Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Chapitre préliminaire

G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 13-18).

JEAN-DANIEL DUMAS


CHAPITRE PRÉLIMINAIRE


Parmi les divers changements et bouleversements opérés par la Révolution française, il y en eut de bons, comme il y en eut de mauvais.

Celui qui eut pour effet de niveler toutes les classes de la société au point de vue militaire, fut certainement utile à la France : il permit à de nombreux sujets, issus des rangs du peuple, de faire leur chemin sans entraves et d’illustrer leur pays en se distinguant eux-mêmes.

Le Consulat, et l’Empire surtout, ont produit un grand nombre d’hommes distingués. La troisième République vient de montrer au monde entier que la France d’aujourd’hui n’a pas dérogé, qu’elle n’est pas moins féconde en hommes de talent, et même de génie. Les maréchaux Joffre et Foch en sont d’incomparables exemples. Voilà deux noms — pour ne citer que les plus illustres chefs — qui, dès maintenant, ont pris le premier rang dans l’Histoire. Et quelle place admirable ! Ces héros ont atteint l’apogée de la fortune et de la gloire en défendant leur patrie menacée de destruction par l’invasion des barbares, et non en combattant pour opprimer les nations et anéantir les peuples. Leur gloire est désormais immortelle.

Il est peu d’exemples, sous l’ancien régime, de plébéiens qui aient réussi à s’élever aux grades suprêmes de l’armée française. Il fallait une combinaison rare de talents, d’énergie et d’ambition, secondée d’extraordinaires conjonctures. En général, les hauts commandements étaient réservés aux membres de l’aristocratie toute puissante qui faisaient leur carrière des armes.

Était soldat qui voulait, et souvent même, qui ne voulait pas. Les sergents recruteurs n’étaient pas toujours guidés par l’honneur dans leurs modes de recrutement. Tous les moyens leur servaient, les recrues étant payées par tête. Mais parvenir au grade d’officier était pour un roturier chose excessivement difficile, à moins d’être protégé par quelque personnage bien en Cour. À cette époque le simple soldat ne portait pas encore le bâton de maréchal dans son sac.

L’on a vu ainsi, un Chevert, né de parents pauvres et obscurs, entré au service comme simple soldat, gravir tous les degrés de l’échelle militaire jusqu’à celui de lieutenant-général des armées du roi, après avoir fourni une carrière des mieux remplies et des plus honorables. C’était l’exception rare qui confirmait la règle presque absolue.

Or, Jean-Daniel Dumas fut l’un de ces hommes qui, partis du dernier échelon, lentement, patiemment, à force de travail, d’honnêteté et de bravoure, réussirent à atteindre un sommet élevé dans la hiérarchie militaire française du xviiie siècle. La victoire retentissante de la Monongahéla, la bravoure et l’habileté dont il fit preuve à la tête de l’aile droite à la bataille des Plaines d’Abraham, puis, sa belle retraite de Jacques-Cartier à Montréal, constituent les brillants faits d’armes de sa carrière au Canada. En vertu de ces exploits signalés, il eut accès aux hauts commandements.

Les noms des parents, la date et le lieu même de la naissance de M. Dumas nous sont demeurés inconnus. En dépit des plus actives recherches, il a été impossible d’éclaircir le problème.

Est-il originaire de France ou du Canada ? Personne encore ne semble le savoir ; personne, du moins à notre connaissance, n’en a jusqu’ici fait mention. Mgr Tanguay lui-même garde le silence. Dans une note il affirme seulement que M. Dumas remplaça M. de Beaujeu comme commandant à la bataille de la Monongahéla, qu’il commanda les troupes de la Marine sous M. Rigaud de Vaudreuil dans l’expédition contre le fort George en 1757, qu’en 1759, il fut fait major général et inspecteur des troupes de la colonie, qu’il subit un échec à la Pointe-Lévis, et enfin qu’il était à Montréal lors de la capitulation de cette ville. Le renseignement historique est pauvre ; le généalogique, nul.

