Jean-Jacques Rousseau, sa vie et ses ouvrages/09

Jean-Jacques Rousseau, sa vie et ses ouvrages
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 7 (p. 425-458).
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IX.

ROUSSEAU ET LE THÉÂTRE.


LA LETTRE SUR LES SPECTACLES. — LE THÉÂTRE À GENÈVE. — LA QUESTION DU THÉÂTRE AVANT ROUSSEAU. — DISCUSSION ENTRE ROUSSEAU ET D’ALEMBERT. — DE LA PURGATION DES PASSIONS AU THÉÂTRE SELON ARISTOTE ET CORNEILLE. — INFLUENCE DU THÉÂTRE SUR LA CONDITION DES FEMMES.


Séparateur


Rousseau avait quitté l’Ermitage et tous ses anciens amis[1]. Il était allé s’établir, au commencement de 1758, dans une petite maison qui avait un belvédère ouvert sur la vallée de Montmorency et le lac Saint-Gratien ou d’Enghien, et c’est là qu’il écrivit sa Lettre sur les spectacles. Il nous apprend lui-même dans ses Confessions quelle était sa disposition d’esprit en composant cette lettre : « Jusqu’alors, dit-il, l’indignation de la vertu m’avait tenu lieu d’Apollon ; la tendresse et la douceur d’âme m’en tinrent lieu cette fois. Les injustices dont je n’avais été que spectateur m’avaient irrité : celles dont j’étais devenu l’objet m’attristèrent, et cette tristesse sans fiel n’était que celle d’un cœur trop aimant, trop tendre, qui, trompé par ceux qu’il avait crus de sa trempe, était forcé de se retirer au dedans de lui… À tout cela se mêlait un certain attendrissement sur moi-même, qui me sentais mourant et qui croyais faire au public mes derniers adieux. Voilà les secrètes causes du ton singulier qui règne dans cet ouvrage, et qui contraste si prodigieusement avec celui du précédent[2]. »

La Lettre sur les spectacles n’a pas, selon moi, le ton mélancolique et doux que Rousseau croit y avoir mis. Si le style est plus souple et plus facile que celui du discours sur l’Inégalité des conditions, s’il est moins tendu et moins raide, s’il a enfin les grandes qualités de l’auteur, sans en avoir les défauts, cela tient à ce que Rousseau alors avait déjà composé la moitié de la Nouvelle Héloïse, et qu’il avait acquis plus d’aisance et plus de liberté qu’au commencement de sa carrière ; mais Rousseau, toujours dupe de son imagination, croyait que, s’il écrivait plus facilement, cela tenait à l’état de son âme et à la liberté qu’il avait recouvrée par sa rupture avec ses amis : nouveau et curieux témoignage de ce penchant à je ne sais quelle indépendance sauvage qui fait le fond du caractère de Rousseau.

Quant à nous, sans chercher à retrouver dans la Lettre sur les spectacles les mystères que Rousseau croit y avoir mis, sans y chercher Grimm, Mme d’Épinay, Mme d’Houdetot, Saint-Lambert et Rousseau lui-même, quoiqu’il prétende y avoir représenté tous ces personnages, abordons ce nouvel écrit de Rousseau et examinons la question qu’il y débat : les spectacles sont-ils bons ou mauvais ? servent-ils à corriger les mœurs ou à les corrompre ?


I.

Disons d’abord à quelle occasion Rousseau fit sa lettre contre les spectacles. Il n’y avait point de théâtre à Genève. En 1714, le conseil d’état y avait autorisé des marionnettes ; mais bientôt le consistoire fit interdire les marionnettes, parce que des acteurs s’étaient peu à peu mêlés ou substitués aux marionnettes et jouaient des pièces de Molière. En 1738, Genève ayant été agitée par des troubles qui allèrent jusqu’à la guerre civile, la France, Zurich et Berne intervinrent et envoyèrent des médiateurs. Ces médiateurs, surtout le comte de Lautrec, médiateur français, demandèrent qu’il fût permis à une troupe de comédiens de donner quelques représentations. En vain le consistoire s’y opposa ; ses plaintes ne furent pas écoutées. Cependant ces représentations théâtrales ne durèrent guère, et nous trouvons dans tes extraits des registres dv conseil d’état de Genève que le 16 décembre 1738 « le consistoire remontra que la comédie causait une perte de temps considérable, surtout aux étudians et aux apprentis, qu’elle enracinait dans les cœurs l’esprit de mondanité, nourrissait l’amour du luxe et le goût de la parure, détournait des assemblées religieuses et causait une dépense considérable, puisque les comédiens avaient retiré l’année dernière neuf ou dix mille livres, qu’en un mot il serait à désirer qu’on l’interdit à perpétuité. On résolut après cela, disent les registres, de ne point prolonger au directeur la permission qui lui avait été accordée pour trente-deux représentations. » Cet extrait des registres du conseil d’état nous montre comment la comédie essayait sans cesse de s’introduire à Genève, et comment les vieilles mœurs genevoises et le consistoire, gardien naturel de ces vieilles mœurs, résistaient à cette introduction.

En 1755, Voltaire s’était établi à Ferney. Il y avait bâti un théâtre dans son château, il y faisait jouer et il y jouait lui-même ses tragédies. Les Genevois qu’il invitait venaient assister à ces représentations, et le goût du théâtre se répandait peu à peu dans Genève. Voltaire aurait voulu que Genève eût un théâtre public, afin sans doute d’avoir le plaisir d’y faire jouer ses pièces devant un vrai parterre et non plus, comme chez lui, devant un parterre de salon. D’Alembert, dans l’article de Genève de l’Encyclopédie, conseilla aux Genevois d’avoir un théâtre. Rousseau lut cet article, et fit sa Lettre sur les spectacles, par dépit, dit-on, et par jalousie contre Voltaire et contre les philosophes : non ! Rousseau ne fit en cela que suivre la pensée qui l’avait déjà inspiré dans ses autres ouvrages. La Lettre sur les spectacles fait partie de la croisade que Rousseau entreprit contre la civilisation du XVIIIe siècle ou plutôt contre la civilisation moderne. Il proscrit le théâtre comme il proscrit les arts, la littérature et même le commerce et l’industrie[3]. Rousseau a peur d’une bonne moitié au moins des mouvemens du cœur et de l’esprit humain. Il supprime une partie de l’homme afin de gouverner l’autre plus aisément. Il n’y a pas, disons-le hardiment, il n’y a pas un des reproches faits à l’ascétisme chrétien qui ne s’applique justement à la morale et à la politique de Rousseau. J’ajoute qu’au moins l’ascétisme chrétien, en fermant à l’homme la carrière du côté du monde, lui en ouvre une immense du côté du ciel.

Je sais bien qu’il faut ici tenir compte de l’observation que fait Rousseau, quand il se défend du reproche d’être ennemi des lettres et des arts : il écrit, dit-il, pour les petits états et non pour les grands, pour les petites républiques et non pour les empires. « Dans une grande ville pleine de gens intrigans, désœuvrés, sans religion, sans principes, dont l’imagination dépravée par l’oisiveté, la fainéantise, par l’amour du plaisir et par de grands besoins, n’engendre que des monstres et n’inspire que des forfaits, la police ne saurait trop multiplier les plaisirs permis ni trop s’appliquer à les rendre agréables pour ôter aux particuliers la tentation d’en chercher de plus dangereux ;… mais dans les petites villes, dans les lieux moins peuplés où les particuliers, toujours sous les yeux du public, sont censeurs nés les uns des autres, il faut suivre des maximes toutes contraires[4]

Quel que soit le soin qu’ait Rousseau de restreindre lui-même la portée de ses réflexions et d’en modérer l’application pour en excuser la rigueur, cependant il condamne absolument le théâtre. Il ne dit pas en effet, prenez-y bien garde, que les spectacles sont un bien partout, excepté pour les petits états ; il dit au contraire que les spectacles sont un mal partout, excepté pour les grands états, et cela parce que les grands états sont eux-mêmes un mal, parce que dans les grandes villes civilisées et corrompues il faut des amusemens pour empêcher les crimes, il faut une pâture réglée aux mauvaises passions, de peur qu’elles ne deviennent furieuses. Nous devons donc traiter la question générale des bons et des mauvais effets du théâtre, puisque c’est cette question générale que Rousseau traite dans sa lettre à d’Alembert.


II.

Cette question est depuis longtemps controversée, et il est curieux de jeter un coup d’œil rapide sur l’histoire de ce débat, ne fût-ce que pour se convaincre du petit nombre d’argumens qui sont à la disposition de l’esprit humain pour défrayer les discussions de ce monde. L’homme ici-bas joue toujours la même pièce avec des gestes différens.

Depuis Platon, qui, n’osant pas attaquer ouvertement la mythologie, se mit à attaquer Homère, les philosophes de l’antiquité sont peu favorables au théâtre. Cicéron, dans les Tusculanes, se moque de la prétention que la comédie avait déjà de son temps d’être une école de mœurs et d’enseigner l’art de réprimer les passions. La comédie en effet, par cette prétention maladroite, a souvent donné prise sur elle. Comme elle sentait bien qu’elle pouvait quelquefois passer pour frivole et licencieuse, elle a voulu déconcerter les accusateurs par sa hardiesse, et elle a déclaré qu’elle était l’institutrice des mœurs. C’est là-dessus que Cicéron la reprend : « l’admirable réformatrice des mœurs que la poésie, qui met au nombre des dieux l’amour, l’auteur des vices et de la licence ! je parle ici de la poésie comique, qui n’existerait pas sans ces vices qu’aiment les hommes et qui font le sujet principal des comédies[5]. » Sénèque prétend qu’il n’y a rien de si pernicieux que le théâtre : « c’est là que le plaisir introduit aisément le vice dans l’âme des hommes ; on en sort toujours plus cupide, plus ambitieux, plus porté au luxe et au plaisir[6].» Le père Lebrun, qui dans son Discours sur la Comédie cite ce passage de Sénèque contre le théâtre, aurait dû remarquer qu’il s’agit surtout dans cette lettre des jeux du cirque et des combats de gladiateurs. Il y a plus, Sénèque ne conseille pas seulement à Lucilius de fuir les spectacles, il lui conseille d’éviter le monde : « Tu me demandes ce que tu dois surtout éviter ; évite le monde. Quant à moi, j’avoue ma faiblesse : jamais je n’y vais sans revenir moins bon… Les sociétés nombreuses sont mauvaises[7].» Sénèque parle ici du monde comme en pourrait parler un docteur de l’église. En effet, si nous voulons fuir ce qui excite les passions, il faut fuir le monde aussi bien que le théâtre : l’un ne vaut pas mieux que l’autre pour le chrétien ou pour le philosophe.

Le père Lebrun, dans son Discours sur la comédie, est tellement empressé de recueillir des témoignages contre le théâtre, qu’il en prend même dans Ovide, et j’avoue qu’il serait piquant de voir l’auteur de l’Art d’aimer témoigner contre la comédie et contre la licence des mœurs. Ce témoignage aurait l’air d’une confession. « Ovide, dit le père Lebrun, avoue que les jeux sont une semence de corruption, et il exhorte Auguste à supprimer les théâtres. » Je suis tout embarrassé d’avoir à reprendre un contre-sens dans le grave auteur ; Ovide se plaint qu’Auguste l’ait condamné comme un docteur de libertinage. « Les vers d’amour, dit-il, ne corrompent que ceux qui sont déjà prêts à la corruption. Il n’y a pas de livres innocens pour ceux qui les lisent sans innocence. Tous les livres peuvent nuire ; supprimerez-vous les livres ? Les spectacles peuvent corrompre ; détruirez-vous les théâtres[8] ?» Il n’y a certes là aucune exhortation sérieuse à détruire les théâtres.

