John Galsworthy (André Chevrillon)

John Galsworthy (André Chevrillon)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 9 (p. 314-358).
JOHN GALSWORTHY

Tout le monde suit avec attention l’effort que fait depuis quelques années la vieille Angleterre pour se renouveler en s’adaptant à ses circonstances modernes. Une telle activité ne se borne pas au domaine pratique et politique ; elle s’accompagne d’un travail très profond et général de réflexion. Ce ne sont pas seulement les formes nationales de la société que l’on met en question, mais les formes nationales de l’esprit : préjugés, croyances, traditions, où se perpétuent, fixées par l’automatisme, les idées fondamentales qui correspondaient à d’anciennes conditions d’équilibre et de vie. On s’est mis à discuter ces idées mêmes, les principes essentiels de la culture anglaise, la table des valeurs qu’elle suppose, les types d’humanité, si distincts entre toutes les variétés de l’homme civilisé, qu’elle a produits. Pour prendre un exemple significatif, on a vu des écrivains, que nous commençons à connaître en France, un Bernard Shaw, un Chesterton, un Wells, attaquer cet idéal aristocratique et chrétien du gentleman, qui régna, défini, prêché par les moralistes, incarné par les romanciers dans leurs héros, chanté par les poètes, durant toute l’époque victorienne.

Parmi ces nouveaux penseurs, il en est un, à mon sens le premier par l’art, dont l’œuvre est plus difficile h. suivre pour des étrangers, parce qu’il se prend, en des personnages de vie complète, aux modes les plus caractéristiques et parfois les plus cachés de l’âme anglaise, et cela sans les étudier à part, sans les définir et les juger à la façon de M. Wells, en se bornant, en des notations d’une ironie tacite, à en saisir au passage les brèves expressions dont le sens peut échapper, si l’on n’a pas déjà l’expérience de cette humanité si spéciale. Ces personnages, qu’il nous laisse à reconnaître, M. Galsworthy les choisit dans la portion la plus anglaise de l’Angleterre, dans cette puissante classe dirigeante dont les hommes, plus accessibles que le menu peuple besogneux aux influences déterminantes de la culture nationale, en incarnent les idées, et les entretiennent par leurs mutuelles suggestions. De cette classe, qui a si longtemps composé la substance active de la nation, décidé sa figure et son caractère distincts, de cette Angleterre essentielle, de ses catégories et de ses types divers, — nobles, hommes politiques, squires, prêtres de l’Eglise anglicane, intellectuels, universitaires, grands bourgeois et grands marchands, — des consignes, coutumes et préjugés de caste qui façonnent leurs âmes et leurs physionomies, les romans de M. Galsworthy composent l’étude la plus méthodique et pénétrante, d’autant plus suggestive que, toujours, au factice, au conventionnel, à l’insulaire des principes de la vie anglaise, secrètement il oppose les grandes nécessités éternelles de la vie, celles qui font de l’homme la chose partout pareille de la Nature : la Faim, l’Amour, la Mort[1].


Il est philosophe et poète, mystiquement poète, ce qui ne l’empêche pas d’être le plus précis et le plus systématique des réalistes. En écrivant ce dernier mot, je ne songe pas à le cataloguer dans une école ; je ne pense pas à la manière, mais à l’objet de son art que commande son point de vue naturel. C’est celui de tous les grands artistes, que sollicite le besoin de saisir et traduire la réalité complète, non seulement celle que perçoivent les yeux ordinaires, mais l’intérieure, la profonde, dont le mystère les hante, la force ou l’idée qu’ils pressentent sous les apparences d’un être ou d’une chose, et qu’ils tâchent à nous révéler dans leur interprétation des apparences. Et quand il s’agit de l’homme, c’est l’âme qui les intéresse principalement, le fond vital et le dedans spirituel dont le dehors n’est que le signe, le principe secret d’harmonie d’où procèdent la forme et le mouvement de la créature.

Parce qu’il est si curieux de cette créature humaine, parce qu’il veut la voir et la montrer dans sa profondeur, ce romancier s’attache à tout ce qui l’exprime et la traduit aux yeux. Il ne se lasse pas d’en épier les aspects et les gestes. Le nombre et l’exactitude du détail concret, c’est ce qu’on remarque d’abord dans son art où s’atteste ainsi l’un des traits communs à toutes les créations du génie septentrional : génie sérieux, épris de beauté morale plutôt que de perfection plastique, mais trop soucieux de vérité vraie pour oublier, dans son rêve de l’idéal, le réel irrégulier et complexe, ou l’astreindre à la simplicité des formes abstraites. Devant les personnages de M. Galsworthy, on penserait, si la main qui les dessine n’était si légère et si preste, aux portraits que peignaient les vieux maîtres germaniques. Même attention, même sensibilité à tout ce qui constitue et manifeste l’infini de l’individu, et, dans cet infini, à ce qui est unique, telle combinaison singulière de traits d’une âme et d’un visage que la nature ne répétera jamais, — et à ce qui est général, expressif du type, de l’âge, du milieu, du métier. De là le ton fondamental de son œuvre. Inspirée par une foi, émue au fond d’amour et de pitié, elle procède avec le calme, la sérénité précise et délibérée de l’observation pure. Aucun des grands romanciers anglais de notre temps n’a si peu montré de sa personne dans son œuvre. Rien ici qui rappelle les élans de verve et les attendrissemens de Dickens, la prédication dissertante de George Eliot, les fantaisies de Meredith, les lyriques ardeurs, les tensions de volonté, les violentes clartés visionnaires de Kipling. Rien qu’une suite tranquille et serrée de fines petites touches posées d’un pinceau égal et sûr, chacune extraordinairement expressive et complémentaire de toutes les autres, s’y harmonisant dans l’unité de la vie, contribuant à nous traduire la relation de tel visage, de telles habitudes du corps, de telle physiologie, avec tels rythmes de vouloir, de pensée et de sentiment. A ce degré, l’imagination intuitive peut se passer de l’affabulation du roman. Le créateur des Forsyte peut user du privilège du peintre : il lui suffit d’évoquer des figures. Qu’elles soient significatives et marquées de caractère, qu’elles se composent suivant la profonde logique de la vie, que toute leur vie nous apparaisse, la même dans la nuance des yeux, dans la lumière ou le voile du regard, dans le mat ou le pourpre du teint, dans l’énergie, la langueur ou la sérénité de l’expression, dans le fléchissement ou la décision de l’attitude, et c’est assez pour qu’il nous intéresse, surtout quand, par-dessous ces apparences individuelles, se révèle un élément spécifique, la marque de telle culture sociale, le parti pris de telle civilisation. M. Galsworthy a écrit des livres qui ne sont que des suites de portraits infiniment circonstanciés, mais qui nous disent tout des types de l’humanité anglaise contemporaine.

L’un de ces recueils[2] s’ouvre justement par une étude de vingt pages qui s’intitule Un Portrait, où l’on découvre, harmonieusement réalisée dans une figure vivante, une certaine idée de l’homme qui compte pour beaucoup dans l’essence de l’Angleterre moderne. Ce grand vieillard dont l’échine n’a jamais fléchi, dont la tête se tient si haute, dont les yeux profonds, traversés de vives lueurs, regardent droit et sont restés d’un gris d’acier, cet octogénaire aux beaux cheveux d’argent, au front large et serein, à la mâchoire volontaire, au menton saillant et fendu par une fossette, c’est un gentleman anglais de l’espèce citadine, et qui a vécu presque tout le XIXe siècle. L’équilibre, voilà sa qualité fondamentale : équilibre des puissances de sentiment et de pensée, et des énergies de vouloir et d’action. Il est riche ; il respecte la richesse parce qu’il y voit le produit et le signe de la vie laborieuse et bien ordonnée. Il a travaillé dur, jamais trop dur. Moralement il se suffit. Il n’est pas un original, mais il ne demande rien à l’opinion d’autrui : il a ses certitudes, sa philosophie, sa morale qui traduit ses tendances natives d’Anglais et de gentleman et son expérience de la vie. Il méprise tout ce qui est signe de langueur, d’anémie, ou bien de force insolente et brutale. Son passé, ses goûts, ses habitudes nous sont décrits, sa claire et spacieuse maison de campagne si méthodiquement étudiée pour la joie et la santé des enfans, ses préférences d’art, qui sont de l’ordre classique : en littérature, il aime surtout George Eliot et Tourguenief, et répugne à Meredith et Browning ; en musique, il a fait un effort pour comprendre Wagner, mais rien ne l’enchante comme la perfection d’un Mozart ; en peinture, il n’a pas suivi Ruskin et les préraphaélites ; il n’est pas allé jusqu’à Botticelli, et il se méfie de Turner. Et c’est ensuite son profond sentiment anglais de la nature, le rêve où peut le jeter une figure de jeune femme, une mélodie tendre, un chant d’oiseau, la lune derrière les peupliers, une nuit d’étoiles, dont l’émotion se traduit chez lui par du silence ou par ce mot prononcé à voix basse : « Quels insectes nous sommes ! » — tout cela plus ou moins mal exprimé par la naïveté un peu pompeuse de ses tentatives poétiques de jeunesse, dont il n’a confié le secret à personne. Ainsi, graduellement, par le nombre des petits traits choisis qui tous manifestent quelque chose de la même qualité fondamentale, sa figure achève de se réaliser. Nous apprenons sa façon de s’habiller, le style un peu suranné de son service sur la pelouse de cricket, qu’il fréquente encore avec ses petits-fils, l’espèce de thé qu’il préfère, son attitude devant les pauvres. Nous le voyons dans son bureau, dans la nursery des bébés où il est heureux, à l’église où il va régulièrement, par sentiment de décorum et de discipline sociale, au cimetière où il s’oublie, tête baissée, devant la tombe ouverte d’un ami d’enfance, méditant la mort qui s’approche pour lui, et quand nous arrivons à la dernière page, nous le connaissons tout entier. Il nous apparaît comme l’un des rares exemplaires tout à fait réussis d’une espèce, comme le fils accompli d’un siècle qui fut celui de Tennyson et de Thackeray, que la génération présente, plus critique, peut railler pour son illogisme et ses timidités intellectuelles, mais qu’elle peut aussi regretter quand elle sent sa propre faiblesse et ses inquiétudes, et qu’elle mesure l’effort qu’il lui faut faire pour s’adapter moralement et socialement aux conditions du monde nouveau : un siècle entre deux âges, où l’Angleterre continuait ingénument et paradoxalement de vivre en des formes construites aux époques de foi et d’autorité, sans se douter que ces formes étaient condamnées, — ses hommes encore sains, encore tranquilles « à l’ombre du vieil arbre dont les racines étaient coupées. »

Dans les grands romans, les figures se mettent en mouvement, mais leur détail reste infini. Le drame, en général rejeté au second plan, n’est là que pour les obliger à se révéler complètement, à se présenter sous toutes leurs faces, dans tous les gestes possibles de la vie, avec, toujours, le courant intérieur de rêve et de sentiment dont le rythme est aussi propre à chacun que sa démarche ou le ton de sa voix. Les événemens pathétiques, les paysages, l’amour, la mort, la nature ne servent qu’à suggérer ironiquement, par le contraste des puissances éternelles, ce qu’il y a de limité, de particulier, de local dans le type décrit et les idées qui le gouvernent. L’essentiel dans le Propriétaire, c’est l’histoire naturelle des Forsyte, d’une famille qui présente en ses diverses générations les vertus et les défauts propres de la grande bourgeoisie citadine de l’Angleterre au dernier siècle (et quelques-unes de ces caractéristiques la distinguent profondément de l’espèce française équivalente) : l’énergie, l’invincible vitalité, l’instinct et le culte de la santé, l’orgueil taciturne, la secrète volonté de se garder, l’égotisme irréductible, la passion de la propriété, la tendance à tout apprécier en termes d’argent, le mépris professé des idées, l’individualisme jaloux, et cependant le respect superstitieux des conventions, l’hostilité à tout ce qui s’écarte du modèle prescrit et reconnu. Le vrai sujet, c’est James Forsyte, c’est Jolyon Forsyte, c’est Swithin Forsyte, c’est Roger, Nicholas et Timothy Forsyte, leurs sœurs, leurs femmes, leurs enfans, leurs neveux, chacun présentant une certaine variante du type général des Forsyte, c’est-à-dire de la gentry professionnelle anglaise. Le livre n’est que la suite des tableaux où cette famille se manifeste comme être collectif, où ses individus apparaissent dans les situations principales de la vie humaine, dans les situations particulières d’une vie d’Anglais et de bourgeois. Les titres mêmes des chapitres : — Le vieux Jolyon reçoit, — Dîner chez Swithin, — Le vieux Jolyon à l’Opéra, — Promenade avec Swithin, — Mort de tante Anne, — Bal chez Roger, — Soirée à Richmond Park, — nous indiquent assez le point de vue de l’auteur, qui est celui de l’observation méthodique. Quand vous avez lu le roman, vous avez vu Soames en train de soupçonner et de surveiller sa femme, de décider, dans un si profond secret de convoitise et de prudence, une opération d’importance suprême pour un Forsyte : l’achat d’une propriété, — de défendre sa bourse, d’intenter un procès d’argent à l’homme détesté qui est intervenu dans son ménage, de répondre, — sous quel masque d’impassibilité, avec quelle maîtrise de soi, quel laconisme hautain et calculé ! — au questionnaire insidieux que lui fait subir l’avocat de l’adversaire. Vous avez vu Swithin, ce puissant et fruste célibataire de soixante-quinze ans, orgueilleux de sa cave, de ses chevaux et de ses cigares, et que menace l’apoplexie, méditer profondément le menu d’un grand dîner. Vous avez assisté au Conseil d’administration que préside impérieusement l’octogénaire Jolyon ; vous l’avez accompagné au théâtre, aux bains de mer, vous avez fait le tour de son club et de son hôtel ; vous y avez surpris la triste rêverie de sa solitude. Vous avez noté les différens aspects de sa personne, ce qu’il est avec ses frères, son fils, ses petits-enfans, — si méfiant, méprisant, cassant avec les uns, si simple, si sensible, si faible même, secrètement, avec les autres. Vous connaissez la terreur obscure que tous ces Forsyte ressentent à l’inacceptable idée de ce monstrueux scandale : un adultère dans la famille ; et vous avez compris qu’un mari trompé n’est pas un personnage comique en Angleterre. Vous les avez suivis à l’enterrement de la tante Anne, laquelle n’est morte qu’à seule fin que vous aperceviez, par-dessous les gestes mécaniques de la convention, les réactions profondes, devant le cadavre de l’un des leurs, de ces bourgeois si puissamment construits, de ces Anglais aux mains prenantes en qui la vie et l’illusion sont si fortes et si tenaces, pour que vous sachiez ce qu’est leur idée de la mort, comme vous savez ce qu’est leur conception du bonheur, de l’honneur, de la morale, de la religion, du mariage, de la famille, de l’amour, de l’art, pour que vous possédiez toutes les caractéristiques de leur espèce, qui est nombreuse dans leur pays, pour que vous compreniez bien ce qui s’y combine, par une de ces associations paradoxales des contraires qui sont le fait et l’œuvre de la vie, d’aristocratique et de vulgaire, de mercantile et de puritain, de grégaire et d’individualiste, d’orgueilleux et de bas, de primitif et de civilisé. Autant de scènes où M. Galsworthy tourne et retourne ses personnages, faisant varier chaque fois la silhouette qu’il nous en présente, afin que nous apprenions à les connaître dans la mouvante et délicate complexité qui est celle de la créature la plus simple, par une suite d’expériences, toutes pareilles à celles qui dans la vie s’additionnent et se corrigent mutuellement pour nous renseigner sur autrui, — en ayant soin de ne jamais les décrire complètement, de n’en présenter d’abord que les traits les plus évidens, de n’en donner qu’une première et sommaire impression d’ensemble, en prenant garde aussi de ne pas les définir, de les laisser se révéler eux-mêmes, nuance à nuance, par leurs gestes, leurs propos, par la vision qu’ils ont les uns des autres, et que chacun d’eux traduit avec les mots et les images qui lui sont propres, par la série surtout de leurs sensations, idées, rêves, velléités, décisions, que l’auteur ne semble pas suivre et noter du dehors, qu’il ne transpose pas non plus dans la forme du monologue, mais qu’il fait apparaître en se servant d’un procédé de langue auquel l’anglais se prête admirablement : le discours indirect. Par ce moyen, qui ne prétend pas répéter exactement une suite continue de paroles mentales (une telle suite existe rarement), mais surtout reproduire le mouvement, l’allure et les gestes personnels d’une âme, les créatures de M. Galsworthy nous deviennent comme transparentes. Nous assistons vraiment au déroulement de leur mécanisme intérieur.

