Jeanne d’Arc (Hanotaux)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 57 (p. 721-753).
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JEANNE D’ARC[1]

III[2]
L’ABANDON


I
L’an mil quatre cens vingt et neuf
Reprint à luire le soleil…


Voilà, en deux vers sincères et délicieux, tout l’effet de l’apparition de Jeanne d’Arc. Cette bonne Christine de Pisan, âgée de soixante-sept ans, les écrivait avant de mourir, au moment où les temps se tournaient « de grand deuil en joie nouvelle. » Personne n’espérait plus la veille : tout paraît assuré le lendemain ; la volonté divine est intervenue.

De toutes les parties de la France, le même sentiment fait explosion :


Si rabaissez, Anglois, vos cornes ;
Matés êtes sur l’échiquier.


Et encore :


Arrière, Anglois coués, arrière,
Par le vouloir de Roy Jhésus.


On demande au Bourgeois d’Orléans s’il croit vraiment que le grand effort fait par les armées du roi Charles VII n’eût pas suffi pour délivrer la ville ; il le nie fortement : « Demande si la ville a été délivrée par l’intervention de la Pucelle plutôt que par la force des armes : répond que lui et tous ceux d’Orléans pensent qu’elle est venue de Dieu à leur secours et que, sans cela, ils seroient sous la puissance des Anglois. Il ne croit pas que ni les habitans, ni les soldats eussent pu résister à l’attaque des adversaires qui avoient, alors, pris le dessus. » (Procès, III, 26.)

Ce sentiment simple gagne et se répand par toute la France. Les ardens s’enflamment, les prudens s’inclinent, les dévots adorent, les hommes d’armes s’arment ; tous adhèrent, chacun selon son caractère. A la Cour, dans les provinces, à l’étranger, chez les adversaires, en Angleterre, partout, c’est le même ébranlement : seulement, ce qui est joie aux uns est terreur aux autres. On se presse, dans les églises, au nom de « l’Angélique, » qui réalise la devise de Jean d’Harcourt : Expellere per angelum Anglos ; on organise des processions en son honneur ; on frappe des médailles à son image ; on élève sa figure sur les autels.

Plus tard, au procès, les juges attestent la dévotion populaire, en y cherchant un grief contre l’accusée : « Item, ladite Jeanne, par ses inventions, a séduit le peuple catholique ; beaucoup en sa présence l’ont adorée comme sainte et l’adorent encore en son absence, commandant, en son honneur, messes et quêtes dans les églises ; bien plus, ils la déclarent la plus grande parmi les saints, hormis la Sainte-Vierge ; ils élèvent des images et des représentations d’elle dans les basiliques consacrées : ils portent sur eux sa figure en plomb ou autre métal, comme on fait pour les saints canonisés ; ils la proclament partout envoyée de Dieu et ange plutôt que femme[3]. »

Il faut tout le bon sens de Jeanne pour qu’elle échappe à la contagion de cette ivresse idolâtre : « En vérité, dit-elle au procès, je ne m’en aurais su garder, si Dieu ne m’en avait gardé lui-même. »

A Rome, en pleine cour pontificale, un clerc français, attaché au pape Martin V, témoigne, dès 1429, de l’émotion religieuse produite par les premiers exploits de Jeanne d’Arc : « En trois jours, toute l’armée anglaise fut condamnée à l’inaction ou à la fuite. A voir le brillant appareil de cette armée, la force des combattans, le courage des gens d’armes, les bonnes dispositions prises par les chefs, on eût pensé que les forces réunies de l’univers n’auraient pas pu faire en un mois ce que la Pucelle accomplit en trois jours. A qui l’attribuer, sinon à celui qui peut faire tomber une grande foule sous les coups de quelques hommes, et pour qui le salut d’un grand nombre ne présente pas plus de difficultés que le salut d’un petit nombre ? C’est donc à vous, mon Dieu, roi de tous les rois, que je rends grâce d’avoir humilié le superbe en le brisant et d’avoir maîtrisé nos adversaires par la force de votre bras[4]. »

Des étrangers, des gens très froids, négocians italiens, résidant à Bruges, environnés, si j’ose dire, de l’esprit adverse, entrent à pleine voile dans l’idée du miracle. On n’attend même pas que les faits soient advenus : on les affirme comme accomplis aux récentes commémorations évangéliques : « Le 24 juin, fête du bienheureux et gracieux Jean-Baptiste, ledit Dauphin, accompagné de la damoiselle, appelée de son nom Jeanne, illuminée par l’Esprit saint, inspirée de Dieu, est arrivé à Paris, tous les Anglais avec le Duc de Bourgogne en étant sortis pacifiquement ensemble ; ladite damoiselle et messire le Dauphin étant à Paris avec ses barons et chevaliers prospérant et se réconfortant, acclamé comme souverain dans les terres et châteaux et villes de France, il fut fait de très notables fêtes, le Dauphin prenant courage avec la damoiselle et pardonnant à toutes gens… Ladite damoiselle fit cette réconciliation en cette manière que, pendant un ou deux ans, les Français et les Anglais, avec leurs seigneurs, devront se vêtir d’étoffe grise avec la petite croix, ne prendre, toute cette année, le vendredi de chaque semaine, que du pain et de l’eau, être tous en bonne union avec leurs femmes et ne plus dormir charnellement avec d’autres femmes et faire promesse à Dieu de ne vouloir user, en nulle manière, d’aucun discorde de guerre. Et, ensuite, cette damoiselle a dit à messire le Dauphin qu’elle veut aller à Rome (ou à Reims) pour le faire couronner de sa couronne de toute France. Tout ce qu’elle a dit s’est accompli ; les paroles de ladite damoiselle sont toujours vérité ; elle est venue pour accomplir de magnifiques choses en ce monde. Amen[5]. »

En Lorraine, pays de Jeanne, on voit la fuite des Anglais sur la mer :


Anglais ont pris barque à plenté
Par la mer en Angleterre s’en sont rallés !

En Allemagne, elle est la « Sibylle de France, » « sainte, virginale, prophétique. » Elle a le don de vaillance et le pouvoir de seconde vue. Les prodiges l’accompagnent : les boulets de pierre crachés par les canons ennemis tombent en poussière à ses pieds ; une colombe vole auprès d’elle, portant en son bec une couronne d’or… « Lors du sacre de Reims, la chevauchée française a foulé tout le vignoble à l’en tour ; mais, quand le Roi part de la ville et tire vers Paris, les tiges se redressent et fleurissent d’une floraison plus belle sous les pas de la Pucelle[6]. »

Dieu ayant pris parti et combattant pour la France, la France est, désormais, elle-même, en état de miracle. Son sol et son ciel sont sacrés. « Après la bataille de Patay, on voit venir, en Poitou, comme des hommes armés de toutes pièces chevauchant en l’air sur un grand cheval blanc et, au-dessus des armures, une grande bande blanche, venant devers la mer d’Espagne et passant par-dessus deux ou trois forteresses près Talmont et tirer vers Bretagne : dont tout le pays de Bretagne fut épouvanté. » (Procès, V, 122.) Cela donne à réfléchir au Duc de Bretagne, qui venait de se rapprocher des Anglais ; il s’apprête à chanter encore sa palinodie.

Quant aux Anglais, quelle terreur indicible les saisit ! « Race superstitieuse, » ainsi qu’il est dit au procès (II, 370), ils se sentent sous le bras de Dieu ou sous la griffe du démon. Il ne fait pas bon s’attarder sur ce sol où la maléficieuse Pucelle a dit que pas un seul Anglais ne demeurerait que ceux qui sont en terre. Sauve qui peut !

Chose à peine croyable, huit ou dix jours après la levée du siège d’Orléans, le duc de Bedford, qui s’est replié sur Paris, reçoit de telles nouvelles de l’armée « qu’il est obligé d’expédier des lettres closes aux capitaines de tous les ports de la côte normande, de la Somme à la Seine, à Eu, Dieppe, Fécamp, Honfleur, pour leur défendre de laisser aucun déserteur se rembarquer pour l’Angleterre[7]. »

Et cet effroi, quasi physique, n’est pas seulement la suite de la surprise et du choc ; il dure bien au-delà du jour où la Pucelle a emporté la victoire par un coup soudain. Elle est déjà navrée, palpitante, désespérée, traînant, sur les routes de l’Île-de-France, la dernière étape qui la conduit à Compiègne, et les insulaires n’osent pas encore renoncer, pour venir l’affronter, à la protection de la ceinture d’argent. Henri VI s’embarque pour la France ; il entreprend une campagne qui doit être décisive ; il annonce qu’il veut, lui aussi, se faire sacrer à Reims. Mais l’armée anglaise, réunie à grand’peine, se disperse dès qu’il est question de traverser la Manche. Le gouvernement est obligé de publier un mandement royal, « contre les capitaines et soldats se dérobant au service, terrifiés par les incantations de la Pucelle. » (3 mai 1430 ; Procès, V, 162-164.) Et, six mois après quand la Pucelle est prisonnière, les fers aux pieds, rivée dans la cage de fer où les Anglais sont sûrs de la tenir et de la garder jusqu’à la mort, ils tremblent encore ; le 12 décembre 1430, on lance un autre « mandement » avec ordre adressé à tous les fonctionnaires de la côte anglaise d’avoir à arrêter les fuyards de l’armée que les maléfices terrifians de la Pucelle ont mis hors de sens. » (12 décembre 1430, t. V, p. 192.)

Par ce coup de balancier extraordinaire, qui élève les uns jusqu’aux nues et enfonce les autres aux abîmes, — si grande que soit la part faite à l’imagination et à la superstition, — des faits positifs, tangibles, n’en sont pas moins accomplis ou en voie d’accomplissement : la délivrance d’Orléans, la victoire de Patay, Je couronnement à Reims. De la Loire à la Seine, par Troyes, Reims, Laon, Crépy-en-Valois, Compiègne, Beauvais, Saint-Denis, toutes les approches de Paris sont reconquises ; au plein cœur de la Normandie, Evreux entre à composition (12 août probablement)[8].

Charles VII était sur le point de se réfugier dans le Dauphiné et, peut-être, de quitter la France ; maintenant il est Roi ; — roi couronné dans les formes solennelles, oint de la Sainte-Ampoule, guérissant les écrouelles à Saint-Marcoul de Corbeny. Il marche sur Paris ; toutes les places de la Picardie et du Nord de la France n’attendent qu’un signal pour se rallier à la nation et à la dynastie.

