Journal (Eugène Delacroix)/14 octobre 1855

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 111-112).

Paris, 14 octobre. — Parti pour Paris à midi. Le matin, été à la jetée pendant qu’on faisait les paquets. J'étais arrivé à Dieppe avec ravissement ; j’en pars avec plaisir ; étrange disposition : une fois que j’eus arrêté le jour de mon départ, j’eus presque hâte de retourner à Paris. J’ai un grand désir de travailler. Ce mouvement, cette variété de situation et d'émotion donne à tous les sentiments plus de vivacité ; on résiste mieux, en variant son existence, à l’engourdissement mortel de l’ennui.

J'étais, de Dieppe à Rouen, avec trois Anglais, jeunes tous les trois ; et comme je voyageais en première classe, il y avait lieu de penser qu’ils étaient aisés. Ils étaient très négligés, un d’eux surtout qui l'était jusqu'à la malpropreté et jusqu'à avoir des habits déchirés. Je ne m’explique pas ce contraste si tranché avec leurs habitudes d’autrefois ; je l’ai remarqué dans le voyage que j’ai fait à Baden, de Strasbourg ; un des jours qui ont suivi celui-ci, pendant que je faisais mon examen des tableaux, je rencontrai lord Elcoë, notre vice-président, dans une tenue presque sale ; le bon Cockerell, qui m’a accompagné jusqu'à la place Louis XV un autre jour, avait une cravate de couleur très commune ; ils sont tout à fait changés ; nous avons pris beaucoup, au contraire, de leurs manières d’autrefois.