Auguste d’ailleurs, quand même Ovide ou quelque autre poète plus accrédité qu’Ovide lui aurait conseillé de supprimer les spectacles, n’en aurait rien fait. Le pain et les spectacles étaient les deux grands moyens de gouvernement des empereurs sur le peuple de Rome. Tous ceux qui avant Auguste avaient visé au souverain pouvoir avaient offert des spectacles au peuple. Pompée fit bâtir un cirque en pierre, et les vieux sénateurs l’avaient accusé de corrompre par là les mœurs publiques. Jusque-là en effet, dit Tacite dans ses Annales[9], il n’y avait que des cirques en bois qu’on construisait pour la circonstance et qu’on détruisait ensuite. « Avec un cirque permanent, le goût du plaisir et de la licence allaient s’introduire à Rome ; » mais comme la licence et l’oisiveté sont les plaisirs ou les consolations de la servitude, il fallait que les empereurs nourrissent et amusassent le peuple. Auguste fit donc aussi bâtir un cirque, et même il assistait aux jeux qui s’y donnaient, quia civile rebatur misreri voluptatibus vulgi, parce qu’il était de sa politique de se mêler aux plaisirs du peuple. Il n’y a que les bons empereurs qui osassent contenir ou contrarier le goût que le peuple avait pour les spectacles. Marc-Aurèle ne permit les jeux du cirque que le soir, de peur d’interrompre le travail et le commerce ; mais le peuple murmura et dit que l’empereur voulait rendre tout le monde philosophe. Jusque dans les derniers temps, le théâtre et le cirque furent un des principaux soucis de gouvernement impérial, et Théodoric lui-même, maître de l’Italie, continua avec soin cette tradition des empereurs. Il assigna des appointemens aux comédiens et répara le cirque et le théâtre à Rome[10]. Les malheurs de la guerre et de l’invasion n’interrompaient point les spectacles. Il y eut des villes prises par les barbares pendant que le peuple était au théâtre. À Antioche, sous Gallien, le peuple assistait, dans le cirque, aux bouffonneries d’un mime, quand tout à coup la femme du mime qui jouait avec lui s’écria : Si je ne rêve, voilà les Perses ! En effet, c’étaient les Perses qui pillaient et brûlaient la ville, et qui commencèrent à massacrer les spectateurs. À Carthage, ce fut aussi pendant une représentation du cirque que la ville fut prise par les Vandales, si bien que les cris de ceux qu’on massacrait se mêlaient, dit Salvien, aux cris de ceux qui applaudissaient dans le cirque ; confundebature vox morientium voxque bacchantium, ac vix discerni poterat plebis ejulatio quæ cadebat in bello et somus populi qui clamabat in circo[11]. Trêves enfin ayant été plusieurs fois saccagée par les barbares, les habitans qui survivaient à ces désastres demandaient aux empereurs des jeux du cirque en dédommagement et en consolation de leurs malheurs, qui excidio superfuerant quasi pro summo deletæ urbis remedio circenses ab imperatoribus postulabant[12]. La fureur du plaisir est la dernière énergie dont soient capables les vieilles sociétés.

Les pères de l’église sont plus sévères contre le théâtre que les philosophes anciens. Je n’en suis pas étonné : ils sont plus sévères gardiens des mœurs, et en outre le théâtre se rattachait à la mythologie par tant de liens, qu’en attaquant le théâtre, les pères de l’église attaquaient l’idolâtrie ; mais je ne veux pas résumer leurs argumens, qui se retrouvent dans la controverse du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le débat en effet s’est engagé dans ces deux siècles, prenant dans chaque siècle la forme du temps : au XVIIe siècle, il est entre les théologiens ; au XVIIIe entre les philosophes.

Un des confidens, et je dirais volontiers un des employés littéraires du cardinal de Richelieu, l’abbé d’Aubignac, auteur de la Pratique du théâtre, fit par l’ordre de Richelieu un projet de réforme du théâtre. Dans ce projet, il traite des mauvais effets des spectacles et propose les moyens d’y remédier : ces moyens sont curieux à connaître. On y sent le génie impérieux et despotique de Richelieu, qui voulait tout diriger et tout organiser. En fondant l’Académie française, il voulait administrer les lettres ; en faisant faire un plan de réforme pour le théâtre, il voulait administrer les spectacles. L’esprit des lettres est si naturellement libéral, que l’Académie française, que Richelieu avait faite pour l’autorité, a vécu et vit par la liberté. Quant au théâtre, Richelieu mourut avant d’en avoir fait la réforme ; mais l’abbé d’Aubignac nous en a conservé le plan. Richelieu, dans ce projet, commence, soit comme cardinal, soit comme ministre, par relever le théâtre et les acteurs de la censure qui les frappait. « Une déclaration du roi, dit-il, portera d’une part que, les jeux du théâtre n’étant plus un acte de fausse religion et d’idolâtrie comme autrefois, mais seulement un divertissement public, et d’un autre côté, les représentations étant ramenées à l’honnêteté et les comédiens ne vivant plus dans la débauche et avec scandale, sa majesté lève la note d’infamie décernée contre eux par les ordonnances et arrêts[13]. » Cependant, pour que les comédiens méritent la réhabilitation qui leur est accordée, l’abbé d’Aubignac propose plusieurs mesures : « 1o qu’il soit interdit aux filles de monter sur le théâtre, si elles n’ont leur père ou leur mère dans la compagnie ; 2o que les veuves soient obligées de se remarier six mois après l’accomplissement de leur année de deuil, et qu’elles ne jouent pas pendant leur année de deuil ; 3o sa majesté établira une personne de probité et de capacité comme directeur, intendant ou grand-maître des théâtres et des jeux publics en France, qui aura soin que le théâtre se maintienne en l’honnêteté, qui veillera sur les actions des comédiens et qui en rendra compte au roi pour y donner l’ordre nécessaire. »

Ce grand-maître des théâtres (et je ne voudrais pas répondre que le bon abbé d’Aubignac n’attachât pas à la création de la grande-maîtrise des théâtres quelque espérance personnelle ; c’est l’ordinaire des faiseurs de plans de s’y ménager toujours quelque place, comme les anciens peintres se mettaient volontiers eux-mêmes dans un coin de leurs tableaux), ce grand-maître des théâtres a toute sorte d’attributions importantes et diverses : il choisit les acteurs « et les oblige d’étudier la représentation des spectacles aussi bien que les récits et les expressions des sentimens, afin qu’on n’y voie rien que d’achevé ; » il lit les pièces des poètes déjà accrédités et il en examine l’honnêteté et la bienséance, le reste y demeurant au péril de leur réputation. Pour les nouveaux poètes, leurs pièces sont examinées par le grand-maître et réformées selon ses ordres[14]. » — Le grand-maître est également chargé « de trouver un lieu commode et spacieux pour dresser un théâtre selon les modèles qui seront donnés à l’exemple des anciens… Autour de ce théâtre seront bâties des maisons pour loger gratuitement les deux troupes de comédiens nécessaires à la ville de Paris. »

Je ne veux faire aucune comparaison malséante ; mais quand je vois ce projet de théâtre et même de phalanstère dramatique, si je puis ainsi dire, proposé par un abbé à un cardinal, il m’est impossible de ne pas penser qu’à cette époque, où la vie religieuse refleurissait dans les couvens par les réformes de quelques grands chefs d’ordre, l’idée d’imiter les institutions monastiques s’étendait à tout, même au théâtre, et que le bon abbé d’Aubignac se faisait en quelque sorte prieur d’une congrégation dramatique qu’il s’agissait de réformer.

Le goût public épura le théâtre mieux que ne l’aurait fait le grand-maître[15]. Cependant l’église continua à être sévère contre le théâtre. Nicole et Bossuet interdisent sans hésiter les spectacles et les déclarent dangereux pour les mœurs. La controverse soutenue sur ce sujet en 1666 par Nicole et en 1604 par Bossuet mérite une attention particulière.

En 1665, Desmarets de Saint-Sorlin, auteur des Visionnaires et du poème de Clovis, s’étant fait dévot, avait attaqué et calomnié les jansénistes. Cette manière de faire pénitence de ses péchés sur le dos des jansénistes donna aussitôt pour alliés à Desmarets tous les ennemis de Port-Royal ; mais comme les docteurs de Port-Royal étaient de grands controversistes, et « qu’ils se servaient volontiers de la colère pour défendre la justice[16], » ils prirent fort vivement à partie ce poète comique et ce romancier qui s’érigeait en théologien ; ils ne se bornèrent pas à attaquer le poète, ils attaquèrent aussi la comédie, et cette attaque attira Racine dans la lice, de telle sorte que le débat s’engagea entre Port-Royal et Racine, c’est-à-dire entre les maîtres et l’élève, car Racine était élève de Port-Royal ; mais il était poète dramatique et ne pouvait souffrir que « les faiseurs de romans et les poètes de théâtre fussent traités d’empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes. » C’était de ce nom que les austères controversistes de Port-Royal appelaient les auteurs dramatiques, et même, comme s’ils avaient songé à leur ancien élève, ils avaient dit que « plus le poète a eu soin de couvrir d’un voile d’honnêteté les passions criminelles qu’il décrit, plus il les a rendues dangereuses et capables de surprendre et de corrompre les âmes simples et innocentes[17]. »

Racine avait à Port-Royal une tante qui ne lui épargnait pas les réprimandes sur son goût pour le théâtre ; il paraît même qu’il n’était plus reçu à Port-Royal : il s’imagina que l’auteur des Visionnaires l’avait eu en vue en parlant des poètes qui couvraient d’un voile d’honnêteté les passions criminelles. « Mon père prit cela pour lui, dit Louis Racine dans ses notes sur la vie de son père ; il écouta un peu trop sa vivacité naturelle ; il prit la plume, et sans rien dire à personne, il fit et répandit dans le public une lettre sans nom d’auteur, où il turlupinait ces messieurs de la manière du monde la plus sanglante et la plus amère. La lettre fit grand bruit ; les molinistes y battirent des mains et furent charmés d’avoir enfin trouvé ce qu’ils cherchaient depuis si longtemps et si inutilement, c’est-à-dire un homme dont ils pussent opposer la plume à celle de Pascal, bien fâchés cependant de ne pas connaître l’auteur de la lettre[18]…»

Il y a ici plusieurs traits à marquer pour l’histoire littéraire : la sévérité de Port-Royal contre la comédie et son attachement à la vieille tradition de l’église ; la vivacité de Racine encore jeune et dans son temps d’égaremens et de misères, comme il le dit lui-même plus tard dans une lettre à Mme de Maintenon[19], croyant défendre sa cause et même sa personne en défendant le théâtre, n’hésitant pas à rompre en visière à ses anciens maîtres et à se faire l’allié d’un mauvais poète ; les molinistes enfin ou les jésuites acceptant l’alliance avec le théâtre ou avec ses défenseurs : voilà ce qui dans la question appartient à l’histoire du temps. Mais à côté de cela il y a les argumens qui appartiennent au sujet même du débat, les argumens pour le théâtre dans la lettre de Racine, les argumens contre dans Nicole.

