Journal de Marie Lenéru/Année 1903

G. Crès et Cie (p. 199-230).
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ANNÉE 1903

5 janvier.

À « Théroigne », Dieu me pardonne, je me suis amusée ! Voir aller et venir ces grands gaillards d’acteurs, la canne de Sieyès et les gants de Péthion… Voilà des choses qui pour moi ne seront plus jamais ce qu’elles sont pour les autres. Il ne s’agit pas seulement du « frisson historique » bien que j’y sois sujette au point que Molière — et dans le Médecin malgré lui ! — eût manqué me faire sangloter sur le devant de la loge. C’est le frisson de la vie, et pas en artiste, pas en esthète, en morte ! J’apporte au monde des émotions de ressuscitée.

De Quincey, à propos de ses cauchemars, parlait des foules qui l’obsédaient, de la « tyrannie de la face humaine ». Or, elle m’a manqué à moi, dans la proportion où elle le poursuivait, la face, la figure humaine. Je les ai tous aimés hier, hommes et femmes, d’être de la chair qui respire et qui veut, d’être des bêtes.

Je crois que j’aime la vie humaine, que j’en ai la curiosité, comme si j’étais d’une autre race.

À l’acte du château, j’ai compris un autre prestige de la Cour. Toutes ces bêtes, choisies, variées, spécialisées, étiquetées, à portée des souverains… On éprouverait à les manier une jouissance de tactifs, comme à toucher de belles pièces d’échecs.

Les généraux en chef ont connu cela : l’être qu’on peut manier et sacrifier. Cela crée un rapport nouveau d’œil à œil, quelque chose de plus rare, de plus poignant peut-être que l’amour.

Napoléon restera l’homme qui a possédé le plus vrai de la volupté humaine. Tous ces hommes qu’il a eus… je ne parle pas des peuples qu’il n’a pu sentir, mais de ceux qu’il a vus, dont il se souvenait. Toute discussion à cet égard, n’est qu’une revanche d’humilié. Je n’ai jamais approché une foule sans éprouver immédiatement, non pas ce que doit être l’orgueil, mais la sensualité du pouvoir. Ah ! personne comme moi ne saurait plus gravement ressentir l’émotion des vanités !

Il faut prendre garde, il y a chez nous trop d’ascétisme réflexe, trop de mortifiés sans le savoir. Nous gardons les dégoûts du christianisme, mais nous en avons aboli les soifs. « Soyez des âmes de désir, » disait, au moins, sainte Thérèse.

Toute avidité complète nous choque, et nous croyons avoir gagné quelque chose quand nous nous sommes fait un dégoût. Sous peine d’impuissance le non-appétit doit être une satiété.


7 janvier.

De toute ma force je lutte contre cette superstition : l’âge. Quel rapport entre les rotations, les révolutions de la Terre et notre activité ?

Ma maturité fut de 15 à 30 ans, ma jeunesse aura lieu ensuite, et l’on verra ce que dix, quinze ans de moins pourront contre moi.


10 janvier.

Natura non facit saltus.

Si l’on avait l’imagination du passage, la mémoire des transitions, si nous pouvions saisir la continuité du mouvement, on verrait à quel point rien d’étranger n’arrive, et comme nous sommes déjà où nous devons aller. Sans les repères extérieurs, toute élévation paraîtrait si normale, qu’elle ne donnerait même pas le sens d’un déplacement. Et nous avons le respect de l’impossible !


13 janvier.

Une pièce est mauvaise, ridicule, mal faite, mais c’est du théâtre ! Votre mais est un sot ! Je n’admets pas cet argument, même pour une féerie. Une pièce est une pièce même à la lecture, et du bon théâtre reste du bon théâtre même quand je le lis, exemple : Bataille de Dames. Mais si je me plains de X… si je ne trouve pas une scène où l’on puisse s’accrocher, si cette poussière inutile de répliques m’éreinte, ne me répondez pas : « C’est un homme de théâtre ».

Pourquoi, en effet ? Un dialogue misérable, je le lis en cinq minutes, il en faut vingt pour en finir à la scène.

L’évidence est que le mauvais à la lecture, devient le détestable au théâtre, par la raison très simple qu’il vaut mieux murmurer une bêtise que la vociférer. Des pièces, qu’on ne peut pas lire, réussissent au théâtre. Mais des romans illisibles réussissent aussi. Pourquoi ne vous écriez-vous pas : C’est mauvais, mais c’est du roman ! Je réclame mon droit de conserver du goût au théâtre. Tant pis pour le public de la scène-feuilleton, de la scène mauvais roman. Tant pis pour ceux qui ne savent pas lire avec leurs oreilles. Thomas Corneille n’était pas plus « homme de théâtre » que Racine, bien que son Timocrate ait été le plus beau succès du siècle.


21 janvier.

Faire ce que je fais sans joie, sans élan, sans présence d’esprit ou en pensant à autre chose.

