Jacques-Paul Migne/Machabées III


Dictionnaire des Apocryphes collections de tous les livres apocryphes de l’Ancien et du Nouveau Testament
Traduction par J. P. Migne.
(1p. 356-369).
M

MACHABÉES.




PRÉFACE SUR LE III LIVRE DES MACHABÉES.




L’auteur de ce livre est absolument inconnu, et le surnom de IIIe livre des Machabées, qu’on a donné à son ouvrage, ne lui convient point, puisqu’il n’y est pas dit un seul mot de ces illustres et vaillants protecteurs des lois de Dieu et de celles de leur nation ; que les faits qui y sont décrits ne conviennent point au temps où ils ont vécu, et qu’ils regardent uniquement les circonstances de la délivrance miraculeuse des Juifs captifs et prisonniers sous le règne d’un des Ptolémées.

À l’égard de la vérité de l’histoire qui fait le sujet de ce livre, on n’en peut pas douter, puisqu’elle est rapportée par Josèphe, liv. Contre Appion, p. 1064, in-folio, gree et latin, édition de Genève, 1634 ; mais avec cette différence que l’auteur de ce livre dit qu’elle s’est passée sous Ptolémée Philométor, ou, selon la version syriaque, Philopator, lorsqu’après avoir remporté la victoire sur Antiochus, roi de Syrie, il vint voir par curiosité le temple et la ville de Jérusalem, et que l’entrée du sanctuaire lui ayant été refusée, il prit la résolution de se venger de cet affront sur tous ceux de cette nation qui demeuraient dans son royaume. Josèphe, au contraire, dit : Que ce fut sous Ptolémée Phiscon, après la mort de Ptolémée Philométor, son frère, et à l’occasion de la guerre que le grand prêtre Onias entreprit contre ce prince au sujet de Cléopâtre, qu’il voulait chasser de son trône aussi bien que ses enfants. Ces deux auteurs ne s’accordent point dans ces circonstances, non plus que dans quelques autres ; mais cependant ils parlent également du miracle de la délivrance des Juifs ; le dernier même s’en est servi contre Appion pour lui prouver que, dans cette guerre contre Phiscon, les Juifs n’avaient rien fait contre la fidélité qu’ils devaient aux princes leurs alliés, puisque Dieu même, en prenant leur défense, les avait miraculeusement justifiés.

Ce livre est écrit en grec par un Juif helléniste, d’un style assez élégant ; il est imprimé dans plusieurs éditions, et surtout dans les Polyglottes, où l’on a même ajouté une version syriaque fidèlement traduite, à quelques différences près, sur le même grec ; et comme cet ouvrage ne contient rien que de très-édifiant, qu’il a même été inséré entre les livres canoniques par le 84 ou le dernier des canons vulgairement appelés des Apôtres, que l’auteur de la Synopse ou de l’Abrégé des Écritures, attribués à saint Athanase, l’a compris au nombre des livres de l’Ancien Testament, dont l’autorité est douteuse ; on a cru qu’il était à propos de l’imprimer ici, avec les autres livres que l’on appelle vulgairement apocryphes, et de le traduire en notre langue, pour ne rien omettre de tout ce qui peut servir à l’éclaircissement et à l’intelligence de l’histoire sainte.

A l’égard du temps auquel on doit placer cette histoire dans la chronologie, les interprètes et les historiens paraissent ne pas convenir entre eux, parce qu’ils ne s’accordent pas absolument sur celui des Ptolémées sous lequel elle est arrivée : si c’est sous Ptolémée Phiscon, qui est dit aussi Evergète, ou si c’est sous Ptolémée son frère, surnommé Philométor ; si cette captivité des Juifs dont ils furent miraculeusement délivrés fut la suite de la guerre qu’eut le grand prêtre Onias au sujet de Cléopâtre, ou si ce fut du refus que les Juifs firent à ce Ptolémée de le laisser entrer dans le sanctuaire, lorsqu’après avoir remporté la victoire sur Antiochus, il vint voir la ville et le temple de Jérusalem, ce que notre auteur dit n’être arrivé que sous la grande sacrificature de Simon, fils d’Onias (chap. II, 1 ci-après), par conséquent vers l’an du monde 3860, et cent quarante-quatre ans avant Jésus-Christ. D’autres placent cet historien bien antérieurement, vers l’an 3768, auquel temps, selon Polybe, Ptolémée attaqua Antiochus, près de Raphie.

REMARQUES DE DOM CALMET SUR LE III LIVRE DES MACHABÉES.

Le livre qui est connu sous le nom de IIIe des Machabées contient l’histoire de la persécution de Ptolémée Philopator contre les Juifs d’Égypte. Ce prince, après sa victoire sur Antiochus le Grand, alla à Jérusalem et y fit offrir des sacrifices d’actions de grâces dans le temple du Seigneur. Mais, après les sacrifices, ayant voulu pénétrer dans le sanctuaire, il en fut empêché par les prêtres et le peuple ; en même temps, il sentit la force d’une puissance invisible qui le renversa à terre sans qu’il pût se remuer. Étant de retour en Égypte, il fit éclater son ressentiment contre tous les Juifs de ses États ; il les fit enfermer dans l’Hippodrome et voulut les faire écraser sous les pieds de ses éléphants. Mais Dieu les en délivra de la manière qui est marquée dans ce livre.

C’est assez mal à propos qu’on lui donne le nom de IIIe des Machabées, puisqu’il n’a aucun rapport ni à leurs personnes, ni à leur histoire, ni à leur temps, ni à la persécution des rois de Syrie, où les Machabées acquirent tant de gloire. Ce nom ne peut lui convenir qu’à cause de la ressemblance qu’on a remarquée entre le zèle, le courage et l’esprit qui animèrent les Juifs d’Alexandrie sous Philopator, et les mêmes qualités qui éclatèrent dans les Machabées et dans les Juifs de la Palestine, sous Antiochus Épiphanes et tous ses successeurs.

On ne voit pas distinctement que Josèphe ait connu ce livre, au moins dans l’état où nous l’avons. Dans son histoire, il ne parle point de la persécution de Ptolémée Philopator contre les Juifs d’Égypte ; et ce qu’on lit dans l’ancienne version latine faite par Rufin, au second livre contre Appion[1], est si mal digéré, qu’il semble que Josèphe, en cet endroit, ne parlait que sur des ouïdire ou sur une connaissance imparfaite et confuse. Il dit que Ptolémée, surnommé Phiscon, frère de Piolémée Philométor, après la mort de son père, ayant voulu envahir le royaume et chasser sa mère Cléopâtre et l’exclure du gouvernement, Onias, Juif, qui avait été fait général des troupes d’Égypte par Philométor, soutint la reine contre l’usurpation. Phiscon rassembla une armée, et ayant pris tous les Juifs d’Alexandrie, hommes, femmes et enfants, il les exposa nus et enchaînés dans l’amphithéâtre pour être écrasés par les éléphants, qu’on avait enivrés exprès pour cela. Mais la chose tourna autrement : les bêtes, au lieu de se jeter sur les Juifs, attaquèrent les amis du roi et en tuèrent plusieurs. Le roi aperçut un homme d’une forme terrible qui lui ordonna de laisser les Juifs, et lui fit de grandes menaces s’il continuait à les persécuter. Ithaque ou Irène, sa concubine, lui ayant demandé grâce pour eux, l’obtint aisément, et le roi témoigna beaucoup de regret de ce qu’il avait fait ; d’où vient que les Juifs d’Alexandrie célèbrent encore aujourd’hui la fête de cette délivrance toute miraculeuse. Voilà ce que dit Josèphe en cet endroit.

La première partie de son récit, quant à l’usurpation du royaume par Phiscon, contre Cléopâtre, et de Cléopâtre soutenue par Onias, n’a rien que de vrai ; mais il y a bien des erreurs dans tout le reste. 1° Phiscon était frère, et non pas fils de Philométor ; 2° il voulait ravir le royaume, non pas à ses frères, mais à son neveu, fils de Philométor et de Cléopâtre ; 3° la persécution contre les Juifs d’Alexandrie arriva longtemps avant Phiscon, sous Philopator, ainsi que tout le IIIe livre des Machabées en fait foi ; 4° Les circonstances de cette histoire sont encore assez mal digérées dans Josèphe. Tout cela nous fait croire que cet historien n’avait point vu ce livre, ou du moins que Rufin l’a très-mal traduit. En effet, dans les deux lignes du texte grec qui nous restent de cette histoire dans Josèphe, on lit expressément que Phiscon, après la mort de son frère Ptolémée Philométor, vint de Cyrène

pour chasser Cléopâtre du royaume. Si nous avions le reste du texte grec, nous pourrions juger plus sûrement de cette affaire[2].