En homme habile et qui devine tout l’art de la polémique, dès qu’il s’en mêle, Racine attaque l’austérité de Port-Royal bien plus qu’il ne défend le relâchement du théâtre, et même il ne commence point par justifier le théâtre, mais la poésie en général. « Nous connaissons, dit-il aux docteurs de Port-Royal, l’austérité de votre morale ; nous ne trouvons point étrange que vous damniez les poètes, vous en damnez bien d’autres qu’eux. Ce qui nous surprend, c’est de voir que vous voulez empêcher les hommes de les honorer. Eh ! messieurs, contentez-vous de donner les rangs dans l’autre monde ; ne réglez point les récompenses de celui-ci. Vous l’avez quitté il y a longtemps. Laissez-le juge des choses qui lui appartiennent. Plaignez-le, si vous voulez, d’aimer des bagatelles et d’estimer ceux qui les font ; mais ne leur enviez point de misérables honneurs auxquels vous aves renoncé. » Deux amis de Port-Royal, Dubois, le traducteur des Lettres de saint Augustin, et Barbier d’Aucourt, répondirent à Racine, et celui-ci, se piquant au jeu, fit une seconde lettre plus vive et plus mordante encore que la première, où, prenant les Provinciales pour des scènes de comédie (et il avait bien raison de les prendre ainsi) : « Dites-moi, messieurs, qu’est-ce qui se passe dans les comédies ? On y joue un valet fourbe, un bourgeois avare, un marquis extravagant, et tout ce qu’il y a dans le monde de plus digne de risée. J’avoue que le provincial a mieux choisi ses personnages ; il les a cherchés dans les couvens et dans la Sorbonne ; il introduit sur la scène tantôt des jacobins, tantôt des docteurs et toujours des jésuites. Combien de rôles leur fait-il jouer ! Tantôt il amène un jésuite bonhomme, tantôt un jésuite méchant, et toujours un jésuite ridicule. Le monde en a ri pendant quelque temps, et le plus austère janséniste aurait cru trahir la vérité que de n’en pas rire.» Cette seconde lettre faite, Racine, avant de l’imprimer, alla la lire à Boileau. Celui-ci écouta de grand sang-froid, loua extrêmement le tour et l’esprit de l’ouvrage et finit en disant : « Cela est fort joliment écrit ; mais vous ne songez pas que vous écrivez contre les plus honnêtes gens du monde.» « Cette parole, dit Louis Racine, fit aussitôt rentrer mon père en lui-même, et comme c’était l’homme du monde le plus éloigné de toute ingratitude et le plus pénétré des devoirs de l’honnête homme, les obligations qu’il avait à ces messieurs lui revinrent toutes à l’esprit : il supprima sa seconde lettre et sa préface et retira le plus qu’il put des exemplaires de la première lettre… Si jamais faute a pu être réparée par un repentir sincère, ça été certainement celle-là. J’ai été témoin du regret qu’il en a eu toute sa vie ; il n’en parlait qu’avec une humilité et une confusion capables seules de l’effacer. » Le monument du repentir de Racine est son admirable Histoire de Port-Royal ; mais je n’ai pu résister au plaisir de citer cette anecdote, qui honore Boileau et Racine, et qui fait que nous pouvons avoir avec eux le plaisir exquis pour l’âme d’estimer ce que nous admirons.

Les deux lettres de Racine, que nous n’avons en quelque sorte que malgré lui et contre le vœu de son repentir, ne font guère pour justifier les spectacles. La question est bien mieux traitée dans une lettre de Boileau en 1707. Il y avait eu entre Boileau, Massillon et M. de Montchesnay[20], une conversation sur les bons ou les mauvais effets du théâtre. Massillon, fidèle à la tradition de l’église, proscrivait absolument la comédie[21] ; M. de Montchesnay était de l’avis de Massillon. Boileau défendait le théâtre, mais d’abord il commençait par distinguer soigneusement la comédie des comédiens. « Du reste, vous avancez une maxime qui n’est pas, ce me semble, soutenable, disait-il à ses interlocuteurs (car sa lettre n’est évidemment que le résumé de sa conversation) : c’est à savoir qu’une chose qui peut produire quelquefois de mauvais effets dans des esprits vicieux, quoique non vicieuse d’elle-même, doit être absolument défendue, quoiqu’elle puisse d’ailleurs servir au délassement et à l’instruction des hommes. Si cela est, il ne sera plus permis de peindre dans les églises des vierges Marie, ni des Suzannes, ni des Madeleines agréables de visage, puisqu’il peut fort bien arriver que leur aspect excite la concupiscence d’un esprit corrompu. La vertu convertit tout en bien et le vice tout en mal. Si votre maxime est reçue, il ne faudra plus non-seulement voir représenter ni comédie ni tragédie, mais il n’en faudra plus lire aucune ; il ne faudra plus lire ni Virgile, ni Théocrite, ni Térence, ni Sophocle, ni Homère… Croyez-moi, attaquez nos tragédies et nos comédies, puisqu’elles sont ordinairement fort vicieuses, mais n’attaquez point la tragédie et la comédie en général, puisqu’elles sont d’elles-mêmes indifférentes… Oui, je soutiens, quoi qu’en dise le père Massillon, que le poème dramatique est une poésie indifférente de soi-même, et qui n’est mauvaise que par le mauvais usage qu’on en fait[22]. » Voilà la question bien posée, et voilà les argumens qu’on peut employer pour défendre la cause du théâtre. La comédie n’est point une école, le drame n’est point une leçon, comme le soutiennent ses maladroits apologistes ; la poésie dramatique, comme tous les autres genres de littérature et comme l’esprit humain lui-même, peut servir au bien comme au mal. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.

Nous venons de voir les argumens que Racine en 1666 et Boileau en 1707 faisaient valoir pour la comédie. Voyons maintenant comment les défenseurs de la tradition de l’église proscrivaient nettement le théâtre et la comédie. Nous ne voulons pas examiner les argumens qu’ils employaient : nous les retrouverons dans la controverse de Rousseau ; nous cherchons seulement en ce moment si les docteurs qui ont proscrit la comédie ont bien compris la cause du plaisir qu’ils proscrivaient. Ils ont fort bien compris, selon nous, la cause du plaisir que nous prenons au théâtre, et leurs censures du théâtre expliquent de la manière du monde la plus ingénieuse la nature de l’émotion dramatique. Il y a toute une poétique dans leur excommunication.

Les deux principaux censeurs du théâtre en 1666 sont le prince de Conti et Nicole.

Le prince de Conti avait beaucoup aimé le théâtre, et il avait protégé Molière. Plus tard, il se fit dévot fort sincèrement, devint janséniste, et s’efforça, par une sorte de zèle expiatoire, de détruire le plaisir qu’il avait aimé. Il rassembla avec soin les passages des pères qui condamnaient les spectacles, et les publia en les faisant précéder d’un Traité sur la Comédie, qui est un des meilleurs écrits de notre langue au XVIIe siècle ; je ne puis pas en faire un plus grand éloge. Dans ce traité, le prince de Conti est fort sévère contre le théâtre ; mais, jusque dans la sévérité du censeur, on retrouve l’expérience de l’homme qui a beaucoup connu et beaucoup aimé le théâtre, et c’est là ce qui fait le mérite, je dirais presque l’agrément de cet ouvrage, fait dans un esprit de pénitence.

« Ce qu’il y a de plus déplorable dans la comédie, dit le prince de Conti, c’est que les poètes sont maîtres des passions qu’ils traitent, mais ils ne le sont pas de celles qu’ils ont ainsi émues. Ils sont assurés de faire finir celles de leur héros et de leur héroïne avec le cinquième acte, et que les comédiens ne diront que ce qui est dans leur rôle, parce qu’il n’y a que leur mémoire qui s’en mêle ; mais le cœur, ému par cette représentation, n’a pas les mêmes bornes : il n’agit pas par mesure. Dès qu’il se trouve attiré par son objet, il s’y abandonne selon toute l’étendue de son inclination, et souvent, après avoir résolu de ne pousser pas les passions plus avant que les héros de la comédie, il s’est trouvé bien loin de son compte. L’esprit, accoutumé à se nourrir de toutes les manières de traiter la galanterie, n’étant plein que d’aventures agréables et surprenantes, de vers tendres, délicats et passionnés, fait que le cœur dévoué à tous ces sentimens n’est plus capable de retenue[23]. » En vain les défenseurs de la comédie prétendaient que le théâtre finit toujours par montrer le vice puni et la vertu récompensée. Le prince de Conti a trop l’expérience du cœur humain pour se payer de cette raison. « Le poète, après avoir répandu son venin dans tout un ouvrage d’une manière agréable, délicate et conforme à la nature et au tempérament, croit en être quitte pour faire faire quelque discours moral par un vieux roi représenté pour l’ordinaire par un fort méchant comédien, dont le rôle est désagréable, dont les vers sont secs et languissans, quelquefois même mauvais, parce que c’est dans ces endroits que le poète se délasse des efforts d’esprit qu’il vient de faire en traitant les passions[24] ; » et, pour achever sa réponse, le prince de Conti cite quelques vers de Godeau, un ancien mondain aussi devenu évêque, « Je sais bien, dit Godeau dans un sonnet sur la comédie.

Qu’on y voit à la fin couronner l’innocence.
..................
Mais en cette leçon si pompeuse et si vaine,
Le profit est douteux et la perte certaine ;
Le remède y plaît moins que ne fait le poison ;
Elle peut réformer un esprit idolâtre.
Mais pour changer leurs mœurs et régler leur raison,
Les chrétiens ont l’église et non pas le théâtre[25].

Dans ces vers, judicieux plutôt qu’élégans, Godeau fait une distinction juste que ne fait pas le prince de Conti : la comédie peut servir à la morale du monde ; elle est inutile et dangereuse pour la morale chrétienne. Elle peut être un remède dans le mal, elle est un péril dans le bien. La sévérité de Port-Royal n’admettait pas ces tempéramens équitables. Ce qui heurte le plus Nicole, et ce qu’il combat avec le plus de colère, « c’est, dit-il, qu’on ait entrepris dans ce siècle-ci de justifier la comédie et de la faire passer pour un divertissement qui se pouvait allier avec la dévotion. Les autres siècles étaient plus simples dans le bien et dans le mal. Ceux qui faisaient profession de piété témoignaient par leurs actions et par leurs paroles l’horreur qu’ils avaient de ces spectacles profanes. Ceux qui étaient possédés de la passion du théâtre reconnaissaient au moins qu’ils ne suivaient pas en cela les règles de la religion chrétienne ; mais il s’est trouvé des gens dans celui-ci qui ont prétendu pouvoir allier sur ce point la piété et l’esprit du monde. On ne se contente pas de suivre le vice, on veut encore qu’il soit honoré, et qu’il ne soit pas flétri par le nom honteux de vice, qui trouble toujours un peu le plaisir qu’on y prend par l’horreur qui l’accompagne. On a donc tâché de faire en sorte que la conscience s’accommodât avec la passion, et ne la vînt point inquiéter par ses importuns remords[26]. » À Dieu ne plaise que je veuille affaiblir l’autorité de ces graves et honnêtes paroles. Les pires corrupteurs sont, dans tous les temps, ceux qui changent le mal en bien ou le bien en mal, qui disent que la propriété est le vol, que le mariage est la servitude et que l’adultère est la liberté, ou bien encore que la comédie est une école de vertu et d’honnêteté. « Malheur à vous, dit Isaïe[27], qui appelez bon ce qui est mauvais et mauvais ce qui est bon, qui donnez le nom de lumière aux ténèbres et le nom de ténèbres à la lumière, qui dites que ce qui est amer est doux et que ce qui est doux est amer ! » Changer le nom des choses, c’est pour les esprits faibles confondre les idées ; il y a tant d’âmes frivoles, tant de consciences incertaines ou insouciantes, qui ne connaissent leurs devoirs que par l’étiquette qu’on y met ! Changez les étiquettes, ils ne s’y reconnaissent plus.

J’approuve donc les paroles sévères de Nicole ; je me demande seulement si entre ceux qui prétendent faire acte de chrétien en allant au théâtre et ceux qui se décident à être tout à fait impies en assistant à la comédie, il n’y a pas ceux qui y vont sans croire faire ni si bien ni si mal, les mondains honnêtes en un mot, qui ne sont ni des hypocrites ni des impies. Or, si je ne me trompe, ce sont ces mondains honnêtes que les casuistes ne voulaient pas damner absolument.