Si j’étais un peu plus bête, mon sujet m’empoignerait. Je ne connaîtrai jamais ces bonheurs-là. Quand je ne suis plus à ma table, pour rien au monde on ne me ferait penser à mon travail en cours. C’est une fuite instinctive et presque enfantine. Je cours après le succès, comme je chercherais mon mouchoir. Au fond, je ne suis pas une nature abstraite.

Ces gens qui sont très touchés quand on reconnaît ses torts et ceux qui font les beaux esprits s’inclinant à la discussion, ils ne sauront ni les uns ni les autres qu’on n’a jamais tort, car il y a toujours une raison pour laquelle on fait ce qu’on fait. Se dérober, par les concessions, est donc une manière très utile de classer un malentendu, mais en l’embrouillant cent fois plus, non seulement en sacrifiant toutes ses chances d’éclaircissement, mais aussi le droit d’autrui à n’être pas dupé. Dieu me préserve de l’insolence de qui me cède.

J’énonçais : J’aimerais mieux m’être trompée sur la fidélité de mon mari que sur ses facultés et sa valeur en soi. Fernande était merveilleusement de mon avis. Maman disait : Vous êtes dégoûtantes !


13 février.

J’ai encore dû défendre l’ambition. Comme les hommes ont su s’arranger pour, au moins dans l’opinion, ne pas souffrir de leur bassesse ! Je me suis énervée : il n’y a de beau que l’activité. Toute passion, qui fait rendre aux hommes plus qu’ils n’ont l’habitude de donner, est une passion exaltante et noble par conséquent.

Il est monté dans le métropolitain un homme admirable, portant la livrée de l’homme chic sans aucune de ses attitudes et une lourde serviette dans ses gants gris. Je me suis épuisée en suppositions. Un ministre, ou à peu près, n’irait pas en omnibus. Un acteur ? (Station Palais Royal). Il avait des moustaches et puis la mine. Un auteur venant de faire répéter sa pièce ? Un conférencier ? Seraient en voiture et pas seuls. Je penche plutôt pour l’auteur, car le faciès était d’un intellectuel en état de violence intérieure. Ce regard absorbé, violent et clair, insolent comme un regard d’enfant, a mâté toutes les femmes. J’incline à croire qu’il pensait à autre chose, mais il avait cet air au bord de la parole et de la parole attendue comme une gifle, insulte de suiveur ou de sermonnaire, les femmes semblaient y goûter un voluptueux mépris d’elles-mêmes. Est-ce étrange les passants ? Ce qu’on trouve et ce qu’on perd…

Saurons-nous jamais tout ce que nous a pris la silhouette d’une ou d’un inconnu qui s’éloigne pour toujours ? Les paroles et les regards à moissonner de ces âmes dont les yeux, un quart d’heure, ont aimé les nôtres, tandis qu’on s’en retourne chacun mourir dans sa destinée close, infranchissable à ceux que le hasard ne nous a point réservés, que la vie ne nous nommera point.

Et il y a encore les autres, ceux dont le visage même nous était défendu, ceux qui tournent le coin d’une rue que nous prenons, qui ont quitté le salon où nous entrons, la ville où nous arrivons, l’appartement que nous louons, la famille où nous allions ; ceux qu’une minute, un pas, un grain de sable a persévérément détournés de nos voies… le travail incessant des destinées qui se croisent, le fil qui ce soir a le plus approché ce nœud, les trames qui se chaînent, s’étirent, s’avancent et bifurquent… ceux que nous ne vîmes que la nuit, ceux que nous ne vîmes que de dos, fatalités insignifiantes, raccourcis d’atomes du Destin, toute la volonté du monde qui a ordonné cela !

En métropolitain, en chemin de fer, je vois souvent les gens, sinon dormir, du moins fermer les yeux, présenter leur physionomie de sommeil. J’ai vu une charmante femme ne rien changer à son attitude correcte, toute droite, dormir sur tige comme une fleur, les yeux fermés comme on les baisse, hautains comme dans la veille, sans un fléchissement des traits. Mais le plus souvent ils sont ignobles, c’est une lâcheté, un abandon. Ces êtres-là doivent souffrir avec le visage du mal de mer et l’emporter dans la mort. Grâce à Dieu, ceci est une honte de singes, à la vraie douleur la nature a fait un visage plus digne et plus simple en lui donnant la rigidité.

Quelle étrange épreuve dans le mariage que cette assistance au sommeil, c’est le plus grand abandon, la plus grande possession. J’imagine, à celui qui veille seul, le regard et le qui-vive d’un traître.


Dimanche 22.

Toujours mes yeux et le retour des choses. C’est si nouveau d’absorber, par exemple, plus de soleil ; de marcher à l’air, à la lumière libre, de voir le jour vrai, le jour des autres, sans les infâmes verres bleus qui ont condamné mes yeux de jeune fille.