Les anciens catalogues des Grecs marquent quelquefois quatre livres des Machabées, quelquefois trois, et souvent seulement deux. Le quatre-vingt-quatrième des canons des apôtres reconnaît le IIIe livre des Machabées comme livre saint. Théodoret[3] le cite comme Écriture sainte, Saint Athanase, ou l’auteur de la Synopse[4], parmi ses œuvres, le met au même rang que les trois autres livres des Machabées, qui sont tous rangés parmi ceux que l’on contredit, c’est-à-dire qui ne sont pas reçus d’un consentement unanime des Églises. Nicéphore, archevêque de Constantinople, en parle de même ; mais il ne reconnaît que trois livres des Machabées[5]. Eusèbe, dans sa Chronique[6], marque le troisième livre, sans lui donner aucun caractère qui fasse douter de sa canonicité. Il dit seulement, que mal à propos on le met après les deux premiers livres. En effet, il renferme une histoire arrivée avant les Machabées. Il est vrai qu’ailleurs il semble exclure du canon tous les livres des Machabées, lorsqu’il remarque que les Écritures finissent sous Néhémias, et que ce qu’il dira dans la suite est tiré des Machabées, de Josèphe et d’Africain. Philostorge[7] admet expressément le premier des Machabées ; il semble admettre aussi le second, mais il rejette formellement le troisième, il le traite de livre monstrueux, qui ne dit rien de pareil au premier. Est-il monstrueux pour cela ? est-il contraire à l’Écriture ? renferme-t-il des choses opposées à la vérité de l’histoire, à la foi, aux saintes Écritures, aux bonnes mœurs ? Enfin quelques anciens catalogues rapportés dans les anciens monuments grecs, donnés par M. Cotelier[8], reconnaissent quatre livres des Machabées, et les placent tous quatre dans la même catégorie, parmi les livres qui ne sont pas des Septante.

De tout ce qu’on vient de dire, il est aisé de conclure que l’antiquité a balancé quelque temps à rejeter le III livre des Machabées ; mais enfin il passe aujourd’hui pour livre apocryphe dans l’Église grecque et dans l’Église latine ; non pas que l’histoire qu’il contient soit fausse, mais parce que, n’étant point du nombre des Écritures inspirées, il ne peut faire une autorité infaillible.

Je ne remarque pas que les Latins aient eu beaucoup de connaissance de ce livre ; ils ne le citent point, que je sache ; il ne paraît ni dans les manuscrits, ni dans les anciennes Bibles imprimées. La première où je l’aie vu est celle de Froben, de l’an 1538.

Grotius croit que cette histoire fut écrite peu de temps après l’Ecclésiastique[9], composé par Jésus, fils de Sirach, et qu’on lui donne le nom de Troisième des Machabées, parce qu’il ne fut connu des Chrétiens qu’après les deux autres, et qu’il n’eut jamais parmi eux la même autorité que les premiers. Josèphe Scaliger[10] reconnaît que l’ouvrage est beau, et trop peu connu. Le style en est enflé et semblable à celui des pièces de théâtre, mais au reste, rempli de sentiments très-élevés, très-pieux, très beaux. Nous en avons une traduction syriaque qui n’est pas fort exacte.


MACHABEES. LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

Ptolémée Philopator marche avec toute son armée pour combattre Antiochus qui s’était saisi de plusieurs places de son royaume. Il évite d’être assassiné la nuit dans sa tente. Le lendemain, il donne la bataille près de Raphie, et sur le point de la perdre, ses troupes ranimées par Arsinoé, sa sœur, remportent la victoire. Ensuite ce prince vient à Jérusalem, où malgré la résistance des Juifs, il entreprend d’entrer jusque dans le sanctuaire du temple du Seigneur.


1. Philopator[11] ayant appris par ses coureurs qu’Antiochus[12] lui avait enlevé plusieurs de ses forteresses, il rassembla toutes ses forces.

2. Et, suivi de sa sœur Arsinoé[13], il s’avança jusqu’à Raphie[14], où Antiochus s’était campé avec toute son armée.

3. Alors un certain Théodote[15] songea à exécuter le dessein qu’il avait pris de tuer Ptolémée[16], dans l’espoir que sa tort ferait enfin cesser la guerre[17]. Pour cet effet, il choisit parmi les troupes que ce prince lui avait confiées, celles qui lui parurent les plus propres à seconder son entreprise[18], et à la faveur de la nuit, il s’avança jusqu’à la tente de Ptolémée.

4. Mais Dosithée, fils de Driusyle[19], Juif d’origine, et qui depuis avait renoncé à la loi et à la religion de ses pères, ayant été informé des complots secrets de Théodote, avait fait sortir Ptolémée de sa tente et n’y avait laissé qu’un homme de basse condition[20] qu’ils tuèrent[21] au lieu de ce prince.

5. Alors on se battit avec vigueur de part et d’autre, mais la victoire commençant à pencher du côté d’Antiochus, Arsinoé, les cheveux épars et les yeux baignés de larmes, courait dans tous les rangs, et conjurait les soldats de combattre généreusement pour leur propre liberté et pour celle de leurs femmes et de leurs enfants, leur promettant à tous deux mines d’or[22] par tête, s’ils revenaient victorieux.

6. Elle eut bientôt remis la victoire dans son parti, et ses ennemis, ou périrent dans le combat, ou furent faits prisonniers.

7. Ptolémée, échappé avec tant d’avantage aux mauvais desseins de ses ennemis, crut qu’il devait se montrer aux villes voisines, et rassurer par ses discours ceux que la crainte avait pu ébranler. Il fit partout des présents aux temples des dieux, et releva l’espérance de tous ses sujets[23].

8. Les ambassadeurs des Juifs arrivèrent en ce temps-là ; ils étaient chargés de présents, et venaient au nom de toute la nation le féliciter de sa nouvelle victoire. Ptolémée ne les eut pas plutôt vus à sa cour, qu’il se sentit enflammé plus que jamais du désir violent de passer en Judée.

9. Et sans délibérer davantage, il vint à Jérusalem, il y sacrifia au vrai Dieu, et s’acquitta de tout ce que la reconnaissance et la sainteté du lieu pouvaient exiger de lui.

10. Étant ensuite entré dans le temple, il en admira l’excellente structure, et vit avec étonnement l’art et la magnificence qui régnaient partout. Alors la curiosité s’irritant de plus en plus, il déclara aux Juifs l’impatience où il était de pénétrer jusque dans le sanctuaire.

11. Ils lui représentèrent en vain que ce lieu auguste était interdit non-seulement à tous ceux de leur nation, mais même à leurs prêtres, à la réserve du souverain Pontife, et qu’encore n’y pouvait-il entrer qu’une seule fois l’année. Toutes les raisons furent inutiles contre un désir si violent.

12. Et pendant qu’on lui montrait dans les livres saints l’endroit où cette loi était marquée (Exod. xxx, 10 ; Levit. XVI, 2.), il s’avançait vers le sanctuaire, disant avec fierté qu’aucune loi ne pourrait lui en défendre l’entrée, et que si cet honneur n’avait encore été accordé à personne avant lui, il était d’un rang à devoir l’obtenir. Leur ayant ensuite demandé pourquoi on ne l’avait empêché nulle part d’entrer dans les temples des dieux ?

13. Et quelqu’un lui ayant répondu hardiment[24] qu’on l’aurait dû faire[25] : Hé bien ! dit-il, puisqu’on a eu quelques

raisons de le souffrir[26], soit que vous y consentiez ou non, je vais à vos yeux satisfaire ma curiosité.

14. Alors les prêtres, revêtus de leurs ornements et le visage prosterné contre terre, prièrent le Dieu tout-puissant de les secourir dans cette extrémité et d’arrêter les efforts d’un prince orgueilleux. Au bruit des gémissements et des cris dont ils remplissaient le temple, toute la ville fut troublée, et dans l’incertitude de ce qui pouvait être arrivé, ils accoururent en foule.

15. De jeunes filles sortant des appartements où on les tenait auparavant renfermées, suivaient leurs mères, et se couvrant la tête de cendre et de poussière, elles faisaient retentir d’horribles clameurs.

16. D’autres, nouvellement mariées, quittant leurs demeures, sans consulter la pudeur et les bienséances de leur sexe, couraient de tous côtés par la ville.

17. Les mères et les nourrices abandonnaient leurs enfants encore tendres, les unes dans leurs maisons, les autres au milieu des rues, où elles n’avaient plus d’espérance de les retrouver, et elles accouraient au temple.

18. Et là toute cette multitude rassemblée sollicitait le ciel contre les entreprises d’un prince impie et orgueilleux.

19. Quelques-uns même, plus hardis que les autres, se mirent devant lui pour l’empêcher d’avancer, criant qu’ils étaient résolus de prendre les armes et de combattre généreusement pour la défense de leur loi, aux dépens même de leurs propres vies. Ces discours n’ayant fait qu’augmenter le désordre,

20. Les anciens et les prêtres eurent beaucoup de peine à les contenir ; mais enfin ils les obligèrent de se retirer dans le lieu où l’on fait la prière[27].

21. Et[28] pour eux, ils environnaient le prince, et mettaient tout en usage pour le détourner d’une entreprise si téméraire.

22. Ptolémée, plus aigri par toutes ces résistances, fit quelques pas pour entrer, croyant qu’il en viendrait aisément à bout.

23. Et alors les officiers mêmes de sa garde, s’unissant aux Juifs, priaient ensemble le Dieu tout-puissant de regarder son peuple d’un œil favorable, et de ne point laisser impuni un crime si énorme et si détestable.

24. Du milieu de cette multitude effrayée sortait un cri confus et épouvantable.

25. Toutes les parties du temple parurent emprunter des voix et les mêler avec celles du peuple pour conjurer le ciel de les anéantir plutôt que de souffrir l’abomination dans le lieu saint.

CHAPITRE II.

