Jacob Ruysdael
Revue des Deux Mondes3e période, tome 86 (p. 835-869).
JACOB RUYSDAEL

Dans l’art comme dans la vie, les choses les plus simples ne sont pas celles dont on s’avise d’abord. L’histoire de la peinture de paysage nous en fournirait au besoin la preuve. S’il est un genre pour lequel les voies semblent toutes tracées, n’est-ce point celui qui, s’inspirant directement de la nature, peut trouver en elle des sujets d’étude immédiats ? Et cependant, nous l’avons constaté à diverses époques et chez des peuples différens[1], le paysage n’apparaît que tardivement ; et quand, avec un état de civilisation très avancé, il arrive à se constituer, il commence par une extrême complication. Au lieu de se contenter des élémens pittoresques qu’ils ont sous la main et de les copier fidèlement, les premiers paysagistes vont chercher au loin des modèles, et ils s’ingénient à entasser dans leurs œuvres les accidens les plus bizarres et les plus disparates. Ce n’est qu’après avoir épuisé les étrangetés et les accumulations de détails hétérogènes que cet art revient à la simplicité.

Telle a été, en effet, la marche suivie par le paysage dans les Flandres jusqu’à son complet développement. L’école hollandaise avait déjà conquis son indépendance, que l’on continuait encore à y observer ce courant d’émigration qui avait anciennement attiré vers l’Italie un grand nombre de ses artistes et qui persista jusqu’au bout. Laissant aujourd’hui de côté ces transfuges, nous voudrions nous attacher exclusivement à des peintres qui, sans s’éloigner jamais de leur patrie, ont su y découvrir cette intime poésie qu’un commerce plus familier avec la nature pouvait seul leur révéler. Parmi ceux-ci, il n’en est pas de plus justement célèbre que Jacob Ruysdael. Mais avant d’aborder l’étude de sa vie et de ses œuvres, nous avons cru bon de rechercher les enseignemens qu’il avait pu recueillir, non-seulement de ses prédécesseurs, mais des membres mêmes de sa famille. Des documens nouveaux nous ont permis de déterminer la filiation assez compliquée de cette famille et d’établir, parmi les paysagistes qu’elle a produits, des distinctions qu’il était jusqu’ici difficile de justifier.


I

Après avoir donné le spectacle de sa résistance héroïque contre l’Espagnol, la ville de Harlem était appelée à jouer un rôle décisif dans la fondation de l’école hollandaise. C’est pour les associations civiques ou charitables de Harlem que Frans Hals, avec plus d’art que n’en avaient mis ses devanciers, exécutait cette brillante série d’ouvrages qui font aujourd’hui le principal ornement du musée municipal de Harlem. Il renouvelait ainsi avec éclat un genre de peinture vraiment national et depuis longtemps populaire dans les Pays-Bas, celui des Tableaux de corporations. A son exemple, un groupe d’artistes, résidant comme lui à Harlem, allait bientôt après répudier les traditions académiques qui jusqu’alors avaient prévalu. Prenant autour d’eux leurs modèles dans la société contemporaine ou dans la nature, ils apportaient dans le choix de leurs sujets aussi bien que dans l’exécution de leurs ouvrages les qualités d’observation pénétrante, de sincérité et de véracité entières qui donnèrent à l’école sa physionomie. Pieter Molyn et Esaias Van de Velde les premiers, par l’élan qu’ils imprimaient à ce mouvement et par la confiance absolue avec laquelle ils s’avançaient dans ces voies nouvelles, y entraînaient à leur suite de nombreux imitateurs. Sans plus regarder désormais du côté de l’Italie, ils s’étaient appliqués à retracer tout ce qui, dans la campagne ou dans la vie de tous les jours, frappait leur attention. Les scènes de la vie politique, les derniers épisodes de la lutte pour l’indépendance, des embuscades, des attaques de convois, des pillages de villages ou d’habitations isolées, ou moins que cela encore, les divertissemens populaires, les aspects des marchés, des rues, des canaux, des plages ou des campagnes voisines, sollicitaient tour à tour leurs pinceaux, et ces productions d’un art si franchement hollandais étaient bien faites pour éveiller l’intérêt et mériter la sympathie de leurs contemporains. Aussi les deux artistes jouirent-ils en leur temps d’une grande renommée.

Ni l’un ni l’autre n’étaient originaires de Harlem, mais de bonne heure tous deux s’y étaient fixés. Molyn, né à Londres vers la fin du XVIe siècle, était arrivé bien jeune encore en Hollande. Dès 1616, il faisait à Harlem partie de la gilde de Saint-Luc, dont il devenait le doyen en 1633. Il s’était marié en 1624 dans cette ville, où il était également affilié à une compagnie de francs-tireurs. C’était un dessinateur excellent, plein de fécondité et de verve, ainsi que l’attestent les nombreux et charmans croquis que possède de lui le musée Teyler. Quant à ses peintures, la finesse et la perfection de quelques-uns de ses tableaux, disséminés dans les musées de l’Europe, suffiraient à nous convaincre de leur mérite. Leur rareté était restée jusqu’à ces dernières années assez inexplicable, mais les recherches récentes faites par M. Olof Granberg dans les collections privées de la Suède nous ont appris que la plupart des œuvres de l’artiste avaient été autrefois accaparées par les amateurs de cette contrée. Quant à Esaias Van de Velde, issu d’une famille émigrée d’Anvers et dans laquelle le talent devait être héréditaire, il était de son temps encore plus en vue que Molyn. Si, en traitant les mêmes sujets que lui, il montre une exécution moins souple et un fini moins délicat, il y manifeste en revanche plus de décision et plus d’ampleur. Comme son confrère, il s’était marié (1611) à Harlem, où il était inscrit non-seulement sur les listes de la gilde (1612), mais sur celles de la chambre de rhétorique (1617-1618). C’était de plus un patriote très fervent, très militant, fort attaché à la grande cause de l’indépendance nationale. Les sujets qu’il traitait, aussi bien que le mérite même de sa peinture, attiraient bientôt sur lui l’attention du prince Maurice, qui le mandait auprès de lui à La Haye (1618), et, après avoir été honoré de sa faveur, Esaias retrouvait dans le prince Frédéric-Henri, son successeur, un protecteur tout aussi dévoué.

L’influence que P. Molyn et Van de Velde exercèrent sur l’art de cette époque fut considérable, celle de ce dernier surtout, puisqu’il devait tant contribuer au développement de Van Goyen, et, par conséquent, à la création du paysage hollandais. Né à Leyde en 1596, Van Goyen n’était guère plus jeune que Van de Velde, et, avant de recevoir ses leçons, il avait fréquenté plusieurs autres ateliers, notamment celui d’Isaac Swanenburch, le père du maître de Rembrandt, et celui de G. Van Schilperort, un peintre peu connu aujourd’hui, mais qui jouissait alors de la réputation d’un homme de goût et d’un lettré. Il faut croire que le jeune artiste était peu satisfait des enseignemens qu’il avait trouvés jusque-là, car, après avoir eu déjà cinq maîtres, il avait encore été pendant un an l’élève de Van de Velde. Il rencontrait cette fois la direction qui lui convenait et qui achevait de décider sa véritable vocation. Avec Van Goyen, les derniers liens qui rattachaient l’école hollandaise à l’école flamande allaient être rompus.

Par sa manière de comprendre le paysage, par sa facture même, singulièrement plus large que celle de P. Brill et de J. Brueghel, Van Goyen diffère complètement de ses prédécesseurs. Il accepte franchement les données les plus modestes : ce sont même celles qu’il recherche de préférence. Loin de prétendre embellir la nature, il s’applique à en accuser les côtés caractéristiques, sans s’écarter jamais de la réalité. Le ciel et l’eau lui fournissent de précieuses ressources pour exprimer la poésie propre à son pays, celle de l’espace et des jeux de la lumière, qui en modifient à chaque instant les aspects. D’ordinaire, le ciel remplit les trois quarts de ses tableaux, et parfois même cette proportion est dépassée. Au-dessous de ces grands ciels où se meut la troupe légère des nuages, l’eau des fleuves ou des canaux réfléchit leurs formes et leur fait écho. Appuyées à la bordure du cadre, les valeurs les plus fortes vont en s’atténuant de part et d’autre vers le centre de la toile, dont la partie moyenne reste claire et dégagée. C’est là que les yeux sont naturellement attirés, qu’ils sont comme invités à se reposer. Pour indiquer ces immenses étendues de l’espace, il n’est pas besoin de colorations bien vives : elles attireraient inutilement le regard. En s’appliquant à restreindre leur diversité, l’artiste atteindra plus sûrement son but. Mais, sur cet effacement général des colorations, quelques tons à peine plus accusés, — un bleu pâle dilué dans le ciel, une voile jaunâtre penchée sur le flot, ou quelque tache d’un rouge affaibli accrochée aux vêtemens des personnages, — vibrent et prennent une signification inattendue. A part ces accens discrètement ménagés, l’ensemble est presque monochrome. On dirait des dessins, n’était la distinction de ces gris subtils, de ces tons froids, verdâtres ou gris perle, qui contrastent ou se mêlent avec les dessous de bistre de la préparation restés très apparens. C’est par la justesse extrême des valeurs que la composition s’établit, se tient de loin, et le tableau, irréprochablement construit dans ses lignes, s’explique dans la diversité de ses plans par des dégradations d’une souplesse merveilleuse.

Comme Van de Velde d’ailleurs, Van Goyen connaît à fond toutes les parties de son art. Sans recourir jamais au pinceau d’autrui, il sait animer ses paysages, y mettre tout ce qui peut leur donner de l’intérêt, des barques, des monumens, des personnages, des animaux. Aussi a-t-il peint des marchés, des foires, des fêtes de village, avec des foules assemblées, pleines de vie et de mouvement. Mais où il excelle, où il montre sa véritable originalité, c’est dans la représentation des grands cours d’eau : en ces sortes de sujets, il est maître et n’a point été dépassé. La plupart des villes hollandaises nous apparaissent ainsi dans son œuvre, avec leurs abords et leurs silhouettes pittoresques : Flessingue et son fort, Nimègue et ses vieilles murailles, Utrecht et le clocher gothique de Saint-Martin, Dordrecht surtout, avec sa tour élégante qu’on aperçoit de loin au-dessus des plaines verdoyantes et des immenses nappes d’eau de cette contrée étrange, où les fleuves viennent s’étaler, se réunir pour se séparer et se rejoindre encore, dans une confusion que les géographes ont peine à démêler. C’est là le centre préféré des études de l’artiste, et personne n’a rendu comme lui ces flots grisâtres et limoneux qui clapotent contre les rives, le désordre piquant des bateaux échelonnés à divers plans sur ces « chemins qui marchent, » comme pour on jalonner les distances. Derrière ces embarcations disposées avec goût, l’atmosphère se déploie, se creuse, et aboutit vers l’horizon a ces tons indéfinissables, neutres et cependant lumineux, dont la profondeur égale la limpidité.

Tout cela pourtant semble comme improvisé et peint au courant du pinceau, avec une pratique d’une simplicité élémentaire. Par places, le panneau, à peine couvert d’un léger frottis, laisse voir encore le trait noir de l’esquisse ; mais dans cette facture expéditive, aucune incertitude, aucun repentir. Tous les coups ont porté avec une précision et une sûreté remarquables ; et la touche, par sa vivacité spirituelle et sa crânerie, rappelle la désinvolture de Hals. On comprend qu’avec cette facilité de travail Van Goyen ait beaucoup produit, et les musées de Hollande et d’Allemagne possèdent, en effet, de nombreux tableaux de lui ; mais nulle part, croyons-nous, on ne peut se faire une idée plus juste ni plus haute des acceptions variées de son talent que dans la collection formée par un écrivain cher aux lecteurs de la Revue, M. G. Rothan, qui, ayant pour le maître une prédilection particulière, a su choisir et réunir chez lui quelques-uns de ses meilleurs ouvrages.