Retrouverai-je bientôt mon regard d’enfant, ce regard dévorant pour lequel tout le monde m’aimait ? Il y en avait peut-être de plus jolies, mais je me suis sentie, physiquement, la préférée. Ah ! tout ce que j ai perdu ! Je me sens jocrisse devant les morceaux de trop de choses cassées, avec un peu de triomphe ironique pourtant, comme s’il fallait bien s’enorgueillir d’une maladresse colossale.


2 mars.

J’ai relu le règne de Tibère dans Tacite et repris Machiavel. Si après cela on ne peut pas me confier un empire ! Une chose délicieuse dans Machiavel qui ne parle qu’affaires et crimes d’État, c’est le tutoiement au lecteur : Et tu ne te maintiendras pas si tu fais ceci, et tu vas à la ruine si tu n’uses pas de la personne du renard et de la personne du lion.

Ed era duca tanta ferocia et tanta virtu

Tacite dit aussi : Pollionisque asinii patris ferociam retineret. Je l’aime cette ferocia romaine. Elle se traduit par la hauteur, l’indomptabilité, la force.

En latin la férocité est une vertu. À sa racine, la chose et le mot sont admirables, tant il est vrai que les hommes sont faits pour être mangés.


5 mars.

Cela m’édifie à la Bibliothèque quand je lève les yeux, assez souvent, car piocher m’est toujours anti-naturel, cela m’instruit d’examiner les hommes dans la franchise, dans le cynisme du travail.

Bien qu’ils soient maîtres de leur effort, ils s’embarrassent et se congestionnent. Le travail évidemment les alourdit, c’est une digestion avec les symptômes de l’autre. Est-ce que sont écrites ainsi toutes les choses souveraines ?

Et les hommes du métropolitain à 9 heures et à midi, ces messieurs bien habillés, oui, même celui qui m’offre sa place… On prévoit les événements qui « chifferaient » leurs âmes comme des loques, les mots qui feraient pleurer leur amour-propre. Que de places à prendre parmi les hommes !

On relira indéfiniment dans les romans ces réclamations des jeunes contre la vie, des enfants illégitimes entre autres, quand ils ont envie de se suicider : qu’ils n’ont pas demandé à naître, et pas seulement de leurs parents, mais de chaque ancêtre qui, dès les commencements du monde, les préparait. Car sans les générations qui devaient venir, sans la « volonté de vivre » de leur race future, aucun n’aurait connu le mal de l’espèce, et personne n’a le droit d’ignorer la plus absolue des solidarités, personne ne peut se séparer pour récriminer et condamner, et tout le monde est coupable ici, jusqu’à la sonnette du président !


14 mars.

Nous ne sommes pas dans un tel état de minorité intellectuelle, qu’en présence d’une idée nous devions toujours nous enquérir du maître. Une pensée est plus intéressante par ses rapports avec la vérité, par sa valeur absolue, que par sa valeur relative à un individu. Je peux mépriser la mort à cause d’un mot de Sénèque qui ne la méprisa point. Que Schopenhauer fût un viveur, cela est essentiellement étranger à la portée philosophique du pessimisme.

Mais il leur faut l’exemple à ces grandes personnes.

Ce sont des enfants au théâtre qui demandent si « c’est arrivé », et qui ne s’intéresseraient plus à la pièce s’ils savaient que l’acteur ne dit pas ce qu’il pense.


18 mars.

À retenir les gens qui vous découragent. Oh ! le plus passivement qu’ils peuvent « parce qu’ils ont peur de vous donner des illusions ». Comme j’ai eu raison de relever tous les ponts-levis de secours des autres à moi !

Je suis convaincue, jusqu’aux entrailles de mes entrailles, que je ne ferai jamais rien que par moi, la plus seule moi.

Quand on doit maintenir en soi un niveau intérieur plutôt élevé, tous, voire ceux qui vous aiment, sont de mauvaise fréquentation. C’est une règle absolue de dignité morale. Nous n’avons pas plus à entretenir les autres de nos ambitions que de nos amours.

C’est l’expérience de sainte Thérèse qui, certes, ne rencontrait pas d’hostilités. « Pour m’aider à tomber je n’avais que trop d’amis, mais pour me relever, je me trouvais dans une effrayante solitude. »

Elle entendait par tomber, tomber dans l’indifférence aux grandes grâces. Parlez-leur d’eux-mêmes, parlez-leur en toujours, voilà de quoi remplir les relations sociales de toute votre vie.

N’ai-je donc pas assez été prédestinée au silence qu’il me faille encore prêcher contre lui ? Ah ! Saint-Just qui nous avait si vite appris tous les secrets de la puissance intérieure ?


26.

Parler malheur avec ses semblables ou, généralement, de tout ce qu’on partage profondément avec eux : religion, mort, amour, rien n’est fait pour nous ravir plus brusquement à toute solidarité.

