Journal d’un bibliophile/Lettre de M. l’abbé Courchesne

Imprimerie « La Parole » limitée (p. 131-134).


LETTRE DE M. L’ABBE COURCHESNE

ÉGLISE SAINT-GEORGES


Manchester, N.-H., le 23 avril 1919.

M. le Président de l’Association Canado-Américaine,

Bureau de l’Association,
Manchester, N.-H.


Monsieur le Président,


J’ai eu souvent l’avantage de faire des recherches fructueuses dans les « Canadiana » de la Collection Lambert. Elle a une valeur particulière que je voudrais ici rappeler à l’attention de tous ceux qu’intéresse l’avenir de la race franco-américaine.

Cet avenir dépend, dans une large mesure, du culte que l’âme franco-américaine gardera pour le passé qui l’a faite ce qu’elle est.

Au Canada, la race française ne s’est pas crue obligée, depuis 1760, de suivre avec passion tous les mouvements de la politique de la France contemporaine.

Elle ne s’en est pourtant jamais désintéressée, jusqu’au point de les ignorer. Elle s’en est tenue au courant, tout en s’occupant surtout des problèmes politiques, sociaux et religieux du Canada.

Mais ce qui lui a permis de garder ses qualités distinctives et d’exercer sur la vie publique du Canada une influence heureuse, c’est qu’elle n’a jamais perdu contact avec l’histoire et la littérature de l’ancienne Mère-Patrie.

D’autres races ont pu, pendant quelque temps, lui en vouloir de ce qu’elle s’obstinât à préparer l’avenir en tenant toujours compte de son passé, même lointain. L’heure vient où les esprits les plus distingués de ces races reconnaissent que le culte du passé a permis à cette race française du Canada de faire, au service de son pays, l’œuvre la plus solide, la plus logiquement suivie, et la plus largement patriotique : témoin l’ouvrage de M. Moore, The Clash, et l’accueil qu’il a reçu dans tous tes milieux.

Je ne suis qu’un hôte de mes frères franco-américains, et je ne songe pas à leur donner une leçon. Il me semble bien permis de les féliciter de l’effort qu’ils font pour tenir à la portée de leurs chercheurs des trésors d’histoire nationale comme en contient la Collection Lambert.

L’âme d’une race, comme l’âme individuelle, soutient sa vie et sa pensée à la condition de puiser à ce qui fut et reste pour elle un principe de vie.

Pour nous, comme pour les Franco-Américains, la pensée traditionnelle de la France catholique de tous les temps demeure une source de vie intellectuelle et morale que nous ne saurions renier sans nous anéantir. De même, pour le Franco-Américain, parce qu’il descend d’une race qui a vécu et s’est fortifiée en terre canadienne, l’histoire et la littérature canadiennes, si modestes qu’elles soient, restent un principe de vie qu’il ne saurait dédaigner sans s’affaiblir d’autant.

Il peut y avoir des exceptions individuelles à ces lois : certains déracinés, grâce à la sève qui, à leur insu, circule encore en eux, ont pu briller, tout en se réclamant d’une culture et d’aspirations diamétralement opposées à celles de leurs pères.

Mais on ne saurait impunément exposer toute une race à une pareille aventure. Elle peut bien s’enrichir de ce qu’on greffe sur elle. Si elle veut vivre, il lui faut plonger bien avant ses racines. Et son sol naturel, c’est son passé immédiat comme le plus lointain.

Et c’est pourquoi, sachant que cette survivance est le plus intelligent service que les Franco-Américains peuvent rendre aux États-Unis, leur Patrie, tous les Franco-Canadiens applaudissent aux sacrifices que font leurs frères de la grande république pour ne rien oublier de ce qui leur permettra de conserver toute leur valeur ethnique.

Vous me permettrez, Monsieur le Président, de vous offrir, par la présente, ma modeste contribution en argent à l’œuvre de la Collection Lambert, et de souhaiter qu’elle continue de s’enrichir et d’être fréquentée par ceux qui travaillent à fortifier leur âme et celle de nos frères des États-Unis.

Respectueusement dévoué,
Georges Courchesne, prêtre.