Un précieux petit album qui appartient à M. Warneck nous renseigne sur les procédés d’étude de Van Goyen et sur sa vie elle-même. C’est un carnet de poche que, dans le courant de l’année 1644, il emportait avec lui dans ses excursions à travers la campagne. De feuille en feuille, on y peut suivre les étapes de ses tournées fluviales. Installé sur quelque bateau, il partageait sans doute la rude existence des mariniers, et, — à l’aide de la pierre noire et de quelques teintes de sépia pour indiquer les grandes masses d’ombre, — il dessinait au passage tout ce qui s’offrait à ses yeux : les barques avec les détails de leur gréement et de leur voilure, les quais où l’on aborde pour décharger les marchandises, les estacades contre lesquelles le flot vient se briser en écumant, les rives basses et les touffes d’arbres d’où émerge, çà et là, le clocher de quelque hameau, tout ce qui peut caractériser la physionomie du paysage a été noté par Van Goyen. Ces croquis sont bien sommaires ; mais l’artiste est tellement familiarisé avec ces aspects que, rentré à l’atelier, il saura, sur ces simples indications, reconstituer dans leur entière vérité les motifs qui l’ont frappé pendant son expédition.

Les tableaux de Van Goyen étaient fort recherchés de son vivant ; nous les voyons figurer souvent dans les catalogues des loteries organisées par la gilde de Harlem. Leurs prix, il est vrai, ne sont pas très élevés et ne varient guère qu’entre 20 et 100 florins ; mais, grâce à sa fécondité et à son esprit d’ordre, l’artiste jouissait d’une honnête aisance. Fixé à La Haye en 1631, il y était bien vite apprécié à sa valeur. Le prince Frédéric-Henri lui faisait des commandes, et il exécutait pour la ville elle-même une grande vue de La Haye, toile assez médiocre du reste, exposée aujourd’hui dans le nouveau musée municipal de cette ville. Van Goyen était dès lors très en vogue, très estimé de ses confrères ; entré dans la gilde de Saint-Luc, il en est nommé président dès 1640. Il a pignon sur rue, et dans l’une des maisons qu’il achète en 1639, Paul Potter devenait, en 1649, son locataire ; lui-même habitait une autre maison acquise en 1646. Il mariait ses deux filles à des peintres, l’un assez peu connu, Jacob de Claeu ; l’autre célèbre, Jean Steen, le joyeux compère qui, dans plus d’un de ses tableaux, prenait plaisir à placer le portrait de Marguerite Van Goyen, qu’il avait épousée le 3 octobre 1649. Enfin, nous trouvons une nouvelle preuve de la considération dont l’habile paysagiste jouissait dans ce fait que Van der Helst et Van Dyck ont tous deux reproduit ses traits.

Désormais la voie était ouverte, et l’exemple de Van Goyen devait être aussitôt suivi. Les beautés pittoresques qui s’étaient révélées à lui le long des cours d’eau de la Hollande, d’autres allaient les découvrir parmi ses pâturages, ses forêts et ses dunes. Il appartenait à Salomon Ruysdael, le contemporain et peut-être même l’élève de Van Goyen, de continuer et d’étendre l’œuvre que celui-ci avait ainsi commencée. La famille de Salomon était depuis peu établie à Harlem ; elle venait des environs de Naarden, où il existait encore, vers 1625, quelques maisons et un château, aujourd’hui détruits, qui portaient ce nom de Ruysdael. La filiation de cette famille, assez compliquée, nous l’avons dit, était jusqu’à ces derniers temps demeurée fort obscure. Trois et peut-être même quatre de ces Ruysdael ont été paysagistes, et comme deux d’entre eux portaient le même prénom de Jacob et qu’ils ont peint des sujets à peu près pareils, on s’explique facilement les confusions qui ont pu être faites entre eux. Peu à peu, cependant, les inégalités de leurs œuvres et une vérification plus attentive de leurs signatures ont amené sur ce point quelque lumière et permis de distinguer avec plus de précision leur personnalité. Après Van der Willigen, qui, dans son excellent livre sur les artistes de Harlem, nous avait le premier révêlé l’existence de ces quatre Ruysdael, Burger essayait de marquer les différences qu’il croyait pouvoir faire dans leur talent[2]. C’est à M. A. Bredius, le savant conservateur du musée néerlandais, que revient l’honneur de nous avoir apporté sur ce point des informations décisives.

Un document cité par Van der Willigen, et qui confirme l’origine de la famille, nous apprend que, le 9 mars 1642, un certain Isaac Van Ruysdael, veuf, natif de Naarden, contractait un nouveau mariage avec une jeune fille de la ville de Harlem, où il s’était établi. Cet Isaac, qui, cette année même, figure sur les listes de la gilde de Saint-Luc, était un fabricant de cadres, et probablement aussi un marchand de tableaux. C’est sans doute à ce titre qu’il avait été admis dans la gilde ; mais M. Bode croit qu’il peignait aussi, et lui attribue, non sans quelque vraisemblance, plusieurs paysages signés des initiales J. V. R.., notamment celui que possède la Pinacothèque de Munich, — une chaumière entourée d’arbres et de buissons à laquelle conduit un chemin frayé dans les dunes, — deux autres au Staedel’s-Institut de Francfort, attribués à R. de Vries, et un au musée de Darmstadt. Ces divers ouvrages, d’une couleur terne et dure, d’une facture lourde, appuyée et assez sommaire, ne mériteraient guère d’être remarqués si le nom de leur auteur probable ne les recommandait à notre attention. Après avoir perdu sa seconde femme, au mois de janvier 1672, Isaac avait été lui-même enterré, le 4 octobre 1677, dans la Nouvelle-Église, à Harlem.

Un frère d’Isaac, Salomon Ruysdael, s’était, comme lui, fixé dans cette ville, et son talent, très goûté de ses contemporains, commençait la réputation de la famille. L’époque précise de sa naissance est restée inconnue ; mais la date de 1610, qu’on lui assignait autrefois, doit évidemment être reculée de plusieurs années et reportée tout au début du XVIIe siècle, vers 1600, car, dès 1623, nous trouvons l’artiste inscrit parmi les membres de la gilde. On ne connaît pas davantage les maîtres de Salomon, et l’on ne peut à ce propos que signaler, d’après de nombreuses analogies, l’influence qu’Esaias Van de Velde, et surtout Van Goyen, ont exercée sur son éducation artistique. Les détails qui nous ont été transmis sur sa vie sont aussi bien rares. Son talent et la sûreté de son caractère lui avaient fait confier à diverses reprises la gestion des intérêts de la gilde. En 1647, il était commissaire de cette association, puis doyen en 1649, et jusqu’à sa mort il ne cessait plus de participer à son administration. En reconnaissance de ces marques de confiance réitérées qu’il en avait reçues, il faisait don à la compagnie d’une de ses peintures pour orner la salle de réunion dont celle-ci disposait au Prinzenhof depuis 1636. Ainsi que son frère, Salomon était affilié à la secte des mennonites, et il avait certainement acquis quelque aisance, car les frais de son enterrement, qui eut lieu le 1er novembre 1670, dans l’église Saint-Bavon, montèrent à 24 florins, somme considérable pour ce temps-là.

Salomon Ruysdael est un artiste d’un véritable mérite, et si, au commencement de sa carrière, ses œuvres présentent avec celles de Van Goyen des ressemblances qui les ont souvent fait confondre, elles manifestent par la suite une originalité croissante et justifient la faveur dont le maître jouit aujourd’hui. Leurs dates, comprises entre 1631 et 1667, permettent de constater une véritable évolution dans la progression de son talent. Tout d’abord, en effet, dans ses premiers tableaux, — musée de Berlin (1631), galerie de Dresde (1633), musées de Bruxelles et de Bordeaux (1634 et 1635), — on a peine à le distinguer de Van Goyen. Ses motifs sont pareils ; sa peinture est, comme la sienne, fine et légère, presque diaphane et un peu inconsistante. Ses arbres, dont il indique vaguement la feuille par des touches claires et empâtées, ne sont pas non plus d’une exécution bien variée. Mais bientôt les deux artistes semblent suivre une marche inverse. Tandis que Van Goyen, recherchant l’effet plus que la couleur, va restreindre peu à peu les élémens de sa palette et tendre, à force de simplicité, à la monochromie, Ruysdael, au contraire, nous montrera graduellement des colorations plus riches. Avec une pâte plus généreuse, ses paysages deviennent d’un ton plus nourri, plus intense, et dans les derniers qu’il a peints, il atteint à une puissance extrême. L’exécution aussi est poussée plus avant : les essences des arbres sont nettement spécifiées, et leur étude plus consciencieuse, loin d’alourdir le travail, arrive par la souplesse de la touche à nous donner idée de la mobilité de leur feuillage. Les êtres animés tiennent d’ailleurs une grande place dans les compositions de Salomon Ruysdael ; il sait, en les multipliant, varier ses données, et bêtes ou personnages sont rendus avec une vérité d’allures qui suffirait à la renommée d’un peintre. On sent, à l’harmonie parfaite qui règne entre tous ces détails, que ce ne sont pas là des additions imaginées après coup, exécutées par une main étrangère, mais que l’œuvre entière a été conçue et terminée par le même artiste. Parfois, chez lui comme chez ses prédécesseurs, chez Esaias Van de Velde ou Pieter Molyn, on retrouve encore, — par exemple dans le paysage du musée de Berlin (901 B), — la trace de ces pillages auxquels les campagnes de la Hollande commençaient à peine à échapper. Cependant ses sujets favoris sont ceux-là mêmes que Van Goyen a le plus souvent traités : des bords de fleuves ou de canaux, comme à la Pinacothèque de Munich (n° 540, 541, 542 du catal.), ou dans le charmant tableau de M. A. Smits à Amsterdam. Il leur donne cependant une signification très personnelle par son exécution autant que par les épisodes variés qu’il y introduit : des cavaliers ou des carrosses arrêtés devant quelque hôtellerie, un bac chargé de bestiaux qui traverse un fleuve, ou des pêcheurs qui y jettent leurs filets.

Le Louvre ne possède aucun tableau de ce maître excellent, qui à Berlin, à Munich, à Rotterdam, à Copenhague, à Francfort et dans mainte collection particulière, comme chez MM. Rothan et L. Goldschmidt, est représenté par des ouvrages remarquables. Mais le Bac de Bruxelles (1647), le tableau du même nom (1657), récemment entré au musée d’Anvers (n° 665 du catal.), et surtout la Halte du Ryks-Muséum d’Amsterdam (1660), nous semblent ses chefs-d’œuvre. Dans ce dernier tableau, légué au musée par M. Dupper[3], on trouve comme un résumé du talent de Salomon. Vous diriez qu’il a voulu y accumuler les preuves de son habileté, tant l’œuvre est riche en détails de toute sorte. Cette eau courante, à laquelle s’abreuvent des vaches admirablement dessinées, ces deux coches attelés, ces cavaliers et ces dames arrêtés devant la porte d’une auberge, l’hôte et l’hôtesse qui s’empressent autour d’eux ; près de là une femme qui lave, une autre qui porte son enfant, un berger, un chien, des dindons et des poules ; au-dessus des chênes au feuillage dentelé et à l’horizon une mer de verdure que dominent au loin les deux clochers d’une église, tout cela est peint avec une sûreté magistrale et forme un ensemble dont l’harmonie olivâtre est très distinguée. Malgré la plénitude de vie qui l’anime, le tableau a une grande simplicité d’aspect, et la puissance du ton en est tout à fait merveilleuse.

Comme son frère Isaac, Salomon avait eu aussi un fils peintre, et les deux cousins, paysagistes tous deux, traitant aussi des données analogues, avaient reçu tous deux (comme pour augmenter entre eux les chances de confusion) le même prénom de Jacob[4] Mais Salomon Ruysdael ne devait pas transmettre son talent à son fils. Les tableaux qui portent le monogramme de celui-ci : un J, un V et un R entrelacés[5], nous donnent une assez médiocre idée de cet artiste. Le plus important de ses ouvrages, le grand Paysage boisé du musée de Rotterdam, signé et daté de 1665, offre, comme les précédens, bien des analogies avec ceux de son illustre homonyme ; mais la lourdeur et la sécheresse de l’exécution, la dureté de sa couleur, témoignent nettement de l’infériorité du fils de Salomon. Il paraît du reste qu’à côté de sa profession de peintre, il exerçait aussi le métier de chaussetier. Il fut cependant admis à la gilde en 1864, et Van der Willigen, qui nous apprend qu’il avait cette année même épousé, le 3 février, une jeune fille d’Alkmar, rapporte qu’accusé de séduction par une domestique attachée à son service, il était parvenu à se disculper devant ses coreligionnaires. Nous en aurons fini avec lui en ajoutant qu’après s’être établi à Amsterdam en 1666, peut-être à la suite des ennuis que lui avait occasionnés cette affaire, il devait plus tard revenir à Harlem, où il était enterré, le 16 novembre 1681, dans le cimetière de Sainte-Anna.