« Quel courage il faut avoir ! »

Je réponds : « Pas du tout. Courage ou pas courage n’ont rien à voir avec la nécessité, il n’y faut que l’espace et le temps. »

« Si, tout de même, le courage de vivre. »

« Tout ce qu’on souffre est de la mort fragmentée. On n’a aucune raison de préférer le total quand on n’aime pas les morceaux. »

Je ne sais d’où me vient cette âme liturgique, j’ai tous les instincts de la vie monacale, jusqu’à la hantise des commémorations. Que de fois l’on m’en a voulu d’aimer parler des morts comme des vivants.

Les hommes ne sont pas si religieux qu’ils croient, à moins qu’on entende, par religion, la peur de Jupiter qui tonne — et le respect de Jupiter qui arrête.

Des moments où il faut bien étouffer. La voix humaine me manque, ce lien plus solide, plus cordial qu’un regard. Les portraits aussi regardent, les morts regardent. Je suis entourée de morts dont je me souviens avec difficulté… l’effort de toute relation au monde… et qu’il en soit ainsi toujours, avec répétition, avec défense d’en sortir, quand je passerais cent ans au milieu d’eux !


29 mars.

Je ne veux plus donner mon avis sur l’intelligence des gens, pour ne pas profaner ce que j’entends par là. J’entends par intelligence et plus instinctivement que par criticisme voulu : un individu capable de tout et d’abord de n’être jamais bête. Capable de tout, cela ne veut pas dire les accomplissements variés d’un Italien de la Renaissance, pas plus que bonapartiser dans son siècle, mais : capable d’exister sur tous les points et d’en témoigner par une impeccable originalité de contrôle.

La beauté. Nous en parlions hier avec A… à propos de cette jeune fille remarquée par moi à la Nationale. Des traits de médaille, mais dans une fraîcheur, une plénitude de chair éblouissantes. Assise et, de loin, l’âme des yeux inaperçue, elle était impériale. Bougeant et marchant, comme toujours le cygne retournait à l’oie, il n’y avait plus qu’un petit trottin avec, à chaque pas, l’ébranlement de tête de l’omnibus. Et toujours quand elles ne sont que belles, il y a une tare qui les anéantit. Oh ! le spirituel est bien vengé.

On rencontre aussi de très beaux jeunes gens, et l’on a la certitude qu’en toute circonstance on le prendrait de haut avec eux, parce qu’ils n’ont pas l’étincelle, ce reflet du dedans sur la beauté qui, seul, en fait quelque chose.

Ces femmes si belles sont celles que lâchent leurs maris pour les plus dégoûtantes maîtresses.

Ceci veut dire qu’il y a des beautés, la plupart des beautés, sans valeur pour passionner et qu’il faut chercher ailleurs les sortilèges.


Jeudi saint.

Bossuet à la sœur C… Instructions pour la semaine sainte, le psaume LXXXVIII « Libre entre les morts ». On m’a voulu parmi les créatures atteintes et misérables, mais je ne suis pas des leurs. La contagion ne m’apprendra ni leur attitude, ni leur langue.

Je suis étrangère dans le malheur. Je suis une passante fourvoyée. Je suis ici par erreur, et s’il me plaît de supposer que j’y suis pour mon plaisir !

Quand on est un peu intéressé dans la question, on ne pardonne pas aux autres la manière dégoûtante dont ils souffrent. Oh ! la bouche de mal au cœur, la bouche de boîte aux lettres, et cet air de traîner des pantoufles éternelles ! Je vous le garantis, quoi qu’il y ait eu dans ma vie, quoi qu’il s’y passe encore, cette vie surplombera la vôtre de la hauteur des cieux. J’étais née sans orgueil et, pour l’apprendre, j ai mis le temps qu’il y fallait.


Mardi 14.

Depuis le temps qu’ils se voient, les hommes ne savent pas encore se regarder. Ils sont toujours persuadés « qu’il ne faut pas juger les gens sur l’apparence » ce qui leur évite d’y porter la moindre attention. Il n’y a même pas à interpréter, à chercher de l’en-dessous, tout est visible, tout est à vif. Le préjugé contre l’apparence est une erreur de gnosticisme. Malebranche lui-même a su réagir. « J’ai un corps qui me paraît faire plus de la moitié de mon être. »

Mais, ceci admis, je ne crois pas mettre le « discernement des esprits » à la portée de plus de monde. Plus que jamais il y faudra le don de prophétie, car voir est une chose plus exceptionnelle et plus incommunicable que juger même et qu’analyser.

Les têtes de domestiques que certains maîtres introduisent dans leurs maisons ! et la moyenne des physionomies dans leur intimité…

Jamais en présence de son regard, je n’aurai l’idée de m’informer du caractère et de l’intelligence même d’un homme, pas plus que de la température auprès d’un thermomètre. L’œil est l’organe de l’esprit aussi spécialement que celui de la vue, et je vois le cerveau dans l’œil, la puissance cérébrale, comme j’y mesure la puissance visuelle. Mais qui donc encore sait voir la vue ?

