleté plus d’une fois ce luxueux et mignon volume, en tête duquel les deux vers que nous venons de mentionner ont été griffonnés, à l’encre bleue, par Janin lui-même.
Empruntons quelques curieux chiffres à cette plaquette unique :
Rachel débuta aux Français dans Horace, le 12 juin 1838 ; le théâtre encaissa la maigre somme de 753 fr. 05. Les quelques représentations de juin ne produisirent en totalité que 1,614 fr. 95 ! Le 3 septembre suivant, Jules Janin applaudit Rachel pour la première fois. Elle jouait Andromaque. Enthousiasmé, il publie aussitôt un grand article en l’honneur de l’incomparable artiste, alors complètement inconnue. Le lendemain du compte rendu des Débats, on donnait Tancrède, rue de Richelieu, et le théâtre encaissait 2,048 fr. 10. La précédente recette s’était élevée seulement à 929 fr. 70.
Dans le mois où parut le premier feuilleton — qui fut suivi de beaucoup d’autres non moins chaleureux, — les recettes, pour les jours de tragédie, produisirent un total de 14,347 fr. 85. En décembre 1838 (trois mois après !) on obtenait, pour le même nombre de représentations, 50,987 fr. 85.
Et ce légitime succès est toujours allé en grandissant.
De tels chiffres sont pleins d’éloquence !


XI
es
travaux de l’infatigable écrivain,
dont nous parcourions à l’instant les
beaux livres, ont été heureusement
récompensés. Le roi Louis-Philippe l’avait décoré
en 1836 ; le voilà académicien. Ses légitimes
désirs sont comblés. Depuis plus de trente
ans[29], le logis hospitalier est animé par la bonté
gracieuse d’une vaillante femme, fière de porter un nom justement glorieux, et qui entoure
des soins les plus touchants ce mari qu’elle
aime, qu’elle vénère, et dont elle est à la fois le
collaborateur attentif et la Muse.
Il y a donc, dans ce gai chalet de Passy, le calme, la fortune, la renommée bien acquise, le travail, hôte assidu et constamment choyé… Hélas ! revenons, il le faut, à la réalité douloureuse ! … Naguère il y avait tout cela ; mais la mort est venue, et, au milieu de cette vaste et attrayante pièce du rez-de-chaussée où le maître lisait et songeait l’été, s’interrompant si volontiers pour accueillir les visiteurs, nous avons vu une bière couverte de couronnes et entourée de cierges !
Le 19 juin 1874, à six heures du soir, Jules Janin (nous causions avec lui deux heures auparavant) s’est éteint subitement dans les bras de son fidèle serviteur François, qui le soignait avec tant de zèle intelligent. Sa dernière parole, adressée à sa chère femme, a été : « Je n’entends plus les oiseaux du jardin… » Ils l’avaient distrait et charmé si souvent !
Le matin des obsèques, Arsène Houssaye, profondément ému, s’écriait : « Le dernier adieu, je ne veux jamais le lui dire.
Cela est vrai ; et nous aussi nous reverrons, vivant dans notre souvenir attendri, ce ravissant écrivain, cet ami indulgent auprès duquel nous avons passé tant de douces heures. Étendu sur son lit funèbre, il semblait endormi. Un vague sourire restait sur ses lèvres pâlies, et les boucles de ses cheveux argentés s’éparpillaient encore sur l’oreiller, comme au moment de son réveil.
Non, nous ne voulons pas, nous non plus, croire à la séparation éternelle. Non ! ce maître illustre et bienveillant ne nous a point quitté pour toujours. Nous entendons sa voix ; nous lisons dans son regard si expressif, et nous pourrons travailler encore. Voici l’encre bleue, le porte-plume d’ivoire et les feuillets blancs disposés sur la table, en face des longues rangées de livres richement vêtus et près de la fenêtre grande ouverte.