II

Malgré les dernières découvertes faites dans les archives néerlandaises, les informations recueillies jusqu’à présent sur le plus grand paysagiste de la Hollande ne nous apportent malheureusement pas encore des lumières bien vives sur sa vie. Cependant, d’après un document dû aux récentes recherches de M. Bredius, et qu’il m’a également communiqué, Jacob Ruysdael, le 9 juin 1661, se déclarait âgé de trente-deux ans, ce qui nous permet de fixer d’une manière certaine sa naissance en 1628 ou 1629, par conséquent trois ou quatre ans après la date généralement adoptée jusqu’ici. Nous savons d’ailleurs qu’il naquit à Harlem du premier mariage d’Isaac, le fabricant de cadres. Avancée ainsi de quelques années, la date de la naissance de Ruysdael non-seulement confirme ce que ses biographes nous disent de sa précocité, mais la font paraître plus extraordinaire encore. Nous avons en effet de lui deux eaux-fortes de 1646, — il avait alors dix-sept ou dix-huit ans, — et deux tableaux de cette même année : l’un à Londres, à Beaumont-House, avec des figures d’Adrien Van Ostade, et l’autre à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, qui possède également deux autres paysages de 1647. Nous relevons de plus le nom du jeune artiste sur les listes de la gilde de Harlem dès 1648. Son oncle, Salomon Ruysdael, que l’on considérait autrefois comme son frère aîné, passe pour avoir été son maître ; mais il a bien pu recevoir également les leçons de son père, si, comme le pense M. Bode, celui-ci a aussi été peintre. Cependant Houbraken, qui nous a exactement renseignés sur la profession d’Isaac Ruysdael, rapporte qu’il fit apprendre la médecine à son fils, et il ajoute même que ce dernier a avait acquis à Amsterdam une grande réputation pour son habileté comme chirurgien. » L’assertion est faite pour étonner, et l’on n’a pu fournir à son appui que la mention donnée par Immerzeel d’un paysage figurant dans le catalogue d’une vente réalisée à Dordrecht en 1720 : « Une cascade peinte par le docteur Jacob Ruysdael. » Sans contester la valeur de ces indications, nous ferons observer qu’elles ne s’accordent guère avec ce que nous savons de la précocité du peintre et de sa fécondité artistique. Ajoutons que le nombre des Jacob Ruysdael vivant ù cette époque, — M. Scheltema en a trouvé jusqu’à cinq habitant Amsterdam vers 1660, — a pu prêter à des erreurs bien naturelles, et que les recherches faites dans les registres de la corporation des médecins ou des chirurgiens de cette ville n’ont pas jusqu’ici confirmé l’indication donnée par Houbraken.

Quoi qu’il en soit, et bien que Ruysdael n’ait que*rarement daté ses tableaux, leur nombre, les dates portées sur quelques-uns d’entre eux, et le caractère même de leur exécution, permettent d’établir une succession d’œuvres à peu près ininterrompue de 1646 à 1669. Ces œuvres, étudiées avec soin, suppléent en quelque manière à la pénurie des renseignemens qui concernent la vie du peintre. Cependant là encore se rencontrent des causes d’incertitude. En effet, si l’on met à part les productions de son extrême jeunesse, qui, ainsi que nous allons le voir, ont une physionomie particulière, l’artiste parvint de bonne heure à la maturité, et, dès qu’il l’eut atteinte, il sut s’y maintenir jusqu’à la fin de sa carrière. On ne remarque donc chez lui ni cette progression de talent, ni ces manières successives qui apparaissent nettement chez d’autres artistes, et, à défaut d’indications positives, il convient de ne se prononcer à ce sujet qu’avec une extrême prudence.

Les premiers paysages que nous connaissions de Ruysdael[6] nous offrent généralement des motifs très simples, pris aux environs de Harlem : un pays plat, sablonneux, à peine couvert par places d’un maigre gazon, une route qui serpente à travers la campagne, animée çà et là par un voyageur qui se repose ou des paysans qui devisent entre eux ; quelques pauvres chaumières tapies sous des arbres rabougris, et au loin une échappée vers l’horizon bleuâtre, semé de bois ou de forêts au-dessus desquels s’élève un moulin à vent ou la tour d’une église. Les premiers plans sont d’une exécution sommaire, et les détails restent noyés dans le ton roussâtre d’une préparation sur laquelle le peintre est à peine revenu, tandis que les fonds et les arbres surtout, très scrupuleusement étudiés, montrent une coloration acre et froide et une facture appuyée, un peu pénible. Mais, dans son extrême précision, le dessin de ces arbres dénote une application d’une ténacité singulière. Les moindres branches y sont suivies dans l’enchevêtrement de leur ramure, et la dentelure compliquée de leur feuillage se découpe nettement, non sans quelque dureté, sur le ciel. Malgré l’exiguïté habituelle des dimensions de ces premiers ouvrages, la fermeté de la louche y est surprenante, et l’artiste, sévère pour lui-même, poursuit l’étude de ces végétations microscopiques avec une patience et une volonté prodigieuses. Il se familiarise ainsi peu à peu avec les divers élémens du paysage, s’attache à en exprimer la variété, en maintenant toujours la grande silhouette des « masses, malgré cette minutieuse complication des détails.

Parfois, comme dans l’Entrée de forêt du musée de Nancy, les arbres ont plus d’importance, et forment le principal intérêt du tableau. On y trouve déjà cette impression de solitude et ce charme mélancolique des jours voilés qui s’accusera de plus en plus dans les compositions du peintre. Ces simples motifs sont l’objet de ses préférences, et, sans se lasser jamais, il ne cessera plus de les reproduire. Parmi les tableaux peints dans sa jeunesse, la Dune de la Pinacothèque de Munich est un des plus remarquables. La sûreté, l’ampleur de l’exécution, la simplicité même de la donnée et le parti que Ruysdael en a tiré, m’avaient autrefois fait croire l’œuvre postérieure de beaucoup d’années[7] ; mais une étude plus attentive m’a convaincu que sa facture se rapporte à celle d’autres œuvres de cette époque maintenant mieux connue. En même temps qu’elle nous fournirait au besoin une nouvelle preuve de la précocité du talent de Ruysdael, la Dune nous apprend par quels moyens il s’est développé. Dès l’abord, l’analogie du motif avec celui du Buisson, du Louvre, m’avait frappé et démontré clairement que tous deux étaient empruntés à la même contrée. En réalité, dans la Dune et dans le Buisson, le motif est identique, mais pris à quelques pas de distance, en se retournant, et un dessin des deux tableaux m’a permis de reconnaître que la silhouette du groupe d’arbres s’y rencontre trait pour trait, absolument semblable, mais renversée. Mis en éveil par cette observation, j’ai pu retrouver encore, et sans aucune modification, la silhouette de ce même groupe dans le paysage du musée du Mans, que j’ai déjà signalé.

C’est par des études aussi suivies et aussi sincères que Ruysdael arrivait à comprendre et à exprimer le vrai caractère du paysage hollandais. Ce pays où il était né et dont il nous a laissé de si fidèles images, le maître l’a-t-il jamais quitté ? la question est délicate, et, en l’absence de documens formels, elle n’a pu être jusqu’à présent résolue d’une manière positive. Il est avéré du moins qu’il n’a pas cédé au courant de migration qui entraînait alors vers le Midi la plupart de ses confrères ; rien dans son œuvre ne justifie l’hypothèse, qui eut cours autrefois, d’un voyage en Italie, fait par lui en compagnie de son ami Berchem. C’est vers les contrées du Nord qu’il se sentait attiré, et elles lui ont fourni les motifs d’un grand nombre de ses tableaux. La similitude de ces motifs avec ceux qu’a souvent traités Everdingen a sans doute accrédité la croyance que ce dernier aurait été le maître de Ruysdael. Nous devons nous arrêter un moment aux diverses opinions professées à cet égard.

Allart Van Everdingen, né à Alkmar en 1621, avait reçu à Utrecht les leçons de Roelandt Savery, puis était venu chercher à Harlem celles de P. Molyn. Après s’être marié dans cette ville le 21 février 1645, il y avait été admis la même année dans la gilde de Saint-Luc. Il est donc difficile de supposer que Jacob Ruysdael, à peine moins âgé que lui, pouvant d’ailleurs profiter des enseignemens de son oncle et peut-être même de son père, ait été son élève. Tout au plus a-t-il subi son influence, car bien que le talent d’Everdingen soit assez inégal, celui-ci est, à ses heures, un paysagiste d’un rare mérite. Il ne s’est pas borné, ainsi qu’on est trop disposé à le croire, à la seule représentation de la nature norvégienne ; c’est un chercheur, et l’on peut voir de lui, dans la collection de M. Six, à Amsterdam, un excellent Effet d’hiver, avec un canal glacé, des roseaux jaunis et des arbres dépouillés, couverts de givre, qui s’enlèvent sur un ciel gris. L’impression de la Tempête dans le Zuyderzée, appartenant au duc d’Aumale, et qui offre une grande analogie avec un autre de ses ouvrages qui se trouve au Stœdel’s-Institut, est peut-être encore plus saisissante. Cette Tempête nous paraît le chef-d’œuvre du maître, et la poésie de cette mer houleuse, qui, par un jour d’hiver, vient battre avec fureur une plage hollandaise, atteint une puissance d’expression tout à fait pathétique. En ce qui touche ses œuvres inspirées par la Norvège, on s’accorde généralement à fixer entre 1640 et 1645 le séjour qu’Everdingen aurait fait dans ce pays ; après cette époque, nous savons qu’il vint s’établir à Harlem, où l’on suit sa trace pendant quelques années, au moins jusqu’en 1651. Quant au naufrage qui aurait jeté le peintre sur les côtes de Norvège, s’il est réel, rien n’empêche cependant qu’Everdingen ne soit revenu plus tard dans ce pays. Il était d’humeur voyageuse, et, très jeune encore, il avait parcouru le Tyrol avec Savery, son maître. D’Alkmar, sa patrie, les relations avec la Norvège étaient faciles et fréquentes, car c’est de ce pays que, depuis longtemps, les Hollandais tiraient les bois pour leurs navires et leurs constructions. Il n’était donc pas besoin d’un accident pour y aborder, et un artiste néerlandais y trouvait certainement à qui parler avec ses compatriotes installés dans le pays. Les eaux-fortes, gravées par Everdingen, très probablement de 1645 à 1654[8], et qui représentent des vues de ces contrées lointaines, — des cascades, des rochers, des forêts de sapins, — nous fournissent des indications relatives aux conditions dans lesquelles l’artiste y a vécu. Il n’y était pas seul, et l’on peut voir dans l’une d’elles (Bartsch, n°72) des voyageurs, au nombre de trois, cheminant sur une route, suivis par un homme qui porte leur bagage, tandis que, dans une autre planche (B. n° 54), nous retrouvons les mêmes voyageurs, — enveloppés de manteaux, coiffés de chapeaux à haute forme et vêtus du costume hollandais de cette époque, — qui, assis l’un près de l’autre, sont occupés à dessiner sur leurs albums des rochers d’aspect assez étrange parmi lesquels ils sont installés. N’était l’extrême jeunesse de Ruysdael à ce moment, nous aurions été tenté de le reconnaître parmi ces compagnons d’Everdingen, si nous ne savions, d’autre part, que les sujets norvégiens n’ont été abordés par notre artiste qu’à une époque assez avancée de sa carrière, ainsi que le prouvent leur exécution, toujours large et sûre, et les dates que l’on a pu relever sur quelques-uns d’entre eux.