À chaque instant on me demande « voyez-vous cela ? ». Comment peuvent-ils confondre le regard qui voit, et le regard qui ne voit pas ? Je fais des différences entre les myopies de gens que je vois pour la première fois. On détecte si bien le regard qu’on fait semblant de voir !


17 avril.

La chose que je comprends le moins, c’est encore mon âge. Il n’y a pas à dire ! Je suis jeune. Ce que je me trouve riche de jeunesse, ça n’en finit plus !

Et pourtant, la plus grande inquiétude est là. La tristesse et l’ennui, soit ! mais qu’il faille en vieillir… Voilà donc pourquoi je suis venue ? Enfin qu’est-ce que c’est le courage ? à quoi sert-il ? qu’est-ce que cette pose ? Est-ce qu’on n’en est pas moins dupe, dupé, attrapé « volé comme un singe à qui on a donné une noix vide ? ».

Je veux bien me promener magnifiquement dans ma banqueroute puisque la seule chose qui me reste, est de le faire bien ou mal.

Puisqu’on me donne « un balcon d’où cracher sur ce peuple » je veux bien y aller de mon altitude, mais nier, qu’à chaque heure de ma vie j’aurai eu le cœur serré, des sanglots dans les tempes et dans la gorge, serait une sottise.

J’attends si peu de joie de mes allées et venues que tous mes mouvements me paraissent bêtes. Dans la rue cela va jusqu’à stopper la locomotion. À la Bibliothèque, au milieu de tous ces hommes, je ne suis pas une femme, j’ai la fatigue et l’indifférence d’une vieille ou d’une laide. Seulement envie de m’accrocher à la pèlerine d’un vieux prêtre et de sangloter dans son rabat.

On me dit : « Heureusement que tu as su te faire une vie ! Personne à votre place ne s’en serait tiré comme vous ». Ils appellent cela une vie ! Ils appellent cela s’en tirer !

Je ne regrette pas, par leur nom, tel ou tel bonheur et les jours qui font peur de « succomber à la tendresse du regret ». Je n’ai qu’une nostalgie, mais féroce : je regrette la gaieté, et pour elle seule. Non pas ce qui la cause, mais le balayage des esprits animaux.

Je regarde les jeunes chiens avec jalousie. Le terrible, c’est de devenir élégiaque.


7 juin.

Vingt-huit ans. N’en parlons plus. Je ne pense qu’à une chose, à une petite fille de treize ans que j’ai connue jadis et dont je ne saurai jamais ce qu’elle est devenue.

Le magnifique est, de conserver mon intransigeance à l’égard du superflu, quand le nécessaire fait tellement défaut. Je ne suis pas encore à point pour me laisser glisser dans un bonheur médiocre, mais pourrai-je m’en passer toujours ? Jamais rien, un obstacle, un écran entre la mort et soi… En me regardant dans une glace j’ai des surprises de trouver encore en moi une espérance de femme.

Et pourtant, je ne suis pas prête. Je veux encore attendre le bonheur. Il faut me préparer à la vie : dix ans de bonheur et je me préparerai à la mort.

Je suis venue, comme la Sybille, à une heure où j’avais les livres entiers de l’avenir dans mes bras. On m’en a refusé le prix, et trois furent jetés au feu. De ce qui restait j’ai demandé la même chose et, devant le refus, trois encore ont été brûlés. C’est des trois derniers livres que la Sybille reçut le prix qu’elle avait attendu de tous.


Grand Hôtel du Trez-Hir, 6 août 1903.

« Vous y viendrez quand vous aurez mon âge.» Ça c’est l’hypothèse, mais l’expérience est qu’à mon âge vous n’étiez pas moi.

À Marie B… Je crois qu’il ne faut pas tant en vouloir à la vie puisque c’est encore d’elle seule que nous empruntons cette idée du bonheur qui nous rend si difficiles. Voilà pour la question de droit que je trouve généralement négligée. Au fond, je suis de ceux qui ne demanderaient pas à la vie autre chose qu’elle-même.

Seulement, il y a la mort. Suis-je plus sincère ou moins élevée que vous ? Mais la mort est ce que je reproche à la vie. Si l’on avait le temps d’être patient on pourrait attendre avec toutes les douleurs et les ennuis. Ah ! si le temps s’arrêtait dans la souffrance, si l’on n’en vieillissait pas ! Vous sentez bien que tout serait changé. Alors qu’y a-t-il « d’absurde » ? D’être des mortels qui n’aimons pas mourir. C’est la seule « contradiction » franchement insupportable. Donc, ne pas s’en prendre à la vie, quand on n’en veut qu’à la mort. Vous croyez que je me moque de vous et que j appelle le loup pour vous consoler de Croquemitaine, mais vous parlez « d’absurdité » et tout me paraît si logique !