Le casuitisme n’est pas la morale, cela peut se dire à la décharge comme à la charge du casuitisme. La morale établit les règles de conduite, et elle ne saurait les mettre trop haut. Il faut en morale demander plus pour avoir assez ; il faut viser à la vertu pour rester dans l’honnêteté. Les règles qui se font commodes, complaisantes, et qui tâchent de rattraper l’homme dans ses égaremens en l’y suivant de plus ou moins loin, ces règles-là ne ramènent point l’homme au bien, et c’est l’homme, au contraire, qui, de complaisance en complaisance, les entraîne au mal. Il sied donc à la morale d’être sévère, mais le casuitisme, qui, au lieu de prescrire les règles, est tenu d’examiner les divers cas de la conduite humaine, le casuitisme peut être plus indulgent, de même que le juré est naturellement plus indulgent que le législateur. Le législateur précise et définit le mal qu’il veut punir, et il est à son aise pour faire cette définition, puisqu’il la fait sur des cas qu’il prévoit ; le juré n’a pas à faire à ces définitions précises et rigoureuses, mais aux actions humaines, dans lesquelles le plus et le moins entrent nécessairement. Tous les vols sont également coupables, tous les voleurs ne le sont pas également, parce que les degrés du mal, comme ceux du bien, sont infinis dans l’âme humaine. Les casuistes sont des jurés ; ils pèsent et examinent, d’un côté la règle, de l’autre l’action qui s’en écarte, celle-ci de fort loin, celle-ci de moins loin. La règle chrétienne et ecclésiastique est de ne point aller au théâtre ; mais si je vais au théâtre voir Athalie ou Polyeucte, suis-je aussi coupable que si je vais voir un vaudeville frivole ou licencieux ? Il y a donc dans la faute que les spectateurs font en allant au théâtre des différences incontestables qui dépendent du genre de pièces qu’ils vont voir. La règle morale peut dédaigner ces différences, elle le doit même ; mais le casuitisme ou le confessionnal doit en tenir compte. Quand Nicole dit avec colère qu’il s’est trouvé de son temps des gens qui ont prétendu pouvoir allier sur ce point la piété et l’esprit du monde, il a raison de blâmer les moralistes relâchés et complaisans qui mettent le vice à la portée de la conscience ; il a tort, s’il blâme les directeurs avisés et prudens qui distinguent au théâtre, comme dans le monde, le genre de plaisir qu’on y va chercher. Il y a toujours eu dans l’église, à côté de ceux qui s’attachaient à la règle morale, et qui proscrivaient les spectacles comme absolument mauvais, ceux qui n’enveloppaient pas dans la même condamnation tous les auteurs et tous les spectateurs du théâtre. Les jésuites ont été de cette dernière école : accordant beaucoup à la liberté de l’homme et à ses œuvres, ils ne voulaient condamner les œuvres qu’après les avoir examinées. Quoi de plus juste ? Cette doctrine avait en même temps pour eux l’avantage de donner à la direction un pouvoir presque supérieur à la règle.

Ne voulant pas entrer dans cet examen du genre de plaisir que le monde va chercher au théâtre et aimant mieux condamner absolument tous les spectacles, Nicole ne se cou tente pas de censurer ceux qui justifient le théâtre, il recherche avec une sagacité admirable, dans ses pensées sur les spectacles[28], quelle est la nature de l’émotion dramatique, et plus il y pénètre, plus il la condamne.

1o La comédie répond au goût que nous avons pour les émotions. Le cœur aime à se sentir vivre, et ce qu’il craint le plus, c’est le calme et le repos, car il lui semble alors qu’il est en train de mourir. « Il est triste s’il n’est blessé ; il est satisfait si ses plaies descendent bien avant. » Avant Nicole, saint Augustin remarque dans ses Confessions[29] qu’il aimait surtout les spectacles qui le faisaient pleurer, et les bourgeois de nos jours aiment d’autant plus une pièce qu’ils y pleurent davantage. Nous aimons donc tous l’émotion. Est-ce seulement au théâtre que nous l’aimons ? Non, nous l’aimons et nous la recherchons partout, dans le monde et aux tribunaux. Pourquoi les belles dames courent-elles aux séances des cours d’assises ? pour être émues. Les raffinés aiment l’émotion, les grossiers aussi. Qu’un domestique fasse le récit de quelque aventure tragique, il exagère, il veut être ému et émouvoir. Nous sommes tous capables de pitié, mais beaucoup en sont avides ; chez ceux-là, la pitié s’arrête à l’émotion, c’est-à-dire au sentiment égoïste qui nous fait sentir le mal d’autrui sans aller jusqu’au sentiment charitable qui nous le fait soulager. Ce qui fait que les gens sensibles paraissent bons, et même qu’ils croient l’être, c’est qu’on suppose qu’ils iront de l’émotion à la charité, et qu’ils accompliront leur pitié, si je puis ainsi parler, et ce qui fait qu’ils ne sont pas bons, c’est qu’ils se contentent de goûter le plaisir de la pitié, et qu’ils n’en remplissent pas les devoirs. Le théâtre excelle à satisfaire ce goût de se sentir ému sans avoir rien à souffrir et rien à prendre sur soi. « Je n’eusse pas aimé à souffrir les choses que j’aimais à regarder, » dit saint Augustin.

2o Ce n’est pas seulement par le spectacle du malheur que le théâtre nous émeut si complaisamment, c’est surtout par la représentation de nos passions. Les passions sont la vie de l’âme ; elles font souvent sa souffrance, mais c’est un mal dont nous ne voulons pas guérir, et dont même nous voulons jouir. « N’est-ce pas là vraiment, dit Nicole, une véritable frénésie ? Mais les spectacles sont cette frénésie réduite en art. Ils convertissent nos maladies en plaisirs. » Quel est l’inévitable effet de la représentation des passions ainsi embellies et rendues aimables, dépouillées des inquiétudes et des soucis qui les accompagnent quand elles sont réelles, et ne donnant que l’émotion douce que cause leur image ? Le cœur, s’il n’est pas blessé, est au moins amolli. « L’âme est attirée du dedans au dehors, où elle avait déjà tant d’inclination à se répandre.., et on apprend ainsi deux choses également funestes : l’une à s’ennuyer de tout ce qui est sérieux, et par conséquent de tous ses devoirs ; l’autre à trouver cet ennui insupportable, et à en chercher le remède dans la dissipation. Le premier de ces désordres est un obstacle à toutes les vertus, et le second est une entrée à tous les vices[30]. »

Nous venons de voir dans les Pensées de Nicole tous les argumens que l’on peut employer contre le théâtre. Ces argumens n’ont plus besoin que d’être animés par l’éloquence de Bossuet et de Rousseau. C’est en 1694 que Bossuet écrivit sa lettre au père Caffaro, et ses maximes et réflexions sur la comédie. Le père Caffaro n’était pas un moraliste relâché ou un mauvais prêtre ; c’était un casuiste, et qui avait sur les degrés du péché qu’on fait en allant au spectacle les principes de l’école des casuistes. Habitués en effet à poser des cas et des espèces pour toutes les fautes de la conscience humaine, les casuistes imaginaient une comédie qui ne serait ni immorale ni corruptrice, au besoin même des pièces saintes, et, se demandant si c’était un péché d’assister à de parelles représentations, ils répondaient que non. Comme directeurs des consciences et tenus de prendre en considération les intentions de l’homme, ils avaient raison ; comme apôtres et comme ministres de la règle évangélique, ils avaient tort, parce qu’ils affaiblissaient la loi et paraissaient l’accommoder aux faiblesses du cœur humain. Bossuet écrivit donc au père Caffaro, et exigea de lui une rétractation de la dissertation qu’il avait publiée sur la comédie. Celui-ci s’empressa de la donner, et la doctrine générale de l’église contre le théâtre ne fut affaiblie par aucune mollesse et aucune condescendance. Cependant l’école des casuistes continua à maintenir la distinction qui lui était chère entre les bons et les mauvais spectacles, entre les bonnes et les mauvaises pièces. Cette distinction entre le bon et le mauvais usage du théâtre fait le fond du discours du père Porée en 1733. Le père Porée avait le droit d’aimer et de défendre le théâtre ; il a fait des tragédies que Voltaire, son élève, a imitées, et des comédies pleines de franche gaieté et de bonne morale. Aussi, dans son discours prononcé au collège Louis le Grand devant les cardinaux de polignac et de Bissy et devant le nonce du pape, il n’hésita pas à poser hardiment la question : le théâtre peut-il être une école capable de former les mœurs ? « Par sa nature, répond-il, il peut l’être ; par notre faute, il ne l’est pas. » Le père Porée, on le voit, est déjà plus hardi dans la défense du théâtre que ne l’était Boileau, puisque Boileau prétendait seulement que la poésie dramatique est indifférente par elle-même, et que le père Porée croit que le théâtre peut être école de mœurs. « Je traiterai cette matière, continue Porée, comme théologien, je n’en prends point ici le caractère ; non comme censeur, je n’ai point cette autorité ; non pas même comme philosophe, les subtilités philosophiques conviennent peu à un discours sur le théâtre ; je parlerai toutefois en homme qui cherche le vrai, pour lequel j’avoue ma passion, en citoyen, puisqu’on doit toujours l’être, et en chrétien, puisqu’on ne doit jamais en oublier les devoirs[31]. »

Dans la première partie de son discours, le père Porée prouve que le théâtre peut et doit être une école de bonnes mœurs, et il place la poésie dramatique au-dessus de la philosophie et au-dessus de l’histoire. Il allègue, en faveur du théâtre épuré qu’il conçoit et qu’il justifie, saint Charles Borromée, qui revoyait lui-même les pièces de théâtre qu’on représentait à Milan de son temps ; Richelieu, « qui donnait à la réforme et à la perfection de la scène des jours qu’il dérobait aux affaires de la guerre, de l’église et de l’état ; » Esther et Athalie, que Racine faisait pour l’éducation des demoiselles de Saint-Cyr ; les pièces enfin que les jésuites faisaient jouer à leurs élèves et que venaient entendre les plus grands personnages de l’église et de l’état[32]. Dans son zèle pour le théâtre, le père Porée justifie même l’opéra, « l’opéra, il est vrai, avec un poème vertueux, des vers coulans, mais pleins de pensées, une musique mâle et agréable, des danses à la fois aisées et sévères, légères et modestes ; l’opéra enfin réunissant l’utile à l’agréable pour insinuer dans les cœurs le pur amour de la vertu. » Ce programme d’un opéra pur et vertueux, tel que le propose le père Porée, mérite d’être pris en considération par la commission qui vient d’être chargée de surveiller l’administration de l’Opéra.

Le père Porée s’attend à une objection, et il se la fait d’avance : si le théâtre peut être une si bonne école de mœurs, d’où vient que tant d’hommes pieux et savans condamnent absolument le théâtre ? Ils condamnent le théâtre tel qu’il est, et non le théâtre tel qu’il pourrait être. « Il y a des choses indifférentes de leur nature que l’on peut rendre bonnes ou mauvaises, et que notre perversité rend presque toujours vicieuses. » Alors Porée examinée notre théâtre, et il le juge sévèrement ; il reproche à la tragédie française de s’être jetée dans la galanterie, manquant en cela aux règles de la morale comme aux règles de l’art[33]. Il est aussi sévère que Rousseau contre Molière, à qui il reproche d’avoir joué la vertu dans le Misanthrope et le mariage dans George Dandin. Il s’en prend enfin des vices du théâtre, et il a raison, aux spectateurs, au public, qui devrait imposer au théâtre le respect de l’honneur et de la vertu, et qui rit quand il voit le mal triompher du bien, pourvu qu’il triomphe gaiement.

Je me suis arrêté un instant sur le discours du père Porée[34], parce que ce discours, prononcé dans un collège et devant des cardinaux, montre bien mieux que la dissertation du père Caffaro, promptement rétractée par l’auteur, quelle était l’opinion d’une partie de l’église sur la question du théâtre. La compagnie de Jésus semble être restée fidèle jusqu’à un certain point à la doctrine du père Porée. De nos jours encore, le père Boone, dans une instruction contre le théâtre plus sévère que le discours du père Porée, se demande « s’il faut condamner absolument les personnes qui, par les devoirs de leur état, ne doivent pas abandonner la personne auguste de leur souverain, et qui par conséquent sont obligées de l’accompagner aux spectacles publics ? » Le père Boone permet aux aides de camp et aux dames d’honneur d’accompagner les princes au théâtre, à condition que les aides de camp et les dames d’honneur « se diront, en voyant paraître les acteurs sur la scène : Voilà des gens qui se damnent pour moi, et qu’ils gémiront du plus profond du cœur[35]. » Cette direction d’intentions peut faire sourire ; mais elle rentre dans les principes de la casuistique, c’est-à-dire dans cette équitable appréciation des circonstances d’une action, appréciation qui est le devoir de quiconque juge les hommes, soit dans un tribunal, soit dans un confessionnal. Le tort des casuistes n’est donc pas d’avoir trouvé les excuses légitimes du mal, parce que les excuses sont le droit inaliénable de la conscience humaine, mais d’avoir rédigé ces excuses et d’en avoir fait un manuel qu’on a pris pour un code complaisant offert aux pécheurs, tandis que c’était seulement une instruction adressée aux confesseurs.


