VI

Les Muses n’amusent pas Snobinet.

Pour écouter la fin de la conférence de Jean-qui-Lit, notre Snobinet s’est installé dans un fauteuil, les deux jambes allongées sur une chaise.

Maintenant on en est aux Muses et Jean décrit les unes après les autres les neuf filles de Mnémosyne, déesse de la mémoire, les neuf sœurs qui personnifient, charmantes allégories, les beaux arts ou les belles sciences et qui s’entendent si bien entre elles, ce que ne font pas toujours les littérateurs, les auteurs dramatiques et les musiciens qu’elles inspirent.

Clio, professeur d’histoire (qu’il surnomme la « cueilleuse de dates ») avec ses manuscrits roulés qu’elle range dans une sorte de carton à chapeaux.

Euterpe, la charmeuse, qui guide le génie des compositeurs d’opéras en soufflant dans une double flûte : d’un côté sortent les paroles, de l’autre la musique.


La tendre Erato, grattant mélancoliquement les cordes de sa lyre à l’oreille des langoureux auteurs de plaintives élégies.

Puis les deux premiers prix du Conservatoire de l’Olympe : Thalie, classe de comédie, et Melpomène, classe de tragédie ; la farouche Melpomène se grandit par les hautes semelles de ses cothurnes tandis que la souriante Thalie porte comme Perrette « cotillon simple et souliers plats ».


Terpsichore, la ballerine « qui se réjouit aux danses ». La sévère Polymnie « qui aime les chants héroïques » et qui doit être frileuse car on la montre toujours enveloppée jusqu’aux oreilles dans son grand manteau.

La céleste Uranie, amie des astronomes qui passent leurs nuits à braquer sur les étoiles des télescopes longs comme des canons.

Jean poursuit en saluant Calliope, muse de l’éloquence, des discours interminables qu’on prononce en agitant les bras et en buvant entre chaque période une gorgée d’eau sucrée (quand toutefois on n’a pas renversé la carafe au cours d’une trop véhémente apostrophe).

Et il va passer aux personnages de moindre importance, les demi-dieux, les Héros. Il est à craindre qu’il ne raconte tout au long à son auditeur silencieux l’expédition de Jason et des Argonautes à la conquête de la Toison d’or, ou, jour par jour, la guerre de Troie qui dura dix années, quand un ronflement sonore interrompt l’orateur.

Snobinet est profondément endormi.

— Ohé ! Ohé ! Snobinet !

— Quoi ? dit le ronfleur réveillé en sursaut. Où sommes-nous ?

— Dans l’Olympe… et Morphée, fils du sommeil et « Artisan des songes » vient à l’instant de se changer en fauteuil pour te prendre dans ses bras, répond Jean-qui-Lit un peu vexé.