Le grand prêtre Simon fait sa prière au Seigneur pour lui demander son secours contre l’entreprise sacrilège de Ptolémée. Dieu arrête ce prince téméraire en le renversant par terre, et le laissant presque mort : il est enlevé en cet état par ses domestiques hors du temple ; mais ayant repris ses esprits, il proteste qu’il se vengera des Juifs. En effet, étant de retour en Égypte, il fait mettre une idole à l’entrée de son palais, et rend un édit par lequel il obligeait tous ceux qui demeuraient dans Alexandrie à venir offrir des sacrifices à cette idole, sous peine de la vie, et promettait à ceux d’entre les Juifs qui obéiraient à cet édit, qu’ils jouiraient des mêmes privilèges que ceux de ses propres sujets. Plusieurs des Juifs y obéissent, mais les plus zélés aiment mieux s’exposer à la mort que d’abandonner le culte du vrai Dieu, et ne veulent plus avoir aucun commerce avec ceux d’entre leurs frères qui avaient commis cette idolâtrie.

1. Alors Simon[29], le souverain pontife, se prosterna vers le temple, et les mains élevées vers le ciel, il fit sa prière en ces termes :

2. Seigneur, Seigneur, Roi du ciel, souverain maître de toutes les créatures, source de toute sainteté… (1524), Dieu tout-puissant, jetez un regard favorable sur votre peuple, qui gémit sous l’oppression d’un roi impie, abominable et enflé de son audacieuse puissance.

3. Ce vaste univers est l’ouvrage de vos mains, vous le gouvernez par de justes lois, et vous punissez avec rigueur ceux qui font de l’orgueil et de la violence la règle de leurs actions.

4. Vous effaçâtes par un déluge universel l’impiété des premiers hommes, et avec eux périrent aussi les géants, ces hommes audacieux qui avaient mis toute leur confiance en leur propre force. (Gen. vi, 4.)

5. Vous consumâtes dans des torrents de soufre et de feu les habitants de Sodome, ces peuples si fameux par leur orgueil et leurs honteuses abominations ; et vous fîtes de cette ville un exemple redoutable à tous les siècles, de la rigueur de vos jugements (Gen. XIX, 24.)

6. Vous armâtes votre bras puissant contre Pharaon qui opprimait votre peuple sous une dure servitude ; et après avoir frappé de plusieurs plaies ce prince endurci,

7. Vous l’ensevelîtes dans les profonds abîmes de la mer, avec ses chariots de guerre et toute son armée, et vous délivrâtes de ses mains le peuple dont vous étiez toute l’espérance, et qui, dans les transports de sa juste reconnaissance, publia par des cantiques la force de votre bras tout-puissant. (Exod. xiv, 24, 25.)

8. Seigneur, souverain Créateur de ce vaste univers, vous avez choisi cette ville ; et quoique suffisant à vous-même, et n’ayant aucun besoin de vos créatures, vous vous l’êtes consacrée ; vous y avez paru dans tout l’éclat de votre gloire, et vous l’avez rendue célèbre par la sainteté de votre nom redoutable.

9. Vous avez aimé la maison d’Israël, et vous avez promis que quand même elle se serait éloignée de vous[30], et que, pour la punir, vous l’auriez réduite à la plus affreuse misère, vous écouteriez néanmoins les prières qu’elle viendrait vous offrir dans ce saint temple.

10. Vous êtes fidèle et véritable dans vos promesses ; vous avez souvent secouru nos pères dans leurs afflictions, et touché de la sincérité de leurs larmes, vous les avez délivrés des maux extrêmes qu’ils souffraient.

11. Et maintenant, Seigneur, Dieu saint, le nombre et l’énormité de nos crimes nous ont réduits dans une affreuse servitude, nos ennemis triomphent de notre faiblesse ;

12. Et pour comble de misère, un roi hardi et méchant est sur le point de profaner le seul endroit de la terre qui soit consacré à la sainteté de votre nom.

13. Car vous habitez au plus haut des cieux, et ce lieu est inaccessible à des hommes mortels. Mais, Seigneur, quoique vous ayez établi votre gloire au milieu d’Israël, et que vous ayez choisi cet endroit entre tous les autres,

14. Ne vous vengez point sur nous de ces abominations[31], et ne faites point retomber sur voire peuple les châtiments que nos ennemis ont mérités, et que dans l’excès de leur orgueil ils ne disent : Nous avons foulé aux pieds le lieu saint, comme on foule les lieux profanes.

15. Effacez nos péchés, ne vous ressouvenez plus de nos iniquités, et dans l’extrémité où nous nous trouvons réduits, faites éclater votre miséricorde. Hâtez-vous, Seigneur, de nous secourir, et en nous rendant la paix et la tranquillité, donnez à ce peuple abattu et humilié de justes sujets de vous offrir leurs louanges.

16. Alors, celui à qui tout est présent, Dieu, la source de toute sainteté, exauça des vœux si purs. Il étendit son bras vengeur sur ce prince, qui allait ajouter à l’orgueil de son cœur l’insulte et l’emportment ; et l’agitant avec violence, comme un faible roseau devenu le jouet du vent, il le renversa par terre sans force et sans mouvement, en sorte qu’accablé sous la main qui le frappait avec tant de justice, il ne trouvait plus de voix pour se faire entendre

17. En même temps ses favoris et ses gardes, qui étaient les tristes témoins d’un châtiment si subit, craignirent qu’il n’expirât à leurs yeux, et saisis eux-mêmes d’une vive crainte, ils l’emportèrent de ce lieu.

18. Ptolémée reprit peu à peu ses sens, et, tout brisé qu’il était, il n’eut aucun regret de son crime ; mais en se retirant, il fit d’horribles menaces à tous les Juifs[32].

19. Lorsqu’il fut de retour en Égypte, il mit le comble à sa malice, et soutenu de ses alliés et de ses amis, qui ne connaissaient pas plus que lui la justice et l’équité, il s’abandonna à toutes sortes de voluptés ; il poussa même l’effronterie jusqu’à répandre partout les plus noires calomnies contre les Juifs, et engagea ses favoris à le soutenir par de lâches artifices.

20. Ayant donc résolu de flétrir la nation Juive par une infamie publique, il fit élever une colonne dans la tour qui était près de son palais[33]. Elle portait par l’inscription que personne n’entrât dans les temples de l’Égypte, sans y sacrifier aux dieux ; qu’on fit un dénombrement exact de tous les Juifs qui se trouvaient dans son empire, et qu’ils fussent réduits au rang des esclaves ; que, si quelqu’un refusait de se soumettre à cet ordre, il fût mis à mort.

21. Que ceux qui seraient enregistrés fussent marqués avec un fer chaud d’une feuille de lierre, pour preuve de leur consécration à Bacchus[34] et de leur servitude.

22. Mais pour ne point s’attirer en même temps la haine de toute la nation, il ajouta que si quelques-uns d’entre eux voulaient se faire initier aux mystères de ses dieux, ils jouiraient des mêmes privilèges que les citoyens d’Alexandrie.

23. Plusieurs Juifs renoncèrent aisément à la sainte alliance pour embrasser la religion du prince, dans l’espérance que ce changement leur ouvrirait la voie à toutes sortes d’honneurs et de dignités.

24. Mais d’autres, inébranlables dans leur foi, s’y tinrent courageusement attachés, et rachetant leur vie de quelques sommes d’argent, ils tâchaient de se délivrer d’une honteuse servitude ; ils avaient une ferme assurance que le ciel combattrait enfin pour eux.

25. Ils regardaient avec abomination et comme les véritables ennemis de leur nation ceux qui les avaient si indignement abandonnés, et ne voulaient avoir avec eux ni liaison, ni commerce.

CHAPITRE III.

Ptolémée irrité de ce que les Juifs fidèles affectaient de se séparer de ceux de leurs frères qui, pour obéir à ses ordres, avaient offert de l’encens à son idole, écrit une lettre à tous les gouverneurs de son royaume, par laquelle il leur ordonne de se saisir de tous les Juifs, de les charger de chaînes et de les lui envoyer, afin de les faire mourir.

1. L’impie Ptolémée instruit de toutes ces choses, entra dans une furieuse colère contre les Juifs d’Alexandrie, et s’irritant encore davantage contre ceux qui étaient répandus dans les autres endroits de l’empire, il ordonna qu’on les assemblât tous promptement dans un même lieu, et qu’on les y fit mourir par les supplices les plus honteux.

2. Ces ordres ayant été donnés, les ennemis des Juifs profitant de ces conjonctures si favorables à leur animosité, publièrent partout qu’ils voulaient s’opposer à l’exécution des lois qu’on venait de faire contre leur nation.

3. Les Juifs cependant étaient inébranlables dans l’obéissance et la soumission qu’ils devaient aux puissances temporelles[35] ; mais comme ils craignaient Dieu et qu’ils cherchaient à se conformer en toutes choses à ses ordonnances, ils se séparaient et s’éloignaient des ennemis de son culte ; ce qui les rendait odieux à un petit nombre de personnes, pendant qu’ils forçaient la multitude d’admirer l’innocence et la pureté de leur vie.

4. En effet, dans les bruits que leurs ennemis répandirent contre eux, ils épargnèrent toujours leurs mœurs, et n’attaquèrent que la singularité de leur culte et de leur manière de vivre, disant que c’était une nation ennemie des rois et des puissances, et toujours prête à troubler la tranquillité publique.

