Je ne trompe pas mon mari


& René Peter
Je ne trompe pas mon mari
Comédie en trois actes
Librairie Théâtrale, Artistique & Littéraire.

Comédie en trois actes

Représentée pour la première fois à Paris,

Le 18 février 1914,

Sur la scène du théâtre de l’Athénée

Et reprise sur la même scène le 9 décembre 1916

Ecrite en collaboration avec

René Peter

Personnages

Création. Reprise.
Saint-Franquet MM. Lucien Rozenberg. Lucien Rozenberg.
Des Saugettes Paul Ardot. Louvigny.
Plantarède Cazalis. Fertinel.
Tommy Dillon. Laverne.
Le Gérant Cousin. Bénédict.
Giclefort Papoz. Chambéry.
Le joueur de tennis Gauthier. Antonin.
Le Garçon Darbray. Leriche.
Le Chasseur Hugnon. Reyval.
Victor Dubourdieu. Chuquet.
Bichon Mmes Betty Daussmont. Armande Cassive.
Micheline Lucile Nobert. Lucile Nobert
Dotty Alice Nory. Camille Calvat.
Mme Giclefort Virginie Rolland. Virginie Rolland
Sophie Rose Grane. Marco.
La joueuse de tennis Jivry. Faontanne.
Voyageurs et voyageuses.

Premier acte, à Châtel-Sancy (Auvergne).
Deuxième et troisième actes, à Paris, chez Saint-Franquet.
De nos jours.

Au deuxième acte, chanson agrache, musque d’Albert Chantrier.

Pour la mise en scène, s’adresser à la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques, 12, re Henner, Paris.

A Châtel-Sancy. — Fond de campagne, collines. A gauche, la façade du Modern-Hôtel. Trois fenêtres de façade, une troisième en retour ; petit perron. Au fond, sentier, descendant, derrière une haie de fusains, jusqu’à la route, est en contrebas, invisible par conséquent du public. A droite, le tennis, dont on ne voit que la lisière formée par un grand filet, le long d’une pelouse. Le filet ne descend pas tout à fait à l’avant-scène, de façon à laisser un passage. Passage également réservé, au lointain, dans le filet. Devant le filet, un banc. Autre banc, au milieu, devant un rond de gazon, surmonté d’une stèle portant un vase de fleurs. A gauche, près de l’hôtel, table de fer et deux chaises de jardin.

Avant le lever du rideau, on entend le brouhaha des gens qui jouent, au tennis. Peu à peu, on distingue : « Ready !… Play !… A vous, à vous !…. Bravo !… A vous, à vous !… Outside ! Oh ! zut ! Quinze pour nous ! » etc.

Scène première

Le Garçon, puis le Gérant de l’hôtel, puis la Bonne du premier, puis M. et Mme Giclefort

Au lever du rideau, le garçon nettoie la table, époussette les chaises. Dans-le tennis, la partie continue. Paraît le gérant, arrivant du fond ; il est chargé d’un lourd panier rempli de provisions.

Le Gérant, s’épongeant et soufflant.

Oh ! là là là ! Ouf ! J’en ai ma claque. Tenez, Lamiche, débarrassez-moi.

Le Garçon.

Oui, Monsieur Godache. Ah ! ben, Monsieur Godache a plutôt chaud.

Le Gérant.

Je sue, mon ami, je sue ! Il n’y a pas d’autre mot. Ce sacré marché est en plein soleil…

Le Garçon.

Et nous avons trente-six à l’ombre !

Le Gérant.

Quel été ! C’est à crever. On se demande quand il pleuvra. Avec ça, je me suis pressé ; j’avais peur de n’être pas là pour l’arrivée de la gare.

Le Garçon. — Monsieur n’avait donc pas sa montre ?

Le Gérant. — Si ; seulement, je n’avais pas l’heure. J’ai une montre excellente ; mais qui a des fantaisies.

Le Garçon. — Ah !

Le Gérant. — Elle ne varie pas d’une demi-minute par jour ; mais par moments, elle s’arrête pendant une heure… et puis elle repart… très bien.

Le Garçon. — Oui, ça ne m’étonne pas… J’ai eu une cousine qui était comme ça. Elle avait des syncopes ! et puis, une fois que c’était passé…

Le Gérant. — Elle marchait très bien.

Le Garçon. — Oui.

Le Gérant. — Voilà, c’est comme ma montre. Allons, venez ! (Le poussant.) Allez, allez ! (Depuis un instant, la bonne a paru à la fenêtre et secoue une descente de lit. Au moment où le gérant va entrer dans l’hôtel, le tapis tombe des mains de la bonne, sur la tête du gérant.) Oh ! faites donc attention, Sophie !

La Bonne. — Oh ! pardon, Monsieur !

Le Gérant. — C’est insupportable.

La Bonne. C’est la descente de lit de Madame Plantarède.

Le Gérant. Ça ne la rend pas plus agréable pour ça. Si c’était tombé sur un client !…

La Bonne. — Oh ! j’aurais fait attention.

Le Gérant. — C’est charmant pour moi.

Mme Giclefort, sortant de l’hôtel en trottinant, à Giclefort qui la suit. — Viens, Bijou, viens ! Tu as les pliants, les ombrelles ?

Giclefort. — J’ai les pliants, j’ai les ombrelles. (Au gérant) Bonjour, Monsieur Godache.

Mme Giclefort. — Monsieur Godache, nous ne déjeunerons pas à l’hôtel ce matin.

Le Gérant. — Madame nous fait des infidélités ?

Mme Giclefort, minaudant. — Oh ! ce n’est pas moi ! Quand il y a une infidélité, c’est toujours un homme. Mais enfin, comme c’est avec moi !… (A Giclefort.) N’est-ce pas, Benjamin ?…

Giclefort. — Oui, ma chérie.

Mme Giclefort, au gérant. — Nous déjeunons à la Rochemabelle.

Le Gérant. — Ah ! ah !… Vous déjeunerez bien mal.

Mme Giclefort. — Oui ! mais il y a le point de vue !

Le Gérant. — Ben oui ; mais ça ne se mange pas.

Giclefort. — Heureusement ; il n’en resterait plus !

Mme Giclefort. — Oh ! oh ! charmant ! Qu’il est spirituel ! On parle de Courteline !

Le Gérant. — Alors, vous allez aller déjeuner à la Rochemabelle !

Giclefort. — Ben oui, pour une fois !…

Le Gérant. — Drôle d’idée !… quand chez moi on peut… Mais au fait, vous êtes à la pension ici… vous n’êtes pas à la carte !

Mme Giclefort. — Non ! non !…

Le Garçon. — Ah ! oui. Oh ! bon ! Alors, ça va bien !… Vous savez, je dis qu’on mange mal à la Rochemabelle. Après tout, je n’en sais rien !

Giclefort. — Et puis, enfin, nous sommes en partie fine ; ce qu’on mange importe peu…

Le Gérant. — Voilà ! comme deux amoureux…

Giclefort. — Eh ! oui !…

Mme Giclefort. — Ah ! le fait est ! Je ne sais ce qu’a monsieur Giclefort… si c’est l’effet des eaux d’ici ! Vraiment, il y a des moments… (Petit frisson amoureux.) Ah !…

Giclefort, avec satisfaction. — Je suis en voix ! oui, je suis en voix.

Mme Giclefort, toussant, pudique. — Hern !…

Le Gérant, à Giclefort. — Allons donc ?

Giclefort, à madame Giclefort. — Dis-donc, raconte un peu, cette nuit…

Mme Giclefort. — Voyons ! voyons ! tu n’as pas honte ! à notre âge !

Giclefort. — Eh bien, quoi, à notre âge !… nous avons soixante-six printemps ; mais c’est toujours des printemps !

Mme Giclefort, minaudant. — Allons ! Allons !

Giclefort. — Et quand je dis soixante-six !… J’en ai que soixante-cinq. C’est madame Giclefort qui est l’aînée… Moi, je suis le gigolo !

Mme Giclefort. — Oui. Eh bien, alors, viens, le gigolo ! Tu as ton châle, oui ?

Giclefort. — J’ai mon châle, oui ! mais je suis le gigolo !… (Trottant fièrement.) je suis le gigolo !

Ils sortent de droite. Bruit de grelots au lointain.

Le Gérant. — Ah ! l’omnibus de l’hôtel. (Appelant.) Lamiche ! Potinet !

Voix du chasseur. — Voilà !…

Scène II

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Le Gérant, le Chasseur, le Garçon, puis Des Saugettes, puis Sophie, puis Bichon, puis Voyageurs, Voyageuses.

Le Gérant, au chasseur qui paraît. — L’omnibus, mon garçon !

Le Chasseur. — Oui, monsieur, je l’avais entendu.

Le Garçon, au chasseur. Viens, Potinet !

Ils sortent par le fond.

Des Saugettes, arrivant en courant, de droite, et au gérant. — Bonjour, monsieur ! Je vous demande pardon… C’est madame Plantarède qui m’envoie chercher une gaze de soie ponceau qu’elle a laissée dans sa chambre

Le Gérant. — Une gaze de soie ?

Des Saugettes. — Oui ; vous savez, qu’elle se met autour du cou.

Le Gérant. — Oui… Enfin, la bonne saura. (Appelant.) Sophie !

Sophie, à la fenêtre. — Monsieur ?

Le Gérant. — Sophie, voyez donc : une soie de gaze…

Des Saugettes, rectifiant. — Une gaze de soie…

Le Gérant. — Enfin, un cache-nez à Madame Plantarède ! dans sa chambre.

Des Saugettes. — Ponceau !

Sophie. — Ponceau ?

Des Saugettes. — Oui.

Sophie. — Je vais voir.

Des Saugettes. — S’il vous plaît ! (Sophie disparaît. Au gérant.) Merci bien.

Bichon, à travers le filet. — Monsieur !

Des Saugettes, étonné. — Moi ?

Bichon. — Bonjour, m’sieur.

Des Saugettes, étonné. — Bonjour, mademoiselle.

Bichon, indiquant une balle hors du filet. La balle, là !

Des Saugettes. — Ah ! pardon !

Il la ramasse.

Bichon. — S’il vous plaît ! (Prenant la balle que lui tend Des Saugettes.) Merci.

Des Saugettes. — De rien !… (Bichon disparaît. Au gérant.) Quelle est cette jeune fille ?

Le Gérant. — C’est une cocotte.

Des Saugettes. — Ah !

Le Gérant. — Déléguée par le Gouvernement pour le séjour du shah de Perse.

Des saugettes. — Ah ?

Sophie, à la fenêtre. — M’sieur !

Le Gérant, Des Saugettes. — Quoi ?

Sophie. — Qu’est-ce que c’est, "ponceau" ?

Des Saugettes. — Hein ? Ponceau !

Le Gérant. — Il vous a fallu tout ce temps-là pour le demander ?

Sophie. — Je cherchais dans mes souvenirs.

Le Gérant. — Ponceau, c’est violet.

Des Saugettes. — Oh ! non, non ! ponceau, c’est rougeâtre.

Le Gérant. — C’est ça ! prune.

Des Saugettes. — Si vous voulez ! prune à monsieur ; mais prune à monsieur pas tout à fait mûre.

Sophie. — Oui, enfin… un mou de veau pas cuit ?

Des Saugettes. — Voilà !… dans les grenat… Enfin, ponceau.

Sophie. — Je vois ça.

Elle disparaît.

Le Gérant, voyant les voyageurs qui arrivent, montant le sentier, avec les porteurs chargés de valises et de sacs. — Je vous demande pardon, voici les voyageurs.

Des Saugettes. — Faites donc !

Le Chasseur. — Par ici, Messieurs dames !

Le Gérant. — Messieurs dames désirent des chambres ?

Quelques Voyageurs. — S’il vous plaît.

Le Gérant, à un de ses hommes. — Mon registre.

Premier Voyageur. — Moi, avec un cabinet de toilette.

Le Gérant. — Parfaitement, vous ferez voir le 15 ou le 19. Et Monsieur et Madame, chambre à un grand lit ou deux lits ?

Deuxième Voyageur. — Deux lits ! Nous sommes mariés.

Le Gérant. — Très bien, très bien ! Le 14 pour Monsieur et Madame. ( Aux deux autres voyageurs.) Et Monsieur et Madame ? Un grand lit ou deux lits ?

La Voyageuse. — Mais, je ne connais pas monsieur.

Le Gérant. — Oh ! pardon, pardon ! je croyais que Monsieur et Madame étaient ensemble.

La Voyageuse. — Hein !

Troisième Voyageur. — Non, non !… pas encore

La Voyageuse, scandalisée. Comment, pas encore !

Le Gérant. — En attendant, deux chambres séparées, bien. Le 9 et le 11.

Le Voyageur. — C’est ça.

La Voyageuse. — Mais… on se touche ?

Le Gérant. — On se t… ? Ah ! les chambres ! Ah ! oui, oui, on se touche… Oh ! mais il y a un verrou de chaque côté !

La Voyageuse. — Oh ! alors…

Le Gérant. — Si ces Messieurs dames veulent bien inscrire leurs noms, profession et adresse sur le registre.

Les Voyageurs. — Volontiers.

Des Saugettes, au gérant. — Dites-donc, monsieur, c’est pas pour dire ; mais elle y met le temps, votre bonne !

Le Gérant, appelant. — Eh bien, Sophie, voyons !

Sophie, à la fenêtre. — Mais, monsieur, je cherche !

Le Gérant, répétant, en l’imitant. — Ah ! je cherche ! je cherche !

Petit coup de vent. Quelques papiers s’envolent du registre où s’inscrivent les voyageurs.

Un des Voyageurs, cherchant à rattraper les papiers qui s’envolent. — Oh ! les papiers !

Le Gérant, tandis que le garçon ramasse les papiers. — Il n’y a pas de mal. Un peu de vent, ça fait du bien.

Des Saugettes. — Ça ne m’étonnerait pas que nous ayons de l’orage.

Le Gérant. — Après cette chaleur, ce ne serait pas un mal. Si ces Messieurs dames veulent venir visiter leurs chambres…

Sophie, reparaissant à la fenêtre en tendant une gaze de soie verte. — C’est pas ça ?

Des Saugettes. — Mais non, c’est pas ça ! C’est vert, ça !

Sophie. — Vert-ponceau.

Des Saugettes. — Mais non, pas vert-ponceau ! Vert-aigre ! Vert-pomme !

Sophie. — J’en trouve pas d’autre !

Des Saugettes. — Qu’est-ce que vous voulez !… Allons, jetez ! tant pis ! Je dirai qu’on n’a trouvé que ça. Jetez !

Sophie, lançant la gaze de soie. — Voilà !…

Au même instant, coup de vent qui emporte la gaze de soie vers la mute en contrebas.

Tous. — Ah !

Des Saugettes. — Ah ! la gaze de soie de madame Plantarède sur la grande route !

Le Gérant. — Là ! là ! (A Sophie.) Maladroite, va ! Quand je disais qu’on ne jette pas des choses par la fenêtre !… (Aux voyageurs. ) Par ici, Messieurs dames.

Il rentre avec eux dans l’hôtel.

Des Saugettes, s’élançant vers le fond pour courir après l’écharpe. — Rattrapez-la ! Rattrapez-la ! (Se cognant dans Saint-Franquet, qui paraît au fond.) Oh ! je vous demande pardon, monsieur !

Saint-Franquet. — Faites donc !

Des Saugettes. — Excusez-moi, je cours après une gaze de soie qui file sur la grande route.

Saint-Franquet. — Courez, monsieur, courez !

Des Saugettes, se sauvant. — Pardon !

Scène III

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Saint-Franquet, Le Chasseur, puis Bichon, puis une Joueuse, puis un Joueur de tennis.

Saint-Franquet, au chasseur qui sort de l’hôtel. — Un nouveau sport, sans doute ?

Le Chasseur. — Quoi donc, Monsieur ?

Saint-Franquet. — La course à la gaze de soie.

Le Chasseur. — Ah ! je ne sais pas, Monsieur. Monsieur arrive de la gare ?

Saint-Franquet. — Oui, mon ami.

Le Chasseur. — Monsieur vient pour loger à l’hôtel ?

Saint-Franquet. — Oui. J’ai préféré venir à pied ; mais l’omnibus a dû apporter mes bagages.

Le Chasseur. — Ah ! bon. Monsieur les trouvera dans le hall. Le patron va venir tout à l’heure. (Changeant de ton.) Non, les jeux qu’on joue ici, c’est le golf, le tennis…

Saint-Franquet, recevant une balle de tennis sur le dos. — Oh !

Le Chasseur. — Ça, C’est le tennis.

Saint-Franquet. — Oui, je constate ! C’est bien ma veine ! Il y a une balle dans l’air, elle est pour moi..

Bichon, reparaissant. — Il n’est pas tombé une balle par là ?

Saint-Franquet. — Précisément, madame, sur moi !

Bichon. — Oh ! pardon, monsieur ! Ah… Saint-Franquet !

Elle contourne le filet et vient à lui.

Saint-Franquet. — Bichon ! (A part.).Ah ! zut !

Bichon. — C’est pas terrible qu’on ne puisse pas descendre dans un trou perdu sans trouver des gens de connaissance ?

Saint-Franquet. — Juste ce que je pensais !

Bichon. — C’est pas rigolo ?

Saint-Franquet. — Et… par quel hasard êtes-vous ici ?…

Bichon. — Ah ! ben, je ne t’ai pas dit ! C’est vrai que je ne t’ai pas vu depuis…

Saint-Franquet. — Ah ! On se tutoie ?

Bichon. — Mais dame.

Saint-Franquet. — Bon, bon. Je ne me rappelais plus,

Bichon. — Je ne suis plus avec Boutinot.

Saint-Franquet. — Allons donc !

Bichon. — Je l’ai plaqué.

Saint-Franquet. — Pourquoi ?

Bichon. — Parce qu’il m’a fichue à la porte.

Saint-Franquet. — Non ?

Bichon. — A cause du coiffeur.

Saint-Franquet. — Ah !

Bichon. — C’est pourtant pas ma faute ! C’est lui qui l’avait choisi, le coiffeur, parce qu’il coiffait sa mère.

Saint-Franquet. — Ah ! ben alors !….

Bichon. — Ben oui ! ça lui a pas plu. Il a trouvé qu’un coiffeur pour… Il était très snob, tu sais…

La Joueuse de tennis, paraissant derrière le filet. — Eh bien, Bichon !

Bichon. — Voilà, voilà ! (La joueuse disparaît. A Saint-Franquet.) On va se voir un peu, hein ?

Saint-Franquet. — Mais, certainement.

Bichon. — Puisqu’on se retrouve là, tous les deux ! Ah ! le ciel fait drôlement les choses… J’ai eu un béguin pour toi autrefois, tu sais.

Saint-Franquet. — Allons donc ?

Bichon, s’asseyant sur le banc du milieu. — Quand je pense qu’il n’y a jamais eu rien entre nous !

Saint-Franquet. — Oh ! tu n’aurais pas voulu.

Bichon. — Pourquoi ?

Saint-Franquet. — Boutinot était mon ami.

Bichon. — Eh ben, c’était aussi le mien, quoi !

Saint-Franquet. — C’est vrai !

Bichon. — Tu es le seul de ses amis qui n’ait pas essayé !

La Joueuse de tennis, reparaissant. — Eh bien, Bichon, voyons !

Bichon, se levant. — Mais oui, mon vieux, je viens ! (A Saint-Franquet.) Enfin, on va réparer ça, hein ? J’ai toutes mes journées libres.

Saint-Franquet. — Ah ! Et les nuits ?

Bichon. — Oh ! elles sont prises.

Saint-Franquet. — Ah !

Bichon. — Oui, je suis affectée au shah.

Saint-Franquet- - Comment dis-tu ça ?

Bichon. — Le shah de Perse ! Je suis ici pour lui. Oui, mon cher ! J’ai l’air de rien comme ça… Eh ben, je suis favorite !… pour vingt et un jours… le temps de la cure.

Saint-Franquet. — Mazette !

Bichon. — Ça s’est fait par voie diplomatique ! Le Consul, qui s’est adressé aux Affaires Etrangères, qui s’est adressé à l’Intérieur, qui a délégué quelqu’un de la Préfecture auprès de chez Maxim et c’est moi qui ait été choisie entre toutes, comme la plus jeune, la plus jolie, et puis parce que je n’avais pas l’air d’une grue.

Saint-Franquet. — Mes compliments.

Bichon, se rasseyant. — Alors, tu comprends, naturellement, mes nuits… Oh ! ce ne sont que des actes de présence, parce qu’avec le shah, tu sais !… pfutt !… Ça fait de l’effet comme ça, ou à travers un lion qui brandit un couteau à papier pour couper un soleil ; mais au lit… en amour… Ah ! non, entre nous, eh ben… non !…

Saint-Franquet. — Aha !

Bichon. — Ah ! non, non ! pas de shah ! pas de shah !

Saint-Franquet. — Tu as l’air de parler auvergnat.

Bichon. — C’est que ça dit bien ce que je pense…

Un Joueur de tennis, à travers le filet. — Eh bien, voyons, Bichon ! Joues-tu, ou ne joues-tu pas ?

Bichon, se levant. — Mais voilà, quoi, voilà ! Je cause avec monsieur… Un ami !… (Présentant le joueur à Saint-Franquet.) Un autre.

Saint-Franquet et Le Joueur, s’inclinant. — Monsieur !

Bichon, à Saint-Franquet. — Alors, à tantôt !

Saint-Franquet. — Certainement ! Comment donc ! comment donc !

Bichon, revenant à lui. — D’autant que je ne serais pas fâchée de te causer.

Saint-Franquet, rectifiant. — De causer de moi.

Bichon. — C’est la même chose. J’ai à te causer parce que tu peux me donner un conseil. C’est pour une chose qu’on me propose… une chose… conséquente !

Saint-Franquet, se fichant d’elle. — Conséquente ?

Bichon. — Blague pas, c’est sérieux ! On me propose d’entrer au théâtre, à la Cigale !

Saint-Franquet. — Aha !

Bichon. — Alors, comme t’es peintre, c’est tout de même aussi un peu de l’art !… Qu’est-ce que je dois prendre ? La chanson à diction ou les gommeuses ?

Saint-Franquet. — Ah çà ?… non, mais… Tu chantes donc ?

Bichon. — Ben… à ma façon.

Le Joueur de tennis, qui est resté au fond. — Comme une seringue.

Bichon. — "Comme une Seringue"… là ! l’autre ! Ca ne sait même pas rattraper une balle au tennis, et ça se mêle de juger ! (Reprenant.) Non… c’est-à-dire ; je chante bien, là, comme ça, toute seule… mais c’est l’accompagnement qui me gêne.

Saint-Franquet. — Aha !

Bichon. — Tu comprends, l’orchestre joue un air, on en chante un autre ; il faut que ça aille ensemble. Malgré moi, je chante la même chose que l’orchestre.

Saint-Franquet. — Ah ! diable, c’est grave !

Bichon. — Oui, ah ! Mais le directeur m’a dit que ça n’avait pas d’importance, que j’avais de très jolies jambes.

Saint-Franquet. — Oh ! alors !…

La Joueuse de tennis, reparaissant. — Ah ! ben, non, écoute, Bichon, à la fin !… C’est assommant !

Bichon - Voilà ! voilà ! (A Saint-Franquet.) Au revoir, Gérard. Alors, on se reverra.

Saint-Franquet. — Mais oui, mais oui.

Bichon - C’est ça ! A tantôt !… (En franchissant le filet.) Alors, c’est à qui de servir ?

La Joueuse de tennis. — Mais à toi, mon petit, à toi !

Bichon - Ah ! bon.

Ils disparaissent. Saint-Franquet les regarde partir, puis fait une moue de mécontentement.

Scène IV

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Saint-Franquet, Le Chasseur, Le Gérant

Le Chasseur. — Voici le patron, Monsieur.

Il disparaît par le sentier.

Le Gérant, à Saint-Franquet. — Pardonnez-moi, Monsieur, mais j’ai dû m’occuper des voyageurs qui viennent d’arriver. Monsieur, sans doute, désire une chambre ?

Saint-Franquet. — Ben… plutôt.

Le Gérant. — Bien, Monsieur… Mais, en attendant, puisque j’ai mon registre là… si Monsieur veut me donner son nom ?

Saint-Franquet. — Gérard Saint-Franquet.

Le Gérant. — Ah ! parfaitement.

Saint-Franquet. — Vous me connaissez ?

Le Gérant. — Du tout, Monsieur.

Saint-Franquet. — Ah ! je croyais ! Vous dites : "Ah ! parfaitement ! " comme si…

Le Gérant. — Monsieur m’affirme ; je ne peux pas mettre en doute ce que Monsieur me dit.

Saint-Franquet. — Très juste.

Le Gérant, s’apprêtant à écrire. — Saint-Franquet ?… ou de Saint-Franquet ?

Saint-Franquet. — Comme on veut.

Le Gérant. — Comment, comme on veut ?

Saint-Franquet. — Oui ; j’en ai dans la famille qui mettent "Saint-Franquet", d’autres "de Saint-Franquet". Quand les gens m’empruntent de l’argent, ils m’écrivent "de Saint-Franquet", quand ils me remboursent, ils m’appellent "Saint-Franquet". C’est comme on veut.

Le Gérant. — Alors, si ça ne fait rien à Monsieur, je mettrai "de Saint-Franquet". Ça fait mieux sur la liste des voyageurs.

Saint-Franquet. — Comme vous voudrez. Mais vous ne me le compterez pas sur l’addition…

Scène V

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Saint-Franquet, Le Gérant, Des Saugettes

Des Saugettes, essoufflé, arrivant du fond en brandissant sa gaze. — Ça y est, monsieur ! Je l’ai rattrapée !…

Saint-Franquet. — Ah ?… Je vous remercie bien.

Des Saugettes. — De quoi ?

Saint-Franquet. — D’être revenu pour me le dire.

Des Saugettes. — Oh ! J’suis pas revenu… Il fallait que je repasse par ici pour… Je vous demande pardon, on en a besoin.

Saint-Franquet. — Mais faites donc ! . Je serais désolé !…

Des Saugettes. — Bonjour, monsieur !

Il sort de droite.

Saint-Franquet. — Communicatif, ce jeune homme.

Scène VI

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Saint-Franquet, Le Gérant, M. et Madame Giclefort.

Giclefort, se dirigeant rapidement vers l’hôtel, à Mme Giclefort qui le suit. — Tu m’attends, hein ! tu m’attends !

Mme Giclefort. — Oui. Va, mignon, va !

Giclefort, entrant dans l’hôtel. — C’est ça ! c’est ça.

Le Gérant. — Déjà de retour, Madame Giclefort ?

Mme Giclefort. — Ne m’en parlez pas ! Monsieur Giclefort fait mon désespoir… C’est un véritable gosse ! Figurez-vous qu’il a enlevé sa ceinture de flanelle, sous prétexte qu’il faisait chaud… (Se tournant vers Saint-Franquet.) Oui, monsieur !… Alors, naturellement, il vient d’être pris de ses petites tranchées.

Le Gérant. — Oh !

Mme Giclefort, à Saint-Franquet. — Il a les intestins très délicats ! C’est son côté faible.

Saint-Franquet. — Ah ! vraiment ? Oh !

Mme Giclefort. — Excusez-moi ; mais j’aime mieux monter, parce que, quand je ne suis pas là, il fait tout de travers.

Saint-Franquet, condoléant. — Oh !

Mme Giclefort, révérence. — Excusez-moi !

Elle sort.

Scène VII

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Saint-Franquet, Le Gérant

Saint-Franquet. Communicative aussi, cette dame.

Le Gérant. — Oui… mais, au fait, Monsieur qui est parisien doit en avoir entendu parler ! C’est la Stolzini.

Saint-Franquet. — Quoi ? La fameuse danseuse de l’Empire ! Oh ! comme elle est changée !

Le Gérant. — Ah ! Monsieur la connaît ?

Saint-Franquet. — Du tout. Je dis "comme elle est changée", parce que je suppose qu’elle n’a pas dû toujours être comme ça.

Le Gérant. — Ah ! oui, Monsieur !… Ah ! quel gentil ménage ! si Monsieur savait…

Saint-Franquet. — Ah ! c’est son mari ?

Le Gérant. — Non, c’est son amant.

Saint-Franquet. — Ah !

Le Gérant. — C’est Monsieur Giclefort, le propriétaire de la "Belle Jardinière"…

Saint-Franquet, s’inclinant. — Ah !

Le Gérant. -… de Douai !

Saint-Franquet, refroidi. — Ah !… Enfin, c’est toujours une Belle-Jardinière !

Le Gérant. — Oui ; Monsieur, oui. Alors ; si Monsieur veut venir pour les chambres…

Saint-Franquet. — Ah ! les chambres ! Oui ; oui. Dites-moi donc, il parait que vous en avez de bonnes.

Le Gérant. — Oh ! très bonnes, Monsieur.

Saint-Franquet. — Oui, c’est ce qu’on m’a dit, c’est ce qu’on m’a dit.

Le Gérant, flatté. — Ah !

Saint-Franquet. — Oui. Je connais un peu des personnes qui descendent quelquefois ici… un avoué de Paris, monsieur Plantarède, et sa femme.

Le Gérant. — Monsieur et Mad… Mais ils sont là !

Saint-Franquet. — Hein ! Ils sont là ? Tiens, tiens, tiens ! comme c’est curieux ! ils sont là ! Tiens, tiens, tiens, tiens !… Et… elles donnent sur ici ?

Le Gérant. — Qui ?

Saint-Franquet. — Leurs chambres.

Le Gérant. — Ah ! oui, Monsieur, elles donnent sur ici.

Saint-Franquet. — Aha !… Ce qui fait qu’on voit leurs fenêtres d’où nous sommes ?

Le Gérant. — Naturellement.

Saint-Franquet. — Naturellement.

Le Gérant. — Puisque leurs fenêtres ont vue sur ici, il est évident que d’ici on voit leurs fenêtres.

Saint-Franquet. — C’est évident, c’est évident.

Le Gérant, à part. — Il est un peu godiche. (A Saint-Franquet.) Mais si Monsieur veut, pour lui, j’ai une très belle chambre de l’autre côté.

Saint-Franquet, vivement. — Non !

Le Gérant, rentrant son offre. — Ah ! Pourtant, de l’autre côté, la vue de la campagne…

Saint-Franquet. — J’ai horreur de la campagne.

Le Gérant. — Et puis, il y a une salle de bains.

Saint-Franquet. — J’ai horreur des bains.

Le Gérant. — Ah ! ah !… Affaire de goût, Monsieur, affaire de goût.

Saint-Franquet. — C’est drôle, je ne sais pas pourquoi, il me semble que cette fenêtre-là, ça doit être la fenêtre de la chambre de monsieur Plantarède.

Le Gérant. — Ah ! non ! non, celle-là, elle est libre. Si vous la voulez…

Saint-Franquet, distraitement. — Ah ! ah !

Le Gérant. — Ainsi que la quatrième ; elle est libre également. La quatrième et la première.

Saint-Franquet, répétant machinalement. — La quatrième et la première !

Le Gérant. — Oui, Monsieur.

Saint-Franquet, éclatant. — Mais enfin, nom de Dieu, où sont logés les Plantarède, alors ?…

Le Gérant. — Mais les deux chambres du milieu, Monsieur !