Il est là, dans son vaste fauteuil vert, souriant et paisible, passant sa main sur son front, et il va dicter tout à l’heure. Parlera-t-il de son cher Horace, ou de Diderot, ou de son autre ami, Virgile ? Ferons-nous un feuilleton, ou bien allons-nous continuer le roman commencé, — en suspendant de loin en loin notre tâche pour babiller un instant, pour écouter ensemble la chanson du bouvreuil, ou pour regarder un nuage pareil à une ouate légère qui passe sur le fond bleu du ciel, au-dessus des platanes du petit jardin, si riant et si ombreux ?… Hélas ! non : sa bouche est muette ! Le séduisant causeur, naguère intarissable, ne sèmera plus l’esprit et la grâce ainsi qu’un prodigue. Plus de pensée dans ce large front, plus d’éclair dans ces yeux, plus de voix, plus rien ! La Mort a franchi le seuil, implacable, et ce corps est glacé, et cette âme généreuse soudain s’est envolée !
Mais l’œuvre du maître nous reste. On aimera à relire ces pages faciles et ingénieuses, pleines de fantaisie, de fraîcheur et d’élégance.
L’homme de cœur ne sera pas plus oublié que le charmeur inimitable. La confidente dévouée de ce noble esprit a pieusement gardé la mémoire du loyal compagnon de sa vie, et ses amis se souviendront avec respect qu’elle a été la joie, le conseil et la meilleure récompense du brillant écrivain que les délicats regretteront toujours !


XII
e
22 juin (1874), — un lundi ! — les
funérailles de l’éminent critique eurent
lieu en l’église Notre-Dame de
Passy, à onze heures précises, avec une grande
solennité. L’affluence était considérable. Tout
le Paris ami des lettres avait voulu rendre un
suprême hommage à ce doyen, à ce maître
vénéré.
Il serait donc impossible de mentionner les célébrités qui se pressaient au convoi. L’Institut, l’Assemblée nationale, la littérature, la diplomatie, l’art et la science, l’armée et la marine, la magistrature et le barreau, s’y trouvaient largement et dignement représentés.
En venant s’inscrire dès la veille, M. le comte de Paris et M. le duc de Chartres avaient montré qu’ils se souvenaient de la visite que Jules Janin fit à la reine exilée, à Claremont.
Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Cuvillier-Fleury, l’amiral Darricau, Alexandre Dumas, Paul de Saint-Victor, le premier président Alexandre et le baron Oscar de Watteville, délégué du ministère de l’instruction publique. — Le cercueil, sur lequel on voyait l’habit d’académicien et l’épée du défunt, avait été en outre chargé, par des mains pieuses, de deux énormes couronnes de roses et de pensées, d’une gerbe d’immortelles et de nombreux bouquets aux senteurs pénétrantes.
Après la cérémonie religieuse, le corps ayant été transporté dans le jardin du presbytère, tout rempli de fleurs et de frais ombrages, M. Cuvillier-Fleury parla d’abord, au nom de l’Académie française, en qualité de directeur, et aussi en invoquant « une vieille et invariable amitié ».
Nous empruntons à son discours, d’une haute éloquence, le beau passage suivant :
M. Louis Ratisbonne, ancien collaborateur de l’illustre lundiste au Journal des Débats, prononça ensuite de touchantes et poétiques paroles. Voici un fragment de cette chaleureuse improvisation, que M. Cuvillier-Fleury a si bien nommée une belle ode !


XIII
e
lendemain de cette imposante cérémonie,
le corps fut transporté à
Évreux, pays natal de la famille de
Mme Janin ; les parents et les intimes amis
de l’illustre académicien l’accompagnaient[30]. À onze heures, le chapitre diocésain, le clergé
de la cathédrale et celui de Saint-Taurin, M. le
baron Sers, préfet du département, et toutes les
autorités de la ville, reçurent en grande pompe,
à la gare, la dépouille mortelle de l’auteur de
tant d’œuvres charmantes.
Les obsèques, à Évreux comme à Paris, furent à la fois émouvantes et magnifiques[31]. Le cercueil du maître, entièrement couvert de couronnes et de guirlandes fleuries, était escorté par une députation d’élèves des hautes classes du lycée.
Ô jeunes gens, combien vous avez eu raison d’honorer ainsi celui qui a tant aimé la jeunesse et qui l’a célébrée d’une façon délicieuse ! Dans ses plus ravissantes pages, il est parlé de ce printemps en fleur, de cette saison bénie de l′espérance et du rêve. Voici, vous disiez-vous sans doute, voici le fidèle compagnon d’Horace et de Virgile ; accueillons-le avec respect, entourons-le : il a toujours été sincèrement notre ami !