Il est bien difficile, par des fragmens, de donner idée d’un tel art. C’est par l’effet total de vingt évocations distinctes et dont aucune ne vaut tout à fait qu’à sa place dans le roman, que chacun de ces personnages finit par nous paraître si réel, animé d’une vie à ce point complète et singulière que nous saurions que c’est lui qui parle, si seulement nous entendions le son de sa voix. Il faut pourtant bien citer ; en critique, c’est encore le seul moyen d’être précis. Voici, par exemple, le vieux Jolyon, un homme d’affaires, l’aîné de la famille dont les quatre-vingts ans se tiennent superbement droit, — tête puissante en forme de dôme, regard ferme et vif, longues moustaches blanches qui tombent au-dessous de son énergique menton, — maître, semble-t-il, et quoi qu’en dise le creux de ses joues et de ses tempes, d’une indestructible jeunesse (chez les vieillards de cette forte bourgeoisie anglaise, c’est un trait général), le plus noble des Forsyte, le seul qui soit généreux, très fier, dominateur, dédaigneux, mais capable de tendresse et de rêve désintéressé, en cela singulier dans la famille, dressé d’ailleurs par les disciplines de sa caste à cacher attentivement sa sensibilité. Il est très seul. Cédant, un soir de lassitude, à un besoin longtemps réprimé du cœur, il est allé chez son fils, Jolyon le jeune, qu’il n’a point vu pendant des années, parce que celui-ci, dérogeant à l’une des plus strictes consignes d’une société d’essence encore puritaine, — son ménage fut d’abord irrégulier, — s’est mis hors de la famille et de la société. La maison, le quartier lui ont semblé médiocres, indignes de ce fils qui porte son nom. À ce vieil Anglais tout parle de honte, qui porte la marque de la pauvreté, et Jolyon le jeune est pauvre : fièrement, il a refusé tout secours d’un père qui le tenait à distance. L’entrevue, dans l’étroit jardin, fut embarrassée ; la femme rougissante, muette, agitée, l’a regardé d’un air de crainte et de ressentiment. Tout d’un coup, comme secouée de sanglots, elle s’est levée. Son mari l’a suivie. Le vieux Jolyon est resté seul avec les enfans, qu’il voit pour la première fois, ses petits-enfans qui lui grimpent sur les genoux, et dont la grâce et l’inconscience l’attirent étrangement, — le vieil homme opiniâtre s’est toujours laissé prendre par les petits. Quand son fils est revenu, il a maîtrisé son élan ; sa pudeur anglaise, ses habitudes de réticence l’ont empêché de parler. Il n’a pas été question d’une autre visite. Maintenant, il rentre chez lui, morne et mécontent.


Il partit tristement. Quelle pauvre maison ! Et il pensait à son grand hôtel vide de Stanhope-Gate, — l’habitation normale d’un Forsyte, avec sa vaste salle de billard, son salon où personne n’entrait d’un bout à l’autre de la semaine.

Cette femme, dont il avait assez aimé la figure, avait vraiment la peau trop sensible. Elle devait faire passer de mauvaises heures à Jo... Et ces mignons d’enfans ! Ah l’effroyable stupidité de toute cette histoire !

Il tourna vers Edgware-Road, entre des rangs de maisons basses qui éveillaient en lui l’idée d’histoires du même ordre, de vies plus ou moins tarées.

Ainsi donc la société, tous ces imbéciles, ces singes qui jacassent, s’étaient permis de passer jugement sur ceux de sa chair et de son sang ! Un tas de vieilles commères ! Il tapa la terre du fer de son parapluie, comme pour l’enfoncer au cœur de ce misérable corps social qui avait osé mettre au ban son fils et le fils de son fils, en qui lui-même aurait pu revivre.

Rageusement, il poussait son parapluie. Et pourtant, est-ce que lui-même n’avait pas agi pendant quinze ans comme la société ? Pour la première fois de sa vie, il venait d’en défier les impératifs.

Il pensa à June[3], à la mère morte de celle-ci, à tout le passé, et la vieille rancœur lui revint. Une misérable affaire !

Il avait mis beaucoup de temps à gagner Stanhope-Gate, car avec une perversité native du vouloir, se sentant très fatigué, il avait tenu à faire à pied toute la route.

Après s’être lavé les mains au rez-de-chaussée, il passa pour attendre le dîner dans la salle à manger, la seule pièce qu’il habitât quand sa petite-fille était absente.

La sensation de solitude y était moindre. Le journal du soir n’était pas encore arrivé ; il avait fini le Times : il n’y avait donc rien à faire.

La chambre, qui donnait sur une rue sans passans, était très silencieuse. Il détestait les chiens, mais, vraiment, un chien ce soir-là, c’eût été de la compagnie ! Son regard, errant le long des murs, s’arrêta sur un tableau intitulé : Groupe de bateaux de pêche hollandais au coucher du soleil. Il n’y trouva point de plaisir. Il ferma les yeux. Il était seul ! Ah ! il savait bien qu’il n’avait pas le droit de se plaindre, mais tout de même !… Il était un pauvre homme ; il n’avait jamais été qu’un pauvre homme ! Pas de courage ! Ainsi rêvait-il.

Le maître d’hôtel vint mettre le couvert, attentif, en voyant que son maître avait l’air de dormir, à ne point faire de bruit. Cet homme à barbe portait aussi moustaches, ce qui le rendait suspect aux autres membres de la famille, surtout à ceux qui, ayant passé par Eton ou Harrow, se montraient difficiles en fait de style et de tenue. Pouvait-on, vraiment, le considérer comme un maître d’hôtel ? George, qui passait pour le plaisant de la famille, l’appelait « le Méthodiste de l’oncle Jolyon. »

Il allait et venait, admirablement gras, doux dans ses mouvemens, autour du vaste buffet poli, de la vaste table polie.

Le vieux Jolyon le guettait, feignant de dormir. Certainement ce garçon était un faux bonhomme ! — il l’avait toujours pensé. Celui-là se fichait de tout, pourvu qu’il pût bâcler sa besogne et filer chez un agent de pari mutuel ou retrouver quelque femme, ou Dieu sait quoi ! Un flemmard, et gras avec cela, qui se souciait de son maître comme d’une guigne !

Mais alors lui vint, malgré lui, un de ces instans de philosophie qui faisaient la différence entre le vieux Jolyon et les autres Forsyte.

Après tout, pourquoi l’homme sentirait-il quelque chose pour son maître ? On ne le payait pas pour sentir, et dans ce monde il ne faut pas s’attendre à de l’affection si on ne la paye pas. Ça serait peut-être différent dans un autre monde. Il n’en savait rien. Il ne pouvait pas dire… Et de nouveau il ferma les yeux.

Impassible et circonspect, le maître d’hôtel continuait ses travaux, prenant les verres, les couteaux, les fourchettes dans les divers compartimens du grand buffet. Il s’arrangeait pour tourner toujours le dos au vieux Jolyon, comme pour atténuer l’inconvenance qu’il sentait à mettre la table en présence de son maître. De temps en temps il soufflait sur l’argent d’un couvert, et puis l’essuyait avec une peau. Il avait l’air de méditer la quantité de vin contenue dans les carafes, qu’il portait minutieusement, en les tenant hautes, près de sa barbe qui semblait les protéger. Quand il eut fini, il se tint tranquille pendant plus d’une minute, regardant de côté son maître ; et dans ses yeux verdâtres passa un regard de dédain.

Au bout du compte, ce patron-là n’était qu’un vieux coco à peu près fini !…

D’un pas feutré de matou, il traversa la chambre pour toucher le bouton de la sonnette. Les ordres étaient : dîner à sept heures. Tant pis si son maître dormait ! Il le ferait vite sortir de son sommeil. Il y avait la nuit pour dormir ! Et puis, lui-même il avait autre chose à faire : son cercle où ou l’attendait à huit heures et demie !

Au coup de sonnette un petit groom apparut, portant une soupière d’argent. Le maître d’hôtel la lui prit des mains et la plaça sur la table ; puis allant se placer droit contre la porte ouverte, comme pour annoncer des invités, il articula d’une voix solennelle : « Le dîner de Monsieur est servi ! »

Lentement, le vieux Jolyon se leva de sa chaise et s’assit à sa table pour manger son dîner.


Ce qui frappe dans une telle scène, ce n’est pas seulement l’abondance du détail d’âme observée, c’est encore la minutieuse indication du décor. Ce décor exact est nécessaire quand il s’agit de présenter des types. Car un type ne se caractérise pas seulement par sa structure physique et morale. Isolé, séparé de son habitat où se manifestent ses habitudes, il n’est plus rien. Il n’existe que par sa relation avec un certain milieu, le milieu qu’il s’est façonné, et qui contribue à le façonner, tout au moins à le maintenir dans sa forme. Dans le Propriétaire, dans le Manoir, les menues circonstances extérieures, l’environnement des personnages sont décrits avec une précision qu’un lecteur inattentif aux dessous psychologiques du roman peut juger oiseuse. Si M. Galsworthy raconte un diner, par exemple celui qui réunit Soames, Irène, June et Bosinney, il marque les places des convives ; il dit le menu : le potage, « excellent quoiqu’un peu épais, » — le poisson, « une sole frite de Douvres, » les côtelettes, « enveloppées de papillotes roses, » la charlotte aux pommes ; il nous apprend la qualité des olives, des vins, du café, des cigarettes. Si Soames remarque : le Champagne est sec... la charlotte est bonne ; si le domestique propose à l’oreille : un peu de salade ? si June demande du sucre, il n’oublie pas de le noter. Il note jusqu’aux silences. On hésite à citer un tel morceau : le lecteur va hausser les épaules, crier à l’art photographique.


Je le citerai pourtant, car cette page va nous livrer le second procédé, le plus intéressant, de ce romancier. M. Galsworthy use simultanément de deux moyens contraires : l’un qui consiste à tout dire, et l’autre à ne pas tout dire, et cela sans difficulté, car le plus souvent, et c’est le trait le plus original de son art, la réalité dont il s’occupe dans un même instant est double et se compose sur deux plans différens. Tandis qu’il suit par le détail un certain ordre de faits, il en est un autre qu’il nous laisse à deviner, et cela sur de minimes indices, mais si attentivement choisis ! En général, c’est le plus émouvant ; c’est la passion ou l’action des grands personnages, qu’il préfère suggérer en des évocations fragmentaires, et dont notre imagination, adroitement sollicitée, doit combler les lacunes. Une telle méthode relève d’une conception de l’art que l’on peut opposer à celle qui a prévalu en France. Nos romantiques, nos pseudo-réalistes n’ont jamais oublié tout à fait les leçons de leur rhétorique, les incomparables modèles de développement que la tragédie racinienne nous présente en ses discours alternés. Si la parole naturelle est faite pour exprimer la pensée, on estime généralement chez nous que la parole écrite doit l’exprimer plus complètement et dans un ordre plus parfait ; et de là l’idéal du bien écrire où notre public aime à trouver ses critères pour juger même du dialogue dans un roman ou dans une œuvre dramatique. Les Anglais, moins soucieux de logique, se sont préoccupés surtout de traduire le réel, lequel est complexe et fragmentaire, et dans leur notion du réel ils ont compris le monde si multiple et divers de l’esprit, ce dont ne s’avisait point M. Zola. De là chez leurs romanciers psychologues une certaine idée du dialogue. Dans une conversation, bien des mouvemens de l’âme restent cachés, bien des silences sont expressifs, bien des paroles, en elles-mêmes insignifiantes, s’emplissent d’un sens fort et nouveau parce qu’elles s’animent de la vie des interlocuteurs, et que pour eux quelque chose s’y traduit que ne dit point le dictionnaire. Si nous sommes entrés vraiment dans les âmes des personnages, — et M. Galsworthy, disciple en cela de Meredith, tient tellement à nous y introduire que, plutôt que de raconter et décrire lui-même, il aime à nous montrer les événemens, les paysages et jusqu’aux figures mêmes de son roman dans l’image qui s’en réfléchit en chacune ; — si nous savons la situation, les moindres mots vont suffire à nous suggérer tout de suite, et, comme il arrive dans la vie, ce qu’ils recèlent d’inexprimé.