III.

J’ai voulu faire l’histoire de la question du théâtre depuis les temps anciens jusqu’à Rousseau, et j’ai voulu aussi indiquer, d’après Nicole, les principaux argumens des adversaires du théâtre ; je dois maintenant examiner comment Rousseau a développé ces argumens, et montrer en même temps par quelques rapprochemens comment Bossuet les avait développés soixante ans avant lui[36]. Je comparerai ainsi entre elles l’éloquence du grand évêque et l’éloquence du philosophe, et je ferai mieux comprendre par cette comparaison la différence des temps et surtout des idées morales.

Le premier reproche que fait Nicole au théâtre, c’est qu’il favorise trop le goût que nous avons de l’émotion. Nous cherchons l’émotion pour éviter l’ennui. Or d’où vient l’ennui ? L’ennui, selon Rousseau, vient de la civilisation. Il n’y a que les peuples civilisés qui s’ennuient. « L’homme qui réfléchit peu s’ennuie peu. Le sauvage ne s’ennuie pas ; il n’a pas assez d’esprit pour cela. C’est le mécontentement de soi-même, c’est l’oubli des goûts simples et naturels qui rendent nécessaire un amusement étranger[37]. » Ici déjà Rousseau, sans le savoir peut-être, par le comme Bossuet. « L’homme, dit Bossuet dans sa lettre sur les spectacles, cherche à s’étourdir et à s’oublier lui-même pour calmer la persécution de cet inexorable ennui qui fait le fond de la vie humaine depuis que l’homme a perdu le goût de Dieu. » Ainsi, selon Rousseau et selon Bossuet, l’ennui pousse les hommes au théâtre ; mais l’ennui, selon Rousseau, vient de la civilisation, de l’abus de la réflexion, de l’oisiveté que donne la fortune ; selon Bossuet, de la perte du goût de Dieu : mots différens, même pensée, car ce que Rousseau appelle la civilisation et ce qu’il maudit s’appelle le monde dans le langage des docteurs de l’église, qui le maudissent aussi, parce qu’on y perd le goût de Dieu.

Est-ce à dire que, pour échapper à l’ennui que les spectacles trompent un instant, mais qu’ils ne détruisent pas, il faut que l’homme retourne dans les forêts des sauvages, loin de la civilisation, ou qu’il aille s’ensevelir dans une Thébaïde, loin du monde ? Non ; l’homme a contre l’ennui un meilleur refuge que la forêt ou la cellule, c’est le chez-soi, c’est la famille. « Un père, un fils, un mari, dit Rousseau, ont des devoirs si chers à remplir, qu’ils ne leur laissent rien à dérober à l’ennui. » Bonne et douce pensée que Rousseau empruntait, sans le savoir, à saint Chrysostôme. « Eh quoi ! dit saint Chrysostôme[38], vous avez une femme et des enfans, vous avez une maison et des amis ; qu’y a-t-il de plus agréable que le chez-soi animé par l’entretien de ses amis ? Y a-t-il rien qui soit plus aimable et plus charmant que les caresses d’un enfant et l’affection d’une femme, quand on aime l’honnêteté ? J’ai entendu raconter une parole des Goths qui est pleine de philosophie, car, entendant parler des folies du théâtre et des honteux divertissemens qu’on y va chercher : « Est-ce que les Romains, disaient-ils, n’ont ni femme ni enfans pour avoir inventé de pareils plaisirs ? » voulant montrer par là qu’il n’y a point de plaisir plus doux à un homme sage et réglé que celui qu’il reçoit de la société d’une honnête femme et de celle de ses enfans. Que l’homme n’aille donc pas chercher bien loin ses plaisirs et sa joie ; il les a chez lui, dans sa maison, en lui-même. Dieu, qui connaît l’âme humaine qu’il a formée, a bien voulu, pour la soutenir, mettre le plaisir où il mettait le devoir et attacher l’un à l’autre dans l’institution de la famille, le plaisir au devoir pour en tempérer la sévérité, le devoir au plaisir pour aider à l’insuffisance naturelle du plaisir. C’est sur l’alliance de ces deux grandes et douces choses, le plaisir qui produit le devoir et le devoir qui produit le plaisir, qu’est fondée et bâtie la famille humaine.

Rousseau n’avait point tort de reprocher aux mondains de son temps d’avoir perdu le goût des plaisirs qui naissent des affections simples et des devoirs naturels. Voyez en effet comment d’Alembert, dans sa réponse à Rousseau, par le dos devoirs et des joies de la famille. Le passage est curieux. « Sans doute, dit-p, tous nos divertissemens forcés et factices, inventés et mis en usage par l’oisiveté, sont bien au-dessous des plaisirs si purs et si simples que devraient nous offrir les devoirs de citoyen, d’ami, d’époux, de fils et de père ; mais rendez-nous donc, si vous le pouvez, ces devoirs moins pénibles et moins tristes, ou souffrez qu’après les avoir remplis de notre mieux, nous nous consolions de notre mieux aussi des chagrins qui les accompagnent[39]. » Que veut dire d’Alembert et à qui demande-t-il le secret de rendre moins pénibles et moins tristes les devoirs de la famille ? Ce secret-là ne se peut demander qu’à nous-mêmes ; c’est nous qui l’avons dans notre âme, si nous avons su garder aussi dans notre âme cet autre secret que Dieu y a mis, le secret d’aimer. Aimez votre femme et vos enfans, et le devoir d’époux et de père ne sera plus triste et pénible. D’Alembert n’a pas besoin, pour égayer les devoirs de la famille, de consulter les philosophes : il n’a qu’à prendre conseil du premier bourgeois ou du premier ouvrier venu ; qu’il entre dans la plus modeste maison ou dans la plus simple chambre, et qu’il voie après le travail de la journée le bourgeois ou l’ouvrier assis à la table du soir couronnée de petits enfans et leur distribuant le pain bis ou blanc qu’il a gagné pour eux, il saura alors ce qu’est la joie du devoir : entendons-nous bien cependant, non pas le devoir rempli de notre mieux, c’est-à-dire par acquit de conscience ou par obéissance à la loi, mais le devoir rempli de tout cœur, avec un dévouement qui s’ignore et qui par conséquent se renouvelle tous les jours. Il y a plus : à ce bon et honnête bourgeois qui est si heureux d’être père, et à ces enfans qui embrassent si gaiement leur père, je permets, en dépit de Rousseau, d’aller un jour au Théâtre-Français voir jouer Monsieur de Pourceaugnac ou le Malade imaginaire, non pour qu’ils se consolent de leur mieux des tracas de la famille, mais pour qu’ils rient ensemble (la joie des enfans sous les yeux du père et de la mère est bonne à l’âme), pour qu’ils continuent au théâtre les rires de la table domestique, et surtout pour qu’ils montrent que partout où va la famille, elle y transporte sa joie pure et saine, ses plaisirs honnêtes et naturels. Je suis disposé à croire aux dangers du théâtre ; mais j’y crois surtout pour ceux qui y vont seuls. Je ne crains pas beaucoup la loge du père de famille ; je crains la stalle de balcon.

Les amusemens du théâtre ne sont pas seulement, selon d’Alembert, des remèdes contre l’ennui de nos devoirs ; ce sont aussi, selon ce philosophe, des leçons déguisées. L’homme va au théâtre, croyant s’amuser des défauts du prochain ; il s’y corrige des siens. Telle était la prétention des philosophes du XVIIIe siècle, et le père Porée lui-même a quelque chose de cette doctrine. Comme on ne savait plus amuser le public, on prétendait l’instruire et on attribuait à la comédie un mérite qu’elle ne doit pas avoir, afin de remplacer le mérite qu’elle n’avait plus. Rousseau raille et réfute fort spirituellement cette prétention. « Nos auteurs modernes, guidés par de bonnes intentions, font des pièces plus épurées ; aussi qu’arrive-t-il ? Qu’elles n’ont plus de vrai comique et ne produisent aucun effet. Elles instruisent beaucoup si l’on veut, mais elles ennuient encore davantage. Autant vaudrait aller au sermon[40]. » Rousseau croit que les comédies du XVIIIe siècle ennuyaient, parce qu’elles défendaient la morale au lieu de l’attaquer ; je crois qu’il y a d’autres raisons, mais il a grande raison de dire que ce qui ennuie n’instruit pas : l’ennui ne sert qu’au mal, il corrompt par les pensées qu’il suggère, au lieu d’édifier par le calme qu’il apporte.

Le second reproche que Nicole fait au théâtre, c’est d’exciter les Passions en les représentant. Le spectacle des passions humaines luttant les unes contre les autres ou remplacées par une passion dominante qui ne rencontre d’obstacles que ce qu’il en faut pour l’animer à la victoire, ce spectacle excite les passions plus qu’il ne les réprime. Elles apprennent à user de toutes leurs forces pour triompher à leur aise plutôt qu’à se contraindre et à se régler, elles s’instruisent au combat plutôt qu’à la discipline. « Consultez, dit Rousseau, l’état de votre cœur à la fin d’une tragédie : l’émotion, le trouble et l’attendrissement qu’on sent en soi-même et qui se prolongent après la pièce annoncent-ils une disposition bien prochaine à surmonter nos passions ? Les impressions vives et touchantes dont nous prenons l’habitude, et qui reviennent si souvent, sont-elles bien propres à modérer nos sentimens ? Ne sait-on pas que toutes les passions sont sœurs, qu’une seule suffit pour en exciter mille, et que les combattre l’une par l’autre n’est qu’un moyen de rendre le cœur plus sensible à toutes[41] ? » Plus loin, revenant encore sur l’état du cœur après le plaisir du théâtre, il ajoute : « Le mal qu’on reproche au théâtre n’est pas précisément d’inspirer des passions criminelles, mais de disposer l’âme à des sentimens trop tendres qu’on satisfait ensuite aux dépens de la vertu. Les douces émotions qu’on y ressent n’ont pas par elles-mêmes un objet déterminé, mais elles en font naître le besoin ; elles ne donnent pas précisément de l’amour, mais elles préparent à en sentir ; elles ne choisissent pas la personne qu’on doit aimer, mais elles nous forcent à faire ce choix. »

Il y a beaucoup de finesse et de mérite dans cette peinture de l’état de l’âme après le plaisir du théâtre, et j’ajouterais volontiers après la lecture des romans ; mais, avant Rousseau, Bossuet avait peint cet état de l’âme avec une pénétration de pensée et une force d’expression admirables. « Le spectacle de la lutte des passions humaines n’a d’autre effet, dit-il, que de remuer en nous un certain fonds de joie sensuelle et je ne sais quelle disposition inquiète et vague aux plaisirs des sens, qui ne tend à rien et qui tend à tout, et qui est la source secrète des plus grands péchés. »

« Je sais bien, continue Rousseau, que le théâtre a la prétention de purger les passions ; mais j’ai bien de la peine à concevoir cette règle. » Il est tout naturel que Rousseau ne comprenne pas cette règle, qui ne s’applique pas à la morale, mais à l’art. L’art ne prétend point purger les passions pour les rendre vertueuses, mais pour les rendre belles ; il vise à la beauté, non à la vertu. Chercherons-nous maintenant quel est le rapport qui lie la beauté à la vertu, le beau au bon, et comment dans l’art dramatique, tel que l’entendaient les anciens, les caractères, s’ils sont formés d’après les règles de l’art, doivent tous avoir une certaine bonté et une certaine beauté ? C’est là une question d’art qui s’écarte en apparence de la question de morale que traite Rousseau. J’en dirai cependant un mot, parce que, selon moi, cette purification des caractères et des passions dramatiques et l’effet qu’ils produisent sur les spectateurs est la meilleure justification du théâtre et même de la littérature en général.