Quel doux et consolant spectacle (ô suprême récompense d’une vie consacrée au travail !) : une foule émue, recueillie, tous les habitants d’Évreux, pour ainsi dire, se trouvaient dans l’immense cortége, s’empressant de rendre hommage au prince de l′esprit et, en même temps, au cœur loyal qui venait, après tant d’années d’un glorieux labeur, chercher au milieu d’eux l’éternel repos. Ils l’ont reçu non-seulement comme un hôte éminent, mais comme un ami véritable !
Lorsque le corps arriva à la cathédrale (une merveille commencée au xie siècle, les cloches sonnèrent à toute volée. L’émotion augmentait encore. Ce soleil éblouissant, ce paysage si pittoresque, ces chants religieux, cette fanfare, ces tambours battant aux champs, ces cloches si vibrantes, impressionnaient profondément les âmes.
À l’issue de la messe funèbre, chantée en faux-bourdon, tous les assistants se rendirent au cimetière, et M. le docteur Fortin, maire d’Évreux, prononça, les yeux pleins de larmes, d’éloquentes paroles, qui furent écoutées avec recueillement. Après lui, l’amiral Darricau, camarade d’enfance de Jules Janin, dit un touchant mot d’adieu, parti du cœur, au nom des amis du maître.
La bière fut déposée ensuite dans un caveau d’un style riche et sévère[32] ; en face de la sépulture d’Hippolyte Rigault, l’ancien confrère du grand critique si justement, si splendidement honoré à Paris et dans son beau pays d’adoption[33].
Le voilà donc loin du tourbillon, après tant de jours de pacifiques et légitimes triomphes. Comme on applaudissait naguère à sa verve brillante !… Désormais, les oiseaux du ciel chanteront aux alentours de sa tombe respectée ; les fleurs printanières lui offriront leurs parfums ; et, tout emperlés dès l′aube, leurs légers pétales, s’éparpillant doucement au souffle de la brise, voltigeront sur ce spirituel rêveur, qui fut toujours épris de la jeunesse, de la bonté, des sentiers verdoyants, du soleil et des roses.


XIV
ous
les critiques ont tenu à rendre
justice, en mainte circonstance, à
leur illustre et vénéré confrère.
Détachons quelques fleurons de cette glorieuse
couronne.
Écoutez d’abord Sainte-Beuve, le prédécesseur de Jules Janin à l’Académie française. Nous butinons çà et là dans les Lundis :
Un frère du lundi, auquel on doit des merveilles de style, Théophile Gautier, a ciselé en novembre 1871, dans la Gazette de Paris, un profil séduisant et très-ressemblant de Jules Janin :
Il y a vingt ans, M. Sylvestre de Sacy, le savant académicien, conservateur de la bibliothèque Mazarine, jugeait en ces termes, dans le Journal des Débats, les deux premiers volumes de l’Histoire de la Littérature dramatique :
La Gazette de France a publié sur l’ami d’Horace un article dû à la plume éloquente et si autorisée de M. le comte Armand de Pontmartin. Le doux tableau d’intérieur que voici donnera une idée du ton général de cette admirable étude :
Un brillant poëte, qui est en même temps un critique ingénieux et convaincu, M. Théodore de Banville, a fort bien défini le feuilleton de Jules Janin :
Écoutez à présent M. B. Jouvin, ce véritable gourmet littéraire, qui sait si bien apprécier les hommes et les choses :
Prenons le fragment suivant à Arsène Houssaye, l’un des fidèles du chalet (Jules Janin était le parrain de son fils, le jeune et savant auteur de l’Histoire d’Alcibiade, et c’est même l’éloge de ce livre qui a fait l′objet de son dernier article) :
Paul de Saint-Victor, le grand coloriste, a tenu, lui aussi, à honneur de consacrer une belle page à l’ermite de Passy :
M. Édouard Fournier, cet érudit de bon aloi[34], a salué également avec une sympathique déférence l’auteur des Petits Bonheurs :
Charles Monselet mêlait (le 8 février 1874) sa note gracieuse et cordiale à ce concert :