Bedford, si froid et qui se domine, d’ordinaire, est ému par ces événemens étranges où il ne peut s’empêcher de reconnaître, lui aussi, la « main de Dieu. » Il écrit à son neveu, le jeune roi Henri VI : « Toute chose a prospéré pour vous jusqu’au temps du siège d’Orléans, entrepris Dieu sait par quel conseil. Auquel temps, après l’aventure arrivée à la personne de mon cousin Salisbury que Dieu absolve ! (frappé par un boulet, et mort devant Orléans, 1429), arriva, par la main de Dieu, comme il semble, un grand méchef sur vos gens qui étaient rassemblés là en grand nombre : lequel provint en grande partie, comme je pense, par enlacement de fausses croyances et folles craintes qu’ils ont eues d’un disciple et limier du Diable, appelé la Pucelle, qui a usé de faux enchantemens et sorcelleries ; lesquels méchef et déconfiture, non seulement ont diminué d’une grande partie le nombre de vos gens, mais aussi ont ôté le courage du restant d’une façon merveilleuse et ont encouragé vos adversaires et ennemis à s’assembler incontinent en grand nombre… » (Procès, V, 137.)

Telle est la situation, décrite de main de maître et de la main du maître, aux environs du mois d’août, au moment où, à Reims, la première partie de sa mission achevée, Jeanne se prépare à ce qu’elle considère comme l’achèvement de sa tâche, l’expulsion des Anglais hors du royaume.

Quittant Reims, elle vient, avec Charles VII, à Saint-Marcoul de Corbeny ; elle suit la rive droite de l’Aisne, passe à Vailly où le Roi reçoit les clefs de la bonne ville de Laon, qui ouvrent également les places du Nord. On se met en route, par Soissons et par les villes du Valois et de l’Ile-de-France, vers Paris. L’armée est pleine d’entrain ; le pays est soulevé. Partout on escompte le succès, on l’affirme, on le célèbre. Les Anglais évacuent Paris, ayant renoncé à le défendre. Les partisans du roi légitime prennent courage, et sont prêts à ouvrir les portes. Que le Roi s’approche : il trouvera la ville soumise ; le royaume sera reconstitué !

Soudain, l’élan qui paraissait unanime est brisé. La campagne commencée est interrompue, abandonnée. La Pucelle se sent tenue à l’écart, exclue des conseils, suspecte. Elle cherche, interroge ; on se tait.

Son inquiétude ne la trompe pas : autour d’elle, une trame se noue. Des fils invisibles l’ont enveloppée soudain ; elle est arrêtée et ramenée du ciel sur la terre, en plein vol. Hier, justifiée, heureuse, « à l’honneur » sur les marches de l’autel, dans la cérémonie du sacre ; aujourd’hui, négligée, discutée. Le Roi lui-même, son « gentil Dauphin, » si bon, si pitoyable pourtant, se dérobe, tourne le dos ; il tourne le dos à sa propre fortune, aux saints, à Dieu. Elle n’est plus l’envoyée, « l’ange, » mais une femme gênante, exagérant ses succès, n’écoutant personne, entêtée, glorieuse en habits et en conduite. Elle n’a plus que des défauts. Autour d’elle, elle surprend le doute, le ricanement, les haussemens d’épaules. La Cour, après l’avoir laissée sans appui, sans soutien à l’attaque de Paris, l’éloigné des armées, la traîne inutile dans les châteaux de la Loire, jusqu’au jour où, d’elle-même, et contre la volonté de tous, par une vue extraordinairement juste de l’importance du siège de Compiègne, elle se décide à partir au secours de cette place, et succombe.

Que s’est-il passé ?

On ne sait si Jeanne a eu la connaissance ou la révélation des machinations qui l’ont peu à peu poussée au bûcher. Elle n’a rien dit, rien laissé paraître. Au procès, quand elle parle de tout et de tous avec une si claire franchise, elle ne cesse de ménager, d’une volonté évidente, le Roi, la Cour, les conseils du Roi, tout ce qui reste, pour elle, jusqu’au bout, la cause, c’est-à-dire la France. Pas un reproche, pas une allusion, pas une réticence ; elle se jette, avec sa fougue ordinaire, contre la moindre insinuation pouvant. porter atteinte à la dignité du Roi ; jusqu’à la dernière minute, elle le couvre de ses déclarations loyales ; elle veille sur lui avec une tendresse et une indulgence maternelles ; elle répond de lui jusque sur le bûcher et devant l’histoire.

Aussi l’histoire a hésité longtemps. D’ailleurs, les précautions étaient prises. Tout était trouble et caché ; ceux qui avaient mené l’intrigue en avaient soigneusement effacé les traces. Aux affaires qui touchent l’âme des peuples, il faut des siècles pour que la vérité perce.

La vérité a percé ; on y voit clair aujourd’hui et, s’il reste encore quelques obscurités, il est possible, cependant, de reconstituer l’enchaînement des faits de politique, des faits de fatalité et des faits de conscience qui ont décidé du sort de la Pucelle. Il est possible d’expliquer, ou, du moins, de s’expliquer le « mystère de l’abandon. »


II

Quand Jeanne d’Arc, venant de la frontière lorraine, se présenta inopinément à Chinon, elle tombait, sans le savoir, dans un fourré de complications politiques et d’intrigues. C’était, d’ailleurs, l’état normal aux entours de Charles VII.

Charles VII, lui-même, tenu de court par ceux qui se disputaient sa faveur ou plutôt qui usurpaient sa volonté, ne savait que s’incliner, s’effacer, se dérober devant l’exigence du dernier qui avait parlé.

Parmi tant de ténèbres et de contradictions qui obscurcissent l’histoire de cette époque, le véritable caractère de Charles VII reste une énigme.

Il avait vingt-cinq ans. Blême, maigre, les jambes fortes, la physionomie peu ouverte et comme attristée sous des traits gros et sensuels, on le trouve généralement morose, inquiet, soupçonneux, indolent et puis, tout à coup, il apparaît généreux, diligent et beau diseur. Entre la folie de son père Charles VI et la neurasthénie de son fils Louis XI, la phobie le guette. Timidité, méfiance, envie, c’est le fond d’un tempérament mélancolique. Mais, son intelligence nette, sa réflexion constante, sa ténacité souple et indomptable, à l’affût derrière de longues patiences, prépareront, à la fin, ses succès et justifieront ce beau nom de victorieux[9]. C’est un politique !

Le malheur a étouffé la première explosion de sa charmante jeunesse. Pendant longtemps, il doute de lui-même ; il a le scrupule de sa naissance, de sa légitimité, de son droit. Accablé par l’infortune, sous le coup, peut-être, du choc physique qu’il a reçu à l’accident de La Rochelle, il cherche un refuge dans ces « retraites et cabinets » où, selon le reproche que lui adresse un contemporain, il reste « muché et caché en châteaux, méchantes places et manières de petites chambrettes. » Il n’a d’autres ressources ni d’autres soulas que la conversation des femmes et leurs tièdes approches. Il semble tout endormi : Quare obdormis, Domine ? lui crie Jean Jouvenel des Ursins. En lui et autour de lui, tout se délite et va à vau-l’eau : dégoût, relâchement, veulerie[10].

Cette étrange maladie de la volonté qui frappe le Roi, dans la période immédiatement antérieure à la venue de Jeanne d’Arc, atteint aussi l’entourage et gagne, des grands aux petits, tout le royaume.

Un affaissement universel avait succédé à la violence des luttes entre Armagnacs et Bourguignons. Les peuples avaient horreur de ces excès et d’eux-mêmes ; après le coup de la rue Barbette, après le coup du pont de Montereau, après les journées alternatives des Armagnacs et des Cabochiens, la bête était à la fois ivre et dégoûtée de sang ; car ce n’est pas le naturel de la race. La fureur l’affole ; mais les retours sont prompts, avec la dépression de la honte et du remords.

Les choses en étaient à ce point que personne ne discernait plus le devoir. La lutte contre l’étranger, le bien du peuple, la paix, c’étaient les mots répétés dans les protestations officielles ; mais, depuis longtemps, les consciences étaient entrées à composition avec elles-mêmes et, sous la pression brutale des événemens, les cœurs s’étaient diminués et l’existence de chacun pelotonnée au plus étroit abri. Le courage militaire, le service du prince ou des chefs, les dernières vertus qui subsistent, d’ordinaire, aux temps où la force règne, se prostituaient à la rapacité et à la cupidité. Le but de la guerre, c’était le pillage ; le mobile des corps à corps, la rançon ; la raison des sièges « l’apaisement. » Les hommes, les partis se ménageaient pour mieux s’exploiter. Une sorte d’hostilité larvée, sans objectif net et sans ressources décisives, n’était qu’une suite de surprises et d’embuscades. Le soldat tournait à l’écorcheur. La diplomatie emboîtait le pas aux armes. L’art suprême était de garder un pied dans les deux camps.

La guerre ayant commencé par des rivalités d’influence et des dissensions dans la maison royale, avait conservé ce caractère en quelque sorte familial. Querelles de cousins, impies, honteuses d’elles-mêmes, dont on ne savait jamais si elles allaient s’assouvir en de nouvelles tueries ou se fondre en une subite embrassade. Tous ces gens, parens et amis, se disputaient non pas tant le pouvoir, l’influence, non pas tant l’influence, le profit. Ils soulevaient le peuple en l’attendrissant sur ses misères qu’ils aggravaient. Cependant l’ennemi, le conquérant étranger gagnait et, se glissant entre les partis, faisait sa main et parfois, tant les souffrances étaient grandes, se voyait appelé et accueilli comme un sauveur[11].

L’histoire, qui domine les événemens, sait que, dans cet étrange bouillonnement, de grandes œuvres s’accomplissaient : formation des premières nationalités européennes, affaissement du système féodal, éviction des maisons apanagères, essai d’un premier équilibre européen. Mais les contemporains, qui subissaient la rafale sans deviner la germination, s’abandonnaient au caprice de la tempêté qui les roulait dans son tourbillon.

