Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Année 1759

G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 95-99).

Année 1759

L’année 1759 s’annonçait donc terrible. Malgré les pressantes sollicitations de MM. de Bougainville et Doreil, les ministres ne firent presque rien,[1] et la colonie pressurée par l’infâme Bigot et son abominable clique, était aux abois. Il est vrai que les ministres voulurent tenter une diversion en organisant une descente en Angleterre, en Écosse et en Irlande ; mais elle échoua misérablement grâce à l’espionnage, au début même de son exécution. Le Havre bombardé, l’amiral Laclue défait par l’amiral Boscawen et la destruction de la flotte du comte de Conflans fuyant devant celle de l’amiral Hawke, mirent à néant le projet audacieux des ministres.

Le chevalier de Lévis cependant, ne semblait pas avoir perdu tout espoir. « Quoiqu’il paroisse que nous allons être vivement attaqués, » écrivait-il, « je ne crains pas que les ennemis puissent nous réduire dans une seule campagne. Nous devons tout attendre de la valeur des troupes, de la bonne volonté des Canadiens et de la bonne disposition où les sauvages sont à notre égard. »[2] Il était bon prophète. L’entreprise exigea deux campagnes.

Voulant concilier les esprits et rétablir la concorde dans la colonie, le roi avait distribué quelques croix de Saint-Louis et fait des promotions dans l’armée, ainsi que dans les troupes de la Marine. Parmi ces dernières, une des mieux méritées était certainement celle qui fut accordée à M. Dumas. Le 1er  janvier le roi l’avait, en effet, nommé major général inspecteur des troupes de la Marine en Canada,[3] ce qui lui donnait le rang, sinon le titre, de colonel.[4]

La lettre suivante, adressée au marquis de Vaudreuil par le Président du Conseil de Marine, accompagnait le brevet officiel :


À Versailles, le 20 janvier 1759.


« Monsieur,

« Vous avez été informé l’année dernière, que le Roi n’avoit suspendu de remplir les places

vacantes dans le militaire de Canada que parce que, d’un côté, elles étoient en petit nombre et que de l’autre il convenoit d’en réserver quelqu’une pour récompenser les actions d’éclat qui pourraient mériter des grâces extraordinaires. Les actions de détail, et surtout la journée du 8 juillet ont confirmé Sa Majesté dans la bonne opinion qu’Elle avoit conçue et des troupes qu’Elle a fait passer de France et de celles qu’Elle entretient dans la Colonie. Sa Majesté a vu avec plaisir le fort que les compagnies de Canada ont eue à cette affaire. Vous verrés par la promotion que je joins ici des marques certaines de la satisfaction et de la confiance qu’Elle a dans les propositions que vous avés faites pour les officiers.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sa Majesté a bien voulu, sur les représentations que vous avés faites, créer un major général inspecteur des troupes et trois aide majors pour en placer un dans chacune des trois villes de la Colonie. La majorité a été accordée au sieur Dumas et les aide majorités aux sieurs de Meloise avec le grade de capitaine à Québec, de Charly à Montréal avec le grade de lieutenant, et aux Trois-Rivières le sieur de Longueuil le fils avec le même grade de lieutenant. »

Comme on le voit, les mérites de M. Dumas étaient hautement reconnus par le roi qui avait créé expressément pour lui un grade nouveau : le plus haut que pût atteindre un officier dans les troupes de la colonie. Les recommandations de MM. de Vaudreuil et de Lévis avaient porté leurs fruits. Aussi M. Dumas devait-il reconnaître leur bienveillance à son égard, et se rendre digne de nouvelles faveurs, en remplissant avec zèle et habileté les nouvelles fonctions dont le roi venait de l’honorer. Les événements lui en fournirent bientôt l’occasion.



  1. Voici ce que dit M. Thomas Chapais, parlant de Bougainville, dans Montcalm, page 513 et seq. : « Après trois mois d’instances, de sollicitations, d’allées et venues, d’entrevues avec M. Berryer, le maréchal de Belle-Isle et madame de Pompadour, qui « était alors premier ministre » (Journal de Bougainville), il écrivait en chiffres à Montcalm et à Vaudreuil : « Pour toutes troupes trois cents hommes de recrue, quatre ingénieurs, vingt-quatre canonniers ou ouvriers. Munitions de guerre, vivres dans deux vaisseaux marchands partis de Bayonne le 16 février, Vingt autres partis de Bordeaux, quatre frégates de Brest et de Rochefort, commandées par capitaines corsaires, quelques autres parties d’autre part, nul vaisseaux de guerre… »

    « Mais si les secours obtenus étaient misérables, les faveurs accordées étaient brillantes.

    «…Mais la Cour ne s’en tint pas là ; et, se voyant incapable de secourir efficacement la colonie agonisante, elle sembla vouloir dédommager ses défenseurs en les comblant de récompenses. »

  2. Le chevalier de Lévis au maréchal de Belle-Isle, 17 mai 1759.
  3. Brevet de major général inspecteur des troupes en Canada.

    Aujourd’hui premier janvier 1759, Le Roy étant à Versailles et voulant donner au Sieur Dumas, major de Québec en Canada, de nouvelles marques de sa satisfaction en le mettant à portée d’en donner lui-même, de son zèle, de sa capacité et de son expérience, Sa Majesté l’a retenu, ordonné et établi, retient, ordonne et établit major général inspecteur des troupes qu’Elle entretient en ladite colonie de Canada pour en ladite qualité faire l’inspection desdites troupes, les discipliner, prendre soin qu’elles soient bien entretenues, leur faire faire l’exercice militaire, faire vivre les soldats qui les composent en union et concorde, et généralement remplir tous les autres détails relatifs auxdites troupes et indépendants des fonctions des majors des places de ladite colonie, voulant Sa Majesté qu’en ladite qualité il ait le rang, les honneurs, les prérogatives et l’autorité de lieutenant pour Elle, pendant le temps seulement qu’il sera en campagne, et qu’il jouisse au surplus des apointemens qui lui seront ordonnés par les états qui seront expédiés à cet effet, le tout sous l’autorité du gouverneur son lieutenant général de la Nouvelle-France, auquel mande Sa Majesté de faire reconnoitre ledit Sieur Dumas en ladite qualité de major général inspecteur desdittes troupes et de le faire obéir et entendre de tous ceux et ainsy qu’il appartiendra et choses concernant ladite charge. Et pour témoignage de sa volonté Sa Majesté m’a commandé d’expédier le présent brevet, qu’Elle a voulu signer de sa main et être contresigné par moy son Conseiller Secrétaire d’État et de ses commandemens et finances. Archives du Canada. Série F., vol. 257, p. 72)

  4. Si l’on en excepte les majors de places, officiers supérieurs chargés du détail et de la surveillance du service, il n’existait pas, avant la nomination de M. Dumas au poste de major général inspecteur des troupes de la Marine au Canada, de grade supérieur à celui de capitaine, dans ces troupes. Voir la lettre du ministre de la Marine au duc de Choiseul, ministre de la Guerre, en date du 6 mars 1761 (p. 95). Mais, dans la liste des officiers devant être transportés en France, après la capitulation de Montréal, le marquis de Vaudreuil mettait M. Dumas au rang d’un colonel dans l’armée de terre. Voir Rapport sur les Archives canadiennes pour l’année 1886, p. clxxiii.