On voit les avantages du procédé. Il est puissant : la chose entrevue, mystérieuse à demi, parait plus rare, s’enrichit de prestiges d’émotion qui s’évanouiraient à la lumière crue des premiers plans. Il produit l’illusion du réel, où l’ordinaire occupe ce premier plan, où des apparences quelconques couvrent des significations profondes. Enfin, il fait appel à notre intelligence : il nous excite à penser. Ce n’est pas l’auteur, c’est nous qui observons, interprétons. Quel plaisir d’épier les caractères. de deviner ce qui n’est pas visible, quel amusement de toutes nos découvertes !

Voyons donc les personnages de ce diner. Soames, l’amphitryon, l’un des plus complets spécimens de la catégorie sociale étudiée dans le Propriétaire. Quarante ans, grand, strictement rasé, les joues plates, les yeux gris, froids, attentifs, la mine pâle et compassée. Un ancien élève d’Eton, ce que ne furent ni son père, ni ses oncles, dressé comme eux au respect orgueilleux des apparences, qui signalent son succès parmi les hommes de sa caste, mais mieux averti des dernières, des plus subtiles exigences de la mode et de l’étiquette ; avec cela, méfiant, dissimulé, cachant ses calculs d’argent, rapportant tout à la mesure des livres et des shillings, propriétaire dans l’âme, et qui considère sa femme comme l’une de ses propriétés. — Irène, sa femme, étrange et belle créature, aux yeux bruns, malgré ses cheveux d’or, signe, paraît-il, de volonté faible : silencieuse, instinctive, passive, d’espèce à part, au milieu des énergiques et pratiques Forsyte, et qui étouffe dans ce milieu, fleur mystérieuse, jusque-là fermée, mais qui s’ouvre insensiblement en présence de Bosinney et d’où, monte, pour lui, un trouble, étourdissant parfum. — Bosinney, l’architecte, fiancé de June, dont il se détache vite sous cette vertigineuse influence, le rêveur en dehors de toutes les conventions, normes et consignes de la gentry anglaise, tantôt absorbé dans son rêve, tantôt, par une brusque intuition de leurs calculs, ironique à l’endroit de ces âpres, vaniteux et rigides bourgeois, — le bohème sans le sou, au profil oblique, aux pommettes et tempes saillantes, aux joues creuses, comme sucées en dedans, aux noirs cheveux qui frisent, — l’homme qui fit à la famille ses visites de fiançailles en chapeau mou (un chapeau que les Forsyte, avertis par leur instinct, ont jugé « dangereux, ah ! dangereux ! ») — l’homme dont le cocher de Jolyon a dit : « Sais pas ce que j’en pense : il a l’air d’un léopard à demi apprivoisé, » que le vaste Swithin appelle « un drôle de type avec sa figure toute en angles, » que le triste et maigre James, déconcerté par son sourire secret de sarcasme, son allure de mystère, son pas félin, rapide et comme velouté, n’a pu décrire que par ces mots : « une espèce de chat affamé ; » — celui que les jeunes clubmen de la famille appellent par plaisanterie le Brigand, bref, l’artiste dont l’histoire vient traverser étrangement, pour Jour malheur et son malheur, celle des réguliers et respectables Forsyte. — A côté de lui, June, qui l’aime, la frêle, véhémente et volontaire petite-fille du vieux Jolyon, dont elle a le menton et le courage, all hair and spirit, — « toute ardeur d’âme et de cheveux, » — avec un cou qui semble trop mince pour porter la flambante et pesante couronne de ces cheveux. (Remarquez la plénitude de vision dont témoignent ces détails, incidemment amenés çà et là, au cours du récit, des dialogues. M. Galsworthy, si curieux de la vie des âmes, en aperçoit profondément la substructure physique. De même Shakspeare quand il fait dire, dans Hamlet, à la Reine : « Notre fils est gras et a le souffle court. »)

Et maintenant la situation. Depuis quelque temps, June sent obscurément que son fiancé lui échappe, et elle a compté sur cette soirée pour le reprendre. A son arrivée chez Soames, entrant dans le salon par la serre, elle a surpris quelques mots à voix basse de sa cousine Irène et de Bosinney, mots innocens, — aucun des deux ne s’est encore avoué le nom de la force qui l’attire vers l’autre, — mais dont le ton concentré de ferveur et d’intimité dit tout à la jeune fille inquiète et prête à la jalousie. Ceci posé, nous pouvons suivre la conversation du dîner. Des paroles décousues, banales, semble-t-il, inutiles à noter, y traduisent de profonds états d’âme, toute une vie intense de rêve et de passion.


Le dîner commença en silence, les deux femmes, l’une en face de l’autre, et de même les hommes.

En silence ils mangèrent le potage : excellent, bien qu’un peu épais. Le poisson parut. Le silence continua, tandis qu’on le passait.

Bosinney hasarda : « C’est le premier jour du printemps. »

Irène répondit à voix basse, en écho : « Oui... le premier jour du printemps. »

— « Printemps ! » dit June, « il n’y a pas un souffle d’air ! » Personne ne répondit.

Le poisson fut enlevé, une belle sole fraîche de Douvres. Et Bilson apporta le Champagne, une bouteille dont le cou était entortillé d’argent.

Soames dit : « Vous allez le trouver sec ! « 

Les côtelettes, chacune avec une papillote rose autour de l’os, firent le tour de la table. June les refusa, le silence retomba.

Soames dit : « Prenez donc une côtelette, June ! il n’y a plus rien. »

Mais June refusa de nouveau. Les côtelettes disparurent.

Alors Irène demanda : « Phil, avez-vous entendu mon merle ? »

Bosinney répondit : « Un peu ! Il siffle une chanson de chasse ; je l’ai entendu en arrivant dans le square. »

— C’est un amour d’oiseau !

— Un peu de salade, monsieur ? Bilson enleva le poulet de grain.

Mais Soames parlait : « Les asperges sont médiocres. Bosinney, verre de sherry avec l’entremets ? June, vous ne buvez rien. »

June dit : « Vous savez bien que je ne prends pas de vin. Quelle horreur que le vin ! »

Une charlotte parut, sur un plat d’argent. Et, avec un sourire, Irène dit : « Les azalées sont si merveilleux cette année !... »

A quoi Bosinney répondit dans un murmure : « Merveilleux ! Le parfum est extraordinaire ! »

June dit : « Comment pouvez-vous aimer cette odeur-là ! Du sucre, s’il vous plaît, Bilson ! »

Du sucre lui fut présenté, et Soames remarqua : « Pas mauvaise, la charlotte ! »

La charlotte disparut. Un long silence suivit.

Irène fit un signe : « Otez les azalées, Bilson ! Mademoiselle June n’en supporte pas l’odeur ! »

— Non ! qu’ils restent ! dit June.

Suivirent des olives de France, avec du caviar russe, sur de petites assiettes. Et Soames remarqua : « Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir la grosse espèce, les espagnoles ? » Personne ne répondit.

Les olives disparurent. Levant son verre, June demanda : « Un peu d’eau, s’il vous plaît ! » Bilson lui versa de l’eau. Des prunes confites d’Allemagne parurent sur un plateau d’argent. Il y eut une pause assez longue. Ensemble, en parfaite harmonie, ils les mangeaient.

Bosinney se mit à compter ses noyaux. « Cette année, — l’un prochain, — un jour[4]... »

Irène acheva à voix basse : « Jamais. Quel splendide coucher de soleil nous avons eu ! Le ciel est encore couleur de rubis... d’une telle beauté !... »

Il répondit : « Oui, au bas du ciel sombre. »

Leurs yeux s’étaient rencontrés, et June s’écria d’un ton de mépris : « Un coucher de soleil de Londres ! »

On passa des cigarettes égyptiennes dans une boîte d’argent. Soames eu prit une et demanda : « A quelle heure votre théâtre[5] ? »

Personne ne répondit, et l’on servit du café turc dans de petites tasses d’émail.

Irène, avec un lent sourire dit : « Si seulement... »

— Si seulement quoi ? dit June.

— Si seulement ce pouvait être toujours le printemps !

On passa la liqueur : un cognac pâle et vieux.

Soames dit : « Bosinney, un doigt de cognac ? »

Bosinney en prit un petit verre ; tout le monde se leva.

— Voulez-vous un cab ? demanda Soames.

June répondit : " Non. Mon manteau, s’il vous plaît, Bilson ! » Son manteau lui fut apporté.

Irène, près de la fenêtre, murmura : « Quelle nuit admirable ! Voilà les étoiles qui sortent ! »

Soames ajouta ; « Allons, amusez-vous bien ! »

June répondit : « Merci. Venez-vous, Phil ? »

Bosinney cria : « J’arrive ! »

Soames eut son froid sourire supérieur pour dire : « Je vous souhaite une bonne soirée. »

A la porte, Irène vint les voir partir.

Bosinney jeta : « Bonne nuit ! »

— Bonne nuit, répéta-t-elle doucement...

June voulut monter sur une impériale d’omnibus, disant qu’elle avait besoin d’air. Puis elle garda le silence, sa figure tournée vers la brise...


Je crois bien qu’elle a besoin d’air ! Elle doit avoir la tête en feu.

Mais a-t-on pu sentir ici ce qu’il y a de tendu, de frémissant dans ce dialogue d’apparence si tranquille? Pour qui n’arrive point à cette scène porté par tout le roman, il est bien difficile de suivre les secrets courans de passion qui s’y croisent et s’y heurtent. Reprenons-la pour en regarder de près quelques détails. Le début semble insignifiant. Déjà pourtant la passion vient imperceptiblement s’y traduire.

Bosinney hasarda : « C’est le premier jour du printemps. » — « Oui, le premier jour du printemps, » dit Irène à voix basse, en écho. — « Printemps ! » dit June, « il n’y a pas un souffle d’air ! » Trois petites phrases qui, sans doute, n’inquiètent pas le mari ; mais elles suffisent à nous annoncer le drame qui se joue entre les trois interlocuteurs, à nous donner le ton de leurs âmes. Sentez-vous déjà le rêve et la langueur des futurs amans qui se fascinent l’un l’autre? Ils remarquent le printemps, parce qu’ils sont dans l’étrange état où l’homme entre en correspondance avec la nature (de même, plus loin les mots murmurés de la jeune femme sur les fleurs, sur le coucher de soleil, sur la nuit et les étoiles). « Le premier jour du printemps, » le premier jour de leur amour aussi, celui de leurs aveux muets, que June vient de surprendre. Irène répond « en écho, » passive, magnétisée ; elle parle bas. Et soudain, coupant le courant qui s’établit entre eux, la brusque, nerveuse contradiction de la petite fiancée qui étouffe : Printemps ! Il n’y a pas un souffle d’air !

Voilà le thème pose, dont tout le morceau à trois parties va développer les variations. Quand Irène sort de son silence pour dire avec son mystérieux sourire : Les azalées sont si merveilleux cette année !... sans doute elle sourit dans le vague, elle rêve, elle revoit les azalées de la serre, u merveilleux, » parce que c’est au milieu de ces fleurs que tout à l’heure elle s’est sentie si près de Bosinney. Et quand Bosinney répond : Oui, merveilleux... le parfum est extraordinaire, c’est tout bas, « dans un murmure ; » il rêve lui aussi, il ne parle que pour elle. Aussitôt l’impatiente exclamation de June, — Comment pouvez-vous aimer cette odeur-là ? — traversant, rompant le courant qui tend toujours à se rétablir entre Irène et le jeune homme. N’oubliez pas que c’est derrière les azalées qu’elle a surpris leur entente. Elle déteste à présent l’odeur des azalées. Et soyez sûr qu’il y a quelque chose de factice, de tendu dans sa voix, quand elle continue sans s’arrêter : Du sucre, s’il vous plaît, Bilson ! Et, l’instant d’après, son trouble et son irritation se trahissent davantage : Enlevez les azalées ! dit Irène, Mademoiselle June n’en supporte pas l’odeur. — Non, qu’ils restent ! dit June. La pure saccade nerveuse. Je vous dis qu’elle étouffe ; elle ne peut pas manger ; elle refuse les plats.

Maintenant, relisez jusqu’au bout la scène dont le pathétique monte à mesure qu’elle se développe. Quel rêve et quelle mélancolie de pressentiment dans ces mots de Bosinney et d’Irène ! « Cette année, — l’an prochain, — un jour... » — « Jamais !... Le ciel est encore couleur de rubis, si admirable ! » — « Oui, au bas du ciel sombre. » Et vers la fin : — Si seulement.., dit Irène à voix basse. — Si seulement quoi ? dit June (ce qui veut dire : mais parlez donc tout haut ! parlez donc pour tout le monde !) Si seulement ce pouvait être toujours le printemps ! — Entendez : si maintenant pouvait s’éterniser ! Si seulement il n’y avait pas le menaçant avenir ! Remarquez enfin que, dans cette scène de passion, la psychologie propre de chaque personnage ne cesse pas d’être visible. Irène demeure l’être sensitif, passif, intérieur que nous avons vu jusque-là En June vous retrouvez la petite-fille volontaire du vieux Jolyon ; ses réactions sont celles du cou- rage et de l’attaque. Bosinney, l’amoureux, est aussi l’artiste qui a noté la chanson de chasse que siffle un oiseau. Admirez en Soames l’éternel mari, et de plus le Forsyte précis, positif, limité aux réalités matérielles et présentes, qui rappelle l’heure, propose un cab, l’homme lucide et qui ne voit rien, le propriétaire qui donne à dîner, qui commente et juge son diner, qui sait sa cave et le menu. Tout ici a un sens. Au moment de partir, c’est June qui est obligée d’appeler Bosinney : « Allons ! venez-vous, Phil ? » Bosinney cria : « J’arrive ! » Il « crie, » sans doute parce qu’il est resté en arrière, qu’il n’a pas suivi June et Soames dans le vestibule, parce qu’il s’attarde dans la chambre où est restée Irène. On imagine ce que sera cette partie de plaisir où c’est un fiancé qui « conduit » sa fiancée. Avez-vous remarqué la subtile intention qui se cache dans la petite phrase que voici : Des prunes confîtes, sur un plat d’argent, furent passées. Il y eut une pause assez longue. Ensemble, en parfaite harmonie, ils les mangeaient. Pendant un bref instant, l’auteur a quitté ses personnages pour les regarder du dehors. Ce qu’il voit, ce qu’il nous montre ironiquement, c’est le spectacle satisfaisant d’une famille qui dîne en toute sérénité. Cette « pause » assez longue valait aussi la peine qu’on l’indiquât : les silences sont nombreux et durables ; quelque chose pèse sur ce diner.

