Joies errantes/Chanson triste

Alphonse Lemerre (p. 25-26).

CHANSON TRISTE

À Jules Bois.

Dans les cyprès
Que le vent du soir balance,
Dans les cyprès
Une voix plaintive y chante,
Y chante des berceuses jolies
Aux pauvres morts endormis.

Elle dit aux belles,
Qui sont couchées rêvant,
Elle dit aux belles :
« Sont partis vos amants
Vers d’autres belles,
Leur jurant mêmes serments. »

Dans les cyprès
Que le doux matin arrose.
Dans les cyprès
Une triste voix y cause :


« Ne vous réveillez pas,
Ô pauvres morts dormants.
Car votre place, las !
Est prise depuis longtemps.

« Rêvez du temps charmant,
De vos belles années.
Rêvez des frais printemps
Pour toujours en allés
Et de ces bouquets blancs
À jamais effeuillés
Avec les chers baisers
Par vos fiancées donnés. »

Dans les cyprès
Une voix tendre y pleure,
Dans les cyprès
Une voix tendre y gémit.
Et vous, enfants petits,
Aux mères arrachés
Par la méchante mort,
Vous-mèmes êtes oubliés ;
D’autres fils sont couchés
Dans vos berceaux d’osier.