5. Pour les Grecs d’Alexandrie qui n’avaient aucun sujet d’inimitié contre les Juifs, ils virent avec douleur l’orage qui se formait contre eux et les mouvements qui allaient hâter leur perte, et dans l’impuissance où ils étaient de les secourir sous un gouvernement si tyrannique, ils venaient compatir à leurs malheurs.

6. Et par des discours pleins de consolation, ils leur faisaient espérer que cette entreprise tomberait d’elle-même, et que Dieu rendrait inutiles les pernicieux desseins de leurs ennemis.

7. Leurs voisins, leurs amis, ceux avec qui ils avaient quelque liaison, s’unirent ensemble ; et après en avoir attiré d’autres, ils promirent tous avec serment de ne rien négliger pour les secourir.

8. Cependant Ptolémée, enflé de sa fortune présente, méprisait la puissance de Dieu, et persistant toujours dans la résolution de se venger des Juifs, il écrivit cette lettre contre eux :

9. Le roi Ptolémée-Philopator, aux généraux de nos armées, et à tous ceux qui combattent sous leurs ordres dans l’Égypte, et dans les autres lieux de notre empire, salut et prospérité. Nous jouissons nous-même d’une santé parfaite, et le bonheur nous accompagne en toutes choses.

10. Après que nous eûmes entrepris l’expédition d’Asie, comme vous le savez, et que soutenus du puissant secours des dieux et de la valeur de nos troupes, nous eûmes fait réussir cette entreprise selon nos désirs, nous jugeâmes que pour soumettre les peuples de Célé-Syrie et de Phénicie nous n’avions point d’autres armes à employer que la douceur, l’humanité et les bienfaits.

11. Et après avoir offert dans tous les temples nos vœux et nos dons, nous formâmes le dessein d’aller à Jérusalem, et d’y rendre de pareils hommages à la Divinité de ces hommes perfides et insensés.

12. Ils parurent se réjouir à notre arrivée ; mais comme cette joie n’était point sincère, à peine nous fûmes-nous avancés pour offrir nous-mêmes dans le temple les riches dons que nous y apportions que, rappelant leur ancien orgueil, ils nous en défendirent l’entrée.

13. Et oubliant cette haute puissance où nous nous sommes élevés par notre humanité envers tous les hommes, ils ne dissimulent plus la haine qu’ils ont pour nous ; et comme s’ils étaient les seuls maîtres de la terre, ils s’élèvent avec insolence contre les rois leurs bienfaiteurs, et ne peuvent souffrir aucune autorité légitime.

14. Outrés donc de tous ces excès, nous revînmes en Égypte pour y goûter les fruits de nos victoires, et nous laissâmes dans tous les lieux de notre passage des marques éclatantes de notre bonté.

15. Enfin, pour mettre le comble à notre générosité envers les Juifs, nous leur accordâmes, par un édit, le pardon général des injures passées, tant à cause des traités faits entre eux et nous, que pour la sûreté d’une infinité d’affaires que nous leur avions confiées avec trop de facilité ; nous ne fîmes pas même difficulté de violer en leur faveur les anciens usages de cet empire, en les associant aux privilèges des citoyens d’Alexandrie, et en leur faisant part du sacerdoce perpétuel.

16. Mais eux, au contraire, par une méchanceté naturelle et plus forte que tous nos bienfaits, ne se sont pas contentés de rejeter avec mépris le droit de citoyens qu’on leur offrait. Ils regardent même avec abomination ceux de leur nation qui nous sont sincèrement attachés, et ils se flattent que les crimes dont ils nous croient coupables arrêteront enfin le cours de nos prospérités.

17. Étant donc fortement convaincus qu’ils le roulent que de mauvais desseins contre nous, et pour empêcher qu’au premier signal de révolte nous ne trouvions dans ces hommes également traîtres et impies des ennemis redoutables,

18. Nous vous faisons savoir qu’aussitôt que vous aurez reçu ces lettres, vous ajoutez les tourments à l’insulte, et que vous cous les envoyiez chargés de chaînes avec leurs femmes et leurs enfants, afin qu’ils périssent par une mort honteuse et proportionnée à l’énormité de leurs crimes.

19. Car nous espérons que leur perte assurera pour toujours le bonheur et la tranquillité de notre empire.

20. Quiconque, grand ou petit, se rendra protecteur des Juifs, sera puni avec toute sa maison par les supplices les plus honteux.

21. Si quelqu’un, au contraire, vient à déceler un Juif, outre la confiscation de tous les biens du coupable, il aura, de plus, avec la liberté, deux mille drachmes[36] d’argent qui lui seront payés de nos trésors[37].

22. Toute maison où l’on trouvera un Juif caché, sera détruite par le feu et rendue à jamais inutile à quelque usage que ce soit. Tels étaient les termes de la lettre du roi.

CHAPITRE IV.

Les gouverneurs et tous les peuples reçoivent cette lettre avec toute la joie dont ils étaient capables ; ils en témoignent leur satisfaction par des festins et des acclamations publics, et exécutent, dans toute la rigueur, les ordres du prince Ils se saisissent des Juifs, les mènent chargés de chaînes en Égypte, et les enferment dans l’Hippodrome pour servir de spectacle et d’occasion de risée aux habitants d’Alexandrie ; mais Ptolémée apprenant que quelques Juifs allaient en secret consoler leurs frères, il se détermine à perdre généralement toute cette nation, et ordonne qu’on en fasse un dénombrement exact. Il est en effet commencé ; mais ce nombre des Juifs se trouvant presque infini, on lui représente qu’il est impossible de l’achever.

1. Dans tous les lieux où ces ordres furent publiés, éclatait la joie commune par des festins et par des acclamations générales, et dans la licence de ces fêtes se montrait enfin cette haine secrète qu’on nourrissait depuis longtemps contre les Juifs.

2. Pour eux, ils étaient dans une affreuse désolation, et déploraient, avec les larmes les plus amères et les gémissements les plus vifs, la perte inévitable[38] de leur nation.

3. Quelle province, quelle ville, quelles places, quels lieux enfin un peu connus des hommes, ne retentirent point de leurs malheurs ?

4. Les ordres des gouverneurs s’exécutaient partout avec tant de barbarie et d’inhumanité, que plusieurs mêmes de leurs ennemis, cédant aux sentiments d’une compassion naturelle, et frappés d’une vive image de l’instabilité des choses humaines, ne pouvaient s’empêcher d’accuser la rigueur avec laquelle on les chassait de toutes les villes pour les conduire en Égypte.

5. À la tête de toute cette multitude rassemblée marchaient des vieillards vénérables qui, malgré leurs corps pesants et courbés, étaient obligés de hâter leurs pas pour éviter les traitements cruels dont on ne rougissait point de les menacer.

6. De jeunes femmes enlevées à leurs époux parmi les réjouissances de leur nouveau mariage, tombaient tout d’un coup dans un deuil affreux, et changeaient en d’horribles gémissements leurs chansons et leurs cantiques. Elles cachaient sous la poussière, dont elles se couvraient la tête, les ornements et les parfums de leurs cheveux, et toutes liées ensemble, elles suivaient jusqu’au rivage des conducteurs barbares et inhumains.

7. Leurs nouveaux époux quittaient les couronnes qu’ils avaient sur leurs têtes, et dans l’attente de la mort des jours destinés chargés de chaînes pesantes, ils passaient au plaisir et à la joie.

8. En cet état, on les traînait avec violence jusqu’au vaisseau qui les devait transporter, les uns attachés par le cou aux bancs des rameurs, d’autres avaient des entraves aux pieds, et pour leur ôter jusqu’à la vue de la lumière pendant tous les jours de la navigation, on mit par dessus leurs têtes une couverture d’ais fort épais ; ils furent traités comme les plus scélérats de tous les hommes.

9. Les Juifs étant enfin arrivés en Égypte, le roi, ne voulant pas qu’ils eussent aucune communication avec les habitants d’Alexandrie, ni même avec ses troupes, ordonna qu’ils restassent sous des tentes dressées dans l’Hippodrome[39], qui était un lieu spacieux et très-favorable à exposer aux yeux de tous ceux qui entraient dans la ville et qui en sortaient, la vengeance qu’il allait exercer sur toute cette nation.

10. Ayant ensuite été informé que quelques Juifs d’Alexandrie venaient souvent mêler leurs larmes à celles de leurs frères, il entra dans une étrange colère, et commanda qu’on traitât ces derniers comme les autres, qu’on les punît des mêmes supplices, et qu’on fit un dénombrement exact de toute la nation des Juifs.

11. Ajoutant que la servitude à laquelle on les avait déjà assujettis ne les garantirait pas des tourments les plus horribles, jusqu’à ce qu’il eût enfin le plaisir de les voir tous périr en un même jour.

12. L’on fit donc ce dénombrement avec beaucoup d’exactitude et de diligence, et, quoique on y travaillât régulièrement depuis le lever du soleil jusqu’au soir, il ne put néanmoins être achevé au bout de quarante jours.

13. Le roi cependant, dans le transport de sa joie faisait des festins à toutes les idoles, et se livrant sans réserve à l’erreur de son cœur, il donnait des éloges profanes et criminels à des dieux muets et incapables de le secourir, pendant qu’il vomissait d’horribles blasphèmes contre le Dieu tout-puissant.

