Job et Jo-Uenn
Ô douce voix de la faiblesse,
Comme au cœur le plus dur vous entrez sans effort !
Honte à qui vous entend et lâchement s’endort !
Pour l’enfance pitié ! pitié pour la vieillesse !
Le fort cache souvent l’épine qui le blesse ;
Hélas ! pitié pour le plus fort !
— « Vous étiez sans pain, sans asile,
« Quand sur la rue on vous a pris ;
« À toutes les lois indocile,
« Que faisiez-vous seul à Paris ?
— « Hélas ! je cherchais de l’ouvrage !
« Pars, Job, m’avait dit un ancien ;
« Avec des bras et du courage
« On ne manque jamais de rien.
« Mais la misère est la plus forte.
« Que ne suis-je en notre maison !…
— « Vous mendiez de porte en porte,
« Et vous méritez la prison. »
Ah ! juge, voyez cet œil cave
Et ce front de pâleur couvert :
Si jeune avec un teint si have !
L’innocent, comme il a souffert !
Quoi ! la pauvreté, c’est un crime !
Loi sans cœur, fille de l’argent !
Ce qu’il faut plaindre, on le réprime ;
Le malfaiteur vaut l’indigent.
Ce corps épuisé par le jeûne
Vous a laissé voir tous ses maux,
Sondez aussi cette ame jeune,
Prête à s’ouvrir dans les sanglots.
Ô discours vrais et pleins de charmes !
Croyance, bonne foi, candeur
Qui des yeux fait jaillir les larmes,
Germer la pitié dans le cœur !
— « Parlez, Job ! Par un soir d’automne
« Quand vous erriez sur le pavé,
« En secret demandant l’aumône,
« Sous vos habits qu’a-t-on trouvé ?
— « De l’Ouvrier dans la misère
« C’était le Guide et le Devoir ;
« Monsieur, c’était une prière
« Que je lisais matin et soir. »
Ô douce voix de la faiblesse,
Comme au cœur le plus dur vous entrez sans effort !
Honte à qui vous entend et lâchement s’endort !
Pour l’enfance pitié ! Pitié pour la vieillesse !
Le fort cache souvent l’épine qui le blesse.
Hélas ! pitié pour le plus fort !
Au seuil d’un cachot d’Italie,
Sur un marbre j’ai vu la Mère-de-Douleurs ;
J’ai vu son beau visage inondé de ses pleurs ;
Elle ouvrait aux passans une main qui supplie,
Et sa bouche disait avec mélancolie :
Ayez pitié de leurs malheurs !
Pour tous ceux que leur sort enlace,
Pitié ! cœurs sans espoir, corps usés de travaux,
Tous pareils en misère à ces pauvres chevaux,
Qui, sous l’équarrisseur, mornes, la tête basse,
Attendent qu’on leur donne enfin le coup de grace,
Signal de l’éternel repos.
Le voilà couché dans la rue,
Jô-uenn, le noble et bon cheval !
À l’entour le peuple se rue,
Un peuple stupide et brutal.
Le mors a déchiré sa bouche,
Le brancard écorché ses reins,
Plaie où vient bourdonner la mouche ;
Les enfans arrachent ses crins.
Las ! Jô-uenn, toi qui sur la lande,
Du point du jour à son déclin,
Tondais les pousses de lavande,
Près de ta mère heureux poulain !
Et quand Mélen, ton jeune garde,
Couché sous un genêt fleuri,
Te jouait un air de bombarde,
Tu bondissais comme un cabri.
Mais passe un jour dans ce domaine
Un Normand, effroi des troupeaux ;
Et jusqu’à Paris on t’emmène,
Paris, cet enfer des chevaux.
Adieu la lande ! adieu la grève !
Les prés où l’on broute au hasard !
Tu resteras sans paix ni trêve
Dans les tenailles d’un brancard.
Hélas ! sans paix et sans relâche,
Bien d’autres malheureux, crois-moi,
Comme toi vivent à la tâche,
Au travail meurent comme toi…
Mais, chut ! l’heure de l’agonie
Soulève et fait battre son flanc :
Jô-uenn, ta souffrance est finie !
Dors, Jô-uenn, le bon cheval blanc !
Pourtant une rumeur confuse
Éveille encor l’agonisant,
L’air lointain d’une cornemuse
De quelque noce d’artisan.
À cette voix, la pauvre bête
Tente un mouvement convulsif ;
Puis, laissant retomber sa tête,
Ferme son œil doux et pensif.
Pour tous ceux que leur sort enlace,
Pitié ! cœurs sans espoir, corps usés de travaux,
Tous pareils en misère à ces pauvres chevaux,
Qui, sous l’équarrisseur, mornes, la tête basse,
Attendent qu’on leur donne enfin le coup de grace,
Signal de l’éternel repos.