Saint-Franquet. — Eh bien, dites-le, sacré mille millions de trente-six mille vaches !

Le Gérant. — Mais je ferai remarquer à Monsieur que Monsieur ne me l’a pas demandé.

Saint-Franquet. — Ah ! s’il faut tout vous demander !

Le Gérant. — Alors, Monsieur veut-il la quatrième ? Elle est très bien. Et puis, elle est juste à côté de monsieur Plantarède.

Saint-Franquet. — Oui ? Oh ! ben, ça, vous savez…

Le Gérant. — Je ne vous propose pas l’autre, à côté de madame Plantarède…

Saint-Franquet, vivement. — Ah ! pourquoi ça ?

Le Gérant. — Parce qu’elle est sensiblement plus petite…

Saint-Franquet. — Justement ! Très bien ! J’ai horreur des grandes chambres. Il faut faire un kilomètre pour aller du lit à la toilette.

Le Gérant. — Oh ! pas là !

Saint-Franquet. — Et puis, naturellement, celle-là doit être moins chère.

Le Gérant. — Non, C’est le même prix.

Saint-Franquet. — Là ! Eh bien, vous voyez ? "C’est le même prix ! " Je peux avoir pour le même prix une chose que je préfère. Il n’y a pas à hésiter, je prends celle-là. Qu’est-ce que vous voulez, tant pis ! Je serai à côté de madame Plantarède, et puis voilà tout !

Le Gérant. — Oui, Monsieur, oui…

Saint-Franquet. — Après tout, je ne viens pas pour faire du luxe, moi ; je viens pour peindre.

Le Gérant. — Ah !

Saint-Franquet. — Vous devez avoir des choses à peindre, ici ?

Le Gérant. — Oh ! non, Monsieur, tout a été refait cette année. Il y a encore les petits cabinets ; mais on garde ça pour la fin de la saison.

Saint-Franquet. — Quoi ? "Les petits cabinets ! " Je ne suis pas peintre en bâtiment ; je ne sollicite pas une commande.

Le Gérant. Ah ! Monsieur est peintre sur toile ?

Saint-Franquet. — Eh bien, oui !… Vous devez avoir de jolis points de vue, dans les environs ?

Le Gérant. — Dans les environs ? Je vous dirai, je suis du pays, alors je ne connais pas très bien…

Saint-Franquet. — Vous ne savez pas seulement ce qu’il y a de joli ?

Le Gérant. — Oh ! si !… il y a… y a la source.

Saint-Franquet. — Ah ? ben, voilà ! Une source… je te crois ! Elle est bien ?

Le Gérant. — Oh ! très bien.

Saint-Franquet. — Avec de la verdure ?

Le Gérant. — Mais oui !

Saint-Franquet. — Et des arbres ?…

Le Gérant. — Et des arbres.

Saint-Franquet. — De grands arbres ?

Le Gérant. — Oh ! grands !… (Donnant une idée de la hauteur avec sa main.) Enfin… comme ça !…

Saint-Franquet, un peu désappointé. — Ah ! .. de la futaie ?

Le Gérant, qui a mal entendu. — Mais non, Monsieur, pas de la foutaise !

Saint-Franquet. — Je n’ai pas dit : "de la foutaise" ; j’ai dit : "de la futaie".

Le Gérant. — Ah ! pardon.

Saint-Franquet. — N’importe ! Je vois ça : la source ! Quelque chose de poétique, de vaporeux… à la Corot.

Le Gérant, par complaisance. Oui, Monsieur, oui.

Saint-Franquet. — Avec une danse de sylphes, de nymphes, n’est-ce pas ?…

Le Gérant. — Oui, oui…

Saint-Franquet. — D’ondines…

Le Gérant. -… A sept heures et demie tous les soirs ; déjeuner à midi.

Saint-Franquet. — Quoi ? quoi ? à sept heures et demie ?…

Le Gérant. — On dîne…

Saint-Franquet. — Mais je m’en fiche ! C’est pas ça que je vous dis. Je vous parle d’ondines, génies des eaux…

Le Gérant. — Ah ?… J’ai pas ça.

Saint-Franquet. — Vous entendez tout de travers !

Le Gérant. — Alors, je fais monter les colis de Monsieur dans le 13 ?

Saint-Franquet. — C’est ça, c’est ça !

Le Gérant. — Voilà justement monsieur Plantarède.

Il sort. Paraît Plantarède.

Scène VIII

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Saint-Franquet, Plantarède.

Plantarède, un pliant sous le bras, une raquette à la main. (Favoris, type classique de l’officier ministériel.). — Ah ! Saint-Franquet ! ici !

Saint-Franquet, jouant l’étonnement. — Plantarède ! Ah ! bien, par exemple, celle-là !… Si je m’attendais…

Plantarède. — Comment, si vous vous attendiez !… Mais vous saviez bien que nous étions à Châtel-Sancy.

Saint-Franquet. — Hein ! moi ? Pas du tout !

Plantarède. — Quoi, quoi, pas du tout ? C’est moi-même, quand vous m’avez demandé, il y a quinze jours, ce que nous faisions de notre été, qui vous ai dit : "Nous allons à Châtel-Sancy ! "

Saint-Franquet. — A moi ?

Plantarède. — Allons, mon bon ami, voyons, avouez donc que vous êtes venu pour nous retrouver !

Saint-Franquet. — Mais non ! mais non !

Plantarède. — Quoi ! Ça serait gentil…

Saint-Franquet, net. — Je ne vous dis pas… Mais non, je suis venu pour me soigner.

Plantarède. — Ah !… de quoi ?

Saint-Franquet, interloqué. — Quoi, de quoi ?… Ah ! vous voulez savoir de quoi je…

Plantarède. — A moins que ce ne soit un secret…

Saint-Franquet. — Non, non, du tout… Eh bien, voilà ; depuis quelque temps, je suis dans un état de nervosité !…

Plantarède. — Ah ? Ah ?…

Saint-Franquet. — La nuit, par exemple, j’ai des sursauts, comme si une décharge électrique…

Plantarède. — Oui, oui, oui !… Oh ! bien, mon ami, il faut filer au plus vite !

Saint-Franquet. — Comment ?…

Plantarède. — C’est tout ce qu’il y a de plus mauvais pour les nerfs, les eaux d’ici ! Elles sont phosphorées, radioactives… tout ce qu’il y a de plus surexcitant.

Saint-Franquet. — Ah ! aha ! Mais alors, quoi ! les eaux d’ici, c’est pourquoi ?

Plantarède. — Mais pour donner du ton. Elles vous retapent… C’est contre l’épuisement… pour les anémiés, les éreintés.

Saint-Franquet. — Ah ?… ah !… Ah ! bien, voilà ! je le suis, éreinté, je le suis !

Plantarède. — Ah !… Asseyez-vous, mon ami.

Saint-Franquet, s’asseyant sur le banc, tandis que Plantarède s’installe sur son pliant. — Et puis, enfin, on n’est jamais obligé de les prendre les eaux ! Si je vois que ça me fait mal… Au fond, moi, je viens ici beaucoup pour peindre.

Plantarède. — Ah ?…

Saint-Franquet. — Oui. J’ai précisément une chose dans l’œil…

Plantarède. — Dans l’œil ?… (Lui regardant l’œil.) Vous permettez ?

Saint-Franquet. — Mais non ! Dans l’œil… je veux dire… une chose qui me travaille… une chose… à la Corot !… un effet de bois, avec une source… vous voyez ça !… des nymphes, des ondines !…

Plantarède. — Oui, oui, oui.

Saint-Franquet. — Avec de la verdure, des arbres… Il paraît qu’il y a une source admirable, ici ?…

Plantarède, avec une moue. — Oh !… admirable… comme cure !… mais comme pittoresque !… c’est un kiosque… avec des petits robinets et des vasques en marbre.

Saint-Franquet. — Hein ?…

Plantarède. — Quant aux ondines, elles ont des petits bonnets blancs, avec des petits tabliers blancs, et elles distribuent des verres de l’eau de la source. C’est très gentil ; mais ça n’a rien de Corot.

Saint-Franquet, se levant. — Comment ! mais la verdure ?… les arbres ?

Plantarède, même jeu. — Oh ! il y en a… dans des pots… oui, oui !… avec des mottes de gazon tout autour. Ah ! c’est très propre !

Saint-Franquet. — Oh ! mais alors, j’ai été fourré dedans !

Plantarède. — Ah çà, mon bon ami, pourquoi me raconter des histoires ?… Vous êtes ici pour nous !

Saint-Franquet, avec énergie. — Mais non !

Plantarède. — Mais si !

Saint-Franquet. — Mais non !

Plantarède. — Seulement, vous ne voulez pas le dire, parce que vous appréhendez l’accueil que vous fera madame Plantarède.

Saint-Franquet. — Moi ?…

Plantarède. — Ah ! je ne sais pas ce qu’elle a après vous, mon pauvre ami ; mais elle ne peut pas vous voir même en peinture !

Saint-Franquet. — Ah ?… Vraiment !

Plantarède. — Qu’est-ce que vous voulez !… Aussi, mon ami, vous êtes maladroit. On dirait que vous ne connaissez pas les femmes ! Pénétrer dans un ménage et marquer sa prédilection pour monsieur, c’est s’aliéner madame, c’est connu. Eh bien, vous, chaque fois que vous venez, qu’est-ce que vous dites ? "Je viens voir votre mari !…" Comme C’est gentil pour ma femme !

Saint-Franquet. — C’est vrai…

Plantarède. — Tenez, voici précisément madame Plantarède ! Vous allez voir !… vous allez voir sa tête !

Saint-Franquet remonte.

Scène IX

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Les mêmes, Micheline, Des Saugettes.

Entre de droite Micheline, suivie de des Saugettes, qui porte des châles, manteaux, ombrelles, raquettes, sacs de balles, etc…

Micheline, à des Saugettes qui la suit. — Vous avez tout, des Saugettes ?

Des Saugettes. — Je crois… oui, j’ai tout !

Micheline. — Eh bien, et le kodak ?

Des Saugettes. — Ah ! mon Dieu, le kodak !… J’ai laissé le kodak !

Plantarède. — Oh ! voyons, des Saugettes ! . Vous n’avez que ça à rapporter, et vous oubliez le kodak !…

Des Saugettes. — Je suis impardonnable !… Je ne sais pas comment… Oh !…

Plantarède. — Allez, allez, courez le chercher !

Des Saugettes. — Oui, oui !

Il sort en courant.

Plantarède. — Tête de linotte, va !

Saint-Franquet, redescendant et s’inclinant. — Chère madame !…

Micheline. — Monsieur Saint-Franquet ?… ici !…

Saint-Franquet, gêné. — Oui !… oui, madame…

Micheline, froidement. — Ah !… Enchantée…

Plantarède, à Saint-Franquet. — Hein ?… Hein ?… Qu’est-ce que je vous disais !… la tête ! hein ?

Saint-Franquet. — Mais… non… Je ne vois pas…

Micheline, à Plantarède. — Quoi ! "la tête ! hein"… Qu’est-ce que ça veut dire, "la tête ! hein ? "

Plantarède. — Rien, rien !… Je lui avais dit que quand tu le verrais, tu ferais la tête.

Micheline. — Moi ?…

Plantarède. — Mais oui !… Eh bien, ça y est !… Tu ne peux pas le sentir, c’est un fait acquis. Autant qu’il le sache.

Micheline, haussant les épaules. — Je ne peux pas le sentir !… Que c’est bête, ce que tu dis là. Je n’ai pas à sentir ou à ne pas sentir monsieur Saint-Franquet !

Saint-Franquet. — Mais, évidemment !…

Des Saugettes, accourant, essoufflé. — Voi… voilà le ko… kodak.

Plantarède. — A la bonne heure !… Vous êtes essoufflé ?

Des Saugettes. — Non !… Oh ! mais, donnez-moi donc votre pliant… Vous êtes chargé…

Saint-Franquet, à part. — C’est pas un homme, ça, c’est un vestiaire !

Plantarède, se laissant débarrasser. — Merci. (A Saint-Franquet.) Tenez, un charmant garçon ; monsieur des Saugettes, que je vous présente…

Des Saugettes, ému. — Oh ! monsieur Plantarède !…

Saint-Franquet. — Mais j’ai déjà eu le plaisir de rencontrer monsieur tout à l’heure…

Des Saugettes. — En effet… oui…

Saint-Franquet. -… courant après une gaze de soie, comme un papillon après son filet.

Plantarède. — Ah ! oui, la gaze de ma femme !… Mais, mes enfants, c’est pas tout ça ; il faut que nous rentrions nous changer. Ma femme et moi, nous sommes en sueur !

Micheline. — Hein ?… Mais, parle pour toi !

Plantarède. — Eh bien, soit !… Je suis en sueur et ma femme est en transpiration.

Micheline. — Mais pas du tout ! En voilà une idée !

Plantarède. — Quoi ! il n’y a pas de honte. — Mon petit des Saugettes….

Des Saugettes. — Monsieur ?…

Plantarède. — Vous allez monter avec moi me faire ma friction au gant de crin.

Des Saugettes. — Mais avec plaisir, monsieur !…

Plantarède, à Saint-Franquet. — Vous n’avez pas idée, mon cher, de la complaisance de ce garçon ! C’est lui qui tous les jours me frictionne.

Saint-Franquet. — Allons donc ?…

Des Saugettes, flatté. — Oh ! monsieur !…

Plantarède. — Et ce qu’il frictionne bien !…

Des Saugettes. — Oh ! monsieur, vraiment !…

Plantarède. — Si, si !… Pas de fausse modestie. Souvent je me dis : "C’est dommage qu’il ait sa situation dans le monde ; ça ferait un masseur admirable ! "

Des Saugettes, avec un rire de modestie. — Oh ! vous me flattez, monsieur Plantarède, vous me flattez !…

Plantarède. — Je le dis comme je le pense ! (A Saint-Franquet.) Si jamais vous avez des douleurs, des rhumatismes, je vous le recommande.

Des Saugettes ; très ému. — Oh ! . Je suis confus, vraiment ! je suis confus !…

Plantarède. — Faites-vous frictionner par lui. (A des Saugettes.) N’est-ce pas ?

Des Saugettes, comme précédemment. — Mais avec plaisir !…

Saint-Franquet. — Très aimable, monsieur… mais je n’ai pas de rhumatismes.

Des Saugettes, petit salut, sourire. — Ah ?… Je regrette…

Saint-Franquet. — Pas moi !… mais très touché tout de même !

Plantarède. — Allons, venez !… (A Micheline.) Et toi, puisque tu ne veux pas être en transpiration, eh ben, tu vas tenir compagnie à notre ami Saint-Franquet.

Micheline. — Moi ?… Mais…

Plantarède. — : Mais si, mais si. (A Saint-Franquet) Hein, croyez-vous qu’elle ne peut pas vous sentir ? Le croyez-vous ?

Micheline. — Oh ! je t’en prie, tais-toi, tu es ridicule !

Plantarède. — Ah ! Vous aurez de la peine à l’apprivoiser !

Micheline, entre ses dents. — Imbécile !

Plantarède. — Oui, chérie. (A des Saugettes.) Allons, venez, vous, mon masseur attitré ! (Il le pousse dans l’hôtel et y entre derrière lui.) A tout à l’heure.

Scène X

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Saint-Franquet, Micheline

Saint-Franquet, avec transport. — Ah ! merci ! merci pour ces paroles d’amour que votre mari vient de laisser échapper devant moi !

Micheline, ahurie. — Hein ? quoi ? quoi ? Quelles paroles d’amour ?

Saint-Franquet. — "Vous ne pouvez pas me sentir !…" Vous l’avez dit à votre mari ! il me l’a répété !… Ah ! merci ! merci !

Micheline. — Vous trouvez de l’amour là-dedans, vous ?

Saint-Franquet. — Absolument ! car enfin, est-ce que je vous ai fait quelque chose ?… Non ! Alors, pourquoi me détestezvous, si ce n’est parce que vous avez peur de m’aimer ?…

Micheline. — Ah ! par exemple !… Ah ! bien, pour de la fatuité !…

Saint-Franquet. — C’est de la fatuité… mais c’est de l’observation.

Micheline. — D’abord, monsieur, qu’est-ce que vous venez faire ici ?

Saint-Franquet. — Mais, les eaux de Châtel… pour les déprimés…

Micheline. — Allons, allons !… à d’autres !… Alors, vous trouvez que ce n’est pas assez d’avoir envahi mon domicile tout cet hiver, en vous insinuant dans les bonnes grâces de mon mari, d’en avoir profité pour vous implanter chez moi, dans mon ménage ?…

Saint-Franquet. — Oh ! oh !…

Micheline. — Laissez-moi parler !… Au point que les gens commençaient à jaser…

Saint-Franquet. — De quoi se mêlent-ils, les gens ?

Micheline, du tac au tac. — De ce qui ne les regarde pas !… Quoi ! c’est bien leur droit !… Et maintenant, vous poussez l’aplomb jusqu’à venir me relancer ici… pour m’afficher !…

Saint-Franquet. — Mais pas du tout. Je suis l’ami de votre mari, je viens le retrouver. C’est bien naturel…

Micheline. — Voilà !… Voilà !… - C’est ce que je vous dis !:…C’est votre tactique !

Saint-Franquet. — Ah ! permettez !…

Micheline, apercevant Mme Giclefort et Giclefort sortant de l’hôtel. — Et puis, je vous en prie… voilà du monde !… Il ne vous manque plus que d’avoir l’air de me faire une scène !

Saint-Franquet. — Hein ?

Micheline. — Souriez, voyons, souriez !

Saint-Franquet, ahuri. — Oui !… Oui

Tous deux s’efforcent de sourire d’un air contracté aux deux arrivants.

Scène XI

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Les mêmes, Madame Giclefort, Giclefort

Mme Giclefort, à Giclefort. — Dépêche-toi, voyons, dépêche-toi !… (Voyant les sourires forcés et les petits sauts de Micheline et de Saint-Franquet, tous deux assis sur le banc du milieu, et leur rendant sourires et courbettes.) Voilà ! c’est fait ! le petit imprudent a mis sa ceinture de flanelle !

Micheline et Saint-Franquet. — Ah ! ah ?

Mme Giclefort. — Monsieur !… madame !…

Elle sort, avec de nouveaux sourires et des petites salutations.

Micheline, repartant en guerre. — C’est tellement votre tactique, qu’il y a des années que vous connaissez mon mari pour le rencontrer tous les jours à votre cercle… Et de quand date cette foudroyante tendresse, hein ?

Saint-Franquet. — De quand date ?…

Micheline, se levant. — C’est pas vrai ! Ça date - je peux préciser - ça date du lendemain du jour où vous m’avez aperçue dans une loge avec lui !

Saint-Franquet. — Ah !… Et puis après ? Quand cela serait ? Quand l’amour m’aurait ce que vous appelez cette tactique ?…

Micheline. — Allons donc ! vous l’avouez ! .

Saint-Franquet, se levant aussi. — Mais oui, je l’avoue ! Je l’avoue tellement, qu’il est arrivé ce que j’avais voulu qu’il arrivât : c’est que votre mari, au bout de quelque temps, ne pouvait plus se passer de moi, qu’il m’introduisait chez lui… chez vous !… (Répétant avec ivresse.) chez vous !… et que, dès lors, j’étais au comble de mes vœux. J’étais heureux, je pouvais vous voir, vivre de votre vie, respirer votre air… vous étiez là ! là !:.. enfin, quoi, quoi ! j’étais heureux !

Micheline. — Vous l’entendez, hein ! vous l’entendez !

Saint-Franquet. — A qui dites-vous ça ? Il n’y a personne.

Micheline. — Je me parle à moi-même.

Saint-Franquet. — Ah ! pardon ! je ne savais pas que vous vous disiez "vous" !

Micheline. — Oh ! la plaisanterie, vous savez !…

Saint-Franquet. — On ne peut pas vous faire rire ! Pourquoi êtes-vous aussi maussade avec moi ? Parce que j’ai commis le crime de chercher un moyen de me rapprocher de vous ?… Mais, une fois le résultat rêvé, obtenu, pouvez-vous dire que je vous aie jamais demandé quoi que ce soit ?

Micheline. — Non, mais il n’aurait plus manqué que ça !

Saint-Franquet. — Ah ! ben, quoi ! quoi ! puisque je voulais être votre amant !…

Micheline. — Vous l’avouez !… il l’avoue !…

Saint-Franquet. — Mais, non ! non ! Je parle d’après vous !

Micheline. -.Ah ! parbleu, non, vous ne m’avez rien demandé !… pas si bête ! Mais, tout de même, si un jour, dans un moment de faiblesse, vous m’aviez trouvée disposée…

Saint-Franquet. — Ah ! ben, tiens !…

Micheline. — Qu’est-ce que je disais !

Saint-Franquet. — Comme, dans ces moments-là, si c’est pas vous, c’est un autre… autant que ce soit vous !

Micheline. — Voilà, voilà, c’est net ! Eh bien, non, mon ami, non, mettez-vous bien en tête que jamais, jamais je ne serai votre maîtresse !

Saint-Franquet. — Je ne sais pas pourquoi vous me prêtez des sentiments…

Micheline, martelant chaque mot. — Je ne le serai pas ! Ah !…

Saint-Franquet. — Eh ben, c’est bon, c’est bien !… (Micheline s’est rassise sur le banc. Un temps.) Que vous me connaissez mal, ma pauvre amie !

Micheline. — Oui, beau masque ! C’est pour les beaux yeux de mon mari, n’est-ce pas que vous l’entouriez de toutes vos prévenances ? C’est pour ses charmes que vous n’avez eu de cesse que vous ayez fait son portrait !

Saint-Franquet. — Ah ! par exemple !… Ça, c’est le bouquet ! Je vous conseille d’en parler, oui ! quand c’est vous qui m’avez joué ce tour-là !

Micheline. — Moi ?…

Saint-Franquet. — Comment ! un jour, je me risque, tout timide, tout balbutiant, la seule privauté, si c’en est une, que je me sois permise, j’ose vous dire : " Ah ! madame, je serais le plus heureux des peintres si vous me procuriez la joie de fixer sur la toile des traits qui me sont chers !…" Vous me répondez : " Mais, comment donc ! " Vous allez ouvrir la porte, vous appelez Plantarède. Il arrive, comme il était, en caleçon, et vous lui dites : "Antoine, monsieur Saint-Franquet demande à faire ton portrait ! " Vous n’appelez pas ça un tour ? Qu’est-ce qu’il vous faut !

Micheline. — "Des traits qui vous sont chers…" J’ai cru que c’était mon mari.

Saint-Franquet - Mais pas du tout ! Ah ! avec ça que vous n’avez pas compris ! C’était une petite rosserie à vous !…

Micheline. — Il faut croire que cela ne vous était pas si désagréable, puisque vous avez fait le portrait.

Saint-Franquet. — Tiens ! Je ne voulais pas vous montrer mon dépit. Et puis, enfin, je me disais que vous assisteriez aux séances, que vous seriez là !…Ah ! ouitch ! vous nous avez laissés dans un tête à tête… ah ! ça !…

Micheline. — J’y mettais de la discrétion.

Saint-Franquet. — Mais oui !… N importe ! Je me consolais comme je pouvais ; je me disais qu’après tout, votre mari c’était encore un peu de vous ; et alors je l’ai peint avec ardeur, avec amour, parce qu’à travers lui,, c’était vous que je voyais ! Et je l’ai fait joli, joli, joli !… Ah ! quelle horreur !

Micheline. — Il a été très content.

Saint-Franquet. — Parbleu ! Il ne s’est jamais vu si beau. Ah ! fallait-il que je vous aime ! (Avec force.) Oh ! oui, je vous aime !…

Il se rassied près d’elle.

Micheline, effrayée, se levant vivement. — Pas si haut, voyons ! pas si haut.

Saint-Franquet, à voix étouffée, se levant aussi. — Oh ! oui, je vous aime.

Micheline. — Mais qu’est-ce que vous avez ? Je ne vous ai jamais vu en cet état !

Saint-Franquet. — C’est les eaux ! c’est les eaux d’ici ! Je n’en ai pas encore bu, mais ça ne fait rien, je me sens déjà tout régénéré ! C’est la radioactivité ! (L’enlaçant.) Ah ! Micheline ! Micheline !

Micheline, se débattant. — Voulez-vous me laisser ! Voulez-vous me laisser !

Saint-Franquet. — Non ! non ! Micheline…

Micheline, le repoussant en voyant tomber la fleur qu’elle porte à son corsage. — Mais faites donc attention, à la fin, vous me brisez ma fleur.

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que ça fait ! Micheline !…

Micheline. — Du monde !

Saint-Franquet, lâchant prise et ramassant la fleur. Ah !

Micheline. — Souriez ! mais souriez donc !

Elle s’assied.

Saint-Franquet, s’asseyant aussi. — Oui ! oui !

Sourires contractés de part et d’autre.

Scène XII

Saint-Franquet, Micheline, le Gérant, les Voyageurs, puis le Garçon.

Le Gérant, un melon à la main. — Là, tout droit, par là… et vous trouvez la source à main gauche.

Les Voyageurs. — Merci ! merci bien.

En voyant les sourires et les petits saluts de Saint-Franquet et de Micheline, ils paraissent un peu étonnés, rendent les saluts et sortent à droite.

Le Gérant, à Saint-Franquet et Micheline. — Ah ! Monsieur est heureux ! Il a enfin trouvé madame Plantarède.

Saint-Franquet, gêné. — Oui ! oui !

Micheline, suffoquée. — Quoi ?

Elle se lève brusquement. Saint-Franquet fait de même.

Le Gérant, sur un ton de confidence pleine d’intérêt. — Je vais changer mon melon ; il est trop avancé…

Saint-Franquet, la tête ailleurs. — Aha ! ah ! bon.

Le Gérant, saluant. — Monsieur, madame…

Il sort.

Micheline, aussitôt. — Ah çà, vous êtes fou ! Vous êtes allé faire des confidences à cet homme !

Saint-Franquet. — Moi ? Mais pas du tout ! C’est lui qui m’avait raconté que, vous étiez ici ; alors je lui avais répondu : "Ah ! ben, tant mieux, je serais très heureux de les voir."

Micheline. — Comme c’est vraisemblable ! Il y a trois cents baigneurs, vous arrivez, il ne vous connaît pas, et il vous dit tout de suite : "Ah ! vous savez, les Plantarède sont ici ! "

Saint-Franquet. Non, évidemment, ça ne s’est pas passé tout, à fait comme ça.

Micheline, accompagnant son discours de petits coups nerveux et successifs sur la table de fer près de laquelle elle s’assied. — Oh ! non ! non ! mais vous avez donc juré de faire tout pour me compromettre

Saint-Franquet. — Moi !

Micheline, deux coups sur la table. — Oui, vous ! (Elle se fait mal aux doigts en se cognant sur la table.) Oh ! là !…

Voix du Garçon, à l’intérieur de l’hôtel. Voilà ! voilà !

Saint-Franquet. — Ah ! bien, elle est verte, celle-là !

Le Garçon, arrivant. — Monsieur a appelé ?

Saint-Franquet. — Quoi ?… C’est pas moi, c’est madame.

Micheline - Moi ? Non !… Euh ! Si !…

Le Garçon. — Madame désire ?

Micheline, ne sachant que demander. — je voudrais… Je voudrais… (Faisant des doigts appel à Saint-Franquet.) Voyons, cette consommation ?…

Saint-Franquet. — Ah ! oui, elle est verte !

Micheline, à Saint-Franquet. — Comment ça s’appelle, déjà ?

Saint-Franquet, machinalement. — Une verte.

Micheline, au garçon. — C’est ça, une verte.

Le Garçon, étonné. — Ah ?… Sucre ? anis ?

Micheline. — Hein ?… Sucre ! C’est plus doux.

Le Garçon. — Bien, Madame.

Il sort.

Micheline. — Qu’est-ce que c’est que ça, une verte.

Saint-Franquet, l’esprit ailleurs. — Quoi, une verte ?… C’est une absinthe

Micheline, sursautant. — Hein une absinthe ! Ah çà vous êtes tout à fait fou ! Vous me faites commander, une absinthe, à présent ? Mais qu’est-ce qu’il va penser de moi, ce garçon ?

Saint-Franquet. — Ah ! bien, c’est ça qui m’est égal, ce que peut penser ce garçon.

Micheline. — Mais pas à moi ! De quoi vais-je avoir l’air ? D’une femme qui se pique le nez !

Le Garçon, revenant. — J’ai pas pensé à demander : un Pernod ou une Oxygénée ?

Micheline, à Saint-Franquet, avec anxiété. — Qu’est-ce qu’il dit encore ?

Le Garçon. — La verte ?

Saint-Franquet. — Mais non, pas. une absinthe ; une verte, une menthe verte.

Le Garçon. — Ah ! bon ! je disais aussi !…

Il sort.

Micheline, se levant. — Vous voyez ! "Il disait aussi ! "

Saint-Franquet. — Oui ! eh bien, maintenant, il ne dit plus ! C’est arrangé.

Micheline. — Oh ! oui ! oh ! c’est arrangé ! Vous avez une façon de prendre votre parti de tout…

Saint-Franquet. — Oh ! non, pas de tout ! (Avec passion.) Oh ! si vous saviez…

Micheline. — Ah ! non, non, vous n’allez pas recommencer, hein ? Allez ! Et d’abord, rendez-moi ma fleur !

Saint-Franquet. — Votre fleur ?

Micheline. — Eh bien oui, mon œillet.

Saint-Franquet. — Oh ! vous n’allez pas me le reprendre…

Micheline. — Je vais me gêner !

Elle lui arrache son œillet.

Saint-Franquet. — Oh ! vous êtes cruelle !

Micheline. — Au revoir, cher monsieur.

Saint-Franquet. — Je vous aime, Micheline !

Micheline. — Je vous défends de m’appeler Micheline.

Saint-Franquet. — Je vous aime, chère madame.

Micheline. — "Chère madame ! " Tenez, vous me faites rire.

Saint-Franquet - C’est ça, riez ! riez ! Quand on rit, on est à moitié désarmé.

Micheline. — Mais vous ne comprenez donc pas, mon pauvre ami, que je ne trompe pas mon mari !

Saint-Franquet. — Que c’est drôle !

Micheline. — Mais non !

Saint-Franquet. — Enfin, tout de même, si une fois, par hasard, vous changiez d’idée… Promettez-moi que ce sera avec moi !

Micheline, riant. — Non, vraiment, vous êtes risible.

Saint-Franquet. — Mais, nom d’un chien, vous ne pouvez pourtant pas l’aimer !

Micheline. — Qui ?

Saint-Franquet. — Mais votre mari ! Tenez, là ! Tenez, regardez-le à sa fenêtre… à travers ses carreaux… Il nous dit bonjour ! Il a l’air radieux, radieux ! (A Plantarède, qui est apparu derrière la fenêtre en gilet de flanelle, massé par Des Saugettes, et leur fait des signes de tête.) Oui, bonjour ! bonjour ! Fais toi frotter, va !

Micheline. — Si vous ne vous moquiez pas de lui…

Saint-Franquet. — Je ne me moque pas ; mais regardez-le, là, en gilet de flanelle, avec cet imbécile qui lui polit le dos. Allons, voyons, est-ce que vous pouvez l’aimer ? Est-ce qu’il a la tournure d’un amant ?

Micheline. — Je croyais que vous l’aimiez, vous.