14. Enfin, après quarante jours de travail, les secrétaires rapportèrent qu’ils ne pouvaient plus suffire au dénombrement des Juifs à cause de leur nombre prodigieux, les uns se trouvant répandus dans diverses provinces, les autres se tenant cachés dans les maisons ; en sorte que la chose n’était pas même possible quand tous les intendants de l’Égypte s’en mêleraient.

15. Le roi, peu satisfait de ces raisons, leur fit des menaces très-sévères, et les accusa d’avoir reçu des présents pour soustraire les Juifs à sa vengeance. Cependant il ne douta plus de leur rapport lorsqu’il eut vu de ses propres yeux leurs registres remplis et leurs plumes entièrement usées.

16. Ce qui sans doute était l’ouvrage de cette Providence à qui rien ne résiste, et qui du haut du ciel où elle réside, faisait éprouver aux Juifs les effets de sa protection.

CHAPITRE V.

Ptolémée transporté de colère de n’avoir pu achever le dénombrement des Juifs qu’il voulait faire périr, charge Hermon, intendant de cinq cents éléphants, de les disposer par des breuvages violents à fouler sous leurs pieds les Juifs qu’il avait fait enfermer dans l’Hippodrome. Cet intendant part aussitôt pour exécuter ses ordres, et dès le soir du jour précédent qui était destiné à leur perte, il fait lier les mains de ces Juifs. Mais par un ordre singulier de la Providence, cette funeste tragédie est différée deux différentes fois ; la première, par un assoupissement extraordinaire qui saisit Ptolémée, et l’empêcha de pouvoir se trouver au jour destiné à ce barbare spectacle ; la seconde, par un changement subit de son cœur en faveur des Juifs. Enfin, animé par les reproches de ses courtisans, il se rend à l’Hippodrome avec ses troupes et les cinq-cents éléphants, dans l’espérance de voir périr ceux contre lesquels il avait depuis si longtemps conçu tant de haine.

1. Ptolémée transporté d’une colère furieuse, et que rien n’était capable de fléchir, fait appeler Hermon, qui avait l’intendance des cinq cents éléphants, et lui ordonna que le lendemain l’on donnât à ces animaux une grande quantité de parfums[40] broyés avec du vin pur, afin qu’enivrés de ce breuvage violent, ils se tournassent avec plus de fureur contre les Juifs.

2. Il se rendit ensuite au festin auquel il avait invité ses courtisans et les généraux de ses armées, tous ennemis communs des Juifs. Hermon se hâtant d’exécuter les ordres du roi,

3. Envoya des gardes à l’entrée de la nuit pour lier les mains de tous les Juifs[41], et prit à leur égard toutes les sûretés imaginables, assuré que le jour suivant serait le dernier pour toute cette nation.

4. Et, en effet, leur perte paraissait inévitable dans l’impuissance où étaient les Juifs de rompre les fers dont on les avait garrottés ; en cet état ils ne cessaient tous ensemble d’invoquer avec des larmes amères celui à qui appartient l’empire et la puissance sur toutes les créatures, conjurant ce père tendre, ce Dieu de miséricorde, de rendre inutiles les desseins impies qu’on avait formés contre eux, et de les garantir par un secours éclatant d’une mort à laquelle ils ne pouvaient échapper.

5. Leurs prières parvinrent jusqu’au ciel, et Hermon avait déjà eu soin d’irriter la cruauté des éléphants, en leur faisant boire du vin mêlé d’encens, et s’était rendu au palais de grand matin pour en rendre compte au roi.

6. Mais Dieu qui tient en sa puissance le repos du jour et de la nuit, ce présent plein de charmes qu’il a fait aux hommes avec tant de libéralité, envoya à Ptolémée un sommeil doux et profond,

7. Qui fit avorter ses projets funestes, et empêcha l’exécution des ordres qu’il avait donnés le jour précédent.

8. Les Juifs voyant que le temps marqué pour leur supplice était passé, louaient le Dieu de toute sainteté, et le conjuraient de nouveau de faire éclater la puissance de son bras aux yeux des nations orgueilleuses.

9. Vers le milieu de la dixième heure du jour, les courtisans étaient assemblés depuis longtemps, lorsqu’un officier entra dans la chambre du roi, et l’ayant éveillé avec assez de peine, lui représenta que l’heure du repas était presque passée ; le roi vint aussitôt dans la salle du festin, et après avoir fait asseoir tous les conviés en sa présence,

10. Il les exhorta à donner le reste du jour aux plaisirs et aux délices de la table.

11. Sur la fin du repas, il fit venir Hermon, et lui demanda d’une voix terrible et nenaçante pourquoi on ne l’avait pas encore délivré des Juifs.

12. Hermon lui ayant répondu qu’il avait et les conviés l’ayant pleinement justifié sur cela : Hé bien, dit ce roi plus barbare que Chalaris[42], si un trop long sommeil leur a été favorable, et est cause que je ne suis point encore vengé,

13. Qu’on prépare de nouveau les éléphants, afin que demain sans aucun délai ces ommes abominables cessent enfin de vivre.

14. Tous ceux qui étaient présents applaudirent aux discours du roi, et chacun se retira chez soi, moins pour se livrer au sommeil, que pour employer le temps qu’il en restait à imaginer de nouveaux genres l’insultes et d’outrages contre ce peuple malheureux.

15. Au chant du coq[43], Hermon avait déjà rangé ses éléphants sous de vastes galeries, toute la ville accourait en foule et attendait que le jour parût pour jouir de cet horrible spectacle.

16. Les Juifs, dans le peu de temps qui leur restait[44], levaient les mains vers le ciel, et par des torrents de larmes et les gémissements les plus vifs, ils conjuraient le Dieu tout-puissant de leur accorder encore de prompts secours.

17. Le jour commençait à paraître et les grands avaient été introduits dans l’appartement du roi, lorsque Hermon vint avertir qu’il était temps de sortir pour se placer, et qu’on allait exécuter les ordres du roi.

18. Piolémée, surpris de voir sortir tout le monde avec tant d’ardeur et de précipitation, en demanda la cause à Hermon ; car il ne se ressouvenait plus des ordres qu’il lui avait donnés le jour précédent, et Dieu, par un effet de sa puissance, avait effacé de la mémoire de ce prince tous les desseins formés contre les Juifs.

19. Alors Hermon et les grands de sa cour répondirent au roi qu’on avait disposé les éléphants et toutes les autres choses nécessaires pour le supplice des Juifs, selon le vif désir qu’il avait témoigné en avoir le jour précédent.

20. Alors le roi changé tout d’un coup par une puissance invisible, entra dans une furiense colère contre Hermon, et lui dit :

21. S’il se fût agi du supplice de quelques-uns de vos enfants ou de vos parents, eussiez-vous excité les éléphants avec autant de zèle que vous l’avez fait contre les Juifs, qui ont toujours eu pour mes prédécesseurs une fidélité inviolable ? Sachez donc que sans les services que vous m’avez rendus, et les liens étroits qu’une éducation commune a formés entre vous et moi, je vous ferais mourir en leur place.

22. Hermon fut extrêmement troublé de mployé toute la nuit à exécuter ses ordres, ces menaces auxquelles il s’attendait si peu, et les grands de la cour s’étant retirés tristes et confus de devant le roi, ordonnèrent à tout le peuple de retourner chacun à leurs occupations ordinaires.

23. Les Juifs n’eurent pas plutôt appris ce qui s’était passé, que tous de concert ils bénirent le Dieu souverain qui les avait délivrés d’une manière si éclatante.

24. Quelques jours après, Ptolémée donna un second festin, et après avoir exhorté les conviés de se réjouir, il fit appeler Hermon et lui dit d’un ton menaçant : Indigne serviteur, quand entin respecterez-vous mes ordres ? Que demain donc, sans différer, les éléphants soient en état de me délivrer des Juifs.

25. Ceux qui étaient à table avec le roi, indignés de ces fréquentes irrésolutions, lui parlèrent en ces termes : O roi, jusques à quand nous traiterez-vous comme des gens sans raison ; il y a trois jours que vous vouliez la perte des Juifs, et aujourd’hui, changeant de sentiments, vous révoquez ces premiers ordres.

26. Cependant toute la ville est troublée dans l’attente de ce qui arrivera, et les fréquentes assemblées font craindre pour elle les derniers malheurs.

27. Alors, ce roi rempli de la fureur de Phalaris[45], sans écouter davantage ce que la pitié pouvait lui suggérer en faveur des Juifs qu’il avait résolu de perdre,

28. Promit par un serment irrévocable qu’il les ferait tous périr sous les pieds des éléphants ; que, retournant ensuite en Judée, il mettrait tout à feu et à sang ; qu’il détruirait par le feu le temple dont on lui avait défendu l’entrée, et qu’il empêcherait qu’on y offrit davantage des sacrifices.

29. Les courtisans se retirèrent très-satisfaits de ce discours, et de ce pas ils allèrent placer dans les endroits les plus commodes de la ville des troupes capables d’y maintenir la tranquillité et le bon ordre.

