Grasset (p. 177-179).

XVII

C’était seulement qu’il avait fallu que cette chose vînt encore, afin qu’ils eussent tout le ciel.

Il y a eu enfin pour eux tout le ciel quand il y a eu toute la terre de nouveau ; il y a eu pour eux toute la joie quand la souffrance est revenue prendre place à côté d’elle.

Et Chemin a compris pourquoi son tableau n’allait pas avant ; alors, le lendemain déjà, il s’était mis à le refaire ; son tableau maintenant était en deux parties : une partie d’en haut, une partie d’en bas.

Les gens avaient recommencé leur vie ; ils entraient chez Chemin pour voir « si ça avançait ».

Ils entraient, ils disaient bonjour, ils s’asseyaient sur l’établi ; ils regardaient Chemin aller prendre avec son pinceau ses couleurs sur le morceau de verre, et il y avait maintenant du noir parmi ses couleurs.

Pour la partie d’en haut, c’était un beau bleu, c’étaient du rose, du blanc, du vert tendre ; pour la partie d’en bas, c’était du rouge ou bien du noir.

On entendait le cornet de Thérèse. Elle a passé devant l’atelier avec son troupeau. Quand elle portait le cornet à sa bouche, le cornet jetait un petit éclair. Et, de temps en temps, l’une ou l’autre de ses bêtes s’arrêtait pour brouter une touffe d’herbe au bord du chemin ; mais Thérèse levait son bâton, puis :

— Té… té…

Puis elle souffle dans son cornet…

Et, dans cette partie d’en haut, c’est nous autres, c’est notre bonheur ; c’est où on est heureux, c’est où on connaît son bonheur, avec des figures contentes, avec la paix autour de soi sous les grands rochers gris, sous de la neige rose ou blanche ; — nous autres avec notre bonheur dans cette partie d’en haut, et puis…

Parce qu’il y avait l’autre partie ; alors ceux qui étaient dans l’atelier disaient à Chemin :

— C’est drôle, on n’avait pas vu que ça nous manquait. On ne savait pas ce qui nous manquait.

Ils disaient à Chemin :

— Toi non plus…

Chemin secouait la tête.

— Tandis qu’à présent, ça y est… Et ça y est pour toi aussi.

Chemin a hoché la tête.