Journal (Eugène Delacroix)/10 mars 1848

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 353-354).

Samedi, 10 mars. — Vu Mme de Forget le soir, M. de T… le matin.

J’ai été frappé de son Albert Dürer, et comme je ne l’avais jamais été ; j’ai remarqué, en présence de son Saint Hubert, de son Adam et Ève, que le vrai peintre est celui qui connaît toute la nature. Ainsi ses figures humaines n’ont pas chez lui plus de perfection que celles des animaux de toutes sortes, des arbres, etc. ; il fait tout au même degré, c’est-à-dire avec l’espèce de rendu que comporte l’avancement des arts à son époque. Il est un peintre instructif ; tout, chez lui, est à consulter.

Vu une gravure que je ne connaissais pas, celle du Chanoine luxurieux, qui s’est endormi près de son poêle : le diable lui montre une femme nue, laquelle est d’un style plus élevé qu’à l’ordinaire, et l’Amour tout éclopé cherche à se grandir sur des échasses.

Il ma montré une lettre de mon père ; cela m’a fait plaisir. Ce qui m’a le plus frappé dans ses autographes est un écrit de Léonard de Vinci, sur lequel il y a des croquis où il se rend compte du système antique de dessins par les boules[1] ; il a tout découvert. Ces manuscrits sont écrits à rebours.

Onslow y est venu. La liaison intime qui est entre eux a un peu refroidi mon désir d’être invité à ses quatuors.

— En revenant, travaillé au rideau de table, au Vase de fleurs[2].

  1. C’est ainsi que les sculpteurs opèrent pour construire leurs maquettes ou esquisses. Il n’est pas étonnant que les dessinateurs et les peintres aient employé ce procédé, qui doit remonter à la plus haute antiquité.
  2. En 1849, Delacroix exécuta, en effet, quatre magnifiques compositions représentant des fleurs et qui figurèrent à la vente posthume de son atelier. (Voir Correspondance, t. II, p. 13, 14 et 15.)