Maintenant, à la place de ce commentaire écrit, — l’écriture est si lente et si lourde ! — imaginez les rapides clartés d’intuition, les brèves, immédiates visions du dessous psychologique dont s’accompagne chaque mot de cette scène (une scène quelconque au cours de l’histoire) pour le lecteur que tous les chapitres précédens ont préparé à la comprendre, et vous commencerez à prendre idée des subtilités et des réussites de cet art. Ce qui vient affleurer ici, avec la vie intérieure des caractères, c’est la vie secrète du roman au point de développement atteint par le drame à l’instant décrit. Car, sous l’étude des Forsyte, à travers la série des scènes typiques qui les manifestent dans les mœurs et les grands aspects de leur espèce, le roman chemine, avance peu à peu, sûrement, par un progrès nécessaire et fatal, vers son point culminant de pathétique. Il est presque invisible, « souterrain, » comme disent eux-mêmes les membres de la famille à propos de cette mystérieuse et redoutable affaire d’Irène et de Bosinney, dont ils ne parlent entre eux qu’à mots couverts. On peut dire que, des douze ou quinze personnages qui figurent dans le Propriétaire, ce sont les deux amans qui reviennent le moins souvent sous nos yeux. Ils demeurent dans la coulisse où leurs gestes n’apparaissent qu’en un jeu d’ombres chinoises projetées sur la toile de fond. S’ils viennent passer incidemment sur la scène, quelque circonstance banale les y amène avec beaucoup d’autres, et jamais, sauf la brève minute où June les épie, nous ne les voyons en tête à tète, en sorte que leur passion ne s’exprime pas devant nous. C’est le miracle de cet art que, la tragédie restant presque toute hors de notre vue, son émotion se communique à nous d’une façon si intense, que de la sauvage fleur cachée de cet amour, nous sentions le trouble et mortel parfum monter à travers tout le roman, à travers tout ce qui la recouvre de froide, positive et correcte vie anglaise. Et c’est le même miracle que ces deux figures reculées, enveloppées d’ombre derrière tant d’autres que l’auteur fait agir et parler sous nos yeux, jusqu’à ce que nous en connaissions le fonds et le tréfonds, soient justement les seules qui nous hantent comme le souvenir d’une vision, celles dont nous ne pourrons jamais oublier la fervente pâleur, l’étrangeté, le caractère fatal, l’air à la fois possédé et consacré, l’aspect de soumission passive a la puissance plus ancienne que l’humanité qui les conduit à leur destin, la solitude enfin, au sein d’une société dont ils ne représentent plus rien, parce qu’ils n’appartiennent plus qu’à l’éternelle nature.


En relisant le roman, — à la première lecture on n’a pu qu’en subir l’effet, — on commence à comprendre le miracle. L’histoire d’amour nous apparaît à travers les personnages dont l’auteur peuple le premier plan de son théâtre, — ces types qu’il étudie avec une minutie si pénétrante. C’est par tout ce que chacun d’eux, suivant sa situation, sa propre forme d’âme, voit du drame, que nous voyons le drame et ses deux protagonistes. De là l’un des paradoxes et l’une des complexités de cet art. A chaque instant, il suit à la fois plusieurs psychologies. En même temps qu’il évoque tel aspect, tel geste décisif d’une figure principale et tragique, il étudie plus à fond telle figure secondaire, moyenne et quelquefois comique. La déformation spéciale que subit l’image de la première en venant se réfracter dans la seconde nous est un nouveau renseignement sur le dedans d’âme de celle-ci. Ce qu’il faut admirer, c’est qu’en passant par cet intermédiaire, le drame subsiste, déploie graduellement ses pouvoirs d’émotion. Voici comment nous est présentée, dans le Propriétaire, l’une des premières et la plus décisive rencontre d’Irène et de Bosinney.

L’un des oncles de Soames, le plus vaste, le plus massif, le plus primitif des Forsyte, celui dont la vision du monde est restée la plus simple, Swithin, magnifique septuagénaire de six pieds de haut, impatient, autoritaire, mais raidi, appesanti par l’âge et toujours près du coup de sang, s’est mis dans la tête de faire à Irène (il s’imagine qu’il lui plait, qu’elle seule le comprend) les honneurs de son luisant équipage. Sur sa demande, il l’emmène à Robin Hill où Bosinney, l’architecte, qui construit une maison pour Soames, l’a suppliée de venir le voir. Correctement ganté de peau de chien, fleurant l’oppoponax et le cigare (ses célèbres cigares lui coûtent cent quarante shillings le cent), en vieux beau coquet devant une jolie femme, et qui a des prétentions de sportsman, il a conduit lui-même, en la regardant du coin de l’œil, sans quitter pour cela son attitude empesée et droite, son expression de vieux paon solennel. Le lendemain, dans le salon de son frère Timothy, où les vieilles tantes de la famille se réunissent, il raconte sa promenade, et son récit coupé de ruminations muettes, ses éclats de voix, ses silences, que son regard rond tâche à rendre expressifs, ses impatiences, ses accès d’imagination, tumultueux et confus comme les poussées de sang qui lui empourprent la face, — tout cela nous indique admirablement cette physiologie de Forsyte et de vieillard.


— Irène, leur dit-il, était montée dans la voiture, aussi légère que... hmm... Taglioni ! Pas d’embarras, pas d’histoires, comme ces femmes qui n’ont jamais fini de réclamer quelque chose quand on les emmène en promenade. Et, surtout, — Swithin y insista en fixant tante Juley d’un regard qui la déconcerta, — pas d’idiote nervosité !

A tante Hester, il parla surtout du chapeau d’Irène : « Pas un de ces diables de grands machins qui s’étalent à n’en plus finir, et qui attrapent la poussière !... Rien qu’un petit... » il dessina un rond dans l’espace avec son doigt, — « quelque chose de net, avec un voile blanc — du vrai chic ! »

— Un chapeau fait de quoi ? demanda tante Rester, qui s’excitait vaguement, mais toujours, quand il était question de toilette.

— Fait de quoi ? répondit Swithin, que diable voulez-vous que j’en sache ?

Il s’abîma dans un silence si profond que tante Rester commença d’avoir peur...

... Swithin, le dimanche matin, avait ouvert de grands yeux à la proposition d’aller à Hobin Hill. Une rude trotte pour ses chevaux ! Et lui qui dînait tous les jours au club à sept heures et demie, avant la bousculade ! Le nouveau chef ne soignait que les premiers dîners. Encore un rossard, celui-là ! Mais il s’était dit que la maison valait la peine d’être vue (une maison, ça intéresse toujours un Forsyte). Après tout, il se moquait bien de la distance ! Est-ce que, dans sa jeunesse, il n’avait pas eu pendant des années son pied-à-terre à Richmond ? Il y gardait alors sa voiture et ses chevaux. C’est « l’homme au mail-coach » que les amis du cercle s’amusaient à l’appeler. Son tilbury, son attelage étaient connus depuis Hyde-Park Corner jusqu’à l’auberge de l’Étoile et de la Jarretière. Le duc de Z... aurait bien voulu les avoir, lui en avait offert deux fois leur valeur ! Il les avait gardés. — quand on tient une bonne chose !... Une expression d’orgueil solennel se figea sur sa vieille figure glabre et carrée ; il roula la tête entre les pointes de son col comme un dindon qui se lisse les plumes.


Ce magnifique dindon fait aussi la roue, car il se persuade qu’Irène est sensible à son charme. « Toutes les fois qu’il ouvrait la bouche, elle levait vers lui ses yeux noirs, et le regardait avec lin sourire. » Silencieux sourire de rêve et de bonheur : chaque minute de cette promenade la rapproche de Bosinney.

A Robin Hill, il est arrivé fatigué. Il a fallu son habitude de superbe tenue, — la consigne de toute une vie, — pour que, les rênes aux mains, les yeux demi-fermés, il continuât de se tenir droit sur son siège. Guidé par Bosinney, il pénètre avec la jeune femme dans la maison neuve ; son valet de pied lui a passé sa canne à pomme d’or, parce que ses genoux de vieillard se sont ankylosés dans la voiture ; il a endossé sa pelisse de fourrure parce qu’il a peur des courans d’air.

Ils font le tour de la maison conçue par un artiste moderne, et que Swithin juge en Forsyte, en bourgeois qui fut dans sa fleur en 1850, et qui a gardé les goûts de son temps.


— Ah ! bel escalier ! le style seigneurial ! Il y faudrait des statues !

Puis, devant le portique intérieur, pointant sa canne vers le patio vitré.

— Tiens, ça ! qu’est-ce que c’est ? Le vestibule ? Et soudain illuminé : Ah ! très bien ! je vois : le billard !

Quand on lui dit que ce devait être une cour pavée de carreaux, avec des arbustes au milieu, il se tourna vers Irène.

— Gâcher cet espace-là pour des plantes ! Prenez mon avis : mettez-y un billard !

Irène sourit. Elle avait relevé son voile qui semblait sur son front le bandeau d’une religieuse. Là-dessous le sourire de ses yeux parut à Swithin plus délicieux que jamais. Il s’approuva de la tête. Il voyait bien qu’elle était de son avis.


A la fin, il demande une chaise, s’y installe en haut de la pente où s’élève la maison, en disant à Bosinney de montrer à Irène le terrain pendant qu’il regarde la vue.


Il était assis près du chêne, droit et carré, le bras tendu et appuyé au pommeau de sa canne, sa pelisse ouverte, son grand chapeau surplombant le pâle rectangle de sa figure, son regard vide fixé sur le paysage.

Ils s’éloignèrent dans les champs. Vraiment, il n’était pas fâché d’avoir un moment de réflexion à lui. L’air sentait bon ; le soleil pas trop chaud ; belle vue... Certainement, une vue remarqua... Sa tête dodelina, il la redressa, il la releva, et pensa : Bizarre !... Ils... Bon !... Ils étaient en train de lui faire des signes du bas de la pente ! Il leva la main, l’agita plusieurs fois. Ils avaient l’air de se parler avec animation. Certainement, une vue remar... Sa tête tomba à gauche, se releva d’un sursaut, tomba à droite, y resta : il dormait.


Il dort, cependant qu’Irène et Bosinney disparaissent dans le bois plein de fleurs et de jeunes frondaisons. L’air est suave de parfums d’aubépines et de menthes ; le coucou chante au loin. Ils s’en vont, seuls, loin du monde, amoureux au sein de la libre nature, parmi tous les effluves et les langueurs du printemps. A nous d’imaginer ce qu’est leur promenade...


Il s’éveilla. Sa vigueur l’avait quitté ; il avait un drôle de goût dans la bouche ! Où diable était-il ?

Sacrebleu ! il avait dormi !

Il avait dû rêver quelque chose à propos d’une nouvelle espèce de soupe. Une soupe avec un goût de menthe.

Ces deux jeunes gens, qu’est-ce qu’ils étaient devenus ?

Sa jambe gauche avait les fourmis. Il appela son valet de pied : « Adolf ! » Le coquin n’était pas là ; le coquin devait être à ronfler quelque part !

Il se leva, grand, massif, volumineux dans sa fourrure, cherchant des yeux dans les champs. Il les vit qui revenaient.

Irène était en avant. Ce garçon... comment donc les autres l’avaient-ils baptisé ? Ah ! « le Brigand ! » Il avait joliment l’air d’un chien fouetté derrière elle ! Elle avait dû lui river son clou ! C’était bien fait ! En voilà une idée, de l’emmener si loin, sous prétexte de juger l’effet de la maison !

Ils ne bougeaient plus. Pourquoi, diable, restaient-ils là à parler, à parler ? Ils se rapprochèrent. Oui, c’était bien ça ! elle avait dû lui dire son fait ; drôle d’idée aussi de bâtir une maison comme celle-là ! une grande bête de machine ! Il les dévisagea de ses yeux de verre qui ne bougeaient pas. Ce jeune homme avait l’air très drôle !

— Vous ne ferez jamais rien d’une telle bâtisse ! lui cria-t-il à brûle-pourpoint. On n’a jamais rien vu de pareil.

Bosinney le regarda de l’air d’un homme qui n’entend rien ; et plus tard Swithin le décrivit à tante Hester comme « un type impossible : une curieuse façon de vous regarder avec sa tête toute en angles et en creux... »

Ce qui put provoquer chez lui cet accès soudain de psychologie, il ne l’expliqua pas : sans doute le front, les pommettes aiguës, le menton saillant de Bosinney, ou bien quelque chose d’avide dans le visage, qui ne s’accordait pas avec cette idée de calme satiété que Swithin associait instinctivement à sa notion d’un parfait gentleman.

Quand on parla de prendre le thé, sa physionomie s’éclaira. Il méprisait le thé : son frère Jolyon avait été dans le thé, — y avait gagné gros. Mais il avait si soif, et un si drôle de goût dans la, bouche qu’il aurait bu n’importe quoi. Il mourait d’envie de parler à Irène de ce mauvais goût dans sa bouche. Celle-là le comprenait toujours ! Mais non, ça n’eût pas été distingué. Il roula sa langue et la fit claquer contre son palais.


Au lieu du thé, on lui donne du Champagne. Et vous allez voir le brusque effet d’illumination produit par ce breuvage sur cette vieille et confuse cervelle.


Prenant son verre sur la table, il le tint à bout de bras pour en scruter la couleur. Sans doute il avait soif, mais il n’était pas homme à boire une tisane quelconque. Le portant à ses lèvres, il en dégusta une gorgée.

— Pas mauvais du tout ! dit-il, en passant le verre sous son nez. Tout de même, ça n’est pas mon Heidsiek ! C’est alors que l’idée lui vint, qu’il traduisit plus tard chez Timothy par ce raccourci : « M’étonnerait pas du tout si le type d’architecte en pinçait pour Madame Soames ! »

A partir de ce moment, et jusqu’à la fin de son récit, ses yeux ronds et pâles ne cessèrent pas de lui sortir de la tête, si intense était l’intérêt qu’il trouvait à sa découverte.