Rien n’était fixe, tout était en perpétuel changement ; et tel fut, précisément, l’un des traits caractéristiques de ce Charles VII, si éminemment fils de son temps : « Moult de condition muable, » dit Chastellain ; et encore : « Aucuns vices soustenoit ; souverainement trois : muableté, diffidence et, au plus sûr et le plus, c’étoit envie pour le tierce. »

Dans la famille royale, à la Cour, dans les partis, une même mobilité inquiète, une fuyante fluidité précipitent sans cesse, les unes sur les autres, les vagues d’une agitation vagabonde. Pas une parole sûre, pas un serment loyal ; des regards gauches, une fidélité truquée, à double et à triple fond. Pas de chambre qui n’ait sa porte de derrière et son escalier dérobé ; pas de château qui n’ait ses souterrains perdus et ses oubliettes. Jeu de cache-cache alternant avec un jeu de balançoire. La morale en patenôtres et la religion en amulettes : pour les particuliers acquérir, pour les princes conquérir, c’est tout. Louis XI sera le héros du système ; Machiavel en écrira le bréviaire.

Mais Louis XI, Commines, Machiavel ont eu des précurseurs : leurs maîtres et modèles furent ces princes de la maison de Valois, fils et petit-fils de Charles V, au premier rang le « grand duc d’Occident, » Philippe le Bon.

On sait, de reste, que le risque couru par la France, au temps de Charles VII, fut la rivalité, un moment prépondérante, de la domination de Bourgogne qui, installée sur la Meuse, la haute Seine et l’Escaut, n’avait qu’à tendre les bras aux Anglais, maîtres de la Guyenne, du Périgord et de la Normandie, pour enserrer et étouffer la dynastie capétienne. Le roi de Bourges, aplati entre ces deux forces, ne pesait guère plus qu’un duc de Bretagne à demi indépendant, un roi d’Arles ou un duc de Savoie à demi italiens.

Or, dans cette lutte décisive, Charles VII, pauvre héritier dépouillé et inexpérimenté, avait pour partenaire le plus puissant de ses parens, l’homme d’Etat le plus raffiné et le plus ambitieux de sa génération, nageant à pleines eaux dans ces temps troubles, Français d’origine, Flamand de choix, Anglais de calcul et d’alliance, se portant tantôt d’un côté tantôt de l’autre, et poursuivant ainsi le but caché que son excessive prudence n’avait pas encore osé s’avouer à elle-même.


Il y a, dans la galerie du roi de Wurtemberg, un buste représentant Philippe le Bon : on dirait plutôt Philippe le Magnifique. La figure longue, puissante et osseuse, entièrement rasée, le grand nez droit, les larges oreilles, le rictus de la bouche aux lèvres épaisses, serré et renfoncé vers les commissures fortement accusées, le menton plein, les joues râpeuses, labourées d’une ride verticale, le front haut et étroit reposant sur des arcades sourcilières majestueusement symétriques, ce masque, que le large chapeau auréole, découvre une nature robuste, sèche et superbe. La puissance et la ruse se disputent ce visage froid où tout se devine, rien ne se lit. Il y a du César en ce Valois. Le regard porte au-dessus du spectateur et au-delà du spectacle, illuminant vaguement d’imagination ambitieuse une physionomie de paysan pratique et gaigneur. Comme ce terrible sire s’emboîte bien, dans l’histoire, entre Charles V et Louis XI ! Le portrait ne nous trompe pas : c’est bien ainsi que les contemporains l’ont vu : « Droit comme un jonc, fort d’eschine et de bras, et de bonne croisure, le regard fier sous des sourcils dont les coins se dressaient comme cornes en son ire. » Chastellain, le bon rhétoriqueur, tremble sous ce regard : « Ne séoit à homme, fors à Empereur ou Boy, porter telle effigie que luy, telle imaige, ni telle figure… Et parloit son viaire (visage), ce sembloit, disant : « Je suis prince… » En une étable eût-il été ainsi, comme une imaige en un temple. »

La tige, dont il est la fleur, ayant ses racines en France s’épanouit, transplantée et grassement nourrie dans ces riches Flandres. Il gagna ses peuples, dont il n’avait pas le sang, par conquête d’abord, puis par autorité, prévenance, complaisance, attentions et délicatesses extrêmes. Ces bourgeois de Gand, de Bruges, de Bruxelles n’étaient pas faciles à manier, entendant garder leur prince pour eux, limitant l’emprise souveraine par leurs franchises et par leur arrogance, pointilleux sur leurs libertés, « étant telle l’imagination des vassaux et subjetz de mondit seigneur, dit son conseiller Hugues de Lannoy, que il n’est point tenu de exposer les personnes de luy et de ses susdits vassaux et subgetz sans rémuneracion ; » tous, commerçans exacts, proportionnant les sacrifices au profit. La tradition de ces princes et de ces peuples ne s’est pas perdue en terres flamandes.

Ainsi, prenant et pris tout ensemble, le duc Philippe est tenu de louvoyer sans cesse, jouant au plus fin, frappant et caressant. Ce vaillant homme, ce brutal, ce dépensier, ce voluptueux ne parle que de sagesse, de modération et de piété. Il a toujours à la bouche la cause de l’Eglise ; toute sa vie, il fut sur le point de partir pour la croisade ; mais il ne partit pas, se tenant aux tâches plus proches et plus fructueuses, non sans exciter railleries et brocards, dont peu lui chaut : « Aucuns pays ont cette coutume que quand ils se trouvent en banquets avec leurs amis et qu’ils ont la teste un peu échauffée de bonne chère, ils entrent en dévotion par compagnie et à l’envy font des vœux d’aller en Hiérusalem, à Rome, Nostre-Dame de Lorette ou à Saint-Jaques en Galice : et ne font guère, souvent, tels vœux le matin. J’ay ouy dire que les Flamands et aucuns Allemans qui vont chantans par les rues, en ce royaume, en leur liffreloffre, sont coustumiers de faire tels entreprises[12]. »

Compulseur de dossier et amateur de beuveries, « couché souvent à deux heures après mynuit et levé à six heures du matin, jamais oyseulx qu’il ne s’occupast ou en estudes de livres ou de tirer de l’arc pour s’exercer en quelque ébastement honneste, ou au conseil de haultes choses, quand le cas requéroit[13] » ; se faisant lire, à haute voix, les vieilles histoires, la Chevalerie Ogier de Danemark, Renaud de Montauban, Huon de Bordeaux, les Conquêtes Charlemaigne, et, surtout, les prouesses des anciens, l’Alexandre, l’Histoire romaine jusqu’à César, les Faits des Romains, le Romuléon, ces lectures alternent, pour lui, avec d’autres plus ragaillardissantes, le Romant du Renard, le Décaméron de Boccace ; c’est autour de lui que se content les récits recueillis dans les Cent nouvelles Nouvelles ; c’est pour lui que composent ces chroniqueurs incomparables, la gloire de la littérature bourguignonne, Pierre de Fenin, Pierre Cochon, Monstrelet, Lefèvre de Saint-Remy, l’écrivain dit « le Bourgeois de Paris, » G. Chastellain, Wavrin, O. de La Marche, Molinet ; c’est pour lui qu’enluminent et peignent les maîtres des Flandres, les Hubert et Jean van Eyck[14], Roger van der Veyden, le maître de Flemalle, Thierry Bouts ; c’est pour lui que sculptent les « tailleurs d’imaiges » de la Chartreuse de Dijon : après la mort de Claus Sluter, ses élèves, Claus de Werve, Jean de la Huerta, Le Moiturier ; c’est pour lui qu’écrivent des armées de scribes et de copistes, parmi lesquels des Memling, des Jean de Bruges, des Simon Marmion ; c’est à sa voix enfin que s’exalte le luxe le plus féerique et le plus insolent qui fut jamais, dans les tournois, dans les fêtes, dans les « vœux du faisan, » dans les solennités de la Toison d’Or, où la politique se joue parmi les prières et où sont rapprochés, en une invocation équivoque, la Bible et Ovide, Gédéon et Jason, la maîtresse aux fauves parures et la princesse lointaine qui a traversé les mers pour devenir sa femme, Isabeau de Portugal.

Sur le territoire artificiellement construit, qui s’étend des polders de Hollande aux vignobles de Bourgogne, une histoire autre que celle qui fut s’essayait, une histoire plantureuse et grasse, pleine de génie et d’initiative, luxuriante et luxurieuse, une histoire de tisserands, de drapiers et de tapissiers, avec une littérature de prosateurs, de conteurs et de chroniqueurs, sans lyrisme que celui de la chair, sans philosophie que celle de la nature, sans idéal que celui des gloires terrestres, — sauf un acompte de béguinages et d’œuvres pies pour le rachat du ciel.

Si cette esquisse se fût achevée, la Belgique eût été ce que fut la France. Peu s’en fallut que la conquête flamande ne réussît, avec le concours de l’Angleterre ; mais elle se heurta à la résistance plus sèche, plus nerveuse et plus sobre des gens de la Champagne, de l’Ile-de-France et des pays d’outre-Loire. Pour l’équilibre et la santé de l’histoire européenne, il fallait que ce débordement de luxe, de matière et de chair fût comprimé, il fallait que Jean van Eyck et Roger de la Pasture fussent contenus avant de devenir Rubens ou Jordaens. L’âme française tint bon : l’âme française, c’est-à-dire Jeanne d’Arc ! Jamais la partie n’avait été mieux engagée, mieux conduite, plus près d’être gagnée qu’aux temps de Philippe le Bon : défrancisé comparativement à son père Jean sans Peur, plus français et plus mesuré que son fils « le Téméraire, » il avait si bien dressé le double piège que la proie semblait ne pouvoir échapper. Le royaume des lys, réduit et corrodé par toutes ses frontières, ayant perdu sa capitale, voyant couler, par toutes ses veines ouvertes, son énergie vitale, était livré au plus ambitieux et au plus habile. Philippe était celui-là. Des trois adversaires, Charles VII, le régent d’Angleterre et lui-même, il se sentait l’homme du destin… quand il rencontra une autre destinée.

A vrai dire, sa prudence extrême hésitait encore et cette cauteleuse réserve compliquait le problème et le rendait plus dangereux et plus captieux encore. Le Duc n’ignorait pas les faiblesses de sa force et les tares de son trop récent et trop rapide succès.

