Journal des économistes/15 juillet 1848/Chronique

Journal des économistesTome 20 (p. 450-458).


CHRONIQUE.


Sommaire. — Démission de MM. Carnot et Reynaud ; curieux rapprochement ; le Manuel du citoyen. — Les partisans du droit au travail scientifiquement responsables des événements de Juin. M. Proudhon et M. Considérant. — Le droit de propriété ; MM. Lamennais, Cousin, Proudhon et Hobbes. — Premier programme de M. le ministre du commerce. — Dissolution des ateliers nationaux. — Décisions de l’Assemblée nationale ; remboursement des bons du Trésor et des dépôts des Caisses d’épargne. — Le décret des heures de travail. — Encouragements aux ouvriers et à l’industrie du bâtiment. — La transportation. — Chiffre du déficit. — Revue de la douane. — Les États-Unis au Mexique. — Précieuse déclaration de M. le ministre des finances. — La loi sur l’instruction primaire. — Situation des Banques. — M. Albert Gazel.


Enfin, voilà l’instruction publique débarrassée de M. Carnot et de M. Jean Reynaud. Ils se seront servis du pouvoir dictatorial qui leur avait été mis dans les mains par la révolution de Février, nous ne savons d’ailleurs à quel titre, pour désorganiser l’enseignement du collége de France, pour créer une école d’administration impossible, pour supprimer la chaire d’économie politique, pour donner une épée aux élèves de l’École normale et des demi-bottes aux collégiens ; pour remplacer la couronne des prix par le rameau fleuri du printemps !! En vérité, nous croyons que c’est à peu près là tout ce que ces deux messieurs ont trouvé de mieux à faire pour l’instruction de la France en 1848, après une révolution qui a institué une république réformiste. Quelle pitié ! et avec quel dédain l’Europe savante doit traiter ceux qui ont compromis une si belle position !

Un journal quotidien avait, comme nous, rendu la haute Commission des études, imaginée par M. Carnot après la révolution de Février, solidairement responsable de la barbare suppression de la chaire d’économie politique au collége de France. Ce journal a reçu la lettre suivante d’un membre de cette Commission, qui occupe un rang élevé dans les sciences, et qui rejette sur MM. Carnot et Jean Reynaud seuls cet acte de vandalisme et de rancune.

« Monsieur le rédacteur,

Dans un des derniers numéros de votre journal, on accuse la haute Commission des études d’avoir proposé au ministre la suppression de la chaire d’économie politique au collége de France. Permettez à un membre de cette Commission de réclamer contre un reproche si peu fondé.

La haute Commission ne s’est occupée de l’École administrative que pour la rédaction des programmes des différents cours qui devaient y être établis.

Elle n’a pas conseillé de faire suivre aux élèves les cours du collége de France ;

Elle n’a conseillé ni la création, ni surtout la suppression d’aucune chaire de cet établissement ;

Elle n’est pour rien dans le choix des professeurs désignés pour les chaires nouvellement créées.

Veuillez, monsieur le rédacteur, insérer cette réclamation dans un de vos plus prochains numéros.

Agréez, etc.,

« Un membre de la haute Commission des études
scientifiques et littéraires.
 »

Après cette lettre, il est curieux de relire le rapport fait au ministre par M. Jean Reynaud, au nom de la haute Commission des études. « Quant à l’économie politique proprement dite, l’avis unanime de la haute Commission, rapporte M. Jean Reynaud, a été que cet enseignement, convenable dans les livres, devait être éliminé d’un système d’études officiel. » (Voy. notre numéro du 15 avril, no 78, tome XX, pag. 66 et 99.)

Il est évident que la haute Commission des études n’a été qu’un instrument dont on a abusé.

C’est dans la séance du 5 juillet que la Chambre a répété à M. Carnot qu’elle avait le désir qu’il donnât sa démission. Son fidèle Achate s’était exécuté avant lui. M. Carnot, nature molle et indécise, ne s’est pas douté le moins du monde que ses conseillers, socialistes de l’espèce la plus nébuleuse, lui faisaient faire des sottises. Une de ces sottises, ç’a été l’approbation d’un Manuel de l’homme et du citoyen, à l’usage des écoles, dans lequel les questions délicates de l’économie sociale sont abordées par des esprits inexpérimentés. Ce Manuel a été signalé à la Chambre par M. Bonjean, qui a proposé, sous forme de blâme, une diminution de 5,000 fr. sur les dépenses de l’enseignement primaire. Malgré les explications, ou plutôt à cause des explications de M. Carnot, l’amendement a été adopté. M. Carnot s’est plaint de ce qu’on ne le traitait pas avec la bienveillance qu’il a pour ses adversaires. — Il est possible que M. Carnot soit un homme bienveillant ; mais il n’en est pas moins vrai que son passage au ministère laisse des traces d’une inintelligente brutalité. À chacun selon sa capacité, et à chaque capacité selon ses œuvres. La formule ne dit pas : à chacun selon sa bienveillance.

