J’il de noir/Texte entier

  Table des Matières  
Cosmo (p. cov-).

DIFFUSION

Éditions Cosmos
C. P. 1175, Sherbrooke, Que.
C. P. 380. Succ. Snowdon, Montréal, Qué.

Éditions de l’Hexagone
1247, rue Saint-Denis, Montréal 129. Qué.

Éditions Parti Pris
B. P. 149, Bureau N, Montréal 129, Qué

Librairie de la Cité Universitaire
Cité universitaire. Sherbrooke, Qué.

COMMANDES

Éditions Parti Pris
B. P. 149, Bureau N, Montréal 129. Qué.

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Tel. (514) 523-1182


J’ IL DE
NOIR


RELANCES

1. Cloclophile. Fantaisie en sept chants, de Jean A. Turcotte.
2. Guipure et courtepointes, Poèmes, de Marcel Portai.
3. Lettres du Canada, de Bernard Wilhelm.
4. J’il de noir, Poésie, de Gaston Gouin.
5. Cho’ Qua’n, Récit, de Michel Fougères.
6. Sphère armillaire, Poèmes en prose, de Reine Malouin.


Ce recueil posthume de Gaston Gouin est publié en
coédition, Cosmos, l’Hexagone et Parti Pris.
Gaston Gouin
J’IL DE NOIR
Poésie
Illustrations par le poète
Cosmos L’Hexagone Parti Pris


Ce recueil a bénéficié d’une subvention
du Conseil des Arts,
au titre de l’aide à l’édition.
Dépôt légal, 3e trimestre 1971, Bibliothèque nationale du Québec.

© 1971 by Éditions Cosmos, l’Hexagone et Parti Pris.
Dépôt légal, 3e trimestre 1971, Bibliothèque nationale du Québec.
Tous droits de traduction, de reproduction, même partielle et
d’adaptation réservés pour tous pays.


PRÉFACE


Les poètes restent parfois coincés, coincés dans leur bitume et leur mécanique, coincés entre les mains de praticiens rouges et quelquefois, même les larmes ne peuvent plus les désaltérer.

Et dans ce pays coincé qui est nôtre, Gaston Gouin a été débouté comme les querelles qui nous habitent. Il nous résumait tous, nos fols espoirs et nos révoltes ; à la fois étudiant, professeur, journaliste, patriote militant et perpétuellement poète torturant et torturé, dit et contredit.

Il incarnait singulièrement le québécois quotidien : tributaire à la fois de la mentalité urbaine et rurale, continuellement mobile et d’une haute capacité de conscience de soi, mais aussi spontané, direct, engagé, profond. Un pur produit de cette décade bouleversante.

Il aura été terriblement ce que pouvait notre époque : un homme profondément désaccordé. En lui triomphait et perçait le faisceau de puissance et d’identité alors que ce qu’il était lui-même demeurait caché. Et cette dislocation n’était pas un des moindres éléments de sa force, quand elle le conduisait à l’action ; hors de l’action, l’albatros s’exaspérait au sol, aspirait à l’infini. Ce qui, sans qu’il s’en rendît pleinement compte, le fascinait, c’était l’existence de ce double intime et secret dont l’absence, la violation lui étaient intolérables et cette densité invincible concourait, de son vivant même, à créer autour de lui un certain mythe.

De fait, son cheminement nous exaltait tous. Sa recherche obsédante d’une identité profonde et intégrale de lui-même, lui apportait, depuis peu, une lueur au-delà de ce qu’il avait requis successivement de l’action et de l’art : vaincre le sentiment de dépendance de l’homme.

Il se savait terriblement mortel et n’avait que faire de la sérénité ; la sagesse échoue à la vieillesse… En lui, le corps ou l’esprit était incurable. Il ne cherchait pas la sérénité, mais l’invulnérabilité. Il s’est brûlé avec ce qu’il voulait brûler en lui et il flamboie de sa métamorphose en communion.