— Le type, expliqua-t-il à Madame Septimus Small, la suit comme un chien, avec sa drôle de tête anguleuse. Et ça se comprend : une femme charmante, on peut dire une fleur de distinction ! (Ce qui l’excita à la création de cette image, ce fut peut-être le vague sentiment du parfum qui s’exhalait d’Irène comme d’une fleur demi-close sur son cœur passionné.) « Mais je n’ai été sûr de rien que lorsque je l’ai vu ramasser derrière elle son mouchoir. »

— Est-ce qu’il le lui a rendu ? demanda Madame Small.

— Rendu ? cria le vieillard. « Je l’ai vu saliver dessus quand il croyait que je ne le regardais pas !... Mais, dit-il ensuite, elle ne l’a pas encouragé... » Il s’arrêta court, et se mit à fixer l’espace de la façon qui faisait si peur à tante Hester. Il venait de se rappeler tout d’un coup qu’au moment de remonter en voiture, elle avait une seconde fois tendu sa main à Bosinney, et même la lui avait laissée... Swithin, impatient de l’avoir à lui tout seul^ avait cinglé ses chevaux. Elle avait tourné la tête en arrière, sans répondre à sa première question. Impossible ensuite de voir son visage qu’elle gardait baissé.


Sur la route a lieu l’incident qui arrache à la muette Irène un mot extraordinaire, où vient se révéler soudain la profondeur et l’intensité du rêve qu’elle rapporte de Robin Hill.


Poussé à l’expansion par le Champagne et par le sentiment du tête-à-tête retrouvé, il se mit à lui confier ses tristesses de vieillard : sa rancune contre le nouveau cuisinier du cercle... son oreille qui devenait dure, et puis cette douleur qui le lancinait de temps en temps au côté droit. Elle avait l’air d’écouter, ses yeux nageant sous ses paupières. Persuadé qu’elle suivait attentivement le récit de ses misères, il s’apitoyait sur lui-même. Pourtant, dans sa pelisse aux larges pattes boutonnées, son chapeau haut de forme un peu de côté sur la tête, conduisant cette jolie femme, il ne s’était jamais senti si distingué.


Il se tient alors si pompeux et si droit qu’un fruitier qui fait route avec sa belle, à côté d’eux dans sa carriole, entreprend de le singer. Swithin comprend qu’on se moque de lui. Sa figure jaune et bouffie s’empourpre ; il lève son fouet pour châtier l’insolent ; le phaéton accroche la carriole, les gris pommelés s’emballent.


Swithin, toute sa face envahie d’un rouge terne de colère, les joues gonflées, les lèvres serrées, tirait à bout de bras sur les rênes.

La jeune femme, une main sur le barreau de la voiture, s’y accrochait à chaque embardée. Il l’entendit qui demandait :

— Oncle Swithin, est-ce que nous allons avoir un accident ?

Il haleta : « Ce n’est rien... un peu vifs ! »

— Je n’ai jamais été dans un accident.

— Ne bougez pas ! Il tourna la tête pour la regarder. Elle souriait, parfaitement calme. « Restez tranquille ! » répéta-t-il. « N’ayez pas peur ! Je vous ramènerai chez vous ! »

Et au milieu de ses suprêmes efforts, il fut surpris de l’entendre dire d’une voix à peine reconnaissable : « Ça m’est égal, si je ne rentre jamais chez moi ! »

La voiture fit un bond terrible ; l’exclamation de Swithin lui rentra dans la gorge. Les chevaux essoufflés par la côte se mirent au trot, et finirent par s’arrêter d’eux-mêmes.

— Quand je m’en fus rendu maître, raconta-t-il chez Timothy, elle était là, aussi calme que moi. Parole d’honneur ! On aurait cru que ça lui était parfaitement indifférent de se casser le cou ! Qu’est-ce que c’est donc qu’elle a dit ? « Ça m’est égal, si je ne rentre jamais chez moi ! » Et se penchant sur le bec de sa canne, il râla, a la grande terreur de Madame Small : « Et vous savez ! ça ne m’étonne pas, avec un mari aussi tatiflon, aussi embêtant que le jeune Soames ! »


A présent vous connaissez Swithin, élémentaire et proche de la nature. Il s’est livré à vous sous tous ses aspects. Vous avez vu ce vieillard dans la torpeur où il s’affaisse, cet Anglais dans le danger où il se tait et se raidit. En cette orgueilleuse et fruste nature, vous avez reconnu ce qu’étudie dans tous ses romans M. Galsworthy : l’élément national et fondamental qui, plus ou moins altéré, affiné sous les influences modernes, se retrouve chez tous les Forsyte. Cependant quelque chose du drame auquel celui-ci demeure étranger est venu passer dans ses immobiles yeux de verre, — un reflet étrangement déformé, rompu, mais que vous interprétez, et l’effet sur vous est plus neuf et plus vrai, plus pathétique aussi que si la rencontre d’Irène et de Bosinney vous était directement contée. Plus neuf, parce que les paroles de l’amour sont éternelles et que nous les savons d’avance ; plus vrai, parce que c’est ainsi que dans le monde réel le roman d’une âme vient apparaître, non point isolé, détaché, à la fois complet et limité à lui-même, mais enveloppé de toute la vie indifférente de l’alentour, mêlé à cette vie, ne se révélant que çà et là par de brefs indices, — plus émouvant enfin par le contraste des réalités quelconques, et des étranges, intermittentes lueurs qui nous signifient, au milieu de ce monde de tous les jours, la présence et le mouvement de la passion. Quelques-unes de ces lueurs sont des éclairs. Par un mot comme celui de la jeune femme et dont même un Swithin a senti la valeur : Ça m’est égal, si je ne rentre jamais chez moi, tout ce que vous n’aviez encore qu’entrevu, pressenti, s’illumine et se précise. Vous mesurez maintenant le chemin que les deux amans viennent de faire l’un vers l’autre, et vous savez qu’ils ne peuvent plus être que l’un à l’autre. Ce mot étrange et qu’Irène prononce parce qu’une secousse physique, la brusque sensation du danger lui descellent enfin les lèvres au moment où les paroles de Swithin : je vous ramènerai chez vous, c’est-à-dire à votre mari, viennent de la frapper au point où toute sa sensibilité.se concentre, ce mot énorme nous livre tout ce qui couvait sous du silence, et ce que nous apercevons alors, c’est une âme possédée et désespérée, une âme pour qui rien n’existe plus dans, la vie hors une certaine image, et que son rêve insensibilise au péril de mort. L’œuvre de M. Galsworthy abonde en ces brusques raccourcis qui font penser à ceux de Kipling et de Balzac, et qui témoignent chez lui, à côté de ses étonnans pouvoirs d’analyse et d’observation, de la grande faculté intuitive et créatrice, Ses personnages naissent d’un très grand nombre d’idées et de notations accumulées ; peu à peu, ils se détachent de lui ; il n’a plus qu’à les regarder vivre, et le détail de leur vie procède alors d’une telle unité, il est si bien lié par la logique de la nature qu’à chaque instant, un de leurs gestes, un de leurs mots, une expression saisie au passage suppose et suffit à nous rappeler leur passé, leur milieu, leurs habitudes, leur tempérament et, par delà, les vérités les plus générales et les plus émouvantes, la psychologie des passions, des sexes, des types, les profondeurs de l’homme et de la vie.

Secrètement le roman d’amour continue de progresser pour ai)paraitre ainsi de loin en loin, ses deux figures tragiques chaque fois plus ferventes, plus pâles et solitaires, nécessairement dévouées au malheur parce qu’elles vont à l’encontre des rigoureuses conventions sociales, chaque fois différemment présentées suivant ce qu’est le caractère à travers lequel M. Galsworthy nous les montre, et dont la nature propre s’éclaire en réfractant la pâle flamme montante de leur passion. Bien pauvre, décolorée était l’image d’Irène qui est venue passer dans les yeux de Swithin. C’est par la vision qu’en a Jolyon le jeune, un artiste, un peintre, que la beauté et le charme d’Irène vont nous devenir sensibles. Celui-là sait voir et il peut comprendre, car lui-même a subi jadis la dangereuse puissance qui, par le visage d’une femme et l’étrange rayonnement qu’elle lui communique, paralyse une volonté d’homme et la soumet à ses fins. Lui-même a suivi la triste route que « ces deux-là » vont parcourir ; il a désobéi aux lois ; il est hors cadre et hors caste. Il connaît cette solitude. Avec quel intérêt, quelle attention de sympathie il observe l’amoureuse ! La scène se passe dans un coin du jardin zoologique où Irène, assise sur un banc, est venue attendre Bosinney. Jolyon le jeune est en train de peindre quand il l’aperçoit ; il ne l’a jamais vue ; c’est une promeneuse quelconque, mais dans cette figure il a tout de suite senti la présence et l’effluve de la passion, et il regarde.


Il vit un menton arrondi qui se blottissait dans une ruche de dentelle blonde, hu visage délicat avec de larges yeux sombres et des lèvres tendres. Un chapeau Gainsborough cachait les cheveux. Elle s’appuyait légèrement au dossier du banc, les genoux croisés, la pointe d’un fin soulier verni dépassant le bord de la jupe. Mais Jolyon vit surtout l’expression de cette figure qui lui rappelait sa propre femme. On eût dit que cette inconnue subissait l’action de forces trop grandes pour elle. Cela le troublait ; il sentait une attirance, de vagues instincts de chevalerie qui s’éveillaient en lui. Qui était-ce ? et qu’est-ce qu’elle faisait là, toute seule ?

Deux jeunes gens passèrent devant elle, la raquette de tennis en main. Leurs furtifs regards d’admiration lui déplurent. Un jardinier qui flânait s’arrêta près d’un arbuste exotique auquel il fit semblant de donner des soins... Un vieux monsieur revint trois fois pour la scruter à la dérobée, une expression singulière aux lèvres.

Tous ces hommes excitaient chez Jolyon le jeune la même vague irritation. Elle ne leva les yeux sur aucun, mais il savait que chaque mâle qui passerait devant ce banc la regarderait de cette façon-là

Ce visage n’était pas celui de la sorcière dont chaque coup d’œil tend à l’homme l’offre du plaisir ; ce n’était pas la beauté pécheresse si hautement prisée par les Forsyte de la catégorie sociale supérieure. Il n’était pas davantage de ce type, non moins prestigieux, dont l’idée s’associe à celle d’une boîte de bonbons ; il n’appartenait pas au genre spirituellement passionné ou passionnément spirituel qui inspire la moderne poésie anglaise, et dont les images décorent tant d’intérieurs. il n’aurait pas non plus éveillé chez un auteur de théâtre l’idée d’un drame dont l’héroïne neurasthénique se suicide au dernier acte.

Par ses lignes, par le ton de sa chair, par sa douceur passive, sa suavité délicieuse au regard, le visage de cette femme lui rappelait l’Amour sacré du Titien, et son charme résidait dans cet air de soumission douce, dans cette expression qui suggérait qu’elle était faite pour céder.

Pour qui donc ou pourquoi restait-elle là, dans ce silence des choses, dans ce jardin où les arbres laissaient une à une tomber leurs feuilles, tandis que les grives erraient sur l’herbe mouillée d’automne ?

Jolyon la vit tressaillir tout d’un coup ; regardant autour de lui, presque avec la jalousie d’un amant, il aperçut Bosinney qui traversait la pelouse. Ils s’assirent l’un à côté de l’autre, l’un à l’autre, malgré leur réserve extérieure. Sans pouvoir rien saisir, il entendait le murmure de leur conversation.

Lui-même avait ramé dans cette galère-là ! Il savait les longues heures d’attente, les maigres minutes des rencontres presque publiques, l’angoisse d’impatience qui ne quitte pas l’amour défendu.

II ne fallait qu’un coup d’œil à ces deux figures pour comprendre que ce n’était pas là une de ces affaires d’une saison qui amusent les hommes et les femmes de la ville, un de ces brusques appétits qui s’éveillent insatiables, et retombent à leur sommeil au bout de six semaines. C’était la chose authentique, celle que lui-même avait connue jadis, et dont il savait bien que tout pouvait sortir.

Bosinney semblait plaider. Elle, si tranquille, immuable dans sa douceur, restait assise, les yeux fixés sur l’herbe.

Était-il homme à l’emporter, cette pliante et tendre créature, incapable de faire un pas pour elle-même, qui lui avait tout donné d’elle-même, qui pourrait mourir pour lui, mais qui n’aurait peut-être pas la force de s’en aller avec lui ?

Jolyon eut presque l’illusion de l’entendre dire : « Mais, mon chéri, ce serait la ruine de ta vie ! » Car lui-même connaissait bien ce qui ronge le cœur de toute femme : la peur d’être un fardeau dans la vie de l’homme qu’elle aime.

Peu à peu le murmure de leurs paroles tomba. Un long silence suivit.

Et Soames ? qu’est-ce qu’elle en fait dans tout cela ? pensa Jolyon le jeune. Les gens s’imaginent qu’elle songe au péché d’adultère. Ils connaissent peu les femmes. Elle se rassasie après une longue inanition. Elle prend sa revanche, et Dieu ait pitié d’elle ! car lui prendra la sienne.

Il entendit un bruissement de soie, et se penchant derrière le laurier, il les vit qui s’éloignaient, leurs mains furtivement jointes.


Vous sentez bien qu’au moment de cette rencontre, Irène est déjà la maîtresse de Bosinney. Mais voyez comment nous l’avons appris. Soames a rompu avec son architecte. À ce jeune et pauvre débutant, coupable par entraînement d’artiste, par amour de son œuvre, d’avoir dépassé de trois cent cinquante livres sterling le devis d’une maison qui devait en coûter douze mille, il intente un procès qui doit ruiner l’imprudent. « Vous êtes plus bas que je ne pensais, » lui a dit sa femme, en se détournant, quand il lui annonça, toujours avec son hautain laconisme, cette nouvelle. A nous de deviner, par la scène que voici, — elle se pas.se quelques jours après, — la réaction éperdue d’Irène au mauvais coup que son mari vient de porter à celui qu’elle aime.