Sa maison était si étroitement liée et subordonnée à la maison de France qu’il ne pouvait, sans un défi à l’opinion, faire litière de tous ses liens de fidélité, de vassalité, de parenté. Il y a un degré de perversité qu’on ne peut dépasser sans péril. Sa cause et celle du « Dauphin » s’entremêlaient de telle sorte qu’il était, pour ainsi dire, impossible de les opposer nettement l’une à l’autre : mêmes origines, même langue, mêmes goûts, mêmes serviteurs, mêmes séjours ; où commençait la France, où finissait la Bourgogne ? Avec les habitudes du temps en matière de subordination seigneuriale et personnelle, les limites étaient aussi mobiles sur le sol que dans les esprits. On vivait l’un dans l’autre, l’un chez l’autre : les parens sont les plus incommodes des adversaires, alors même qu’ils sont les plus détestés ennemis.

Et puis, il y avait d’autres solutions possibles qu’une brutale exhérédation du cousin. En matière de’ succession tout arrive. Les fils de Charles V n’avaient-ils pas régné pendant la minorité de Charles VI ? Ce « Dauphin » chétif était un obstacle bien mince entre ses parens et le pouvoir ; sa santé physique et morale ne paraissait pas beaucoup plus solide que celle de son père. La nature se charge parfois de résoudre les problèmes qu’une hâte désordonnée complique.

La modération s’imposait pour d’autres raisons encore : la domination des ducs de Bourgogne était récente, leurs territoires étaient dispersés, leurs sujets fiers et turbulens. Ces républiques des Flandres très occupées par leurs affaires, à elles, s’intéressaient peu aux desseins et aux convoitises de la maison régnante. Chaque effort au dehors avait pour contre-coup une rébellion au dedans. Ce Philippe était un souverain trop récent pour jouer aux Alexandre. Il disait, beaucoup plus tard : « Je veux bien que chacun sache que, si j’eusse voulu, je fusse roi. » Peut-être. Mais il en fut de cela comme de son vœu de croisade et autres « liffreloffres » à la flamande.

A la constitution d’une grande « Bourgogne, » il est un empêchement décisif : c’est le rapprochement fatal, contre elle, de l’Allemagne et de la France. Il semble bien, qu’en Europe, il n’y ait pas de place pour une domination impériale entre ces deux pays[15]. Si Charles VI et Charles VII furent les seuls princes français, peut-être, qui conservèrent la fidélité des alliances allemandes, c’est que leurs règnes coïncidèrent avec la grandeur bourguignonne. Resserrée sur son étroite bande de terre, surveillée du côté de la mer par la jalousie anglaise, la fortune des Pays-Bas, avec tout ce qu’elle charrie d’eaux fécondantes et de limons puissans, s’enlize dans son propre succès comme le cours du grand fleuve qui les a créés se perd et s’épuise avant d’atteindre la mer.

En somme, au for intime de Philippe le Bon, si volontaire Flamand qu’il fût, si accroché à ses riches et belles Flandres, il reste une inclination, une attirance, et même une nécessité « françaises. » Il ne peut oublier Paris. Sa politique, invinciblement tournée de ce côté, subit encore l’attraction.

Mais, en revanche, elle pèse sur Paris, en raison de la proximité, de la puissance et de sa modération même. Ses chances sont dans l’arrangement et dans la « combinaison, » plus que dans la violence absolue et dans les armes. C’est en cela qu’elle diffère de la politique anglaise, nécessairement militaire et conquérante. Il y a là un point où les deux alliés se sépareront, et c’est à pressentir et à saisir ce joint que s’épuisera l’habileté des ministres de Charles VII.


La maison de Bourgogne, française par ses origines, française par son objectif, française par ses procédures, devait nécessairement trouver des adhésions et des concours en France. Elle les trouvait, en effet, et jusque dans l’entourage le plus intime de Charles VII. La ligne de démarcation existait à peine ; par des communications incessantes et des transitions insensibles, le contact était gardé.

Une seule personnalité était, par sa situation, nécessairement, fatalement, opposée, quand même, à l’alliance anglo-bourguignonne : c’était le dauphin Charles. Lui était, par essence, intransigeant. Il ne pouvait entrer à composition, parce que la souveraineté ne se divise pas : elle se garde ou se perd.

Tiraillé entre les partis qui s’agitaient autour de lui, le jeune Roi, faible et dénué de tout, était presque sans choix parce qu’il était sans ressources. Le dernier avait raison, parce que le plus proche était le plus dangereux.

Ainsi s’expliquent les longs silences de Charles VII, son indolence voulue, les demi-sommeils où il s’attardait. Une telle disposition est la suite de la pénurie et du découragement, puisqu’il garde, incontestablement, ses facultés d’intelligence et d’observation. Sa volonté seule est en échec. Pris entre la conquête anglaise et la pénétration bourguignonne, il surveille et il attend.


Faisons le tour de cette Cour réduite au minimum et acculée aux expédiens.

D’abord, les vieux Armagnacs. Le parti, dispersé et décapité depuis la mort du connétable, n’avait guère d’autres représentans auprès du Dauphin que des personnalités violentes et cupides, mais qui le tenaient depuis le temps de sa jeunesse : c’étaient les assassins du pont de Montereau : ils pesaient sur lui par l’évocation d’une complicité plus ou moins établie et avouée, par des souvenirs communs qu’ils savaient rafraîchir à l’occasion, et aussi par le concours incontestablement dévoué et efficace qu’ils lui apportaient dans sa lutte contre l’étranger.

Les survivans de ce groupe un peu usé, Tanneguy-Duchâtel, le président Louvet, Guillaume de Champeaux, évêque de Laon, un favori sans mérite, Frottier, le chirurgien Cadart, compromis autant qu’on peut l’être, — leurs têtes étant, à la plupart, le gage réclamé par le parti bourguignon pour toute œuvre de pacification, — restaient forcément attachés au succès de la cause française. Ceux-là donc étaient anti-bourguignons, anti-anglais à fond, et jusqu’à en être embarrassans. Attachés, dans la famille royale, à ce qui subsistait de fidèle au duc d’Orléans, leur plus grande force était l’espèce d’« envoûtement » qu’ils exerçaient sur le Dauphin. Lui, n’osant rompre avec le passé sanglant, ne savait comment se dégager de leur dangereux dévouement.

Une intrigue fomentée par un parti rival l’y aida : il se laissa faire, selon sa coutume d’abandonner sa conduite au fil des événemens. Mais les remplaçans avaient d’autres visées. Ceux-ci ne cherchaient pas seulement à exercer le pouvoir sous le nom du prince, ils prétendaient diminuer l’autorité royale jusques et y compris un démembrement partiel du royaume ; il s’agit, ici, du parti des Grands et de la haute aristocratie apanagère, rivaux directs de la Couronne, tout prêts à s’appuyer sur la Bourgogne et, au besoin, sur l’Angleterre pour arriver à leurs fins. Ils se prononçaient pour toutes les transactions, pourvu qu’elles leur profitassent ; à grands cris, ils se réclamaient d’une cause, en tous temps populaire, celle de la paix.

A la tête de ce parti, se trouve un très grand seigneur, frère du duc de Bretagne, le duc de Touraine, futur connétable de Richemont.

Arthur de Bretagne est, d’abord, « breton. » Il travaille pour lui-même et pour sa maison. Il rêve de se tailler une principauté indépendante en Touraine, la Bretagne jouant ainsi dans l’Ouest le rôle que la Bourgogne joue dans l’Est et les comtes de Foix dans le Midi[16]. En tant que comte de Richemont, il est le vassal du roi d’Angleterre. Sa mère a épousé, en secondes noces, Henri V. Au retour d’une longue captivité dans l’île, il reste, d’abord, fidèle à la cause anglaise. C’est seulement à la mort de Henri V qu’il se brouille avec le duc de Redford[17]. Mais il a épousé, en octobre 1423, une sœur du Duc de Bourgogne et a lié partie avec celui-ci, au moment où ses nouvelles ambitions le portent à se rapprocher du dauphin Charles.

L’origine de l’affaire est dans un pacte conclu à Amiens, le 17 avril 1423, et où s’étaient rapprochés le Duc de Bourgogne, le duc de Bedford, le duc de Bretagne, le comte de Foix et Richemont. Par le Duc de Bourgogne, le duc de Savoie et la reine Yolande étaient dans le secret. Combinaison formidable. Ces puissantes convoitises s’étaient rapprochées parce qu’elles comptaient avoir une proie digne d’elles à se partager : à savoir ce qui restait de puissance et de substance à la royauté.

Celle-ci est au plus bas ; la bataille de Verneuil (17 août 1424) la réduit à merci. Le dauphin Charles est au désespoir, il mendierait à genoux la paix. La reine Yolande lui conseille de s’adresser au duc de Bretagne dont les relations avec la Bourgogne et avec l’Angleterre peuvent lui procurer des adoucissemens de la part du vainqueur. Richemont s’offre comme intermédiaire. Le Dauphin, pour échapper au plus proche péril, livre son gouvernement et sa personne aux grands : c’est le salut par la concession et le renoncement.

Richemont subordonna son adhésion à l’agrément du Duc de Bourgogne. Il alla passer un mois auprès de son beau-frère avant de se décider. L’entente de Montluel entre Savoie, Bretagne, Richemont, avec la coopération du Duc de Bourgogne, posa les conditions acceptées par Charles ; et quand Richemont reçut, le 7 mars 1425, l’épée de connétable, devant l’assemblée des Etats généraux réunis à Tours, il y eut un sentiment général que c’était une « addication » de Charles VII, « et que le Roi s’était soumis à leur ordonnance. »

Richemont s’empare du pouvoir. Il chasse, sans coup férir, les vieux conseillers du Dauphin, les Armagnacs sanglans et dépravés, le président Louvet, Tanneguy-Duchâtel, le chirurgien Cadart, « gens de bas et petit lieu qui ont pour convoitise de gouverner et d’attirer à eux les chevances du royaume. » Richemont affiche son programme, aussi clair que possible : « confirmer, conclure et appointer du tout le fait de la paix, ensemble aviser pour pourvoir aux choses nécessaires au relèvement du royaume et union des seigneurs du sang de mondit seigneur, mettre sus justice et ôter toute roberie et pillerie[18]. »

La capitulation complète de la royauté fut réglée dans l’entrevue de Saumur, entre Charles VII et Jean VI duc de Bretagne (octobre 1425), entrevue qui fut le nœud de cette extraordinaire combinaison. « Le Roi lui a dit et fait dire, comme à son plus proche, qu’il vouloit dorénavant, en ses affaires personnelles et en ce qui concernoit le royaume, se laisser gouverner par lui et suivant son conseil. » Le duc de Bretagne déclare au Roi qu’il n’a d’autre conduite à suivre que celle-ci : « 1° se mettre à son devoir pour réduire et rallier à lui ceux de son sang ; 2° principalement le Duc de Bourgogne ; 3° pour arriver à faire, au Duc de Bourgogne, des offres convenables, prendre pour bons les articles rédigés par le duc de Savoie (en décembre 1424) et recourir à l’intermédiaire du duc de Savoie et de lui-même, duc de Bretagne ; 4° pour remplir son devoir envers Dieu et sa conscience, faire des offres raisonnables aux Anglais, et s’en rapporter, à ce sujet, au duc de Bretagne, et abandonner audit duc le gouvernement des finances du pays de Languedoïl… etc. (c’est-à-dire des seuls pays qui payaient encore des subsides réguliers à la royauté)[19]. »

Les sermens furent échangés. Richemont régna. La politique de l’aristocratie apanagère triomphait.

