Alphonse Lemerre (p. 46-48).

OUMÉ

À Mademoiselle Thérèse Duroziez.

Oumé — Fleur-de-Prunier — la petite princesse
Japonaise — aux longs yeux,
Au teint de lotus doré,
Laisse errer
Ses doigts de fin ivoire
Sur les cordes tendues de la biva ;
Et de ses lèvres exquisement pâles
Monte une chanson :

« Le guerrier farouche,
Le farouche Samouraï,
Pour moi seule s’attendrit ;
Le baiser de sa bouche
Est gai comme un éveil de nids. »

La chanson vole par delà les lattes délicates
De bambous, avec soin ouvragés ;


Elle vole par delà les étoffes brodées
Où, songeuses, les cigognes se sont arrêtées ;
La chanson vole jusque sous le ciel diapré —
Sous le ciel rouge, violet et gris —
Et berce, comme d’un souffle léger,
Les Chrysanthèmes, les Pivoines et les Iris.

« Il est parti guerroyer,
Armé du katana recourbé ;
Mais son baiser dans mon cœur est resté…
Et j’attends, palpitante d’espérer
Le retour du Bien-Aimé. »

Les Chrysanthèmes disent : — Viens, petite sœur,
Dont la robe comme nos parures est joyeuse,
Viens parmi nous promener ta langueur amoureuse !
Dans le vent frais, qui souffle de la mer, nous baignerons ensemble…
Viens parmi nous, petite sœur qui nous ressemble !

« Le charme de vivre, le charme de voir
Les fleurs, aux chatoyants reflets,
Qui, telles de petites sœurs,
Autrefois me parlaient —
Tout s’est éloigné
Avec le Bien-Aimé. »


Les Pivoines disent : — Nos seins sont éclaboussés
Du sang glorieux des guerriers tombés ;
La petite princesse ne reverra jamais
Son Bien-Aimé !

« Si son jeune cœur allait succomber !
Si mon beau guerrier loin de moi tombait !
Ah ! sûrement les hirondelles sauvages me le diraient. »

Et les Iris disent : — Viens, petite sœur,
Te pencher sur l’eau à l’insigne douceur !
Dans les roseaux tremblants dort l’opium suprême…
Viens parmi nous petite sœur !

« Et s’il ne devait
Revenir jamais,
Mon Bien-Aimé,
Parmi les iris et les roseaux,
Tremblants dans l’eau,
Je m’endormirais. »

Des cordes tendues le frémissement cesse
Et la chanson a replié son aile,
Oumé — Fleur-de-Prunier — la petite princesse
Japonaise, aux longs yeux,
Rêve parmi les étoffes brodées
Où, songeuses, des cigognes se sont arrêtées.