30. Hermon, de son côté, employa les breuvages les plus violents pour sur exciter la férocité naturelle des éléphants, et voyant que le peuple avait prevenu l’aurore pour s’assembler à l’Hippodrome, il vint au palais, et engagea le roi à venir voir enfin ce qu’il avait désiré avec tant de passion.

31. Ptolémée s’animant de nouveau à la colère, suivit les éléphants dans l’hippodrome, pour y donner à sa cruauté un spectacle plein d’horreur et de barbarie, et digne enfin de son impiété.

32. Quand les Juifs aperçurent l’Horrible poussière qu’excitait en l’air, le concours d’éléphants, de gens de guerre et de spectateurs, ils se crurent au dernier instant de leur vie, et à la fin de leur triste attente.

33. Ainsi touchés d’une compassion mutuelle, et gémissant sur leur disgrâce commune, ils embrassaient leurs proches ; les pères, les mères, les enfants s’embrassaient pour la dernière fois, tous fondaient en larmes.

34. Les mères présentaient à leurs enfants nouvellement nés une nourriture dont ils allaient être bientôt privés.

35. Tous ensuite rappelant ce que le ciel avait déjà fait en leur faveur, se prosternèrent contre terre[46].

36. Et par des cris éclatants, ils conjuraient le Dieu tout-puissant d’avoir compassion de l’état où ils étaient réduits, et de les tirer des portes du tombeau.

CHAPITRE VI.

Au milieu des cris horribles que ces Juifs faisaient retentir vers le ciel, le prêtre Éleazar, respectable par son grand age et par sa piété, élevant sa voix, impose silence, et fait sa prière à Dieu ; à peine a-t-il achevé que Ptolémée entre dans l’Hippodrome suivi des éléphants et de toutes ses troupes alors les Juifs redoublant leurs cris, le prince en est touché jusqu’à répandre des larmes, et deux anges s’étant présentés au-devant des soldats et des éléphants les jettent dans une si horrible crainte, que s’enfuyant sans ordre, ils sont pour la plupart etouffés et foulés aux pieds des éléphants. Alors Ptolémée, changeant d’esprit, accuse ses confidents de l’avoir trompé et de l’avoir exposé à commettre la plus horrible perfidie contre des peuples qui lui avaient toujours été fidèles, et accorde aux Juifs la liberté de s’en retourner, après les avoir régalés magnifiquement pendant sept jours, et écrit à ses gouverneurs en leur faveur.

1. Alors un prêtre, nommé Éléazar, également respectable par son grand âge et par toutes sortes de vertus, fit cesser les cris des vieillards qui l’environnaient, et, s’adressant au Dieu tout-puissant, il le pria en ces termes :

2. Souverain monarque du ciel, Dieu tout-puissant, qui gouvernez tout l’univers avec tant de bonté ; père de miséricorde, regardez favorablement la race d’Abraham, les enfants du juste Jacob, ce peuple choisi, qui a été transporté d’une terre étrangère, où il est prêt à succomber sous l’injustice de ses ennemis.

3. Vous signalâtes autrefois votre puissance en faveur d’Israël dans ce même empire, et vous punîtes un roi superbe, cruel et endurci, en l’ensevelissant sous les eaux avec son armée et ses chariots de guerre. (Exod. XIV.)

4. Vous frappâtes Sennachérib qui avait mis sa confiance dans le nombre de ses soldats, et qui, après avoir soumis presque toute la terre, osa, dans son orgueil, blasphémer contre la ville sainte, vous en fîtes, aux yeux des nations, un exemple terrible de vos vengeances. (IV Reg. xix, 35)

5. Vous versâtes une douce pluie sur la fournaise de Babylone, et vous en fîtes sortir, sans aucun mal, ces trois jeunes hommes qui y étaient entrés avec joie pour y mourir, plutôt que de sacrifier aux idoles ; mais vous ordonnâtes aux flammes de se répandre contre les ennemis de votre nom. (Dan. iii, 49 et seq.)

6. Vous retirâtes de la fosse aux lions Daniel, votre serviteur, que l’envie y avait fait descendre pour servir de proie à ces animaux cruels, et vous rendîtes Jonas à ses frères, après l’avoir retenu avec rigueur dans le ventre d’une baleine. (Dan. vi, 21 et seqq.)

7. Et maintenant, Seigneur, vous qui détestez le crime et qui protégez l’innocence, Dieu de miséricorde, ne différez point de secourir un peuple que des nations abominables traitent avec tant d’injustice. (Jon. 1, 1 et seq.)

8. Si nous avons commis l’iniquité dans cette terre étrangère, tirez-nous des mains de nos ennemis, et loin de leurs yeux, vengez vous vous-même,

9. De peur que ces nations orgueilleuses ne se vantent d’avoir anéanti le peuple que vous aimiez, et qu’ils ne disent : le Dieu même qu’ils servent n’a pu les délivrer de nos mains.

10. Vous donc, Seigneur, qui, dans l’éternité de votre être, possédez la force et la souveraine puissance,

11. Regardez-nous dans votre miséricorde, nous qui, par l’injustice et l’impiété de nos ennemis, allons perdre la vie comme les plus criminels de tous les hommes.

12. Que les nations soient saisies de frayeur, en voyant aujourd’hui les effets d’une puissance à qui rien ne résiste, et que votre force éclate enfin pour le salut de Jacob : les enfants mêlent leurs larmes avec celles de leurs parents, pour obtenir de vous cette faveur.

13. Apprenez aux nations que vous n’avez point détourné votre visage de dessus nous,

14. Et accomplissez la promesse que vous fîtes autrefois à votre peuple, en l’assurant que vous ne l’abandonneriez jamais, quand même il aurait été transporté dans une terre ennemie. (Levit. xxvi, 44, 54.)

15. À peine Éleazar eut-il cessé de prier que Ptolémée entra dans l’Hippodrome, suivi des éléphants et de toutes les troupes.

16. À cet aspect, les Juifs poussèrent des cris vers le ciel ; tous les lieux voisins en retentirent, et toute l’armée du roi en fut touchée jusqu’à répandre des larmes.

17. Alors, celui à qui la gloire, la vérité et la puissance appartiennent, fit sentir sa présence salutaire ; il ouvrit les portes du ciel, et il en sortit deux anges[47] revêtus d’un éclat terrible, et qui furent vus de tout le monde, excepté des Juifs.

18. Ils s’avancèrent vers les troupes ennemies, et y répandirent le trouble et la terreur, et les garrottant de liens invisibles, ils les rendirent sans force et sans mouvement : le roi, saisi et troublé dans toutes les parties de son corps, perdit tout d’un coup la mémoire de ce qu’il avait résolu de faire.

19. Et les éléphants, se tournant contre ceux qui les suivaient, les foulaient sous leurs pieds et les écrasaient.

20. Et Ptolémée lui-même, ébranlé par les cris affreux que jetaient les Juifs, qui s’étaient prosternés par terre dans l’attente de la mort,

21. En eut pitié, et se repentit de tout ce qu’il avait fait contre eux[48] ; et, s’adressant à ses favoris avec une voix menaçante et entrecoupée de sanglots :

22. Vous m’avez trompé, leur dit-il, et par une cruauté plus noire que celle des tyrans, et digne enfin de votre ingratitude, vous avez cherché à m’ôter en même temps la vie et la couronne, en formant secrètement des entreprises si funestes à l’Etat.

23. Par quel ordre injuste les Juifs se trouvent-ils rassemblés ici de toutes parts, pour y périr par de honteux supplices, eux qui n’ont j’amais troublé la tranquillité de cet empire,

24. Et qui, de tout temps, nous ont témoigné plus d’attachement et d’affection qu’aucun autre peuple, en s’exposant pour nous à des périls extrêmes et sans nombre.

25. Rompez au plus tôt ces liens dont on les a chargés injustement, et, pleins de regret de ce qui s’est passé[49], renvoyez-les en paix dans leurs maisons ; car ils sont les enfants du Dieu tout-puissant qui vit au plus haut des cieux, et par qui cet empire est resté inébranlable depuis le premier de mes ancêtres jusqu’à moi.

26. Le roi cessa de parler, et les Juifs, se voyant déchargés de leurs chaînes[50], rendirent grâces à Dieu du secours qu’il leur avait accordé[51].

27. Ptolémée rentra ensuite dans Alexandrie, et ayant fait appeler l’intendant de sa maison[52], il lui ordonna de fournir aux Juifs, pendant sept jours, du vin et toutes les autres choses nécessaires pour leur nourriture, voulant qu’ils célébrassent leur délivrance dans le lieu même où s’étaient faits les tristes appareils de leurs supplices.

28. Les Juifs, échappés à tant de malheurs et à la mort même, dressèrent partout des tentes pour s’y livrer à la joie et aux plaisirs des festins[53].

29. Et quittant les airs tristes et lugubres, ils chantaient les doux cantiques de leur nation, et formaient des chœurs de danses en signe de la paix qu’ils venaient d’obtenir, et, au milieu de toutes ces réjouissances, ils publiaient la gloire et la puissance de celui qui les avaient sauvés.

30. Ptolémée donna aussi un grand festin aux premiers de sa cour, et ne cessait de rendre grâces au ciel du salut inespéré qu’il leur avait accordé[54],

31. Pendant que ceux qui s’apprêtaient à triompher des Juifs et à les donner en proie aux oiseaux, ne remportaient, pour fruit de leur rage et de leurs efforts, que la honte et la confusion.

