Journal de l’expédition du chevalier de Troyes/001

Texte établi par La Compagnie de L’Éclaireur,  (p. iv-vi).

DÉDICACE



À Sa Grandeur Monseigneur Élie-Anicet Latulipe,

Évêque de Haileybury.


J’ai voulu, Monseigneur, vous dédier ce récit, où sont relatés les faits héroïques des premiers explorateurs du Témiscamingue et de l’Abitibi, les travaux apostoliques des premiers missionnaires de la baie d’Hudson.

Chaque coin de notre terre canadienne porte, pour ainsi dire, l’empreinte des pas de ces intrépides voyageurs qui, au milieu d’obstacles sans nombre, insouciants des dangers, bravant les intempéries des saisons, s’en allaient au loin, à la conquête de nouveaux territoires ; des bords du Saint-Laurent aux rivages de la baie d’Hudson et aux plaines de l’Ouest, ils avaient planté le drapeau fleurdelisé et fait vibrer le verbe français.

Les missionnaires, apôtres du Christ, les suivaient et jetaient la bonne semence de l’Évangile parmi les nations indigènes. « Un bréviaire suspendu au cou, une croix à la main, dit Garneau, ils accomplissaient, souvent au risque de leur vie, les plus rudes voyages en des terres inconnues. »

Vous avez. Monseigneur, marché sur les traces de ces pionniers du sol et de l’Évangile.

Évêque et missionnaire-colonisateur, vous avez suivi le cours rapide et tortueux des rivières qui ont vu passer, il y a deux cent trente ans, le chevalier de Troyes et ses audacieux compagnons : comme eux vous avez élevé votre tente sur les bords des grands lacs ; comme eux vous avez pénétré à travers les forêts épaisses du Témiscamingue et de l’Abitibi, non pas à la recherche des fourrures précieuses, et d’un âpre gain, mais pour y appeler les défricheurs, les colons, les conquérants pacifiques de la terre qui nourrit.

Évêque et apôtre, vous êtes allé, jusque sur les rivages de la baie d’Hudson, porter les paroles de consolation et d’espérance chrétienne aux tribus indiennes évangélisées autrefois par les Pères Silvy, Dalmas, et Marest, catéchisées de nouveau par le Père Laverlochère et les missionnaires Oblats.

Ce mémoire du chevalier de Troyes rattache le passé au présent. Il formera le premier chapitre de l’histoire de l’immense diocèse de Haileybury, qui embrasse presque tout le territoire traversé par le corps expéditionnaire de 1686.

Que de détails charmants il renferme ! combien de petits faits d’histoire il éclaircit et met dans leur vrai jour ! Comme elle est belle notre histoire canadienne ! N’en laissons perdre aucune parcelle ; gardons-lui sa physionomie intime, ce mélange sublime de bravoure chevaleresque, de piété délicate et tendre qui se confie à Dieu dans les moments critiques, qui ne désespère jamais.

Ces gestes des Français d’autrefois, il importe qu’ils soient rappelés à la génération présente, qu’ils soient inscrits dans les annales du pays, pour les générations à venir. Et, c’est pourquoi je livre à la publicité le récit du chevalier de Troyes, et je prie Votre Grandeur de vouloir bien en accepter la dédicace.


— § —


Monsieur l’abbé Ivanhoë Caron.

Missionnaire-colonisateur,
Québec.


Cher Monsieur Caron,

J’accepte avec une reconnaissance mêlée d’un peu de confusion la dédicace de l’intéressant récit que vous nous promettez, et je comprends que c’est par pure bienveillance que vous daignez associer l’ouvrier de la onzième heure à ceux qui ont porté, depuis l’aube, le poids du jour et de la chaleur.

Il est vrai que j’ai passé par les mêmes chemins, mais c’était dans un confort relatif. Il restait bien encore quelques maringoins, mais leurs dards ne se peuvent comparer aux flèches empoisonnées des Iroquois qui se cachaient au bout des pointes, en quête de chevelures et altérés de sang français.

Que de fois, en voyageant sur nos lacs et rivières, sillonnés autrefois par le canot d’écorce de ces preux, j’ai songé à leurs fatigues, à leur isolement, à leurs sacrifices et à leurs dangers.

Qu’étaient leurs conversations le soir auprès du grand feu de la grève ? Que furent leurs rêves de chrétiens et de Français à la vue de ces terres immenses qui se déroulaient chaque jour devant eux ?

Qui leur eut dit alors que dans cet Ontario, dont ils consacraient le sol par leur héroïsme et leurs vertus, on ferait plus tard des lois pour ostraciser leurs fils et éteindre sur les lèvres de l’enfance le verbe de France ?

Vous avez bien fait de tirer de l’oubli cette page sublime. Elle apprendra aux derniers venus un peu de notre histoire et leur fera comprendre notre attachement au sol de la patrie canadienne. Elle enflammera notre jeunesse et prouvera encore une fois qu’on est grand, non pas dans la mesure de sa force ou de son argent, mais en proportion de son dévouement, de son travail et de son esprit de sacrifice.

Qu’ils vivent dans nos mémoires et qu’ils revivent dans nos familles, ces géants des premiers temps, prêtres et laïcs, qui furent les pionniers de notre sol, qui plantèrent partout la croix et qui arborèrent sur nos rivages le drapeau de la civilisation chrétienne.

Ces deux germes de la vie, votre récit va les féconder et mon cœur d’évêque les bénit.

Veuillez me croire, cher Monsieur, votre tout dévoué.

† ÉLIE-ANICET.
Évêque d’Haileybury.

Évêché d’Haileybury, 21 mars 1918.