Depuis, M. Jean Reynaud a écrit aux Débats une lettre assez embrouillée, dans laquelle il réclame contre la qualification de « partisan avoué du socialisme. » Nos lecteurs n’ont pas besoin d’interroger d’autres actes de M. Reynaud que le rapport qu’il a adressé au ministre, au sujet de l’enseignement de l’école administrative.

— La presse française et la presse européenne se sont à peu près exclusivement occupées, depuis quinze jours, des terribles événements qui ont jeté l’effroi et le deuil dans Paris. Les esprits sérieux ont voulu remonter aux causes. Il faut espérer que l’enquête à laquelle se livre une Commission spéciale de la Chambre fera connaître les détails matériels et personnels qui nous expliqueront la force formidable des insurgés, la faiblesse de la défense dans les premiers moments, et la nature réelle des dangers que la société et la civilisation ont courus. Quant aux causes économiques et morales, nous croyons avoir été, dans notre dernier numéro, de ceux qui ont fidèlement interprété les raisons premières du désordre des intelligences qui s’est traduit par la guerre civile.

C’est le socialisme (voyez les explications que donne à cet égard un de nos collaborateurs dans notre dernier numéro, p. 375), c’est le socialisme qui est la cause fondamentale des malheurs de la situation ; non pas tant le socialisme excentrique des chefs d’école, qui prêchent un système net et défini, que le socialisme des hommes politiques de toute nuance, qui depuis longtemps cachent les haillons de leur ignorance en économie sociale et politique sous un manteau d’arlequin composé avec des pièces prises à des systèmes qu’ils affectent de combattre et de railler.

Ceci posé, nos lecteurs trouveront, au milieu de détails contestables, un fonds de vérité dans une lettre que M. Proudhon a adressée au journal l’Union.

M. Proudhon a avancé cette proposition : « Si le droit était de ce côté-ci des barricades, il était aussi de ce côté-là. » M. Proudhon aurait mieux fait de dire que les socialistes sont parvenus à faire croire aux gens de ce côté-là que le droit était aussi avec eux.


Mais cette doctrine, dit M. Proudhon, quelle est-elle ? où l’ai-je trouvée ? qui l’a le premier proclamée ? quel en est l’auteur ? qui s’en est fait l’éditeur responsable ?

N’est-il pas vrai que, depuis le 24 février, le droit au travail est devenu un droit constitutionnel, au même titre que la liberté de la presse, le vote de l’impôt, le droit de se réunir sans armes, le suffrage universel ; au même titre que la liberté et la propriété ?

Le gouvernement provisoire l’a formellement reconnu ; il n’a cru pouvoir se consumer, se soutenir, faire un peu d’ordre, préparer les élections, protéger l’Assemblée nationale, demeurer conservateur, en dépit de son origine révolutionnaire, qu’à ce prix.

Ce qu’a fait le gouvernement provisoire, le pays l’a ratifié ; l’Assemblée nationale le proclame. (On lui demande de le proclamer.)

L’article 2 du projet de Constitution, soumis en ce moment aux délibérations de l’Assemblée, porte expressément : « La Constitution garantit à tous les citoyens la liberté, l’égalité, la sûreté, l’instruction, le travail, la propriété, l’assistance. » Remarquez l’ordre dans lequel sont énumérées ces garanties : la propriété arrive après le travail, où elle a sa source et sa légitimité.

L’article 7 continue l’article 2 : « Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. — La société doit, par les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne pourront s’en procurer autrement. »

Quels sont, après le gouvernement provisoire, après le pays, après la révolution de Février, les auteurs de ces deux articles ? Sont-ce des socialistes ? Sont-ce les citoyens Pierre Leroux, Louis Blanc, Proudhon ou Caussidière ?

En aucune façon : les auteurs de ces articles sont MM. Cormenin, A. Marrast, Lamennais, Vivien, de Tocqueville, Dufaure, Martin (de Strasbourg), Coquerel, Corbon, Tourret, Voirhaye, Dupin aine, Guslave de Beaumont, Vaulabelle, O. Barrot, Pages (de l’Ariège), Domes, Considérant.