IV.

Corneille, dans son premier discours sur l’Art dramatique, cherchant ce que veut dire Aristote quand il exige que dans la tragédie les mœurs du héros soient bonnes, cite un passage de la Poétique ainsi conçu : « La poésie est une imitation de gens meilleurs qu’ils n’ont été, et comme les peintres font souvent des portraits flattés, qui sont plus beaux que l’original et conservent toutefois la ressemblance, ainsi les poètes, représentant des hommes colères ou débonnaires, doivent tirer une haute idée de ces qualités, en sorte qu’il s’y trouve un bel exemplaire d’équité et de douceur ou de fermeté ; et c’est ainsi qu’Homère a fait Achille bon. Ce dernier mot est à remarquer, continue Corneille, pour faire voir qu’Homère a donné aux emportemens de la colère d’Achille cette bonté nécessaire aux mœurs que je fais consister en l’élévation du caractère, et dont Robortel parle ainsi[42] : Unumquodque genus per se supremos quosdam habet decoris gradus et absolutissimam recipit formam, non tamen degenerans a suâ naturâ et effigie pristinâ. » Ces paroles du vieux commentateur italien cité par Corneille sont excellentes ; mais Corneille les a traduites et expliquées d’un mot, quand il parle de cette élévation qui est propre à chaque qualité humaine, et qu’il faut que le poète découvre et exprime. De même que chaque visage humain, si laid qu’il soit au premier coup d’œil, a son expression qui fait sa beauté, quemdam decoris gradum, et que les grands peintres seuls savent découvrir cette expression et la représenter de manière à faire un portrait qui soit en même temps ressemblant et beau, quoique le modèle soit laid, de même aussi les poètes épiques et dramatiques doivent chercher dans la qualité principale des héros qu’ils mettent en scène ce que cette qualité à de grand et d’élevé. C’est ainsi que les mœurs seront bonnes, comme le veut Aristote. Chaque qualité de l’âme humaine est entre un vice et une vertu. Si vous la poussez du côté du vice, vous faites de l’homme un démon ou une bête brute ; si vous la poussez du côté de la vertu, vous faites de l’homme un héros ou un ange. Cherchons un exemple de cette transformation d’un défaut en vertu qui est une des plus admirables ressources de la nature humaine, et qui doit être aussi un des arts de la poésie. Je prends dans l’histoire de France le roi le plus malheureux à la fois et le plus honnête, Louis XVI : le fond de son caractère est assurément la débonnaireté, pour parler comme Corneille ; voyez comme en face du péril inévitable cette débonnaireté devient une admirable patience, et en face de l’échafaud un sublime dévouement. Quelle débonnaireté, j’allais dire quelle faiblesse dans le roi ! quelle grandeur dans le martyr ! Voilà comment la nature humaine agrandie et fortifiée par la religion se transforme et se transfigure, faisant de sa faiblesse une force et de son défaut une vertu. Ce que la nature humaine fait dans l’histoire pour l’honneur de l’humanité, c’est à la poésie de le faire dans ses créations pour l’honneur aussi et pour l’enseignement de l’humanité.

La grandeur et l’élévation des caractères, voilà donc, selon Corneille, le point principal dans toutes les créations dramatiques. Cette recherche de la grandeur et de l’élévation ne nuit pas à la morale, et les héros qui sont grands peuvent en même temps être bons et honnêtes, car c’est ici que revient l’observation profonde et juste de Robortel sur l’idéal qui réside au fond de chaque qualité humaine, et qu’il appartient à la poésie de mettre en relief et en honneur. Je résume même la pensée de Robortel en cet axiome : tout ce qui est grand atteint au bon, et tout ce qui est bon atteint au grand. Oui, Achille est violent, emporté, orgueilleux, cruel dans sa colère ; mais il y a dans son âme un fonds de générosité, et quand Priam suppliant vient lui demander le corps d’Hector, Achille pleure et pardonne. Oui, César est ambitieux et fier, il a poursuivi et vaincu Pompée avec joie ; mais il pleure sur le cadavre de Pompée assassiné. Le grand va au bon, et, soyez-en sûrs, cette bonté de l’âme qui se trouve à certains momens dans tous les grands hommes, dans Achille, dans César, dans Alexandre, est le signe caractéristique de leur grandeur, car c’est par là qu’ils témoignent qu’ils sont hommes : sans cela, ils seraient grands comme des colosses de bronze ou de fer. La grandeur, c’est d’être grand avec toutes les émotions humaines ; c’est d’être plus que l’homme, sans être autre que l’homme.

La bonté atteint aisément aussi à la grandeur. Aisément ? j’ai tort. Pour atteindre à la grandeur, la bonté doit passer par la persévérance. Vous êtes bon, Vincent de Paul, puisque dès vos premières années vous venez en aide aux pauvres et aux malades ; mais vous devenez grand, ô saint Vincent de Paul, puisque vous vouez votre vie tout entière à la charité, et que votre nom en devient un touchant symbole. C’est ainsi que, par un perpétuel rapprochement qui est la loi de Dieu, le grand va au bon par la générosité, le bon va au grand par la persévérance ; c’est ainsi que nos qualités humaines se confondent à mesure qu’elles s’élèvent et que le saint rencontre le héros dans l’imagination du grand poète comme dans le sein de Dieu.

L’élévation et la grandeur des caractères, telle que l’art la demande, a-t-elle un avantage moral ? qui peut le nier ? Ce qu’il faut chercher dans la bonne littérature, dans celle qui est conforme aux véritables règles de l’art, c’est cette admiration salutaire que donne la vue du grand et du bon. Toute la question est là. La littérature n’est pas chargée d’instruire ou d’édifier les esprits ; elle est chargée seulement de les émouvoir par la peinture de l’humanité ; mais cette peinture doit viser au beau, afin d’élever les esprits ; elle doit éviter les grimaces et les convulsions, fuir le laid en un mot, afin de ne pas abaisser et de ne pas corrompre l’âme par de grossières impressions. Ne demandez pas de leçon à la littérature et au théâtre. Quand ils veulent en donner, ils manquent à leur vocation. Ne leur demandez pas ce qu’ils peuvent faire, c’est-à-dire d’exercer une influence et de l’exercer en bien. Or c’est en purgeant les passions, selon la règle de la poétique ancienne, c’est-à-dire en leur donnant la bonté et l’élévation dont elles sont capables, chacune en son genre, que le théâtre et la littérature peuvent aider à l’éducation morale des esprits.

Quand donc Rousseau rejetait dédaigneusement cette règle comme Incompréhensible, il évitait le meilleur argument dont puisse s’autoriser le théâtre devant les moralistes. Je sais bien que ses adversaires ne le loi opposaient pas, qu’ils ne parlaient que des bons enseignemens du théâtre, et qu’ils prétendaient hardiment que la comédie est une école de mœurs. Rousseau réfute aisément cette prétention, mais il aurait été digne de lui d’examiner aussi ce que signifiait la vieille règle de la purgation des passions, telle qu’Aristote et Corneille la défendent, et de chercher ce que cette règle de l’art antique a de conforme à la morale.

Un ancien apologiste du théâtre, Scudéry, qui, en défendant la tragédie et la comédie, croyait défendre sa cause, ne manque pas de se servir de la règle de la poétique sur la purgation des passions comme du meilleur argument en faveur du théâtre. « Aristote, dit-il, était trop sage, trop grave, trop occupé pour s’amuser à dresser les préceptes d’un art qui ne servirait que d’un vain amusement[43]. » Non-seulement Scudéry cite la règle d’Aristote pour défendre le théâtre, mais il commente cette règle de manière à montrer qu’il en comprend bien l’importance, soit pour l’art, soit pour la morale : « Les Toscans, dit Scudéry, châtiaient leurs esclaves au son du haut-bois, » afin de modérer leur colère et de laisser seulement agir la justice. La poésie doit faire la même chose en représentant les passions humaines : elle doit aussi les modérer par l’art, c’est-à-dire par cette recherche de l’idéal de chaque qualité qui est le vrai principe de l’art. Scudéry était un mauvais poète, mais il avait le goût des arts, et c’est par là qu’il comprenait la règle de la poétique ancienne.

Il y a trois manières de traiter les passions. On peut tâcher de les anéantir, comme fait Rousseau, qui les impute à la civilisation, et qui à cause de cela veut détruire la civilisation et les arts de la civilisation. On peut tâcher de les régler et de les contenir par la loi chrétienne ; mais que de degrés infinis dans l’application de la loi chrétienne ! Nicole et Bossuet croient que le meilleur moyen de contenir les passions, c’est la fuite du monde et surtout l’interdiction du théâtre. L’école des casuistes et le père Porée sont moins sévères : ils pensent que la loi chrétienne n’exclut pas le commerce du monde ni même la fréquentation du théâtre, qu’elle peut s’appliquer à la comédie et à la tragédie comme à tous les arts, et en faire un bon usage. L’art enfin, ou Aristote, le plus grand interprète de l’art, prétend que la poésie, quand elle représente les passions, doit les faire meilleures et plus belles qu’elles ne le sont, et, selon nous, c’est par là que l’art s’allie à la morale.

D’où viennent ces différens sentimens sur la manière de traiter les passions ? Ne nous y trompons pas : ils ne procèdent pas seulement de la diversité des idées ; ils procèdent de la différence même des dogmes et des doctrines religieuses. Le déiste qui ne croit pas au péché originel et qui prétend que l’homme est naturellement bon, le janséniste qui croit au contraire que la nature humaine est vicieuse et que l’homme livré à sa liberté ne peut que faire le mal, le jésuite qui croit au libre arbitre, au mérite des œuvres et à la nécessité de la direction ; toutes ces oppositions de doctrines se manifestent dans une simple question d’art, parce que dans l’homme tout se tient et que ses idées relèvent de ses croyances.

L’homme, aux yeux de Rousseau, est un être naturellement bon et qui a en lui tout ce qu’il faut pour être vertueux, sans recourir au dogme de la rédemption ou de la grâce divine. D’où vient donc que le cœur humain donne entrée au vice ? C’est que l’homme vit en société, c’est qu’il n’a pas voulu rester solitaire et pur. Pourquoi cette volonté est-elle venue à l’homme ? Question que Rousseau se garde bien de se faire et de traiter, parce qu’elle ruinerait tout son système. Il lui suffit qu’il ait trouvé la cause du mal dans la société. Alors tout ce qui tient à la société, tout ce qui en est la suite et le développement, les institutions, la littérature, les arts, les sciences, le théâtre, tout est mauvais, tout aide à la corruption de l’homme, et chaque fois qu’on pourra détruire une de ces conséquences, soit les arts, soit la littérature, soit le théâtre, ce sera un retour vers l’innocence primitive. Dans cette idée, les petits états sont meilleurs que les grands ; la tribu est meilleure que les petits états, la famille sauvage vaut mieux que la famille civilisée, et l’homme qui ne réfléchit pas vaut mieux que l’homme qui réfléchit, lequel est sur la pente de la civilisation, c’est-à-dire du mal.

