Journal (Eugène Delacroix)/29 juin 1855

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 49-50).

Paris, 29 juin. — Je vais dîner à la Taverne.

Je trouve, en allant aux Anglais, Bornot et sa femme, que je croyais partis, puis Dauzats et Justin Ouvrié[1], prenant du café au café Anglais.

Othello. Plaisir noble et complet ; la force tragique, l’enchaînement des scènes et la gradation de l’intérêt me remplissent d’une admiration qui va porter des fruits dans mon esprit. Je revois ce Vallak que j’ai vu à Londres il y a trente ans juste, peut-être jour pour jour (car j’étais là au mois de juin), dans le rôle de Faust. La vue de cette pièce fort bien arrangée, toute défigurée qu’elle était, m’avait inspiré l’idée de faire des compositions lithographiées[2]… Terry, qui faisait le diable, était parfait.

Je trouve là Mareste qui ne reste que jusqu’au deuxième acte, et ensuite Grzymala.

  1. Justin Ouvrié (1806-1880), peintre et lithographe, élève d’Abel de Pujol et de Châtillon, auteur de nombreux tableaux, aquarelles et lithographies.
  2. Delacroix fait allusion à la série des compositions lithographiées qu’il exécuta sur le Faust en 1827 et qui eurent l’honneur de fixer l’attention du vieux Gœthe. « M. Delacroix, dit Gœthe, dans ses conversations avec Eckermann, est un grand talent, qui a dans Faust précisément trouvé son vrai aliment. Les Français lui reprochent trop de rudesse sauvage, mais ici elle est parfaitement à sa place. — De tels dessins, reprend Eckermann, contribuent énormément à une intelligence plus complète du poème. — C’est certain, dit Gœthe, car l’imagination plus parfaite d’un tel artiste nous force à nous représenter les situations comme il se les est représentées à lui-même. Et s’il me faut avouer que M. Delacroix a surpassé les tableaux que je m’étais faits des scènes écrites par moi-même, à plus forte raison les lecteurs trouveront-ils toutes ces compositions pleines de vie et allant bien au delà des images qu’ils se sont créées. » (Conversations de Gœthe.}