Et pourtant c’est cette Commission, organe de l’Assemblée nationale, organe de la pensée de février, qui a fait passer, dans la nouvelle déclaration des droits et des devoirs, le droit au travail ; c’est même uniquement en vue de ce droit qu’a été faite la déclaration ; et je défie l’Assemblée nationale, avec ses 400,000 baïonnettes, de la supprimer.

Il ne s’agit plus aujourd’hui, comme paraît le croire l’Union, de savoir si le pauvre qui demande l’aumône a le droit de tuer le riche qui la refuse ; une pareille proposition est si monstrueuse que toute protestation à cet égard est superflue. Il s’agit de savoir si cent mille citoyens, dont vous avez reconnu constitutionnellement le droit au travail, sont excusables d’avoir pris les armes pour le maintien de ce droit, violé ou travesti. À cet égard, je n’ai que l’embarras des exemples.

Lorsque, sous le dernier gouvernement, M. de Genoude refusait l’impôt, se laissait saisir, excitait les citoyens a faire comme lui, sur le motif que l’impôt n’étant pas voté librement par tous les citoyens, l’impôt était illégal ; M. de Genoude organisait l’insurrection, et cela en toute sécurité de conscience. Il se peut que M. de Genoude fût dans l’erreur ; mais on conviendra que, si ses raisons eussent été vraies, si, comme il le prétendait, la Constitution était violée, on conviendra, dis-je, que le refus de l’impôt eût été de droit, et, si le gouvernement avait envoyé 100,000 hommes pour contraindre les citoyens, que l’insurrection eût été excusable. Pourtant il ne s’agissait là que de l’impôt.

Ici l’auteur cite encore l’insurrection de février au nom du droit de réunion ; l’insurrection de juillet au nom des libertés garanties par la Charte. Puis, il établit qu’à ces diverses époques le progrès se fût fait plus facilement sans révolutions brusques. Il arrive à dire qu’il ne justifie pas ces deux insurrections, mais qu’il les excuse ; et, en parlant de la rébellion de juin, il continue ainsi :

Je l’excuse, dis-je, et pourquoi ? Parce que le droit au travail, droit constitutionnel, garanti par le gouvernement provisoire, posé par l’Assemblée nationale, est depuis quatre mois indignement violé.

Était-ce respecter le droit au travail que de faire remuer de la boue par cent mille hommes, d’en enrégimenter vingt-cinq mille autres, sous ce prétexte que l’État n’étant, ne pouvant et ne voulant être ni agriculteur, ni voiturier, ni industriel, ni commerçant, n’avait pas de travail à donner aux ouvriers ?

Était-ce respecter le droit au travail que d’appeler une aumône déguisée le salaire de cent mille ouvriers employés aux ateliers nationaux, alors que ce salaire, d’après le texte formel de la Constitution, qui garantit le travail, n’était en réalité qu’une juste indemnité ?

Oui, je l’affirme hardiment, et malheur à qui pourrait le méconnaître, le droit au travail, conquis par la révolution de Février, reconnu par tout le peuple, promis par le gouvernement et la Constitution, est violé depuis quatre mois.

Ou rayez-le du pacte social, ou plaignez ceux que vous avez réduits à le revendiquer les armes à la main, et, après les avoir fusillés, ne les calomniez pas.

Oui, il faut se hâter de rayer du pacte social ce droit trompeur que tant de gens ont prôné sans le comprendre, avant la révolution de 1848 ; que les hommes de février ont inscrit sur le drapeau de la République, sans voir quels engagements ils souscrivaient ; que la majorité de la Commission de la constitution a introduit dans le préambule de cet acte, par faiblesse ; et qui a mis, la misère et les incitateurs aidant, les armes à la main de quarante à cinquante mille hommes égarés.

Nous ne dirons pas avec M. Proudhon que ce droit a été indignement violé, nous dirons qu’il a été forcément violé ; parce que ce n’est pas un droit, mais une illusion, que nous n’avons cessé de combattre longtemps avant la révolution de Février, fidèles à la tradition économique, fidèles à ce bon et excellent Malthus que calomniait, hier encore, sans le connaître, M. Pierre Leroux.

En résumé, les hommes des barricades de juin ont réclamé les bénéfices d’une illusion, à laquelle leur ont fait croire la plupart des hommes politiques ; et ceux-ci ont prêché cette illusion sur la foi des socialistes purs. Voilà comment s’enchaîne la responsabilité des événements de juin.

Mais que l’on comprenne bien notre pensée. Si nous voulons que l’histoire et la science soient impitoyables contre les théories qui ont proclamé des aberrations, qu’on ne nous fasse pas l’injure de croire que nous ne trouvons pas une incommensurable différence entre les pionniers qui parcourent le champ de la pensée, même imprudemment et pour s’y perdre, et les ambitieux qui abusent de l’ignorance des masses, font appel à la force brutale, et provoquent le carnage au sein des populations.