Quant au jeu du courage et de l’énergie, je le trouve un peu funambulesque. Qui donc le courage a-t-il rendu plus heureux ? Où cela change-t-il quelque chose dans la réalité des faits et la nécessité des sensations ? C’est élégant comme tous les mensonges de bienséance, mais ceux qui s’enchantent de leur courage et croient, pour cela, avoir inventé un moyen de se tirer d’affaire me dégoûtent comme le joli cœur qui fume une cigarette pendant l’opération.

De l’énergie ? Si vous entendez par là un accommodement avec ses maux, aidant à les tolérer, je n’en ai pas un atome, car je vous assure que rien, pas même l’habitude, ne m’a facilité les choses.

Tout est horrible et de plus en plus, voilà !

Je n’ai jamais cessé de me le dire et je n’éprouve aucune pudeur à le dire aux autres, c’est à dire, à vous.


10 août.

Mme B…, cinquante ans, était exquise sur la plage, toute mince dans le grand fauteuil de fer, empoignant les bras de toute l’ardeur de son entrain, la fine tête sur le cou fervent et rengorgé, elle étincelait de jeunesse et de possession de vivre. Dans le costume chic d’alpaga anglais, du même argent bruni que les boucles flottantes dégagées de sa coiffure plate à la Pompadour, si élancée dans sa pose assise, le vent semblait circuler dans ses veines, je l’admirais et, sagement, en adepte, je recueillais la tradition ; je me demande si le jeune homme couché, dans le sable, au pied du fauteuil, sa raquette gantée de fauve dans ses mains gantées de blanc, jugeait la supériorité de ce charme. À l’heure où l’on cherche ses amours dans le monde, cela m’eût rendu difficile.

Quand la femme survit à cet âge comme il arriva chez l’Impératrice d’Autriche, elle prend un dégagement, une pureté de silhouette hors des considérations habituelles, une netteté sombre et définitive comme une chose accomplie, le destin fini, l’espace vide autour de la robe et grand ouvert sur les étendues de la mort.

Déjà chez Mme L…, dans la fébrilité des mouvements, l’instabilité de son repos, elle ne tenait pas assise, j’avais déjà ressenti ce désœuvrement du départ, ce déblaiement, ce grand rangement des événements et cette disponibilité de la vieillesse. On la sentait libre et seule, impossible à suivre, avec, dans la chambre, du désert autour d’elle, et précieuse comme les choses mesurées.

J’ai instinctivement ce regard au loin, ces vies qui persistent m’agrandissent l’horizon. Cinquante, soixante ans, m’apparaissent la plénitude, comme si j avais l’intuition que ma vie véritable est par là.

Les déclins orgueilleux m’intéressent plus que les âges trop aimés, trop rengaines, les âges populaires.

Dans l’Illustration, l’admirable geste du cardinal Rampolla tendant passionnément son vote à l’autel de la Sixtine, résiliant son orgueil de Sicilien tragique et de pape impossible.


20 août.

Rusbroech l’admirable, la mystique et la théosophie, spiritisme, etc…, pour moi une conférence de Lacordaire, un syllogisme de Pascal, une exposition de philosophie allemande et même anglaise m’ouvrent plus d’horizons intérieurs.

Je trouve une obtusité irritante à ceux qui veulent faire de la mystique de rien, quand toutes choses en contiennent d’une manière si authentique. Les ignorants auront beau faire, ils ne possèdent rien de plus que les autres. Ce ne sont pas les ignorants qui l’ont découverte et démontrée. Pour bâtir un bon ouvrage d’attaque contre la science et la philosophie, il n’y a jamais eu que les savants et les philosophes.


29 août.

« Que le jeu n’en vaut pas la chandelle » et que leur bonheur leur coûte cher. Tant pis pour les bourgeois qui marchandent et ne savent pas surapprécier leurs plaisirs.

Il faut être grand seigneur et payer ses désirs au-dessus du prix des autres.

Je sens que le bonheur, chez moi, vaudrait l’enchère que j’y ai mise.


3 septembre.

Chez tout le monde le silence est une apathie. Il est devenu pour moi, comme l’oisiveté, une ferveur. Je ne suis jamais plus inabordable que lorsque je ne fais rien, et l’on me dérange moins en interrompant mes lectures et mes écritures. Hier j’avais envie de crier : mais si vous continuez à me distraire, il est bien inutile que je ne fasse rien !

D’ailleurs, nous ne devrions jamais nous montrer au repos. C’est trop d’intimité. Dès qu’on n’a plus affaire aux autres, se reprendre. Une présence, inutilement prolongée, est un affaissement. Même en famille, même en amour, savoir disparaître pour garder la belle tension vitale des rapports.


5 septembre.

Que de degrés dans la tristesse ! Il y a des jours où l’on voudrait non pas pleurer, il n’y a pas d’attendrissement, mais crier toute la journée, de quart d’heure en quart d’heure, comme les fous, pour se débarrasser d’une chose intérieure et pesante.

J’étais un si bel instrument à rire, une si parfaite machine à gaieté, que n’en plus produire me détraque, me désorganise plus qu’une autre. Je n’oublierai jamais toute la gaieté que je n’ai pas eue !