Richemont régna de 1425 à janvier 1428.

Il semble bien que c’est au fond de l’âme de Charles VII que se fit la première résistance royale et française. Il avait laissé faire, ne pouvant résister. Mais, pendant près de trois ans, sans savoir très bien ce qui se passerait et sans vouloir fortement (car ce n’était pas sa manière), mais avec une souple attention à profiter des circonstances favorables, il avait attendu son heure.

Il saisit la première branche qui s’offrit pour arrêter sa dérive : c’était une branche pourrie. Le sire de La Trémoïlle, appartenant par sa naissance, par ses alliances et par ses engagemens, au parti de Bourgogne, lui avait été recommandé par le connétable de Richemont : « Vous avez tort, avait dit le Roi ; il vous trahira, je le connais mieux que vous. » Le faible caractère de Charles VII devait réaliser ce que sa claire intelligence avait prévu. Il se mit peu à peu dans la main de La Trémoïlle ; si bien qu’un courtisan de second plan et de valeur médiocre délogea la haute aristocratie et ce connétable si fier qui, à tout prendre, valait mieux que lui.

La Trémoïlle était un gros homme audacieux et sûr de lui, parlant haut, sachant remplir sa caisse et la vider au besoin : les riches sans scrupule vont loin, dans tous les temps. Il n’était ni assez fort ni assez maladroit pour agir seul : guidé probablement par les préférences du Roi, il rappela les débris du vieux parti Louvet, les Armagnacs supportables, les soldats, les fonctionnaires, ceux qui restaient attachés, par tradition, par calcul ou par habitude, au succès de la cause royale.

On profita des fautes de Richemont ; on accabla le connétable breton, qui ne savait pas vaincre, sous les grands souvenirs de Du Guesclin et d’Olivier de Glisson. Ecrivant beaucoup, il parut bavard et imprudent. Inexpérimenté, les armées fondaient entre ses mains. Il ne sut même pas profiter, en personne, du seul succès sérieux remporté de son temps, la délivrance de Montargis, en septembre 1427.

Il est l’homme d’une politique extrêmement populaire, la politique de la « paix de Bourgogne : » mais, même cela, il ne sait pas l’obtenir. Son effort n’aboutit qu’à une suite de trêves, assez inutilement renouvelées, qui irritent l’espoir et accumulent les désillusions. Pour comble, son frère, le duc de Bretagne, fait, en mai 1427, sa paix avec les Anglais et adhère au traité de Troyes. C’est presque la trahison !

Charles VII est effrayé et dégoûté. La Trémoïlle sent le vent et s’approche ; il offre les deux choses qui manquent au Roi : de la résolution et de l’argent.

Richemont ayant quitté imprudemment la Cour, les bonnes villes du royaume reçoivent l’ordre de lui fermer leurs portes. Fort surpris de cette disgrâce par « quarantaine, » il veut ressaisir, de vive force, le corps et l’esprit du Roi. Mais celui-ci se dérobe. Le parti aristocratique, décontenancé, recourt en vain à une levée d’armes. L’odieux d’une guerre civile tombe sur lui. Les nouveaux conseillers de Charles VII suppléent par leur activité à l’autorité qui leur manque. Richemont échoue devant Bourges. Le Roi occupe Chinon, défendu par la femme du connétable, sœur du Duc de Bourgogne. Richemont est obligé de se replier vers sa Bretagne où sa fureur s’enlize dans le détail des luttes locales, tandis que ses ennemis triomphent à la Cour.

Ainsi arriva aux affaires le parti qui gouvernait au temps de Jeanne d’Arc. Le Conseil est alors composé, sous l’autorité à peine avouée de La Trémoïlle, d’hommes d’affaires expérimentés, mais prêts à toutes les besognes, Robert Le Maçon, Regnault de Chartres, Guillaume d’Albret, les sires de Gaucourt et de Belleville. Le Duc d’Alençon s’est rattaché à ce parti. A l’armée, le bâtard d’Orléans, gendre du président Louvet, La Hire, Xaintrailles, Villars, Florent d’Illiers sont fidèles à la cause royale, ou plutôt, ils restent du côté où on se bat.

Parmi ces mutations, l’opinion ne sait plus auquel croire. Les gens des bonnes villes, que ces concurrens accablent de leurs protestations et de leurs correspondances, veulent, au fond, deux choses difficilement conciliables : rester Français, mais en même temps et tout de suite, la paix.

Les Etats généraux sont réunis à Chinon, dans les derniers jours d’octobre 1428. Là se manifeste, avec une intensité extraordinaire, l’esprit de résistance de la nation, et surtout des provinces du Midi, contre la conquête anglaise. Mais, aussi, les Etats se prononcent en faveur d’une politique qui est, au fond, celle du connétable et des ducs, la politique de la « paix de Bourgogne » : « La tierce requête fut qu’il plût au Roi de vouloir entendre, par tous les moyens possibles, à la paix de Mgr le duc de Bourgogne et trouver le moyen de le rejoindre et unir à Sa Seigneurie. » Et encore : « Pour les raisons ci-dessus déclarées, qu’il plaise au Roi attraire par devers lui, en bon amour et obéissance et à son service, Mgr le Connétable et, pour ce faire, lui plaise continuer ambassades et traités qui ont été commencés. »

Il y avait, dans ces déclarations, une nuance très fine et une idée très juste. Le peuple étant las, épuisé, à bout de forces, voulait la paix et il avait le sentiment que, pour l’obtenir, il fallait détacher le Duc de Bourgogne de l’Angleterre. En joignant cette recommandation si légitime à une autre en faveur du connétable de Richemont, les Etats donnaient un avertissement aux gens qui détenaient le pouvoir : « Traitez avec Bourgogne, leur disait-on à demi-mot ; sinon, Richemont sera rappelé comme l’homme indispensable. »

La Trémoïlle n’était pas assez fort pour se dérober à des injonctions si nettes. Puisqu’on voulait la paix, il s’emploierait à la paix. Il avait, autour de lui, des fonctionnaires, des diplomates, hommes souples et appliqués, esprits mesurés et cœurs froids, peu enclins aux actes héroïques, amis des négociations et des palabres. La « paix de Bourgogne, » c’était une solution, en somme honorable, et qui paraissait facile. Mieux valait ce mot oreiller que l’imprévu et la terre dure des batailles. La Trémoïlle n’oubliait pas qu’il était, par ses origines, attaché à la cause bourguignonne.

Si bien qu’au moment où les Anglais font leur suprême effort devant Orléans, au moment où Jeanne d’Arc survient, les deux partis qui se disputent le pouvoir à la Cour, se disputent, en même temps, la politique si populaire de la « paix de Bourgogne. » Quels que soient les sacrifices nécessaires, ils s’y résignent d’avance et font assaut de zèle.


Mais le Duc de Bourgogne se prêtera-t-il à ces desseins ? En fait, il devenait d’autant plus intraitable qu’on affichait davantage l’envie et le besoin de traiter.

Richemont s’en était bien aperçu et La Trémoïlle s’en apercevait à son tour. La négociation, toujours reprise, n’aboutissait qu’à des impasses ou à des culs-de-sac. Jouant, d’autre part, au plus fin avec Bedford, le Duc tenait la dragée haute des deux côtés à la fois. Pour un diplomate, c’est l’enfance de l’art.

Maître des volontés et des partis à la Cour de France, il n’était pas moins fort du côté de l’Angleterre. Le roi Henri V, en mourant, avait laissé ce conseil suprême au duc de Bedford : « En cas que le beau-frère de Bourgogne voudra entreprendre le gouvernement de ce royaume (le royaume de France), je vous conseille que vous lui bailliez ; mais s’il refuse, si l’entreprenez. » Et il ajoutait « qu’il convenait de ménager, avant tout, le Duc qui est celui du monde qui, à nos affaires de France, peut apporter le plus advancement ou grief[20]. »

Bourgogne savait tout cela ; il n’avait donc qu’à manœuvrer. Ainsi s’était développée et déroulée, à son gré, une politique extrêmement savante qui le tenait en équilibre entre les deux partis, lui laissant le moyen et le loisir de traîner France et Angleterre à l’extrême limite des concessions.

Il faut expliquer très brièvement où en était la procédure de cette politique au moment où parut Jeanne d’Arc ; car c’est le nœud de toute l’histoire de la Pucelle.

Du côté de la France, Philippe le Bon tendait l’hameçon par le système des armistices et des trêves, sans cesse renouvelés et prorogés, sous la promesse d’un rapprochement prochain et d’une pacification générale. En réalité, ces conventions sont toujours très mal observées, à la faveur de l’ambiguïté qui subsiste sur leur véritable portée ; elles n’empêchent pas le Duc de Bourgogne de venir en aide aux Anglais, en fournissant des subsides, des hommes d’armes et en autorisant ses généraux à servir pour le compte du roi d’Angleterre.

C’est toute une histoire diplomatique du règne de Charles Vil qu’il faudrait écrire, si l’on voulait tenir registre de ces arrangemens indéfiniment répétés, mais qui marquent, à tout prendre, les étapes de la combinaison qui prévaudra après la mort de Jeanne d’Arc : le traité d’Arras[21].