Saint-Franquet. — Hein ?… mais certainement, je l’aime ! évidemment, je l’aime ! je l’aime comme ami ; mais pas comme amant ! Mais un amant, Micheline, vous ne savez pas…

Micheline, — Oh ! non, non, en voilà assez !… (Plantarède disparaît.) Je vous préviens que si vous devez recommencer, tant pis pour ce qui en résultera, j’appelle mon mari et je lui dis tout !

Saint-Franquet. — Ah ! bien, si vous croyez me faire céder à des menaces ! Appelez-le donc, votre mari ! J’aime autant ça, après tout. Il en résultera un éclat ; mais au moins, nous aurons une situation nette.

Micheline. — Oh ! vous me défiez, monsieur ! C’est très bien C’est vous qui l’aurez voulu. (Appelant.) Antoine Antoine !

Saint-Franquet, lui saisissant la main et la tirant à lui. — Ah ! non, non, vous n’allez pas faire ça

Scène XIII

Saint-Franquet, Micheline, et à la fenêtre, Plantarède, puis Des Saugettes

Plantarède, toujours en gilet de flanelle, ouvrant la fenêtre. — Tu m’appelles, ma chérie ?

Saint-Franquet. — Non ! non !

Plantarède. — Ah ! bravo ! la main dans la main ! Ah ! bien, celle-là… C’est pour me faire voir ça ! Bravo !

Des Saugettes paraît derrière Plantarède et applaudit aussi, sa main droite toujours dans le gant de crin.

Saint-Franquet, gêné, s’efforçant de cacher son trouble, mais sans lâcher la main de Micheline qui cherche à se dégager. — Oui, oui, oui… (A Micheline.) N’est-ce pas ?

Micheline, idem. — Oui, oui, oui !…

Saint-Franquet. On s’est expliqués ! Madame Plantarède m’aime, maintenant.

Micheline. — Comment !

Saint-Franquet. — Non ! je veux dire… Enfin, les hostilités ont cessé.

Il lâche Micheline.

Plantarède, accoudé à la fenêtre. — L’entente cordiale ! Bravo ! (Il tape dans ses mains ; Des Saugettes fait de même.) Je suis ravi. (A Micheline.) Dis-donc, mon loup, où as-tu mis mes faux-cols ? Je ne les trouve pas.

Micheline. — Attends ; je vais monter. (A Saint-Franquet.) Vous permettez ?

Saint-Franquet. — Je vous en prie.

Plantarède, à Saint-Franquet, une fois Micheline dans l’hôtel. — Ça a été dur ?

Saint-Franquet, levant les yeux au ciel. — Oh !

Plantarède. — Faut pas vous rebuter ! Le tout est de savoir la prendre.

Saint-Franquet. — Ben, oui, voilà !

Plantarède, se tournant vers l’intérieur. — Entrez !… Ah ! c’est toi. (A Saint-Franquet.) Je vous demande pardon.

Il disparaît en refermant la fenêtre.

Scène XIV

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Saint-Franquet, Le Garçon, puis Dotty, Tommy

Le Garçon, apportant la consommation. — La menthe verte, Monsieur.

Saint-Franquet. — C’est bon, buvez-la.

Le Garçon. — Ah ! Merci, Monsieur.

Il va pour boire.

Saint-Franquet, lui reprenant le verre. — Non, moi !… J’ai soif.

Le Garçon. — Ah ?

Saint-Franquet, lui remettant une pièce. — Tenez, payez-vous.

Le Garçon. — C’est douze sous.

Saint-Franquet. — C’est bien, gardez le reste.

Le Garçon. — Mais Monsieur me donne cinquante centimes.

Saint-Franquet. — Ah ! pardon ! (Lui donnant une autre pièce.) Gardez.

Le Garçon. — Merci, Monsieur.

Il rentre dans l’hôtel.

Dotty, arrivant, suivie peu après de Tommy. — Mais accélérez, Tommy ! Vous êtes semblable comme une tortue ! (Apercevant Saint-Franquet qui boit la menthe et tombant en arrêt.) Ah !

Tommy. — C’est que vous êtes marchante tellement vite, Dotty.

Dotty, toujours médusée. — Oh !… oh ! taisez-vous, Tommy ! (Avec extase.) Oh !

Tommy, à part. — Qu’est-ce que c’est ?

Dotty, à part. — Ah !

Saint-Franquet, étonné, s’arrête de boire et jette un regard interrogateur sur ses vêtements pour se rendre compte de ce qui attire ainsi les regards de la jeune fille.

Saint-Franquet, à part. — Je dois avoir quelque chose !

Dotty, allant à lui. — Bonjour, Monsieur !

Saint-Franquet. — Hein ?… Euh ! (Saluant.) Bonjour, madame.

Dotty. — No ; mademoiselle ! jeune fille.

Saint-Franquet, corrigeant. — Mademoiselle, pardon !

Dotty, lui tendant la main. — Vous allez bien ?

Saint-Franquet. — Mais très bien, je… (Le bras démanché par le shake-hand.) Oh ! (Reprenant.)… vous remercie. Mais certainement, mademoiselle, vous devez faire erreur… J’ai beau chercher ! Je ne crois pas avoir le grand plaisir de vous connaître.

Dotty. — Oh ! moi non plus !… Je ne vous connais pas.

Saint-Franquet, interloqué. — Ah ? Ah ?

Dotty, présentant Tommy. — Ma fiancé !

Saint-Franquet. — Monsieur, enchanté.

Tommy, l’air grognon. — Yes !

Dotty, à Tommy, en dévorant des yeux Saint-Franquet. -oh ! how lovely ! Oh ! isn’t lie, Tommy ?

Tommy, scandalisé. — Oh ! but what do you mean, Dotty ?

Dotty. — Oh ! shut up, Tommy ! Oh ! lovely ! Lovely !

Saint-Franquet, ahuri. — Je vous demande pardon, mais… ma chambre… Je… J’arrive et je voudrais bien…

Dotty. — Oh ! pâdon ! pâdon !

Saint-Franquet. — Certainement… certainement ! très heureux…

Tommy, rongeant son frein. — Oh ! oh ! oh !

Dotty, à Saint-Franquet. — Vous êtes longtemps ici ?

Saint-Franquet. — Pour longtemps ?… Oui, oui !

Dotty. — Oh ! alors, on marchera quelquefois ensemble, vous voulez ?

Saint-Franquet. — Hein ? Euh ! Certainement ! certainement ! (Saluant.) Mademoiselle ! Monsieur !… Je… (A part.) Oh ! si c’est ça, les eaux d’ici… Oh !

Il rentre dans l’hôtel.

Scène XV

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Dotty, Tommy

Dotty. — Oh ! Tommy ! Tommy ! Le jeune homme, il est demeurant à l’hôtel de nous !

Tommy. — Yes ! But who is this gentleman ?

Dotty. — Je sais pas. Je connais pas. Je haime le ! je haime le !

Tommy. — What do you say !… Dotty ! Dotty ! Can you say that to me !

Dorry. — Oh ! oh ! français ! parlez français ! On est en France, c’est pour se mettre le langue dans le bouche.

Tommy. — Oh ! Dotty ! Vous dite vous haimez le !

Dotty. — Oh ! yes ! je haime le ! je haime le !

Tommy. — Oh ! Dotty ! Mais je suis le fiancé de vous.

Dotty. — Oui ! Et vous promis moi vous ferez toujours tout qu’est-ce que je voulais.

Tommy. — Oh ! oui ! Oh ! oui !

Dotty. — Eh bien, allez dire lui que je le haime ! et je veux marier lui !

Tommy. — Oh ! Dotty ! mais et moi !… et moi ?

Dotty. — Vous, Tommy, vous épouserez une autre ! Vous retournerez chez ma père et vous continuerez avec lui le trust des cochons. Moi je marierai celui-là.

Tommy. — Dotty ! Moi je haime vous !

Dotty. — Pauvre Tommy ! et moi je haime le ! Ah ! nous sommes bien malheureux !

Tommy. — Oh ! Dotty, je voudrais avaler mon tête !

Dotty. — Et pour quelle chose, Tommy ?

Tommy. — Pour la chose que je meure.

Dotty. — Oh ! sale !… Mon Tommy je haime vous beaucoup ; mais pas pour le mariage. Allez lui dire je haime le ! je haime le !

Elle le pousse vers l’hôtel.

Tommy. — Oh ! oh ! jamais ! jamais ! (Allant vers l’hôtel, menaçant.) J’aime mieux tuer le !

Dotty. — Tommy, si vous faites ça, je épouserai jamais vous.

Tommy, revenant vivement à elle. — Et si je fais pas ?

Dotty. — Oh ! alors, je épouserai le.

Tommy, s’asseyant à la table, la tête dans ses mains. — Oh ! poor, poor Tommy !

Dotty, le consolant. — Don’t cry, Tommy, don’t Cry !

Sur ces entrefaites, ont paru, à travers le filet de tennis, Bichon avec deux de ses partenaires.

Bichon, prenant congé.- C’est ça, à bientôt la revanche !

Dotty, en la voyant, à Tommy. — Oh ! look, look la petite dame qu’elle est mangeant le face à nous à table d’hôte !

Tommy. — Yes !

Scène XVI

Les mêmes, Bichon, puis Saint-Franquet

Dotty, allant à Bichon qui sort du filet avec la joueuse et le joueur de tennis et se dirige vers l’hôtel. — Oh ! mamoiselle !

Bichon, s’arrêtant. — Moi ? (Faisant signe à ses amis de rentrer sans elle et allant à Dotty.) Mademoiselle ?

Dotty. — Pâdon !… Je voulais demander… Je sais pas comment disé…

Bichon. — Allez, mademoiselle, allez.

Dotty. — Vous l’êtes bien… cocotte ?

Bichon, ahurie. — Comment ?

Dotty, malgré les signes de Tommy. — No, je dis… Vous l’êtes bien…

Bichon, vivement. — Oui, oui… Oh ! j’ai compris, j’ai compris, mademoiselle !… Oh ! mais, permettez…

Dotty. — Oh ! je croyais ! J’avais entendu dire… Pas fâchée ?

Bichon. — Non, non !

Dotty. — Alors, vous êtes une femme pour l’amour…

Bichon, souriant avec philosophie. — Eh ben… oui.

Dotty. Oh !… Et tous les hommes ils vous haiment !

Bichon. — Y a pas trop à se plaindre.

Dotty. — Oh ! dites-moi, dites-moi…Comment vous faites pour ça ?

Bichon. — Pour… Comment, comment ? Mais c’est toute une éducation que vous me demandez-là…

Dotty. — Oh ! disez ! disez ! Oui… parce que moi je sais pas. Et je voudrais si tant savoir pour les hommes ils me haiment…

Bichon. — Ah ? Ah ?

Dotty. — Parce que je haime brusquement un !

Bichon, intéressée, se rapprochant. — Vraiment ? Qui ça ?

Dotty. — Je sais pas, je connais pas. J’ai eu le coup de tonnerre !

Bichon. — Le coup de foudre ? (A Tommy.) Oh ! qu’elle est gentille !

Dotty. — Yes, le coup de foudre.

Tommy, douloureusement. — Dotty !

Dotty. — Laissez, Tommy ! (A Bichon.) Je vous présente ma fiancé.

Bichon. — Ah ! ah ! (Tommy se lève.) Oh ! monsieur, félicitations.

Tommy, larmoyant. — Yes !

Dotty, s’asseyant et faisant asseoir Bichon près d’elle. — Vous comprenez, moi je suis une jeune fille d’Amérique, je connais pas les usages français pour l’amour.

Bichon. — Oui, oui.

Dotty. — Je suis arrivée ici pour le traitement.

Bichon. Ah ! vous suivez le traitement ?

Dotty. Pas moi, mon mère…

Tommy. — Yes.

Bichon. — Madame votre mère… Ah ! bon ! Mais je ne l’ai jamais vue avec vous.

Dotty. — Oh ! no, parce qu’elle n’est pas là. Elle est en Amérique.

Bichon. — Ah ! ah !

Dotty. — Yes. Au moment de monter dans le bateau, elle a pensé qu’elle avait oublié d’embrasser mon père. Alors elle est retournée.

Bichon. — Oui, bien sûr.

Dotty. — Et quand elle est revenue, le bateau était parti.

Tommy, lamentable. — Yes !

Bichon. — Oui, oui, oui !

Dotty. — C’est égal. Elle prendra un autre. Maintenant qu’elle a embrassé mon père.

Bichon. — Évidemment.

Dotty. — Parce que, mon père, c’est le plus grand marchand de cochons d’Amérique.

Bichon. — Ah ! ah !

Dotty. — Il est millardaire.

Bichon. — Faire fortune avec des cochons ! oh ! ce qu’il faut en falloir !

Dotty. — Beaucoup.

Bichon. — A qui le dites-vous !

Dotty, se levant. — Et alors ! qu’est-ce que je dois faire, pour le monsieur ?

Bichon. — Ah ! pour le… pour le monsieur ?… Eh bien, puisque vous l’aimez, faut le lui faire dire…

Dotty. — J’ai demande à ma fiancé ; il ne voulait pas.

Tommy, rageur. — Oh ! no !

Bichon. — Oh ! que c’est curieux !

Dotty, apercevant Saint-Franquet sur le pas de la porte de l’hôtel. — Oh ! dear me ! Here he is ! here he is !

Bichon, se levant. — Comment !

Dotty, indiquant Saint-Franquet. — Yes ! C’est le !

Bichon, n’en revenant pas, sur un ton rieur. — Saint-Franquet ! Non ?…(Appelant.) Eh ! Gérard !

Saint-Franquet, à part, ennuyé. — Oh ! Encore Bichon. (Haut.) Quoi ?

Dotty, vivement, à Bichon. — Oh ! no, taisez, taisez !

Bichon, à Saint-Franquet. — Figure-toi que mademoiselle…

Dotty. — Oh ! no, no, je m’en vais…

Tommy. — Yes ! yes !

Bichon. — Mais, restez donc, voyons.

Dotty. — No, no ! Come, Tommy.

Elle se sauve, de droite.

Tommy. — Yes !

Saint-Franquet. — Eh bien, quoi, qu’est-ce qu’il y a ?

Tommy, allant à lui, avec haine.- Oh ! I hate you !

Saint-Franquet, sans comprendre. — Avec plaisir !

Voix de Dotty. — Tommy ! Tommy, come !

Tommy. — I am coming.

Il sort dignement, après s’être retourné encore une fois, d’un air menaçant, vers Saint-Franquet.

Scène XVII

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Saint-Franquet, Bichon, puis Plantarède.

Bichon. — Ah ! mon vieux, figure-toi, tu as fait une passion !

Saint-Franquet. — Moi ?

Bichon. — Oui, la petite ! le coup de foudre ! fille d’un milliardaire ! Tiens, je t’adore ! Ça m’excite !

Elle lui saute au cou.

Saint-Franquet, la repoussant. — Allons, voyons ! Si on t’avait vue !

Bichon. — Eh ben, on aurait dit que tu ne t’embêtais pas !

Saint-Franquet. — Non, écoute ! Je suis très content de t’avoir retrouvée… mais je suis ici avec des gens du monde…

Bichon. — Eh ben, dis donc, toi, dis donc ! Alors, quoi, je vaux pas une femme du monde ?

Saint-Franquet. — C’est pas ça que je dis.

Bichon. — Avec ça qu’elles valent mieux que nous, pour la plupart, les femmes du monde !

Saint-Franquet. — Oui… Oh ! mais…

Bichon. — Au moins celles qu’on voit dans les villes d’eaux… Elles ont toutes un gigolo.

Saint-Franquet. — Oui… Oh ! mais…

Bichon. — Y a pas d’" oh ! mais ! " Si elles ont toutes un gigolo, c’est pas pour enfiler des perles !

Saint-Franquet. — Oh ! oui ; mais les gens du monde dont je te parle, c’est pas comme ça !

Bichon. — Ah ! ben, tant mieux, pour la rareté du fait !

Saint-Franquet, apercevant Plantarède qui s’apprête à sortir de l’hôtel. — Oh ! nom d’un chien ! (A Bichon.) Va-t-en ! va-t-en ! Un des gens du monde en question

Bichon, voyant Plantarède. — C’est ç’ui-là ?… Ah ! ben, mon vieux !

Saint-Franquet. — Quoi ? "Ah ! ben, mon vieux ! "

Bichon. — Bien, bien ! (S’en allant.) J’t'ai pas vu ! j’t'ai pas vu !

Elle sort de droite en riant.

Saint-Franquet, entre ses dents. — Quelle grue !

Scène XVIII

Saint-Franquet, Plantarède.

Plantarède, d’un ton gaillard. — Vous connaissez cette petite femme-là ?

Saint-Franquet. — Moi ? Pas du tout. Elle me demandait un renseignement… le chemin pour aller à la source.

Plantarède. — Qu’est-ce que vous me chantez là, la source ! Elle a voulu vous faire marcher. Elle y va deux fois par jour.

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que voulez que je vous dise, je ne la connais pas.

Plantarède. — Ah ! tant pis, tant pis !

Saint-Franquet. — Pourquoi ?

Plantarède, regardant du côté de la fenêtre si sa femme ne peut l’entendre. — Elle me plaît beaucoup.

Saint-Franquet. — Eh ben, quoi donc, monsieur Plantarède ! Vous, un homme sérieux !

Plantarède. — Eh bien oui ! sérieux… sérieux à Paris. Mais, ici, est-ce le traitement, l’eau radiophosphorique ?… Je ne sais pas… Je me sens tout ohé ! ohé !

Saint-Franquet. — Et madame Plantarède ?

Plantarède. — Elle ? Oh ! non, non ! Elle m’intimide.

Saint-Franquet, enchanté. — Vraiment ?

Plantarède. — Qu’est-ce que vous voulez, c’est plus fort que moi ! les femmes honnêtes, ça me glace.

Saint-Franquet. — Allons donc !

Plantarède. — Je ne sais comment dire… Dans les moments psychologiques, devant mes yeux se dresse toute l’éducation familiale : le père, la mère, l’institutrice ! Ça me coupe bras et jambes.

Saint-Franquet. — Ah !

Plantarède. — Et, n’est-ce pas, entre amis, on peut se dire les choses… Ça se trouve bien : au fond, ma femme n’aime pas ça.

Saint-Franquet, ravi. — Ah ! avec vous ?…

Plantarède. — Quoi, avec moi ? Évidemment, avec moi ! Pas avec d’autres, bien sûr.

Saint-Franquet. — Oui, c’est ce que je voulais dire.

Plantarède. — La vérité, c’est que nous ne sommes pas des tempéraments, ni l’un ni l’autre.

Saint-Franquet. — Oui, oui.

Plantarède. — Mais ici, je ne sais pas ce que j’ai, les femmes me paraissent jolies, désirables ! Ma parole, c’est à croire que j’en arrive à un tournant de mon histoire.

Saint-Franquet. — Oui, le retour d’âge

Plantarède. — Insolent ! La nubilité.

Saint-Franquet. — Oh ! jeune éphèbe !

Plantarède. — Dites-donc, je vais jusqu’à la source.

Saint-Franquet. — Retrouver la petite ?

Plantarède. — Mais non, mais non ! boire mon eau. Si vous voyez ma femme, je reviens sitôt bu. Je serai là dans deux minutes.

Saint-Franquet. — Entendu !

Plantarède sort de droite, premier plan.

Scène XIX

Saint-Franquet, Bichon, puis des Saugettes, puis Micheline.

Bichon, paraissant dans le filet du tennis. — Hep !

Saint-Franquet, se retournant. — Hein ! c’est encore toi !

Bichon. — Dis-donc ! C’est pour ce manège-là que tu fais tout ce chichi-là ?

Saint-Franquet. — Quoi ?

Bichon. — Oh ! ben, tu sais, faudra en rabattre, parce que la femme… Aha !…

Elle se tord.

Saint-Franquet. — Qu’ça veut dire, "la femme aha" !… Qu’ça veut dire, "la femme aha" !…

Bichon. — Mais comme les autres, mon vieux ! Aha !… Comme les autres !

Saint-Franquet, furieux. — Comme les autres ! Je te défends de dire ça ! Un cas ! un fait !

Des Saugettes, au sortir de l’hôtel, à Saint-Franquet ; tout en remontant vers le fond gauche. — Je vous demande pardon… Je vais porter les lettres de monsieur Plantarède à la poste.

Saint-Franquet, sèchement. — Oui, bon, ça va bien ! (Pendant que des Saugettes sort par le sentier.) Allons, un cas ! un fait !

Bichon. — Eh ben, tu n’as qu’à te renseigner auprès de ton ami.

Saint-Franquet. — Quel ami ?

Bichon. — Le petit. gigolo, là, qui va porter les lettres du mari. Ah ! ah !… Ah ! ben, mon vieux !…

Saint-Franquet. — Quoi ? Qu’est-ce que tu as l’air de dire ?

Bichon. — Rien, rien ! J’ai tort de te raconter ça. Je vois que ça te vexe.

Saint-Franquet. — Moi ! Aha ! Ah ! ben !… Mais je t’embrasserais !

Bichon. — Oui ? Oh ! ben, chiche.

Saint-Franquet. — Mais, parfaitement !

Il l’embrasse avec rage.

Bichon. — Prends garde, on nous regarde !

Saint-Franquet, d’un ton dégagé. — Ah ! on nous regarde !… Tiens, si je t’embrasse, tiens, si je t’embrasse ! (Apercevant Micheline debout sur le seuil de l’hôtel.) Oh !… (Vivement.) Veux-tu te sauver ! veux-tu te sauver !

Bichon. — Ah ! mon p’tit, c’est pas ma faute.

Elle s’esquive par la droite.

Saint-Franquet. — Quelle grue que cette femme !

Scène XX

Micheline, Saint-Franquet, puis le Gérant, puis Des Saugettes, puis Plantarède, puis les Voyageurs.

Micheline, d’un ton à la fois pincé et dégagé, à Saint-Franquet. — Ah ! mes compliments, et mes excuses pour être venue aussi malencontreusement déranger vos épanchements…

Saint-Franquet, avec désinvolture. — Il n’y a pas de mal.

Micheline, nerveusement, malgré elle. — C’est une parente, sans doute ?

Saint-Franquet. — Du tout ! C’est une cocotte.

Micheline. — Ah ! Au moins, vous avez la qualité de la franchise…

Saint-Franquet. — C’est une qualité d’homme !

Micheline. — Ce qui veut dire ?

Saint-Franquet. — Que les femmes n’ont peut-être pas pareille loyauté !… Elles font blanc de leur honnêteté quand l’homme qui leur parle d’amour ne leur plaît pas ; mais elles savent bien la mettre de côté aussitôt qu’un… gigolo daigne leur conter fleurette.

Micheline. — C’est pour moi que vous dites cela ?

Saint-Franquet. — Je n’ai nommé personne ; vous vous reconnaissez bien vite.

Micheline. — Si ce n’était pas moi que vous visiez, votre réflexion n’aurait pas de sens ; par conséquent, inutile de faire le jésuite.

Saint-Franquet. — Vous reconnaissez donc que ce petit imbécile de des Saugettes…

Micheline. — Je n’ai rien à reconnaître ! Croyez ce que vous voulez, je n’ai aucun compte à vous rendre.

Saint-Franquet, arpentant la scène du haut en bas. C’est bien ! C’est très bien !

Micheline, arpentant de même. — Parfaitement ! C’est très bien !

Le Gérant, arrivant du fond et s’adressant à Saint-Franquet en lui montrant son melon. — Je crois que celui-là sera à point.

Saint-Franquet, s’emballant. — Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qui sera à point ?

Le Gérant. — Mon melon.

Saint-Franquet, éclatant - Vous n’allez pas bientôt me foutre la paix, vous, avec votre melon ?…

Le Gérant, ahuri de cet accueil : — Hein !… Oui… Oui, Monsieur ! (Il se dirige prudemment vers l’entrée de l’hôtel.) Oh ! (Pendant ce qui précède, le temps s’est assombri ; un éclair sillonne la nue à ce moment. Se retournant et d’un air profond, montrant le ciel de son index levé.) L’orage !

Saint-Franquet, faisant le mouvement de courir sur lui. — Non, vous voulez recevoir mon pied quelque part, vous ?

Le Gérant. — Non, Monsieur !

Saint-Franquet. — Eh bien, fichez-moi le camp !

Le Gérant. — Oui, Monsieur ! (En entrant dans l’hôtel.) Oh !

Roulements de tonnerre.

Saint-Franquet, arpentant rageusement. — Ah ! je ne suis pas fâché d’avoir appris à vous connaître !

Micheline, idem. — Bon, bon ! c’est très bien, ça va bien ! (On aperçoit des Saugettes qui arrive au fond. A part.) Des Saugettes !

Saint-Franquet, entre ses dents. — Le fantoche !

Des Saugettes. — Me voilà revenu.

Micheline, troublée et inquiète. — Oui, oui !…

Saint-Franquet, apercevant l’œillet de Micheline à la boutonnière de des Saugettes. — Mais, ma parole, il a la fleur !

Des Saugettes. — Vous avez entendu le tonnerre ! Je crois que ça va se gâter…

Saint-Franquet. — Oui, monsieur, je crois aussi que ça va se gâter !

Des Saugettes. — N’est-ce pas ?

Micheline, pressée de couper court à une discussion qu’elle prévoit. — Eh bien, si… si nous rentrions…

Des Saugettes. — Volontiers !

Saint-Franquet. — Oui, mais pardon !… pardon, monsieur… des Saugettes…

Des Saugettes. — Cher monsieur ?

Saint-Franquet, prenant le revers gauche du veston de des Saugettes. — Qu’est-ce que c’est que cette fleur que vous portez à votre boutonnière ?

Des Saugettes, regardant la fleur de côté. — Ça ? C’est un œillet.

Il le respire.

Saint-Franquet, l’imitant. — "C’est un œillet !…" Vous êtes idiot !

Des Saugettes. — Comment ?

Micheline, redoutant un esclandre. — Monsieur Saint-Franquet !…

Saint-Franquet. — Un œillet ! Je suis assez fort en botanique pour le voir.

Des Saugettes. — Mais vous me demandez…

Saint-Franquet. — Oui… Eh bien, monsieur, veuillez retirer cette fleur.

Des Saugettes. — Plaît-il ?

Saint-Franquet, appuyant sur les mots. — Veuillez retirer cette fleur !

Des Saugettes. — Mais…

Saint-Franquet. — Veuillez, monsieur, retirer cette fleur !

Micheline. — Je vous en prie, monsieur Saint-Franquet !

Saint-Franquet. — Ah ! je vous en prie aussi, madame ! C’est affaire entre monsieur et moi.

Des Saugettes. — Pardon, monsieur, mais je ne comprends pas…

Saint-Franquet. — Vous n’avez pas à comprendre ! Il me déplaît de voir cette fleur à votre boutonnière. Retirez-la !

Eclairs.

Des Saugettes. — Pardon, monsieur, pardon, je n’ai pas l’habitude…

Micheline, à Saint-Franquet, — Mais vous devenez fou !

Saint-Franquet, sèchement. — Parfaitement, je deviens fou ! (Coup de tonnerre. — A des Saugettes.) Si dans deux secondes vous n’avez pas enlevé cette fleur, je vous tire les oreilles…

Des Saugettes, reculant un peu. — Ah ! mais, monsieur !…

Micheline. — Monsieur Saint-Franquet !…

Des Saugettes. — Monsieur, vous saurez…

SaintFranquet, bondissant. — Qu’est-ce que vous dites ? "Je saurai ! " Vous osez dire : "Je saurai ! " Entendez-vous ça ? "Je saurai ! " Ah ! je saurai !

Micheline, affolée. — Monsieur ! monsieur Saint-Franquet !

Saint-Franquet, à des Saugettes. — Voulez-vous retirer la fleur ?

Des Saugettes. — Non mais, écoutez !

Saint-Franquet. — Vous ne voulez pas la retirer ! A votre aise !

Il le soufflette.

Des Saugettes, se tenant la joue et poussant un cri. — Oh !… mais voyons… J’allais l’ôter !

Micheline, à Saint-Franquet. — Vous êtes fou ! vous perdez la tête ! De quel droit vous permettez-vous ?…

Saint-Franquet, — Oh ! pardon, madame, je suis seul juge de mes actes !

Micheline. — C’est trop fort !

Eclair.

Plantarède, arrivant. — Eh bien, mes amis, ça va toujours l’entente cordiale ?

Tonnerre.

Micheline, à Plantarède. — Ah ! te voilà ! Tu arrives bien ! Voilà monsieur…

Des Saugettes. — Oui, figurez-vous…

Saint-Franquet. — Pardon, laissez-moi expliquer…

Micheline. — Non, monsieur, permettez ! Monsieur est mon mari, veuillez me laisser parler.

Plantarède - Quoi ! Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Des Saugettes, montrant Saint-Franquet. — Figurez-vous, je ne lui disais rien…

Plantarède, le repoussant. — Taisez-vous des Saugettes.

Micheline. — Tu es mon mari, c’est à toi de me faire respecter !

Plantarède. — Quelqu’un s’est permis de te manquer de respect ?

Micheline. — Tu sais, ma fleur ! mon œillet… mon œillet…

Plantarède. — D’Inde !

Micheline. — Comment ?

Plantarède. — Ton œillet d’Inde.

Micheline. — D’Inde, oui ! Eh bien, monsieur des Saugettes avait trouvé bon de le mettre à sa boutonnière…

Plantarède, à des Saugettes. — C’est trop fort ! Pourquoi ? Pourquoi avez-vous mis cet œillet à votre boutonnière ?

Des Saugettes. — Moi ?

Micheline, tirant Plantarède. — Mais ce n’est pas de lui qu’il s’agit ; — laisse-le donc tranquille, ce garçon !

Plantarède. — Ah ! pardon !

Des Saugettes. — Il n’y a pas de mal !

Plantarède. — Mais alors, qui ? qui ?

Micheline, indiquant Saint-Franquet. — Monsieur ! qui s’est permis de faire une scène inqualifiable, qui vient de gifler ce pauvre monsieur des Saugettes !

Saint-Franquet. — Parfaitement.

Des Saugettes. — Oui, je ne comprends pas, je ne lui disais rien ! J’arrivais, la bouche enfarinée…

Plantarède, à des Saugettes. — Ah ! je vous en prie, laissez-nous tranquilles, hein ? Ne vous en mêlez pas !

Des Saugettes, se le tenant pour dit. — Oui.

Micheline. — Eh bien, qu’est-ce que tu en penses ?

Plantarède. — Ben, qu’est-ce que tu veux ! C’est embêtant pour des Saugettes !

Micheline. — Eh ! des Saugettes, il n’est pas question de des Saugettes dans tout ça. Il s’agit de moi ! il s’agit de toi !

Plantarède. — De nous !

Micheline. — Alors, tu trouves naturel que monsieur me compromette, m’affiche, en faisant un scandale pour cette fleur que, d’ailleurs, il m’avait demandée…

Saint-Franquet, intervenant. — Pardon ! Pardon !

Micheline. — Si, monsieur, vous me l’avez demandée ! et c’est parce que je vous l’ai refusée…

Saint-Franquet. — Quand je pourrai parler…

Des Saugettes. — Et alors, à propos de rien, sans raison, j’ai reçu une gifle !

Plantarède. — Ah ! fichez-nous la paix ! On n’entend que vous ici.