Soames est seul, à la fenêtre de sa salle à manger. Il écoute un orgue de Barbarie qui moud une valse, une valse que l’on jouait au dernier bal de son oncle Roger, et la musique lui apporte l’odeur des gardénias que portait Irène ce soir-là, au moment où il la vit passer, si étrangement sérieuse et pâle, les yeux noyés, les lèvres desserrées, entraînant Bosinney dans la molle danse qui n’en finissait plus.


Il se retourna, prit une cigarette dans la boîte d’argent ciselé, et revint à la fenêtre. Cet air l’avait ensorcelé... Tout d’un coup il aperçut Irène qui traversait à pas pressés le square dans la direction de la maison. Son ombrelle n’était pas dépliée ; elle portait une blouse lâche, aux manches tombantes, qu’il ne lui connaissait pas. Elle s’arrêta devant l’orgue, chercha sa bourse, tendit de l’argent à la pauvresse.

Soames recula et se plaça de façon à voir dans le vestibule.

Une clef tourna dans la serrure : elle entra, posa son ombrelle, et se regarda dans la glace. Elle avait une ardeur aux joues comme si le soleil l’avait brûlée ; un sourire entr’ouvrait sa bouche. Elle étendit ses bras comme pour embrasser son image, avec un rire qui ne ressemblait à rien qu’à un sanglot.

Soames s’approcha.

— Tout à fait... jolie ! dit-il.

Elle tourna sur elle-même, comme frappée d’un coup de fusil, et s’élança vers l’escalier.

Il lui barra le chemin.

— Pourquoi tant de hâte ? dit-il, et son regard se fixa sur une boucle de cheveux défaite qui pendait sur l’oreille d’Irène.

Il la reconnaissait à peine. Elle semblait éclairée par une flamme, si profonde et si riche était la couleur de ses joues, de ses yeux, de ses lèvres, de la blouse insolite qu’elle portait.

Elle leva la main et ramena la boucle folle. Elle respirait vite et fort, comme après une course rapide ; à chaque souffle, un parfum semblait s’épancher de sa chevelure, de son corps, comme d’une fleur qui s’ouvre.

— Je n’aime pas cette blouse, articula-t-il lentement ; c’est trop lâche, ça n’a pas de forme.

Il leva le doigt vers la poitrine de sa femme. D’un geste, elle lui fit tomber la main.

— Ne me touchez pas ! cria-t-elle.

Il lui saisit un poignet qu’elle lui arracha.

— Et où donc avez-vous bien pu aller ? demanda-t-il.

— Dans le ciel ! hors de cette maison !

Au dehors, comme remerciement, au pied même du perron, la joueuse d’orgue avait recommencé la valse...


Je ne sais si les paroles et l’expression d’Irène ont renseigné Soames, orgueilleux et qui manque d’imagination, sur l’étendue de son malheur. Le lecteur a compris et ne s’étonne pas qu’après ce dialogue l’auteur ait mis le point final à l’une des grandes divisions de son roman.


On voit ce qu’est, chez l’auteur du Propriétaire, le parti pris de réserve et d’omission. Mais on voit aussi que les omissions ne sont qu’apparentes. Toujours ce que M. Galsworthy nous dit sous-entend ce qu’il ne nous dit pas. D’où la valeur de ses brèves et précises notations. Chacune signale un petit fait sensible qui est l’affleurement à la lumière de faits très importans de caractère et de situation. Une idée commande son art, c’est que le dedans d’un être ne se traduit aux yeux que par d’intermittentes et fragmentaires expressions, qu’il n’est point directement visible, par conséquent qu’il est faux de le décrire directement. C’est, d’autre part, que cet être fait partie d’un groupe où tout le monde est en mouvement, où nul n’apparaît au premier plan que pour s’éclipser tout de suite derrière les autres, par conséquent qu’il est faux de le maintenir trop longtemps près de la rampe et de l’étudier à part. Plus généralement, c’est que la vie, surtout celle de l’esprit, n’est pas tout à fait transposable en termes de langage, que l’association logique des mots et des phrases ne correspond point à ce qu’il y a simultanément de total et d’inachevé, de mouvant et de réalisé, de simple et de complexe dans chaque moment du sentiment et de la pensée. Déjà Meredith disait que, pour décrire un paysage, une ligne suffit, — mais il faut la trouver. C’est qu’il s’agit, pour le romancier, bien moins de peindre ce paysage que de l’évoquer, bien moins d’en énumérer le détail que d’en communiquer l’impression, — en général l’impression qu’en reçoit tel personnage du roman, et qui varie suivant sa psychologie. A plus forte raison quand, au lieu de formes et de couleurs, il s’agit de traduire la vie d’une âme, si fugitive et diverse, si riche, même la plus pauvre, en évanescentes nuances. Là les mots préciseraient ce qui n’a point de contour, fixeraient ce qui n’est que devenir. Un seul moyen vaut, et que M. Bergson approuverait : éveiller la sympathie intuitive du lecteur, l’exciter à combler d’un trait d’imagination les lacunes, à y introduire lui-même ce pur élément d’âme, ce flux spirituel qui ne se laisse pas saisir, bref susciter en lui le mouvement intérieur du personnage, — ce mouvement dont l’écrivain peut noter les momens successifs, dessiner la ligne de parcours, mais non pas reproduire l’essence, laquelle est une force à l’œuvre, une puissance en train de passer à l’acte.


Ajoutez que si l’émotion et la passion sont essentiellement des phénomènes intérieurs, cela est plus vrai qu’ailleurs dans les pays du Nord où les réactions des nerfs, leurs décharges par le geste et la parole sont plus rares et plus lentes, — et plus vrai encore en Angleterre où l’éducation, tout appliquée à la culture de la volonté, les disciplines sociales dressent l’homme à ne point se livrer, à réprimer ses impulsions. Un Soames Forsyte, par nature aussi snob et commun que son père, mais qui, lui, fut élève de l’aristocratique Eton, est taciturne parce qu’il juge au-dessous de sa condition sociale, infra dig[6], de, s’exprimer. Cette réticence anglaise, — l’expression est de Kipling, — tient du dédain, de la timidité, de la pudeur, mais surtout d’un profond instinct, très général en Angleterre, des conditions de la santé. Ces hommes devinent que la sensibilité, c’est la faiblesse, le commencement de la maladie, que l’émotion, c’est une rupture d’équilibre, une atteinte portée aux synthèses de certitude et de vouloir qui font la résistance et l’unité de la personne, ce qu’ils appellent character et qu’ils prisent plus que tout. Aussitôt qu’un choc leur desserre la bouche, aussitôt que leur sentiment profond se projette au dehors, on dirait qu’ils en ont à la fois peur et honte comme d’un aveu de faiblesse et d’infériorité, comme d’un geste de mauvais ton, underbred, comme d’une dérogation à l’idéal enseigné dès l’école et reconnu, imposé par l’opinion : idéal proprement anglais, non d’intelligence mais de volonté. Et ce trait est tellement une caractéristique de caste que M. Galsworthy, qui ne cesse pas d’étudier la gentry anglaise, l’a souvent dessiné à part : telle de ses nouvelles, tel chapitre de ses romans ne furent écrits que pour le mettre en évidence[7]. Le plus souvent il se contente d’en saisir brièvement, au passage, les indices : il excelle à montrer aussi clairement qu’un fait positif ce qui n’est que silence, arrêt, inhibition. Par exemple dans le Patricien, quand lord Valleys, ce type accompli de l’aristocratie anglaise, entre en conflit avec lord Miltoun, son fils, non moins orgueilleusement fermé et discipliné que lui-même, et plus volontaire encore parce que plus passionné, c’est presque assez, au cours d’une conversation, de ton si ordinaire, à l’instant où leurs volontés se heurtent de front, d’indiquer une expression et moins qu’un geste ; la suppression d’un geste.


Le domestique finit par quitter la chambre. Alors Miltoun, sans préparation, regarda lord Valleys et dit :

— J’ai l’intention d’épouser Madame Noël, mon père.

Lord Valleys reçut le coup exactement du même air qu’il prenait quand un de ses chevaux perdait une course. Il leva son verre à ses lèvres et le reposa sans y avoir touché.

— Est-ce que ceci n’est pas un peu soudain ? dit-il.

Soudain Miltoun remarqua le tremblement d’un pain à cacheter que lord Valleys tenait entre ses doigts. Nul remords ne passa dans les yeux du fils, mais un regard brûlant comme celui qu’un prêtre fanatique, au temps des Tudors, aurait pu jeter sur un adversaire qui donne un signe de faiblesse sur le bûcher. Lord Valleys, lui aussi, vit frémir la petite pastille rouge, la porta à ses lèvres et l’avala.


Beyle n’a vu le type de l’énergie humaine que dans les violens sursauts, les dangereux élans de ses passionnés Italiens. Chez ces Anglais disciplinés se concentre une énergie supérieure à celle de la passion : la volonté. Mais à deux ou trois signes imperceptibles, — le feu d’un regard, une main qui tressaille. — vous avez senti l’ardeur et le conflit des deux hommes. De même, lorsque deux électricités sont en présence, les brefs crépitemens, les subites étincelles irritées révèlent la présence du fluide, font pressentir sa charge et sa tension.

Car de ces âmes les forces de désir et de rêve sont véhémentes, et d’autant plus qu’au lieu de.se dépenser à mesure qu’elles.se créent, elles s’accumulent au dedans, se condensent jusqu’au degré qui va produire, si quelque choc les détend, l’effet tragique ou l’expression lyrique. En général, les personnages de M. Galsworthy, qui peint des mœurs et des types, ne sont que moyens. Mais ils sont Anglais, capables de la vie intérieure la plus inten.se, et peu importe la petitesse ou la banalité de l’objet qui les passionne. Quand on connaît bien le hobereau qu’est Horace Pendyce, le clubman qu’est George Pendyce, la femme du monde qu’est Bianca Dalison, les marchands, les hommes d’affaires, les avoués que sont un Jolyon, un James, un Soames Forsyte, et qui vous donneraient envie de bâiller si vous causiez avec eux, on comprend ce que les individus de cette gentry, si dociles aux conventions de leur classe, si soucieux de bien copier le modèle imposé par la mode, peuvent receler, sous leurs apparences ordinaires et grégaires, de puissances de passion et de vouloir, — amour, haine, convoitise, rancune, méfiance, orgueil, opiniâtreté, besoin jaloux d’indépendance et de quant à soi, — quelles profondes énergies cachées nourrissent leur irréductible et solitaire personnalité.


C’est ici cette « hypertrophie du moi » dont l’égotisme n’est qu’un cas, et que Taine donnait comme la grande caractéristique anglaise. On dirait que dans ce pays de la brume et du gris, où les objets s’effacent à demi, où les activités de la nature sont plus lentes, où la marque de l’effort humain est partout, le monde intérieur de l’âme se soit développé démesurément. On dirait que dans ce pays le sentiment et la volonté, ces puissances que l’homme porte en soi, et qui constituent son caractère et son énergie propres, priment l’intelligence et la sensation, ces élémens les moins personnels de sa personne, et par quoi l’ordre et la diversité du monde viennent se refléter en lui. L’Anglais projette son moi sur ce monde ; il déforme sa vision des choses suivant ses propres tendances ; il ne s’y intéresse que pour se les subordonner, les astreindre à ses fins, ou bien y trouver l’aliment dont va s’augmenter son fonds intime et permanent de croyances, de sentiment et de rêve. Enfermé en lui-même, tourné vers le dedans, son être intérieur est son principal objet. De là son souci de la réalité spirituelle. De là sa religion qui est bien moins un système de rites, lié à une certaine explication dogmatique de l’univers, qu’un appel à la conscience et « qu’une morale traversée d’une certaine espèce d’émotion[8], » — l’émotion du sacré. De là son art, qui superpose son rêve au réel, qui s’adresse à l’âme plutôt qu’aux sens, qui dans le monde visible cherche surtout des signes de l’invisible, des leçons, des symboles, d’émouvantes suggestions. Et de là enfin sa littérature, toute psychologique et moralisante, appliquée tantôt à l’ardente prédication d’un idéal, tantôt à la méditation de la vie, tantôt à l’expression du lyrique ou du pathétique, toujours à l’étude infinie des âmes, de leur vie profonde et plus ou moins solitaire, de leurs lents développemens et de leurs crises.

C’est dans ce sens que l’effort des romanciers s’est orienté de très bonne heure en Angleterre, et qu’un Henry James, un Arnold Bennet, un John Galsworthy continuent de poursuivre leurs recherchés. Tandis qu’en France, avec Gautier, avec Flaubert, avec les Goncourt, avec Alphonse Daudet, avec Maupassant, avec Huysmans, l’art s’efforçait surtout de rendre fortement et finement des sensations, de fixer ce qu’il y a d’unique dans l’apparence de chaque objet, et cela par des choix, des arrangemens de mots qui nous communiquent en même temps une impression de rythme, de rareté, de beauté simple ou complexe, comme en peinture un ton, comme en musique une harmonie valent par leur qualité propre, indépendamment de ce qu’ils signifient, les Anglais s’attachaient de plus en plus à pénétrer, fouiller et traduire le dedans de la créature humaine. Ils descendaient en elle plus profondément que n’ont fait nos romanciers psychologues, car ils ne se bornaient pas, comme le plus souvent Stendhal et son école, à suivre en des personnages qui s’analysent et dont la sensibilité n’est le plus souvent qu’un reflet de celle de l’auteur, des développemens et des involutions de pensée, des séries d’associations d’idées qui relèvent, comme les monologues de la tragédie classique, des activités lucides, du cerveau. Ils allaient jusqu’aux dessous obscurs où se forment, fermentent les sentimens, où s’élaborent les volontés. Ils cherchaient à saisir et rendre la personne même, son ton, son rythme singuliers, à nous en communiquer l’incommunicable, ce qui la distingue de toutes les autres, et par conséquent la constitue comme personne. Ils suivaient son long devenir, ils montraient dans le quotidien de son existence ses forces latentes, avant de les déployer dans le drame. Ils n’oubliaient pas, comme Beyle, l’être physique, produit des mêmes énergies qui développèrent l’âme et qui régissent ses mouvemens, forme visible et révélatrice, peu à peu dessinée, fixée dans la matière par le travail vital. Au dehors de l’individu, ils regardaient ce qui tient à lui, d’abord tout ce qui l’exprime, l’habitat qu’il s’est fait, ses accessoires familiers, qui sont des abrégés de biographie et se composent harmoniquement avec l’être vivant dont ils participent, — et puis ce qui l’influence, l’alentour social, la nature environnante, le paysage, étudié non pour lui-même, pour sa beauté indépendante, comme un pur thème d’œuvre d’art, mais dans sa relation avec le personnage, dans ses suggestions de sentiment et de rêve, dans ses correspondances avec les types, les mœurs et les idées.

