Jean Macé et la fondation de la Ligue de l'enseignement/Avis

AVIS AU LECTEUR


Ceci est un petit livre sur l’auteur de si excellents petits livres, qui donnent à nos enfants la plus solide instruction sous la forme la plus attrayante. Ceci était bien dû à Jean Macé. C’est le tableau, ou du moins l’esquisse des immenses services rendus par Jean Macé à l’éducation au point de vue du foyer domestique et au point de vue du grand foyer national. Ce tableau, ou cette esquisse, il ne l’eût jamais tracé de sa main ; il fallait bien qu’un autre s’en chargeât.

On verra, dans l’œuvre de M. Dessoye, comment l’aimable et ingénieux humoriste de l’Histoire d’une bouchée de pain est devenu l’énergique inspirateur et fondateur de la Ligue de l’Enseignement et le propagateur de l’instruction obligatoire, gratuite et laïque.

C’était dans les dernières années de l’Empire. Jean Macé sentait baisser notre France. Il comprit que, pour la relever, il fallait un grand effort collectif ; qu’il fallait régénérer notre société par la base. L’Alsace, sa terre d’adoption, le seconda avec ardeur : elle semblait pressentir le funeste lendemain et chercher à préparer la lointaine réparation des calamités prochaines.

Le mouvement se répandit de l’Alsace dans le reste de la France. L’Alsace arrachée à la mère patrie, le mouvement, loin de s’arrêter, prit une intensité nouvelle. L’indomptable espérance qui avait soutenu Gambetta dans la défense armée, la Ligue de l’Enseignement la manifesta dans son entreprise, différente par la forme, semblable par l’esprit. Deux noms ne seront jamais séparés par la reconnaissance publique, les noms de Jean Macé et de son infatigable auxiliaire, Emmanuel Vauchez. Près d’un million et demi de signatures obtenues par le pétitionnement de la Ligue attesta la grandeur sympathique de l’idée et la puissance d’organisation déployée dans sa mise en œuvre. La Ligue, en même temps qu’elle coopérait, sous toutes les formes, au progrès de l’instruction, contribuait, de la manière la plus efficace, à imprimer aux esprits l’impulsion qui devait aboutir à la législation actuelle de l’enseignement primaire. Personne n’a rendu à Jean Macé une plus éclatante justice que l’habile, le courageux, le persévérant ministre à qui nous devons cette législation.

L’instruction obligatoire, gratuite et laïque est aujourd’hui réalisée. La Ligue de l’Enseignement avait demandé d’abord l’obligation et la gratuité, ces deux principes inséparables. On l’avait combattue au nom d’une prétendue liberté, la liberté d’empêcher les enfants d’apprendre. La Ligue avait ensuite ajouté la laïcité. On l’a combattue au nom de la religion ; on l’a accusée de vouloir introniser l’athéisme dans l’enseignement !

Laissons répondre Jean Macé : nul n’a jamais douté de sa parole.

« Laïcité, c’est neutralité qu’il fallait dire, à savoir : que les écoles seront placées en dehors de tout rite particulier, de toute doctrine confessionnelle. C’est là ce qu’ont entendu les signataires de la pièce envoyée par le Cercle parisien dans toutes les communes de France ; ce qui ne veut pas dire que toute idée religieuse sera bannie des écoles et qu’on n’y parlera jamais aux enfants des grands principes qui doivent les guider dans la vie. C’est l’enseignement confessionnel seulement qu’il s’agit de renvoyer à l’Église, l’enseignement des dogmes et croyances spéciales qui distinguent une religion de l’autre. Quant à ce fonds commun de religion universelle qui s’impose à tous et qu’élargit d’âge en âge le progrès de la conscience humaine, il ne saurait être bien certainement rayé du programme de nos écoles. Elles pécheraient par la base, si la conscience des enfants n’y était pas l’objet de la même sollicitude que leur intelligence et leur raison. »

Non ! Jean Macé, ni ses amis, n’ont jamais voulu découronner la vie humaine, ni fermer à l’esprit et à l’âme les hautes régions.

Nous avions réalisé l’éducation civile ; nous n’avions pas encore intégralement l’éducation civique. Il faut que l’enfant se prépare à servir la patrie, au besoin, autrement que par les travaux de la paix. La Ligue de l’Enseignement, sans abandonner ses travaux antérieurs, se transforme donc en société d’éducation militaire. Lorsque ce complément de l’instruction populaire, organisé maintenant dans l’école primaire, le sera dans toute la France pour l’âge intermédiaire entre l’école et le régiment, l’œuvre sera complète. Jean Macé restera, non seulement pour la Ligue de l’Enseignement, mais pour toute société, tout citoyen qui aura concouru au même but, l’initiateur de cette œuvre, le premier auteur du grand mouvement qui, parti de notre chère et malheureuse Alsace, enveloppe et renouvelle la France.

Henri MARTIN