Micheline. — Alors, tu admets ça, toi, tu admets ça !

Plantarède. — Mais pas du tout ! (A Saint-Franquet.) Ma femme a raison, monsieur… M’expliquerez-vous ?

Saint-Franquet. — Bon ! bon, c’est très bien ! Si vous trouvez bon que ce petit monsieur placarde à sa boutonnière des fleurs qu’on a vu porter à madame votre femme !

Micheline. — Ça ne vous regarde pas !

Plantarède. — Absolument !

Saint-Franquet. — Si vous admettez que ce gigolo vous rende ridicule…

Tous trois. — Ridicule !

Plantarède. — Ridicule ! Est-ce que, par hasard, vous voudriez insinuer que madame Plantarède…

Saint-Franquet. — Non ! mais…

Plantarède. — Alors, de quoi vous mêlez-vous ?

Saint-Franquet. — Ah ! et puis, en voilà assez ! Si vous le prenez sur ce ton-là…

Plantarède. — Je le prends sur le ton qu’il me plaît !

Saint-Franquet, Plantarède, Micheline, Des Saugettes ensemble :

Ensemble

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que vous dites ? C’est à moi que vous parlez de la sorte ! Mais, monsieur, vous ne me connaissez pas… Vous aurez affaire à moi !

Plantarède. — Ah ! et puis, inutile de prendre des grands airs avec moi ! Après tout, ce n’est pas parce que je ne suis pas un spadassin qu’il faudrait croire que vous me ferez peur

Micheline. — Eh bien, tu le vois, ton ami, tu le vois ! Quand tu me reprochais de le tenir à distance ! Tu vois ce que valait son amitié, tu vois comme tu pouvais avoir confiance en lui !

Des Sau gettes. — Ah ! non, je m’en souviendrai, de celle-là ! Penser que je me mets en quatre pour être empressé avec tout le monde… Et, sans raison, pour une fleur, je reçois une gifle ! Ah ! ben non, tout de même !

Cette discussion peut être prolongée ab libitum, chacun dans le sens de ses sentiments. Pendant qu’elle dure, on entend la cloche qui sonne le déjeuner. Eclair, puis tonnerre.

Plantarède. — Enfin, finissons-en ! (A Saint-Franquet.) Demain, monsieur, vous recevrez mes témoins.

Saint-Franquet. — C’est bien, monsieur, je suis à vos ordres.

Micheline, à Plantarède. Mon ami, mon ami ! tu ne vas pas te battre !

Le Gérant, accourant, affolé, au milieu d’eux. — Une altercation ! une altercation chez moi ! Messieurs, Messieurs, je vous en prie…

Plantarède. — Allez vous promener, vous !

Le Gérant, soumis. — Oui. (A Saint-Franquet.) Monsieur ! Monsieur ! Pour mon hôtel !

Saint-Franquet. — Retournez-donc à votre melon, vous. (A des habitants de l’hôtel, qui, venus à la sonnerie du déjeuner, se sont arrêtés en voyant la dispute et rassemblés à distance respectueuse pour en suivre les phases.) Et puis, vous, qu’est-ce que vous voulez ? Ça vous regarde, ce que nous disons ?…

Les Voyageurs, décontenancés. — Non… mais non…

Saint-Franquet. — Eh bien, allez donc manger ! On a sonné le déjeuner.

Les voyageurs s’éloignent en grommelant dans la direction de l’hôtel, suivis du gérant.

Micheline, à Saint-Franquet. — Monsieur, votre conduite est indigne !

Plantarède, à Micheline. — C’est bien, c’est bien, ça suffit ! (A Saint-Franquet.) A demain, monsieur !

Saint-Franquet. — A demain, monsieur.

Plantarède, à Micheline et des Saugettes. — Venez, vous autres. (Entre ses dents, en se dirigeant vers l’hôtel.) Mon Dieu, que c’est embêtant !

Micheline, à mi-voix, à des Saugettes. — Aussi, qu’est-ce que vous aviez besoin de mettre cette fleur à votre boutonnière, vous !

Plantarède, même jeu. — Mais c’est vrai aussi, ça ! Quel besoin aviez-vous ?

Des Saugettes. — Mais je ne sais pas, monsieur ! Elle était tombée par terre… Alors, pour ne pas qu’on marche dessus… J’aime pas voir souffrir les fleurs !

Plantarède. — Ah ! vous êtes malin ! Oui, vous êtes malin !

Micheline. — Ah ! oui, vous êtes malin !

Des Saugettes, piteux. — Ah ! ça, c’est vrai ! Ah ! je suis malin !

Plantarède. — Mon Dieu, que c’est embêtant ! Mon Dieu, que c’est embêtant !

Il fait passer sa femme et entre à sa suite dans l’hôtel.

Saint-Franquet, arpentant, rageur. — Oh ! oh ! oh !

Des Saugettes, s’est arrêté, hésitant, sur le pas de la porte ; il considère Saint-Franquet, puis, se déterminant à aller à lui. — Ecoutez, monsieur, maintenant que nous sommes seuls…

Saint-Franquet. — Ah ! vous, foutez-moi la paix, ou je vous casse la figure !

Des Saugettes, interloqué. — Ah ! Oui, monsieur ! oui !

Saint-Franquet. — Demain, mes témoins !

Des Saugettes. — Tout ce que vous voudrez, monsieur ! tout ce que vous voudrez ! (A part, en rentrant à l’hôtel.) Cré nom de Dieu !

Scène XXI

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Saint-Franquet, puis Bichon, puis Dotty et Tommy puis Micheline et Plantarède à la fenêtre, puis M. et Mme Giclefort.

Saint-Franquet, rongeant son frein. — Ah ! un bon coup d’épée à celui-là…

Bichon, accourant. — Qu’est-ce qu’il y a eu ! une dispute ?

Saint-Franquet. — Ah ! toi, va-t-en au diable.

Bichon. — Hein !

Saint-Franquet, se ravisant brusquement et sur un ton féroce. — Ou plutôt non ! Viens ! Tiens, je t’adore !

Il l’attire à lui.

Bichon. — Hein !

Saint-Franquet. — A la bonne heure, tu es la vraie femme, toi !

Tu es honnête ! Tu fais l’amour, mais tu ne le fais pas à la vertu ! tu es honnête

Bichon. — Il est fou !

Saint-Franquet, qui est assis sur le banc du milieu, l’attirant, d’un mouvement brusque, sur ses genoux. — Je t’adore, je te dis, je t’adore !

Il l’embrasse avec rage dans le cou. Eclairs.

Bichon. — Allons, voyons, allons, voyons ! Ah ! que c’est bête, tu me chatouilles… Allons, voyons !

Saint-Franquet. — Ça ne fait rien ! Tu es honnête ! Tiens, tiens !

Baisers répétés. Violent coup de tonnerre.

Bichon. — Allons, voyons, allons, voyons ! (Pluie.) Oh ! crotte ! il pleut !

Saint-Franquet. — Je t’adore !

Tommy, accourant, suivi de Dotty sous une ombrelle, et s’arrêtant, médusé, à la vue de Saint-Franquet couvrant Bichon de baisers. — Oh !… (A Dotty.) Ah ! look at him ! look at him !

Dotty, médusée à son tour. — Ah !… (Avec émotion.) Ah ! comme il sait haimer !

Micheline, paraissant à la fenêtre qui est restée ouverte. — Ah !… (A son mari.) Tiens, ton ami, regarde-le, ton ami !

Plantarède. — Oh !…

Saint-Franquet, à Bichon. — Je t’adore ! je t’adore !

Bichon, se levant et l’entraînant vers l’hôtel. — Ben oui, mais il pleut trop ; tu me le diras là-haut !

Saint-Franquet, la suivant. — Oui, je t’adore ! Certainement, je t’adore !

Dotty. — Oh ! how lovely ! how lovely !

Bichon, se retournant sous la véranda de l’hôtel et apercevant M. et Mme Giclefort qui arrivent en trottinant de leur mieux, leurs deux têtes abritées sous la robe relevée de Mme Giclefort. — Ah ! pige-moi ça ! Paul et Virginie !

Eclairs, tonnerre,

Rideau

Acte II

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Tout le fond est vitré, y compris la porte qui donne accès de l’antichambre dans l’atelier et qui occupe le milieu de la scène. Brise-bise au vitrage. A gauche, premier plan, porte donnant dans la chambre à coucher. Immédiatement au-dessus de la porte, au deuxième plan, un piano droit, dos au public. Petit canapé, adossé au piano. Petite table et fauteuil. A droite, deuxième plan, porte donnant sur le cabinet de toilette. Premier plan, à droite, une table de chêne, sur laquelle un téléphone, au milieu de papiers, de livres, de boîtes à couleurs ; tout ça en désordre. Ici et là, chevalets avec toiles commencées (genre néo-cubiste.)

Scène première

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Bichon, puis Saint-Franquet, puis Des Saugettes.

Avant le lever du rideau, on entend Bichon chanter avec accompagnement de piano, le premier couplet d’une chanson qui reviendra au courant de la scène. A l’attaque du refrain, le rideau se lève.

Bichon, au milieu de la scène, le dos tourné au public, ses jupes très retroussées, chantant :

Aha ! aha !…

Moya bott, bott, bott, bott, bott, bott, bott,

Troumali, troumala,

Aya koulami, aya koulami,

Ki, ki, ki, ki, ki, ki, ki,

Ki !…

(Marchant vers la droite, puis vers la gauche.)

Moya bott, bott, bott, bott, bott, bott, bott,

Troumali, troumala,

Kakali, kakala,

Zig, zig, zig, zig !

Zig !…

(Parlé, à l’accompagnateur qu’on ne voit pas.) Voilà, ça y est ! Un bon temps après le deuxième "aha", que je place mon petit frisson… et puis, grouillez-vous pour le "moya bott". C’est compris ?

L’Accompagnateur, toujours caché derrière le piano. -Hhui !

Bichon. — Bon ! Encore une fois, que ce soit bien arrêté. Là, du couplet ! (Ritournelle. Bichon fait son entrée comme elle la fera au café-concert. Chantant.)

En amonic, en alvadou,

Si cousi cosa, voyalminett,

Aya bougi…

Saint-Franquet, en manches de chemise, surgissant comme une trombe du cabinet de toilette. Oh ! non ! ce que tu peux être barbante avec ta chanson !

Bichon, sursautant. — Barbante !

Saint-Franquet. — Oui, barbante. C’est vrai, ça ! Ça va durer longtemps, cette serinade ?

Bichon. — C’est pas une sérénade, c’est une chansonnette.

Saint-Franquet. J’ai pas dit une sérénade, j’ai dit une serinade.

Bichon. — Ça n’est pas plus joli.

Saint-Franquet. — D’abord, elle est idiote, ta chanson.

Bichon. — Je regrette ! C’est sans doute, mon cher, que tu ne la comprends pas.

Saint-Franquet. — Ah ! ça, c’est admirable ! Tu la comprends, toi ?

Bichon. — En tous cas, je la fais comprendre.

Saint-Franquet. — Ah ! bon !

Bichon. — C’est une chanson agrache ! ça ne peut pas être du français.

Saint-Franquet. — Oui, mais comme on est en France et pas en Agrachie ! Je te demande un peu ce que ça signifie : Aya Koumali, ki ki ki…

Bichon. — Koulami, d’abord.

Saint-Franquet. — Koulami, si tu veux. Je ne sais pas la langue ! ki ki ki, ki ki ki, kakali, kakala…

Bichon, avec dédain. — Oh ! évidemment, dit comme ça : Aya koulami, ki ki ki, ki ki ki… Ça ne signifie rien. Mais si tu y mets un peu d’intentions, un peu d’art !… (Mettant des intentions.) Aya koulami, ki ki ki, ki ki ki, troumali troumala, kakali, kahala… Comme ça, eh ben… ça change !

Saint-Franquet, ironique. — Ah ! oui, ça change !

Bichon. — C’est précisément le fait des artisses de faire saisir au public les choses qui n’y sont pas.

Saint-Franquet, à l’accompagnateur qui n’a dit mot jusque-là. — Enfin, tu ne trouves pas ça idiot, toi ?

Des Saugettes, dont la tête paraît au-dessus du piano, avec un grand sourire épanoui. — Si !… si !…

Bichon. — Non, mais dites donc ! "Si, si" vous-même ! Je ne vous demande pas votre avis, à vous.

Des Saugettes. — C’est Gérard qui me le demande.

Bichon. — Naturellement ! Ça m’aurait étonnée que vous ne soyez pas de l’avis de Gérard ! Depuis qu’il vous a flanqué un coup d’épée, vous lui léchez les pieds.

Des Saugettes. — Moi !

Bichon. — Mais évidemment ! Vous avez peur.

Des Saugettes, riant. — Ah ! ah ! j’ai peur !

Bichon. — Ah ! et puis vous m’embêtez avec ma chanson ! Si vous trouvez ça malin de décourager une artisse au moment d’une création !

Saint-Franquet, l’imitant. — Une "créâtion" !…

Bichon. — D’abord, qu’est-ce que tu fais là ? Il est une heure trois quarts. Si tu ne veux pas arriver à la répétition générale du Français quand ce sera fini !… Pourquoi ne vas-tu pas t’habiller ?

Saint-Franquet. — Parce que… Parce que je ne trouve rien de ce qu’il me faut. Avec ton ordre habituel…

Bichon. — Tu ne trouves rien de ce qu’il te faut ?…

Saint-Franquet. — Évidemment ! Tu t’es si bien arrangée qu’il n’y a plus un domestique à la maison.

Bichon. — Est-ce que c’est ma faute ! Victor m’a demandé à sortir et Marie est sortie sans me demander.

Saint-Franquet. — C’est admirable, ça ! Pourquoi Marie est-elle sortie sans te demander ?

Bichon. — Parce que c’était son jour de congé.

Saint-Franquet. — Et Victor, alors, pourquoi t’a-t-il demandé à sortir ?

Bichon. — Parce que ce n’était pas son jour de congé.

Saint-Franquet. — C’est ça ! Il y en a un qui sort parce que c’est son jour de congé et l’autre qui s’en va parce que ce n’est pas son jour de congé ! C’est charmant ! Et moi, alors, débrouille-toi !… Si bien que je ne trouve rien.

Bichon. — Oh ! non, non, non, cette éternelle grinche ! Quoi ? quoi ? Qu’est-ce que tu ne trouves pas ?

Saint-Franquet. — Je ne trouve pas la brosse à habits.

Bichon, haussant les épaules. — Tu ne trouves pas la brosse à habits ! tu ne trouves pas la brosse à habits !… C’est admirable !… Elle est dans le pot à eau.

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que tu dis ?

Des Saugettes, riant. — Dans le pot à eau !

Bichon. — Eh ben, oui ! Elle m’est tombée des mains dans le pot à eau. Et comme je ne l’ai pas retirée, il est probable qu’elle y est encore.

Saint-Franquet. — Ah ! non, celle-là !…

Bichon. — Si tu avais regardé !

Saint-Franquet. — Tu veux que je regarde dans le pot à eau pour chercher une brosse à habits ?

Bichon. — Ben naturellement, puisqu’elle y est.

Saint-Franquet. — Je te demande un peu ! Faire macérer ma brosse dans…

Bichon. — Tu ne voulais pas que, sur ma digestion, j’aille me tremper le bras jusqu’au coude. Tout ça pour une brosse !

Saint-Franquet. — Et alors, pendant ce temps-là, moi je me suis lavé les dents avec l’eau de ma brosse !

Bichon. — Eh ben, quoi, v’là tout. Est-ce que tu t’en es aperçu, est-ce que tu t’en portes plus mal ? Non. Eh ben, alors, qué qu’ça te fait ?

Saint-Franquet. — Mais ça me dégoûte ! C’est admirable, ça. Tu es comme ces gens qui vous emmènent vous débarbouiller dans leur cabinet de toilette, et qui, au moment où vous vous essuyez le visage, vous disent : " Ah ! vous n’auriez pas dû prendre cette serviette-là, c’est pas la serviette à figure !…" On ne s’en porte pas plus mal ; mais n’empêche que c’est dégoûtant.

Bichon. — Mon Dieu, que tu es compliqué !

Saint-Franquet. — Enfin, avec quoi je vais me brosser, moi, maintenant ? Avec ma brosse qui trempe ?

Bichon. — Eh ben, quoi, v’là tout. Prends la mienne. En v’là une affaire !

Saint-Franquet. — Oui, et où est-elle, la tienne ?

Bichon. — Mais dans mon sac de voyage. Où veux-tu qu’elle soit ?

Saint-Franquet regagnant son cabinet de toilette. — Est-ce que je sais, moi ! Peut-être dans le bain de pieds.

Des Saugettes, riant. — Dans le bain de pieds !

Bichon. — Oh ! que c’est spirituel ! (A des Saugettes.) Et puis, vous, vous feriez mieux de vous taire, au lieu de prendre tout le temps le parti de Gérard.

Des Saugettes, se laissant conduire au piano. — J’étais de son avis.

Bichon. — Raison de plus pour vous ranger du mien.

Des Saugettes. — Oh ! ben, non, écoutez, puisque ça embête Gérard…

Bichon. — Oh ! Gérard, toujours Gérard ! Je m’en fiche, que ça embête Gérard. C’est pas lui qui restera en plan au concert si je ne sais pas. Moi, j’ai ma conscience professionnelle ! Allez ! allez, mon petit, travaillons !

Des Saugettes, avec un soupir. — Enfin !

Il attaque la ritournelle.

Bichon, sort rageusement par le fond et revient en refaisant son entrée, saluant à droite, puis à gauche, ce tout en maugréant. — C’est vrai, ça, toujours Gérard ! Mais est-ce qu’il y connaît quelque chose, Gérard ? Et puis, j’en ai assez, moi, si chaque fois que je…

La ritournelle achevée, de but en blanc, elle passe de son ronchonnement au couplet de sa chanson, qu’elle détaille avec force intentions et gestes.

En Amonic, en Alvadou,

Si cousi cosa, voyalminett,

Aya bougi, lenal troutrou,

Gigouli pampan, aval trampett…

Moravi dodo,

Atali popo,

Trin da la bou, si lim abem,

Roja bouf tané, miremir kalem !

Aha !… aha…

Frisson prolongé.

Ah !…

Refrain

Moyabott, bott, bott, bott, bott, bott, bott,

Troumali, troumala,

Aya koulami aya koulami,

Ki, ki, ki, ki, ki, ki, ki,

Ki !…

Moyabott, bott, bott, bott, bott, bott, bott,

Troumali, troumala…

Saint-Franquet, en jaquette, surgit de droite, chantant ironiquement en même temps qu’elle.

Tous Deux, face à face, Bichon avec rage.

Kakali, kakala,

Zir zi, zig zig !

Zig

Bichon, parlé. — Idiot !

Saint-Franquet, idem. — Oh ! je la saurai, ta chanson !

Bichon, laissant retomber ses jupes. — Eh ben, tu la sauras ! En v’la un beau malheur. Cette façon d’entrer toujours comme un polype !

Saint-Franquet, se tordant. — Un "polype ! " Non, t’entends ça, des Saugettes ?

Des Saugettes. — Oh ! non ! Je viens de me faire ramasser, je n’entends plus rien.

Saint-Franquet, à Bichon. — "Bolide", on dit. On ne dit pas "polype".

Bichon. — Eh ben, oui ! Bolide ! bolide ! Quoi, la langue peut vous fourcher. Je sais bien, parbleu, "Polype", c’est un nom d’homme.

Saint-Franquet, se tordant. — Ah ! ah ! Polype un nom d’homme, à présent ! Dis donc, des Saugettes !

Des Saugettes, riant par complaisance. — Ehé ! éhé ! éhé !

Bichon. — Quand vous rirez comme des imbéciles ! (A Saint-Franquet.) Enfin, quoi ? Qu’est-ce que tu veux encore ?

Saint-Franquet. — La brosse.

Bichon. — Quoi, la brosse ?

Saint-Franquet. — Dans ton sac. Elle n’y est pas.

Bichon. — Comment, elle n’y est pas !

Saint-Franquet. — Non, elle n’y est pas.

Bichon. — C’est pas possible. C’est moi-même qui l’ai rangée.

Des Saugettes. — Écoutez, voulez-vous que j’aille voir ?

Bichon. — Oui, allez, mon ami, allez ; parce que lui !…

Saint-Franquet, à des Saugettes. — Oh ! si tu crois que tu seras plus malin que moi !

Des Saugettes. — Oh ! c’est pas ça que je veux dire. Gérard !

Bichon. — Allez toujours ! allez !

Des Saugettes. — Oui !

Il sort.

Scène II

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Bichon, Saint-Franquet.

Bichon. — Non, tu sais, tu n’es pas fait pour vivre avec une artisse !

Saint-Franquet, haussant les épaules. — Oui, oh ! une artisse !

Bichon. — Oui, une artisse ! Oh ! je sais ! tu ne me prends pas au sérieux. Comme on dit : "On n’est jamais trop faite dans son pays ! "

Saint-Franquet. — On n’a jamais dit ça.

Bichon. — Comment, on n’a jamais dit ça ?

Saint-Franquet. — On n’a jamais dit : "trop faite". On a dit : "prophète".

Bichon. — Ah ! tu m’embêtes, à me reprendre sur tout ce que je dis. Tu a compris, n’est-ce pas ? Eh ben, c’est tout ce qu’il faut.

Saint-Franquet. — Ah !

Bichon. — En tous cas, je suis aussi artisse que toi. Si tu trouves ça joli, ce que tu fais !

Saint-Franquet. — La peinture n’a pas à être jolie.

Bichon. — Autrefois, encore, c’était pas mal ; tu peignais comme tout le monde. Maintenant, c’est plus que des petits carrés à côté les uns des autres.

Saint-Franquet. — Naturellement : je suis parallélipipédiste.

Bichon. — C’est pas de la peinture.

Saint-Franquet. — C’est une école.

Bichon. — Eh bien, tant mieux ! En tout cas, tu peins comme tu veux et je ne te dis rien. Eh ben, fais-en autant quand je travaille mon art.

Saint-Franquet. — Ton "ârt" !… Ah ! ce que je te préférais quand on s’est mis ensemble, quand tu étais bonne fille, sans prétention, avec tes cheveux châtains, que tu as trouvé bon de teindre en filasse…

Bichon. — On ne peut pas avoir du talent au concert si on n’est pas blonde.

Saint-Franquet, continuant. — Quand on t’appelait Bichon, tout simplement, au lieu de Blanche de Jouy ! (Grossissant sa voix de façon à en avoir plein la bouche.) Blanche de Jouy !

Bichon. — Quoi ? C’est exprès… C’est pour qu’on en arrive peu à peu à dire : "l’étoile de Jouy".

Saint-Franquet, qui a les mains dans la rainure du fauteuil sur lequel il est assis. — C’est très fort, c’est très fort ! (Changeant de ton.) Qu’est-ce que c’est que ça ?

Bichon. — Quoi ?

Saint-Franquet, tirant la brosse de Bichon de la rainure du fauteuil. — Ta brosse !

Bichon. — Ah ! tu l’as trouvée ?

Saint-Franquet. — Dans la rainure du fauteuil.

Bichon. — Eh ben, tu vois, quand on cherche !

Saint-Franquet. — Ah ! oui !

Bichon. — Quand je te disais, que je l’avais mise quelque part.

Saint-Franquet, brossant sa jaquette. — Oui, ah ! ça, c’est vrai ! Elle y est !… Ah ! tu as de l’ordre !

Scène III

Les Mêmes, Des Saugettes.

Des Saugettes. — Eh bien, vous savez, j’ai bien regardé dans le sac, je n’ai pas trouvé la brosse.

Saint-Franquet. — Oui, oh ! tu aurais pu chercher longtemps. La voilà !

Des Saugettes. — Vous l’avez trouvée ?

Saint-Franquet. — Naturellement !… Dans le fauteuil !

Des Saugettes, riant. — Ah !… dans le fauteuil !…

Bichon. — Ben oui, dans le fauteuil. (A Saint-Franquet.) Enfin, quoi, il ne te faut plus rien ?

Saint-Franquet, cherchant sur la table. — Là, eh bien, maintenant, c’est mon billet pour la générale… Où l’as-tu rangé ? Il était sur la table.

Bichon, sur un ton de lassitude résignée. Dans le cabinet de toilette, sur la cheminée.

Saint-Franquet. — Non, il n’y est pas. J’en sors, du cabinet de toilette ; il n’y a aucun papier sur la cheminée.

Bichon. — C’est que tu l’auras fait tomber. C’est moi-même qui l’y ai mis.

Saint-Franquet. — Eh ben, je ne sais pas, moi. Va voir.

Bichon. — Ah ! là là ! même pas capable de !… (Bousculant des Saugettes.) Allez ! laissez-moi passer !

Elle sort.

Saint-Franquet. — Ah ! ce désordre !

Des Saugettes. — Ah ! mon pauvre vieux ! Les femmes, hein !

Saint-Franquet. — Ah !… ça a évidemment de bons moments ; mais, nom de Dieu !…

Des Saugettes. — Regarde, nous, entre hommes, est-ce qu’on se dispute jamais ? Tu me bouscules, je ne dis rien. On s’entend très bien.

Saint-Franquet. — Mais dame !

Des Saugettes. — Je suis un ami, tu sais !

Saint-Franquet. — Je sais, oui. Et tout ça parce que je t’ai flanqué un coup d’épée ! Mon pauvre des Saugettes, va. Ça ne te fait plus mal ?

Des Saugettes. — Oh ! non ! Depuis six mois, ce serait malheureux. Oh ! je ne le regrette pas aujourd’hui… aujourd’hui que c’est passé ! Mais tout de même, sur le moment, j’étais bien embêté.

Saint-Franquet. — Pourquoi ?

Des Saugettes. — J’aime pas me battre.

Saint-Franquet. — C’est une raison.

Des Saugettes. — L’idée d’être piqué !… Mais rien que d’avoir à me faire vacciner… J’aime mieux la petite vérole !

Saint-Franquet. — Affaire de goût.

Scène IV

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Saint-Franquet, Des Saugettes, Bichon.

Bichon, revenant avec le paletot de Saint-Franquet sur le bras et son haut de forme à la main. — Eh ben, je savais bien qu’il était par là !

Saint-Franquet. — Tu as trouvé le billet ?

Bichon. — Naturellement.

Saint-Franquet. — Sur la cheminée ?

Bichon. — Enfin… dans !

Saint-Franquet. — Ah ! oui, dans !

Bichon. — Oui, tiens !

Elle lui tend un papier roulé en papillotte et brûlé par un bout.

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Bichon. — Eh ben, c’est le billet. Je te demande pardon, il est un peu abîmé.

Saint-Franquet. — Ah ! ben, je te crois !

Bichon. — C’est parce que j’ai pas fait attention ; je m’en suis servie ce matin pour allumer ma lampe à friser. J’avais pas d’allumettes.

Saint-Franquet. — C’est charmant !

Bichon. — Eh ! ben quoi… Il est aussi bon.

Saint-Franquet. — Tu ne veux pas que j’aille présenter ce détritus, ce bout de suie aux contrôleurs du Théâtre Français…

Bichon. — Pourquoi pas ? Tu n’auras qu’à leur expliquer que c’est en allumant ta lampe pour te friser.

Saint-Franquet. — Non, mais c’est ça ! Pourquoi donc moi ?

Bichon. — Eh ben, tu diras que c’est moi. Qu’est-ce que ça fait ? Oh ! ne fais donc pas une histoire de tout ! Tiens, voilà ton pardessus et ton chapeau.

Saint-Franquet. — Eh bien, pose ça là. Je le prendrai tout à l’heure.

Bichon, allant poser le pardessus sur une chaise, près de la porte. — Rayon de soleil, va !… (Brusquement, en passant derrière une toile qui est vue à l’envers, le chevalet étant retourné.) Oh !… nom d’un chien ! Oh !…

Saint-Franquet. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Bichon. — Eh ! c’est avec ton sale tableau ! Tu laisses ça comme ça, là, c’est pas sec… et alors, naturellement, quand on passe…

Elle tourne vers le public le tableau, qui est tout abîmé.

Saint-Franquet, courant au tableau. — Mon Dieu ! qu’est-ce que tu as fait ?

Bichon. — Eh ben, je m’en suis fourré plein la manche !

Saint-Franquet. — Tu m’as éreinté mon tableau !

Des Saugettes. — Oh !

Bichon, montrant sa manche. — Regarde-moi ça ! de quoi ça a l’air !

Saint-Franquet, montrant son tableau. — Ah ! ben, c’est du joli ! Ah ! nom de Dieu ! Ah ! c’est agréable !

Bichon. — Un corsage tout neuf !

Saint-Franquet. — Mais je m’en fous, de ton corsage ! Il peut crever, ton corsage ! C’est mon tableau !

Bichon. — Mais je m’en fous, moi, de ton tableau ! Il peut crever !

Saint-Franquet. — Un tableau que je venais de finir, qu’il n’y avait plus qu’à vendre…

Bichon. — Aussi, cette manie de peindre avec de l’huile ! une chose qui tache !

Saint-Franquet. — Avec quoi veux-tu que je peigne ? Avec du vinaigre ?…

Bichon. — Mais avec de l’eau ! Quelque chose de propre, et qui sèche.

Saint-Franquet. — Avec de l’eau ! avec de l’eau !

Bichon. — Ah ! non, ce que c’est salissant d’avoir un peintre pour amant !

Saint-Franquet. — Eh ! bien, quitte-le, ton peintre, quitte-le ! Il ne te retient pas !

Des Saugettes. — Voyons, voyons, mes enfants…

Saint-Franquet. — Toi, fiche-moi la paix !

Des Saugettes. — Oui.

Bichon, lui jetant son corsage. — Et allez me cherchez ma matinée.

Des Saugettes. — Oui ! Je vais chercher la matinée !

Il sort.

Bichon. — Si tu crois que je tiens à toi !

Saint-Franquet. — Eh bien, alors !

Bichon. — Dieu merci, je ne serais pas embarrassée ! Et j’en sais plus d’un…

Saint-Franquet. — Eh bien, prends-les, tes plus d’un !… Prends-les !

Bichon. — Tu n’auras pas à me le répéter deux fois !

Des Saugettes, revenant. — Voilà la matinée.

Bichon, la passant. — Merci. (A Saint-Franquet.) Tu n’auras pas à me le répéter deux fois !

Saint-Franquet. — C’est parfait !

Des Saugettes. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Bichon, des larmes dans la voix. — Je m’en vais, des Saugettes ! Je m’en vais !

Des Saugettes. — Oh ! mes enfants, voyons !…

Bichon. — Mais non, mais non ! A quoi bon éterniser une situation dans laquelle il n’y a d’amour ni d’un côté ni de l’autre ?

Des Saugettes. — Mais si, mais si !

Bichon. — Mais non ! A quoi bon se payer de mots ? Je ne l’aime pas, il ne m’aime pas !

Des Saugettes. — Mais si, mais si.

Bichon. — Oh ! pardon, hein, là-dessus, rapportez-vous en à mon expérience ! L’homme a au moins ça de loyal, c’est pas sa faute, c’est que, quand il aime, tout parle en lui. Eh ben, Gérard a depuis longtemps de ces silences… éloquents !… (Haussement d’épaules et à Saint-Franquet.) Dis donc le contraire !

Des Saugettes. — Mais non ! mais non !