En 1423, à Bourg-en-Bresse, sous les auspices du duc de Savoie, intermédiaire patenté de ces tractations, première trêve, première esquisse d’une « paix générale ; » à Nantes, accord négocié par le duc de Bretagne (sept. 1424) ; à Chambéry, nouvelle trêve, sous les auspices du duc de Savoie, du 5 octobre 1424 au 1er mai 1425 ; négociation de Màcon en décembre 1424 ; de Montluel en janvier 1425, qui décident l’avènement de Biche-mont aux affaires ; c’est le moment où le Duc de Bourgogne flatte le plus les espérances françaises au sujet d’une prochaine réconciliation ; ses démêlés avec le duc de Gloccster au sujet du mariage de Jacqueline de Bavière s’enveniment ; on répand le bruit que les meneurs de la politique anglaise projettent de l’assassiner.

Le duc de Richemont mord à l’appât ; en prenant le pouvoir, il a fait savoir au Duc de Bourgogne que, tant qu’il posséderait l’autorité à la cour du Dauphin, « tout ce qui est arrêté entre eux (c’est-à-dire le pacte d’Amiens) devait être considéré comme conclu. » Il répète au même duc que « rien ne doit les empêcher de travailler tous deux, de concert, au bien du royaume et au relèvement de la maison dont ils sont issus[22]. »

Dans les derniers mois de 1425, au début de 1426, la politique des négociations et des trêves illusoires se poursuit. Mais Philippe, accentuant le double jeu, se rapproche du duc de Bedford. Bientôt, il est vainqueur en Hollande, à Brouwershawen, contre les partisans de Jacqueline de Bavière, et ce succès n’ajoute pas peu à son arrogance.

Richemont se désespère. En mai 1427, il fait un effort suprême : le pays implore la paix et tout dépend de Philippe le Bon ! On va jusqu’à lui offrir le gouvernement du royaume. C’est ce qu’il désire, au fond : mais l’acceptera-t-il de Charles ou de Henri, de la France ou de l’Angleterre ? Il se réserve et fait un brusque crochet vers Bedford. Richemont succombe (fin 1427), ne laissant, comme héritage diplomatique à ses successeurs, que ce système des trêves, continuellement reportées, toujours jurées et si mal observées.

Dans le désordre général, les seigneurs des deux partis traitent pour leur compte : en juillet 1427, le bâtard d’Orléans (Dunois), au nom de son frère prisonnier, conclut avec les Anglais, représentés par Suffolk et Bedford, une trêve mettant à l’abri des hostilités les domaines du duc et notamment la ville d’Orléans : c’est au mépris de cette trêve que le siège sera mis, quelques mois après, devant la place.

Tout était leurre, fourberie, mensonge. Guerre d’embuscades et politique d’embûches. On est, des deux côtés, à bout d’argent, d’hommes et de convictions ; mais c’est le parti français qui est au plus bas. Après s’être jeté aux pieds de ses adversaires, l’héritier de la couronne n’a rien obtenu. Orléans assiégé va décider du sort des provinces d’outre-Loire. Si, seulement, une négociation suprême aboutissait !

Le duc Philippe n’avait pas un si grand intérêt à laisser la puissance anglaise s’installer à demeure sur la Loire et réunir ainsi des domaines de la Guyenne et de la Gascogne à la Normandie et à l’Ile-de-France. Henri VI, maître d’Orléans, c’était la France anglaise. Le Duc de Bourgogne était aussi hostile à une telle issue qu’à un succès décisif de Charles VII. On le comprenait autour de celui-ci et c’est ce qui tenait les habiles de la Cour en haleine, dans l’espoir d’un rapprochement.

Après la bataille des Harengs, les assiégés, s’étant mis, certainement, d’accord avec la Cour, envoyèrent au Duc de Bourgogne une ambassade pour implorer son intervention et lui offrir de mettre la ville et le duché d’Orléans sous sa garde. Cela se passe en mars-avril 1429.

Le Duc de Bourgogne comprend le parti qu’il peut tirer d’une telle ouverture. Il vient à Paris et s’offre au duc de Bedford comme arbitre du débat et séquestre du duché. Il eût ainsi tenu en suspens et manié à son gré le sort du royaume. Le régent d’Angleterre n’en était pas là. Il rejette, de très haut, la proposition, disant « qu’il seroit bien fâché d’avoir battu les buissons pour que d’autres eussent les oisillons[23]. »

L’explication fut vive. Bedford reprocha au Duc de Bourgogne qu’il usait de belles paroles, « recherchant plutôt le bien du Dauphin que celui du roi d’Angleterre et le sien propre. » Philippe, vexé à son tour ou feignant de l’être, aurait raconté, à l’ambassade, « comment les choses s’étaient passées, » et, avec des paroles d’encouragement pour Charles VII, aurait conclu « que ledit Dauphin, avec tout son parti, seroit bien misérable et de peu s’il n’arrivoit à prendre des forces et qu’on pouvoit faire entendre au Dauphin que lui, Duc de Bourgogne, ne se mêleroit plus de rien. »

En effet, Philippe le Bon envoya l’ordre à ses troupes, par un héraut arrivé à Orléans avec l’ambassade, de quitter le camp des assiégeans ; ce qu’ils firent aussitôt : « dont la puissance des Anglais affoiblit moult. »

La situation s’améliore. L’entourage de Charles VII, dans ses deux partis principaux et à l’exclusion des vieux Armagnacs mis à l’écart ou subordonnés, reprend confiance et se confirme dans sa politique de « la paix de Bourgogne. » On croit volontiers ce que l’on désire. « La paix de Bourgogne, » c’est le vœu populaire, c’est le salut, et c’est surtout, — tel est le point de vue des partis, — l’enjeu du pouvoir !

Voici donc comment les parties sont engagées et liées au moment où Jeanne d’Arc arrive à Chinon :

Les Anglais pèsent de tout leur poids sur la Loire pour rompre le dernier chaînon de l’unité française : s’il cède, ils sont les maîtres, de Rouen à Bordeaux, d’une mer à l’autre.

Le Duc de Bourgogne engage sournoisement la double manœuvre qui, tout en contenant l’Angleterre, tend à substituer la Bourgogne flamande à la France latine.

A la cour de Charles VII, tous les partis, — sauf les Armagnacs compromis et les fidèles de Charles VII impuissant, — se disputent la politique de la « paix de Bourgogne, » la paix à tout prix, la paix par l’humilité et le démembrement. De ces partis, le plus dangereux, parce qu’il représente une force et un système, c’est l’aristocratie apanagère conduite par Richemont, allié du Duc de Bourgogne.

Par la longueur des guerres et l’incohérence des diplomaties, les situations sont tellement faussées que chacun ne peut plus que suivre son instinct et son intérêt, à l’aveugle. La France est oubliée.

La France meurt ;… à moins que toutes ces causes obscures, ces violences lasses, ces modérations louches, ces eaux troubles, soient purifiées et clarifiées ; à moins qu’une intelligence nette, une volonté ferme, un cœur ardent, survienne, dirige et débrouille : en un mot, Jeanne d’Arc paraît.


III

Cette pucelle venue des marches de Lorraine, habillée en homme, accompagnée de trois ou quatre soldats, vaguement recommandée par le sire de Baudricourt, se présente et affirme qu’elle est envoyée de Dieu pour sauver le royaume, faire sacrer le Roi à Reims et chasser les Anglais.

Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’on l’écoute.

Ce n’est pas l’avis de la majorité des conseillers du Roi ; mais le Roi lui-même incline à l’entendre. Et cela se comprend : ses conseillers avaient pris position : ils n’avaient plus qu’un système, « la paix de Bourgogne. » Le Roi ne pouvait pas être et n’était pas entièrement de leur avis. Pour lui, l’arrangement avec Philippe le Bon, aux conditions imposées par celui-ci, était une abdication, et si cela importait peu à ses ministres, qui avaient probablement pris leurs sûretés, cela lui importait à lui, à lui seul. En y regardant de plus près, il voyait bien qu’il n’avait qu’à perdre : mieux valait jouer le tout pour le tout.

Ce sentiment s’ancrait dans sa nature résistante et tenace, sous la placidité apparente. Il ne savait comment il parviendrait à rompre les fils sans nombre qui le liaient ; mais il savait, du moins, qu’en gagnant du temps, il gagnait quelque chose. Confiant aux événemens et à la miséricorde divine, il attendait, il priait. La prière est un appel. Quand on appelle quelque chose, c’est-à-dire quand on y pense toujours, elle vient.

Or, voilà justement que se lève l’aube d’une intervention céleste ! Cette pucelle n’apportait rien, il est vrai, que son affirmation, ses promesses et son ardeur. Mais elle était si noble, si sincère, qu’en vérité, l’inspiration rayonnait d’elle. La nouveauté même, la hardiesse de ses dires était une garantie. Au moins, celle-là n’appartenait à aucune cabale : elle fleurait l’âme populaire et cette essence de sentimens diffus que le Roi seul pourrait éprouver comme elle, comme son peuple, et que résume un seul mot : France.

Aussi, malgré son Conseil, malgré l’avis d’hommes graves et dévoués, comme J. Gélu, archevêque d’Embrun, qui, interrogé, au nom du Roi, par les intimes conseillers de celui-ci, écrivait de se méfier[24], Charles VII se prête à écouter. Dès la première entrevue, il s’établit, entre ces deux êtres, qui avaient, au fond, la même vue sur la situation, une sympathie active. Charles VII en donna bientôt une preuve éclatante en gardant le silence sur les garanties apportées par la Pucelle et en déclarant qu’entre elle et lui, c’était un secret.

Pour un prince dont l’habitude était une soumission aveugle à ses favoris, cette réserve indique une volonté, une décision prise intimo corde. L’entourage comprit : le silence des rois est la leçon des courtisans. Jeanne avait donc obtenu, du premier coup, un accès direct auprès de l’âme du Roi. L’étant venu chercher de si loin, de même qu’elle l’avait reconnu dans la foule, elle avait discerné les points par lesquels il était accessible : elle l’avait touché.

Cela ne plut pas.