Une telle curiosité du monde moral s’accompagnait chez les romanciers d’outre-Manche de recherches spéciales de métier. Il s’agissait de traduire ce qu’on découvrait, et l’on ne cessait pas de découvrir, la sensibilité aux faits, psychologiques s’aiguisant à mesure que l’on observait. Il s’agissait d’étendre et d’affiner l’art, de le superposer, détail à détail et nuance à nuance, à la réalité spirituelle dont chaque moment, chaque parcelle se révélaient toujours plus riches en élémens divers. On avait commencé par simplement raconter et commenter ; à la narration des faits on associa la description des états d’âme. Cette étude, George Eliot vint l’approfondir en y apportant, avec les précisions du vocabulaire scientifique, les méthodes des psychologues professionnels, les idées des philosophes du déterminisme et de l’évolution. Opposant la tendance native de l’individu à la poussée du milieu, elle présentait la vie comme la résultante de ces deux forces. Elle démêlait le secret principe de destin contenu dans le germe, elle signalait l’imperceptible tare originelle qui ne produira qu’à longue échéance ses effets d’avortement ou de malheur. Elle montrait l’homme continuant tous les jours de se déterminer lui-même, chacun de ses actes contribuant à dessiner la ligne de son devenir ; elle suivait jusque dans l’infinitésimal la génération et le développement de cette ligne ; elle observait la naissance et l’élaboration des sentimens, le délicat détail des faits de volonté, les impondérables influences qui s’ajoutent au poids mesuré des motifs, le tremblement imperceptible de la balance avant le mouvement décisif et final qu’elle jugeait ensuite, par un paradoxe fréquent chez les déterministes, du seul point de vue de la conscience stricte, avec la conviction puritaine de l’importance des actes, mais aussi avec la charité de sa grande âme infiniment pitoyable à la souffrance humaine et sensible au pathétique des humbles destinées.

Il ne semblait pas possible de pousser plus loin cette étude de la vie morale. Mais c’était une étude : ce n’était pas exactement la vie. Meredith essaya de noter cette vie telle quelle, sans l’expliquer, sans l’analyser, en se plaçant au centre de chacun de ses personnages, en nous montrant le monde extérieur, les paysages, les événemens dans la vision qui s’en forme en chacun, en faisant passer en nous le jeu d’images et d’idées qui compose l’activité mentale de chacun, — jeu complexe, intermittent, où la pensée se mêle à chaque instant de sentiment et de sensation, se poursuit à la fois sur plusieurs plans, s’arrête et repart en des directions imprévues, avec, par-dessous, la vie de l’inconscient, tout le fonds acquis de l’individu où s’est enregistré son passé, d’où montent les réminiscences, les impulsions, le geste subit de l’instinct ou de l’habitude. Les incertains murmures de la pensée qui se cherche, les frémissemens les plus ténus de l’être sentant, les vagues, légères, multiples vibrations qui s’éveillent comme des harmoniques autour d’une sensation ou d’une idée, se propagent, se dégradent dans la profondeur de l’inconscient, les résonances ignorées qui s’y attardent et qui font à chaque moment la tonalité de cette âme, tout cela, Meredith entreprit bien moins de le décrire que de le faire entendre. Voilà le sujet et la substance des grands romans qui s’appellent l’Égoïste, — Un de nos Conquérans. Nul événement que ceux de l’esprit, ou plutôt les événemens proprement dits, les changemens de situation, les détails de l’action, les péripéties ne sont que l’aboutissement au dehors, le résultat, qui vient s’inscrire au fur et h. mesure dans la réalité visible, de forces à l’œuvre en des caractères en conflit.

Pour rendre cette vie de tous les instans, pour faire sentir les fuyantes nuances, les changemens soudains, les détours, les volte-face, les menues, incessantes actions et réactions dont elle est faite, pour en traduire ce que les personnages eux-mêmes ne peuvent pas traduire, la germination insensible de l’idée et du sentiment, les mouvemens qui s’ébauchent au tréfonds de l’âme, il fallait inventer une langue, un style, un art. De tout cet insaisissable, Meredith réussit à nous communiquer la sensation directe par des moyens indirects, — ceux qui s’opposent le plus, dit son meilleur critique anglais, à « l’idéal français de l’expression définitive, du mot unique, » ce cristal où ne se fixe pas la fluidité mouvante de l’esprit. Par de rapides images, enchevêtrées, brisées, par des analogies, de brèves allusions, il a su nous suggérer le sentiment de tout ce qui, en cette vie infinie de l’âme, ne trouve pas son équivalent dans le vocabulaire. Surtout par des raccourcis d’expression, par ces mots composés que permet le génie de la langue, où le verbe et l’adverbe, le substantif et l’adjectif s’amalgament pour traduire d’un seul coup ce que le français dissocie logiquement, l’action et ses circonstances, l’objet et ses modes, — par des ellipses, prétéritions, des sauts brusques du dialogue dont il laisse au lecteur d’imaginer d’un trait l’intervalle, il a rendu le fugitif et l’instantané de cette vie où se confondent sensation, sentiment, idée, en adapter l’image à l’allure de « nos esprits qui volent, » — our flying minds, — et dont la vision va plus vite que les descriptions et les analyses. Cette méthode a conduit l’auteur de l’Égoïste à des réussites incomparables. Son danger, c’est l’obscurité, et l’on sait que Meredith passe pour obscur. Il le fut pour ses contemporains et ses compatriotes ; il le sera bien davantage aux futures générations anglaises, et, comme le grand Browning, il reste à peu près inaccessible à l’étranger. C’est que l’allusion, l’analogie qui veulent suggérer, l’image oblique dont le reflet doit éclairer l’imperceptible, tout cela n’est efficace que si nous vivons à l’époque et dans le milieu de l’auteur. Il faut que, d’avance, par nos habitudes d’esprit, par nos associations, correspondances ordinaires d’images et de sentimens, nous soyons accordés avec lui, pour qu’il puisse, en se servant de moyens si détournés, exciter en nous telle résonance, émouvoir par sympathie telle corde qui ne se laisse pas ou qu’il ne veut pas ébranler directement. En tout cas, il semble que, seul, l’inventeur d’un art si difficile et délicat puisse en commander tous les prestiges. A vouloir noter chaque frisson de l’être sentant, on parait long aussitôt que l’on manque le miraculeux effet d’instantané. M. Henry James, dont l’œuvre contient des merveilles de subtilité psychologique et d’adresse, en a fait l’expérience quand il a changé sa manière pour se rapprocher de celle de Meredith. Ce n’est pas aux meilleures pages de l’Égoïste que l’on pense en lisant une nouvelle comme le Gant de velours ; c’est à ce célèbre et terrible premier chapitre de l’Un de nos Conquérans où sont enregistrées toutes les ondes naissantes, entre-croisées, répercutées, rompues qu’une chute sur le pavé du, Pont-de-Londres excite dans le cerveau de Victor Radnor, — et dont la vingtième page s’achève sans que ce fringant gentleman en gilet blanc soit arrivé de l’autre côté du pont.

Dans cette histoire du roman psychologique anglais, ce qu’a produit jusqu’ici M. Galsworthy compte pour une part très neuve et déjà fort considérable. Lui aussi s’intéresse aux fibres obscures, aux frémissemens les plus ténus de l’âme. Nous avons choisi surtout dans l’histoire des Forsyte quelques exemples d’une si pénétrante observation. C’est que les Forsyte sont relativement simples. Quand M. Galsworthy se prend à des types de haute culture, des artistes, des rêveurs, des nerveux, au Shelton des Pharisiens de l’Ile, aux Dalison de Fraternité, si rares, si critiques, de sensibilité si délicate et si cachée, son art devient a ce point complexe, invisiblement lié, fait de menues touches complémentaires, de secrets rappels de ton, que rien ne se laisse plus étudier à part. Les événemens sont presque nuls. Comme il arrive dans la vie, c’est le simple flux du temps, la succession des minutes, des jours, qui change, sans qu’on les voie changer, les positions des personnages. On peut dire que la grandeur des forces en mouvement, la ligne décrite par les principaux caractères au cours du roman, nous sont ici données par un procédé qui ressemble à la sommation de l’infinitésimal. Notez que par pudeur, fierté, obéissance aux impératifs de leur caste qui les obligent aux apparences impassibles, une Bianca Dalison, plus orgueilleuse encore que jalouse, un Hilary Dalison qui subit sans se l’avouer à lui-même le charme d’une petite fille du peuple, se refusent à rien livrer de leur être intime, qu’ils ne se manifestent pas. Ajoutez que, si retirés en eux-mêmes, paralysés par leurs habitudes de rêve et de doute, contraints par leur sens des conventions, ils n’agissent pas ou, plutôt, n’agissent que négativement, pour se dérober, se réprimer, s’abstenir, éviter de s’engager. L’étrange, dans le drame conjugal qui fait le sujet de Fraternité, c’est que, du commencement jusqu’à la fin, il reste invisible et silencieux, insensiblement, par la graduelle accumulation des minimes circonstances, par le petit jeu quotidien et toujours caractéristique des impressions et réactions d’âme, se prépare la crise inévitable et finale. Pas une scène entre les deux époux. Sans conflit, sans heurt apparent, dans ce ménage une fissure est apparue, qui s’étend, s’élargit par un lent progrès. Tout s’achève nécessairement par le tranquille départ du mari. Le secret travail qui s’opère ici fait penser à ces profondes, imperceptibles activités moléculaires qui aboutissent à la rupture spontanée d’un impossible alliage. Dans une telle étude, comme la structure et le mouvement intérieur des âmes se révèle ! C’est comme si nous les regardions avec un cristal grossissant, comme si nous écoutions leur vie au microphone. Leurs vibrations les plus légères prennent alors un sens, une valeur inattendus ; leurs silences s’emplissent de rumeurs étranges, profondes, émouvantes, toujours révélatrices de l’être essentiel.

Tout cela rappelle beaucoup l’Égoïste, et le rappellerait davantage si les personnages parlaient plus. On ne peut pas lire M. Galsworthy sans penser à Meredith. Non seulement l’objet de son art est pareil, non seulement il lui doit quelques-uns de ses procédés, mais on retrouve chez lui beaucoup de la philosophie générale du maître. Même critique de l’Angleterre pharisienne, même haine de l’égoïsme masculin et des tyrannies qu’il impose à la femme, même idéalisme foncier. C’est un Meredith corrigé par Tourguenief, allégé, dépouillé, mesuré, un Meredith plus conscient de son art et plus systématique, sans doute, parce que moins puissant en souffle et en instinct, moins pourvu de ce fonds ethnique d’énergie d’où jaillit tantôt ce qui nous ravit et tantôt ce qui nous déconcerte chez le créateur de Richard Feverel et de Nevil Beauchamp : fantaisie shakspearienne, irrésistibles élans de danse inspirée, — parfois gigues folles qui précipitent l’auteur au milieu de son œuvre, brusques coups d’aile qui l’emportent d’un trait au plus haut de l’éther.

Surtout, il s’est bien gardé de rien emprunter au style si périlleux de Meredith. Rien de plus uni et limpide que le sien. S’il arrive que nous ne comprenions pas toute sa pensée du premier coup, nous n’avons jamais le sentiment de ne pas comprendre. Dans la profondeur d’un roman comme Fraternité, plusieurs plans se superposent. Si nous ne sommes pas attentifs, si notre regard manque de pénétration, nous ne voyons guère que le plus matériel et le plus prochain, où viennent agir et parler les personnages. Nous sommes là devant les apparences ordinaires du réel : elles s’ordonnent et se suivent avec la logique naturelle de la vie. Simplement, c’est la vie qui passe devant nous, d’autant plus simple, intelligible que nos pouvoirs de vision sont plus brefs et limités à l’évident. Peu à peu, si nos yeux s’aiguisent, si nous observons, si nous interprétons, d’autres plans se révèlent, qui s’entrecoupent ou se succèdent : celui où secrètement passent tels événemens, vivent telles figures dont l’action demi-cachée vient influer sur les personnages immédiats, celui, surtout, où se poursuit la profonde vie psychologique dont les faits sensibles, gestes et paroles, ne sont que la projection à la claire surface du roman. Et derrière ces multiples perspectives, sur un plan qui enveloppe tous les autres, la pensée personnelle de l’auteur, l’idée cachée dont l’extérieur de l’œuvre ne nous présente, sous les formes les plus ordinaires, que des symboles. La première lecture de Fraternité m’a ravi ; ce n’est qu’à la seconde que j’en ai vu le sens intérieur, le sens mystique transparaitre dès le début de la première page dans la description d’un nuage au coucher du soleil. Il est presque impossible, si l’on n’a pas déjà subi les principales suggestions du livre, d’entrevoir l’intention panthéiste qui se dissimule là. Mais nul embarras, nul sentiment d’énigme : vous n’avez vu qu’un ciel comme en peignent tant de romanciers. Presque tous les paysages de M. Galsworthy contiennent des significations aussi voilées, où se prolonge, se dégrade, s’achève mystérieusement l’idée philosophique et profonde qu’il se refuse à énoncer parce qu’il la préfère indistincte, multiple, faite de possibilités diverses et seulement pressenties. La nature qu’il nous évoque ainsi est toujours pénétrée d’âme. Une vie générale et vague y circule, où tout s’assemble et se meut. Par ces images émouvantes du ciel et de la terre, un instant, il nous fait sentir le divin à l’œuvre au sein des choses, le sourd vouloir qui développe l’univers, la réalité unique et cachée où chaque être a sa substance, — et, dans cette brève vision, les petits individus séparés qui disent moi d’eux-mêmes et ne voient du monde que leurs affaires, changent de valeur ; leur histoire prend un sens nouveau, ironique ou pathétique.