Suivant la remarque de M. A. de Wurzbach, un des derniers biographes de Ruysdael, il est peu probable qu’à ce moment, en pleine possession de son talent, celui-ci, comme on le prétend d’ordinaire, se serait avisé de faire des pastiches d’Everdingen, en se servant de ses dessins ou de ses études. Sans vouloir égaler à ses paysages hollandais les cascades et les sites norvégiens de Ruysdael, nous trouvons dans ces tableaux une précision de détails, une variété, un sentiment poétique, qui nous paraissent très personnels et rendent ces interprétations de la nature supérieures à celles qu’Everdingen nous en a données. Comment, avec sa sincérité si scrupuleuse, le maître aurait-il ainsi multiplié les images d’un pays qu’il n’aurait point vu ? Comment serait-il parvenu à mettre dans ces œuvres de seconde main plus d’originalité, plus de vérité qu’Everdingen lui-même n’a pu le faire, lui qui, ayant habité cette contrée, en avait rapporté de nombreuses études ? Nous croyons donc, pour notre part, que Ruysdael aussi a visité la Norvège, et qu’il a puisé dans ses propres études les élémens de ses tableaux. Peut-être est-ce à la suite des récits d’Everdingen que l’idée de ce voyage lui était venue ; peut-être aussi, à raison du peu de succès qu’obtenaient près de ses contemporains ses premiers ouvrages, se décida-t-il à chercher au milieu d’une nature plus accidentée des sujets qui auraient chance d’être mieux goûtés par eux. A défaut d’Everdingen, Ruysdael, s’il voulut pousser jusqu’en Norvège, aurait pu d’ailleurs trouver d’autres compagnons, Pieter Molyn, par exemple, avec qui il était naturellement en relations à Harlem, et qui devait aussi lui-même se décider à faire cette expédition, puisqu’on a de lui, à la Pinacothèque et au Stœdel’s-Institut, des études et des dessins remarquables faits d’après des paysages norvégiens, en 1658 et 1659[9].

Cette tentative, en tout cas, ne devait pas mieux réussir à Ruysdael, et l’espoir que ces tableaux, inspirés par une contrée plus pittoresque, obtiendraient plus de succès, fut tout à fait déçu. Avec les années, sa situation allait devenir toujours plus précaire. Il n’avait jamais été en possession de la vogue, et sa vie à Harlem demeura toujours difficile et obscure. Son nom ne figure point parmi ceux des dignitaires de la gilde, et ses œuvres ne lui étaient payées qu’un prix fort modique. Amsterdam, où le nombre des artistes était relativement moins considérable et la richesse plus grande, parut sans doute lui offrir les conditions d’une existence moins pénible, et il alla s’y fixer. En 1659, il obtenait le droit de bourgeoisie dans cette ville, qu’il habita jusqu’en 1681 ; mais il ne semble pas qu’il parvint à s’y créer plus de ressources. Il se trouvait cependant alors dans toute la force de son talent. Grâce à son travail et à ses études incessantes, son exécution était devenue plus facile et plus large. Sa couleur non-seulement n’avait plus la dureté qui dépare ses premiers ouvrages, mais elle avait acquis une souplesse et une harmonie extrêmes. Tout en restant discrète et généralement grave dans les intonations, elle montrait cette finesse de reflets et cette délicatesse de modulations qui font le charme des pays du Nord. Son dessin plus savant, toujours d’une correction irréprochable, était mis en relief par la précision de sa touche, fidèlement appropriée au rendu des nombreux détails qui entrent dans ses paysages et y mettent la variété et la vie. Cependant, le sentiment élevé qu’il avait de la nature l’empêchait de s’absorber dans ces détails ; sans jamais faire parade de sa virtuosité, il les subordonnait à l’ensemble ; tous concouraient à l’impression qu’il se proposait de produire. Aussi les tableaux de sa maturité ont-ils une tenue superbe. Dans un musée, la simplicité, la force de leur aspect, les font reconnaître entre tous et vous attirent à eux ; leur perfection vous retient, et un examen prolongé ne peut qu’accroître pour eux votre admiration.

Cet art si complet, si sérieux, si nouveau, n’était pas apprécié à sa valeur par le public ; mais Ruysdael trouvait un dédommagement de son indifférence dans la sympathie de ses confrères. Les nombreux collaborateurs auxquels il eut recours pour animer ses paysages, et la durée des relations qu’il entretint avec plusieurs d’entre eux, témoignent de l’estime qu’ils avaient pour lui. Les noms d’Adrien Van Ostade, de Berchem, qui, dès 1653, peignait les figures de ses tableaux, ceux d’Adrien Van de Velde, de Lingelbach, de Vermeer de Delft, de Gérard Van Battem et de Philippe Wouwerman, que nous retrouvons parmi eux, nous montrent que Jacob frayait avec les premiers artistes de son temps. Ce n’est pas que leur collaboration ajoute beaucoup, à notre avis du moins, au mérite de ses ouvrages. Si les plus distingués de ces artistes, Adrien Van de Velde et Vermeer, ont su sobrement, avec à-propos, associer leur talent à celui du maître, d’autres, comme Lingelbach et Berchem lui-même, ne s’effacent pas assez devant lui. Les personnages ou les animaux qu’ils peignent dans ses compositions sont trop en vue ; leur couleur, parfois un peu brutale, fait tache et détonne sur l’harmonie sévère de ses colorations. Leur présence même n’est pas toujours justifiée et s’accorde mal avec le caractère des paysages où ils sont-placés. Le plus souvent on préférerait pour ceux-ci une solitude complète, et peut-être le grand artiste l’eût-il lui-même préférée. Il était sans doute obligé de reconnaître par quelque salaire le prix du concours qu’on lui prêtait, et l’argent n’était pas chez lui trop abondant. Mais il espérait trouver ainsi meilleur accueil auprès des amateurs, et modeste comme il était, mauvais juge d’ailleurs des goûts du public, il laissait ses collaborateurs s’étaler à leur gré, sans se préoccuper assez des convenances de l’œuvre à laquelle ils participaient. Pour lui, il se contentait de faire de son mieux, sans que jamais, malgré sa gêne, on puisse rencontrer dans ses œuvres la trace d’un travail trop hâtif ou d’une négligence.

Cependant cette gêne allait croissant. C’est encore à M. Bredius que nous devons la récente découverte d’un document d’où il résulte qu’au mois de mai 1667 Ruysdael, qui habitait alors la Kalverstraat, « vis-à-vis la cour de Hollande, » se trouvait dans un état très maladif. Il avait pu toutefois se rendre chez un notaire pour y signer un testament par lequel il léguait tout son avoir à une demi-sœur née du second mariage d’Isaac, à charge par elle de payer à ce dernier toutes les rentes qu’il lui servait. Les tuteurs de la légataire, Salomon Ruysdael et son fils Jacob, le cousin du testateur, devaient veiller à l’exécution de cette clause. De quel mal souffrait le grand artiste, nous l’ignorons. Ploos Van Amstel parle de douleurs rhumatismales contractées dans ses stations au bord des marécages, et il est certain que, dans ces contrées humides et fiévreuses, l’existence du paysagiste, exposé aux intempéries, obligé de s’accommoder de tous les gîtes, devait être, en ces temps-là surtout, rude et périlleuse. La générosité de Ruysdael vis-à-vis de son père contribuait sans doute aussi beaucoup aux difficultés de sa situation. En fils dévoué, il était venu plus d’une fois à son aide, et il continua toujours à lui faire des avances, car dans un autre acte cité par Van der Willigen, Isaac, à la date du 11 avril 1668, cède à son fils, « l’honorable Jacobus, demeurant à Amsterdam, » le mobilier composant son petit avoir et « tout ce qu’il pourrait posséder à l’avenir, » afin de s’acquitter autant qu’il le peut des dettes qu’il reconnaît avoir contractées vis-à-vis de lui.

Pour essayer de se tirer d’affaire, Ruysdael acceptait toutes les tâches ; outre ses paysages norvégiens, il peignait des vues d’Amsterdam ou même des portraits de maisons de campagne appartenant à de riches Hollandais. Souvent aussi, pour se dédommager de ces travaux peu faits pour l’intéresser, il se dirigeait du côté de Harlem, et il retraçait une fois de plus les aspects familiers d’une contrée qui lui était chère. La mélancolie et la tristesse à laquelle il était enclin s’accentuaient de plus en plus dans ses œuvres, et cette disposition d’esprit n’était pas de nature à lui ramener des acheteurs. Après la gêne, la misère était venue, et sa maladie s’était probablement aggravée. Le jour arriva où il fut forcé de renoncer à ses études au dehors et même à son travail, car on ne connaît pas de tableaux de lui datés de ses dernières années. Il se sentait de plus en plus délaissé. Il ne s’était point marié ; de bonne heure, il avait perdu sa mère, et son père était mort au commencement d’octobre 1677. Malgré son talent, il n’avait pas eu d’élèves. Dans son extrême détresse, Ruysdael était donc entièrement isolé à Amsterdam. Il trouva du moins un appui dans ses coreligionnaires de Harlem. Les membres de la secte des mennonites, à laquelle, ainsi que toute sa famille, il avait appartenu, a ses amis, » comme ils s’appelaient, sollicitèrent pour lui une place à l’hospice de sa ville natale, offrant généreusement de payer sa pension. A la date du 28 octobre 1681, leur requête était appuyée par les bourgmestres de Harlem, qui, en la transmettant aux régens de l’hospice, les engageaient, avec une naïveté un peu cynique, a à se faire bien payer, afin que le susdit pensionnaire ne devint pas une charge pour l’établissement, mais fût plutôt pour lui une cause de profit. » Les amis de Ruysdael n’eurent pas à fournir longtemps la cotisation qu’ils s’étaient imposée, car, le 2â mars 1682, un dernier document, cité par Van der Willingen, vient clore ce lugubre dossier des informations qui ont rapport au grand artiste : c’est l’enregistrement d’une somme de 4 florins pour « frais d’ouverture du tombeau de Jacob Ruysdael en l’église de Saint-Bavon. »

La vie n’avait pas été clémente à Ruysdael ; après bien des traverses, méconnu de ses contemporains, il était mort misérable comme Frans Hals. Mais, tandis que l’inconduite et le désordre avaient eu leur part dans l’infortune de ce dernier, on ne trouve à relever dans l’existence laborieuse du paysagiste que des traits de désintéressement et des preuves de consciencieuse activité. Moins heureux d’ailleurs que son compatriote, qui, au musée de Harlem, apparaît dans tout son éclat avec dix toiles d’une importance capitale, Ruysdael est absent de ce musée. On y cherche en vain son nom, et, après deux siècles révolus, il attend encore la réparation que, justement soucieux de l’honneur de la cité, Van der Willigen réclamait déjà pour lui en 1870, dans l’appel chaleureux qu’il adressait aux habitans de Harlem, et qui jusqu’à présent n’a point été entendu.


III

La négligence des concitoyens de Ruysdael à se faire honneur de sa gloire continue de les accuser ; elle paraît d’autant moins explicable qu’en Hollande même et dans la plupart des musées de l’Europe, les œuvres du maître sont nombreuses et universellement admirées. Avec sa renommée toujours grandissante, le prix de ses tableaux a suivi une progression, lente d’abord, mais constante. Tel d’entre eux, et non des plus importans, une Marine, par exemple, qu’il aurait de son vivant cédée pour 16 ou 20 florins, était vendue 200 florins à Amsterdam cent ans après ; puis successivement payée 1,500 francs au commencement de ce siècle, 9,000 en 1824 et 14,000 en 1829. Mise aux enchères, elle atteindrait maintenant au moins deux ou trois fois ce chiffre. Ruysdael a cependant beaucoup produit, et, bien que grossi de quelques ouvrages douteux, le total de 344 peintures donné par Smith dans son Catalogue raisonné (tome VI) serait aujourd’hui certainement dépassé. Ces peintures, nous l’avons dit, sont rarement datées, et, à part celles de l’extrême jeunesse de l’artiste, il est en général difficile de leur assigner une chronologie bien précise. En essayant de les grouper ici d’après la nature même des motifs et suivant les contrées qui les ont inspirées, nous nous bornerons à signaler celles qui nous paraissent capitales dans son œuvre et qui permettent le mieux de caractériser son talent. A l’occasion d’ailleurs et d’après l’exécution de ces ouvrages, nous ne négligerons pas de dire à quelle époque de la vie de l’artiste elles peuvent être rapportées, toutes les fois que cette détermination nous aura semblé offrir quelque vraisemblance.