Mais Jeanne n’est pas sans appuis. Il est facile de deviner qu’ils lui viennent, surtout, de la volonté du Roi. Il confie l’examen à des hommes qu’il sait, d’avance, favorables. Le « parti » de Jeanne d’Arc se compose, en effet, de personnages qui tiennent à la personne de Charles VII : les vieux Armagnacs rappelés par La Trémoïlle contre Richemont, mais laissés dans l’ombre ; les partisans de la guerre, les énergiques, les soldats. Au premier rang, la reine Yolande, qui présida la commission chargée d’examiner d’abord la Pucelle, et où figure aussi Jeanne de Mortimer, femme de Robert Le Maçon, et Jeanne de Preuilly, femme de Gaucourt ; le Duc d’Alençon, tête peu solide et cœur peu sûr, mais attaché à la cause des d’Orléans, ne fût-ce que comme gendre du duc Charles, prisonnier en Angleterre. Puis, les Le Maçon (Procès, III, 11), les hommes du président Louvet, et notamment son gendre, l’illustre Dunois, bâtard d’Orléans, Gaucourt, gouverneur d’Orléans (qui avait un pied dans les deux camps et qui changea bientôt), puis Florent d’Illiers, Rabateau, etc.

Mais le plus fort contingent et le plus influent, ce sont les clercs. Le Roi trouve là des esprits bien disposés et sur lesquels il est facile d’agir : son confesseur en titre, Gérard Machet ; celui-ci se déclare, du premier jour, sans barguigner : c’est qu’il connaît la pensée royale[25] ; de même un confident habituel de Charles VII, Christophe d’Harcourt, qui, dit-on, déclara avant les autres, à Poitiers, que Jeanne était bien envoyée de Dieu et qu’elle était la Vierge dont parlaient les prophéties[26] ; » et encore Philippe de Coëtquis, archevêque de Tours et conseiller du Roi, avec son doyen P. l’Hermite (en général Tours, qui craint le sort d’Orléans, est favorable à la Pucelle ; c’est là qu’elle s’arme, choisit sa maison, fait peindre ses bannières, etc.). Voici, maintenant, l’illustre Gerson qui apporte, avant de mourir, à la cause de la Pucelle et surtout à la cause du Roi, l’appui de son immense autorité (III, 298) ; enfin, ce Jacques Gélu, archevêque d’Embrun : en courtisan habile et diplomate avisé, s’étant mieux renseigné sur la volonté du Roi, il rédige, en même temps que Gerson (mai 1429), un mémoire, non moins catégorique, en faveur de la Pucelle (Procès, III, 393, V, 473).

Il n’est pas difficile de discerner les attaches de la plupart de ces hommes qui vont faire groupe autour de Jeanne et qui la cautionnent de leur loyauté et de leur autorité. Ce sont, en général, les adversaires de l’Université de Paris, les frères prêcheurs et mineurs qu’elle combat en toute occasion, puis ceux de ses suppôts qui se sont séparés pour suivre la cause royale, les bannis, les réfugiés, en un mot, les « gens de Poitiers, » à qui le Roi se confie parce qu’il les connaît sûrs. Car, c’est à Poitiers que se morfondent, dans la douleur et dans l’attente tant de dévouemens éprouvés qui ont tout quitté pour suivre la cause royale et nationale, tandis que là-bas, à Paris, les rivaux, les « Bourguignons » étalent le succès de leurs calculs et l’insolence de leur trahison[27].

Jeanne rendait du cœur à tous ces braves gens, découragés, déprimés, qui, sous prétexte de l’interroger, étaient trop heureux de l’entendre, leur adressant cette parole de foi et de confiance : « Dieu est avec vous ; vous vaincrez parce que votre cause est sa cause ! »

Que les hommes pieux qui entouraient, à ce même moment, sa mère au sanctuaire du Puy, que ces hommes inconnus veillassent sur elle à la Cour et eussent aplani les obstacles auprès de personnages comme Gérard Machet, auprès des docteurs et des frères appartenant aux mêmes ordres, cela ne peut faire doute : ces communications souterraines ont existé, de tout temps, dans le monde ecclésiastique. Il n’est pas nécessaire pour l’admettre de supposer une conjuration. Les intérêts et les sentimens se groupaient naturellement et les convictions se faisaient dans la joie, parce que, au fond, tous étaient du même avis et du même parti ; ils n’attendaient qu’un signe du représentant de la cause, le Roi. Or, ce signe, il l’avait fait en désignant Jeanne d’Arc et en acceptant un secret commun avec cette fille inconnue et déjà légendaire.

Les gens de la Cour s’inclinèrent ; on ne rompt pas en visière aux princes. Tout était trouble et chancelant : il n’y avait qu’à attendre ; on verrait bien.

La préoccupation de ce qui allait se passer à Orléans dominait tout. La demi-défection du Duc de Bourgogne, retirant ses troupes du camp des assiégeans, était un fait considérable. Un échec des Anglais devant Orléans ne gâterait rien, au contraire[28].

On épuisa donc les ressources disponibles pour équiper l’armée de secours qui ne dépassa pas quelques milliers d’hommes. (Procès, I, 78 et Morosini, II, 26). Jeanne d’Arc y prit la place et le rang de « chef de guerre » (28 mars) ; elle y joua le rôle que l’on sait. Orléans fut délivré (29 avril-8 mai). Bientôt les autres places de la Loire étaient occupées.

Le 18 juin, l’armée de secours des Anglais venue de Paris et qui a ramassé toutes les garnisons des places de la Loire, était battue à Patay ; les chefs les plus renommés, Suffolk, Talbot étaient faits prisonniers. Quant aux soldats, affolés, démoralisés, ils fuyaient de toutes parts.

Le Conseil renonçait à cette campagne de la Loire commencée « on ne sait sur quels conseils, » écrivait Bedford ; les débris de l’armée battue se replient par Etampes, de Corbeil sur Paris ; on se demande si on pourra tenir dans la capitale et défendre même la Normandie.

C’était le succès : il n’y avait plus qu’à suivre !


À ce moment eut lieu, dans-les conseils du roi Charles VII, une délibération des plus graves, et il se produisit, en même temps, entre les partis qui se divisaient la Cour, une crise qui fut un premier avertissement pour Jeanne.

A la suite de cette étonnante campagne qui en six semaines, avait nettoyé le pays d’entre Loire et Seine, que fallait-il faire ? Se porter sur la Normandie de façon à tenter de couper la retraite aux Anglais, ou bien, selon le conseil de Jeanne d’Arc, marcher sur la Champagne pour faire couronner le Roi à Reims ? Le problème se posait ainsi : s’en prendrait-on aux Anglais ou aux Bourguignons[29] ?

Jeanne était appelée vers Reims par la pensée mystique du couronnement et peut-être aussi par l’attraction qu’exerçait sur elle son pays d’origine, la région de l’Est. Elle n’aimait pas les « Bourguignons. » (I, 65, 66.) Le vrai duel pour elle était là. Les Bourguignons du Conseil, suivant la logique de leur politique, étaient naturellement opposés à cette marche vers l’Est. Jeanne d’Arc pesait de tout son poids, de toute l’autorité de sa parole inspirée et de ses succès récens. L’opposition de La Trémoïlle, de Regnault de Chartres, que la Pucelle trouvait toujours devant elle, l’étonnait, l’irritait ; elle ne comprenait rien à tout ce travail de Cour.

En présence des difficultés qu’elle rencontrait, elle eut un véritable accès de désespoir. Elle sentait que l’âme du Roi lui échappait. La Trémoïlle avait repris tout son empire. Au lendemain de Patay, il tint le Roi enfermé dans son château de Sully-sur-Loire au lieu de le montrer au peuple d’Orléans qui l’attendait dans la joie de la délivrance, dans l’exaltation du triomphe. Quelques jours après, à Saint-Benoît-sur-Loire, le Roi s’approche de la Pucelle ; elle pleurait : « Il eut pitié d’elle, dit un témoin du procès de réhabilitation, et de la peine qu’elle éprouvait ; il lui dit de s’apaiser. Mais Jeanne, tout en larmes, suppliait le Roi de ne pas douter et qu’il regagnerait son royaume tout entier. » (Procès, III, 116.)

De Saint-Benoît-sur-Loire, on alla à Gien, 24 juin, et c’est là qu’eut lieu un événement qui décida peut-être du sort de la Pucelle.

Le connétable de Richemont, qui n’avait pas perdu tout espoir de reprendre de l’influence sur le Roi, s’était porté sur la Loire aussitôt après la délivrance d’Orléans. Malgré les ordres réitérés de la Cour[30], il s’était avancé sur Blois et sur Beaugency, à la veille de la bataille de Patay. On avait envoyé le Duc d’Alençon et la Pucelle pour s’opposer à sa marche, et peu s’en fallut que les deux armées n’en vinssent aux mains à la vue des Anglais. La présence d’esprit des chefs, la bonne volonté de Richemont et la sagesse de la Pucelle épargnèrent à la cause un tel désastre.

On fit une composition de laquelle il résultait que la Pucelle intercéderait auprès de Charles VII pour obtenir le pardon du connétable. Il fut décidé que celui-ci prendrait sa place dans l’armée royale, et ce fut lui qui, avec la Pucelle, donna le signal du combat, à Patay. Jeanne lui disait, dans ces paroles familières et vives qui caractérisent toujours la promptitude et la netteté de ses impressions : « Ah ! beau connétable, vous n’êtes pas venu de par moi ; mais, puisque vous êtes venu, vous serez bienvenu. »

Après la victoire, Jeanne tint sa promesse : toute rayonnante de ce nouveau succès, elle n’avait aucune raison de ménager La Trémoïlle. Elle plaida la cause du connétable auprès du Roi ; ceci, probablement le 20 juin. Charles VII n’avait pas oublié ce qu’il avait souffert quand Richemont s’était cru le maître. Le meurtre du sire de Giac avait laissé, dans son âme inquiète, un souvenir affreux. Jeanne obtint le pardon, non la rentrée en grâce. Le connétable ne fut même pas admis à prendre sa place dans l’armée royale où il eût occupé nécessairement le premier rang. Il dut s’en retourner avec ses 1 200 combattans.

Jeanne, en intervenant ainsi, avait pris position dans les querelles de Cour. Tout porte à penser qu’elle avait froissé l’âme rancunière du jeune Roi. Il ne dit rien : mais, à partir de ce jour, ses sentimens se sont modifiés. La première fissure est là : « Fut la Pucelle moult marrie du long séjour que le Roy avait fait au dit lieu de Gien, par aulcuns des gens de son hostel qui lui déconseilloient de entreprendre le chemin d’aller à Reims et par despit se deslogea et ala logier aux champs[31]. »

En somme, Jeanne d’Arc, à l’issue d’une crise, qui se produit d’une manière si imprévue au lendemain d’une si belle victoire (20-27 juin), se trouve doublement en conflit avec les favoris et les ministres du Roi : elle avait appuyé le connétable, et ce sont de ces interventions que les partis ne pardonnent pas ; d’autre part, elle conseillait le voyage de Reims, c’est-à-dire qu’elle se prononçait pour la politique anti-bourguignonne.

