Journal (Eugène Delacroix)/1834 sans date 1

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 193-194).

1834

Sans date[1]. — Coucher de soleil. Ciel bleu, jaune clair près du soleil et les nuages voisins du soleil en une masse un peu molle, et supérieurement des flocons laineux ; lesquels, jaune clair du côté du soleil, et du reste, gris de perle jaunâtre poussière. S’élevant davantage plus loin du soleil, gris de perle moins jaune et laissant entrevoir le ciel qui paraît d’un bel azur, quoique clair ; les nuages d’en haut éclairés par-ci par-là sur le bord, comme si un léger voile couvrait le reste, laissant apercevoir leur brillant.

Léda[2]. Son étonnement naïf en voyant le cygne se jouer dans son sein, autour de ses belles épaules nues et de ses cuisses éclatantes de blancheur. Un sentiment nouveau s’éveille dans son esprit troublé ; elle cache à ses compagnes son mystérieux amour. Je ne sais quoi de divin rayonne dans la blancheur de l’oiseau dont le col entoure mollement ses membres délicats et dont le bec amoureux et téméraire ose effleurer ses charmes les plus secrets. La jeune beauté troublée d’abord et cherchant à se rassurer en pensant que ce n’est qu’un oiseau. Ses transports n’ont pas de témoins. Couchée sous un ombrage frais au bord des ruisseaux qui réfléchissent ses beaux membres nus et dont le cristal effleure le bout de ses pieds, elle demande aux vents l’objet de son ardeur, qu’elle n’ose rappeler.

  1. Ces notes ont été vraisemblablement prises à Valmont, au mois de septembre 1834.
  2. On trouve ici l’idée première de l’une des trois peintures décoratives que Delacroix exécuta cette même année à Valmont. Ces fresques, Léda, Anacréon, Bacchus occupent des dessus de porte dans le corridor du premier étage de la propriété de M. Bornot. (Voir Catalogue Robaut, nos 384 et 545.)