Bien que son œuvre soit très variée, Ruysdael ne s’est guère éloigné de sa ville natale. A part cette excursion en Norvège dont nous avons parlé, qui, toute probable qu’elle soit, ne peut cependant être constatée d’une manière positive, il n’a jamais quitté son pays, et, dans son pays même, il s’est contenté de rayonner autour de quelques stations d’étude que la sincérité extrême avec laquelle il interprétait la réalité permet le plus souvent de reconnaître. Les paysages norvégiens tiennent, il est vrai, une assez grande place dans son œuvre, et Smith en compte soixante-quinze. Tous appartiennent à la période de sa maturité ; malgré le talent qu’y montre l’artiste, ils nous laissent assez indifférens. Le caractère très spécial d’une végétation où domine le sapin, les entassemens énormes de rochers, le contraste violent qu’offrent leurs colorations brunes et très intenses avec la blancheur des eaux écumantes, l’extrême complication des détails, ne fournissent pas, comme on pourrait trop facilement le croire, des motifs très favorables à l’artiste. Dans ces contrées si riches en accidens, son rôle se réduit bien souvent à simplifier, à élaguer ces détails trop nombreux, et par une conséquence assez inattendue, mais cependant conforme aux conditions mêmes de l’art, cette complication, à la longue, arrive à produire une certaine monotonie. Ruysdael ne l’a pas toujours évitée.

Nous goûtons encore moins ses tentatives de fondre dans une même œuvre des élémens empruntés à des pays très différens. Si nous en exceptons la grande Forêt de chênes de la collection Van der Hoop, au premier plan de laquelle une chute d’eau épand ses flots tumultueux et dont l’imposant aspect mérite d’être signalé, l’incohérence de ces compositions s’accuse généralement de la manière la plus fâcheuse. Leurs détails ainsi juxtaposés paraissent d’autant moins vraisemblables que chacun d’eux, étant rendu avec une extrême précision, trahit son origine et fait sentir plus vivement le manque d’imité de l’ensemble. Quiconque est familier avec l’œuvre du maître pourrait à la rigueur, dans le triage de ces détails hétérogènes, démêler leur provenance et les restituer au milieu d’où ils ont été tirés. Nulle part ce défaut n’apparaît avec autant de force que dans une des productions les plus célèbres de Ruysdael, et qui, bien à tort, suivant nous, passe pour un de ses chefs-d’œuvre. Nous voulons parler du tableau de la galerie de Dresde, désigné sous le nom de Cimetière des juifs. On connaît cette composition, qui, très probablement, appartient aux dernières années de l’artiste, et dans laquelle on dirait qu’il a voulu mettre comme un écho des tristesses et des rigueurs dont sa vie était alors accablée. On y relèverait facilement la trace d’une sentimentalité contre laquelle il s’est d’ordinaire mieux défendu et qui entre sans doute pour une trop grosse part dans la réputation de ce tableau. Certes, l’idée de cette inclémence de la nature qui, dans ce cimetière abandonne, semble s’acharner au-delà même de la mort contre une race présente, cette idée était faite pour tenter Ruysdael. Mais ces nuées d’orage sur lesquelles l’arc-en-ciel décrit deux fois sa courbe, ce temple en ruine, ces arbres desséchés, ces eaux qui se brisent avec fureur contre les rochers, l’impétuosité du vent qui secoue les feuillages, ces tombes bizarres, disjointes et à demi brisées sur l’une desquelles le peintre a mis sa signature, cette lumière blafarde qui les éclaire, tous ces appels à l’émotion, tous ces moyens dépression un peu factices et dont on a tant abusé depuis, nous paraissent accumulés ici avec plus de complaisance que d’à-propos. La dureté et la sécheresse même de l’exécution ajoutent encore à leur exagération, et devant ce désir trop évident d’exciter notre sensibilité, involontairement nous nous raidissons. Jaloux de notre liberté, nous n’aimons pas qu’on presse ainsi sur elle ; pour goûter pleinement une œuvre d’art, nous lui demandons de laisser une part, si restreinte qu’elle soit, à notre imagination, et, sans appuyer autant, de nous permettre d’y mêler quelque chose de nous-mêmes. Comme pour condamner d’ailleurs d’une manière irrécusable le procède de composition auquel Ruysdael a eu recours ici, nous sommes en possession de renseignemens formels qu’il nous a fournis lui-même. Un dessin de la collection His de La Salle, entré récemment au Louvre, nous montre l’étude du motif qui a inspiré le Cimetière des juifs, étude reproduite presque sans aucune modification dans un tableau appartenant à lord Ellesmere (Bridgewater-House), Dans l’une et dans l’autre, le torrent, les terrains, le hêtre mort et le groupe d’arbres sont figurés, mais non pas la ruine, ni les tombes qui ont donné son nom au tableau de Dresde. Quant à celles-ci, elles sont empruntées à deux autres dessins faits d’après nature par Ruysdael dans le cimetière Israélite d’Amsterdam[10].

Il n’est guère plus heureux dans ces vues d’Amsterdam, fort rares, du reste, qu’il a probablement exécutées sur commande, tenté par le modeste salaire qu’il en pouvait tirer. Le musée de Berlin et celui de Rotterdam en possèdent chacun un exemplaire : la Vue de la place du Dam et l’Ancien marché aux poissons, à Amsterdam, deux pendans animés de nombreuses figures assez médiocrement peintes par Gérard Van Battem (musée de Berlin, n° 885 D, et musée de Rotterdam, n° 279). La facture de ces tableaux est lourde et un peu gauche, leur couleur étouffée et terne ; les ciels seuls ont les qualités habituelles du maître. On dirait que, sorti de ses chères campagnes, il se sent mal à l’aise au milieu de ces rues populeuses, parmi ces édifices aux lignes rigides, et il est loin d’atteindre la perfection et la sûreté d’un Van der Heyden ou d’un Berck-Heyde.

Laissant de côté ces œuvres sans grand caractère, nous avons hâte d’aborder maintenant les paysages purement hollandais, ceux dans lesquels apparaît toute l’originalité de Ruysdael. Si, dans ses tableaux d’architecture, il est certainement inférieur à ceux qui se sont fait de ce genre une spécialité, comme peintre de la mer, en revanche, il dépasse singulièrement tous les marinistes. Nous avons vanté ici même[11] l’impression saisissante et la facture accomplie des deux Tempêtes de la galerie de Berlin. Avec un effet moins dramatique la Marine du musée de Bruxelles n’est peut-être pas moins remarquable, et l’artiste a rendu avec une poétique fidélité l’aspect de cette eau morne et grise qui va se confondre à l’horizon avec un ciel gris et morne comme elle. Dans ses Plages, Ruysdael se montre, avec un sens un peu différent, le digne émule d’Adrien Van de Velde. La Plage du musée de La Haye, et surtout celle qui appartient au duc d’Aumale, peuvent être comptées parmi ses meilleures productions. Ces nuages rapides qu’un air irais et vif chasse devant lui en légers flocons, ces vagues courtes et pressées, couronnées d’écume, ce sable où percent çà et là quelques touffes d’une herbe maigre et sèche, ces tons mobiles et transparens, tout cela est d’une justesse surprenante. Les petits personnages qui circulent sur la grève, alertes et joyeux, ajoutent à l’animation de la scène. Par un heureux artifice, le collaborateur de Ruysdael, probablement Vermeer, les a vêtus de noir et de blanc, et ces deux notes extrêmes font encore ressortir la pâleur exquise de la tonalité générale du paysage. Avec la Tempête du Louvre, au contraire, nous retrouvons les oppositions violentes que réclamait cette pathétique composition. Un ciel d’orage pèse sur l’horizon encore éclairé par une lueur sinistre, qui bientôt va disparaître, car déjà la tourmente s’est élevée, et les barques, penchées, secouées par le vent, regagnent en toute hâte la côte prochaine. Mais Ruysdael ne s’est pas borné, cette fois, à nous peindre l’agitation de la mer et les dangers dont elle menace les embarcations éparses sur ses flots. Une chaumière, à peine protégée par des pieux grossièrement reliés entre eux, est exposée aux furieux assauts de la vague, qui déferle et remplit l’atmosphère d’une buée moite et saline. La simplicité de la composition est en rapport avec la grandeur de la scène, et tandis que, dans le Cimetière des juifs, les divers élémens mis en jeu juraient de se trouver réunis, l’unité ici est parfaite et la sûreté magistrale de la facture augmente encore la puissance de l’impression[12].

Ces aspects mélancoliques ou terribles de la mer sur les côtes de la Hollande, Ruysdael les trouvait dans le voisinage de Harlem, réunis au charme de la campagne elle-même. Bien souvent, à toutes les époques de sa vie, il se sentit attiré vers sa ville natale, parmi cette nature qui lui fournissait à chaque pas des motifs appropriés à son talent. Cette campagne de Harlem semble, en effet, un lieu privilégié pour les peintres, et, à voir les élémens pittoresques qu’elle offre à leurs études, on comprend les nombreuses inspirations qu’ils y ont puisées. Il n’est guère de contrée qui présente des aspects à la fois plus logiques et plus différens. Vers la mer, le vent qui souffle incessamment du large règne en maître. Il dispose à son gré le rythme des nuages, soulève les flots, disperse au loin le sable du rivage et plie ou rase sous ses assauts réitérés les buissons rabougris qui s’accrochent çà et là aux croupes pelées de la dune. Du côté opposé, une riche végétation, abritée par la dune elle-même, s’épanouit librement, et des bois respectés marient leur sombre verdure au vert éclatant des prairies. La physionomie déjà si variée du paysage change à chaque instant avec les jeux capricieux de la lumière : tantôt égayée par le soleil des colorations les plus fraîches et les plus brillantes, tantôt remplie de contrastes quand les grandes ombres des nuées promènent à travers la plaine leurs découpures étranges ; tantôt enfin, aux approches de l’orage, livide, sinistre et désolée. Sous ces aspects mobiles, les harmonies restent toujours franches ; jamais rien qui soit crû, rien qui détonne. Même au cours de l’été, les gazons, éclatans ou flétris, ont des reflets de velours, les grandes herbes ondulent gracieusement parmi les terrains vagues, et des pousses d’un rouge vif réveillent le feuillage austère des vieux chênes auxquels des bosquets de saules ou de peupliers blancs mêlent leurs pâles frissons.

Cette nature si attachante, Ruysdael en a merveilleusement exprimé la poésie. À chaque instant, aux alentours de Harlem, son nom revient à l’esprit avec le souvenir de quelqu’une de ses œuvres. Vous y pouvez suivre sa trace, retrouver la place même où il s’est assis. Ce château en ruine avec son enceinte, ses fossés et le lierre accroché à ses briques, après plus de deux cents ans, il est encore tel que le maître l’a peint, et l’eau continue à croupir dans les fossés de Bréderode, le lierre à grimper le long de ses murailles. Ces horizons immenses que l’on découvre du haut de la dune, bien souvent aussi Ruysdael en a retracé les espaces infinis. Plus souvent encore, à mi-hauteur, près d’Overveen, il s’est plu à dérouler le panorama de sa ville natale avec ses maisons, ses monumens, les tours de ses églises. Les blanchisseries et leurs pièces de toile étalées qu’il plaçait au premier plan ont disparu ; mais la silhouette de Harlem, dominée par le clocher de Saint-Bavon, se déploie comme autrefois au-dessus du bois séculaire qui fait à la vieille cité une verte ceinture[13].