Ceci nous conduit en ligne droite à M. Considérant. Lui et ses amis n’ont rien négligé depuis février pour faire croire à la possibilité d’une république socialiste. Nous sommes singulièrement de son avis quand il dit, dans la Démocratie pacifique, que les massacres de juin sont une leçon pour lui ; mais nous repoussons toute solidarité, et nous ne reconnaissons, nous, dans les événements de juin qu’un enseignement de plus et non une leçon. Oui, il y a beaucoup de gens qui ont des reproches à se faire ; mais que M. Considérant se borne à parler pour lui.

Ce socialiste trouve que c’est le laissez faire qui est responsable de l’accumulation des populations dans les villes et des effets économiques qui en résultent. C’est un avis comme un autre, mais qui, jusqu’à présent, n’a encore été soutenu que par l’assertion plus que légère de M. Considérant.

— La discussion de la Constitution, la surexcitation du socialisme armé, l’audacieuse formule de M. Proudhon de temps en temps commentée dans le Représentant du Peuple, tout cela a appelé l’attention publique sur le droit de propriété. M. Lamennais, qui avait commencé la publication du Peuple constituant par des articles pleins de sagesse à l’adresse des ouvriers, et qui le finit après avoir singulièrement gâté le bien qu’il avait pu produire, a recherché le fondement de ce droit dans un travail destiné à faire partie de ses études philosophiques. M. Cousin a lu à son tour un Mémoire à l’Académie des sciences morales et politiques. Il nous a semblé que le travail de M. Lamennais se perdait un peu dans le métaphysicisme. M. Cousin est venu apporter aux défenseurs du droit de propriété des arguments tirés de la nature de ses études favorites. Nous ne pouvons qu’applaudir à ses efforts et à ses efforts opportuns. Mais après avoir admiré, comme toujours, la belle forme dont il sait envelopper ses discussions, qu’il nous permette de lui dire qu’il est plus d’accord qu’il ne croit avec les économistes, avec M. Bastiat, pour ne citer que celui qui a écrit le plus récemment sur cette matière. (Voyez son article Propriété et Loi, numéro 80, 15 mai, tome XX, page 171.)

Mais puisque nous avons parlé de la formule qui a commencé la réputation de M. Proudhon, et qui doit lui nuire beaucoup aussi, rappelons un point de l’épisode du Manuel républicain dans la séance de l’Assemblée nationale du 5 juillet.

Dans la séance du 5 juillet, le citoyen Francis Bouvet a accusé en quelque sorte M. Proudhon de plagiat en ce qui touche ces mots : La propriété, c’est le vol. « S’il est vrai, a dit M. Bouvet, en parlant du Manuel édité par le citoyen Carnot, ministre de l’instruction publique, s’il est vrai que ce livre contienne des attaques à la propriété, je le désapprouve. Ce fut une parole bien funeste que celle du philosophe Hobbes, répétée par Diderot et qui a retenti de nos jours, au sein de notre société. Non, citoyens, la propriété n’est pas le vol. »

Nous ne sommes pas assez versé dans la connaissance de Hobbes pour vérifier l’assertion du citoyen Bouvet ; mais nous tenons à avertir M. Proudhon qu’il est accusé de contrefaçon, précisément pour la formule qu’il qualifie quelque part, dans sa Philosophie de la misère, du plus grand mot prononcé dans le règne de Louis-Philippe !

Quand M. Proudhon a soutenu, avec son trop beau talent, que la propriété, c’est le vol, il n’a pas précisément voulu dire que les propriétaires sont des voleurs, et qu’il faut les piller. Il a voulu surtout mettre en désarroi les légistes et pousser des arguments aux économistes. Son Mémoire est des plus savants et ne s’adresse nullement aux masses. Malheureusement on a dit la formule aux classes ouvrières qui l’ont prise au pied de la lettre. Depuis, M. Proudhon n’a rien fait de ce qu’il fallait pour neutraliser la funeste influence des mots qu’il avait prononcés ; il est lui-même devenu dupe de son tour de force ; et, soit fausse honte, soit tout autre sentiment, il s’est trouvé poussé à la proposition Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/458 Page:Journal des économistes, 1848, T20.djvu/459 premiers mois de 1846, et 54 millions en 1847, n’ont donné que 32 millions en 1848.

Pour le mois de mai, le chiffre était de 15 et 11 millions en 1846 et 1847. Il est de 5 millions en 1848 !

