Journal (Eugène Delacroix)/5 octobre 1856

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 170-172).

5 octobre. — Le matin, dessiné des moutons : nous montons avec le troupeau. Sensation de plaisir venant du beau temps.

En rentrant, lu les traductions de Dante et autres. Je remarquais combien notre langue pratique se plie difficilement à la traduction des poètes tout à fait naïfs comme Dante. La nécessité de la rime ou de sauver la vulgarité d’un mot force à des circonlocutions qui énervent le sens, et cependant nous lisions la veille des fables de La Fontaine, aussi naïf, plus orné, qui dit tout sans ornements parasites et sans périphrases.

Il ne faut dire que ce qui est à dire : voilà la qualité qu’il faut réunir à l'élégance. Les Deschamps[1] et autres modernes, qui ont senti, comme je le fais, combien est fade cette poésie, qui a des formules toutes prêtes et qui est celle du dix-huitième siècle, ont des passages où le sentiment de l’original se retrouve : mais tout cela est aussi barbare que le serait une langue étrangère ; en un mot, ce n’est pas traduit en français, et l'élégance est absente. Dans Horace, que nous lisions ensuite, même élégance, mais aussi même force : il n’y a pas de vrai poète sans cela.

— Le soir à table : nous dînons tard. Une nuée de cousins est arrivée à la grande et légitime humeur du cousin. Nous achevions en paix de dîner ; il a fallu réchauffer les plats, se serrer et assister, l’arme au bras, et sans lâcher pied, à l’assaut que la troupe a livré à la victuaille.

J’ai été me promener à la clarté des étoiles qui brillaient admirablement.

  1. Émile Deschamps et son frère Antony ont traduit en vers vingt chants de la Divine Comédie.