M. Barbey d’Aurevilly, le célèbre critique du Constitutionnel, parlant de Jules Janin, à propos de la Fin d’un Monde et du Neveu de Rameau, s’écriait un jour avec chaleur :
Nous empruntons ce qui suit à un ravissant feuilleton de M. Louis Ulbach :
Sic te diva pocens Cypri
Sic frater Helenae lucida sidera
Ventorumque regat pater…
Dans un des meilleurs chapitres de son ouvrage fort intéressant : La Libre Parole, M. Jules Claretie a enregistré cette remarque dont nous avons pu tant de fois constater l’exactitude :
Au sujet du brillant feuilletoniste, M. Albert de la Fizelière, rédacteur de l’Opinion nationale, a dit très-justement :
Sept ou huit mois avant la mort de Jules Janin, Alphonse Karr lui rappelait, en notre présence, un fait datant de longues années, et qui permet de juger à quel point le cœur du critique était bon. Voici cette délicieuse anecdote ; elle a paru dans les Guêpes de 1840 :
On lira avec émotion ces lignes tracées par M. Henri de Lapommeraye, dans le Bien public, à l’occasion de la retraite du maître :
Il nous a semblé intéressant de reproduire ici ces appréciations sincères, et même nous regrettons bien vivement de ne pouvoir en donner que de courts fragments, et d’être forcé d’omettre la plupart des témoignages contemporains.
De telles citations, sans parti pris, ont surtout l’avantage d’éclairer et de fixer le lecteur ; en même temps elles servent à rendre un hommage éclatant et légitime à un véritable écrivain. — Et si l’on nous parle des défauts de l’auteur du Talisman, il sera facile de répondre. De quoi l’accuse-t-on, en effet ? D’avoir trop produit, d’avoir été incessamment prodigue de ses trésors d’imagination, de grâce et de style ? Quel adorable reproche ! et si rare ! Trop de sève, trop de broderies légères, trop de verve brillante, trop de passion pour l’école buissonnière en des sentiers charmants, tour à tour pleins d’ombre et de soleil ? Eh bien, mais il est aisé de remédier à tout cela. Que d’une main impartiale et délicate on fasse quelque jour un choix parmi ces pages touffues, débordantes de jeunesse, parsemées de phrases opulentes ; que l’on élague cette forêt littéraire, où abondent et s’enchevêtrent les lianes luxuriantes, mais aussi où l’on rencontre, presque à chaque pas, des fleurs étoilées et de suaves parfums, et nous aurons à coup sûr des volumes riches en exquises merveilles.
M. de Sacy disait naguère, très-judicieusement et avec une grande autorité :


XV
ous
ne saurions mieux terminer
cette nouvelle édition qu’en parlant
du suprême hommage rendu à Jules
Janin, par l’un de ses anciens collaborateurs
au Journal des Débats, M. John Lemoinne,
devenu son digne successeur à l’Académie
française.
Le jeudi 2 mars 1876, à deux heures, a eu lieu la réception du célèbre journaliste, assisté de MM. Mignet et Sylvestre de Sacy, ses parrains.
La séance était présidée par M. CuvillierFleury, directeur de l’Académie ; M. de Loménie, chancelier, et M. Camille Doucet, en qualité de secrétaire perpétuel, avaient pris place à ses côtés.
Un intelligent auditoire se pressait sous la coupole du palais Mazarin. En voyant cette foule si recueillie, qui, longtemps avant le moment indiqué, remplissait déjà la salle des réunions publiques de l’Institut, nous nous sommes rappelé, avec une émotion profonde, le jour où l’ami d’Horace, rayonnant d’une joie qu’il ne songeait guère à dissimuler, occupa, pour la première fois, le fauteuil qu’il avait si légitimement ambitionné !
Combien son clair regard était sympathique ! quel bon sourire illuminait sa tête neigeuse et bouclée !… et pourtant, il nous en souvient, la goutte, son terrible tyran, ne lui avait pas donné congé en ce jour de soleil. Mais qu’importait cela ! Il était plus fort que la souffrance ; il l’eût même raillée volontiers, puisque le rêve de toute sa vie laborieuse s’accomplissait enfin.