Son terrible orgueil découvrait, sinon de l’humilité, du moins un goût violent et intermittent de simplicité, tantôt par discipline, tantôt par sensibilité. Chez lui, l’horreur de la respectabilité côtoyait naturellement son dégoût de la propriété, de l’argent. Jusqu’à l’extrême, il a vécu passionnément… l’amour fou.

Jamais il ne cherchait un apaisement, mais une victoire, une paix conquise. Pour lui, il était quelque part un Absolu, et toujours, perpétuellement, il vivait en quête de ce Graal inaltérable. Où se trouve cet Absolu, dernière instance de la grandeur de l’homme, qui réfuterait un certain sentiment de lourde dépendance et nous donnerait la paix… l’amour ?

Ô ce destin enfin raccordé à lui-même !

Gaëtan Dostie


P. S. Gaston Gouin avait déjà porté ce manuscrit chez son éditeur, avant sa mort tragique. Il nous avait abondamment parlé de la réalisation de ce recueil et nous avait à nouveau demandé de le seconder comme nous l’avions fait pour Temps Obus. Nous nous sommes fait un devoir de respecter sa volonté et, par-dessus tout, son œuvre.
G. D.





Mais il reste son nom gravé sur un vieux tremble
au milieu des érables
au milieu des vivants

Les morts font leur chemin
dedans nos mémoires
et glissent sur nos vies
comme des billots sur la neige
tirés par l’attelage

Avril 1970


Gaston Gouin
Mais il reste son nom gravé sur un vieux tremble

J’IL DE NOIR…


j’en ai trop pris de ce soleil de minuit
qui rassemble les pôles

ont fondu mes diamants
mes glaçons-cierges

je n’ai plus le pouvoir du feu
de foi neuve à vous donner
mes beaux semblables
à qui jadis je distribuais
comme l’or
des étincelles de ma lumière

comprenez mon désastre

je suis un glacier naufragé
dans l’air du nord
et je ne trace que ma trace
sur cette terre de roc
car de charbon mon cœur de glace
n’a pas voulu se consumer
avec l’écorce

et mis à nu j’il passe
et trace un sillon noir
un long serpent de deuil sur votre neige

pouvez mesurer la distance de ma vie
le long silence d’un astre éteint
et seul
pouvez sonder les profondes blessures
d’un glacier qui passe
dans des prairies d’étoiles
à l’âge du soleil

On n’en finit plus de bouffer du chant de petits oiseaux.

VOYAGE AUX ANTIPODES (EXTRAITS)


(musique)

il y a quatre guitares qui chantent dans ma soupe comme du fond de la mer jouent au sexe-cerceau la vase et le lichen
…et la parole est aux oiseaux : les vers sont des oiseaux qui s’arrachent les plumes… sont partis sur un fil exploiteur (s) d’énergie

blanc de terre
et claire de plume
avec bouleaublanc blanc
* * *
pourquoi tant de bagues enchaînent
la vase et le lichen
comme des rubans de mitraillettes
puisqu’il
faut tuer les enfants ?

pourtant :
j’entends gonfler les ventres creux des draps
comme la suie étendue sur des gazons où oui où
le sang n’en finit plus de pleuvoir comme du poivre
sur un amas de mie de pain

et tant de pianos qui crèvent d’une mauvaise grossesse
où l’on se roule dans des cordes de guitares avortées

pourtant :
on n’en finit plus de bouffer du chant de petits oiseaux [1]

des pianos s’échouent comme des barques usées
sur des amas de planches qui cachent des cadavres
ne peuvent pas s’encercueiller
avec trois trous de tarrière
pour les yeux
et le nombril
endroits par où l’on tue
les hommes fatigués jusqu’à la mort
et les hommes sont des coffres vides
que longuement l’on traîne
sur du béton usé
dans un bruit de ferraille
et de freins qui enterrent
la faim des enfants et des vieilles

ces bruits toujours de portes rouillées
et qui verrouillent des cercueils
fermés amours perdues
des mères adultères
des pères délaissés
des enfants refusés
des femmes parfois  aimées
* * *
un piano tombe d’une planète
dans la carrière aux pierres cassées
et les canards dansent sur des crânes
de chevaux et de cavaliers
tombés dans ce champ chaud de l’honneur
de plume
de cap et de verglas
et les pianos-noël
et les pianos-noëlsonnent le glas
et les pianos-noëlsonnent le glasde trois siècles abîmés

où ont tenté de faire l’amour
où ont tenté de faire l’amourtrois millions de nos frères
et tant de chevaux morts
et tant de blessures lavées dans un gué à passer

