Journal (Eugène Delacroix)/25 février 1856

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 134-135).

25 février. — Feuilleton admirable de Gautier[1] sur la mort de Heine, dans le Moniteur de ce jour.

Je lui écris : « Mon cher Gautier, votre oraison funèbre de Heine est un vrai chef-d'œuvre dont je ne puis m’empêcher de vous complimenter. Son impression me suit toujours, et il ira rejoindre ma collection d’excerptœ celebres. Eh quoi ! votre art, qui a tant de ressources que le nôtre n’a pas, est-il donc cependant, dans de certaines conditions, plus éphémère que la fragile peinture ? Que deviendront quatre pages charmantes écrites dans un feuilleton entre le catalogue des actions vertueuses des quatre-vingt-six départements et le narré d’un vaudeville d’avant-hier ? Pourquoi n’a-t-on pas averti quelques hommes zélés pour les vrais et grands talents ? Je ne savais pas même la mort de ce pauvre Heine : j’aurais voulu sentir devant cette bière qui emportait tant de feu et d’esprit ce que vous avez si bien senti. Je vous envoie ce petit hommage, moins pour les obligations que je vous ai d’ailleurs, que pour le plaisir triste et doux que j’ai eu à vous lire. Mille amitiés sincères. »

— J’ai été chez Delangle, qui a été aimable pour moi. J’y ai vu Béranger[2] : nous nous sommes rappelé notre connaissance dans la triste circonstance de la mort du cher Wilson.

J’ai été ensuite chez Thayer : il demeure dans un vaste terrain planté, occupé par plusieurs maisons. Moreau, qui était là, venait d’entrer dans un bal, chez des personnes inconnues, croyant se trouver chez ledit Thayer : luxe à la mode, ameublements, dorures, valetaille, etc. Les petits fuient les grands ; il y a un buffet, comme aux Tuileries, où des hommes en habit noir vous servent le thé, les glaces, etc.

  1. Ce feuilleton de Th. Gautier sur H. Heine n’est autre que la très belle et très éloquente étude qui fut insérée dans la traduction des œuvres de H. Heine, et dans laquelle le critique avait fait mieux que dépasser la manière un peu étroite que lui reproche trop souvent Delacroix.
  2. Béranger mourut l’année suivante.