Joyeusetés galantes et autres/XXIII. — Buloz

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 83-85).

XXIII

BULOZ

Pendant que dans ma chambre où vous êtes admise
En reine, vous laissez tomber votre chemise,
Et que, vos bas ôtés,
Sur la chaise, à côté du lit, indiquent l’heure
Adorable où, crevant d’amour, la pine pleure
Les pleurs des voluptés,


Vous me voyez souvent sombre et pensif, madame ;
Vos yeux, en vain, sont pleins de cette ardente flamme
Qui dévorait Lesbos,
Ma pensée est ailleurs, et, tourmenté d’un rêve
Absurde, devant moi qui vous aime, se lève
Le spectre de Buloz !

Je crois que ce vieillard qui demeure en la rue
Saint-Benoit, et qui porte, ainsi qu’une verrue,
Son recueil odieux,
N’a pas une belle âme, et, c’est fort triste à dire,
Ferme sa porte au nez de ceux qui, sur la lyre,
Célèbrent les grands dieux.

Nos plus belles chansons, madame, celles même
Où j’ai déifié votre grâce suprême
En des vers pleins de feu,
Le laissent froid. Jamais il ne rend de services
Aux poètes qui n’ont pas d’argent ; et nos vices
Ne le touchent que peu.

Seul, pourtant au milieu de cette presse impie,
Il pourrait noblement payer notre copie,
Mais il ne le fait pas ;

Il reste seul dans sa bizarre solitude,
Et ne conçoit jamais la moindre inquiétude
De nos quatre repas !

Et cela me rend triste, et jette un seau d’eau froide
Sur ma pine, naguère impérieuse et roide
Mais dressant à moitié
Votre corps dans les draps dont la chaleur lui pèse,
Vous m’appelez : alors, j’arrive, et je vous baise…
Buloz est oublié !