Journal (Eugène Delacroix)/13 juin 1824

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 130-132).

Dimanche 13 juin. — Rien de bien remarquable aujourd’hui. — Jeudi soir chez Leblond. — Aujourd’hui, travaillé toute la journée à copier deux dessins. J’avance beaucoup mon tableau. — Dîner avec Soulier et Fielding. — Commencé mon aquatinte. Chez Fielding et Soulier, le matin.

— À l’atelier, travaillé au coin à gauche, surtout l’homme couché. Ôté le blanc qu’il avait autour de la tête.

— Le soir chez M. de Conflans : il était seul. Café de la Rotonde.

— Reçu un billet de la Laure ; très drôle.

— En sortant vers huit heures, le soir, de la maison, rencontré la jolie grande ouvrière. Je l’ai suivie jusqu’à la rue de Grenelle, en délibérant toujours sur ce qu’il y avait à faire et malheureux presque d’avoir une occasion. Je suis toujours comme ça. J’ai trouvé, après, toutes sortes de moyens à employer pour l’aborder, et quand il était temps, je m’opposais les difficultés les plus ridicules. Mes résolutions s’évanouissent toujours en présence de l’action. J’aurais besoin d’une maîtresse pour mater la chair d’habitude. J’en suis fort tourmenté et soutiens à mon atelier de magnanimes combats. Je souhaite quelquefois l’arrivée de la première femme venue. Fasse le ciel que vienne Laure demain ! Et puis, quand il m’en tombe quelqu’une, je suis presque fâché, je voudrais n’avoir pas à agir ; c’est là mon cancer. Prendre un parti ou sortir de ma paresse. Quand j’attends un modèle, toutes les fois, même quand j’étais le plus pressé, j’étais enchanté quand l’heure se passait, et je frémissais quand je l’entendais mettre la main à la clef. Quand je sors d’un endroit où je suis le moins du monde mal à mon aise, j’avoue qu’il y a un moment de délices extrêmes dans le sentiment de ma liberté dans laquelle je me réinstalle. Mais il y a des moments de tristesse et d’ennui, qui sont bien faits pour éprouver rudement ; ce matin, je l’éprouvais à mon atelier. Je n’ai pas assez d’activité à la manière de tout le monde pour m’en tirer, en m’occupant de quelque chose. Tant que l’inspiration n’y est pas, je m’ennuie. Il y a des gens qui, pour échapper à l’ennui, savent se donner une tâche et l’accomplir.

— Je pensais aujourd’hui qu’à travers tous nos petits mots, j’aime beaucoup Soulier : je le connais et il me connaît. J’aime beaucoup Leblond. J’aime beaucoup aussi mon bon vieux frère, je le connais bien ; je voudrais être plus riche, pour lui faire quelque plaisir de temps en temps. Il faut que je lui écrive.