Les collègues de l’heureux lundiste, en signe de bienvenue, lui serraient cordialement la main. — une petite main de prélat, blanche et potelée, dont il était à bon droit un peu fier, et que la goutte elle-même avait respectée. La statue de Fénelon, l’un de ses illustres prédécesseurs[37], et celle de ce grand Bossuet qu’il admirait tant, semblaient s’animer pour lui faire accueil ; les princes d’Orléans souriaient à ce fidèle ami de leur maison ; l’auditoire, sincèrement reconnaissant des plaisirs délicats que lui avait si souvent donnés l’éminent écrivain, ne se lassait pas de l’applaudir, se réjouissant de voir rendre pleine justice à un vrai lettré. Dans l’ombre d’une tribune, — entourée de sa famille, hélas ! aujourd’hui disparue presque en entier, — la compagne des travaux du maître, les yeux mouillés de douces larmes, jouissait elle aussi de ce pur triomphe.
Le nouvel académicien, tout ravi, jetait par instants un rapide regard sur cet habit à palmes vertes, qu’il ne devait porter qu’un jour ! (car il ne put jamais retourner à l’Académie) et, en même temps, sur son épée officielle, − véritable objet de luxe, à coup sûr, dans le costume de ce critique bienveillant dont l′arme loyale fut toujours une plume étincelante et légère !
On nous pardonnera facilement d’avoir évoqué ces souvenirs du 9 novembre 1871. Nous revenons, d’ailleurs, à la séance du 2 mars 1876, si remarquable à tous égards.
L’éloge solennel de Jules Janin a été prononcé par le récipiendaire, et ensuite par M. Cuvillier-Fleury (qui, devant le cercueil du grand écrivain, avait noblement exprimé déjà les vifs regrets de l’Académie). Les deux orateurs ont célébré, avec une éloquente conviction, la grâce, l’esprit et la bonté du maître, et les applaudissements de l’assemblée sont venus prouver combien cette louange chaleureuse et méritée trouvait d’écho dans tous les cœurs.
Voici en quels termes excellents M. John Lemoinne a parlé des prestigieux lundis de Jules Janin :
Dans sa brillante réponse, M. Cuvillier-Fleury, après avoir retracé d’une façon magistrale l’histoire du journalisme, et loué énergiquement les utiles et incessants travaux ainsi que le caractère élevé de M. John Lemoinne, a su peindre, lui aussi, avec un grand bonheur d’expressions, la physionomie mobile et séduisante du traducteur d’Horace :
Ce sont là de justes et précieux éloges, à coup sûr ! Nous les avons écoutés avec une émotion pieuse ; nous les reproduisons avec joie.
Notre travail est achevé maintenant.
La sincérité de ces pages les a rendues sympathiques ; nous les dédions à tous les amis, à tous les admirateurs du fécond et ravissant écrivain dont un bon juge a dit si poétiquement : « Il restera toujours un rayon sur son nom, autour de sa mémoire un vol d’abeilles murmurantes : ce souvenir de grâce et de charme qui est le sourire de la renommée. »

- ↑ 26 pluviôse an xii, selon l’acte de l’état civil, et non le 11 décembre 1804, à Condrieu, comme on l’a dit jusqu’à présent. Il reçut les prénoms de Gabriel-Jules. Son père était avoué près le tribunal de première instance de Saint-Étienne.
- ↑ Ces lignes sont extraites d’une longue et aimable lettre que l’éminent critique, déjà trop souffrant pour écrire lui-même, nous dicta, le 20 septembre 1872, à l’adresse d’un savant universitaire, M. G. Condé, alors proviseur du lycée de Saint-Étienne.
- ↑ Avant de venir à Paris, Jules Janin était resté un certain
temps au collège de Lyon, où il avait eu pour camarades de
prédilection Armand Trousseau et Edgar Quinet.
On nous saura gré, sans doute, de placer ici cet aimable portrait de J. J. adolescent, crayonné jadis par l’auteur d’Ahasverus :
« … Il était plus jeune que nous de deux ou trois ans. Ah ! le bon compagnon ! La jolie tête enfantine, espiègle, épanouie ! Les beaux cheveux noirs bouclés ! Et quels francs rires de lutin dans nos corridors sombres ! Les murs doivent s’en souvenir.