Peut-être l’originalité du peintre apparaît-elle mieux encore dans des motifs plus simples dont à force de talent il a tiré un si merveilleux parti. Au milieu de ces campagnes pittoresques qui avoisinent Harlem, les moindres accidens, les coins les plus modestes suffisaient pour l’inspirer. Vous imagineriez difficilement qu’il pût trouver le sujet d’un tableau dans ce Champ de blé dont il a plus d’une fois varié les dispositions, et dont un des types les plus accomplis appartient à M. Rothan. C’est en insistant sur l’humilité même de ce sujet que Ruysdael a su le rendre expressif. Au lieu de ces blondes et abondantes moissons que, dans les contrées méridionales, un sol généreux fournit à l’homme presque sans culture, ici des épis à peine jaunissans s’agitent grêles et chétifs sous un ciel pâle, menacés par le sable qui les presse et les enserre de toutes parts. La même impression de lutte et de tristesse, nous la retrouvons plus saisissante encore dans le Buisson du Louvre, cette toile célèbre dans laquelle le maître s’est élevé à une éloquence si pathétique[14]. Si Ruysdael n’a jamais cessé de s’inspirer de cette nature mélancolique et grandiose, il a cependant cherché dans d’autres parties de la Hollande des sujets d’étude. Rarement, il est vrai, il a peint, — ainsi que l’avaient fait son oncle Salomon et Van Goyen, — le cours des grands fleuves, et l’on ne peut guère citer que comme une exception ce Moulin à vent de la collection Van der Hoop, dont il a trouvé le motif sur les bords du vieux Rhin, aux environs de la petite ville de Wyck-by-Dursteede, encore facilement reconnaissable à sa tour tronquée. L’œuvre, il est vrai, est de prix, et Fromentin en a fait ici même un légitime éloge. Dans l’interprétation de ce motif qu’avaient si souvent traité ses prédécesseurs, Ruysdael s’est montré à la fois très puissant et très personnel. D’après la configuration assez accidentée des terrains, d’après leur végétation et la forme même des collines qu’on peut observer dans un assez grand nombre de ses paysages, il est permis de penser qu’ils lui ont été inspirés par une même contrée, que l’on croit être la Gueldre ou l’Over-Yssel, sur les confins du Hanovre. Au sein de ce pays retiré, sauvage, l’artiste amassait des impressions nouvelles qu’il a, bien souvent aussi, fixées dans des tableaux importans qui appartiennent à sa première époque. C’est de là qu’il rapportait les études du Monastère, de la galerie de Dresde, et celles de ce beau paysage du musée de Brunswick, dans lequel il a rendu avec une si pénétrante harmonie le charme d’une après-midi d’été, tiède, demi-voilée, pleine de silence et de molles langueurs. Au premier plan, fortement attaché au sol par ses puissantes racines, un grand chêne, au tronc noueux, élève jusqu’au haut du ciel sa robuste, ramure. A gauche, un large chemin gravit une pente assez raide, et de l’autre côté, dominant le pays, une chapelle, une tour et quelques autres constructions semblent les dépendances d’un riche domaine. Des forêts montent du fond de la vallée jusqu’au sommet des coteaux. Le soleil est caché, et dans l’air assoupi les feuillages tranquilles se dessinent nettement ; à peine si un léger souffle balance doucement des épis mûrs dans un champ voisin. Il y a comme un accord secret entre la beauté du site, la tiédeur de l’atmosphère, la limpidité de la lumière et l’exécution même de cet ouvrage accompli. Tandis que souvent, chez Ruysdael, les oppositions sont plus tranchées, les colorations plus froides et les végétations plus tourmentées, cette fois les intonations ont gardé leur transparence, les formes leur souplesse, et une impression de sérénité, de bonheur et d’apaisement se dégage de cette aimable nature. Mais les forêts de cette région privilégiée devaient inspirer au maître des œuvres encore plus originales et plus élevées. Comme ces œuvres sont également très nombreuses, nous ne pouvons citer ici que les plus importantes[15]. Mentionnons d’abord la Forêt du Louvre, cette composition d’une si belle ordonnance, dans laquelle au milieu d’un massif de grands arbres qui bordent un étang une percée, pratiquée parmi les hêtres et les chênes, laisse apercevoir des coteaux bleuâtres. L’ampleur de l’exécution est ici proportionnée aux dimensions du tableau. Les intonations ont aussi plus d’éclat que d’habitude, et le bleu franc du ciel s’accorde harmonieusement avec les feuillages dorés par l’automne. Malheureusement les personnages que Berchem a introduits au premier plan — un paysan italien rougeaud qui, la main sur son cœur déclare ses feux à une bergère rebondie juchée sur un âne, — semblent ici d’autant plus déplacés que la brutalité de la touche et la crudité intempérante des rouges font ressortir encore le peu d’à-propos de cet épisode. Supprimez-le par la pensée, pour ne laisser que les vaches buvant au bord de l’eau ; ou, mieux encore, supposez une solitude absolue dans ce paysage, et il reprendra aussitôt, avec sa gravité, sa vraie signification. La Chasse, de Dresde, ne tire pas non plus une grande valeur des personnages et des animaux que Van de Velde y a peints et qui ont donné son nom au tableau Mais par la douceur de l’aspect et la largeur de la facture, la Chasse se distingue des autres ouvrages de Ruysdael réunis au musée de Dresde, qui, tout remarquables qu’ils sont, nous paraissent en général, avoir beaucoup noirci. La découpure des silhouettes et la sombre intensité des verdures vont même, pour plusieurs d’entre eux, jusqu’à la dureté, et ce défaut, que probablement il convient d’imputer à leur mauvaise conservation plutôt qu’au peintre lui-même, est encore exagéré par le luisant des glaces dont ils sont recouverts. Malgré tout, au musée même de Dresde, nous préférons, du moins pour l’originalité du motif, un paysage de dimensions bien plus restreintes, que Ruysdael a également reproduit dans une de ses meilleures eaux-fortes. Comme en un sombre miroir l’eau de cet Etang dans les bois reflète avec une exactitude absolue les vieux chênes qui, déjà découronnés par les injures du temps, tordent leurs ramures ou allongent leurs grands bras en quête d’un peu d’air et de nourriture. L’Entrée de forêt, du Belvédère, à Vienne, dont le musée de Rotterdam possède une répétition moins imposante, doit être également citée pour la beauté sévère de la composition. L’aspect grandiose de cette forêt, dans laquelle s’engage un chemin traversé par un ruisseau, recommande à notre admiration cette toile, une des plus grandes que Ruysdael ait peintes (1m, 80 sur 1m, 40). A côté de cette œuvre remarquable, qui a malheureusement aussi un peu foncé, prennent place une autre Entrée de forêt (au Worcester-College d’Oxford), de dimensions presque pareilles, et les deux intérieurs de forêt de l’Ermitage, le Bois (n° 1138 du Catal.), et surtout le Marais (n° 1136), certainement un des chefs-d’œuvre du peintre. Jamais mieux que dans ce dernier paysage il n’a exprimé le charme auguste de la nature abandonnée à elle-même. Au sein de cette antique forêt, où les arbres croissent et meurent respectés, les tiges vigoureuses des jeunes rejetons se mêlent aux squelettes des chênes ou des hêtres, les uns encore debout, mais dépouillés, les autres couvrant le sol de leurs débris épars. Sur le premier plan, un chêne rugueux et trapu étend ses branches décharnées au-dessus d’une mare bordée de roseaux et tapissée de nénufars. Des canards sauvages, troublés dans leurs ébats par l’approche d’un passant, s’envolent en rasant la surface de l’eau. Entre les troncs des arbres, des échappées permettent de mesurer la profondeur du bois. Quelle admirable contrée, bien faite pour provoquer l’enthousiasme d’un paysagiste ! Que de bonnes heures de travail et de solitude, — à en juger du moins par la riche moisson d’études qu’il en a rapportées, — Ruysdael y a passées, découvrant à chaque pas des aspects nouveaux qui le tentaient, se laissant pénétrer peu à peu de cette rustique poésie ! Ce furent là, sans doute, des momens de calme et de bonheur bien rares dans la vie du pauvre artiste. Ces actives contemplations lui faisaient oublier les injustices de sa destinée, et avec la conscience de son génie, quelque chose de la sérénité de ces beaux lieux descendait dans son âme.


IV

« Ruysdael dessinait-il ou peignait-il d’après nature ? S’inspirait-il ou copiait-il directement ? » Telles sont les questions que se posait Fromentin dans les pages charmantes consacrées par lui au grand paysagiste, questions qu’il aurait pu facilement résoudre, car Ruysdael a pris soin d’y répondre lui-même de la manière la plus formelle. Il existe, en effet, un grand nombre de dessins de lui, rapidement enlevés sur les pages d’un album, ou poussés plus avant sur des feuilles de dimensions plus grandes, mais qui certainement ont tous été faits d’après nature. Pour ces diverses études, Ruysdael se servait, soit de la pierre noire, soit de la mine de plomb, ou, plus souvent encore, il avait recours à un procédé généralement employé par les artistes hollandais, à cause des avantages qu’il présente. Sur une esquisse établie avec soin, il poursuivait son travail à l’aide d’un lavis à l’encre de Chine ou au bistre, ce qui lui permettait d’obtenir à la fois une grande précision dans les formes et aussi une indication de l’effet, grâce aux teintes plus ou moins foncées au moyen desquelles il notait exactement la relation des ombres et des lumières.

Les dessins du Louvre, ceux du British-Museum ou du musée Teyler, à Harlem, et ceux d’autres collections encore, nous fournissent de précieuses informations sur le talent de l’artiste et sur les motifs qu’il affectionnait le plus. Les aspects divers de la dune, les bords des canaux, des intérieurs de forêts, des groupes d’arbres battus par le vent, des chaumières, des ruines ou des moulins, dessinés dans la campagne de Harlem ou le long de la côte, à Béverwyck, à Kostverloren, s’y trouvent reproduits avec une entière sincérité. Deux importans lavis à la sépia, appartenant à la collection de l’Albertine, à Vienne, permettent d’apprécier dans tout leur éclat les meilleures qualités du maître. L’un d’eux, — un motif charmant dont, à notre connaissance du moins, Ruysdael n’a pas tiré de tableau, — nous montre, au bord d’une eau calme, une tour en ruine et l’enceinte d’un château, avec des habitations de paysans pratiquées dans ses vieilles murailles, qu’envahit une riche végétation. L’autre, plus remarquable encore, est une vue prise dans la dune, dont les sables occupent le premier plan[16]. Dans la bande étroite des terrains qui s’étend au-dessus, l’artiste a su faire tenir en raccourci un immense horizon. C’est d’abord une zone de forêts que domine la silhouette compliquée d’une ville, et au-dessus encore, de vastes étendues de pays, des bois, des villages, des moulins à vent et des cours d’eau. Un grand ciel d’un beau mouvement remplit les deux tiers de la feuille et projette à travers la plaine l’ombre de ses nuages. L’aisance et la justesse extrême du dessin, la souplesse et la vérité du clair-obscur, donnent dans ce précieux croquis la plus haute idée du talent du maître et de la sûreté des indications qu’il savait prendre en face de la nature.

Ces qualités du dessinateur, nous les retrouvons à un degré pareil dans les eaux-fortes gravées par Ruysdael. M. G. Duplessis, dans l’étude qu’il en a faite[17], en compte à peine une douzaine ; encore l’attribution des trois dernières, bien qu’elles soient signées, nous semble-t-elle assez douteuse ; si elles sont du maître, elles ne lui font certainement pas grand honneur. Était-ce d’Everdingen qu’il avait appris les procédés de ce genre de gravure ? Nous ne saurions le dire ; mais Ruysdael est, comme aquafortiste, bien supérieur, et si c’est d’Everdingen qu’il tient la connaissance des procédés de la gravure, son apprentissage n’a pas dû nécessiter une bien longue durée. Sa pratique, en effet, est des plus simples et se borne à l’emploi de la pointe pour dessiner sur le cuivre. Mais peut-être ce travail peu chargé met-il mieux en relief la savante concision de son burin. Ses deux premières planches connues, datées toutes deux de 1646, dénotent encore, il est vrai, une assez grande inexpérience, et, ainsi que le remarque M. Duplessis, c’est probablement pour ce motif que Ruysdael, sans doute peu satisfait de ses tentatives, n’en a tiré qu’un très petit nombre d’exemplaires. L’une d’elles, qui n’est point cataloguée dans Bartsch, n’existe qu’en épreuve unique au cabinet d’Amsterdam. Elle représente une chaumière et un hangar placés sur la pente d’une colline, avec des traits assez gauchement tracés dans tous les sens pour simuler une pluie d’orage. Dans l’autre, le Ruisseau traversant un village (Barisch, n° 7), les feuillages des saules et des autres arbres sont exprimés par un vague gribouillage dans lequel les masses restent molles et indécises. Mais déjà dans le Paysage avec un marais, daté de 1647, le progrès est manifeste. Malheureusement la planche ayant été, à la suite de frottemens, rayée de traits horizontaux, l’artiste n’en a pas non plus tiré beaucoup d’épreuves, et elles sont aussi d’une rareté extrême. Dans les Deux Paysans et leur chien, la Chaumière au sommet de la colline et les Voyageurs (Bartsch, n° 2, 3, 4), les motifs, plus pittoresques, ont été empruntés à une même contrée, qui, à en juger par le caractère de la végétation et les formes des montagnes, doit être celle du Monastère, de Dresde, et de la Forêt, du Louvre. Ruysdael atteint à la perfection dans la dernière de ces eaux-fortes ; le fouillis des arbres, et surtout le chêne mutilé, dont les racines à demi submergées plongent dans le marais, sont indiqués avec une largeur tout à fait magistrale. Une science sûre d’elle-même se cache sous l’apparent abandon de la facture, et pour pouvoir, avec cette grande tournure et cette entente des musses, indiquer ainsi en quelques traits les côtés les plus significatifs de la nature, il faut à la fois un intelligent amour de ses beautés et une connaissance parfaite des ressources de l’eau-forte.

