Journal (Eugène Delacroix)/19 février 1852

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 83-84).

Jeudi 19 février. — Dîné chez Desgranges. Le hasard me place encore auprès de Rayer : j’ai été étonné de sa sobriété. Je voudrais me rappeler plus souvent quelle est l’importance de cette vertu, surtout pour un homme qui se trouve dans le triste cas où je suis ; ne mangeant qu’une seule fois par jour, il m’est bien difficile de ne pas être entraîné au delà des justes bornes par un appétit de vingt-quatre heures.

Réunion ennuyeuse au premier chef : la sottise du maître de la maison, l’inertie glaciale de sa femme auraient tenu en échec la plus communicative gaieté. J’ai vu chez lui le portrait du sultan Mahmoud en hussard, qui est la chose la plus grotesque du monde.

Je me suis échappé aussi vite que j’ai pu pour aller chez Bertin. Delsarte a chanté[1] et a ravi tout le monde. J’étais à côté d’un monsieur qui m’a appris qu’il avait assisté à la maladie et aux derniers moments de mon pauvre Charles[2]… Cruels détails ! cruelle nature !

  1. Delsarte, artiste lyrique et compositeur, qui quitta tout jeune l’Opéra-Comique pour se consacrer à l’enseignement de son art. Il ne se fit plus entendre dès lors que dans les concerts et dans les salons.
  2. Delacroix veut probablement parler de son frère Charles Delacroix, qui mourut à Bordeaux le 30 décembre 1845, loin de tous les siens.