« Quelle joyeuse, gracieuse ignorance de soi-même ! Il jouait alors aux billes ; il jouait surtout de la harpe, et bien mieux que le roi David. Aussi faisions-nous de saints concerts dans l’église, à l’élévation et au salut, Janin jouant de l’instrument du prophète, moi du violon, son maître, M. Bédard, de la basse, un autre de l’alto. Notre maître de philosophie chantait des Alleluia d’une voix claire et vibrante. Ces concerts de séraphins nous donnaient, le jour où ils avaient lieu, de grands privilèges, tels que celui de manger à une table d’honneur, en compagnie de messieurs les chantres. »
- ↑ Le Chemin de traverse.
- ↑ Cette digne femme s’appelait Mme Faverge ; elle était petite-fille d’Élisabeth de Bassompierre, de la famille du maréchal.
- ↑ Voir, à la fin du volume, une liste détaillée des œuvres de Jules Janin.
- ↑ Pour le Théâtre de Corneille, les œuvres de Molière et celles de Boileau, les Chefs-d’œuvre dramatiques du xviiie siècle, le Gil Blas, illustré par Gavarni, les Mille et une Nuits, Roland furieux, Manon Lescaut, les Aventures de Télémaque, le Voyage sentimental, les Voyages de Gulliver, l’Été à Bade, Paul et Virginie, la Dame aux Camélias, l’Iliade (traduction Lagrandville), le Théâtre d’Alexis de Comberousse, les Classiques de la table, les Lettres de Mademoiselle de Lespinasse, les œuvres de Martial, d’Ovide, etc. Sa dernière introduction, très-remarquable, fut celle que M. de Villemessant lui demanda pour l’Autographe (Événements de 1870-71).
- ↑ Nous avons lu récemment ces quatre vers écrits par Jules Janin,
sur la première page d’un exemplaire de son Béranger, offert
à M. Georges d’Heylli :
Ami, je vous envoie un doux portrait de maître
En liberté, courage, esprit, sagesse, amours ;
Il est facile à reconnaître :
La beauté du vieillard, son rire des beaux jours ! - ↑ Son fauteuil avait été occupé onze fois. Voici les noms de ses prédécesseurs : De Serizay, 1634. — Pellisson, 1653. — Fénelon, 1693. — De Boze, 1715. — Le comte de Clermont, 1754. — De Belloy, 1771. — Le duc de Duras, 1775. — Garat, 1795. — Le comte Ferrand, 1816. — Casimir Delavigne, 1825. — Sainte-Beuve, 1844.
- ↑ Trois ans auparavant, pour se consoler des retards apportés à sa nomination, il avait écrit un Discours à la porte de l’Académie. L’éditeur Jouaust a publié, en un même petit volume, fort élégant, cette ravissante fantaisie humoristique et les excellentes pages acclamées au palais Mazarin.
- ↑ M. Villemain.
- ↑ M. Guizot.
- ↑ M. Victor Cousin.
- ↑ Ses parrains, MM. Cuvillier-Fleury et Saint-Marc-Girardin
- ↑ Les Contemplations.
- ↑ Histoire de la Littérature dramatique, tome I.
- ↑ Devenu curé de Tosny, Cet heureux abbé Janin n’était pas le parent de l’éminent écrivain.
- ↑ Voir, en regard, ces charmantes lignes reproduites en fac-simile.
- ↑ Virgile, Énéide ; chant 1er, vers 288 ou 292 selon l’édition).
- ↑ Iule, fils d’Énée.
- ↑ Le 14 novembre 1871, cinq jours après sa réception à l’Académie
française, le « prince des critiques » recevait de M. Thiers
(alors président de la République) une lettre des plus cordiales,
dont voici les premières lignes :
« Mon cher confrère,
« Je n’ai pu lire que ce matin votre charmant discours, plein de grâce, d’esprit, d’imagination, comme tout ce que vous écrivez. Je vous en félicite de bien bon cœur, et j’en félicite l’Académie, qui a eu une bonne journée. J’aurais bien voulu y assister et pouvoir me joindre à tous ceux qui ont applaudi en vous un brillant talent et l’un des caractères les plus aimés les plus aimables de notre rude époque… »
- ↑ Historiens, Poëtes et Romanciers, par M. Cuvillier-Fleury, tome II, 1863.