32. Les Juifs n’étaient donc occupés qu’à passer ces jours dans les festins, les danses, les actions de grâces et les cantiques.

33. Ils en firent même une loi pour les races suivantes, et voulurent que ces jours de réjouissances fussent à jamais renouvelés, moins pour servir d’occasion au plaisir et à la bonne chère que pour rappeler dans tous les âges la mémoire d’un si grand bienfait.

34. Ayant ensuite été trouver le roi, ils lui demandèrent la permission de retourner chacun chez eux.

35. Au reste, le dénombrement des Juifs dura l’espace de quarante jours, depuis le vingt-cinq du mois Pachon[55] jusqu’au mois Epiphi[56], et l’on employa trois jours à disposer toutes choses pour les perdre, depuis le cinq d’Epiphi jusqu’au sept du même mois ; mais le Dieu tout-puissant les regarda dans sa miséricorde, et les délivra par des prodiges éclatants, des mains de leurs ennemis.

36. Ils furent nourris aux dépens du roi jusqu’au quatorzième jour auquel ils le vinrent trouver pour lui demander à s’en retourner.

37. Le roi le leur ayant accordé avec toutes sortes de marques de bonté, il écrivit des lettres très-pressantes à tous les gouverneurs de l’empire ; elles étaient conçues en ces termes :

CHAPITRE VII.

Le roi Ptolémée écrit une lettre à tous les gouverneurs et intendants de ses provinces, par laquelle il leur déclare qu’il avait été injustement prévenu par ses favoris contre les Juifs, et qu’il se repentait des mauvais traitements qu’il leur avait fait souffrir ; trouvés sur le bord du tombeau, où, pour ainsi dire, qui y étaient déjà descendus, virent en un instant leurs larmes converties en une fête publique, et le lieu même où ils n’avaient pu attendre que la mort changé en un lieu de festins et de joie.
qu’il les déclare innocents de tous les crimes dont on les avait accusés ; qu’il leur donnait une liberté entière de retourner dans leurs maisons, parce qu’il avait reconnu qu’ils étaient sous la protection du Dieu tout-puissant. Les Juifs ayant obtenu cette lettre du prince, le viennent_trouver et lui demandent la permission de punir ceux de leurs frères qui avaient apostasie ; ce qu’ils obtiennent et qu’ils exécutent sur-le-champ. Ensuite, ils partent pour s’en aller à Ptolemaïde, où, après avoir rendu grâce à Dieu pendant sept jours de fêtes, ils s’embarquent et arrivent dans leurs maisons, où tout ce qui leur avait été enlevé leur est rendu.

1. Le roi Ptolémée Philopator, à tous les gouverneurs et autres officiers de l’Égypte : salut et prospérité. Nous et nos enfants jouissons tous d’ure santé parfaite, le Dieu Souverain ayant fait réussir nos affaires selon nos désirs.

2. Quelques-uns de nos favoris, prévenus d’une haine injuste contre les Juifs, avaient obtenu de nous, après plusieurs instances, la permission de faire une exacte recherche de tous ceux de ce peuple qui vivent sous notre domination, et de les faire tous périr, comme des rebelles, par de nouveaux genres de supplices,

3. Disant qu’il n’y avait que ce moyen qui pût assurer la tranquillité de l’empire contre un peuple naturellement ennemi de tous les autres.

4. Après donc les avoir rassemblés ici de toutes parts avec une rigueur inouïe, et les avoir traités non pas même comme des esclaves, mais comme les plus criminels de tous les hommes, ils n’ont observé à leur égard aucune formalité, et par une cruauté plus horrible que n’est celle des barbares[57], ils ont tâché d’assouvir leur haine dans la perte entière de cette nation.

5. Pour nous, au contraire, suivant la tendresse paternelle que nous ressentons pour tous les hommes, nous avons conçu une vive indignation contre les auteurs de ces noirs desseins, et nous n’avons rien épargné pour tirer les Juifs de leurs mains cruelles ; car nous avons reconnu qu’ils étaient sous la protection du Dieu du ciel, et qu’il les défendait comme un père défend ses propres enfants. Ayant donc rappelé la fidélité inviolable qu’ils ont toujours eue pour nous et pour nos prédécesseurs, nous les avons déclarés innocents.

6. Et nous avons ordonné qu’on les laissât retourner dans les lieux ordinaires de leur résidence, sans qu’on leur fit la moindre insulte, ou qu’on leur reprochât jamais les traitements qu’ils avaient soufferts avec tant d’injustice.

7. Sachez donc que si nous formons contre eux quelques mauvais desseins, ou que nous les inquiétions en quelque manière que ce soit, nous en répondrons, non à un homme, mais à un Dieu terrible et tout-puissant qui étendra sur nous un bras vengeur sans que nous puissions l’éviter[58].

8. Les Juifs ayant reçu ces lettres, ne se pressèrent point de partir sur-le-champ ; mais ils vinrent trouver le roi pour lui demander qu’il leur fût permis de punir par un juste supplice ceux de leur nation qui, sans y être contraints, n’avaient respecté ni le Dieu tout-puissant, ni la sainteté de sa loi.

9. Étant impossible, ajoutèrent-ils, que des hommes qui pour quelque intérêt temporel n’avaient point fait difficulté de violer les préceptes de leur Dieu, respectassent davantage les ordres d’un prince de la terre.

10. Le roi ayant reconnu la vérité de ce qu’ils lui disaient, les combla de louanges et leur accorda la perte de tous ceux des Juifs qui, dans l’étendue de son empire, avaient violé la loi du Seigneur, sans qu’ils pussent jamais appréhender aucune recherche.

11. Les prêtres et toute la multitude des Juifs, après s’être acquittés d’une juste reconnaissance envers le roi, sortirent avec des transports de joie, louant tous le Seigneur[59] à haute voix.

12. Et pleins d’un saint zèle, ils se jetèrent sur tous les Juifs impies[60] qu’ils rencontraient.

13. Et en tuèrent ce jour-là plus de trois cents, pour étonner par cet exemple ceux qui dans la suite oseraient violer leur sainte loi[61].

14. Pour les autres qui lui avaient été fidèles jusqu’à la défendre au prix de leur propre vie, ils goûtaient les fruits salutaires de leur piété ; et couronnés de toutes sortes de fleurs, ils sortaient de la ville formant des chœurs agréables d’hymnes, de cantiques et de cris de joie pour louer le Dieu de leurs pères du salut qu’il venait d’accorder à Israël.

15. Etant arrivés heureusement à Ptolémaïde, surnommée Rhodophoros[62], à cause de la nature le ce lieu qui porte quantité de roses[63], ils furent tous d’avis de différer de quelques jours leur embarquement,

16. Et de passer sept jours entiers dans la joie et dans les festins pour renouveler en ce jour leurs actions de grâces ; car le roi avait ordonné qu’on leur fournit abondamment tout ce qui leur serait nécessaire pendant le voyage jusqu’à ce qu’ils fussent de retour chacun chez eux.

17. Après donc avoir laissé des

témoignages de leur reconnaissance et de leurs vœux sur une colonne qu’ils érigèrent en ce même lieu,

18. Ils en partirent libres et contents, et achevèrent leur voyage avec beaucoup de bonheur. Aussitôt qu’ils furent arrivés, on exécuta partout les ordres du roi ; ils furent rétablis dans leurs biens et dans leurs maisons, et devinrent plus puissants et plus redoutables à leurs ennemis qu’ils ne l’étaient auparavant ; ils ne perdirent pas la moindre partie de ce qui leur appartenait.

19. Car tout leur fut rendu selon l’inventaire qui s’en était fait par l’ordre du roi ; en sorte que ceux qui en avaient détourné quelque partie, l’abandonnaient promptement dans la crainte d’être punis. C’était ainsi que le Dieu souverain achevait de protéger son peuple par des prodiges de sa puissance.