La doctrine chrétienne croit que l’homme est disposé au mal par sa nature, qu’a viciée le péché originel, et elle croit aussi qu’il n’y a que le recours à Dieu et à sa loi qui puisse préserver l’homme des effets de sa corruption naturelle ; mais ce recours à Dieu a plusieurs voies. Les docteurs les plus sévères pensent que la meilleure manière de revenir à Dieu, c’est de fuir le monde, c’est d’éviter les occasions du plaisir ou du péché. Des docteurs plus hardis ou plus indulgens croient qu’on peut être chrétien dans le monde, y porter la loi de Dieu et l’y garder ; ils croient que les arts peuvent être chrétiens, que le théâtre même peut l’être, et qu’il n’y a pas une incompatibilité absolue entre la morale et la comédie. Cette doctrine est généreuse et charitable, mais elle n’est pas relâchée, quoi qu’on en dise, car elle impose au monde beaucoup d’obligations en retour de beaucoup de liberté. Elle ne craint aucun de ces développemens de la sociabilité humaine qui effraient Rousseau, et que Nicole et Bossuet conseillent d’éviter. Que de freins en effet elle a pour arrêter l’essor de l’âme humaine vers le mal ! Que de remèdes contre le mal ! que de secours dans le danger ! Une règle sévère et minutieuse, une direction attentive, une surveillance scrupuleuse, une confession souvent renouvelée, que sais-je ? Dans cette doctrine, l’homme peut aller partout, parce que la loi le suit partout ; plus il peut, plus il doit. La règle chrétienne ainsi entendue a le privilège de s’étendre avec le cœur de l’homme et de le suivre dans tous ses mouvemens, si bien que la civilisation a beau s’avancer, emportant avec elle en avant le cœur et l’esprit de l’homme : la religion l’accompagne toujours, et le cercle de nos devoirs s’agrandit en même temps que le cercle de nos sentimens et de nos idées.

Cette doctrine me plaît, encore un coup, et je ne la crois ni relâchée ni impraticable. Ce sont là pourtant, je l’avoue, ses deux écueils. Ou elle permet tout en absolvant tout, ce qui amène le relâchement, ou elle prescrit et dirige tout, ce qui amène la raideur. J’entends bien avec le bon père Porée que le théâtre peut servir à enseigner l’honnêteté et la vertu ; je crains cependant que de ce côté nous ne tombions dans le théâtre d’éducation et dans les pièces de collège. Or les pièces de collège ont l’inconvénient, outre qu’elles sont ennuyeuses, de laisser croire qu’elles ne le sont que parce qu’elles veulent être vertueuses, et, comme les jeux innocens, elles font penser à ce qu’il y faudrait de mal pour qu’elles devinssent amusantes.

De toutes ces règles que l’homme peut s’imposer, quelle est donc la plus sûre et la meilleure pour l’art ? La règle de Rousseau le détruit, celle de Nicole et de Bossuet le fait abdiquer ; celle du père Porée le rend raide et monotone, quand elle est exagérée. Il n’a donc de règle qui lui soit bonne que celle qui lui est propre et qui tient à sa nature même, c’est-à-dire la règle d’Aristote, qui prescrit la recherche du beau, et qui par là fait trouver le bon, sinon toujours, du moins souvent, qui enfin pousse l’homme du bon côté au lieu de le pousser du mauvais.


V.

Il y a une question sur laquelle je veux dire un mot avant de finir. Rousseau reproche au théâtre qu’étant voué à l’amour, il aide singulièrement à l’ascendant des femmes dans la société, et ce n’est pas, selon Rousseau, un des moindres inconvéniens du théâtre. « Pensez-vous, monsieur, dit-il à d’Alembert, qu’en augmentant avec tant de soin l’ascendant des femmes, les hommes en seront mieux gouvernés ? » Prenez les ouvrages de Rousseau, il a dit beaucoup de mal des femmes, de leur frivolité, de leur vanité, de leur faiblesse, et ce sont les femmes pourtant qui ont fait le succès de Jean-Jacques Rousseau : elles ont eu raison. Je ne veux pas dire que comme la Martine de Molière elles aiment à être battues, mais elles se soucient peu qu’on les batte, pourvu qu’on les aime. Or elles ont compris que Rousseau les aimait, et que s’il censurait amèrement les femmes du monde, c’est qu’il avait dans le cœur l’image de la femme plus belle, plus pure et plus gracieuse mille fois que celles qu’il voyait. Elles lui ont su gré de cette image idéale que chacune a pu prendre pour son portrait. Peu importe donc que Rousseau, dans sa Lettre sur les spectacles, dise « que chez nous la femme la plus estimée est celle qui fait le plus de bruit, de qui l’on parle le plus, qu’on voit le plus dans le monde. » Les femmes voient bien que le même homme qui se plaint qu’au théâtre « ce soit toujours la femme qui sait tout, qui apprend tout aux hommes, » dans son roman fait de Julie la directrice suprême de Saint-Preux, et cette inconséquence du philosophe leur plaît comme un aveu de leur supériorité : non pas qu’elles tiennent à être supérieures par l’esprit et par la raison ; elles sont supérieures parce qu’elles sont aimées, et cette supériorité-là vaut pour elles toutes les autres. Quiconque la leur accorde, et surtout quiconque semble la leur accorder malgré lui-même, est de leur église, eût-il cent défauts insupportables, de même que quiconque la leur refuse, eût-il cent bonnes qualités, est à l’instant même excommunié. Les hommes que les femmes détestent le plus ne sont pas ceux qui les battent, mais ceux qui les jugent ; non pas ceux qui les censurent, mais ceux qui même les admirent sans les aimer. Pour elles, la foi sans l’amour est un péché mortel Elles ont raison.

La meilleure partie de la Lettre sur les spectacles et la plus forte assurément est le tableau que fait Rousseau de l’homme et de la femme du monde et les réflexions qu’il attache à ce tableau : « Les deux sexes, dit-il avec beaucoup de sagacité et de gravité, doivent se rassembler quelquefois et vivre ordinairement séparés. Je l’ai dit tantôt par rapport aux femmes ; je le dis maintenant par rapport aux hommes… Ne voulant plus souffrir de séparation, faute de pouvoir se rendre hommes, les femmes nous rendent femmes… Lâchement dévoués aux volontés du sexe que nous devrions protéger et non servir, nous avons appris à le mépriser en lui obéissant, à l’outrager par nos soins railleurs, et chaque femme de Paris rassemble dans son appartement un sérail d’hommes plus femmes qu’elle, qui savent rendre à la beauté toutes sortes d’hommages, hors celui du cœur dont elle est digne… Au lieu de gagner à ces usages, les femmes y perdent. On les flatte sans les aimer, on les sert sans les honorer : elles sont entourées d’agréables, mais elles n’ont plus d’amans… Il faudrait avoir d’étranges idées de l’amour pour en croire capables ces complimenteurs de boudoir, et rien n’est plus éloigné de son ton que celui de la galanterie. De la manière que je conçois cette passion terrible, son trouble, ses égaremens, ses palpitations, ses transports, ses brûlantes expressions, son silence plus énergique, ses inexprimables regards, que leur timidité rend téméraires et qui montrent les désirs par la crainte, il me semble qu’après un langage aussi véhément, si l’amant venait à dire une fois : Je vous aime, l’amante indignée lui dirait : Vous ne m’aimez plus, et ne le reverrait de la vie. »

Quelle sévérité contre les mœurs et les habitudes du temps ! mais surtout comme l’amour est opposé à la galanterie ! et c’est là ce qui charmait les femmes, parce que plus Rousseau ôtait à la galanterie, plus il rendait à l’amour ; plus il détruisait le cérémonial du faux monde amoureux, plus il refaisait le véritable culte des femmes. Les femmes ne se trompaient donc pas en trouvant leur apothéose dans les censures du moraliste ; elles comprenaient et aimaient sa colère, puisque Rousseau ne s’irritait que parce que la femme, de dieu qu’elle était, s’était laissée faire idole.

Ainsi dans cette Lettre sur les spectacles, Rousseau ne traite pas seulement la question du théâtre ; il traite aussi de la condition des femmes et du rang que le monde leur a fait, rang qui peut plaire à la vanité, mais qui est petit et frivole et qui ne vaut ni celui que leur fait l’amour, ni surtout celui que leur fait la famille. Avant Rousseau, Bossuet avait aussi touché à cette question. Il s’était plaint aussi du ton de galanterie de notre théâtre et de l’empire que cet usage de la galanterie donnait aux femmes dans le monde. « Cette tyrannie qu’on expose au théâtre, disait-il, sous les plus belles couleurs, flatte la vanité d’un sexe, dégrade la dignité de l’autre et asservit l’un et l’autre au règne des sens[44]. » Toutes les réflexions de Rousseau sur la condition des femmes dans le monde se trouvent dans cette phrase de Bossuet ; mais le théâtre, par les maximes amoureuses qu’il préconise, fait plus que de donner aux femmes dans le monde une idée dangereuse de leur pouvoir : il y a des femmes auxquelles il est encore plus funeste, ce sont celles qu’il fait paraître sur la scène, ce sont les comédiennes que Bossuet plaint et maudit à la fois. Les comédiennes, qui pour Rousseau ne servent que de témoins à la corruption qu’il reproche au théâtre, pour Bossuet sont des chrétiennes qui s’égarent et qui égarent les autres. Avant de perdre l’âme des autres, elles ont perdu la leur, et Bossuet dans sa charité chrétienne ne leur reproche pas moins la première faute que la seconde. « Quelle mère, s’écrie-t-il, je ne dis pas chrétienne, mais tant soit peu honnête, n’aimerait pas mieux voir sa fille dans le tombeau que sur le théâtre ? L’ai-je élevée si tendrement et avec tant de précaution pour cet opprobre ? L’ai-je tenue nuit et jour, pour ainsi parler, sous mes ailes, avec tant de soin pour la livrer au public ? Qui ne regarde pas ces malheureuses chrétiennes, si elles le sont encore dans une profession si contraire aux vœux de leur baptême, qui, dis-je, ne les regarde pas comme des esclaves exposées, en qui la pudeur est éteinte, quand ce ne serait que par tant de regards qu’elles attirent et par tous ceux qu’elles jettent, elles que leur sexe avait consacrées à la modestie et dont l’infirmité naturelle demandait la sûre retraite d’une maison bien réglée ? »

Quelle admirable éloquence ! quelle charité même dans la colère et dans la malédiction ! et surtout, comme dans Rousseau, quelle intelligence du véritable rang et de la véritable dignité des femmes ! Quand Rousseau attaque la galanterie du théâtre, il l’attaque au nom de la famille et au nom de l’amour ; il montre aux femmes combien elles perdent, en bien comme en mal, à être courtisées au lieu d’être aimées, ou bien à être des poupées de salon au lieu d’être des mères de famille. Bossuet ne défend pas l’amour contre la galanterie, car entre l’amour et la galanterie il n’y a que la différence de la passion ; mais il défend la famille et la condition à la fois grande et douce que la famille fait aux femmes. Dans l’évêque comme dans le philosophe, même dédain ou même colère contre la vie artificielle des femmes dans le monde, contre les plaisirs de la vanité substitués aux plaisirs et aux devoirs du foyer domestique, contre l’abaissement des hommes qui perdent leur dignité à faire perdre aux femmes leur honneur. Dans Rousseau, les femmes sentent un censeur qui les aime, et voilà pourquoi elles lui ont tant pardonné ; dans Bossuet, elles sentent un chrétien qui les plaint, dès qu’il les voit moins honorées qu’il ne les imagine, et cet attendrissement, qui est la seule émotion que puisse comporter la sévérité chrétienne, vaut pour elles l’amour qu’elles trouvent dans Rousseau. Partout où Bossuet parle de la femme, il en parle avec ce sentiment à la fois tendre et sévère, avec cette grâce majestueuse qui louche et qui épure les cœurs, et s’il maudit l’abus que la femme fait du pouvoir qu’elle a sur le cœur de l’homme, c’est qu’il s’indigne que, Dieu l’ayant faite si grande, le monde la fasse si petite, et qu’il lui fasse prendre son humiliation pour son triomphe.

