Journal (Eugène Delacroix)/5 septembre 1847

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 325-326).

5 septembre. — Travaillé dans la journée à rajeunir une petite esquisse de Mater dolorosa faite alors pour M. D…

Le soir, chez Mme Marliani. Le pauvre Enrico est bien mal. Il y avait là une femme aimable, Mme de Barrère, qui parle bien de tout, sans sentir la pédante.

— Leroux[1] a décidément trouvé le grand mot, sinon la chose, pour sauver l’humanité et la tirer du bourbier : « L’homme est né libre », dit-il, après Rousseau. Jamais on n’a proféré une pareille sottise, quelque philosophe qu’on puisse être.

Voilà le début de la philosophie chez ces messieurs. Est-il dans la création un être plus esclave que n’est l’homme ? La faiblesse, les besoins, le font dépendre des éléments et de ses semblables. C’est encore peu des objets extérieurs. Les passions qu’il trouve chez lui sont les tyrans les plus cruels qu’il ait à combattre, et on peut ajouter que leur résister, c’est résister à sa nature même. Il ne veut pas non plus de la hiérarchie en quoi que ce soit ; c’est en quoi il trouve surtout le christianisme odieux ; c’est, à mon sens, ce qui en fait la morale par excellence : soumission à la loi de la nature, résignation aux douleurs humaines, c’est le dernier mot de toute raison (et partant soumission à la loi écrite, divine ou humaine).

  1. Pierre Leroux.