1903. Le Trez-Hir, sept.

Impossible de refaire l’écrivain : je ne m’accroche à rien. Ce qui peut convenir à moi et aux autres, je ne le trouve plus. D’ailleurs pas davantage ce qui conviendrait à moi seule.

Et je souhaite plus que jamais « traire les gens ». Il est incroyable comme les millions deviennent nécessaires à ma vie intérieure.

Je n’ai de goût au fond que pour la vie et la mort. Écrire des vies : Saint-Just, Talleyrand, Vauvenargues, sainte Thérèse.

Qu’elle mène « une vie tranquille de loisir et pas de distraction ». Ils appellent cela « des journées paisibles ! »

Toujours la bonté et l’intelligence. Il disait : « ceux qui sont bons se laissent toujours manger ». Moi, très péremptoire : « ce n’est pas parce qu’ils sont bons, mais parce qu’ils sont mangeables ! »

La lumière change, elle s’épure et dans la maison elle entre déjà comme pendant l’hiver. Elle fait du jour une longue matinée aux heures favorables à tout l’être, corps et âme, ainsi que l’entendait Malherbe « il n’y a de bon que la matinée ». La mer et les nuages sont glacés de blanc, d’un blanc de pôle ; c’est une fraîcheur de neige, un bleu de glacier. Il n’y a de bon que l’automne.

De la tête de mort qu’A.-D. de V… disait pouvoir regarder, mais ne pas toucher.

Moi, toucher, manier, embrasser, tout ce qu’on voudrait, je suis absolument sans dégoût. Je suis revenue sur le compte des araignées et des chenilles. Je ne puis avoir horreur de rien de ce qui est ou a été la vie. Le frôlement d’un insecte m’est une sensualité. J’ai tellement subi la mort que toute sensation pour moi restera résurrection. Tout ce qui m’est nostalgie m’est cher comme un souvenir. Je n’ai de répulsion instinctive que pour les odeurs, mais cela c’est l’instinct de la conservation.

Nous ne connaissons les choses, c’est-à-dire leur être comme étranger à nous, que par le danger. Dans la grande fatigue d’une trop longue route, rappelez-vous ce que devient la campagne. C’est le passant qui nous précède au loin, depuis longtemps nous le suivons pour l’atteindre car, de dos, nous le reconnaissons — et quand une fois rejoint il a tourné la tête, l’inconnu de son visage est si grand, si soudain et si calme, qu’un regard de démon nous serait moins hostile et le port d’un masque moins inquiétant.

Les gens qui se sont vraiment perdus, qui ont eu faim, froid et peur dans un paysage comme les autres, à côté du train-train égoïste et quotidien du monde végétal et des animaux qu’ils croyaient familiers, ceux-là ont vraiment rencontré les choses, les êtres dédaigneux qui ne secourent pas.

Les naufragés, sous la lune familière et les étoiles filleules des hommes, doivent éprouver instinctivement la surprise, l’expérience de cet abandon des êtres, des choses qu’on a cru intimes pour les avoir vues tous les jours. Quels sobriquets doivent leur paraître alors les noms humains des étoiles ! Comme ils doivent ressentir l’erreur, la disproportion de leur familiarité, la lèse-majesté de leur confiance… Dans ces moments seuls d’exception et de maléfice, et nullement par nos habitudes d’esthétique et de lyrisme, nous rencontrons les choses d’être à être et nous les sentons.

L’homme qui vous tue et, je ne sais, peut-être l’homme qui vous aime, doit prendre ainsi un caractère subit de vérité, d’étrangeté.

Ce qu’il y a d’ouvert dans le Trez-Hir, de mon lit, du fond de ma chambre, les Tas de Pois debout à l’ouest, pierres druidiques en pleine eau, ruines d’Atlantides, c’est bien les parois des continents, pour moi, la grande Porte d’Occident, le seul endroit du monde par où vraiment l’on sorte, par où « Le Français », la semaine dernière, s’en allait au pôle sud.

Le Journal des Goncourt auquel je retourne périodiquement, qui est peut-être ce que j’aurai le mieux aimé avec la correspondance de Flaubert ; ce livre fait uniquement de ce que j’ai perdu dans les choses et dans les hommes, le détail et la conversation, il est cordial, chaud et résonnant de parole humaine. Il montre la fin vraie, la fin qui ne vole pas des notoriétés artistiques, la camaraderie entre pairs, les échanges entre égaux, la compréhension toujours à portée de la poignée de mains. Quand Edmond et Jules de Goncourt auraient payé de ces maladies de cœur et de foie auxquelles ils attribuaient leur talent, la familiarité de Gautier et de Gavarni, la littérature se fût montrée belle joueuse à leur égard.