Bichon. — C’est pas à vous que je le demandais ! On n’a pas l’habitude de vous appeler dans ces moments-là !

Saint-Franquet. — Mais je t’en prie, donne-lui des détails !

Bichon. — Oh ! pas besoin ! Il nous voit, il doit être fixé. Il doit bien savoir que si l’on s’est mis ensemble, ça n’a pas été précisément pour le grand amour. Moi, c’est parce que j’avais vu une petite Américaine qui avait eu le coup de foudre pour toi…

Saint-Franquet. — Pauvre petite !

Bichon. — Toi, c’est par dépit, parce que ta femme mariée t’avait envoyé promener et qu’elle préférait coucher avec des Saugettes !

Saint-Franquet. — Quoi ?

Des Saugettes. — Hein ?… Ah ! permettez !

Saint-Franquet, à Bichon. — D’abord, tu mens ! Jamais des Saugettes n’a… ce que tu dis… avec elle !

Des Saugettes, entre eux deux. — Mais jamais !

Bichon. — Oui ! (Bousculant des Saugettes.) Alors, pourquoi lui as-tu donné un coup d’épée ?

Saint-Franquet, même jeu. — Mais… comme ça ! parce que je ne le connaissais pas.

Bichon, même jeu. — Ah ! c’était pour entrer en relation…

Des Saugettes. — En tous cas, jamais, au grand jamais !…

Bichon. — Mais oui ! mais oui !

Saint-Franquet, à des Saugettes. — Mais tu n’as pas besoin de te défendre ! Je connais assez la personne en question !… C’est une honnête femme !

Bichon, ironique. — Oh ! oui !

Des Saugettes. — Mais absolument !

Saint-Franquet. — Et puis, c’est une femme de goût !

Des Saugettes. — Mais absolument ! (Se reprenant, froissé.) Ah ! dis donc, toi !

Saint-Franquet, continuant. -… qui ne s’éprend pas comme ça du premier imbécile venu.

Des Saugettes. — Ah ! mais dis donc !

Saint-Franquet. — Ah ! tais-toi ! Voilà ce que tu attires à une honnête femme avec l’attitude que tu prenais avec elle…

Des Saugettes. — Ah ! ben, non, non ! écoutez ! Si la discussion doit prendre cette tournure, j’aime mieux m’en aller.

Saint-Franquet. — Mais va-t-en ! Qui est-ce qui te demande de rester ?

Des Saugettes. — Oui, eh bien, quand vous aurez fini, vous m’appellerez.

Saint-Franquet. — Il ne te manque plus que d’avoir mauvais caractère…

Des Saugettes, s’en allant. — Tu as raison, oui, je suis bien bête !… Ah ! là là ! je suis bien bête !

Il sort.

Saint-Franquet. — Ah ! ça, oui ! A-t-on jamais vu !

Bichon. — Ah ! il y a longtemps que je dis que quand un ami se glisse dans un ménage…

Saint-Franquet. — Ah ! oui ! Oh ! mais !…

Grand silence.

Bichon, un pas vers lui. Gérard !

Saint-Franquet. — Quoi ?

Bichon. — Donne-moi la main.

Saint-Franquet. — A quoi bon ?

Bichon. — Si. Nous sommes là à nous dire des choses inutiles, blessantes… C’est stupide ! Va, donne-moi la main…

Saint-Franquet. — Mais non…

Bichon. -… et quittons-nous !

Saint-Franquet, lui donnant la main avec empressement. — Ah ! oui !

Bichon. — Quittons-nous ; mais chiquement ! en bons amis ! comme deux êtres qui s’aiment bien, qui s’estiment ; mais qui ne peuvent pas se sentir.

Saint-Franquet. — Tu as raison, ça vaut mieux !

Bichon, contre lui. — Et d’ailleurs, tu sais, n’aie pas de scrupules. Je suis pas en peine, j’ai quelqu’un.

Saint-Franquet, estomaqué. — Quoi ?

Bichon. — Oui, le fauteuil 49.

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que c’est que ça, le fauteuil 49 ?…

Bichon. — Un abonné du mercredi et du samedi à notre concert. Il ne manque pas une fois ! Et il m’envoie des fleurs et des lettres brûlantes.

Saint-Franquet. — Ah ! mes compliments ! Tu t’es bien gardée de me dire ça, hein ?

Bichon. — A quoi bon ? Tant qu’on était ensemble ! Un amant, c’est comme un mari, y a des choses qu’on ne lui dit pas.

Saint-Franquet. — Ayez donc confiance !

Bichon. — Oh ! mais je n’ai jamais trahi la tienne ! On a le sentiment de ce qu’on doit. Je crois que j’en ai donné la preuve encore l’autre jour, quand le fauteuil 49 m’a envoyé cette admirable boucle d’oreille, ce solitaire énorme, avec ce mot qui l’accompagnait ; "Si vous voulez avoir la paire, faites-moi signe et je vous l’apporte."

Saint-Franquet. — Ce culot !

Bichon. — Possible ! Mais tu avoueras que c’était tentant. Eh ben, je n’ai rien voulu savoir ! J’ai fait dire qu’il n’y avait pas de réponse. Et quant à son solitaire…

Saint-Franquet. — Tu l’as renvoyé ?

Bichon, avec dignité. — Non ; mais je l’ai fait monter en bague ! Voilà ce que j’ai fait pour toi !

Saint-Franquet. — C’est trop beau !

Bichon. — Voilà comme je suis, moi !

Saint-Franquet. — Oui, eh, bien, plus de sacrifice, maintenant ! Tu es libre ! va retrouver le fauteuil 49. Va ! va !…

Bichon. — Oui ? Oh ! ben, c’est pas difficile. Un mot au téléphone, et ça y est.

Saint-Franquet. — Mais va donc ! Ne te gêne donc pas pour moi.

Bichon. — Non ? Ah ! ben, ça ne sera pas long !

Elle décroche le récepteur et l’appuie à son oreille.

Saint-Franquet. — Tu téléphones d’ici au fauteuil 49 ?

Bichon. — J’ai besoin de lui dire d’où je lui téléphone. (A l’appareil.) Allô !… Mademoiselle, voulez-vous me donner le 606-22 ?

Saint-Franquet. — 22, les deux cocottes !

Bichon. — Mon Dieu, oui.

Saint-Franquet. — Et 606 avant ! C’est la charrue avant les bœufs.

Bichon. — Tais-toi donc, j’entends pas ! (Parlant au téléphone.) C’est le 602-22 qui est à l’appareil ? (Un temps.) Le 606-22 lui-même ? (Un temps.) Alors, c’est le fauteuil 49 ? (Minaudant.) C’est mademoiselle de Jouy qui vous parle.

Saint-Franquet. — Ce qu’il faut entendre !

Bichon, à l’appareil. — Oui ! Ne vous troublez pas ! Venez tout de suite. Je vous attends chez moi, 27, faubourg Saint-Honoré.

Saint-Franquet. — Quoi ?

Bichon. — Vous venez ! Bon.

Elle raccroche le récepteur.

Saint-Franquet. — Ah ! çà, tu es folle ! Tu le fais venir chez moi, maintenant ?

Bichon. — Mais il ne sait pas que c’est chez toi.

Saint-Franquet. — Mais ça m’est égal ! Tu te fiches de moi ! Je n’accepte pas de jouer un rôle ridicule…

Bichon. — Comment, mais voyons, puisqu’on se quitte…

Saint-Franquet. — C’est entendu, on se quitte ! Mais que mon remplaçant vienne faire son collage dans mes meubles… Ah ! non !

Il décroche le récepteur.

Bichon. — Qu’est-ce que tu vas faire ?

Saint-Franquet, à l’appareil. — Le 606-22, s’il vous plaît ?

Bichon, courant à lui. — Gérard ! Gérard ! Voyons !

Saint-Franquet. — Laisse-moi ! (A l’appareil.) Oui, le 606-22… 606… et 22…

Bichon. — C’est ridicule, ce que tu fais, Gérard !

Saint-Franquet. — Ça m’est égal ! (La repoussant.) Allez, allez ! (A l’appareil.) Allez ! (Se reprenant.) Allô !… C’est le 606-22 ?… Quoi ?… Ah ! c’est sa femme ?

Bichon. — Gérard, veux-tu laisser ça !

Saint-Franquet. — Fous-moi la paix ! (A l’appareil.) Non, ce n’est pas à vous que je parle !… Ah ! vous êtes sa femme ! Eh bien, vous direz à votre mari que c’est un polisson…

Bichon. — Oh !

Saint-Franquet, comme précédemment. -… et que l’amant de mademoiselle de Jouy lui envoie son pied quelque part !

Bichon. — Ah ! çà, tu n’es pas fou ?…

Saint-Franquet, à l’appareil. — Je vous présente mes hommages, madame !

Bichon, lui arrachant l’appareil des mains. — Veux-tu laisser ça !

Saint-Franquet, furieux, allant sur elle. — Ah ! puis, toi, tu vas me faire plaisir de filer droit ! et que je ne t’entende plus !

Bichon. — Tu lèves la main sur moi ! (Appelant.) Des Saugettes ! des Saugettes ! Au secours !

Saint-Franquet. — As-tu fini de crier ?

Scène V

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Saint-Franquet, Bichon, Des Saugettes.

Des Saugettes, accourant. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Bichon. — C’est Gérard ! c’est Gérard qui me bat !

Des Saugettes. — Oh !

Saint-Franquet, à Bichon. — J’te bats ! j’te bats non, dis donc, p’tit raquin ! ( Lui envoyant des tapes sur le gras du bras.) Est-ce que j’ai l’air d’un homme qui bat les femmes ? Dis, hein ? Est-ce que j’ai l’air ?

Bichon. — Ah ! mais dis donc ! ah ! mais dis donc !

Des Saugettes. — Allons, allons !

Saint-Franquet. — Imagine-t-on ça ! Madame qui se permet de téléphoner d’ici à un je ne sais qui, au fauteuil 49, pour lui donner rendez-vous chez moi, et ça pour lui accorder ses faveurs ! (La tapant.) J’te bats ! j’te bats !

Bichon, criant. — Des Saugettes ! des Saugettes !

Des Saugettes. — Allons, voyons ! En voilà assez !

Saint-Franquet. — Fiche-moi la paix, toi ! (On sonne.) Et tiens, va ouvrir, puisque madame a donné congé aux larbins !

Des Saugettes. — Oui… mais ne la bats plus !

Il sort par le fond.

Saint-Franquet Ah ! je t’en donnerai, moi, des fauteuils 49 !

Bichon. — Tu me paieras ça, tu sais ! tu me paieras ça !

Saint-Franquet. — Oui, bon ! c’est entendu !

Bichon, se tâtant le bras. — Cochon, va !

Saint-Franquet, à des Saugettes qui revient, portant une énorme corbeille de fleurs blanches. — Quoi ? Qu’est-ce que c’est ?

Des Saugettes. — C’est des fleurs !

Saint-Franquet. — C’est ça, oui ! du fauteuil 49 ! Attends un peu que je les fiche par la fenêtre !

Des Saugettes. — Mais non ! C’est pour toi.

Saint-Franquet, — Pour moi !

Bichon, acerbe. — Là ! Voilà ! Voilà comme il en est de tout !

Saint-Franquet. — Qu’est-ce que ça veut dire, ça, pour moi ? Qui est-ce qui peut m’envoyer des corbeilles de mariée ?

Des Saugettes - Je ne sais pas. Le commis m’a dit : "C’est pour monsieur Saint-Franquet."

Saint-Franquet. — Il n’a pas dit de la part de qui ? Il n’y a pas de carte ?

Des Saugettes. — Non. Il y a l’étiquette du fleuriste… Vaillant-Roseau.

Saint-Franquet. — Ça, par exemple !… C’est bien, je m’en fous ! Pose ça là.

Des Saugettes, posant les fleurs sur une console. — Elles sont jolies, ces fleurs !

Bichon, à Saint-Franquet. — Ah ! maintenant que c’est pour toi, tu ne les jettes plus par la fenêtre, hein ?… hein, dis ?…

Des Saugettes - Allons, allons, voyons !… (A Saint-Franquet, avec énergie.) Si tu partais pour ton Théâtre Français ?… Hein !…

Saint-Franquet. — Je ne vais pas au Théâtre Français.

Bichon. — Ah !

Des Saugettes, fier de son énergie. — Ah ! mais… (Se retournant tout à coup vers Saint-Franquet.) Ah ?…

Saint-Franquet, s’asseyant et se tapant le pied avec la brosse. — Je reste ici. J’attends le…

Des Saugettes - Le bottier ?

Saint-Franquet. — Le fauteuil 49 !

Des Saugettes. — Le fauteuil 49 ?

Saint-Franquet. — Pour lui flanquer mon pied quelque part quand il arrivera.

Bichon, avec un sourire de pitié. — Imbécile !

Saint-Franquet. — Oh ! dis donc ; toi !

Bichon. — Alors, tu t’imagines bonassement qu’il va venir ?

Saint-Franquet. — Quoi ?

Bichon. — Tu me crois assez naïve pour lui avoir téléphoné devant toi de s’amener ici ! Alors, quoi, je ne sais pas vivre ?

Saint-Franquet. — Allons, allons ! à d’autres !

Bichon. — Si tu avais regardé ! J’avais la main appuyée sur le crochet et je parlais dans le vide… histoire de te faire rager et de te donner une leçon.

Saint-Franquet. — Oui, tu me racontes ça maintenant !

Bichon. — La preuve, c’est que quand tu as demandé le numéro que j’avais censément demandé, avec qui as-tu été en communication ? avec une dame ! Une malheureuse, même, que tu as dû mettre tout à l’envers avec ta sortie stupide !… Comme c’est chic ! Tu as peut-être brisé le bonheur d’un ménage… (Saint-Franquet relève la tête, l’air soucieux.) Eh bien ?

Saint-Franquet, se levant. — Tu as raison, je vais lui retéléphoner.

Bichon, vivement. — Ah ! non !

Saint-Franquet. — Ah ! tu vois bien que tu me contes des blagues !

Bichon - Bon ! bon ! je te colle des blagues !

Saint-Franquet. — Si tu te figures que tu vas me faire croire…

Bichon. — C’est bien ! Reste ! Tu verras bien.

Saint-Franquet - Les femmes sont capables d’un tel cynisme !

Bichon - Mais reste, je te dis ! Tu seras fixé.

Saint-Franquet. — Ah ! et puis, tu m’embêtes ! je resterai si je veux. C’est admirable, ça. Il faudrait peut-être que je manque ma répétition générale, pour faire plaisir à madame !

Bichon. — Eh ! ben, alors, va-t-en !

Saint-Franquet, gesticulant, tandis que des Saugettes s’efforce en vain de lui enfiler son pardessus. — Mais parfaitement, je m’en vais ! Plus souvent que je resterai pour te donner la joie de te payer ma tête ! Si tu crois que j’ai gobé un instant ton histoire de téléphone… Ah ! ben ! . tu as cru me faire marcher, mais c’est moi qui t’ai fait marcher.

Bichon. — Ah ! bon !

Saint-Franquet. — On ne me la fait pas, à moi ! Quant à toi, des Saugettes, tu n’as rien à faire, tu vas avoir la complaisance de passer chez le fleuriste pour savoir qui m’a envoyé ces fleurs tout à l’heure.

Des Saugettes. — Entendu.

Bichon, à Saint-Franquet. — Ah ! ça t’intrigue !

Saint-Franquet. — Non, madame, non ; mais j’aime savoir ! Je ne veux pas qu’on me prenne pour une cocotte !… Adieu !

Il sort en claquant la porte.

Des Saugettes. — Elles sont jolies, ces fleurs !

ScèneVI

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Bichon, Des Saugettes.

Bichon, aussitôt qu’elle a entendu fermer la porte du vestibule. — Là !… Eh ben, mon petit des Saugettes, maintenant, vous allez me faire le plaisir de vider le plancher.

Des Saugettes. — Comment ?

Bichon. — J’attends quelqu’un, et… je n’ai pas besoin de vous.

Des Saugettes. — Vous attendez quelqu’un ?

Bichon - Oui.

Des Saugettes. — Qui ? Qui ?

Bichon - Je vous dis quelqu’un… quelqu’un que vous n’avez pas à connaître, attendu qu’il vient pour moi et pas pour vous.

Des Saugettes Ah ! mon Dieu ! le fauteuil 49 !

Bichon. — Comme vous êtes fort !

Des Saugettes, indigné. — Oh ! oh ! Bichon ! Bichon ! Ce n’est pas possible… Vous venez de dire vous-même que ce n’était pas vrai, que vous aviez fait semblant de téléphoner…

Bichon. — Tiens, parbleu !

Des Saugettes. — Oh ! pourquoi, pourquoi, alors, avez-vous dit à Gérard…

Bichon. — Pour qu’il s’en aille.

Des Saugettes. — Bichon, je n’en crois rien ! Vous n’auriez pas, là, devant lui…

Bichon. — Je fais toujours les choses devant les gens ; je n’aime pas les cachotteries. Et puis, c’est le meilleur moyen pour qu’ils n’y croient pas.

Des Saugettes. — Vous êtes cynique !

On sonne.

Bichon. — En attendant, le voici, et…

Des Saugettes. — Oh ! non ! J’aime mieux m’en aller.

Bichon. — Remarquez, mon ami, que c’est tout ce que je vous demande. Oh ! mais, attendez, je vais aller ouvrir. Pendant ce temps-là, vous allez sortir par là, en faisant le tour… C’est compris ?

Des Saugettes, — Oh ! non ! non ! et ça devant moi ! Me faire le complice… Oh !

Il sort de gauche. Sonnerie prolongée.

Scène VII

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Bichon, Plantarède.

Bichon, qui est sortie par le fond, revenant. — Entrez, monsieur… mais entrez donc !

Plantarède, paraissant, la figure toute rasée et coiffé avec coquetterie. — Oh ! je suis heureux ! je suis heureux ! Ma petite de Jouy ! ma petite de Jouy !

Bichon. — Allons, allons, monsieur… Voyons, je vous en prie !

Plantarède. — Ah ! quand je pense que c’est cette petite femme que, deux fois par semaine, j’applaudis de mon fauteuil… et que, maintenant, je suis là ; devant elle ! elle est là, devant moi !

Bichon. — Qui dit l’un, dit l’autre.

Plantarède. — Oui ; mais sans rampe, rien ! ma main touche la sienne ! Ah ! quand vous m’avez téléphoné tout à l’heure, j’ai cru tomber de joie… Ma femme arrivait, j’ai lâché ma femme…

Bichon. — Ah ! vous êtes marié

Plantarède. — Je suis marié, oui… ne vous occupez pas de ça… Ah ! je n’ai pas été long, j’ai pris mon chapeau, j’ai sauté dans une auto… et me voilà ! et me voilà !… Ah ! ma petite de Jouy ! ma petite de Jouy !

Voix de des Saugettes, à la cantonade gauche, accompagnée de coups de poing dans la cloison. — Oh ! c’est dégoûtant ce que vous faites là, monsieur ! L’amie de mon ami !

Plantarède, interloqué. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Bichon. — Rien, rien !

Voix de des Saugettes. — Allez-vous en, monsieur ! Allez-vous en !

Plantarède. — Mais qui est-ce qui parle comme ça ?

Bichon. — C’est… c’est un camarade de mon concert, avec qui j’étais en train de répéter… Il repasse sa scène. Attendez ! (Allant ouvrir la porte de gauche.) Partez, mon ami, partez ! Je vous ai dit que je n’avais plus besoin de vous.

Voix de des Saugettes. — C’est dégoûtant !

Bichon, donnant un coup de pied quelque part à des Saugettes qu’on aperçoit vaguement. — Mais allez donc !… (Des Saugettes se sauve. — Revenant à Plantarède.) Il s’en va.

Plantarède. — Ce n’est pas Dranem ? Il me semble avoir reconnu sa voix.

Bichon. — Non, non ! ce n’est pas Dranem.

Plantarède. — En tout cas, il dit joliment juste ! Une conviction !…

Bichon. — Oui… c’est un garçon qui va bien.

A ce moment, des Saugettes, en sautillant, passe la tête au-dessus des brise-bise pour tâcher de voir qui est là. Bichon l’aperçoit et le foudroie du regard. Des Saugettes disparaît, et on entend fermer violemment la porte du vestibule.

Plantarède. — Aha ! le voilà qui vient de s’en aller !

Bichon. — Oui.

Plantarède, amoureux. — Nous sommes donc seuls !

Bichon. — Oui, oui.

Plantarède. — Ah ! que je suis heureux !

Bichon, assise près de lui, le considérant. — C’est curieux, vous avez une tête qu’on connaît ! La première fois que je vous ai remarqué à l’orchestre, j’ai dit : "je connais ça ! "… Sûrement j’aurai vu votre tête dans les journaux.

Plantarède. — Oh ! peu probable.

Bichon. — Pourquoi ?

Plantarède. — Parce qu’on ne m’y a jamais mis.

Bichon. — Tiens, c’est drôle ! On met tout le monde aujourd’hui dans les journaux ! Pourtant, j’ai votre tête dans l’œil… Je suis sûre que vous avez un nom !

Plantarède. — Heu, heu… Non !

Bichon. — Enfin, quoi, vous ne vous appelez pas seulement le fauteuil 49 ?

Plantarède. — Ah ! non !

Bichon. — Alors ?

Plantarède, après une hésitation. — Antoine.

Bichon. — Ah ! c’est gentil. Et quoi ?

Plantarède. — Ça ne vous suffit pas pour aujourd’hui ?

Bichon. — Oh ! non, non, moi, j’aime savoir à qui je parle ! Il faut qu’on m’ait été présenté avant. Allons, votre nom ?

Plantarède, après une nouvelle hésitation. — Eh ben… Voltaire, là !

Bichon. — Ah ! Vous voyez bien que vous êtes quelqu’un de connu.

Plantarède. — C’est drôle, moi aussi, j’ai la sensation que ce n’est pas la première fois que je vous vois…

Bichon. — Ah !… En tout cas, on n’a jamais été rien l’un à l’autre ! parce que j’ai assez la mémoire de ces choses-là…

Plantarède. — Non, non ! je ne prétends pas !… Attendez donc ! Vous n’avez pas une sœur qui vous ressemble en châtain et qui est dans la… enfin… pas dans le théâtre ?

Bichon. — Pas dans le théâtre ? Ben, y a eu que moi !… avant que j’y sois.

Plantarède. — Vous ressemblez à une petite femme qu’on appelait Bichon…

Bichon. — Bichon ? Mais je la suis !

Plantarède, sursautant. — Vous la êtes !… Vous… Vous l’êtes ?…

Bichon. — En plein !

Plantarède. — Bichon ! C’est Bichon ! Ah ! c’est donc ça que vous lui ressemblez !

Bichon. — Y a des chances.

Plantarède. — Ah ! ben, Si je m’attendais… Seulement, n’est-ce pas, le théâtre, ça change tellement une femme…

Bichon. — Ça blondit !

Plantarède. — Vous ne vous souvenez pas ? Châtel-Sancy ?

Bichon. — Châtel-Sancy ?

Plantarède. — Oui ! Plantarède ! Monsieur Plantarède !

Bichon, étourdiment. — Non ! Le monsieur de la dame qui…

Elle s’arrête brusquement.

Plantarède. — Qui quoi ?

Bichon. — Qui rien !… Ah ! ben, ah ! ben, vous en avez opéré un changement de tête ! Vous aviez des favoris, et puis vous aviez une coiffure comme ça !… Ah ! ben !… (Elle fait le geste de ramener sur les tempes.) Maintenant, à la bonne heure ! vous avez une tête… Ah ! ça, c’est rigolo ! Savez-vous de qui vous avez la tête ?

Plantarède. — Je ne sais pas… C’est ma femme qui a absolument voulu que je m’arrange comme ça.

Bichon. — De Gérard de Saint-Franquet !

Plantarède. — De Gé… Vous le connaissez ?

Bichon. — C’est mon amant.

Plantarède, se levant vivement. — Hein !

Bichon. — Vous êtes chez lui.

Plantarède. — Je suis chez lui !

Bichon. — Vous n’aviez pas vu que vous étiez chez un peintre ?

Plantarède. — Ah ! nom d’un chien ! mais c’est vrai ! Oh ! mes enfants ! Oh ! là là ! Par où la sortie ?

Bichon. — Bougez donc pas. Il est à la répétition générale du Français. Z’avez tout le temps.

Plantarède. — Comment, à la générale du Français ?… Mais c’est demain !

Bichon. — Hein ! vous êtes sûr ?

Plantarède. — Absolument ! J’y vais. Ça a été retardé… Féraudy est en représentations à Nantes.

Bichon. — Ah ! ben, par exemple !… Mais alors, Gérard ?…

Plantarède. — Ah ! ben, Gérard !…

A ce moment, on entend la porte se refermer dans le vestibule.

Bichon. — Nom d’un chien, c’est lui !

Plantarède, affolé. — Ah ! là ! là !

Bichon, ouvrant la porte de la chambre ; à gauche.

Vite, par là ! La porte au fond, tournez à droite, et la porte à droite !

Plantarède. — Oui, oui, la porte à droite !

Il disparaît à gauche.

Scène VIII

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Bichon, Saint-Franquette, puis Plantarède.

Bichon, un peu troublée, à Saint-Franquet. Comment, c’est toi…

Saint-Franquet, avec humeur. — C’est demain.

Il retire son paletot en se dirigeant, à travers ses chevalets qui le cachent un peu, vers le fond. — A ce moment, Plantarède, venant du fond, tombe comme une mouche dans l’atelier.

Bichon. — Ah ! (S’oubliant.) Pas par là ! pas par là !

Plantarède. — Porte à droite ? porte à droite ?

Bichon, comme précédemment. — Non, à gauche ! à gauche !

Saint-Franquet, sortant de ses chevalets. Il a passé un veston de velours. — Quoi, à droite ? quoi, à gauche ?

Plantarède et Bichon. — Oh !

Saint-Franquet, apercevant Plantarède qui essaie de se cacher le visage derrière son chapeau. — Qu’est-ce que vous demandez, monsieur ?

Plantarède. — Hem… je… je… Vous n’auriez pas un tableau à vendre ?

Saint-Franquet, tout à coup. — Hein ! mais c’est Plantarède !

Plantarède, instinctivement. — Non !

Saint-Franquet. — Comment, non ?

Plantarède. — Si !

Saint-Franquet. — Ah ! non, c’est pas possible ! Plantarède ici ! c’est Plantarède ! Oh ! ce brave ami, ! (Lui tendant la main.) Et ça va bien ?

Plantarède, lui serrant la main. — Mais pas mal, merci.

Bichon, à elle-même. — Ah ! ben, ça s’arrange mieux que je craignais !

Saint-Franquet. — Ah ! par exemple, c’est ça qui est gentil d’être revenu ! Aussi, c’était trop bête, notre brouille !… Deux vieux amis… Et pourquoi ?… Ah ! ce cher Plantarède !… Et madame va bien ?

Plantarède. — Ma… ma femme… oui, oui, elle… va bien.

Saint-Franquet. — Ah ! que je suis content ! Je n’en crois pas mes yeux ! Plantarède, c’est Plantarède ! Bichon, c’est Plantarède, dont je t’ai parlé si souvent… Mais je ne vous ai pas présentés ! Mon bon ami Plantarède, ma bonne amie madame de Jouy… (Plantarède et Bichon s’inclinent comme deux personnes qui se voient pour la première foi.) Ah !… mais je suis idiot ! Sa présence ici… en mon absence. — "A gauche ! — Non, à droite !…" Lui détalant, elle s’affolant ! (Poussant un cri.) Ah !

Plantarède et Bichon. — Quoi ?

Saint-Franquet. — Le fauteuil 49.

Bichon. — Oh ! là là !

Plantarède. — Le quoi ?

Saint-Franquet, entre ses dents. — Ah ! c’est vous le fauteuil 49 !

Bichon, vivement, à Plantarède. — Votre derrière ! Attention à votre derrière !

Plantarède, couvrant instinctivement son derrière de son chapeau. — Hein ?

Bichon. — Attention, voyons ! Il a dit qu’il le botterait !

Plantarède. — Hein !

Saint-Franquet, se rassérénant. — Non, non, n’ayez crainte ! Je l’avais dit quand le derrière était anonyme… Mais maintenant que je sais à qui il a l’honneur d’appartenir, il m’est sacré ! Le derrière d’un vieil ami comme vous !

Plantarède, respirant. — Ah !… A la bonne heure !

Saint-Franquet. — Mais comment ! Je suis trop heureux d’un concours de circonstances qui me vaut le plaisir de vous rencontrer chez moi.

Plantarède. — Mais… plaisir partagé, croyez-le bien…

Saint-Franquet, lui retendant la main. — Ce cher Plantarède !

Plantarède, lui serrant les mains. — Ce cher Saint-Franquet !

Bichon. — Non, mais, je vous en prie, embrassez-vous !

Saint-Franquet. — Mais avec joie !

Plantarède. — Certes !

Ils s’embrassent.

Bichon, ahurie. — Ah !… Ah ! ben, moi qui avais le trac du choc !

Saint-Franquet. — Et alors, Comme ça, mon bon Plantarède, vous veniez ici dans l’intention de me faire cocu ?

Plantarède. — Oui ! (se reprenant.) Non !

Saint-Franquet. — Ben quoi, ne vous en défendez pas ; c’est toute la vie, ça ? Aujourd’hui vous, demain moi. Tant qu’il y aura des hommes et des femmes !…

Plantarède. — Oh ! mais, tout de même, croyez bien que si je suis ici, c’est que j’ignorais…

Saint-Franquet. — Que vous me trouveriez ?

Plantarède. — Oui… Non ! Mais que c’était vous qui… Enfin, je ne savais pas qu’il y eût un amant.

Saint-Franquet. — Eh bien, non, mon ami, réjouissez-vous ! Il n’y en a plus d’amant.

Bichon. — Non !

Saint-Franquet. — Plantarède, vous pouvez allez chercher la seconde boucle d’oreille.

Plantarède. — Le seconde ?… Quelle seconde boucle d’oreille ?

Saint-Franquet. — Celle qui complète la paire !… (Plantarède fait un geste d’ignorance.) Oh ! il n’a pas de mémoire, cet homme là. (A Bichon.) Bichon, faits voir à monsieur la boucle d’oreille… à ton doigt.

Bichon, tendant à Plantarède le doigt auquel est la bague. — Vous la reconnaissez bien ! Celle : "Si vous voulez avoir la paire, faites un signe et j’accours ! "

Plantarède, sur des charbons. — Ah ! oui, la… Oh !

Bichon. — J’avais raconté ça à Gérard, ça l’avait fait rire…

Plantarède, comme précédemment. — Ah ? ah ?

Saint-Franquet. — Oh ! du bout des lèvres. Eh ben, voilà, mon bon, vous tombez à pic. La place est libre ! Je suis trop heureux de vous la céder.

Plantarède. — A moi !

Bichon, vexée. — Ah ! tout de même, "trop heureux !…"

Saint-Franquet. — Oui, trop heureux ! Je ne suis pas un égoïste, moi. On se quitte, je ne peux pas avoir la prétention que ma Bichon n’aura plus jamais personne ! Ce serait contraire à sa définition.

Bichon. — Vois-tu ça !

Saint-Franquet. — Allez, allez, Plantarède ! Je n’ai qu’une parole. Bichon est vacante, je vous la donne !

