Journal (Eugène Delacroix)/24 juin 1848

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 377-378).

Dimanche 24 juin. — Mauvaise disposition dans la matinée. Essayé d’esquisser un Samson et une Dalila[1] : j’en suis resté au crayon blanc.

L’après-midi, j’ai été à la forêt, par l’entrée du maquis : je n’avais pas vu ce côté depuis l’année dernière. Je me suis mis en tête de faire un bouquet de fleurs des champs que j’ai formé à travers les halliers, au grand détriment de mes doigts et de mes habits écorchés par les épines ; cette promenade m’a paru délicieuse. La chaleur, qui avait été étouffante et orageuse dans la matinée, était d’une autre nature, et le soleil donnait à tout une gaieté que je ne trouvais pas autrefois au soleil couchant… Je suis, en vieillissant, moins susceptible des impressions plus que mélancoliques que me donnait l’aspect de la nature ; je m’en félicitais tout en cheminant. Quai-je donc perdu avec la jeunesse ?… Quelques illusions qui me remplissaient à la vérité et passagèrement d’un bonheur assez vif, mais qui étaient cause, par cela même, d’une amertume proportionnée.

En vieillissant, il faut bien s’apercevoir qu’il y a un masque sur presque toutes choses, mais on s’indigne moins contre cette apparence menteuse, et on s’accoutume à se contenter de ce qui se voit.

  1. Voir Catalogue Robaut, no 1238.