20. Que celui qui a délivré Israël soit béni dans tous les siècles. Ainsi-soit-il.

  1. Pag. 874 ; édit. Froben., an. 1524.
  2. M. Boivin l’aîné nous a appris que M. Peiresc avait un Josèphe grec avec ce fragment, et que Charles Labbe, jurisconsulte, écrivait à M. Bigot que Scaliger l’avait tout entier, et qu’il l’avait vu entre ses mains. On nous dit dans Naudiana, page 168, deuxième édition, que M. Schurtz Fleich de Wurtemberg, a en main le Josèphe de Scaliger. Si cela est on ferait grand plaisir au public de nous donner cet historien en son entier. (Note de dom Calmet).
  3. Théodoret., in [[Traduction de la Septante et du Nouveau Testament/Daniel#CHAPITRE XI|Dan, xi, 7.
  4. Synop, Tà ả chópEva.
  5. Nicephor. Constantinop., in fine Chron.
  6. Euseb., Ghron. Olymp. CXL.
  7. Philostorg., lib. 1 Hist. eccl., c. 1, apud Phot. Τὸ δὲ τρίτον ἀποδοκιμάζει τερατώδες καλῶν, καὶ οὐδὲν ὅμοιον τῷ πρώτῳ διεξερχόμενον.
  8. Vide Coteler, not. in Canon, apostol., p. 117, 118 et 338-9.
  9. Grot., in hunc lib.
  10. Scalig., Animadvers. in Euseb. Chronic. p. 140, col. 2.
  11. Le syriaque, Ptolémée Philométor. C’est sans doute ici une méprise de copiste, puisque l’un et l’autre ont été les noms de deux différents rois d’Égypte ; car Josèphe, lib. 1 contr. Appion., p. 1064, grec et latin, ne donne à celui-ci ni le nom de Philopator ni de Philométor, mais de Ptolémee Phiscon, frère de Ptolémée Philométor ; cependant Eusèbe, en sa chronique l’an du monde 4980, cite le livre IIIe des Machabées, en parlant de Ptolémée Philopator, et Strabon, lib. ultim., appelle celui-ci le quatrième Ptolémée. Voy. Polybe, lib. v, pag. 421, grec et latin, dit Philopator successeur de Ptoléinée Evergète.
  12. Eusèbe nomme celui-ci Antiochus le Grand, et le met au nombre des rois de Syrie.
  13. Polybe, lib. v, page 424, dit qu’Arsinoé, sa sœur, l’accompagnait dans cette guerre.
  14. Ville de la Phénicie ou Célé-Syrie. Polybe, liv. v, pag. 422, fait mention de ce combat entre Ptolémée et Antiochus près de cette ville, et dit qu’elle était la première que l’on rencontrait après Rhinocura, en entrant en Syrie.
  15. Surnommé Ætolus, c’est-à-dire grec, le même que celui qui livra à Antiochus les villes de Ptolémaïde et de Tyr, et qui avait été, sous Ptolémée, préfet ou gouverneur de Célé-Syrie. Voy. Polybe, ibid., lib. v Hist., p. 585, 405 et 421.
  16. Le même que l’auteur a nommé simplement Philopator au verset 1.
  17. Litt. : Espérant lui seul tuer Ptolémée, et terminer ainsi la guerre. Polybe, liv. v, p. 422 et 423, rapporte ce fait, et dit qu’il n’entra dans la tente de ce prince qu’avec deux de ses compagnons qui connaissaient aussi bien que lui les mœurs et usages de Ptolémée, pour avoir été à son service.
  18. Litt. : S’étant revêtu des armes et d’un habit semblable à celui des soldats de Ptolémée. On a suivi le syriaque dans la version ; cependant il n’y a guère d’apparence qu’un soldat syrien ait pu choisir des compagnons parmi les troupes du prince ennemi, dans le dessein d’aller tuer leur prince. Mais le syriaque insinue que ces soldats que se choisit Théodote, étaient des transfuges de l’armée de Ptolémée, ou que Théodote lui-même, quoique Syrien, ayant passé dans l’armée de Ptolémée, ce prince lui avait confié le commandement de quelques-uns de ses soldats ; mais Polybe, cité ci-dessus, lève toute la difficulté.
  19. Litt. : Qui était un de ceux qui devaient escorter Théodote. On a suivi le syriaque dans la version.
  20. Syriaque, un pauvre. Polybe, liv. v, p. 423, dit qu’il tua deux des officiers de Ptolémée, dont un se nommait André ; il était le premier médecin de ce prince.
  21. Litt. Sur lequel seul tomba l’exécution du meurtre projeté. Dans la version, on a suivi le syriaque.
  22. Ces deux mines d’or peuvent être évaluées selon quelques interprètes à treize ou quatorze cents livres ou environ.
  23. Le syriaque ajoute, qu’il les déchargea des impôts, et leur donna des marques de sa bonté.
  24. Litt. Imprudemment. Autr. : Sans trop de réflexion ; ainsi le grec ; mais le syriaque porte hardiment.
  25. Litt. Que c’était un grand mal, Autr. : Que l’on avait très-mal fait.
  26. Mais puisque cela s’est fait, que ce soit bien ou mal.
  27. Ou selon le syriaque, ils les contraignirent de se contenter de gémir et de prier avec le reste du peuple.
  28. Litt. : Car le peuple avait déjà pris le parti
  29. Fils du grand prêtre Onias.
  30. Litt. : Que toutes les fois qu’elle se trouverait dans quelque adversité ou dans quelque péril, vous écouteriez les prières, etc. Ce qui a rapport à ce qui est dit II Reg. v, 29 et seqq. Dans la version on a suivi le sens du syriaque.
  31. Litt. : Par l’impureté et les souillures de ces païens. Par la profanation et le sacrilège que ces idolâtres vont commettre contre la sainteté de votre temple et de votre sanctuaire.
  32. Josèphe, liv. II contre Appion., donne un autre prétexte à la vengeance de Ptolémée contre les Juifs, qui est que ce prince voulant s’emparer du royaume de son frère, et l’ôter à Cléopâtre et à ses enfants, Onias, grand prêtre, était venu à la tête des Juifs s’opposer à cette entreprise.
  33. Syriaque, une idole en relief, et qu’il fit placer entre les tours de son palais. Il fit publier un édit que quiconque refuserait d’y sacrifier ne pourrait plus entrer dans le temple de Dieu, c’est-à-dire du dieu Bacchus. Voy. le verset suivant. Josèphe ne fait aucune mention de ce fait ni de ces circonstances.
  34. Gr. et syr.: Du signe de Denis, c’est-à-dire, de Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, que les païens ont cru être l’inventeur du vin.
  35. Cette disposition si juste a toujours été le caractère de ceux qui ont été attachés au véritable culte de Dieu, parce que ce devoir a toujours fait partie de ses principaux commandements.
  36. La drachme hébraïque valait 13 à 16 sous ou environ, ainsi cette somme peut être évaluée à quinze ou seize cents livres.
  37. Litt. : Et sera couronné : aura droit de porter une couronne et d’être mis au rang des personnes distinguées de ma cour.
  38. Litt. : Imprévue ; syr. subite, à laquelle ils ne s’attendaient pas, n’ayant rien fait qui méritât un si cruel châtiment.
  39. Ιππόδρομος, mot qui signifie un lieu propre et destiné a l’exercice et à la course des chevaux, ce qu’on appelle l’amphithéâtre ou le cirque. Josèphe ne convient point de toutes les circonstances rapportées dans ce livre : il dit simplement que Ptolémée étant venu pour attaquer Onias, et s’étant emparé d’une de ses places, il fit tous les habitants prisonniers de guerre, et les exposa à la fureur de ses éléphants.
  40. Litt. : De l’encens : ainsi le grec et le syriaque.
  41. Des Juifs qui étaient dans l’Hippodrome.
  42. Premier roi des Agrigentins ou des peuples de la Sicile, le plus cruel de tous les hommes, qui, après avoir commandé à Pérille, fameux ouvrier athénien, de lui construire un taureau d’airain, le fit ensuite jeter dedans, et l’y fit brûler tout vif, pour en éprouver l’usage. Le syriaque ne fait aucune mention de cette comparaison de Phalaris. Aussi elle pourrait bien avoir été ajoutée après coup.
  43. C’est-à-dire, dès le point du jour.
  44. Litt. Les Juifs incertains du moment où la lumière du jour leur devait être invisible, du moment auquel ils devaient perdre la vie. L’auteur fait allusion à la nuit dont il vient de parler.
  45. Litt. : Rempli d’une brutalité pareille à celle de Phalaris ; ceci ne se trouve point dans le syriaque, et sans doute a été ajouté après coup. Voy. le verset 12 ci-dessus.
  46. Litt. : Et les mères se détachant de leurs enfants qui pendaient à leurs mamelles.
  47. Josèphe dit que Ptolémée vit un homme dont l’aspect lui parut terrible, qui lui défendit d’insulter aux Juifs.
  48. Josèphe dit qu’Ithac, ou selon d’autres, Hirène, sa concubine, qu’il aimait passionnément, l’exhorta à ne pas commettre cette cruauté.
  49. Autr. : En leur marquant que nous avons bien du regret de tout ce qui s’est passé.
  50. Grec. : En un instant. Par un changement imprévu, et auquel ils ne pouvaient s’attendre.
  51. Litt. : De les avoir si miraculeusement délivrés de la mort.
  52. Autr. : Le surintendant de ses finances ou de ses revenus.
  53. Autr. : Ainsi les Juifs qui jusqu’alors avaient été un objet de honte et de mépris, et qui s’étaient
  54. Litt. : Du salut que Dieu lui avait fait. De la grâce que Dieu lui avait faite, en l’empêchant d’exécuter l’horrible carnage qu’il s’était proposé de faire d’une partie si considérable du peuple Juif.
  55. Le 9e mois de l’année des Égyptiens, qui correspond à notre mois de septembre.
  56. Le 11 mois de l’année des Egyptiens qui correspond à notre mois de novembre.
  57. Litt. : Des Scythes.
  58. Litt. : Adieu, portez-vous bien.
  59. Litt. : Chantant tous alleluia ; c’est-à-dire, en hébreu louez le Seigneur.
  60. Souillés, c’est-à-dire, qui s’étaient souillés en donnant de l’encens, ou en sacrifiant à l’idole que Ptolémée avait fait mettre au devant de son palais. Voy. 20, chap. ii, ci-dessus.
  61. Litt. : Et ils se surent bon gré d’avoir ainsi puni ces apostats.
  62. ʽΡοδοφὀρος, Litt. : Porte-rose, de ʽρὀδου et de φἐρω. C’est Rosette, en arabe Raschid.
  63. Litt. : Où une flotte les attendait.