Janot et Catin
Texte établi par Édouard Fournier, préfacier, Laplace, Sanchez et Cie (p. 493-494).

IV. — STANCES.


JANOT ET CATIN[1].
1675.


Un beau matin,
Trouvant Catin
Toute seulette,
Pris son tetin
De blanc satin,
Par amourette :
Car de galette,
Tant soit mollette,
Moins friand suis pour le certain.
Adonc, me dit la bachelette,

Que votre coq cherche poulette ;
Ici ne fera grand butin.

Telle censure
Ne fut si sûre
Qu’elle espérait :
De ma fressure[2]
Dame Luxure
Jà s’emparoit.
En tel détroit
Mon cas étoit,
Que je quis[3] meilleure aventure.
Catin ce jeu point n’entendoit ;
Mieux attaquais, mieux défendoit.
Dont je souffris peine très dure.

Pendant l’étrif[4],
D’un ton plaintif
Dis chose telle :
Las moi chétif
En son esquif
Caron m’appelle.
Cessez donc belle,
D’être cruelle
A cettuy votre humble captif ;
Il est à vous, foie et ratelle[5].
Bien grand merci, répondit-elle,
Besoin n’ai d’un tel apprentif.

janot

Je vous affie[6]
Et certifie
Que quelque jour
J’ai bonne envie
Ne vous voir mie
Dure à l’étour[7].
Le dieu d’amour
Sait plus d’un tour ;
Que votre cœur trop ne s’y fie ;
Car, quant à moi, j’ai belle paour[8]
Qu’à vous férir[9] n’ait le bras gourd[10].
Le contemner[11] est donc folie.

catin

Vous n’avez pas
Bien pris mon cas,
Ne ma sentence.
De tomber, las !
D’amour ez laz
Ne fais doutance[12].
Mais telle offense,
En conscience,
Ne commettrais pour cent ducats.
Que ce soit donc votre plaisance
De me laisser en patience,
Et de finir cet altercas[13].

janot

Alors qu’on use
De vaine excuse,
C’est grand défaut ;
Telle refuse
Qui après muse[14],
Dont bien peu chault[15] ;
Car point ne fault[16]
Tout homme caut[17]
À chercher mieux quand on l’amuse.
Dont je conclus qu’en amours faut
Battre le fer quand il est chaud,
Sans chercher ni détour ni ruse.

Onc en amours
Vaines clamours
Ne me reviennent[18] ;
Roses et flours,
Tous plaisants tours,
Mieux y conviennent.
Assez tôt viennent,
Voire et proviennent
Du temps qu’on perd douleurs et plours.
Faut que tels cas aux gens surviennent.
C’est bien raison qu’ils entretiennent
En tout déduit[19] leurs plus beaux jours.

Ainsi prêchois,
Et j’émouvois
Cette mignonne ;
Mes mains fourrois,
Usant des droits
Qu’Amour nous donne.
Humeur friponne
Chez la pouponne
Se glissa lors en tapinois.
Son œil me dit en son patois :
Berger berger, ton heure sonne.
J’entendis clair, car il n’est homme,
Plus attentif à telle voix ;
Ami lecteur qui ceci vois,
Ton serviteur qui Jean se nomme.
Dira le reste une autre fois.


  1. J’ai composé ces stances en vieux style, à la manière du Blason des Fausses Amours et de celui des Folles Amours, dont l’auteur est inconnu. Il y en a qui les attribuent à l’un des Saint-Gelais, je ne suis pas de leur sentiment, et je crois qu’ils sont de Crétin.
    (Note de la Fontaine)
  2. De mon cœur et de mes entrailles.
  3. Que je cherchai, du verbe querre.
  4. Le débat, la querelle.
  5. Il est à vous du foie et de la rate, c’est-à-dire tout entier.
  6. Je vous promets, je vous assure.
  7. C’est-à-dire, j’ai bonne envie de ne pas vous voir tenir ferme au choc ou au combat.
  8. J’ai belle peur.
  9. Vous attaquer, vous précipiter.
  10. Perclus, engourdi.
  11. Mépriser.
  12. Il n’est pas douteux qu’on ne finisse par tomber dans les piéges (ez laz) de l’Amour.
  13. Cette dispute.
  14. C’est le proverbe qui refuse muse.
  15. Peu importe.
  16. Ne manque, du verbe falloir
  17. Fin, rusé.
  18. Ne me font plaisir.
  19. Plaisir, jouissance.