RAPPELEZ-NOUS DE SOUVENT RIRE
POUR ÉLOIGNER L’ENVIE DE VOMIR[2]
* * *
entraînez vos enfants au bout d’une perche très longue
parce qu’on ne lave pas des enfants qui ont faim
ils peuvent salir les odeurs de vos cuisines frottées à l’ajax

rappelez à vos enfants de garder les mains propres
parce que des enfants qui tombent sous des raffales de mitraillettes
peuvent tacher les marches de marbre de vos palais de justice
* * *
j’entends cracher les trains qui font une traînée de bruit
et salissent la nuit d’encre
où forgent des géants à fourchettes
qui se lamentent dans les tuyaux d’égout

aux égouts les marmottes
les vermicelles et les magots
pas de place non plus sur les bords de trottoirs
pour les ballons d’enfant
* * *
on scie les os d’un crucifié dans ma tête
avec des épées ébréchées par le granit


…Rappelons-nous de souvent rire
pour éloigner l’envie de mourir.

qu’on a fendu durant des siècles
pour dresser des tombeaux aux rois
on les a placés là
en veilleuse
dans le même pot le bon grain et l’amour
et les enfants des peuples hier encore au berceau du monde
iront se perdre la falle[3] en l’air manquant de grain
dans le ventre des cratères
dans le ventre des planètes encore insoupçonnées
caches des dieux qui errent parmi les hommes
* * *
aurez beau croire qu’un canard ne souffre pas quand on l’égorge
le bruit terrible qui se fait dans sa tête quand on attaque
l’os du crâne avec la scie mal affûtée
est supplice plus universel
que de peigner les plumes du canard
avec les lames de rasoir
parce qu’un canard soupire à la porte d’un aquarium
pendant qu’on envoie les messages en code du côté de toutes les portes
capitonnées de fer
dans les salles d’attente
où des femmes attendent pour accoucher
* * *
on monte les étages d’un peigne
et la locomotive prend le réseau de tous les aiguillages

et j’entends la fumée mordre l’air
et les géants se peignent
et j’entends les fléaux passer
près de mon pouls
un enfant grince et ne veut pas casser
c’est le rire sinistré d’une bécasse
qui fait l’amour dans les joncs
sans se soucier de la battue qu’on organise
avec tambours et faux
et je la sais couler à-pic
dans un égout sans grille
où il s’ouvre une porte du côté de l’enfer
où j’entends l’explosion de millions dé pas perdus
qui vengent un temps trop longtemps plongé dans le silence
la mort
UN POINT PERCEPTIBLE entre le ciel et l’enfer


Sherbrooke et ailleurs
ce 13 juillet 1969

HAWAÏ RÊVÉ


Pour monter


la magnifique topless des neiges assise sur son crâne faisait pipi dans les cordages échelles va-petit-mousse sur les éléments plastiques des nuages qui portèrent très haut mon cul buté sur les poubelles des plus belles femmes indolentes souffrantes lentes…

crachez crachats longs moments dans les fesses de ma maîtresse couchée dans les rames attendant le métro et vive les phosphores en pouls électroniques augmentés à largeur de trépas


Couche couche couche les échelles échevelées qui font danser les grands trains bleus vers la large liberté

jusqu’aux chemins croiseux qui cahottent derri-berri la grange

la liberté un long cri à perdre haleine dans les laines des côtes

Je roulerai et m’enroulerai dans les foins blonds sous le rire crispé des vaches aux champs

Mangez broutez tuez… Dieu des vôtres demain demandera la monnaie de vos bavures, du chant de tout grillon tu sous les hautes futaies