Il la pousse vers lui.

Plantarède. — Saint-Franquet…

Il la repousse vers Saint-Franquet.

Bichon, à Saint-Franquet. — Ah ! mais tu m’embêtes, à la fin ! "Je vous la donne ! je vous la donne ! " Si je veux me donner, je saurai bien le faire sans toi.

Saint-Franquet. — Oui ! oh ! ça, je sais !

Bichon. — C’est vrai, ça ! A t’entendre, on dirait que c’est toi qui me plaques…

Saint-Franquet. — Mais non, mais non !

Bichon. — Oui, ah ! ben, je te prie de le dire à monsieur. Je ne suis pas une femme qu’on plaque ! C’est moi qui plaque !

Saint-Franquet, conciliant. — Bon, bon !

Bichon. — Ma parole, t’as l’air de me coller, là : "Allez-y ! prenez donc ! les cochons n’en veulent plus ! "

Saint-Franquet. — Ah ! mais dis donc, toi, à ton tour…

Bichon. — J’ai l’air de quoi ? d’un laissé pour compte ! d’un solde !… Comme c’est alléchant pour le client !

Saint-Franquet. — Mais je reconnais que c’est toi qui me plaques, là ! je le reconnais, Allez, allez, mes enfants, soyez à vous, je vous vous donne.

Bichon, moitié colère, moitié riant. — Tu m’agaces, finis !

Plantarède. — Non, voyons, Saint-Franquet, vous plaisantez !

Saint-Franquet. — Mais du tout ! Je parle sérieusement.

Plantarède. — Saint-Franquet !

Saint-Franquet. — Allez donc, quoi ! Vous en mourez d’envie.

Plantarède. — Mais non ! mais non !

Bichon. — Ah ! ben, dis donc, mon p’tit vieux !

Plantarède. — Non, je veux dire… Evidemment mais…

Saint-Franquet. — Ah ! Plantarède, vous n’allez pas vous faire prier.

Plantarède. — Ecoutez, vous me mettez dans une situation…

Saint-Franquet. — Ah ! Plantarède, vous me désobligez.

Plantarède. — Vraiment, alors, c’est sincère ?… Vous ne m’en voudrez pas ?

Saint-Franquet. — Je vous dis que non.

Plantarède. — Ah ! bien alors, soit ! Je veux bien essayer.

Bichon. — Ah ! non !

Plantarède. — Je suis si ému… Bichon

Bichon, le recevant dans ses bras. — Pauvre gros, va !

Saint-Franquet. — Qu’on vienne me dire après ça que je suis une nature jalouse ! (On sonne.) On a sonné

Bichon et Plantarède, sans se séparer. — Oui !

Saint-Franquet. — Dérangez pas ! Je vais ouvrir !

Il sort

Plantarède, aussitôt Saint-Franquet sorti. — Alors, on est ensemble ?

Bichon. — Ça a l’air !

Plantarède. — Je suis bien content !

Bichon. — Dites, alors… vous avez toujours la seconde boucle d’oreille ?

Plantarède. — Oui.

Bichon. — Faudra me la donner, hein ?

Plantarède. — Mais dame !

Saint-Franquet, reparaissant par l’entrebâillement de la porte. — Mes enfants !

Bichon. — Eh ?

Saint-Franquet. — Foutez le camp !

Bichon et Plantarède. — Comment ?

Saint-Franquet. — Un moment ! Passez à côté. J’ai quelqu’un à recevoir.

Bichon. — Qui Ça ?

Saint-Franquet. — Rien ! Ma sœur !

Bichon. — T’en a pas.

Saint-Franquet. — Ça ne fait rien !

Bichon. — Ah ! bon ! Alors, passons par la…

Saint-Franquet les pousse dans la chambre, puis remonte introduire les nouveaux arrivants.

Scène IX

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Saint-Franquet, Dotty, Tommy.

Saint-Franquet. — Mademoiselle Dotty, entrez ! Entrez ; mais…

Dotty, entrant, suivie de Tommy. — Oh ! vous êtes surpris ! Je prends cette chose. Mais vous avez me reconnu, vous avez pas me oublié… Ça est la chose qui est gentil.

Saint-Franquet, s’inclinant. — Mademoiselle, quand on a eu une fois le plaisir de…

Dotty. — Moi, j’ai toujours pensé à vous. N’est-ce pas, Tommy ?

Tommy, avec humeur. — Yes.

Dotty, le montrant. — C’est ma fiancé.

Saint-Franquet. — Oui, oui.

Dotty. — Vous reconnais lui ? All right ! (Allant à la porte de gauche.) Qu’est-ce que c’est là ? Salon ?

Saint-Franquet. — Non, miss Dotty, c’est… ma chambre à coucher.

Dotty. — Well ! Vous permet ?

Elle se dispose à ouvrir.

Saint-Franquet, vivement. — Non, non, n’y allez pas, mademoiselle ! La chambre n’est pas faite, et…

Dotty, voulant ouvrir tout de même. — Oh ! c’est égal !

Saint-Franquet. — Non, non ! Je vous en prie !

Dotty - Oh ! beg your pardon. (Traversant à droite.) Et là, qu’est-ce que c’est ?

Saint-Franquet. — Là, c’est le cabinet de toilette…

Dotty. — Terminé ?

Saint-Franquet. — Comment ?

Dotty. — Il est faite ?

Saint-Franquet. — Il est faite ! Il est… Il est fait.

Dotty. — Right. — Tommy !

Tommy. — Dotty ?

Dotty. — Sortez moment dans le cabinet de toilette.

Tommy. — Moi… pourquoi ?

DOITY. — Parce que je dis.

Tommy. -Oh !

Dotty. — Je n’ai pas besoin de vous. (Le renvoyant.) Go, go !

Tommy. — All right, Dotty !

Il sort piteusement.

Scène X

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Saint-Franquet, Dotty, puis Tommy, puis Bichon.

Dotty. — Terrible, cet homme ! Toujours demander : "Pourquoi ? " Mais parce que je dis ! (Changeant de ton.) Et maintenant, vous… (Affectueusement.) Prendez un chaise.

Saint-Franquet. — Après vous…

Dotty, avec autorité. — Prendez un chaise.

Saint-Franquet. — Prendons ensemble, si vous voulez ? Ils s’asseyent.

Dotty. — Vous avez reçu mon corbeille ?

Saint-Franquet. — Votre corb… Hein ! Comment, c’était vous !

Dotty. — C’était.

Saint-Franquet. — Une corbeille de vous !… à moi !… Mais c’est fou, c’est le monde à l’envers ! Pourquoi ? A quel titre ?

Dotty. — Monsieur Gérard… Voulez-vous marier moi ?

Saint-Franquet. — Avec qui ?

Dotty - Avé vous !

Saint-Franquet. — Hein ! avec… (Ahuri.) Ah ! non, par exemple, celle-là !…

Dotty. — Quoi ? Vous volez pas ! Vous disez no ? Je vous plais pas ?

Saint-Franquet. — Si ! si !

Dotty. — Oh ! merci !

Saint-Franquet. — Non, je veux dire… Certainement, certainement, je suis très flatté… je dirai même profondément ému ! parce que, enfin, une proposition tellement… Mais vous devez comprendre aussi que je sois un peu abasourdi… Quand on n’a pas positivement envisagé dans ses projets…

Dotty. — Yes, yes.

Saint-Franquet. — Je me fais l’effet d’un homme à qui on viendrait dire : "Qu’est-ce que vous faites ce soir ? Rien ? Eh bien, venez donc faire le tour du monde ! " On a tout de même un moment d’éblouissement… On… on demande à réfléchir… à… à…

Dotty. — Oh ! je comprends. Allez, prenez tout le temps. Réchléfissez.

Saint-Franquet. — Oui, n’est-ce pas…

Dotty, comme si elle lui donnait beaucoup. — Je vous donne cinq minutes.

Elle remonte.

Saint-Franquet. — Oui, oui !

Il se croise les bras, se prend le menton et se met à monologuer tout bas. Pendant ce temps, Dotty remonte et, pour occuper les cinq minutes, inspecte d’un air distrait les choses qui l’entourent.

Dotty, au bout d’un temps. — Vous réchléfissez ?

Saint-Franquet. — Oui, oui ! (Dotty reprend son inspection. Elle s’arrête devant une toile de Saint-Franquet et, après l’avoir regardée un moment, se met à rire discrètement ; mais pas suffisamment pour que cela échappe à Saint-Franquet.) Qu’est-ce qui vous faire rire ?

Dotty. — Rien !… Ce pictioure…

Saint-Franquet. — Ah ! cette toile ! Oui, c’est de moi.

Dotty. — Ah ! comme c’est laid !

Saint-Franquet, interloqué. — Oh !

Dotty. — Vous trouvez pas ?

Saint-Franquet, ne sachant que dire. — Ben…

Dotty. — Très laid. On vous l’a jamais dit ?

Saint-Franquet. — Non !

Dotty. — Oh ! Vous voyez peu de monde !

Saint-Franquet. — Mais…

Dotty. — Oh ! mais ça ne fait rien. C’est laid ; mais je haime tout de même.

Saint-Franquet. — A la bonne heure ! Vous sentez, malgré tout, l’harmonie de la composition, le sentiment de la couleur…

Dotty. — Oh ! no, ça m’est égal. Je haime parce que c’est par vous !

Saint-Franquet. — Ah ! très heureux !

Dotty. — Et alors ? Vous réchléfites ?

Saint-Franquet. — Si je ?…

Dotty. — Pour marier moi.

Saint-Franquet. — Ah ! oui ! oui !

Dotty. — Quelle chose vous avez décidé ?

Saint-Franquet. — Ecoutez… Vous me troublez beaucoup ? Il est si peu dans les usages que ce soit la jeune fille qui vienne demander la main…

Dotty. — Oui, je sais, ici, le demoiselle, en France, il a trouvé un monsieur qui lui convient, il faut qu’elle attende que le monsieur il demande la main d’elle…

Saint-Franquet. — Oui, évidemment !

Dotty. — Oui ! très joli ! Et si le monsieur il demande pas, le demoiselle, il est chocolat. Merci bien ! Et bien, moi, je veux pas être chocolat. Je trouve un homme qui m’est confortable, alors je dis à lui : "Monsieur, voulez-vous me donner la main de vous ? " Et voilà !

Saint-Franquet. — Oh ! évidemment, mademoiselle… si je n’écoutais que mon égoïsme… Vous êtes délicieuse !

Dotty. — Yes, je sais.

Saint-Franquet. — Mais je dois songer à vous ! En ce moment, vous suivez une impulsion de votre cœur ; mais qui vous dit que, plus tard, vous ne regretterez pas…

Dotty. — Ce que je fais, jamais je regrette.

Saint-Franquet. — Vous ne me connaissez pas !

Dotty. — Eh bien, comme ça, je vous connaîtra.

Saint-Franquet. — Et puis, enfin, vous avez dix-huit ans.

Dotty. — Et demi.

Saint-Franquet. — Et moi, j’en ai trente-six…

Dotty. — Trente-six ! Oh ! comme c’est jeune !

Saint-Franquet. — Vous trouvez ?

Dotty. — A cet âge, un homme est encore presque un enfant.

Saint-Franquet. — Un enfant !… Un enfant qui pourrait être son père !

Dotty. — Et… C’est tout ?

Saint-Franquet. — C’est tout quoi ?

Dotty. — Les objections.

Saint-Franquet. — Non, non ! Il y a la plus grande de toutes… Vous êtes trop riche !

Dotty. — Ah ! oui, ça, j’attendais ! Et c’est pour ça que vous n’auriez pas demandé la main de moi.

Saint-Franquet. — Evidemment.

Dotty. — Ah ! là ! Vous voyez bien que le jeune fille il doit demander la main du jeune homme ; sans cela, elle n’a plus pour marier que les jeunes gens qui veulent marier elle pour son argent…

Saint-Franquet. — C’est certain, c’est certain !… Mais, tout de même… pour moi, vous êtes trop riche…

Dotty. — Ecoutez, on peut arranger.. Ces choses laides-là, ces pictioures, ça se vend ? Tout de même, on achète elles ?

Saint-Franquet. — Mon Dieu… oui… On ne se bat pas ; mais enfin…

Dotty. — Eh bien, voilà : Je vous achète.

Saint-Franquet. — Mes… mes….

Dotty. -… pictioures, yes ! Cent mille francs.

Saint-Franquet. — Le tout ?

Dotty. — Oh ! no ! Chaque.

Saint-Franquet. — Hein ?… Mais je vous volerais !

Dotty. — Eh bien, vous me volerez ! Qu’est-ce-que ça fait, puisque je suis votre femme ? Et alors, c’est vous qui l’est le riche et c’est moi qui je me ruine.

Saint-Franquet. — Vous êtes exquise ! Vous êtes adorable !

Dotty. — Yes, je sais. Alors, je vous plais ?

Saint-Franquet. — Mais certainement que vous me plaisez ! Comment ne me plairiez-vous pas ?

Dotty. — Alors, dites-moi vous me haimez.

Saint-Franquet, se mettant à genoux. — Eh bien, oui, miss Dotty, oui, je vous aime ! Etes-vous contente ?

Dotty. — Non. Dites-moi mieux. Beaucoup.

Saint-Franquet. — Dotty… I love you !

Dotty. — En français, en français ! C’est si plus joli ! "Je vous hhaime !… "

Saint-Franquet. — Je vous haime, ma petite Dotty ! Je vous haime !

Il se met à genoux.

Dotty, ravie. Là ! là ! là ! Voilà comme je haime quand vous parlez ! Allez ! allez ! allez ! (A ce moment, on frappe à la porte du cabinet de toilette. — Sur un mouvement de Saint-Franquet.) No, restez à genoux. Je haime ! (Griant.) What is it ?

Tommy, passant la tête. — Vous m’avez pas oublié ?

Dotty. — No. Wait, wait ! Go away !

Tommy. — Oh ! pardon !

Il sort.

Dotty, à Saint-Franquet. — Mon cher aimé !

Saint-Franquet. — Ma petite femme ! ma petite femme ! Car c’est entendu… Oui, oui, c’est vous, qui serez ma petite femme !

Dotty. — Yes, yes.

Bichon, paraissant à la porte, tout en parlant à la cantonade. — Dis donc, Gérard… (Apercevant Saint-Franquet aux genoux de Dotty.) Oh ! pardon ! (Sur un mouvement irrité de Saint-Franquet.) J’avais oublié, quoi !

Dotty, sans se déconcerter, avec un petit salut de tête. — Mamoiselle !

Bichon, un peu pincée. Bonjour, mademoiselle… Ne vous dérangez pas ! ne vous dérangez pas ! (Rentrant, en parlant à Plantarède qu’on ne voit pas.) C’est sa sœur !…

Dotty, à Saint-Franquet. — Mamoiselle Bichon, n’est-ce pas ?

Saint-Franquet. — Hein ? Heu… oui !

Dotty. — La maîtresse à vous.

Saint-Franquet. — Ma maît… Mais non, non !

Dotty. — Oh ! vous pouvez dire ! Très gentille. Beaucoup de chic.

Saint-Franquet, flatté au fond. — Vous trouvez ?

Dotty. — Oui. Je vous félicite ! Il faudra la mettre à la porte quand nous serons mariés.

Saint-Franquet. — Ah ! ah !

Dotty. — Oui, je préfère.

Saint-Franquet. — C’est entendu, je lui écrirai.

Dotty. — C’est pas pressé. Ce soir.

Saint-Franquet. — Ah ! ce soir… Oui…

Dotty, se levant. — Good bye !

Saint-Franquet, même jeu. — Quoi, vous partez

Dotty. — Oui, nous avons dit tout ! J’ai des courses encore, il faut que je passe chez ma cordonnier.

Saint-Franquet. — Ah ! ah ! Alors…

Dotty. — Vous me haimez, oui ?

Saint-Franquet. — Si je vous aime !

Dotty. — Well ! Je suis contente ! Alors, je vais chez le cordonnier. Embrassez-moi. Pour qu’il me fasse une paire de bottines. (Tendant sa joue.) Allez, allez, puisque nous sommes engagés.

Saint-Franquet. — Ma chère fiancée !

Il l’embrasse.

Dotty, indiquant la porte du fond. — C’est par là, oui ? (Rebroussant brusquement chemin et se cognant dans Saint-Franquet qui remontait à sa suite.) Oh ! pâdon !

Saint-Franquet. — Vous oubliez quelque chose ?

Dotty, — Yes ! ma fiancé que j’ai rangé par là.

Saint-Franquet. — Ah ! c’est vrai, le pauvre garçon.

Dotty, ouvrant la porte. — Come along, Tommy ! It is finished

Tommy, reparaissant. — All right. It’s not too soon !

Dotty, à Saint-Franquet. Ah ! si vous avez besoin de moi, je suis hôtel Majestic.

Saint-Franquet. Parfait ! parfait !

Dotty, tendrement. Good bye !… my love !

Tommy, doulourement. — Oh !

Saint-Franquet. — Good bye, ma… ma love ! (A Tommy, qui sort derrière Dotty.) J’espère que nous n’avons pas été trop longs…

Tommy, revenant d’un pas, et d’une voix menaçante. — Look here ! You just mind your own business, and leave the little girl alone… or you will have to do with me ! You understand ?…

Saint-Franquet, sans comprendre. — Trop aimable…

Tommy. — Good bye !…

Il sort.

Scène XI

Saint-Franquet, puis Bichon et Plantarède.

Saint-Franquet, redescendant. — Et maintenant, allons délivrer les autres ! (Il va à la porte de gauche, qu’il ouvre carrément.) Oh !

Voix de Bichon. — Quoi ?

Saint-Franquet, reculant. — Ah ! non, mes enfants, si je vous ai fait passer dans ma chambre, ça n’était pas pour ça !

Voix de Plantarède. — Oh ! ben, puisqu’on est ensemble…

Saint-Franquet. — Ben oui, j’dis pas !

Bichon, revenant, habillée, prête à sortir, suivie de Plantarède. — Quoi, mon petit, quoi ! t’avais qu’à frapper avant d’entrer.

Saint-Franquet. — C’est ça !

Bichon. — Avec ça que tu te gênais, tout à l’heure… avec ta sœur !

Saint-Franquet. — Ce n’était pas ma sœur.

Bichon, ironiquement. — Ta parole ?

Saint-Franquet. — C’est ma fiancée !

Bichon et Plantarède. — Hein ?

Saint-Franquet. — Oui, mes enfants, voilà comme je suis. On me plaque, v’lan, je me marie !… On est venu me demander ma main, v’lan, je me suis accordé.

Bichon, nerveuse. — Mais ça m’est égal ! Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse !

Saint-Franquet. — Mais je sais bien que ça t’est égal !… Ce qui n’empêche pas que j’épouse miss Dotty Summerson.

Plantarède. — Non, la petite Américaine de Châtel-Sancy ?… Mes compliments, vous ne vous embêtez pas…. Elle est charmante.

Bichon, furieuse, à Plantarède. — Qu’est-ce qui te demande ton avis, à toi ?

Plantarède. — Hein ? Non… je dis…

Bichon. — Oui ? Eh ben, si tu la trouves si bien, tu sais, il est encore temps ! Tu peux aller avec elle.

Saint-Franquet. — Ah ! non !

Bichon. — Si tu crois m’embêter avec ton mariage ! Mais je m’en fiche, tu sais, je m’en fiche !…

Saint-Franquet. — Mais je l’espère bien !

Bichon. — Seulement, si tu avais un peu de cœur… (Pleurnichant.) Ce n’est pas le moment où je te quitte pour aller avec un autre que tu aurais choisi pour…

Saint-Franquet. — Allons, allons, ne t’émeus pas.

Bichon, comme précédemment. — Zut !… (Tirant Plantarède.) Allons, viens, toi !

On sonne.

Saint-Franquet. Chut ! Attendez !

Bichon. — Quoi ?

Saint-Franquet. — On a encore sonné.

Bichon ; comme précédemment. — Eh ben, qu’ça fait ?

Saint-Franquet. — Non, non ! On vient peut-être encore me demander en mariage… Bougez pas !

Il sort.

Plantarède, une fois Saint-Franquet sorti. — Il est drôle.

Bichon. — Oui ! eh ben, si tu crois que tu vas me mener, toi… Ah ! non, assez d’un !

Plantarède. — Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Bichon. — J’aime pas les tyrans, moi.

Saint-Franquet, revenant en fermant la porte sur lui. — Mes enfants !

Tous Deux. — Quoi ?

Saint-Franquet. — Foutez le camp !

Il les pousse à gauche…

Tous Deux. — Hein ! Encore !

Saint-Franquet. — Oui ! Le temps de faire passer quelqu’un… ce ne sera pas long !

Plantarède. — Bon, bon !

Bichon. — Ah ! non, mais qu’est-ce qu’y a aujourd’hui ?

Ils sortent à gauche.

Scène XII

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Saint-Franquet, Micheline.

Micheline, introduite par Saint-Franquet, paraissant, un petit sac à la main. — Dieu merci, je vous trouve !

Saint-Franquet. — Je vous en prie, passez un instant par ici… (Il ouvre la porte du cabinet de toilette.) Je ne veux pas qu’on vous voie. J’ai du monde à faire filer.

Micheline. — Rapidement, alors ?

Saint-Franquet. — Oui, rapidement.

Micheline. — Bon !

Elle sort. Saint-Franquet referme la porte derrière elle et va ouvrir celle de la chambre.

Scène XIII

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Saint-Franquet, Bichon, Plantarède.

Saint-Franquet, traversant la scène. — Oh ! là là ! Ça va bien, c’est charmant, ça va bien ! (Ouvrant la porte de gauche et appelant.) Mes enfants !

Voix de Bichon et de Plantarède. — Ça y est ?

Saint-Franquet. — Vous pouvez rentrer.

Bichon, reparaissant, toujours suivie de Plantarède. — Ah ! enfin !

Saint-Franquet. — Là ! Et maintenant, fichez le camp !

Bichon, faisant demi-tour, ainsi que Plantarède. — Hein ! Encore !

Saint-Franquet. — Non, pas par-là, vous en venez ! Par là, tenez !

Bichon. — Ah ! on te gêne !

Saint-Franquet, évasivement. — Ben…

Plantarède. — Une femme, hein ?

Saint-Franquet. — Je crois… oui !

Plantarède. — Ah ! coquin ! Et jolie ?

Saint-Franquet. — Qu’ça vous fait ?

Bichon, à Plantarède. — Non, mais si tu veux que j’aille te la chercher ?

Saint-Franquet. — Ah ! non !

Plantarède. — Non ! c’est histoire de parler. Allons, nous vous débarrassons !

Saint-Franquet. — C’est ça, c’est ça.

Plantarède. — Dites donc… Si Bichon ne rentre pas ce soir, vous ne serez pas inquiet…

Saint-Franquet. — C’est-à-dire que c’est le contraire qui m’inquiéterait.

Bichon. — Sale rosse, va ! Alors, à demain, pour faire mes malles.

Saint-Franquet. — C’est ça, oui. Allez, mes enfants !

Plantarède sort, emmenant Bichon.

Scène XIV

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Saint-Franquet, Micheline.

Saint-Franquet, faisant rentrer Micheline. — Vous ! Vous ! chez moi ! Est-ce possible ?… Mais qu’est-ce qui vous amène ?

Micheline, catégorique, posant son sac sur la table. — Mon ami, il y a six mois, vous m’avez dit : "Si jamais vous trompez votre mari, promettez-moi que ce sera avec moi"…

Saint-Franquet. — Hein ?

Micheline. — Eh bien, mon ami, cette heure est arrivée. J’ai décidé de tromper mon mari, et me voilà !

Saint-Franquet, abasourdi. — Est-il possible… Oh !

Micheline. — Vous êtes heureux, merci.

Saint-Franquet. — Si je suis heureux ! Ah ! que je suis heureux !

Micheline. — Bien. Je n’attendais pas moins de vous. Demain, vous enverrez votre domestique avec un mot pour qu’on lui remette mes malles…

Saint-Franquet. — Vos malles ?

Micheline. — Pour cette nuit, j’ai ce qu’il me faut dans ce petit sac.

Saint-Franquet. — Ce petit sac !

Micheline. — Oui. (Ouvrant son sac et en tirant différents objets qu’elle étale sur la table.) Voilà ma chemise de nuit, mes pantoufles, mon nécessaire de toilette, ma brosse à dents. Pour le reste, j’ai pensé que je trouverais tout cela chez vous.

Saint-Franquet. — Mais pardon… Vos… vos malles… Pourquoi vos malles ?

Micheline. — Mon mari me trompe, j’en ai la preuve, et je viens vous dire : "Me voilà ! " Prenez-moi ! Je suis à vous !

Saint-Franquet. — Comment ?

Micheline, d’un trait. — Je dis : "Me voilà, prenez-moi, je suis à vous".

Saint-Franquet, répétant, abruti. — "Prenez-moi, me voilà, je suis à vous ! "

Il tombe assis.

Micheline. — Eh bien, c’est tout l’effet que ça vous fait ?

Saint-Franquet. — Ecoutez, Micheline, écoutez… je suis heureux, follement heureux… mais, tout de même, le bonheur ne doit pas m’empêcher de réfléchir… (Se reprenant.) de réfléchir !

Micheline. — Réfléchir ?…

Saint-Franquet, se levant. — Quelles preuves avez-vous de l’infidélité de votre mari ?

Micheline. — Quelles preuves ? Mais j’en ai cent… J’en ai dix !

Saint-Franquet. — Allez, allez, voyons-les, ces preuves !

Micheline. — Eh bien, d’abord… une simple phrase au téléphone… J’étais allée voir mon mari à son étude, il venait de sortir. Un coup de téléphone, je réponds… et savez-vous ce qu’on me dit : — "Ah ! c’est vous la femme du 606-22 ? "

Saint-Franquet. — Comment ! C’était vous !

Micheline. — Moi, quoi ?

Saint-Franquet. — Qui étiez au téléphone ?

Micheline. — Oui. Comment êtes-vous au courant ?

Saint-Franquet. — Hein ! Non, je dis ça parce que vous venez de me dire… Enfin, continuez !

Micheline. — "Eh bien, ajoute la voix, vous direz à votre mari qu’il est un polisson et que l’amant de mademoiselle de Jouy lui envoie son pied quelque part ! "

Saint-Franquet, à part. — Sapristi !

Micheline. — Je crois que c’est net.

Saint-Franquet. — Quoi, quoi ? Qu’est-ce qui est net ? Est-ce qu’on a prononcé le nom votre mari dans le téléphone ?

Micheline. — Non.

Saint-Franquet. — Eh bien, alors ?

Micheline. — Aussi n’est-ce pas là-dessus que je me base ! Cela n’a été pour moi qu’une indication, qu’une puce à l’oreille. Je me suis dit : "Maintenant, il s’agit de savoir ! " et j’ai fouillé.

Saint-Franquet. — Dans quoi ?

Micheline. — Dans ses papiers. J’étais seule, j’avais toute la facilité. Et alors…

Saint-Franquet. — Et alors ?…

Micheline, jetant un paquet de lettres. — Qu’est-ce que vous dites de ça ?

Saint-Franquet. — Des lettres !

Micheline. — Ouais !… et quelles lettres !… Tenez, il y en a treize !

Saint-Franquet. Treize !… Oh ! que c’est mauvais !

Micheline. — Soigneusement pliées, étiquetées ! Oh ! il a de l’ordre !… Avec le nom, pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. "Lettres de madame Chandail". Madame Chandail ! Un nom de tricot !

Saint-Franquet. — Oui, c’est pas très…

Micheline. — Mais tenez, lisez, au hasard ! (Elle en ouvre une et lit.) "Mon petit léopard aimé"… (S’interrompant.) Je vous demande ce qu’il a du léopard ! (Lisant.) "je suis très embêtée, je crois que je suis grosse…. Comme tu es imprudent ! Je vais être obligée de te tromper avec mon mari ! "

Saint-Franquet. — Il y a ça ?

Micheline, tapant avec fureur sur la lettre. Et je ne le tromperais pas à mon tour ?… Ah ! plus souvent !… Saint-Franquet, vous m’aimez, prenez-moi, je suis à vous !

Saint-Franquet. — A moi ?

Micheline, tombant dans ses bras. — A vous pour toujours !

Saint-Franquet, tout à coup, avec force. Eh bien, non, non, non ! et non !

Micheline, se redressant. — Quoi ?

Saint-Franquet. — Ce que vous me demandez là, je n’ai pas le droit de le faire… Je n’ai plus le droit de le faire !

Micheline. — Pourquoi ça ?

Saint-Franquet. — Parce que… mais parce que ma conscience, Micheline, me commande de vous dire…

Micheline - Quelle conscience ?

Saint-Franquet. — Mais… la mienne !…

Micheline, piquée. — C’est très bien, mon ami ; n’en parlons plus ! Mais je constate aujourd’hui ce que valaient vos belles protestations d’autrefois… Décidément, les hommes sont tous les mêmes !

Saint-Franquet. — C’est admirable ! Voilà, voilà la logique des femmes ! Est-ce que vous ne m’aviez pas répété cent fois que vous ne trompiez pas votre mari ? est-ce que cent fois vous ne m’aviez pas fait comprendre que je n’avais rien à espérer ?… Eh bien, alors, à qui la faute ? L’amour… l’amour, c’est un sentiment excessif.. de surexcitation… Eh bien, qu’est-ce que vous voulez ?… à distance, ça se refroidit ! L’amour, ça demande le plein feu… c’est pas une chose qu’on entretient au bain-marie !

Micheline, — Parfait ! parfait !

Saint-Franquet. — Quoi, quoi, vous ne vouliez pas de moi ! Vous n’espériez pourtant pas que j’allais coiffer Sainte-Catherine toute la vie !… Je suis désolé, ma bonne amie ; mais aujourd’hui, je ne suis plus libre, je me marie !

Micheline, saisie. — Ah !

Saint-Franquet - Mon Dieu, oui.

Micheline, — Oui… oui, je comprends, vous avez raison… Il arrive un certain âge dans la vie…

Saint-Franquet. — Ah ! non, c’est pas ça ! c’est pas ça !

Micheline - Eh bien… eh bien, mais c’est parfait !… Mariez-vous, mon cher, mariez-vous ! Moi, moi, eh bien, je m’adresserai ailleurs. Après tout, je ne suis pas en peine d’en trouver d’autres !

Saint-Franquet. — Ah !… Qui ? qui ?

Micheline. — Qui ! qui ! Vous n’êtes guère poli !

Saint-Franquet - Qui ? qui irez-vous trouver ?

Micheline. — Oh ! je n’ai que l’embarras du choix. Tenez, des Saugettes, par exemple !

Saint-Franquet - Des Saugettes !… Il ne vous aime pas !

Micheline. — Il ne m’aime pas ! Vraiment ! Ce n’est pas ce qu’il avait l’air de dire à Châtel-Sancy…

Saint-Franquet. — Il avait l’air de dire ça à Châtel-Sancy ?

Micheline. — Dame, vous pensez bien qu’un homme n’est pas toujours aux trousses d’une femme… sans que…

Saint-Franquet, furieux. — Ah ! le cochon !…

Micheline. — Eh bien, quoi ! Vous n’êtes pas jaloux ?

Saint-Franquet. — Je ne suis pas jaloux… Non, je ne suis pas jaloux ! Mais ça n’empêche pas que je lui flanquerai des gifles, moi !