- ↑ Jules Janin, d’ailleurs, a toujours eu du goût pour la poésie. En 1821, âgé de dix-sept ans, il prenait part à un concours que l’Académie de Lyon avait ouvert, et dont le sujet, fort dramatique, était le Siège de Lyon. M. Joséphin Soulary vient de retrouver le poëme du critique dans les archives de cette Académie.
- ↑ Délicate allusion aux opinions royalistes du célèbre critique
de la Gazette de France. - ↑ Nous avons extrait les délicieux fragments qui suivent d’une
plaquette devenue introuvable : l’Amour des Livres. Ce coquet
petit volume (64. pages in-12), publié chez J. Miard, en 1866, a été
tiré à 200 exemplaires sur papier vergé, avec titre rouge et noir.
Son prix primitif était de 3 francs ; on en a vendu des exemplaires,
brochés, plus de 60 francs.
En tête de celui qui nous appartient, et que nous conserverons toujours précieusement, Jules Janin a écrit ce distique :
Lorsque chacun sur mon livre hésitait,
Piedagnel hardiment l’achetait ! - ↑ Cette superbe collection va être vendue, dans quelques mois, ainsi que le chalet. (Septembre 1876.)
- ↑ L’auteur de Galilée est mort (chez Jules Janin) le 8 juillet suivant.
- ↑ Hélas ! ce vœu du maître n’a pas été exaucé. Mme Janin vient de mourir, à Passy, — le 8 août 1876, — dans sa 56e année, deux ans après son mari.
- ↑ Son mariage eut lieu le 16 octobre 1841. Il épousa la fille unique de M. le président Huet, maire d’Évreux, mort en 1873.
- ↑ Voici leurs noms : M. Eugène Huet, avoué près le tribunal de première instance de la Seine, oncle de Mme Janin ; MM. Sébastien Janin, Clément-Janin, J. Janin, capitaine d’artillerie ; Alfred Dard, membres de la famille ; et MM. l’amiral baron Darricau, Paul Bapst, Louis Ratisbonne, le docteur Ménière, Delaroa, ancien membre du conseil général de la Loire ; Davelouis, Chesnel, Bourdin et A. Piedagnel. Le serviteur dévoué du grand critique, François Salembier, avait accompli, lui aussi, le douloureux voyage. M. Moore, l’excellent voisin des hôtes du chalet, était resté auprès de Mme Janin.
- ↑ Le 21 juillet 1874, un service solennel fut célébré dans l’église paroissiale de Saint-Étienne. Tous les fonctionnaires, toutes les notabilités du pays y assistèrent.
- ↑ Un admirable buste en bronze, œuvre d’Adam Salomon, couronne le monument.
- ↑ Mme Jules Janin repose maintenant dans le tombeau de famille, à côté de son mari et de ses excellents parents, M. et Mme Huet.
- ↑ Jules Janin disait un jour, devant nous, à l’excellent éditeur Laplace, à propos d’un livre nouveau du critique de la Patrie : « Ce diable de Fournier, il sait tout ! Il ne sait que ça, mais comme il le sait bien ! » Et il riait, sincèrement heureux de louer un savant confrère qu’il estimait fort.
- ↑ Cette rue honorée et tranquille, où si longtemps a rêvé et travaillé l’ami du poète de Tibur, pourquoi ne l’appellerait-on pas désormais rue Jules Janin ?
La ville de Saint-Étienne, justement fière de compter le « prince des critiques » au nombre de ses enfants, a donné son nom, en 1873, à l’un de ses principaux boulevards.
A. P. - ↑ Les Œuvres et les Hommes, 4e partie, i vol. (1865.)
- ↑ L’auteur de Télémaque fut appelé, en 1693, à prendre possession du septième fauteuil académique, où Jules Janin vint s’asseoir, à son tour, environ deux siècles plus tard.