— La ratification récente du traité de paix avec le Mexique laisse les États-Unis maîtres d’une partie des Californies et du port de San-Francisco, un des plus vastes et des plus sûrs qui soient au monde. Une convention, plus récente encore, avec la Nouvelle-Grenade, vient de leur livrer la jouissance complète des ports des deux mers opposées, Chagres et Panama, excellents points de ravitaillement sur le double littoral. Ils viennent de prendre également Saint-Jean de Nicaragua, point de communication entre les deux océans, préférable, dit-on, à l’isthme de Panama pour la jonction des deux mers par un canal.

C’est le 6 novembre prochain qu’aura lieu l’élection du successeur de M. Polk. Puisse la majorité renommer un free trader aussi décidé.

— Le nouveau ministre des finances avait retiré, dès le premier jour, les projets de lois sur les chemins de fer et sur les assurances ; mais il avait déclaré ne le faire qu’avec regret. Un honorable représentant, M. Sautayra, et M. Duclerc, son prédécesseur, l’ont mis hier en demeure de s’expliquer plus catégoriquement. Un peu piqué au jeu par les interpellations de ce dernier, M. Goudchaux a déclaré que ni lui ni l’administration à laquelle il appartient ne comptent reproduire les projets sur les chemins de fer et sur les assurances. Voilà qui est positif. Désormais les Compagnies n’auront plus cette menace de rachat constamment suspendue sur leurs entreprises.

— En s’en allant, M. Carnot nous a laissé le projet de loi sur l’instruction primaire. D’après ce projet de loi, l’enseignement primaire sera désormais rendu obligatoire et distribué gratis, aux frais de l’État. Les instituteurs seront nommés par le ministre, grand-maître de l’Université, sur la présentation des Conseils communaux. Mais, comme si l’on avait craint que cette faculté laissée aux Conseils communaux de présenter des candidats aux fonctions d’instituteur ne portât atteinte aux prérogatives universitaires, on a exigé que ces candidats fussent pris sur une liste formée par un Comité central, lequel sera nommé, moitié par le Conseil général du département, moitié par M. le ministre de l’instruction publique. De plus, les instituteurs adjoints seront directement à la nomination du ministre ; de plus encore, les instituteurs seront sous la surveillance de trois catégories d’inspecteurs nommés par le ministre. On voit que rien n’a été négligé pour le retenir, ce malheureux instituteur, sous la férule de l’Université.

L’enseignement primaire sera gratuit, mais il ne le sera qu’en apparence, c’est-à-dire que les pères de famille le payeront avec leurs contributions ; ceux d’entre eux qui ne voudront pas de l’enseignement de l’État payeront double.

Si nous ne nous trompons, le nouveau ministre de l’instruction publique obéit à une impulsion plus libérale. Nous espérons donc que M. Vaulabelle consentira à laisser aux pères de famille et aux communes un peu plus de liberté que n’en avaient rêvé MM. Carnot et Jean Reynaud.

— La situation des banques, hier soir, indiquait 159 millions de numéraire, dont 86 millions et demi à Paris, et 250 millions de billets en portefeuille, dont 105 et demi à Paris.

Tant en effets dits arriérés à recouvrer qu’en effets en souffrance à la Banque et dans les succursales, on comptait 41 millions, dont 12 millions et demi dans les succursales.

La circulation des billets est de 504 millions et demi à Paris, et de près de 72 millions dans les succursales.

Les comptes-courants sont de 78 millions à Paris et de 21 millions dans les succursales.

— Il paraît que M. Marius Rampal, négociant, et aujourd’hui préfet de Nantes, est la même personne que M. Albert Gazel, auteur de divers articles économiques de la Revue nationale.

Donc, c’est un négociant, un enfant du Midi, le préfet d’un port de la République, qui a soutenu contre nous et nos amis de l’Association du libre échange une polémique protectionniste, hautaine, acerbe, et qui nous a fait l’injure grossière de nous comparer aux piqueurs de la Restauration.

M. Albert Gazel manie, nous le reconnaissons, les questions économiques avec un certain talent ; mais nous avons toujours trouvé plus d’adresse que de véritable exactitude dans ses citations, tronquées ; mais nous avons remarqué qu’après l’avoir pris d’infiniment haut avec les économistes, au sujet de l’amélioration des classes pauvres, il avait accouché d’un tout petit plan associationniste, bien étriqué pour un socialiste (chrétien, non malthusien, non individualiste, non égoïste, etc.), et fort au-dessous de ce que promettait et devait donner la Revue nationale de MM. Buchez et Bastide.

Paris, le 15 juillet 1848.
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