LE JOURNAL
DE
PHILIPPE BAUCQ
FUSILLÉ AVEC MISS CAVELL



III[1]



Mercredi, 6 octobre 1915.

Je passe ma journée à mettre mon journal à jour et à étudier ma défense[2].

Jeudi, 7 octobre.

La journée s’annonce très belle, par le coin de la fenêtre, je vois un ciel bleu et quelques nuages rosés par l’aurore. Au loin, les cloches tintent, et le son se perd dans l’air limpide. Elles appellent les fidèles à la sainte messe.

Je m’apprête pour me rendre au tribunal, j’ai bien dormi et ne suis pas émotionné. Je récite un chapelet.

…La déposition du petit Bodart m’a réellement surpris ; celle-ci me porte le coup de grâce certainement. Cependant j’ai encore un espoir qui résulte de la déposition du lieutenant Bergan : il en ressort, si j’ai bien compris, que les principaux auteurs se trouvent dans le Hainaut. J’ai fait de mon mieux pour tirer Van Dievoet du piège, ce à quoi j’ai réussi, je pense. Pour le « Mot du soldat » le Conseiller a demandé au lieutenant Bergan si cette correspondance est prohibée, donc il n’y attache pas grande importance.

Pour la Libre Belgique, M. le Conseiller ne connaissait pas, si j’ai bien compris, la teneur du journal ; donc il pourrait en résulter qu’il n’y attache pas une gravité particulière. Le lieutenant a cité les noms de Prince de Croÿ, Thuliez, Capiau, Libiez, Louise L…, miss Cavell ; mais il n’a pas cité mon nom… ce qui paraît être de bon augure ; j’ai insisté en faisant remarquer que la contradiction provenait de l’interprétation de on… et je…, que M. Van Dievoet a reconnu que j’avais suivi l’équipe qui s’était réunie chez lui un quart d’heure après qu’elle était partie, ce qui prouve bien que je ne l’accompagnais pas et que personne ne m’avait jamais vu en compagnie d’un guide ou d’une équipe de route.

Et nous avons retraversé la ville éclairée cette fois ; M. Henry avec une constance toute particulière m’a surveillé, s’est tenu auprès de moi…

Rentré en prison, le brave C… me dit : « Il paraît que vous êtes salé ?… » J’en déduis que d’après certains accusés je dois m’attendre à recevoir un bon paquet d’années de prison.

Ils étaient sept pour nous juger… Le conseiller et six officiers… Mais il reste encore l’espionnage qui me réserve le plus gros coup… j’en suis persuadé, à moins que par une providence vraiment extraordinaire, je m’en tire ? Tout est possible, mais je ne me fais pas d’illusions…

Deuxième jour.

Dans la salle du Parlement, en pierres blanches avec une grande niche dans la tribune du Président, dans laquelle se trouve Léopold Premier.

J’occupe la place de Verhoegen. Aujourd’hui le conseiller faisant fonction de procureur, détaille son affaire et demande sept condamnations à mort… Miss Cavell, Mlle Thuliez, Mme Bodart, Libiez, Capiau, Severin et Baucq. Pour d’autres, il demande de nombreuses années de travaux forcés et pour trois ou quatre l’acquittement. Parmi ces derniers se trouve Van Dievoet, ce qui me fait bien plaisir. Puis nos avocats plaident notre défense.

Mon impression est que Capiau se tirera de sa peine, par suite des travaux auxquels il a participé ; quant à moi, je me sens enfoncé…

Philippe Baucq.
  1. Voyez la Revue des 15 juin et 1er juillet.
  2. Le cahier recopié s’arrête ici. — Le reste n’est qu’un brouillon écrit sur deux feuillets au crayon et à l’encre.