Auprès de la gravité affectueuse qu’a Bossuet, auprès du respect passionné qu’a Rousseau en parlant des femmes et de leur condition dans la société, les réflexions et les sentimens de d’Alembert paraissent frivoles et mesquins. Il y a à propos des femmes deux points principaux dans le Traité de Bossuet et dans la Lettre de Rousseau : le rang des femmes dans le monde, qui est un des effets du règne de l’amour sur le théâtre, et la condition des comédiennes. Voyons d’abord ce que d’Alembert dit des comédiennes. Bossuet en parle avec une pitié généreuse, Rousseau avec une indifférence dédaigneuse ; d’Alembert met dans l’apologie qu’il fait des comédiennes une pédanterie philosophique qui rend ses clientes ridicules. « La chasteté des comédiennes, j’en conviens avec vous, dit d’Alembert, est plus exposée que celle des femmes du monde ; mais aussi la gloire de vaincre en sera plus grande : il n’est pas rare d’en voir qui résistent longtemps, et il serait plus commun d’en trouver qui résistassent toujours, si elles n’étaient découragées de la continence par le peu de considération qu’elles en retirent… Qu’on accorde des distinctions aux comédiennes sages, et ce sera, j’ose le prédire, l’ordre de l’état le plus sévère dans ses mœurs. » Ne vous étonnez pas de ce plaidoyer pour les comédiennes ; tout se tient dans l’erreur, et le même homme qui prétendait que le théâtre est une école de mœurs devait prétendre que les comédiennes pouvaient faire dans l’état un ordre chargé de représenter la pudeur. Étrange paradoxe, mais qui est conforme au mauvais esprit philosophique du XVIIIe siècle, lequel substitue partout l’ordre artificiel à l’ordre naturel et les systèmes humains à la volonté divine ! Restons dans le bon sens et dans le bon goût, tâchons d’épurer le théâtre sans prétendre en faire une école de morale, plaignons les comédiennes et estimons celles qui se conduisent bien sans vouloir en faire des héroïnes ou des patronnes de l’honneur féminin.

D’Alembert ne se fait pas une idée plus juste du rang que les femmes doivent avoir dans le monde que de la condition des comédiennes. Si les femmes ne sont pas à la fois aimables et vertueuses, cela tient à ce qu’elles ne sont pas libres. L’esclavage des femmes est la cause de leurs faiblesses et de leurs torts : émancipez-les, donnez-leur une éducation plus solide et plus mâle. « Le grand défaut de ce siècle philosophe est de ne l’être pas encore assez. Il ne l’est pas envers les femmes ; mais quand la lumière sera plus libre de se répandre, plus étendue et plus égale, nous en sentirons alors les effets bienfaisans ; nous cesserons de tenir les femmes sous le joug et dans l’ignorance, et les femmes cesseront de séduire, de tromper et de gouverner leurs maîtres. » Quel est donc ce monde dont parle d’Alembert où les femmes séduisent, trompent et gouvernent leurs maîtres ? Est-ce le monde tel que nous le connaissons et tel que Dieu l’a fait, celui où la femme grandit sous l’aile de sa mère, entre ensuite dans la maison conjugale qu’elle remplit de tendresse et de joie, et bientôt mère de famille, ayant fait sa destinée, de celle de son mari et de ses enfans, achève ses jours entourée du respect et de la reconnaissance de sa famille ? Ou bien est-ce le monde qui se fait et se défait chaque soir dans les salons, au hasard des visites, dont le lien est la vanité, dont l’occupation est la frivolité ou la médisance, où les femmes ne songent qu’à paraître et les hommes qu’à causer ? Si c’est là le monde où les femmes séduisent, trompent et gouvernent leurs maîtres, j’avoue que je m’intéresse aussi peu aux esclaves qui trompent qu’aux maîtres qui sont trompés. Ce ne sont là, à vraiment parler, ni des hommes ni des femmes, ce sont des dames et des messieurs ; c’est ce qui, selon les temps, s’appelle la société, la compagnie, le cercle, la ruelle, la cabale, de mille noms divers enfin ; ce n’est point là le monde humain, puisque l’humanité n’y met pas en commun ses devoirs, mais ses plaisirs, ses goûts, ses ridicules et ses défauts. Si c’est dans ce monde-là que d’Alembert veut mettre la femme libre qu’il espère, j’y consens de grand cœur ; mais qu’il ne la mette pas ailleurs, qu’il ne la mette pas dans la famille. Là, quiconque veut que la femme soit libre l’outrage et la dégrade ; là, il sied à la femme de choisir son maître et de l’honorer en s’honorant elle-même par sa fidélité. Affranchir la femme, c’est l’isoler, c’est en faire une vieille fille sans affections ou une vieille courtisane sans honneur. L’homme n’est pas fait pour vivre seul, et c’est pourquoi Dieu lui a donné une compagne, pour laquelle il quitte tout ; mais la femme, qui n’existait d’abord que dans le corps et dans la chair de l’homme primitif[45], est encore moins faite pour vivre seule. Elle n’a été séparée que pour être réunie ; la liberté que vous lui donnez n’est que la solitude ou la honte. Pour elle, n’appartenir à personne ou appartenir à tout le monde est un égal démenti de la destinée que Dieu lui a faite. La femme a été créée pour appartenir à un maître qu’elle possède.


VI.

J’ai voulu opposer les uns aux autres les argumens pour et contre le théâtre, sans dissimuler mon penchant vers les argumens qui justifient le drame, sinon tel qu’il est, du moins tel qu’il pourrait être, plus disposé à partager le sentiment du père Porée que celui de Nicole. Je m’aperçois cependant, en relisant ce trop long travail, que j’ai oublié un argument du prince de Conti contre le théâtre. Comme cet argument est celui qui m’a le plus ébranlé, je ne dois pas le laisser de côté : « Eh bien ! oui, dit le prince de Conti, j’avoue que les héroïnes de Corneille sont tout à fait honnêtes, puisqu’il a plu ainsi au poète ; mais en vérité y a-t-il personne de tous ceux qui sont les plus zélés défenseurs d’une si mauvaise cause qui voulût que sa femme ou sa fille fût honnête comme Chimène et comme toutes les plus vertueuses princesses du théâtre ? » Le prince de Conti a raison : j’aime et j’admire Chimène, j’aime et je respecte Pauline. Pourquoi donc ne voudrais-je pas que Chimène fût ma fille, ou que Pauline fût ma femme ? Pourquoi ! sinon parce qu’il y a un abîme entre le théâtre et la famille, parce que la morale du théâtre n’a rien qui soit assez simple et assez sûr pour les scrupules d’un père ou d’un mari. C’est là, je ne le cache pas, le plus grand argument contre le théâtre, argument qui ne conclut pas à proscrire le drame, mais à faire en sorte que l’imitation n’en pénètre jamais dans la vie privée et dans la famille.


SAINT-MARC-GIRARDIN.

  1. Voyez la livraison du Ier décembre 1853 et antérieurement les divers chapitres de cette série dans la Revue du 1er  janvier, du 15 février, du 1er  mai, du 1er  août, du 15 novembre 1852, du 15 juin et du 15 septembre 1853.
  2. Le discours sur l’inégalité des conditions.
  3. Voyez ce que j’ai cité de son discours sur l’Économie politique.
  4. Lettre à M. d’Alembert, p. 189. édition Furne.
  5. Tusculanes, livre 4.
  6. Sénèque, lettre 7.
  7. « Quod tibi vitandum præcipue existimes, quæris ? Turbam. Ego certe confiteor imbecillitatem meam : nunquam mores quos intuli, refero… Inimica est multorum conversatio. »
  8. ….. Ludi quoque semina præbent nequitiæ : tolli tota theatra jube. — Tristes, liv. II, épit. 1re, v. 280.
  9. Annal., liv. XIV, ch. 20.
  10. Voyez les lettres de Casiodore, livre III.
  11. Salvien, de Gubernatione Dei, liv. VI.
  12. Ibid.
  13. Projet du théâtre, à la suite de la Pratique, par l’abbé d’Aubignac, t. 1er , p. 354.
  14. Projet du théâtre, à la suite de la Pratique, p. 355.
  15. Un de nos jeunes professeurs, M. Boissière, a montré tout récemment (Athenœum français du 24 juin) comment sous l’inspiration du goût public Corneille, dans les éditions successives de son théâtre, avait épuré son style. Cette collation des éditions de Corneille de 1633 à 1682, quoique faite seulement sur Mélite, est une excellente leçon de critique.
  16. Trait excellent du portrait d’Arnauld sous le nom de Timante dans la Clélie, t. VI, p. 1142.
  17. Les Visionnaires, lettre Ire. — Les Visionnaires, qui sont la suite des Imaginaires, sont des lettres faites par Nicole pour défendre Port-Royal contre Desmarets. Depuis les Provinciales, tous les débats se traitaient en lettres. La mode y était ; mais les imitateurs restaient loin du modèle.
  18. Racine, t. VI, édit. de La Harpe, 1807, p. 6.
  19. Ibid, t. VII, p. 517.
  20. Auteur d’un Bolœana publié en 1743.
  21. « Les spectacles sont-ils des œuvres de Satan ou des œuvres de Jésus-Christ ?… Quoi ! les spectacles tels que nous les voyons aujourd’hui, plus criminels encore par la débauche publique des créatures infortunées qui montent sur le théâtre que par les scènes impures ou passionnées qu’elles débitent, les spectacles seraient les œuvres de Jésus-Christ ! Jésus-Christ animerait une bouche d’où sortent des airs profanes et lascifs ! Jésus-Christ formerait lui-même les sons d’une voix qui corrompt les cœurs ! Jésus-Christ paraîtrait sur les théâtres en la personne d’un acteur ou d’une actrice effrontée, gens infâmes selon les lois des hommes !… Non ! ce sont là des œuvres de Satan ! » (Sermon sur le petit nombre des élus.)
  22. Lettres de Boileau, édit. De Berryat Saint-Prix, t. III. P. 128.
  23. Traité sur la Comédie, par le prince de Conti, 1666, p. 26-27.
  24. Ibid., p. 35. — Je ne puis pas ne point citer ici le jugement singulier que le prince de Conti fait de Cinna : « Y a-t-il personne qui ne songe plutôt à se récrier, en voyant jouer Cinna, sur toutes les choses tendres et passionnées qu’il dit à Emilie, et sur toutes celles qu’elle lui répond, que sur la clémence d’Auguste, à laquelle on pense peu, et dont aucun des spectateurs n’a jamais pensé à faire l’éloge en sortant de la comédie ? » Aujourd’hui au contraire, si je ne me trompe, c’est la clémence d’Auguste qui nous touche et nous émeut. Les amours de Cinna et d’Emilie nous intéressent peu.
  25. Poésies chrétiennes et morales de Godeau, 1662, p. 446.
  26. Nicole, Essais de morale, t. III, p. 237, Traité sur la Comédie.
  27. Chap. V, vers. 20.
  28. Essais de morale, t. V, p. 366.
  29. Livre III.
  30. Essais de morale, t. V, p. 376.
  31. Je me sers de la traduction que le père Brumoy fit du discours du père Porée. En traduisant ce discours, le père Brumoy donnait une nouvelle preuve de la persévérance des jésuites dans la doctrine des casuistes sur le théâtre.
  32. Monseigneur l’archevêque de Paris vient de faire jouer une pièce de Plaute par les élèves de son petit séminaire, qui, dit-on même, l’ont très bien jouée.
  33. « Istud amatorium tragædiæ genus… »
  34. Voir l’excellente notice biographique et littéraire que vient de publier M. Alleaume sur le père Porée et sur son frère l’abbé Porée. Les deux frères méritaient un historien, et ils ne pouvaient pas en avoir un plus savant et un plus spirituel que M. Alleaume.
  35. J’emprunte cette curieuse citation à un article judicieux et piquant écrit dans la Revue de l’Instruction publique (mars 1853) par M. Rigaud, que je me félicite d’avoir pour collaborateur aux Débats.
  36. Bossuet 1694, Rousseau 1758.
  37. Rousseau, tome III, page 119.
  38. Saint Chrysostôme, édition Gaume, tome VII, page 477.
  39. Édition de Rousseau de 1791. Réponse de d’Alembert, tome XVI, page 342.
  40. Tome III, page 133.
  41. Page 121.
  42. Robortello, commentateur italien de la Poétique d’Aristote au XVIe siècle.
  43. Apologie du Théâtre, préface, 1630.
  44. Bossuet, édition Lefèvre 1836, tome XI, page 151.
  45. Bossuet, Elévation sur les mystères, page 37.