Micheline. — Pourquoi ?

Saint-Franquet. — Parce que je n’aime pas à être ridicule ! Quand on pense que vous vous entendiez tous les deux pour me tromper… que ce petit jésuite me jouait la comédie !… Ah ! bien, que je le voie !…

Scène XV

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Les Mêmes, Des Saugettes.

Des Saugettes, entrant. — Ah ! voilà.. ; eh bien, voilà… je viens de chez le fleuriste…

Saint-Franquet, furieux. — Veux-tu me foutre le camp ?

Des Saugettes, étonné. — Mais, mon ami… (Stupéfait à la vue de Micheline.) Ah ! madame Plantarède !…

Il va vers elle.

Saint-Franquet, plus fort. — Veux-tu me foutre le camp !

Des Saugettes - Oui, oui… (Saluant.) Au revoir, madame Plantarède !

Saint-Franquet, faisant le geste de lui envoyer un coup de pied quelque part. — Veux-tu me foutre le camp, nom de Dieu !…

Des Saugettes, s’en allant en se tenant le derrière. — Oh ! mais comme il est mal luné !

Scène XVI

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Saint-Franquet, Micheline.

Micheline - Mais qu’est-ce qui vous prend, maintenant ?

Saint-Franquet. — Quand je vous disais que je lui flanquerais des gifles !… Hein, quand je vous le disais !…

Micheline. — Ah ! ben, je ne vois vraiment pas pourquoi !

Saint-Franquet. — Oui ! Eh bien, je le vois, moi, je le vois ! S’être foutu de moi comme ça… ce pantin, ce joli cœur, ce… ce…

Micheline. — Mais enfin, je ne comprends pas !… A qui en avez-vous ?

Saint-Franquet - A lui !… à vous !

Micheline. — Parce qu’il m’a fait la cour ?

Saint-Franquet. — Parfaitement !

Micheline. — Qu’est-ce que ça peut vous faire, puisque vous ne m’aimez plus ?

Saint-Franquet. — Je ne vous aime plus… c’est possible… mais à ce moment-là, je vous aimais !… et c’est ça que je ne lui pardonne pas… que je ne vous pardonne pas !… Ah ! oui, je vous aimais !… Ce que j’aurais donné alors pour me trouver seul à seule avec vous… ce que j’aurais donné pour vous tenir dans mes bras comme ça… comme je vous tiens aujourd’hui !…

Il la serre violemment contre lui.

Micheline, essayant de le repousser. — Allons, voyons… allons, laissez-moi !

Saint-Franquet. — Non, non, ne vous effrayez pas… tout ça, c’est le passé ; c’est rétrospectif, ce que j’en fais ! Ça n’empêche pas qu’à ce moment-là, je vous désirais éperdument !… Ah ! pourquoi m’avez-vous résisté comme vous l’avez fait ?

Micheline. — Parce que j’étais une honnête femme… parce que je ne trompais pas mon mari !

Saint-Franquet - Eh ! vous voyez comme c’est absurde… puisque vous en êtes arrivée à le tromper aujourd’hui !

Micheline. — Ah ! si j’avais su !

Saint-Franquet, très ému - C’est vrai ?… Ah ! merci, merci !… Si vous saviez combien cette parole me donne de bonheur…

Micheline. — Comment ! Mais puisque c’est passé !

Saint-Franquet. — Mais oui, mais oui… tout ça… je parle dans le passé… Mais n’empêche que le bonheur était là tout de même ! Ah ! Micheline, nous étions tellement faits l’un pour l’autre !

Micheline. — Non, non… laissez-moi, laissez-moi !

Saint-Franquet. — Pourquoi, pourquoi vous laisser ? Pourquoi vous défendez-vous ? Micheline, je vous ai tant aimée !

Micheline. — Non, non, taisez-vous ! Je n’ai pas le droit !…

Saint-Franquet. — Le droit ! le droit ! est-ce que ça existe, le droit, quand l’amour est là, quand l’amour parle, quand l’amour commande !… Micheline, je vous aime !

Micheline. — Laissez-moi… laissez-moi !

Saint-Franquet, l’attirant vert la gauche. — Non, non, Micheline… viens… viens !…

Micheline. — Oh ! non… je ne peux pas… laissez-moi… je ne peux plus… Mon mari… je ne trompe pas mon mari…

Saint-Franquet. — Micheline ! Micheline !

Micheline, d’une voix qui s’affaiblit. — Gérard !… Oh Gérard !… Gérard…

Saint-Franquet. — Micheline… Je t’aime !

Micheline, les yeux mi-clos, tandis que Saint-Franquet l’embrasse sur les lèvres. — Je ne trompe pas mon…

Rideau

Acte III

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La chambre à coucher de Saint-Franquet.

Lit de milieu au fond, face au public. A droite, premier plan, porte donnant sur l’atelier. A gauche du lit, au fond, porte donnant sur la salle de bains. A gauche, second plan, la fenêtre, dont les rideaux sont fermés. Au lever du rideau, obscurité sur la scène.

Scène première

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Saint-Franquet, Micheline, couchés, puis Des Saugettes.

Un temps de quelques secondes ; puis on entend frapper à la porte de droite. Personne ne bouge dans la chambre. On frappe de nouveau. Silence.

Des Saugettes, entr’ouvrant la porte et passant la tête, à mi-voix. — Gérard !… Gérard !… Tu dors encore ?… (Ronflement de Saint-Franquet. Des Saugettes, entrant, un bouquet de violettes à la main.) Il ronfle, il doit dormir. Pristi, qu’il fait noir ! Et pas d’allumettes !… (Il presse sur son briquet qui s’allume et donne un peu de lumière. Déposant son bouquet de violettes sur un guéridon, près du lit, et appelant à mi-voix.) Gérard ! (A part.) Je sais bien ce qui va m’arriver… Il va m’engueuler ! C’est tous les matins la même chose. Quand je ne le réveille pas, il m’engueule parce que je l’ai laissé dormir ; quand je le réveille, il m’engueule parce que je l’ai réveillé… Il est si gentil ! Je vais toujours lui ouvrir les rideaux. Comme ça, j’espère que c’est le jour qui le réveillera au lieu de moi, et c’est le jour qui prendra ! (il ouvre les rideaux. — Un temps. — Il tousse.) Hum !… Va-t-en voir, il dort comme un chérubin !… et Bichon lui donne la réplique ! Qu’est-ce que je vais faire ? je ne vais pas les réveiller quand ils dorment si bien. (S’asseyant.) Je vais attendre qu’ils se réveillent d’eux-mêmes ! Gérard était d’assez mauvaise humeur hier… M’a-t-il attrapé ! Je n’en ai pas dormi de la nuit ! Je n’ai pas envie qu’il soit encore à la crotte ce matin !

A ce moment, Micheline se remue dans le lit, puis, ouvrant à demi les yeux.

Micheline, encore endormie. — Oh ! qui est-ce qui a ouvert les rideaux ?

Des Saugettes, suffoqué. — Ah ! madame Plantarède !…

Micheline, poussant un cri. — Ah !

Elle s’enfouit sous les couvertures.

Saint-Franquet, réveillé en sursaut, — Hein ! Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Des Saugettes. — Oh ! Gérard ! Gérard !

Saint-Franquet, le reconnaissant. — Des Saugettes !

Des Saugettes. — Tu n’as pas vu, là ! là ! dans ton lit à côté de toi !

Saint-Franquet. — Quoi ?

Des Saugettes. — C’est pas Bichon ! C’est madame Plantarède !

Saint-Franquet, bondissant. — Qu’est-ce que tu dis ?

Des Saugettes. — Je t’assure ! c’est elle ! Je l’ai reconnue.

Saint-Franquet. — Non ! non ! C’est pas vrai ! Tu entends, c’est pas vrai !

Des Saugettes. — Je te dis que si ! Toi, tu dormais ! Tu ne sais pas ! Veux-tu parier ?

Saint-Franquet. — Oh ! mais tu m’embêtes, à la fin ! Même si tu as vu madame Plantarède, je te répète que ce n’est pas elle.

Des Saugettes, l’air malin. — Ah ! bon ! oui, je comprends.

Saint-Franquet. — Quoi ! quoi ! tu comprends ?

Des Saugettes. — Non, rien !

Saint-Franquet. — Il n’y a pas de "je comprends" ! A-t-on jamais vu un idiot pareil ?

Des Saugettes. — Oh ! tu es encore de mauvaise humeur !

Saint-Franquet. — Mais c’est toi qui m’y mets, de mauvaise humeur ! Qu’est-ce que c’est que cette façon que tu as d’entrer chez moi sans frapper ?

Des Saugettes, vivement. — J’ai frappé ; seulement, pas très fort, pour ne pas trop te réveiller.

Saint-Franquet. — Est-ce que je t’ai dit : "Entrez" ?

Des Saugettes. — Tu ne pouvais pas, tu dormais.

Saint-Franquet. — Eh bien, alors, tu n’avais qu’à rester dehors ! C’est extraordinaire, ça !… D’abord, quoi ? Qu’est-ce que tu me veux ?

Des Saugettes. — Je voulais te faire des excuses pour ce que je t’ai fait hier…

Saint-Franquet. — Ce que tu m’as fait hier ? quoi ?

Des Saugettes. — Je ne sais pas. Mais tu m’as attrapé ! Je suppose que si tu m’as attrapé, c’est que je t’ai fait quelque chose. Tu ne m’en veux pas ?

Saint-Franquet. — Mais non, mais non !

Des Saugettes. — Alors, je t’apportais ce bouquet de violettes… C’est une fleur que tu aimes !

Saint-Franquet. — Mais je m’en fous, de tes violettes ! (Brusquement.) Oh ! mais vous me faites mal !

Des Saugettes. — Moi ?

Saint-Franquet. — Mais non ! c’est la dame qui… qui n’est pas madame Plantarède, tu entends… qui m’a donné un coup de pied.

Des Saugettes. — Oh ! Elle ne t’a pas fait mal, au moins ?

Saint-Franquet, rageur. — Non, non ! Fous le camp.

Des Saugettes, ramassant le bouquet et le retendant à Saint-Franquet. — Alors, tu lui offriras ce bouquet de violettes, ça lui fera plaisir !

Saint-Franquet. — Oh !… Oui, bon ! Allez ! On t’a assez vu ! Fous-moi le camp.

Des Saugettes. — Comme hier, alors ?

Saint-Franquet. — Oui, comme hier ! Allez ! va !

Des Saugettes. — C’est ça… oui !… (Il se dirige vers la porte.) Tu… tu n’as pas besoin de moi, non ?

Saint-Franquet. — Mais non, voyons, puisque je te dis de t’en aller.

Des Saugettes. — C’est juste ! Alors, je m’en vais. Au revoir !

Saint-Franquet. — Au revoir, au revoir ! Oh ! zut !

Des Saugettes, en sortant. — Il est gentil !

Scène II

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Saint-Franquet, Micheline.

Saint-Franquet. — Il est parti.

Micheline, sortant, de sa couverture. — Ah ! c’est pas trop tôt ! J’ai cru que vous alliez le garder toute la journée.

Saint-Franquet. — je vous demande pardon…

Micheline. — Si vous croyez que j’étais bien, moi, là-dessous !

Saint-Franquet. — Ma pauvre Micheline !

Micheline, très digne. — Oh ! et puis, je vous prie de m’appeler madame !

Saint-Franquet, ahuri, — Ah !

Micheline. — Vraiment, quand on a la réputation d’une femme à sauvegarder… Enfin, qu’est-ce qu’il va penser après ça, des Saugettes ?

Saint-Franquet. — Mais rien du tout. Qu’est-ce que vous voulez qu’il pense ?

Micheline. — Sûrement que nous avons couché ensemble !

Saint-Franquet. — Mais non ! mais non ! Je lui ai affirmé que ce n’était pas vous.

Micheline. — Mais il m’a vue !

Saint-Franquet. — Ah ! oui ! mais entre ma parole et ce qu’il a pu voir, il me connaît assez pour ne pas hésiter.

Micheline. — Ah ! c’est gai !

Saint-Franquet. — Soyez tranquille, c’est un secret qui restera toujours entre nous.

Micheline. — Quoi, un secret, Quel secret ?

Saint-Franquet. — Cette nuit que nous avons passée ensemble.

Micheline. — Mais nous n’avons pas passé la nuit ensemble !

Saint-Franquet. — Comment ! mais…

Micheline. — En tous cas, il ne me plaît pas d’avoir passé la nuit avec vous ! là, c’est clair ! Si vous aviez un peu de tact… !

Saint-Franquet. — Oh ! je vous demande pardon !

Micheline. — Et pour commencer, mon cher monsieur, comme vous m’avez très justement fait observer que nous nous trouvions côte à côte et que c’est parfaitement incorrect, je vous prie de vous lever.

Saint-Franquet. — Mais je n’ai pas envie de me lever.

Micheline. — Bon ! bon ! restez couché.

Saint-Franquet, avec satisfaction. — Ah !

Micheline. — Vous êtes chez vous ! je n’ai rien à dire ! (Se levant et prenant le couvre-pied et l’oreiller) C’est donc à moi de me lever ! J’irai m’étendre sur le canapé.

Saint-Franquet, la retenant. — Mais non, voyons !

Micheline. — Ah ! je vous en prie, laissez-moi !

Saint-Franquet. — Ah ! et puis zut, après tout !

Micheline, allant poser l’oreiller et étendre la couverture sur la chaise-longue qui est au pied du lit. — Oui, oh ! vous êtes très galant ! Ça ne m’étonne pas, d’ailleurs, après ce que vous avez fait !

Saint-Franquet. — Quoi ! quoi ! qu’est-ce que j’ai fait ?

Micheline, s’étendant sur la chaise-longue. — Quand je pense que par vous, moi, l’épouse modèle, moi qui avais le droit de parler haut au nom de six années de fidélité sans défaillance… je… je… Non, non, vous n’avez pas agi comme un honnête homme !

Saint-Franquet. — Ça, c’est trop fort ! En quoi ? en quoi ?

Micheline. — Vous ne deviez pas abuser de la situation.

Saint-Franquet. — Enfin, sacristi, qu’est-ce que je devais faire ?

Micheline. — Ce que tout homme délicat aurait fait à votre place.

Saint-Franquet. — Vous êtes dure.

Micheline. — Ne pas jouer le bon apôtre en prenant la défense de mon mari, ce qui ne pouvait que m’exaspérer davantage ; mais me faire comprendre que la peine du talion ne pouvait être la vengeance d’une honnête femme.

Saint-Franquet. — Ecoutez ! .. Evidemment, si ça m’était venu en tête…

Micheline, se levant. — En tout cas, il est une chose que vous ne deviez pas faire, c’était d’accepter d’être mon vengeur.

Saint-Franquet. — Vous me menaciez de vous adresser à un autre…

Micheline. — Eh bien, il fallait me répondre : "Adressez-vous à un autre." Voilà ce qu’il fallait me répondre, si véritablement vous m’aimiez !

Saint-Franquet. — Ce n’est généralement pas ce que l’on dit à une femme que l’on aime !

Micheline, se remettant dans le lit. — Au moins, à l’heure qu’il est, vous auriez la conscience nette ; tandis que maintenant…

Saint-Franquet. — Eh bien, qu’est-ce que vous faites ?

Micheline. — Quoi ?

Saint-Franquet. — Vous vous, remettez dans mon lit ?

Micheline, le poussant hors du lit. — Eh bien quoi, allez-vous en ! C’est pas votre place.

Saint-Franquet. — Dans mon lit ?

Micheline. — Dans le lit où je suis ! Je ne vais tout de même pas attraper froid pour vous faire plaisir.

Saint-Franquet. — Bon ! bon !

Il va s’étendre sur la chaise-longue.

Micheline, repiquant. — Oui, seulement, ça vous allait !

Saint-Franquet. — Bon ! on y revient.

Micheline. — L’occasion se présentait, vous n’étiez pas fâché d’en profiter !

Saint-Franquet, se levant. — Ecoutez, Micheline…

Micheline. — Ah ! vous êtes un joli monsieur !

Saint-Franquet. — Ah ! mais, permettez…

Micheline. — Qu’est-ce que je suis venue faire ici ? Je me le demande !

Saint-Franquet. — Eh bien, écoutez, voulez-vous que je vous dise ? Moi aussi, je me le demande.

Micheline. — Comment !

Saint-Franquet. — C’est vrai, ça ! Vous me faites une scène, là !… Après tout, est-ce que j’ai été vous chercher ? Vous venez me relancer chez moi… vous me posez un ultimatum…

Micheline. — Un ultimatum !

Saint-Franquet. — Galamment, je cède, je me donne ! et parce que je me suis soumis à votre volonté, aujourd’hui vous m’en faites un crime.

Micheline. — C’est ça ! c’est ça ! Jetez-moi la pierre, maintenant.

Saint-Franquet. — Quand je pense qu’hier, quand vous êtes venue, je venais de me fiancer… et pour vous, en un instant, sans remords, j’ai tout sacrifié ! Ah ! si j’avais su !

Micheline - Mais mariez-vous, monsieur ! Mariez-vous, je ne vous en empêche pas.

Saint-Franquet. — Oh ! vous ne m’en empêchez pas ! Il est bien temps de me le dire ! maintenant que vous savez que ma lettre de rupture est partie.

Micheline. — Quand ? Quand est-elle partie ? Vous avez écrit cette nuit.

Saint-Franquet. — Dans un élan de bêtise héroïque !

Micheline. — Que je ne vous demandais pas ! Vous n’allez pas me dire que vous avez eu le temps de la mettre à la poste ?

Saint-Franquet. — Non ! mais je l’ai déposée sur la table de l’antichambre avec mission pour mon domestique de la porter dans la matinée.

Micheline, se levant. Eh bien, sonnez-le ! Il n’est peut-être pas encore parti.

Saint-Franquet. — Mais certainement, je vais le sonner. Certainement, je vais le sonner !

Micheline. — Au moins, vous ne cherchez pas à me dissimuler votre empressement !

Saint-Franquet. — Dame, enfin…

Micheline. — Et dire que c’est cet homme qui me parlait de m’épouser !

Elle sort de gauche.

Saint-Franquet. — Ah ! non… ah ! non !… des petites scènes comme ça, ah ! non ! (Allant sonner.) Pourvu que Victor n’ait pas encore porté la lettre ! Ma pauvre petite Dotty, quand je pense… (On frappe.) Ah ! le voilà ! Entrez Victor !

Scène III

Saint-Franquet, Des Saugettes, puis Micheline

Des Saugettes, entrant. — Tu as sonné ?

Saint-Franquet. — Hein ! Comment, c’est encore toi ?

Des Saugettes. — Oui ! C’est Victor qui m’a prié de rester à sa place.

Saint-Franquet. — Victor ?

Des Saugettes. — Oui, parce qu’il paraît que tu l’as envoyé en course.

Saint-Franquet. — Nom de Dieu !

Des Saugettes. — Alors, il m’a demandé de le suppléer en attendant son retour, pour si on sonnait ou si tu sonnais.

Saint-Franquet, désolé. — Parti ! il est parti ! Ça y est, il a porté la lettre !

Des Saugettes. — Oui, oui, tranquillise-toi, il l’a portée ! C’est pour ça qu’il sortait.

Saint-Franquet. — Mais, malheureux, c’est ça qu’il fallait éviter ! Tu ne pouvais pas le retenir… l’empêcher de faire ça ?

Des Saugettes, étonné. — Pourquoi ?

Saint-Franquet. — Mais parce que… parce que, par cette lettre, je brise mon bonheur, je romps mon mariage comme un imbécile !

Des Saugettes. — Quel mariage ?

Saint-Franquet. — Le mien ! Et je ne veux pas le rompre, mon mariage !

Des Saugettes, de plus en plus étonné. — Tu te maries ?

Saint-Franquet. — Oui.

Des Saugettes. — Oh ! Mais alors, qu’est-ce que je vais devenir, moi ?

Saint-Franquet. — Ah ! toi, fous-moi la paix, hein ?

Des Saugettes. — Bien.

Saint-Franquet. — Et voilà ce que tu as fais, en laissant partir Victor !

Des Saugettes. — Mais je ne savais pas, moi !

Saint-Franquet. — Ah ! tu n’as guère d’intuition. Tu vas tâcher de me réparer ça !

Des Saugettes, avec élan. — Oui.

Saint-Franquet. — Tu vas prendre une auto, la plus rapide que tu pourras trouver…

Des Saugettes. — Oui… Ah ! c’est qu’on ne sait ça qu’une fois qu’on est dedans…

Saint-Franquet. — Si elle ne marche pas, cours devant.

Des Saugettes, voulant partir. — Bon.

Saint-Franquet, le retenant. — Rattrape Victor avant qu’il ait remis la lettre.

Des Saugettes, comme précédemment. — C’est ça ! c’est ça ! Je cours.

Saint-Franquet, comme précédemment. — Quoi ? quoi ? Où ça tu cours ? Tu ne sais ni où ni chez qui.

Des Saugettes. — Ah ! c’est juste !

Saint-Franquet. — Hôtel Majestic, Miss Dotty Summerson !

Des Saugettes. — Miss Dotty… Comment, Miss.. : Ah ! tiens ! Ah ! oui ? tiens ! tiens ! Miss Summerson, que nous avons rencontrée…

Saint-Franquet. — Ah ! non ! je t’en prie, hein ! file !

Des Saugettes. — Oui, Oui !

Micheline, entrant de gauche. — Eh bien, votre domestique… (Apercevant Des Saugettes.) Oh !

Elle fait volte-face et disparaît.

Saint-Franquet. — Oh !

Des Saugettes, se cachant le visage de ses deux mains. — J’ai pas eu le temps de voir ! J’ai pas eu le temps de voir !

Saint-Franquet. — Ah ! nom d’un chien ! tu ne vas pas filer ?

Des Saugettes. — Oui, oui !

Il sort vivement.

Saint-Franquet. — Oh ! cet homme !

Des Saugettes, rouvrant la porte timidement. — Dis donc !… Majestic ?…

Saint-Franquet. — Ouiii ! Oh !… (Des Saugettes disparaît.) Ma parole, ça a l’air d’une gageure ! (Il a traversé la scène et va ouvrir à Micheline.) Vous étiez venue me dire quelque chose ?

Micheline. — Ah ! écoutez ! non, vrai, ça a l’air d’une gageure !

Saint-Franquet. — Ça, c’est curieux, juste ce que je me disais à l’instant.

Micheline. — Ah ! Vous vous disiez… Charmant ! C’est comme vos robinets ! Comment fait-on pour avoir de l’eau chaude chez vous ?

Saint-Franquet. — Hein ?

Micheline. — Il ne vient que de l’eau froide quand on les tourne.

Saint-Franquet. — Ah ! pardon, c’est que vous sautez de mon mariage à l’eau de mes robinets ; alors… Eh bien, il y a le chauffe-bain, il n’y a qu’à allumer.

Micheline. — Eh bien faites-le, quoi ! Vous connaissez mieux le maniement que moi !

Saint-Franquet. — Du moment que vous me le demandez si gentiment…

Il sort de gauche.

Micheline. — C’est vrai, ça !… Ah ! j’en suis guérie de ce genre d’aventures ! (Se remettant machinalement dans le lit.) Quand on pense qu’il y a des femmes qui trouvent un charme à ce genre d’équipée… (Bruit de voix, cantonade droite.) Qu’est-ce que c’est que ça ?… Mais il y a des gens dans l’atelier ! (Appelant.) Saint-Franquet ! (Parlé.) Mais on entre donc chez lui comme dans un bazar ! (Appelant.) Saint-Franquet !

Voix de Saint-Franquet, cantonade gauche. — Tout de suite !

Micheline. — Mais venez, venez… Oh !

Elle pousse cette exclamation en entendant ouvrir la porte de droite, et rejette vivement le drap sur sa tête.

Scène IV

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Micheline, Bichon, Plantarède, puis Saint-Franquet.

Bichon, entrant bras dessus, bras dessous avec Plantarède. — Coucou ! Nous voilà !… Tiens, il n’est pas là !

Plantarède. — Tu crois que ça va lui faire plaisir, notre visite ? C’est peut-être pas de très bon goût, après…

Bichon, l’embrassant. — Mais si ! mais si ! Il n’a pas l’esprit étroit.

A la voix de Plantarède, on a vu un soubresaut sous le drap qui cache Micheline.

Plantarède. — Oui, enfin… tu le prends sur toi ?

Bichon. — Mais oui ! mais oui ! (Appelant.) Gérard !

Voix de Saint-Franquet. — Mais voilà, ça chauffe !

Bichon. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Saint-Franquet, entrant et croyant parler à Micheline. — Voilà, voilà, ma chère amie… (Reconnaissant Bichon et Plantarède.) Ah !

Bichon. — Qu’est-ce qu’il a ?

Saint-Franquet. — Non d’un chien, vous ! Comment êtes-vous entrés ?

Bichon. — Eh ben, avec ma clé !

Saint-Franquet. — Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Bichon. — Eh ben, voilà… on te rend visite.

Saint-Franquet. — Ah ! oui ! Eh ben, vous savez…

Bichon. — Quoi ? C’est pas gentil ?… Les nouveaux mariés, le lendemain de leur noce, ils vont embrasser la famille ! Eh ben, on te considère comme de la famille.

Saint-Franquet, s’efforçant de les pousser vers la droite. — Oui, c’est très gentil ! Tenez, venez par là, venez par là…

Bichon. — Mais non, on est très bien ici ! Tu ne vas pas faire des cérémonies avec nous.

Plantarède, s’asseyant sur le lit et prenant Bichon sur ses genoux. — Ah ! bien, par exemple ! Ah ! mon cher ami, elle est charmante ! Ah ! vous avez un goût !

Bichon, faisant des petites manières. — Ah ! monsieur !

Saint-Franquet. — Mais taisez-vous donc !

Plantarède : — Mais pas du tout, je le dis hautement ! (Riant.) Ma pauvre femme qui me croit à Châteaudun

Soubresaut sous le drap.

Saint-Franquet, les dents serrées. — Mais voyons, Plantarède…

Plantarède, riant toujours. — Quand je suis rentré hier, comme elle était sortie, je lui ai laissé un mot : "Obligé partir vingt-quatre heures pour affaires à Châteaudun ! "

Saint-Franquet, à part. — Oh ! l’idiot !

Plantarède. — Dites donc, vous n’auriez pas le téléphone, que je téléphone à ma femme, de Châteaudun !

Micheline, rejetant son drap et se relevant brusquement à genoux sur le lit. — Ah ! tu veux me téléphoner de Châteaudun !…

Bichon, effrayée. — Ah !…

Plantarède. — Nom de Dieu, ma femme !

Il détale comme un lapin.

Micheline. — Veux-tu rester là ! veux-tu rester là !

Saint-Franquet. — Calmez-vous ! calmez-vous !

Micheline. — Laissez-moi. (A Bichon.) Ah ! je vous félicite, madame ! Vous faites un joli métier !

Bichon. — Quoi ?

Micheline, à Saint-Franquet. — Et vous, il ne vous manquait plus que de me mettre en contact avec des courtisanes !

Bichon, furieuse. — Courtisanes !

Saint-Franquet, à Micheline. — Madame, je vous en prie…

Bichon. — Courtisane ! Non, mais je voudrais bien savoir laquelle de nous deux a le plus l’air de la courtisane en ce moment !

Micheline, indignée. — Qu’est-ce que vous dites ?…

Bichon, continuant. — De moi qui suis là, dans une tenue convenable, ou de vous que je trouve en chemise dans le lit de mon amant !

Micheline. — Vous saurez, madame, que je suis une honnête femme… et que si je suis ici, ça n’est pas pour… pour ce que vous avez l’air de supposer.

Bichon, — Non… Vous attendez le tramway !

Micheline. -… mais pour me venger ! pour punir mon mari de ses infidélités, dont vous avez été la complice, pour lui rendre la pareille !

Bichon. — Oui ? Eh ben, tant pis pour vous !

Saint-Franquet. — Allons, Bichon, en voilà assez ! et je te prie de te taire.

Bichon. — Oui ! Eh bien, toi, je te prie de me parler autrement. Je ne suis plus avec toi, n’est-ce pas ? Si tu n’es pas content, mon amant est là pour te répondre.

Saint-Franquet. — Heu ? Quel amant ?

Bichon. — Plantarède, donc !

Micheline. — Mon mari !

Saint-Franquet, à Bichon. — Oh ! ben, tu en as un culot !

Micheline, pleurant. — Oh ! voilà ce que vous me valez, vous ! voilà ce que me valez !

Saint-Franquet, avec l’accent du désespoir. — Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse !

Micheline, comme précédemment. — Ah ! je suis une malheureuse ! une malheureuse !

Saint-Franquet. — Voyons, voyons ! (A Bichon.) Tu es contente de ton ouvrage, toi ? Moi qui te croyais un peu de cœur…

Bichon. — Eh ben oui, là ! Aussi pourquoi est-ce qu’elle me dit…

Saint-Franquet. — Oh ! ça, oui, tu peux être contente !

Bichon, se radoucissant, et à Micheline. — Allons, madame, ne vous désolez pas !… Je vous demande pardon… J’ai été un peu vive !

Micheline, avec un sanglot. — Ah !

Bichon. — Ben oui, j’ai eu tort ! D’autant que je comprends, vous en avez évidemment après moi !… parce que j’ai pris votre mari…

Micheline, comme précédemment. — Ah !

Bichon. — Qu’est-ce que vous voulez ! Nous n’y regardons pas de si près ! Quand l’occase se présente, nous ne regardons pas si on est un mari ou si on n’est pas un mari… On ne voit que le chopin, s’pas ! Si on devait écarter les gens mariés, ah ! ben, merci, madame ! mais on ne s’y retrouverait pas, madame ! parce qu’avec les gigolos… y a pas gras

Micheline. — Le misérable !

Bichon. — Qui ça ? Votre mari ? Mais non ; il est comme les autres ! Seulement, la femme sait ou ne sait pas !… Le chiendent, c’est que vous, vous avez appris. (A Saint-Franquet.) Oh ! qu’est-ce qu’on parie que c’est toi, avec ton idiot de téléphonage d’hier au fauteuil 49 ?

Micheline, à Saint-Franquet. — Hein ! C’était vous ! Ah ! vous ne vous en étiez pas vanté !

Saint-Franquet. — Ben…

Bichon. — Ah ! ce que tu peux être gourde !

Micheline. — Ah ! oui, il peut être gourde !

Saint-Franquet. — Evident ! ça va être de ma faute !

Bichon, à Micheline. — Et voilà pourquoi tout ça ! pourquoi vous êtes dans son lit et que vous avez… tout ça… pour vous venger de l’autre !

Micheline. — Mais naturellement !

Bichon. — C’est idiot !

Micheline. — Comment ?

Bichon. — Vous êtes bien avancée ! Ah ! oui ! Ça fait-il que vous êtes moins trompée aujourd’hui ? Non ! Avez-vous trouvé, un moment, ça de plaisir avec lui ? Non !

Micheline. — Non !

Bichon. — C’est ce que je dis !

Saint-Franquet, à part. — Qu’est-ce que je prends !

Bichon. — Ah ! si j’avais été là, je vous aurais dit "Madame ! Madame ! vous allez faire une de ces gaffes !… Faites donc pas d’histoires. Votre mari a fait des siennes ? Eh ben, fermez les yeux, tout ça n’a aucune importance. Restez donc bien tranquille, et, comme on dit, attendez le retour de l’enfant prodige !