L’autorité qu’elle a conquise, l’influence qu’elle exerce sur l’armée, sur les populations du royaume sont telles que personne n’ose encore s’opposer délibérément à ses conseils. Sa mission s’affirmait de plus en plus, dans son caractère divin. Le haut clergé, les docteurs, les moines se prononçaient. C’était une piété et un élan universels. Et puis, l’idée mystique du couronnement avait un prestige décisif.

Les courtisans s’inclinèrent donc encore une fois ; mais, pour eux, ce n’était que partie remise. Les délibérations de Gien avaient marqué la première étape de l’abandon.


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Copyright by Gabriel Hanotaux.
  2. Voyez la Revue des 1er et 15 mai.
  3. Procès (I, 290). — Voyez P. Lanery d’Arc, le Culte de Jeanne d’Arc au XVe siècle, 1887, in-8.
  4. Nouveau document, etc., publié par L. Delisle, Champion, 1905.
  5. Chronique de Morosini (III, p. 66).
  6. G. Lefèvre-Pontalis, Revue Hebdomadaire (17 avril 1909, p. 311), et surtout : Les Sources allemandes de l’Histoire de Jeanne d’Arc (t. I, p. 144).
  7. G. Lefèvre-Pontalis, la Panique anglaise. — Les particuliers, même loin des lieux, étaient épouvantés. Le correspondant de Morosini écrit, de Bruges, immédiatement après les premières nouvelles de la levée du siège : « Un Anglais qui s’appelle Laurence XXX (Trent ? ) que Marino connaît bien, honnête et discrète personne, écrit, de cette chose, voyant ce qu’en disent, dans leurs lettres, tant hommes d’honorables et de grande foi : « Cela me fait devenir fou ! » Chronique (III, 51).
  8. Sur l’importance de cette composition, sur les conséquences qu’elle devait avoir au point de vue de la conquête anglaise, voyez Germain Lefèvre-Pontalis, la Panique anglaise (p. 10).
  9. Un élu de Lyon qui le visite à Bourges, en 1418, écrit : « Si, vous certifie que c’est un seigneur de grand cœur et qui, incontinent qu’il a dit une chose, la veut maintenir. » Cité dans Coville, Histoire de France de Lavisse (p. 382).
  10. J. Jouvenel des Ursins, Epître aux États d’Orléans, B. N. ms. fr., 2701. — Cf. Aug. Brachet, Pathologie mentale de Louis XI et de ses ascendans. Charles VII, passim ; et, dans un sens plus atténué, Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II chap. IV.
  11. Voyez le tableau si complet, si émouvant de ces guerres fragmentées, localisées, émiettées à l’infini, dans les articles que M. G. Lefèvre-Pontalis a publiés dans la Revue de l’École des Charles (années 1893 et suiv.). Il cite le texte si expressif de Monstrelet : « Quarante ou cinquante paysans, une fois plus, une autre fois moins, armés et habillés de vieux haubergeons, Jacques, vieilles haches et demi-lances où il y avoit massues au bout, à tout lesquels s’en alloient les uns sur méchans chevaux ou jumens, les autres à pied embûcher les bois où se tenoient les Anglais… » Dans le parti contraire, les choses sont les mêmes, un peu moins hagardes, peut-être, parce que moins spontanées. Année 1894 (p. 279).
  12. Guillaume Paradin, Annales de Bourgogne, cité par G. Doutrepont. La Littérature française à la Cour des ducs de Bourgogne (p. 513).
  13. Ibid. (p. 483).
  14. Le Triomphe de l’Agneau est exposé à Saint-Bavon en 1432, l’année qui suit la mort de Jeanne d’Arc.
  15. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de place pour des populations indépendantes. Pirenne, dans son Histoire de Belgique, explique très bien cette situation des « Bourgognes » entre la France et l’Allemagne (t. II, p. 228-29).
  16. M. Samaran, dans son livre sur la Maison d’Armagnac, a établi que peu s’en fallut qu’on ne vit renouveler, dans le Midi, ce qui s’était passé, dans le Nord, avec la maison de Bourgogne. Le roi d’Angleterre rechercha l’alliance de Jean d’Armagnac et offrit même de marier son fils avec la fille de ce puissant seigneur.
  17. Sur le moment où Richemont se sépare de la cause anglaise, voyez une note de M. Germain Lefèvre-Pontalis dans Revue de l’École des Chartes, septembre octobre 1895 (p. 437). L’autour qualifie en termes heureux et justes « les oscillations du prince breton, son humeur ondoyante et ses desseins ambigus… » « les détours compliqués et tortueux de son caractère et de sa politique… » p. 411).
  18. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 93 et suivantes.
  19. Beaucourt, Histoire de Charles VII, tome II (p. 113).
  20. Beaucourt (II, 330).
  21. Les documens, pour cette partie de l’histoire de Charles VII, ont été mis en lumière par M. de Beaucourt dans son Histoire de Charles VII (t. II, p. 325-360).
  22. Voyez le document publié dans l’Histoire de Bourgogne de dom Planchet (t. IV, p. LVI). Toute l’intrigue, et toute l’explication des dessous de cette politique de « la paix de Bourgogne » sont là.
  23. Sur la date, les conditions de l’accord proposé par le Duc de Bourgogne et la rupture violente avec Bedford, voyez Chronique de Morosini dont l’informateur tient, certainement, ses renseignemens de l’entourage du Duc de Bourgogne (t. III, p. 12-21) et l’annexe XIV, à la fin du tome IV.
  24. Le Roi fit écrire à J. Gélu par Pierre l’Hermite, qui était son conseiller intime, peut-être son confesseur. Ce Pierre l’Hermite est probablement le même qui, plus tard, comme sous-doyen de Tours, fit un mémoire en faveur de la Pucelle, en vue du procès de réhabilitation. Nous avons donc, ici, un partisan déclaré de la Pucelle de la première heure jusqu’à la dernière, et un homme qui connaissait l’exacte pensée du Roi. Voyer P. Ayrolles, d’après le manuscrit du P. Fournier, La Pucelle devant l’Église (p. 3) ; et Procès (V, 215, 131).
  25. Déposition de Gobert Thibaut (Procès, III, 75). — Œneas Sylvius dans Procès (V, 509). — Cr. Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII (II, p. 58).
  26. Goerres (p. 119). — cf. Procès (IV, 208).
  27. V. de Neuville, Le parlement royal à Poitiers. Revue Historique 1878 et Saint-Albin, Les juges de Jeanne d’Arc à Poitiers. — Voici les noms des principaux conseillers du Roi qui furent chargés d’interroger la Pucelle à Poitiers : Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier du royaume, Gérard Machet, confesseur du Roi, plus tard évêque de Chartres, les évêques de Senlis (Simon Bonnet), de Poitiers (Hugues de Combarel), de Maguelonne, maître Pierre de Versailles, abbé de Talmond (qui mourut, plus tard, évêque de Meaux, une des plus grandes autorités du temps, maître Jean Lombart (ou Lambert), professeur de théologie à l’Université de Paris, Guillaume Le Maire, chanoine de Poitiers, Guillaume Aymeri, professeur de théologie, de l’ordre des frères prêcheurs, frère Pierre Tulerure, dominicain (plus tard évêque de Digne), maître Jacques Madelon, maître Jean Erault, professeur de théologie qui tint la plume pour la lettre de Jeanne d’Arc aux Anglais, le docteur en théologie, Pierre Seguin et son homonyme Seguin de Seguin, de l’ordre des frères prêcheurs, Mathieu Ménage, Guillaume Le Marié, bachelier en théologie, etc., etc. Il est à remarquer que le Roi lui-même vint à Poitiers pour avoir l’œil sur ces gens qui étaient par leurs intérêts et leur position des royalistes déclarés. (Procès, 111, 19, 14, 92, 102, 203, etc.)
  28. Il n’est pas possible d’atténuer, comme on a essayé de le faire, l’importance du siège d’Orléans. Le but de cette campagne sur la Loire était pour les Anglais de rejoindre leurs États du Nord à ceux du Sud. D’où l’inquiétude et la surveillance jalouse du Duc de Bourgogne. Celui-ci sentait que les Anglais cherchaient à lui échapper et entendaient travailler pour leur compte. Il eût bien voulu s’entendre avec Richemont et le duc de Bretagne pour glisser ceux-ci en tampon entre les deux dominations anglaises. Mais, dans les années qui précèdent l’apparition de Jeanne d’Arc, les Anglais avaient fait des progrès effrayans dont j’emprunte le tableau à M. G. Lefèvre-Pontalis : « De 1425 à 1428, l’invasion étrangère a conquis le Maine, ville à ville, jusqu’à l’Anjou, achevé la réduction de la Picardie et de la Champagne, repoussé deux essais d’offensive sur les lisières de Normandie et de Bretagne… Malgré la délivrance de Montargis,… la formidable entreprise dirigée contre Orléans s’engage avec toutes chances de succès final et de morcellement définitif de la nationalité française. » Chronique de Morosini (t. III, p. 2, note).
  29. Ces délibérations eurent lieu a Gien quand on hésitait avant de prendre le chemin de Reims : « Combien que plusieurs, et le Roy lui-même, de ce feissent difficulté… toutefois le Roy s’arrêta au conseil de ladite Pucelle et délibéra de l’exécuter… » Chronique de la Pucelle (Procès, IV, 248).
  30. Les craintes de La Trémoïlle au sujet du connétable sont affirmées par tous les témoignages contemporains. Il suffira de citer le passage si explicite de Cousinot : « En ce temps, le seigneur de La Trémoïlle étoit en grand crédit auprès du Roi ; mais il se doubtoit toujours d’être mis hors du gouvernement et craignoit spécialement le connestable et autres ses alliés et serviteurs… Ledit La Trémoïlle ne le vouloit souffrir et si n’y avoit personne qui en eust osé parler contre iceluy La Trémoïlle… » Jeanne d’Arc, seule, osa. » Chronique de la Pucelle (p. 313).
  31. Perceval de Lagny, Procès (t. IV, p. 17).