Pour ses eaux-fortes comme pour ses tableaux, Ruysdael n’a donc pas cessé de consulter la nature, et les nombreux dessins qui nous restent de lui attestent la constance et le soin qu’il mit à ses études. Quant à peindre et à reproduire sur le terrain même les colorations réelles du paysage, nous ne croyons pas qu’il l’ait jamais fait. Tout au plus, à l’exemple d’Everdingen, lui est-il arrivé parfois de rehausser par quelques touches d’aquarelle ses dessins exécutés sur place. On a pu voir, en effet, à l’exposition de 1879, à l’École des Beaux-Arts, deux de ces études (appartenant l’une au duc d’Aumale, l’autre à M. Dumesnil) travaillées minutieusement comme dessins et simplement lavées par-dessus de teintes légères et transparentes. Mais là se bornent ses tentatives en ce genre. Est-ce à cette absence d’études peintes qu’il faut attribuer le parti-pris évident qu’on observe dans les colorations des paysages du maître ? Il serait difficile de le dire ; cependant il convient de remarquer ici que, d’une manière générale, les verts si variés et si riches des prairies et des arbres, dans les contrées du Nord, verts qui avaient été reproduits avec tant de vérité et d’éclat par les Van Eyck et leurs successeurs immédiats, ne se rencontrent presque jamais plus après eux chez les peintres flamands ou hollandais. A peine en pourrait-on retrouver la trace, fort atténuée, dans quelques rares paysages d’Adrien Van de Velde, notamment dans une Chasse où il a su rendre les végétations tendres et fraîches de la forêt au printemps, et dans plusieurs tableaux de Paul Potter, qui ont pris avec le temps un aspect bleuâtre. Soit faute des couleurs nécessaires, soit plutôt en raison de la difficulté reconnue de manier des tons qui deviennent aisément durs et criards, la plupart des paysagistes, sans vouloir imiter les colorations réelles de la végétation, en remplacent systématiquement les verts par des tons roux ou jaunâtres qu’ils opposent aux tons bleus des lointains. C’est également le parti que devait adopter Ruysdael, et l’on est frappé du contraste qu’on relève chez lui entre la vérité absolue du dessin ou des valeurs et ces colorations toujours fort arbitraires. Seulement, dans cette gamme de bruns ou il se maintient, il obtient des harmonies moins sommaires, moins monotones que celles dont s’étaient contentés ses devanciers. Avec la simplicité d’aspect qui distingue les paysages de Van Goyen, les siens ont une couleur plus plèbe et plus riche. Il aime par-dessus tout d’ailleurs ces temps gris, clairs ou sombres, qui laissent aux formes comme aux valeurs normales toute leur netteté. Ni les grâces fugitives du printemps, ni les magnificences empourprées de l’automne, ni les splendeurs du soleil à son déclin, ni les vapeurs matinales de la campagne, ni ces brouillards lumineux qui flottent au-dessus des grands fleuves dans les ciels hollandais, ne l’ont tenté. Parfois, il est vrai, comme dans un petit paysage de M. Rothan, — dans eaux du Ryks-Museum et de M. Six, à Amsterdam, ou dans ceux du comte de Lespine et du duc d’Aremberg, à Bruxelles, de la Pinacothèque et du musée de Douai (où il est catalogué Molenaer), — il nous montre l’hiver avec toutes ses tristesses : des arbres dépouillés, des roseaux jaunis qui grelottent sur les rives d’un canal glacé, ou bien les abords d’un pauvre village couverts d’une neige sale et détrempée, et quelques misérables chaumières dont les modestes fumées se dissipent dans un ciel zébré de nuages noirâtres, déjà assombri par la nuit. D’autres fois encore, plus rarement, comme dans le petit tableau qui appartient à M. le baron Lippmann, à Vienne, c’est la nuit elle-même qu’il a peinte avec son silence, ses mystères, et, sous les clartés douteuses de la lune qui s’élève au-dessus d’un colline, un étang où tremble son image et un hameau endormi dont on entrevoit confusément les maisons à travers les grands arbres d’une forêt.

Mais ce sont là des exceptions dans son œuvre ; le plus souvent, c’est la même saison, la même heure du jour que nous retrouvons dans ses tableaux : une après-midi du commencement de l’automne et des végétations mûries, avec ces teintes discrètement variées qui lui plaisaient et qu’il excellait à rendre. Dans ces conditions, sous une lumière presque toujours pareille, Ruysdael semble cependant se renouveler toujours, tant ses compositions sont variées. Et pourtant son exécution n’a jamais rien de bien rare, rien de cet entrain ni de cette virtuosité qui attirent le regard et sollicitent l’attention. A vrai dire, on ne pense guère à cette exécution, et l’on a peine à discerner tous ses mérites, tant elle est peu apparente, toujours égale à elle-même, serrée et soutenue. Sans trace de hâte ou de fatigue, sans défaillances, sa touche accuse nettement les différences essentielles des objets. Si elle a plus de plénitude et de force que d’abandon et de souplesse, rien n’égale sa sûreté. Il faut copier un paysage de Ruysdael pour savoir tout ce qu’elle vaut, et la comparer à celle des autres pour apprécier son excellence. Vous vous sentez avec lui en présence d’un de ces hommes vraiment supérieurs qui, peu empressés à se produire, restent avant tout simples et naturels. Leur conversation ne vous frappe guère au premier abord, privée qu’elle est de ces traits piquans qui foisonnent chez les gens d’esprit. Peu à peu cependant, vous êtes surpris de la signification qu’ils donnent à leurs moindres paroles. Les idées qui chez d’autres passeraient inaperçues acquièrent sur leurs lèvres un intérêt particulier, et les vérités qu’on serait tenté de traiter de lieux-communs, exprimées par eux, reprennent leur saveur et leur prix. Tout se tient, tout est clair, solide, substantiel dans leur langage, et la force morale, qui est le privilège d’une nature robuste et saine, prête à leurs entretiens une éloquence significative. Tel est le charme austère de Ruysdael, tel est le secret de l’irrésistible autorité qu’il prend sur vous et qu’un long commerce ne peut que rendre mieux assurée.

Mais peut-être le mérite de la composition est-il chez lui supérieur encore à celui de l’exécution. Certes, le pays qui l’a inspiré est pittoresque et plein de caractère. Tandis qu’en d’autres contrées il semble que le hasard règne en maître, qu’on y cherche vainement un plan et un ordre suivis, ce pays par lui-même est déjà une œuvre d’art. Tout y paraît logique ; on dirait que tout y répond à un dessein qui se marque nettement. Mais bien d’autres que Ruysdael, parmi ses prédécesseurs ou ses contemporains, ont été sensibles à ces beautés et ont trouvé dans ces campagnes des motifs pareils à ceux qu’il a traités. Wynants, qui, peu après Van Goyen et Salomon Ruysdael, fut aussi un de ses devanciers, et, parmi ses contemporains, d’autres paysagistes moins connus, comme Frans de Hulst, Roelof de Vries, Cornelis Dekker, H. Verboom, J. Van Kessel et G. Dubois, qui, par leur naissance ou leur éducation, se rattachent à Harlem, présentent, il est vrai, avec Ruysdael plus d’une analogie, soit dans leur exécution, soit dans le choix de leurs motifs. Mieux qu’eux encore, Myndert Hobbema, que l’on croit avoir été son élève[18], et qui a aussi reproduit souvent les mêmes sites, a pu passer pour son rival. On sait la vogue extrême dont jouissent aujourd’hui les œuvres d’Hobbema, vogue que justifient quelques-uns de ses meilleurs ouvrages, comme le Moulin, du Louvre, et l’Allée de Middelharnis, de la National-Gallery. Mais, à côté de ces réussites passagères, combien de productions inégales, incomplètes, dures ou monotones, médiocres ou insignifiantes on pourrait citer de lui ! Chez Ruysdael, au contraire, quelle fécondité et quelle perfection ! Toutes les qualités qu’il faut chercher éparses chez les autres, avec quelle constante supériorité il nous les montre réunies ! Cette nature si particulière, avec quelle intelligence il l’a interprétée ! Alors que trop souvent les tableaux de ses confrères sont comme découpés au hasard dans la campagne, chacun des siens est un tout, arrêté d’une manière précise dans sa silhouette, solidement construit par l’effet et par la franche répartition des masses. L’aspect, toujours très puissant, résulte de la forte unité de l’œuvre. Bien que nombreux, les détails restent subordonnés à l’ensemble ; ils se conviennent, s’accordent et se complètent mutuellement : leur extrême netteté ne fait qu’ajouter à l’impression. L’artiste, d’ailleurs, n’enferme pas dans une œuvre plus d’intentions qu’elle n’en peut contenir ; sa fécondité même le préserve d’une concentration ou d’une complexité excessives et, dans cette gravité qui est la note dominante de son talent, il sait réunir une foule de nuances prochaines et cependant variées.

Pour comprendre ainsi la poésie d’un pays, pour l’exprimer avec cette puissance, il faut avoir appris à le bien connaître. Ruysdael y était né, il y avait vécu et ne s’en était jamais beaucoup écarté. A l’exemple de Rembrandt, qui aimait souvent à se prendre lui-même pour modèle, nous l’avons vu chercher autour de Harlem ses sujets d’étude habituels. En parcourant cette campagne, il lui arrivait souvent de s’y rasseoir aux mêmes places pour y recommencer les mêmes tâches. La fièvre de nouveauté, qui avait emporté tant d’autres de ses confrères vers l’Italie, ne l’avait jamais pris ; à tant courir et à se disperser ainsi, on ne peut guère approfondir. Pour lui, il était resté dans sa contrée natale ; il la connaissait sous tous ses aspects, à toutes ses heures. Loin d’en être lassé, il y découvrait chaque jour des beautés nouvelles. S’il l’avait un moment quittée, c’était pour y revenir plus épris. Sa vie se trouvait comme mêlée à cette nature, et il n’était guère de coin qui ne lui rappelât quelque cher souvenir. Exempt de ces hésitations et de ces recherches inquiètes qui, en des pays qu’il n’a pas pratiqués, empêchent souvent l’artiste de se fixer pour s’absorber tout entier dans une œuvre caractéristique, il pouvait, sans épargner ni son temps ni sa peine, profiter des précieuses ressources qu’il avait sous la main. Ainsi poursuivies, ces études lui permettaient de pénétrer toujours plus profondément le sens de cette nature aimée et d’en imaginer des interprétations plus expressives.

Peu à peu, qu’il le sût ou non, il avait consacré dans le paysage une poétique nouvelle. Ce n’était plus seulement le plaisir des yeux qu’à son exemple ses successeurs allaient y chercher. Suivant l’idéal que, plus d’un siècle après, Goethe devait se proposer, il leur fallait désormais dégager des entrailles mêmes de la réalité tout ce qu’elle contient d’intime poésie. On avait pu jusque-là, dans des contrées réputées plus pittoresques, rapprocher arbitrairement les uns des autres les accidens variés qui y abondent, et, en les groupant sans grande vraisemblance, viser surtout à des aspects décoratifs. Claude, mieux qu’aucun autre, y avait excellé. Avec une perfection désespérante pour ses imitateurs, il avait exprimé, sous les splendeurs de la lumière du Midi, le charme des vastes perspectives, la grâce de cette mer paresseuse qui, par une suprême caresse, vient expirer au pied des grands palais, la superbe élégance de ces arbres majestueux dont les cimes élevées s’épanouissent dans une atmosphère toujours sereine. Ruysdael vivait au milieu d’une nature plus modeste et moins clémente. La mer, dans ces pays du Nord (en Hollande surtout), a des sauvageries singulières. Derrière ces misérables défenses qu’on oppose à ses fureurs, dans ces chaumières basses et mal protégées, on passe parfois des nuits anxieuses à veiller contre cet ennemi toujours menaçant. Cette eau épaisse des rivières ou des fleuves hollandais, c’est le sol même du pays qu’elle délaie et qu’elle charrie, tandis que, poussé par le vent, le sable des rivages porte devant lui la destruction. Les arbres, là aussi, sont la parure du paysage ; mais on sait mieux ce que vaut cette parure, ce qu’elle coûte de temps et de soin. Ce n’est point sous ce rude climat que vous rencontreriez parmi eux ces silhouettes arrondies, molles et indécises, de l’arbre italien tel qu’après Claude et Poussin l’école académique allait nous le montrer, arbre banal, aux contours prévus, passé à l’état d’abstraction, qui sert de coulisse, qu’on déplace à volonté et qu’on accommode aux besoins de la composition. Chez le paysagiste hollandais, non-seulement les essences sont nettement spécifiées, mais chaque individu a sa physionomie propre résultant des conditions mêmes de sa croissance, du sol où il est attaché, de son orientation, de ses voisinages : chacun à sa manière raconte son histoire. Comme les arbres, les herbes, les terrains, les moindres élémens pittoresques sont façonnés par ce milieu très particulier dans lequel tout se tient, et où les forces de la nature, toujours impétueuses, règlent et modifient les formes, les couleurs et les harmonies. Qui songerait à faire intervenir les héros de l’histoire ou de la fable dans un pareil milieu ? Quelle place y pourrait-on trouver pour les fêtes ou les joyeux cortèges dont les amours mythologiques ont si souvent fourni aux peintres l’occasion ? Les seuls êtres humains qui puissent y figurer, des matelots, des pâtres, des paysans ou des promeneurs, y semblent bien chétifs, bien petits. Dans les meilleurs ouvrages de Ruysdael, l’homme est donc peu apparent, souvent même il est absent.