M. Bibaud a écrit dans le Panthéon Canadien :

« Dumas (C.), un des plus illustres guerriers qu’ait produits le Canada, acheva la victoire de la Monongahéla après la mort de Beaujeu, et lui succéda dans le gouvernement de l’Ohio. Il fit, du fort Duquesne, des incursions dans la vallée, et jusque dans la Pennsylvanie, enlevant le fort Grenville, à 20 lieues de Philadelphie. Créé major général des troupes de la marine, il brûla la flottille anglaise, de 300 bateaux, sous le fort George, dont il assura ainsi la chute. Sa gloire ne fit qu’augmenter dans la funeste campagne de 1759, malgré son échec à la Pointe-Lévis. Après la victoire de Sainte-Foye, Québec assiégé, ayant été secouru par les vaisseaux anglais, Dumas fut laissé dans le gouvernement de Québec avec un camp volant, y fit une campagne ou guerre de postes, puis retraita pied à pied devant Murray allant donner la main à l’armée d’Amherst devant Montréal. Ayant émigré après la capitulation générale qui eut lieu, il devint participant des victoires du fameux bailli de Suffren, puis gouverneur des îles de France et de Bourdon. On a de lui : Mémoires sur les limites de la Nouvelle-France, et il paraît avoir laissé un fils qui s’est distingué dans la géographie et l’hydrographie. »

Que désigne, dans ce texte, la capitale (C) entre parenthèse ? M. Bibaud le sait-il ? Il ajoute : « Un des plus illustres guerriers qu’ait produits le Canada. » Ne fait-il pas du héros un Canadien d’origine ? « lequel émigra après la capitulation.» C’est une double erreur. Mais si cet historien a voulu simplement laisser entendre que M. Dumas, originaire de France, est une de nos gloires nationales, puisqu’il s’est illustré au pays, nous ne lui chercherons pas querelle. Bien au contraire, nous lui en saurons gré. Ne regardons-nous pas, précisément, et avec raison, Champlain, Frontenac et Montcalm comme nôtres ?

M. Francis Parkman dans son étude sur Montcalm and Wolfe, a recueilli quelques renseignements additionnels sur les services du vainqueur de la Monongahéla, au fort Duquesne, dans la vallée de la Belle-Rivière (l’Ohio), et à Québec, avant, durant et après le siège de 1759. Cet auteur semble avoir mieux connu et mieux apprécié M. Dumas que ne l’avaient fait ses prédécesseurs.

M. Garneau et l’abbé Ferland ne présentent rien de neuf en ce qui concerne le personnage.

L’abbé Daniel, dans son Histoire des Grandes Familles françaises du Canada, en fait si peu de cas, qu’il ne place même pas dans la liste des « noms mentionnés dans cet ouvrage » celui de Dumas, quoiqu’il apparaisse dans six pages différentes du livre. Cet auteur est partial envers M. de Beaujeu qu’il exalte à l’excès, aux dépens de MM. de Contrecœur et Dumas.

Le Nouveau Dictionnaire historique, géographique et biographique publié en appendice du Petit Larousse (5e édition, Montréal, Beauchemin, 1889), ainsi que le Nouveau Dictionnaire Universel Illustré de Mgr Guérin, ne reproduisent que les médiocres données déjà connues. Il en est de même des Tableaux synoptiques de l’Histoire du Canada du R. P. Le Jeune. Enfin, le Siege of Quebec, par M. A. G. Doughty, et une note du même auteur dans Knox’s Historical Journal, ajoutent encore quelque chose à nos connaissances sur M. Dumas.

En résumé, il y a une place honorable dans l’Histoire du Canada, que l’on doit réserver à la biographie de ce personnage. N’est-il pas surprenant qu’un homme de la valeur de M. Dumas soit resté si longtemps à peu près inconnu de nos historiens !