Saint-Franquet, rectifiant. — Digue !

Bichon. — Quoi, digue ?

Saint-Franquet. — Digue, donc !

Bichon. — Diguedon ! T’es dingue ?

Micheline, à Saint-Franquet. — Mais laissez donc madame ! (A Bichon.) "L’enfant prodigue ! " J’ai très bien compris, madame !

Bichon. — Oui, C’est une manie chez lui, madame ! (Reprenant.) Attendez le retour de l’enfant prodigue ! Là ! Il reviendra sûrement ! Comme l’a dit très bien un poète…

Saint-Franquet, admiratif. — Oh !

Bichon, très digne. — Comme l’a très bien dit un poète : "Laissez pisser le mérinos ! "

Saint-Franquet, suffoqué. — Oh !

Bichon. — Ce qui veut dire : "Attendez que le caprice soit passé ! ".

Micheline, avec élan. — Ah ! merci, madame ! merci pour ces paroles réconfortantes !

Saint-Franquet, moqueur, à Bichon, — Je ne te savais pas ce talent d’orateur.

Bichon. — Tu n’as jamais pris la peine de me causer.

Micheline, à Saint-Franquet. — Voilà, tenez ! voilà une femme de cœur !

Saint-Franquet. — Je m’incline !

Micheline. — C’est bien regrettable que vous n’en ayez pas pris de la graine !

Scène V

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Les Mêmes, Plantarède.

Tous, à la vue de Plantarède. — Plantarède !

Saint-Franquet. — Lui ! Je l’avais oublié !

Plantarède, menaçant, les bras croisés. — Non, mais dites donc, vous autres, vous en avez de bonnes ! J’ai réfléchi… (A Saint-Franquet.) Mais c’est ma femme qui était dans votre lit

Tous. — Hein ?

Plantarède. — Sur le moment, je n’y ai vu que du feu ! Mais à la réflexion, tout en courant, ça m’est revenu ! Ah ! vous avez bien dû vous fiche de moi…

Tous. — Pourquoi ?

Plantarède. — C’est clair ! je suis la poire ! Je la suis !

Micheline, avec provocation. — Tu aurais même pu dire : "je le suis ! "

Saint-Franquet et Bichon. — Oh !

Plantarède, faisant un pas vers sa femme. — Quoi ?…

Saint-Franquet, s’interposant. — Plantarède !…

Plantarède. — Taisez-vous !

Micheline. — Parfaitement ! C’est à moi de parler !

Plantarède. — Non, pardon, c’est à moi ! Qu’est-ce que vous faites ici, madame ?

Micheline. — Exactement ce que vous faisiez cette nuit, monsieur… je ne sais où… à Châteaudun, Paris, Seine !

Plantarède. — Qu’est-ce que vous dites ?

Micheline. — Je dis que vous étiez avec votre maîtresse ! Une femme de cœur, d’ailleurs, à qui je rends hommage. Eh bien, moi, je suis ici chez mon amant.

Plantarède. — Malheureuse !

Saint-Franquet. — Mais non ! mais non !

Bichon. — Mais c’est faux !

Saint-Franquet. — Plantarède, je vous jure !…

Micheline. — Oui ! évidemment, le devoir de monsieur Saint-Franquet !… Mais moi, j’affirme… et d’ailleurs, je crois que le tableau est assez édificateur !

Plantarède. — C’est très bien, madame ! Je sais ce qu’il me reste à faire.

Micheline, se levant. — Et moi de même, monsieur. J’ai heureusement tout un lot de pièces en mains, qui me permettront de demander le divorce.

Plantarède. — A votre aise, madame.

Micheline. — Adieu, monsieur.

Plantarède. — Adieu.

Micheline, avec un sourire tendre à Saint-Franquet. — A tout à l’heure… Gérard !

Elle sort par la salle de bains.

Bichon. — Elle est marteau, elle est complètement marteau !

Plantarède, à Saint-Franquet. — Quant à vous, monsieur…

Saint-Franquet. — C’est bien, trêve de discussion, monsieur ! Je vous dois une réparation… Je suis à vos ordres !…

Plantarède. — Je l’entends bien ainsi ! Demain, deux de mes amis…

Saint-Franquet. — Il suffit !

Bichon. — "Deux de mes amis ! A vos ordres ! " Ah ! non, non ! vous n’allez pas vous entrelarder par-dessus le marché !

Plantarède. — Comment !

Saint-Franquet. — Et pourquoi donc pas ?

Bichon. — Mais parce que… parce que… il n’y a pas de raisons… parce que tu n’as pas été l’amant de madame Plantarède !

Saint-Franquet. — Quoi ?

Plantarède. — Ah ! non ! à d’autres !

Saint-Franquet. — Mais parfaitement ! Monsieur Plantarède a raison ! Il nous a surpris en flagrant délit, madame Plantarède a proclamé sa culpabilité… Ceci me dicte ma conduite. Oui, j’ai été l’amant de madame Plantarède !

Plantarède. — Là ! C’est clair !

Bichon, à Plantarède. — Mais non ! non ! Si tu n’étais pas bouché à l’émeri, tu comprendrais que tout ça c’est un coup monté !

Plantarède. — Quoi ?

Saint-Franquet, à Bichon. — Ah ! tais-toi !

Bichon. — Non ! je parlerai ! (A Plantarède) Un coup monté par ta femme qui a appris que tu lui en faisais voir, et qui, pour se venger…

Plantarède. — Hein !

Bichon, montrant Saint-Franquet. — Et alors, cette autre poire, là, se croit obligé, par cavalerie française…

Saint-Franquet. — Quoi ?

Bichon. — Parfaitement !… de jouer le rôle qu’on lui impose !

Saint-Franquet. — C’est faux ! c’est faux !

Bichon. — C’est faux ?… Mais la preuve, tiens ! tiens ! (Montrant successivement le lit et la chaise-longue.) C’est ça… et ça ! Deux lits ! Généralement, quand on veut se donner à un homme, on ne commence pas par faire lit à part !

Saint-Franquet, tandis que Plantarède écoute interloqué. — Oh ! pardon !

Bichon. — Ta gueule, toi ! (A Plantarède.) Mais la preuve que c’est faux, c’est la rage qu’il met à s’accuser. Voilà un garçon qui s’est fiancé hier, et c’est ce moment-là qu’il aurait choisi ! Allons donc ! Ah ! si tu étais un peu psychologe…

Saint-Franquet. — Tu as bientôt fini, Bichon ?

Bichon. — Je te dis que tu n’as pas été l’amant de madame Plantarède !

Saint-Franquet. — Si, j’ai été l’amant de madame Plantarède !

Bichon. — Non, tu n’as pas été l’amant…

Saint-Franquet. — Si, j’ai été l’amant !

Plantarède, éclatant. — Eh bien, non ! Vous n’avez pas été l’amant de madame Plantarède !

Saint-Franquet, abasourdi. — Quoi ?

Plantarède. — Je dis : "Non, vous n’avez pas été l’amant ! "

Saint-Franquet. — Plantarède !…

Plantarède, menaçant. — Si vous n’êtes pas content !… Ah ! mais ! j’y vois clair, à présent ! C’est trop cousu de fil blanc !… On peut me fiche dedans un moment ; mais il y a des limites. Eh bien, non ! vous n’avez pas été l’amant !

Saint-Franquet, presque crié. — Eh ! bien, non ! Je n’ai pas été l’amant de madame Plantarède !

Plantarède. — Ah ! mais !

Saint-Franquet. — Ah ! mais !

Plantarède, s’attendrissant. — Grosse bête !

Saint-Franquet, même jeu. — Vieil ami !

Bichon, à part. — Ouf ! Ça n’a pas été sans peine !

Plantarède, finement. — Vous savez, au fond, très au fond… Je n’y ai pas cru un instant !

Saint-Franquet. — Ah !

Plantarède. — Mais voyons, ma femme ! un amant ! Je la connais un peu !

Saint-Franquet, gêné. — Oui, oui !

Plantarède. — Et puis, comme dit Bichon, le jour même de vos fiançailles !

Saint-Franquet, abondant dans son sens. — Mais voyons !

Plantarède. — Tout ça hurle d’invraisemblance ! Mais je vois la scène : Ma femme découvrant le pot aux roses, accourant chez vous furieuse ! "Mon mari me trompe, je veux me venger ! "

Saint-Franquet. — Voilà !

Plantarède. — Vous la raisonnez, vous essayez de la calmer… et, dans la crainte qu’elle aille faire quelque bêtise ailleurs, vous commencez par la claustrer !

Saint-Franquet. — Voilà ! voilà !

Plantarède. — Ah ! mon ami, mon ami, quelle chance qu’elle soit venue chez vous ! Voyez-vous, si elle était tombée chez un autre !

Saint-Franquet. — J’en frémis.

Plantarède, à Bichon. — Vois-tu ça !

Bichon, à part. — C’est tout de même gobeur, un mari !

Plantarède, à Saint-Franquet. — Mais dites-moi, ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, qu’elle va demander le divorce ?

Saint-Franquet. — Ah ! dame !…

Plantarède. — Mais ce n’est pas possible ! Pour une petite incartade qui date d’hier…

Saint-Franquet. — Ça, encore, elle passerait dessus… Mais ce qu’elle ne vous pardonne pas, c’est votre liaison !

Plantarède. — Ma liaison ?

Saint-Franquet. — Aussi, pourquoi laissez-vous traîner vos lettres d’amour ! Votre femme a mis la main sur tout le paquet.

Plantarède. — Mes lettres d’amour ? Mais je ne sais pas ce que vous voulez dire ! Je vous jure, j’ignore… Ou alors, ça date de ma vie de garçon. De qui, ces lettres ?

Saint-Franquet. — D’une madame… madame… un nom comme gilet de chasse.

Plantarède. — Je n’ai jamais eu de maîtresse de ce nom-là.

Saint-Franquet. — Attendez ! Tricot ? Madame Tricot…

Plantarède. — Mais pas plus de tricot que de gilet de chasse !

Saint-Franquet. — Cependant, je crois bien me souvenir…

Plantarède, tout à coup. — Ah !… Adélaïde Crochet !…

Saint-Franquet, surpris. — Crochet !

Plantarède. — Tricot, Crochet ! ça se ressemble.

Saint-Franquet. — Vous avez connu Adélaïde Crochet !

Plantarède. — Oui, autrefois.

Saint-Franquet. — Tiens ! Moi aussi !

Plantarède. — Allons donc ! Quelle année ?

Saint-Franquet. — 1903.

Plantarède. — Ah ! Moi, 1905.

Saint-Franquet. — Oui… Elle avait deux ans de plus !

Plantarède. — Ben oui ! mais moi, neuf de moins !

Bichon, le montrant. — C’est-y assez catin, les hommes !

Plantarède. — Alors, ça n’est pas elle ? Ça n’est pas Adélaïde ?

Saint-Franquet. — Non, non ! sûrement !

Plantarède. — Alors, je ne vois pas ! je vous jure !… En tous cas, je vous en prie, mon cher, éclaircissez-moi ça, voyez ma femme, prêchez-lui la raison. Ce serait trop bête… car enfin, je l’aime, moi ! Je te demande pardon, Bichon… Et puis, quel effet ça ferait au Palais !

Saint-Franquet. — C’est bien ! Allez vous promener dix minutes, puis revenez. Pendant ce temps, j’entreprends madame Plantarède, et j’espère, avec l’aide de Bichon…

Plantarède. — De Bichon ?

Saint-Franquet. — Oui, elle a une grande influence sur elle.

Plantarède, ahuri. — Ah ?

Saint-Franquet. — Qu’elle plaide votre cause, et vous êtes acquitté.

Bichon. — Oh ! tu dis ça… C’est une pure hypothèque !

Saint-Franquet. — Une pure hypothèque, tu l’as dit. Allez, Plantarède, allez !

Plantarède. — C’est ça, c’est ça ! Et soyez éloquents !

Il sort.

Scène VI

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Saint-Franquet, Bichon, puis Micheline.

Saint-Franquet, tout en remontant. — Et maintenant, attaquons la partie adverse ! Apprête ton éloquence, Bichon.

Bichon. — Si tu ne me charriais pas, hein ?

Saint-Franquet, ouvrant la porte de gauche. — Venez, madame, venez !

Voix de Micheline. — Non, non ! Inutile, je ne veux pas le voir !

Saint-Franquet. — Mais il est parti !

Micheline, entrant, tout habillée. — Ah ?… Où est-il allé ?

Saint-Franquet. — Ah ! est-ce qu’on sait ? A son air désespéré, dame !…

Bichon. — Peut-être se jeter à l’eau !

Micheline, très calme. — En cette saison ! Non…Il a horreur de l’eau froide.

Saint-Franquet. — Enfin, voyons, qu’est-ce qui vous a pris tout à l’heure ?

Bichon. — Moi qui croyais vous avoir convaincue !

Micheline. — Ah ! qu’est-ce que vous voulez ! Quand je me suis trouvée face à face avec lui… Tant pis ! Maintenant, le sort en est jeté !… Heureusement, grâce aux lettres que j’ai entre les mains…

Saint-Franquet. — Vous trouveriez chic d’aller vous en servir contre lui ?… Eh ! bien, non ! non ! vous ne ferez pas ça !

Micheline. — Oh !… Qu’est-ce qui m’en empêchera ?

Saint-Franquet. — Vous ! Votre conscience !

Micheline. — Ah ! bien…

Bichon. — Mais Gérard a raison, madame ! D’abord, savez-vous la meilleure vengeance, la plus chic ?… Renvoyez-moi donc tout le paquet de lettres à la dame qui les a écrites.

Micheline. — A la… à la dame qui… Ah ! non !

Bichon. — Mais oui, mais oui !

Saint-Franquet, à Micheline. — Écoutez-la, écoutez-la !

Bichon, idem. — Vous serez bien avancée quand vous aurez tout fichu par terre ! D’abord, vous ne voyez qu’une chose, votre mari, la dame ! "Il faut leur faire payer ça ! " Et en avant le scandale !… Mais la dame, dites donc, elle a un mari !

Micheline. — Oui.

Bichon. — Un mari qui ne sait rien !

Micheline. — Euh !… Non !

Bichon. — Eh ben, qu’est-ce qu’il vous a fait, cet homme-là ?

Saint-Franquet. — Oui, qu’est-ce qu’il vous a fait, cet homme-là ?

Bichon. — Pour que vous alliez lui apprendre par un éclat son malheur conjugal ! Vous trouveriez ça distingué ?

Micheline, commençant à faiblir. — C’est vrai !

Saint-Franquet. — Vous n’aviez pas réfléchi à tout ça !

Micheline. — Ni vous non plus, d’ailleurs !

Saint-Franquet. — Non !

Bichon - Allez, madame, un beau geste ! Aïez donc, là !… Vous verrez que vous ne vous en repentirez pas.

Micheline. — Ah ! tenez, vous êtes tout de même une chic petite femme !

Bichon. — Mais… y en a aussi parmi nous.

Micheline, à Saint-Franquet. — Très chic, vous savez ! très chic !… Attendez, attendez !

Elle sort précipitamment par le fond.

Scène VII

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Saint-Franquet, Bichon, puis Des Saugettes.

Saint-Franquet. — Eh bien, où va-t-elle ?

Bichon. — Rendre les armes, parbleu ; chercher ses lettres ! Ah ! on a bien travaillé.

Des Saugettes, surgissant de droite, essoufflé. — Ouf ! me voilà !

Saint-Franquet. — Ah ! toi !

Des Saugettes, avec inquiétude. — Est-ce que Victor est revenu ?

Saint-Franquet. — Non !

Des Saugettes, ravi. — Eh bien, ça y est ! Je suis arrivé avant lui !

Saint-Franquet, de même. Ah !… Alors il n’a pas remis la lettre ?

Des Saugettes, de même. — Si !

Saint-Franquet. — Comment ! mais puisque tu es arrivé avant lui…

Des Saugettes. — Non, je dis : "Je suis arrivé ici avant lui".

Saint-Franquet, furieux. — Eh ! ici ! ici ! bougre d’idiot ! ici, je m’en contrefiche ! C’est là-bas !

Des Saugettes. Ah ! là-bas… Non ! il était arrivé avant moi.

Saint-Franquet. — Ah ! bien, c’est du joli ! Je t’avais dit de prendre une auto.

Des Saugettes. — J’en ai pris une ! et une rapide même. J’en avais chaud.

Saint-Franquet. — Eh ! bien ?

Des Saugettes. — Eh bien, voilà, je suis tombé sur un cordon d’agents qui barrait la route, parce que le Président de la République devait passer !

Saint-Franquet. — Ah ! là, mon Dieu… pour le Président… en République !

Des Saugettes. — Oui, hein !

Saint-Franquet. — Enfin, quoi ? tu l’as vue ?

Des Saugettes. — Le Président ? Oh ! très bien !

Il salue à droite et à gauche, en imitant le geste présidentiel.

Saint-Franquet. — Mais non, pas le Président ! Je te parle de Miss Dotty !

Des Saugettes, finement. — Ah ! je l’ai vue aussi !

Saint-Franquet. — Eh bien, qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

Des Saugettes. — Elle a été charmante ! Elle m’a parfaitement reconnu, elle m’a dit tout de suite : "Oh ! mais c’est vous qui étiez à Châtel-Sancy ! "

Saint-Franquet. — Il ne s’agit pas de ça, je te parle de la lettre ! Oh ! ce qu’il est exaspérant !

Des Saugettes. — Ah ! de la lettre ! oh ! ben, de la lettre… elle l’avait lue, et elle m’a dit (Imitant une voix de femme) : "C’est très drôle ! "

Saint-Franquet. — C’est très drôle ?

Des Saugettes, comme précédemment. — "Vous direz à monsieur Saint-Franquet que c’est un grand étourdi !… " Et elle se tordait.

Saint-Franquet. — Et alors ?

Des Saugettes, content de lui. — Et alors, je suis parti !

Saint-Franquet. — Comme Ça ? Tu n’as pas essayé d’en savoir davantage ?

Des Saugettes. — Oh ! non ! Je savais que tu étais pressé.

Saint-Franquet. — Évidemment !! Et tu t’es arrangé pour ne rien savoir du tout !

Des Saugettes, protestant doucement. — Ah ! ben, non !

Saint-Franquet. — Enfin, qu’est-ce que tu en augures ?

Des Saugettes. — De quoi ?

Saint-Franquet. — De tout ça ?

Des Saugettes. — Ah ! je ne sais pas !

Saint-Franquet. — Oui, évidemment !

Bichon. — Qu’est-ce qu’il y a donc ? Ça ne va plus ton mariage ?

Saint-Franquet. — Si… non… Je ne sais pas ! J’avais écrit cette nuit une lettre de rupture, pour des raisons que je garde pour moi…

Bichon. -… et qui, d’ailleurs ; se devinent facilement…

Saint-Franquet. — Si tu veux !… et ce matin, cette lettre, j’ai essayé de la rattraper ! (Montrant des Saugettes.) Malheureusement, cette larve est arrivée trop tard !

Des Saugettes, froissé. — Cette larve !

Saint-Franquet. — De sorte que maintenant… ! Enfin, arrive !

Des Saugettes, pincé. — Ah ! tu as besoin de la larve !

Saint-Franquet. — Voyons, si elle a dit : "C’est très drôle ! " peut-être que… Comment l’a-t-elle dit ! (Sévèrement.) "Ah ! c’est très drôle ! " ou : (Ingénument.) "C’est très drôle ! "

Des Saugettes. — Elle a dit : (Gaîment.) "Ha ! ha ! C’est très drôle ! "

Saint-Franquet. — Oui ! et elle riait ? C’est peut-être pas mauvais signe !

Des Saugettes. — Non ! non ! Sûrement !

Scène VIII

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Les Mêmes, Micheline, puis Plantarède.

Micheline, apportant les lettres. — Voilà !

Des Saugettes, se détournant savamment. — Oh !

Tous. — Quoi ?

Micheline - Les voilà !

Des Saugettes. — Je n’ai rien vu ! je n’ai rien vu !

Saint-Franquet - Ah ! regardez-moi l’idiot, là !

Micheline, tendant les lettres. — Vous m’avez convaincue ! Voilà les lettres, je vous les abandonne !

Bichon. — Ah ! je savais bien !

Saint-Franquet, prenant les lettres. — C’est bien, ça, madame ! Merci ! Et pour vous éviter toute tentation de revenir en arrière, nous allons retourner le paquet tout de suite à sa propriétaire. — Des Saugettes…

Des Saugettes, toujours le dos tourné. — Je ne vois rien ! Je ne vois rien !

Saint-Franquet, le faisant pivoter. — Tu vas nous rendre un service.

Des Saugettes. — Moi ? Avec plaisir !… Bonjour, madame Plantarède !

Micheline. — Bonjour, des Saugettes !

Des Saugettes, à Saint-Franquet. — Je crois que maintenant, on peut !

Il va à Micheline et lui baise la main.

Micheline, très femme du monde. — Comme il y avait longtemps qu’on ne vous avait vu !

Des Saugettes - Oui, hein ! Et monsieur Plantarède va bien ?

Micheline, sèchement.- Très bien, merci !

Saint-Franquet, à des Saugettes. — Tiens ! tu vas nous faire une course..

Des Saugettes. — Oui ! (Brusquement.) Ah ! sapristi !

Saint-Franquet. — Quoi ?

Des Saugettes. — J’ai oublié de régler mon taxi.

Saint-Franquet - Eh bien, ça se trouve bien ! Tu vas le prendre et filer jusque chez madame… (A Micheline.) Madame quoi, au fait ?

Micheline, avec mépris. — Chandail !

Saint-Franquet. — Ah ! Chandail, oui ! Je disais "gilet de chasse" ! L’adresse ?

Micheline. — 19, rue de Castiglione.

Saint-Franquet. — Ah ! bien. (A des Saugettes.) C’est à un jet de salive ! Va, vois la dame et ne lui remets ce paquet qu’en mains propres et si elle est seule.

Des Saugettes. — Bon !

Il va pour sortir.

Saint-Franquet, le retenant. — Attends ! Et en le lui remettant, dis-lui : "Je vous apporte ceci de la part de qui vous saurez ! " Et ajoute : "Voilà comment se venge une épouse outragée."

Micheline, avec un revenez-y de rancune. — Oh !

Des Saugettes. — Et puis ?

Saint-Franquet. — Et puis, va-t’en ! C’est compris ? Cours !

Des Saugettes. — Entendu ! Au revoir, madame Plantarède.

Il sort en courant.

Micheline. — Au revoir !

Bichon. — Eh ben, ne vous sentez-vous pas plus contente ?

Micheline. — Ah ! je ne sais pas ! Oui, non, peut-être ! Je saurai ça plus tard… En tout cas, j’en ai pris mon parti.

Bichon. — Croyez-moi, vous avez bien agi !

Saint-Franquet. — Et demain, vous nous remercierez.

Micheline. — Je le souhaite.

Elle remonte.

Plantarède, paraissant à la porte. — Eh bien ?

Saint-Franquet. — Vous ! Mais vous n’avez pas sonné !

Plantarède - Non, je me suis cogné dans des Saugettes qui sortait au galop ! Il allait porter des lettres, m’a-t-il dit. Vous avez parlé à ma femme ?

Saint-Franquet. — Oui, et tenez, nous l’avons convaincue !

Plantarède, apercevant sa femme. — Toi !

Micheline. — Oh ! je ne te pardonnerai jamais !

Plantarède, désappointé. — Oh !… ben, alors ?…

Saint-Franquet. — Mais si, mais si ! (A Micheline.) Ah ! bien, qu’est-ce que vous venez de nous dire ? (A Plantarède.) Mais si ! et la preuve, c’est que madame a renvoyé tout le paquet de lettres à celle qui les avait écrites.

Plantarède. — Qui les avait…

Saint-Franquet. — C’est celles-là que des Saugettes emportait quand vous l’avez croisé.

Bichon. — Oui ! C’est moi qui ai obtenu ça !

Plantarède. — Qui ? qui ? celle qui les avait écrites ?

Saint-Franquet. — Madame Chandail ?

Plantarède. — Madame Chand… Nom de Dieu !

Tous. — Quoi ?

Plantarède, affolé, s’agitant sur place. Rattrapez-le ! rattrapez-le !

Tous. — Qu’est-ce qui lui prend ?

Plantarède, se précipitant vers la fenêtre. Ah ! la fenêtre ! la fenêtre !

Il ouvre brusquement la fenêtre.

Micheline. — Antoine !

Saint-Franquet, en même temps. — Plantarède !

Bichon, s’élançant sur Plantarède et l’agrippant. — Il veut se jeter par la fenêtre ! Au secours !

Tous trois retiennent Plantarède.

Plantarède. — Mais non ! (Appelant par la fenêtre.) Des Saugettes ! des Saugettes !

Saint-Franquet - Mais quoi ? Il est déjà loin !

Plantarède. — Parti ! il est parti ! Je suis flambé !

Micheline. — Enfin qu’est-ce que tu as ?

Plantarède. — Ah ! vous avez fait un joli coup !

Tous. — Comment !

Plantarède, à Micheline. — Ces lettres… tu les a trouvées à l’étude, dans mon cabinet…

Micheline, un peu honteuse. — Oui !

Plantarède. — Mais, malheureuse, ces lettres ne sont pas à moi !

Tous. — Hein ?

Plantarède. — Elles appartiennent à une de mes clientes ? Ce sont les pièces de son dossier ! C’est sur ces lettres que cette cliente base toute sa demande en divorce…

Bichon et Micheline. — Oh !

Saint-Franquet. — Nom d’un chien !

Plantarède, à Micheline. — Et tu as été les faire reporter par des Saugettes à la partie adverse !

Micheline. — Est-ce que je pouvais savoir !

Plantarède, s’effondrant sur la chaise-longue. — Oh ! oh ! oh ! Je suis déshonoré !

Tous. — Allons ! Allons !

Micheline. — Voyons, voyons, il ne faut pas te désoler… Ça n’est pas si grave, après tout !

Plantarède. — Oh ! tu trouves ?… Un avoué qui livre des pièces dont il est dépositaire !

Micheline. — Eh bien, écoute ! Il y aurait peut-être un moyen… Au fond, pour établir les preuves, ce n’est pas le nombre de lettres qui importe…

Plantarède. — Non, évidemment ! mais…

Micheline, tirant une lettre de son corsage et, timidement. — Alors, peut-être qu’avec celle-là… ? C’est la plus compromettante… "Mon léopard aimé… je crois que je suis grosse…"

Tous. — Hein ?

Plantarède. — Tu en avais conservé une !

Micheline, sainte nitouche. — Je m’en aperçois à l’instant !

Plantarède. — Oh ! petit être perfide !

Micheline. — Qu’est-ce que tu veux, on est femme !

Plantarède, prenant la lettre. — Ah ! tu me sauves l’honneur !

Bichon, à Saint-Franquet. — Qu’elle est forte !

Saint-Franquet. — Tu trouves, toi ! (On frappe à la porte.) Entrez !

Scène IX

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Les Mêmes, Victor, puis Dotty

Victor. — Monsieur !

Saint-Franquet. — Ah ! vous êtes rentré, vous. Qu’est-ce qu’il y a ?

Victor. — C’est Mademoiselle Summerson.

Saint-Franquet. — Fichtre !

Dotty, passant la tête au-dessus de l’épaule de Victor. — On peut entrer, oui ?

Saint-Franquet, empressé. — Mais certainement !

Dotty. — Right ! (Parlant à la cantonade.) Wait a moment, Tommy ! (Entrant.) Oh ! vous avez du monde… Pâdon !

Sortie de Victor.

Saint-Franquet. — Mais ça ne fait rien.

Dotty, reconnaissant les Plantarède. — Oh ! Monsieur et madame de Châtel-Sancy !

Plantarède. — En effet !

Micheline. — Oui, oui !

Dotty, se présentant. — Miss Summerson.

Micheline. — Parfaitement.

Plantarède. — Nous n’avons pas oublié.

Dotty. — Oh ! très gentil. (A Bichon.) Mamoiselle Bichon ! Oh ! bonjour.

Bichon, saluant. — Mademoiselle !

Dotty, à Saint-Franquet, le prenant par le bras en riant. — Oh ! grand cervelé ! Qu’est-ce que c’est la lettre vous m’avez écrit ?

Saint-Franquet. — Hum ! la… la lettre…

Dotty. — Oui ! Vous avez lu ?

Saint-Franquet. — Hein ? Euh !…

Dotty, lisant à Saint-Franquet, qui écoute sur des charbons. — "Ma pauvre petite amie… Puisse ma lettre ne pas vous faire de la peine ! "

Saint-Franquet. — Hum !

Dotty, continuant, toujours gaiement. — "On n’est pas maître de sa destinée ! Notre joli roman, si gentiment commencé, ne saurait avoir de suite. Excusez-moi de vous le dire aussi brutalement ; mais, hélas ! je ne suis plus maître d’un cœur qui est pris ailleurs. Pardonnez et oubliez-moi !… Gérard ! " Yes !

Saint-Franquet, ne sachant que dire. — Oui !

Dotty. — Rigolo !

Saint-Franquet. — Hein ? La… la…

Dotty. — Mais oui, grand cervelé, vous avez pataugé.

Saint-Franquet. — Comment, j’ai pataugé ?

Dotty. — Vous m’avez envoyé la lettre de rupture pour mademoiselle Bichon !

Saint-Franquet. — Hein ?… Oui ! oui !… Oh ! quelle étourderie !

Dotty, lui remettant la lettre. — Tenez ! portez !

Saint-Franquet. — Oui ! (Portant la lettre à Bichon.) Tiens, c’est pour toi.

Bichon. — Qu’est-ce que c’est ?

Saint-Franquet. — La lettre de rupture.

Bichon, riant. — Ah !… crapule, va !

Dotty, à Bichon. — Pas fâchée ?

Bichon, philosophe. — Du tout ! C’est la vie !

Scène X

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Les Mêmes, moins Victor, Des Saugettes.

Des Saugettes. — Ça y est !

Tous. — Des Saugettes !

Plantarède, vivement. — Vous avez remis les lettres ?

Des Saugettes, triomphalement. — Oui !

Plantarède. — Que le diable vous emporte !

Des Saugettes. — Merci ! (A Saint-Franquet.) Juste la dame sortait ! J’ai dû lui courir après dans la rue. Je lui ai remis le paquet avec la phrase convenue : "Voilà comment se venge une épouse outragée !…"

Plantarède. — Oui, oui ! Alors ?

Des Saugettes. — Alors, j’ai cru qu’elle allait défaillir ! Elle s’est mise à me baiser les mains… j’étais très gêné, tous les passants nous regardaient ! Et elle m’a dit : "J’irai dès demain me jeter aux pieds de madame Chavignon ! "

Plantarède. — Ma cliente ! Ah ! ben, ce sera du joli !

Micheline. — Espérons que ça lui servira de leçon, et qu’à l’avenir sa devise sera celle que devraient adopter toutes les femmes mariées…

Dotty. — Laquelle ?

Micheline. — Mais la mienne : "Je ne trompe pas mon mari ! "

Plantarède, l’embrassant. — Ma chère Micheline !

Saint-Franquet, à part. — Et le plus curieux, c’est qu’elle est sincère !

RIDEAU