C’est ainsi que, par une série de transformations successives, le paysage était arrivé au terme extrême de son développement. L’homme, qui seul autrefois remplissait l’art, en avait été graduellement évincé par la nature. Au début, celle-ci n’apparaissait que timidement, souvent même symbolisée dans ses grâces ou ses énergies par des types convenus ; mais peu à peu son importance avait grandi, et de plus en plus sa représentation avait gagné en réalité et en précision. Avec Ruysdael, le jour était venu où, se suffisant à elle-même, elle s’était complètement substituée à l’homme, et celui-ci avait disparu. Et, cependant, cet art où on ne le retrouve plus, c’est pour lui qu’il est fait, c’est à lui qu’il s’adresse, c’est lui qu’il rend juge de ses efforts et de sa perfection ; et même, à le bien prendre, c’est toujours lui qui l’anime. Il s’était dégagé de la nature pour la maîtriser ; il avait asservi et plié à son usage les mystérieuses puissances de l’univers qui faisaient d’abord son épouvante. Mais la nature ainsi domptée se venge à sa manière ; elle reprend par mille charmes secrets son vainqueur, elle l’enlace dans ses liens et le rend esclave de ses beautés. Lassé de ses semblables et de lui-même, c’est vers elle qu’il va se tourner pour se perdre et s’écouler en elle. Il l’associe à sa vie, il croit qu’elle compatit à ses peines ou qu’elle partage ses joies, qu’elle les raille ou qu’elle les insulte ; il la remplit de ses souvenirs, il lui confie ses désespoirs ou ses amours, il lui prête tous ses sentimens. Un nuage au ciel, un bruissement de feuilles, le flot qui se soulève ou qui meurt à ses pieds, voilà de quoi l’émouvoir et provoquer au fond de son être des résonances qui sont sans doute dans l’harmonie des choses, mais que son imagination maladive et fatiguée exalte à plaisir, quand elle ne les crée pas de toutes pièces. Et cependant, encore qu’on l’ait décrite à outrance, peinte dans tous ses aspects, mêlée à des situations où elle n’avait que faire, elle restera toujours la source de bien des impressions saines et vivaces. C’est elle qui repose les forts du combat de la vie, et près d’elle les endoloris, les blessés retrouvent quelque chose de la paix qui les avait fuis.

Appelé à ressentir avec une vivacité plus puissante des séductions qui ont décidé de sa vocation, le paysagiste n’a pas seulement à en subir le charme, il doit l’exprimer. Par quels secrets ressorts pourra-t-il communiquer ce sens caché des choses qui l’ont ému ? Comment, sans se perdre dans ces mille détails, leur donnera-t-il la vie, la signification qu’ils comportent ? Dans cette diversité extrême qui fait la richesse de la nature, quels traits choisira-t-il ? Suivant son sujet, lesquels sont essentiels et mettront le mieux en lumière les côtés saillans de ce sujet ? Il y a là une lutte de tous les instans où, bien souvent, les plus habiles confessent leur impuissance, trouvant à chaque œuvre nouvelle, avec des problèmes différens, des difficultés égales, en présence desquelles un amour constant et une étude assidue de leur art peuvent seuls les soutenir.

Dans cette tâche pleine à la fois de tant d’attraits et de déceptions, le commerce de Ruysdael est fortifiant. Il y a toujours à profiter avec lui comme avec un des tempéramens de peintre les mieux équilibrés et les plus complets. Pas plus que le talent, la pensée n’est jamais absente de ses œuvres. C’est elle qui, après avoir fixé le choix du sujet en a déterminé le caractère et prescrit les moyens d’exécution le plus propres à faire ressortir l’impression. Toujours présente et toujours cachée, la pensée préside chez Ruysdael à toutes les phases de cette œuvre, depuis sa conception jusqu’à son entier achèvement ; elle assure ainsi sa parfaite unité. Cette force d’expression qu’il a enfermée dans tous ses ouvrages, aucun paysagiste de l’école hollandaise ne l’a possédée à un degré pareil. S’il en est qui peignent aussi bien que lui, si quelques-uns ont plus de dextérité, des qualités plus brillantes, il n’en est pas qui ait atteint cette élévation de style, si par là il faut entendre l’accord intime de la pensée avec la forme qui lui convient le mieux.

Mais un tel art était trop en dehors de toute tradition reçue pour être goûté à cette époque. Bien avant que J.-J. Rousseau donnât chez nous dans les lettres le branle au sentiment de la nature, Ruysdael en avait montré dans sa peinture la plus éloquente expression. Devançant ainsi l’éducation du public de son pays, il devait rester ignoré de lui et mourir comme Rembrandt dans le dénûment le plus complet. Cet amoureux de la campagne et de la vie au grand air allait s’éteindre dans la tristesse et la réclusion d’une chambre d’hôpital. Mais peut-être les rigueurs de sa destinée et cette obscurité d’où il ne sortit guère ont-elles contribué à développer son talent. Pour certains artistes plus profondément épris de leur art et qui se sont donnés à lui sans partage, il semble, en vérité, que le génie soit fait de souffrance et qu’il doive payer sa rançon. Les amertumes ne furent pas épargnées à Ruysdael, et cette nature du Nord, dont il nous a montré la mélancolie et les rudesses, s’accorde de tout point avec une existence aussi tourmentée. Doux et modeste comme il l’était, il ne paraissait pas fait pour les grands succès ; ce n’était cependant pas un misanthrope, et ses amitiés, sa générosité pour les siens, témoignent de la bonté de son cœur. Mais si, avec sa réserve et sa pauvreté, il ne se sentait pas toujours à l’aise au milieu des hommes, il reprenait en face de la nature la pleine possession de lui-même. Avec quel intime contentement il retrouvait cette amie éprouvée ! Quel accueil elle réservait à ses disgrâces ! Dans ses longues séances d’étude et de contemplation, que de pensées échangées avec elle ! Parfois trop vagues pour être dites, elles se seraient mal accommodées de la précision du langage ; mais son art leur prêtait une voix touchante et des nuances d’une délicatesse infinie. Aussi ce grand méconnu s’absorbait-il toujours plus dans cet art, et il lui demandait les consolations que lui refusait sa destinée. Sans céder au découragement, il continuait jusqu’au bout à peindre ces paysages austères qui ont rendu son nom immortel. Il y mettait, avec son talent, son âme tout entière. Cette âme vit encore dans ces œuvres qu’il faisait pour lui-même et dont notre époque seule devait apprécier toute la valeur. Avec une poésie communicative, elles nous associent aux douloureuses confidences de celui qui fut certainement, après Rembrandt, le plus grand artiste de la Hollande.


EMILE MICHEL.

  1. voir, dans la Revue : le Paysage dans les arts de l’antiquité et les Commence-siens du paysage dans l’art flamand (15 Juin 1884 et 15 août 1885).
  2. Pour trois d’entre eux du moins, car, ainsi que Van der Willigen, il croyait que trois seulement avaient été peintres.
  3. Une variante un peu modifiée de ce tableau, antérieure de quelques années (1655), a été également léguée au musée d’Amsterdam, en 1880, par H. Van de Poil : elle est aussi très remarquable, mais cependant de qualité un peu moindre.
  4. Suivant l’usage hollandais, on les distinguait par les noms de leurs pères, qu’ils joignaient aux leurs : Jacob Isaacszoon (fils d’Isaac) et Jacob Salomonsz. C’est ainsi qu’ils ont signé eux-mêmes au contrat de mariage de ce dernier, d’après l’acte récemment retrouvé par M. Bredius, et qu’il a bien voulu me communiquer.
  5. Quatre au musée de Bordeaux, l’un daté de 1669 ; un à Cassel, un chez M. le conseiller Pfeiffer, à Stuttgart, un autre à Prague, chez M. D. Toman.
  6. Celui de Beaumont-House, ceux de l’Ermitage, datés : l’un (n° 1143) de 1646, et deux (n° 1139 et 1148) de 1647 ; un autre au musée d’Anvers (n° 320), et un au musée de Nancy (n° 240), tous deux de 1649, et d’autres encore au musée du Mans (N° 227), au musée de Berlin (n° 899 C), et au musée de Bruxelles (n° 423), qui nous paraissent de cette époque.
  7. voir, dans la Revue, l’étude sur les Musées de Munich (15 décembre 1877) ; dans le troisième chiffre du millésime de ce tableau, chiffre à moitié effacé, on peut aussi bien lire un 4 ou un 6.
  8. Voir à ce sujet la brochure : Allart Van Everdingen ; Catalogue des estampes qui forment son œuvre gravé, par W. Drugulin. Leipzig, 1873.
  9. Le grand nombre des tableaux de P. Molyn qui se trouvent en Suède, tandis que ses œuvres sont d’une extrême rareté dans le reste de l’Europe, nous semble également une confirmation de son séjour dans le Nord. Les dates que nous donnons s’accorderaient assez, du reste, avec l’apparition un peu postérieure des paysages norvégiens dans l’œuvre de Ruysdael.
  10. Le musée Teyler possède aujourd’hui ces dessins, qui ont été gravés en 1670 par Blotelingh.
  11. Voyez la Revue du 1er mai 1882.
  12. L’œuvre a, par malheur, beaucoup souffert ; elle gagnerait, en tout cas, à être débarrassée des traces nombreuses de repeints déjà anciens qui, ayant beaucoup noirci, font aujourd’hui autant de taches.
  13. Le musée d’Amsterdam, celui de La Haye et la collection de M. Holford, à Dorchester-House, possèdent d’excellens spécimens de ces Dunes d’Overveen, dont on peut voir aussi à la galerie de Berlin deux remarquables exemplaires.
  14. Le musée de Copenhague possède un tableau dont le motif est presque pareil et la valeur à peu près égale.
  15. On compte, en effet, parmi les paysages de cette catégorie, des tableaux appartenant à M. Six, au comte Ellesmere, à sir Richard Wallace, deux à lord Overstone, d’autres à la National-Gallery et aux musées de Bruxelles, de Dresde, de Berlin, de Vienne et de Saint-Pétersbourg.
  16. Deux petits personnages placés vers la droite, l’un assis et dessinant, l’autre debout, à côté, et lui indiquant de la main un point de l’horizon, sont tous deux d’une désinvolture et d’une exécution très élégantes. En y regardant de près, on peut se convaincre qu’ils ont été ajoutés après coup, et y reconnaître la main d’un artiste du siècle dernier ; les deux figures portent d’ailleurs le costume de cette époque.
  17. Les Eaux-fortes de Ruysdael reproduites par Amand-Durand, texte par G. Duplessis, directeur du Cabinet des estampes, 1 vol. gr. in-4o ; Paris, 1878.
  18. On a constaté qu’au mariage contracté à Amsterdam, en novembre 1668, par Hobbema, alors âgé de trente ans, un certain Jacob Ruysdael figurait comme témoin ; mais, bien que la chose soit probable, rien ne prouve d’une manière absolue qu’il s’agisse ici du célèbre paysagiste ; puisque, sans compter son cousin, le fils de Salomon, il avait alors à Amsterdam plusieurs homonymes.