Joyeusetés galantes et autres/En famille

En famille (1866)
Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 149-155).

EN FAMILLE

Ô premiers battements du cœur !
Premiers désirs ! heure première
Où, guidés par l’amour vainqueur,
La pine en main, la tête fière,
Nous pénétrons dans la carrière !

Le jeune Oscar avait seize ans,
Quand son père, bourgeois honnête,
Aux trois mentons resplendissants,

Lui tint, pour le jour de sa fête,
Ce discours tout plein de bon sens :

« Oscar, depuis votre naissance,
J’ai tendrement veillé sur vous,
Comme un père indulgent et doux.
L’heure de votre adolescence
Est sonnée, ô mon cher Oscar !
Je veux moins vous surveiller, car
Je sais trop combien à votre âge
On a besoin de liberté.
Comme un étalon emporté
Par son mâle et bouillant courage,
Un jeune homme, fougueux, ardent,
Considère ainsi qu’un outrage
Les avis du vieillard prudent,
Donc, maintenant, tous les dimanches,
Vous aurez vos allures franches,
Et je joindrai trente-deux sous
Aux libertés que je vous donne,
Car il ne faut pas que personne
Puisse prendre le pas sur vous.
Mais veuillez me prêter encore
Une oreille attentive : Hélas !
Avec l’ardeur qui vous dévore,

On peut risquer plus d’un faux pas.
Comme un sol couvert de verglas,
Ou comme une rivière prise,
La vie, à notre âme surprise
Se présente au premier abord ;
On trébuche et l’on risque fort
De faire de mauvaises chutes.
L’ami, le père que vous eûtes
En moi, l’apprit à ses dépens.
Mon fils, que ces fautes passées,
Dont aujourd’hui je me repens,
Vous donnent de bonnes pensées.
Méfiez-vous des intrigants,
Et surtout des femmes galantes
Qui vous demanderont des gants.
Elles sont pareilles aux plantes
Vénéneuses, qu’il est malsain
De respirer. Soyez farouche
Auprès d’elles, fuyez leur couche,
Ne dormez jamais sur leur sein,
Et ne leur faites pas minette ;
Vous tireriez peu de profits
De cette action déshonnête.
Je vous bénis. Allez, mon fils… »

Tout fier de la chaîne de montre
Que sur son gilet on peut voir,
Oscar file… Sur un trottoir
Tout à coup il fait la rencontre
D’une créature au chignon
Phénoménal, très maquillée,
Somptueusement habillée
D’une robe d’occasion.

« Psitt ! eh ! petit !
— Hein ! quoi, Madame ?
— Veux-tu monter chez moi ?
— Pourquoi ?
— Eh mais ! pour baiser une femme.
Viens, tu seras content de moi,
Petit, je serai polissonne. »

À ce discours, Oscar frissonne,
Et ce jeune être pudibond,
Rouge jusqu’aux sourcils, répond
D’une voix émue et tremblante :

« Non ; de toute femme galante
Papa m’a dit de me garer.
— Papa n’est qu’une vieille bête ;

Il faut le laisser pérorer,
Et puis n’en faire qu’à ta tête,
Viens : je veux te faire jouir ;
Tu dois avoir ton pucelage
Encore, et me parais à l’âge
Où ce vilain oiseau doit fuir.
— Non, papa serait en colère…
D’ailleurs, je n’ai que trente sous.
— Garde ton argent ! je m’en fous !
Est-ce qu’à ton âge on éclaire ?
Tu me plais, viens, et baise à l’œil… »

Troublé par la crainte et l’orgueil
De se voir aimé pour lui-même
Oscar grimpe jusqu’au cinquième
Empunaisé par la putain.
Le cœur lui bat ; il va connaître
Enfin le fin fond de cet être
Qui, sous ses jupes de satin
Ou de toile, cache l’abîme
Que l’on ne peut sonder sans crime,
En dehors de l’acte légal
Qui devient devoir conjugal.

« Oh ! dit la Margot, en mettant

Sa main câline à la braguette
D’Oscar plein d’aise et palpitant,
Qu’est-ce que ça ?
— C’est ma quéquette.
— Dis donc ta pine ! »
Et retroussant
Ses cotillons, sans préambule,
Elle fait voir à l’innocent
Une motte où le crépuscule
Joue avec la couleur des crins.
« Ça, c’est mon con. Un coup de reins
Suffit pour y loger ta pine,
Et ceci, petite vermine,
Vois-tu, c’est un godemichet…
Monte sur moi ; je vais le mettre
Dans ton cul… »

Oscar que, peut-être,
Cet instrument effarouchait,
Se résigne pourtant et baise ;
Mais étendant la main, il sent
Un ventre noblement obèse,
Poilu, qui monte et qui descend
Au bout de l’étrange machine.
Alors, il entend une voix

Tonnante, dire :

« Eh bien ! tu vois
Où peut mener une coquine !…
Heureusement, c’est entre nous.
Vous serez plus sage, j’espère…
Si ce n’eût été votre père,
Pourtant, quelle honte pour vous ! »