Il faudrait prendre dans Saint-Simon et tout l’adorable XVIIe siècle une pièce de la Vie ancienne, quelque chose comme une belle gravure authentique, l’appeler « Versailles » et la traiter dans toute la grandeur, sans romantisme et sans verbiage, de l’histoire et du passé. Finir à la mort du duc de Bourgogne là où sombra l’espoir d’un règne qui n’était pas de ce monde. L’intrigue est très suffisante avec ce plus haut des princes, mal aimé de sa femme, regretté de toutes les autres et que Dieu ne console pas.

L’admirable regret de Saint-Simon : « Je ne l’ai plus vu depuis. Plaise à la miséricorde divine que je le voie toujours où sa bonté sans doute l’a mis ! »


Paris 10 novembre.

Quand on a commencé d’écrire, on se tait trop. On se déshabitue des relations orales. D’abord, pouvant être lu, on tient peu à la médiocre attention des interlocuteurs, et l’habitude prise de s’exprimer parfaitement dégoûte des à peu près et donne la paresse d’ébaucher, en causant, ce qui sera mieux réussi plus tard.

C’est une faute. Il faut avoir son âme avec soi et pas sur une table à écrire, derrière la grande nappe verte que Louis XIV jetait sur son travail secret.

Je répète qu’on juge de l’intelligence avec les yeux, que l’intelligence se voit bien plus qu’elle ne s’entend. On ne dit pas toujours des choses transcendantes, mais être en état de les dire, cela se voit toujours.

Le baiser est un secret sans paroles.

À M. B… La grande faiblesse des amoraux et leur réfutation est dans leur prosélytisme. Dès qu’on se mêle d’apostolat, dans un sens ou dans l’autre, il faut prendre alors un point de vue social très différent de l’individuel. Je n’éprouve nullement le besoin que la majorité pense comme moi. Toutefois, comme j’estime peu le type révolutionnaire et ceux qui se font un mérite de leur indépendance, — comme si cela n’allait pas de soi — je trouve qu’il faut se garder de cette grande inutilité qu’est l’opposition déclarée, et de la grossièreté d’aller crier sur les toits ses sentiments intimes en voulant à toutes forces « agir comme on pense ». Encore un fameux préjugé !

Il n’y a de dignité sérieuse et d’indifférence à l’opinion d’autrui que dans l’absolu quant à soi. Je croirais donc avoir assez fait pour la morale sociale et avoir fait encore plus pour ma liberté intérieure en épargnant tout scandale. Sérieusement êtes-vous bien écœurée par cette manière de voir ?


8 décembre.

« Le désir de la solitude vaut mieux que la solitude » et sainte Thérèse s’y connaissait. Mme de Maintenon disait aussi : « Dans le monde tous les retours sont pour le couvent. Au couvent tous les retours sont pour le monde. »

Ne nous illusionnons pas sur nos besoins et sur nos aspirations. Nous n’en avons qu’un et qu’une : la nécessité du changement.

Quiconque peut voyager, aimer, voir et entendre, et s’appesantit chez soi, s’avilissant le regard et l’échine à faire fonction de scribe, est un manant perdu par les cuistres, à moins qu’il ne soit un gueux.

Il y a des jours où l’encre et les livres, tous ces faux semblants de la vie, me paraissent une idole plus vaine et plus odieuse, plus fausse à coup sûr que l’argent. Dans une vie réelle les livres ne peuvent être que des initiateurs.

Qu’y a-t-il de nous en nous ? Je commence à me respecter comme un reliquaire de tous ceux que j’ai connus. Une manière, en riant, de transpercer les gens du regard qui est de Tante Alice. Des brusqueries d’intonation, des « Ah ! ma chère enfant » à des personnes de mon âge, qui sont de Mme Lemonnier et que j’aime comme un souvenir d’elle. C’est Mme de T… qui a gardé sa manière d’écouter, avec une ombre de mouvement dans les joues et dans le nez, comme si elle suçait un bonbon. Dans l’accueil une inclinaison rapide et large, les yeux levés et souriants, qui est de Mme Biacabe et de M. T. T…

Quand on nous présente quelqu’un, mouvement dégageant le cou et raidissant les épaules, sans qu’on puisse savoir si c’est recevoir ou rendre un hommage, à la fois de maman et de Mme de Lescure surprises par des étrangers — ou dans l’ennui, un air absorbé, fastueux, agressif, qui est presque une parodie de soi-même et vu quelquefois à Renée de M… sans savoir si elle me le doit ou moi à elle.

J’aime cette perméabilité, ce souvenir dans la chair de ce qui a plu, à cause d’elle je me suis plus précieuse que si je m’étais toute inventée.

« Je vous ai parlé de la mort tragique de mon vieil ami X…, j’apprends que les choses ont été encore plus graves et que l’on ne doute plus d’un assassinat. Quand donc les hommes perdront-ils cette illusion de vider leurs querelles par la mort ? Elle n’ajoute aux choses qu’un point de suspension et ne fait qu’éterniser les équivoques. Je n’ai jamais pu envisager la mort comme un dénouement, elle les interdit tous.