Souvent une idée plus spéciale se mêle à ces paysages. Puisqu’une âme est dans la nature, quelque chose peut y passer d’analogue aux états élémentaires et profonds de notre âme. Une correspondance peut exister entre tel aspect des choses et telle passion, tel émoi qui traversent un personnage du roman. En général, quand M. Galsworthy décrit les choses, c’est pour suggérer ce qu’il n’a point décrit de son personnage. Telle est, dans le Propriétaire, la secrète raison d’être de cet admirable tableau d’un soir à Richmond Park. Autour d’Irène et de Bosinney qui s’attirent et ne peuvent se parler parce qu’ils ne sont pas seuls, un soir extasié de juin, une nuit bleue, les marronniers chargés de fleurs, l’affluence prodigieuse des sèves et des parfums, une langueur qui se dégage d’un mode insolite de la nature, — tout cela, qui trouble obscurément, ce jour-là, les plus positifs des Forsyte, nous signifiant, sans que l’auteur en dise rien, la Puissance ancienne comme le monde qui agit à cette minute en la pauvre Irène, et qui la transfigure, la traverse, l’enveloppe d’effluves, fait d’elle une fleur, fleur humaine, fleur parfumée comme celles que le Printemps vient encore une fois d’épanouir par milliers sur les vieux arbres, et dont toute la destinée s’est accomplie quand elles ont atteint leur brève minute d’amour et de beauté.

Quelquefois le rappel aux grandes réalités est plus mystérieux encore et plus bref. C’est une impression subite, inexpliquée qui vient remuer un des personnages, accompagnée d’une vague, rapide intuition qu’on nous laisse à deviner, et qui lui ouvre je ne sais quelles profondeurs : brusque demi-vision dont l’image lui revient de loin en loin pour changer un instant son attitude et son idée de la vie. C’est Soames, l’homme d’argent, l’impassible, l’autoritaire mari d’Irène, que fait frissonner tout d’un coup dans la nuit le cri, le grand cri voluptueux et douloureux du paon, sans doute parce qu’il y sent le cri du désir, de l’amour élémentaire, mystérieux et fort comme la nature, et dont la présence environne, hante sa maison, menace son orgueil et sa sécurité. C’est Hilary, le triste et délicat sceptique, le rêveur détaché de tout, qui, à deux heures du matin, accoudé à sa fenêtre, à Londres, perçoit dans le silence nocturne une rumeur naissante, grandissante, rapprochée, bientôt un sourd, immense grondement qui semble monter de toute la ville. Simple bruit des centaines de charrettes venues de la campagne, en route vers les marchés voisins, — mais qui l’effraye, précipite le battement de son cœur. Probablement pour lui le bruit émouvant de la vie qui se déploie dans la nuit où le monde semblait aboli, de l’innombrable, inévitable vie qui vient battre autour de sa solitude, chargée de la souffrance et de l’effort des hommes. Obscurément, à cette minute, quelque chose d’inexprimable se révèle à lui, dont plus tard, à plusieurs reprises, le fugitif et tressaillant souvenir reviendra soudain l’immobiliser dans du rêve.

D’autres symboles sont plus précis. C’est, à côté des caractères principaux, telle figure, telle série de figures secondaires où s’incarne et se laisse reconnaître la même idée. Par exemple, — toujours dans Fraternité, — cette famille de miséreux dont les rêves, les gestes, les mutuelles relations répètent à chaque moment du récit quelque chose de l’histoire des Dalison, en sorte que c’est la même, éternelle humanité que nous retrouvons chez ces gentlemen et chez ces gueux, et que ceux-ci, à travers toutes les différences de classe, nous apparaissent comme les analogues de ceux-là, comme leurs tristes ombres projetées au plan de la misère. Parfois, c’est un simple animal qui suit son maître, qui porte sa marque évidente, ou bien lui ressemble. Ainsi, dans le Manoir, sur les pas d’Horace Pendyce, son épagneul, type de la soumission, de l’adoration muette qu’exige inconsciemment de son entourage ce squire excellent, mais à qui vingt générations de petits potentats ruraux ont transmis leurs habitudes et leur besoin de domination. Et de même encore, dans Fraternité, tous près d’Hilary Dalison, — cet écrivain en qui la culture a tué la nature, cette âme atténuée, toute en sensibilité intérieure, vidée de vouloir, qui se tient à l’écart de la vie parce qu’elle la dédaigne et parce qu’elle en a peur, — c’est son pâle petit bouledogue dont les instincts sont presque morts, tant il est, lui aussi, civilisé, citadin, intelligent, assuré de sa pâtée quotidienne, bête admirable, éprise de solitude et de silence à côté de la bibliothèque, tout indépendante de ses congénères, mais qui tombe en arrêt, un jour, dans une allée d’Hyde Park, devant un chien plus extraordinaire encore que lui-même, un toutou frisé, tout blanc, qui ne bouge pas, qui n’a point d’odeur, et dont il fait le tour avec un émerveillement stupéfait, comme s’il avait enfin trouvé le chien idéal, le produit parfait et définitif de la civilisation dans l’espèce canine. En effet, celui-ci est supérieurement artificiel : il est de carton. Mais de telles images sont plutôt des rappels d’idée dont on ne peut faire comprendre l’effet par des exemples. Signaler au lecteur l’une de ces analogies, c’est tout de suite commencer à l’expliquer. On pose l’un à côté de l’autre les deux termes que l’auteur a maintenus séparés, dont un seul doit suffire à nous évoquer l’autre. Aussitôt la fugace allusion se change en métaphore concertée, le symbole se développe en parabole.

Au total, l’œuvre de ce romancier nous atteste un. effort très nouveau pour pénétrer au sein de la vie, pour en saisir et en traduire ce que nous y sentons de plus fuyant et que l’art, en général, ne transpose qu’en le dissociant, en le déterminant, en l’astreignant à la simplicité des formes arrêtées. Il y parvient par des moyens qui semblent ordinaires, en réalité extraordinairement subtils. Le principal, celui que l’on aperçoit et que nous avons signalé d’abord, c’est le choix calculé, la secrète ordonnance du détail profondément caractéristique. Le plus minime, le plus indifférent, semble-t-il, quand on l’isole, — la façon dont le vieux et maigre James tient son parapluie, le geste que fait lady Casterley pour écraser une guêpe, — ajoute à notre intelligence d’une certaine nature, à notre vision d’une certaine physionomie. C’est que M. Galsworthy unit à l’intuition profonde de la vie psychologique la perception aiguë de tout ce qui la manifeste au dehors. Il voit totalement chacun de ses personnages, à la fois dans son unité intérieure et permanente, et dans la diversité de tous ses aspects et momens. D’où la valeur esthétique de tout cet infinitésimal qu’un autre n’eût pas songé à traduire ou qu’il eût négligé comme inutile. Il agrandit ainsi le domaine de l’art, il y fait entrer plus d’élémens et d’expressions de la vie, il serre de plus près le réel et le fait apparaître plus nombreux et plus intéressant. Il y a là un progrès de la technique et de la sensibilité analogue à celui qui, chez les peintres et les sculpteurs de notre temps, témoigne des exigences accrues de l’œil moderne. Dans un ton qui semblait simple, dans un relief du corps vivant que l’on croyait lisse, ils perçoivent et nous révèlent chaque jour plus de frémissante complexité. Il est facile de se perdre dans cette recherche et cette notation de l’élément. Mais chez les grands artistes, — et l’auteur de Fraternité fait penser à ceux-là, — le frisson du marbre, son palpitant modelé, tout son jeu d’ombres sensibles obéissent à la direction d’une ligne et d’une idée fondamentales.

Reste ce que nous avons vu de plus original dans l’art de M. Galsworthy et qu’il trouve moyen d’unir à cette profusion du détail : son refus de tout dire, son parti pris de sous-entendu, son adresse à suggérer ce qu’il juge plus émouvant et plus vrai dans l’ombre. Nous avons essayé d’étudier ce délicat procédé. Mais nous touchons ici au mystérieux élément que l’on sent en toute grande œuvre d’art et qui fuit l’analyse. Quand on a lu Fraternité, on se demande par quelle secrète magie la figure de Bianca, la femme d’Hilary Dalison, si hautaine, si fermée, énigmatique et ironique, nous est devenue présente comme une hantise. Nulle description, nulle dissection d’âme, et l’on pourrait faire tenir en une demi-page ce qu’elle laisse tomber de paroles au cours des trois cents pages du roman, — paroles volontairement inexpressives, par là même expressives de son orgueilleuse volonté de tenue et de retenue, car on peut dire d’elle, comme de tous les autres Dalison, de tous les Forsyte, de tous les Caradoc[9], de tous les Dennant[10], ce que dit M. Galsworthy de George Pendyce[11], et qui est vrai de toute la classe dirigeante anglaise : « C’était un des articles de sa foi qu’il est défendu d’exprimer ses émotions. » De même, dans le Propriétaire, la femme jadis illégitime de Jolyon le jeune, qui ne prononce pas un mot, dont nous ne savons pas même le nom, dont nous ne voyons le visage qu’une seule fois, à l’instant où, relevant la tête, elle rougit devant son beau-père, — rougeur plus pathétique sous des cheveux gris, — et dont nous devinons cependant à la fois le douloureux passé, ce qu’il a laissé en elle de sensibilité anxieuse et de méfiance, la vie monotone et limitée à son ménage, la fierté susceptible et qui cherche la solitude, la puissance de passion concentrée sur son mari. Tout cela, semble-t-il, par deux ou trois gestes, mais si intensément significatifs, et dont la valeur s’accroit par la situation. Seulement, n’oubliez pas, alentour, ce jeu si nuancé, si preste, de reflets que se renvoient les personnages et qui nous les montrent les uns dans les autres, les fuyantes lueurs dont ils s’éclairent mutuellement, toute cette prestidigitation d’âmes miroirs dont l’auteur de l’Egoïste a donné les premiers exemples.

On voit à peu près comment M. Galsworthy esquive la difficulté du style de Meredith. À celui-ci il ne doit que son idée générale du roman et quelques-uns de ses moyens obliques d’évocation. Par de savans sous-entendus, il se passe de ces enchevêtremens d’images dont use le maître pour traduire l’intraduisible de l’esprit. C’est aussi que son objet n’est pas le même. Sauf dans le Patricien, le dernier, l’un des plus puissans, mais au point de vue technique le moins original de ses livres (car M. Galsworthy a varié de volume en volume sa manière, et c’est une autre façon pour lui de déconcerter la critique), il ne considère pas des individus exceptionnels ou de la grande espèce, un Richard Feverel, un Nevil Beauchamp, une Diane des Crossways, un lord Ormont, un Victor Radnor, à qui leur créateur a pu prêter quelque chose de son esprit ailé, parfois de son génie, souffler sa propre vie qui fut comme une flamme. Il ne s’occupe pas non plus de cas extraordinaires comme ceux d’Evan Harrington ou de Carinthia, de monstruosités comme l’égoïsme de Willoughby Patterne, l’orgueil de Fleetwood ou le charlatanisme de Roy Richmond. Il n’agrandit pas l’échelle de la nature. Il ne peint pas des épopées d’âmes. Il se prend à des types, à des exemplaires de la société anglaise contemporaine et de ses classes, à des figures, par conséquent, dont son public a l’habitude et que le lecteur anglais peut imaginer sur de légers indices. Derrière les Forsyte, ce lecteur aperçoit la grande bourgeoisie des villes, les parvenus du XIXe siècle, remarquables par leur respect de l’argent, leur rigorisme et leur snobisme, — derrière les Pendyce, la vieille gentry tory des campagnes, la caste ancienne, autoritaire des justices of the peace, chasseurs de renards, chefs, de pères en fils, du petit peuple local, — derrière les Dalison, le monde des intellectuels, affinés, sensibilisés par la culture, dociles encore (c’est là le trait anglais) à des consignes d’origine puritaine, mais dont le principe religieux s’est mué pour eux on impératif social, — derrière les Caradoc, enfin, l’aristocratie, dressée par de stoïques disciplines au culte orgueilleux de la volonté, traditionnellement dévouée au service de la chose publique, mais bien plus libre de pensée et d’action, bien plus indépendante des conventions et du cant que la classe moyenne, par là plus spontanée, plus près de la nature, plus capable de comprendre le peuple instinctif et prime-sautier, et d’en être compris.

Le talent et l’art singuliers de M. Galsworthy attiraient d’abord notre attention. Il resterait à considérer ces types, à dégager ce qu’ils signifient des idées anglaises, ces actives idées qui les ont façonnés et dont ils sont la vivante figure. Ce serait une façon, et la meilleure, d’étudier l’Angleterre d’aujourd’hui : elle est déjà tout entière dans l’œuvre inachevée de ce grand romancier. Et puis il resterait à montrer quelle satire est au fond de son œuvre, quel idéal s’y oppose aux idées de la société d’outre-Manche, j’entends aux idées établies, celles que perpétuent la tradition, le préjugé héréditaire, et qui n’ont pas cessé de gouverner les mœurs, — quelle pitié de la souffrance en attendrit ou en aiguise l’ironie, quelle ferveur d’amour l’inspire tout entière, quel sentiment mystique, — presque hindou, s’il n’était si voilé, — de la divine unité du monde, où sont frères et pareils d’essence, non seulement tous les humains, mais tous les périssables vivans.


ANDRE CHEVRILLON.

  1. Les romans de M. Galsworthy sont : The Island Pharisees (1904) ; The Man of Property (1905) ; The Country-House (1907) ; Fraternity (1908) ; The Patrician (1911). Il a publié, en outre, trois recueils de nouvelles et six pièces de théâtre.
  2. A Motley.
  3. Fille de Jolyon le jeune par sa première femme qu’il a quittée jadis.
  4. C’est la formule d’un petit jeu traditionnel, comme notre : Je t’aime... Un peu... Beaucoup..., et qui consiste à prédire, en comptant des noyaux, le mariage ou le non-mariage. Le dernier mot de la formule est jamais.
  5. Bosinney, ce soir-là, doit conduire sa fiancée au théâtre.
  6. Infra dignitatem : formule scolaire où s’affirment à la fois la grande vertu et le grand défaut anglais : le stoïcisme et le snobisme.
  7. The Japanese Quince dans A Molley ; le retour à la maison de Mrs Pendyce dans le Manoir, le chapitre intitule : Anglais dans les Pharisiens de l’Ile.
  8. Mot de Matthew Arnold.
  9. Dans le Patricien.
  10. Dans les Pharisiens de l’Ile.
  11. Dans le Manoir.