Prenez putain et comptez tous ses os

un soir peut-être comprendrez-vous que i’ostie roule dans la direction folle des ponts bleus qui coulent versent et croulent, boulent hersent et roulent, houlent percent et boulent dans les eaux du Saint-Laurent

maintenant consentez à partir à marcher au martyre de la raisonneuse

nous nous retrouverons tous au même coin de rue

vos conforts confortables qui coulent dans les bords futaisés des cris dévastés par les lâches cravaches : mangez sacraments vos langues de cochon conservées dans le formol, avec les bébés mal-venus de l’Hôpital Saint-Vincent de Paul

oui la liberté est un grand cri dans les côtes depuis que la terre est monde

la liberté se bave dans les crachats des rues et des ruelles qui convergent vers McGill

la liberté est cervelle brûlée sur le pavé étroit poêle froid

la liberté utopie quand elle fait désespérer de l’impossible et fait croître le possible jusqu’au cri-unisson d’une foule en délire

je-il ici est un prétexte, un graal poétique… prétexte à dégorgianter comme savant qui cherche l’impossible en l’appelant « Dieu » ou « Chien, come in »

c’est comme en prendre à deux mains dans la nuit des étoiles ou des moustiques

il faut verser de pleins chaudrons de cire bouillante dans les trous de fourmis montés comme des vulves sur la planète terre dimanche tout le temps dans les poulies

il faut laisser dieu dans la lune pour les Américains

de grands cratères pleins d’oxygène pour épis indigènes broyés jusqu’aux racines dès la graine la plus friable : NOUS

je sais je-il est un grand poète un féroce qui tord sa langue de pluie varte sur de grosses criss de corvettes bleues bleues bleues bleuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuues stie !

les pearson-nixon-johnson & sons sont aussi de grands poètes frères du hibou comme qui dirait des complices de la nuit : y a comme qui dirait deux immenses lunes sur un ciel unique qui jouent à jouer avec le sang coagulé, tous ces mauvais crachats couchés, des pans entiers de drapeaux trempés dans l’huile de drapeaux kakis, képis, crépus

nuit de terreur de la Terreur Essentielle où même le désir du poème a fui : et c’est moi la bête désemparée lâchée nue devant l’orage qui monte

et mes paroles sont des feuilles de thé au fond de la coupe pleine à déborder comme la mer est grande, vulve béante, essentiellement vulve qui broie jusqu’au désir de dire

oui la mer-mère ou mère-mer, la large sommeilleuse

je-il est frère du hibou du vrai et faux hibou qui mord sur la nuit comme un torchon à la lune

et son écho perd tout désir de signifier


le bruit se mêle au désir de ses plumes

son rythme gît au fond dans l’huile comme mèche de lampe qui n’arrive pas à prendre le désir d’envol du papillon couleur de froide audace

et c’est mêler avec la nuit le désir de forêt comme agiter le mythe creux de California où la nuit est bandeau mis sur les yeux du jour dans les remous de ton silence je voyage dans les spirales et les lianes en buées qui vous mènent jusqu’à un fond de vase où croupit avec le désir je-il qui te fond et te confond avec la mer avec la terre de la mer un limon mal venu de glisser dans la néance liquide des eaux nécessaires mais néfastes

je-il n’est que l’os ; il reste à dire les conditions de ton existence

et soudain au cœur même du poème j’entends « you spent all summer getting a tan now kup it with go-bronze by estée lauder » et je passe de la nuit au jour et du nord à California

et je n’entends pas les cloches de Pâques et les airs de Noël dans les mots de je-il

il peut harponner les étoiles je voudrais saisir dieu entre le pouce et l’index

c’est comme cela que la nuit prend fin sous les désirs rapprochés de je-elle

JE EST GAUVREAU[4] (PARAPHRASE)


 « Hommes, hommes soyez généreux. Ayez pitié de ceux qui labourent la vie.

Les cerceaux s’entrecroisent, la larme éclôt dans la stupeur[5] »


Dormir ?

Avoir pitié des loups et des moutons en même temps…

Les loups labourent les victimes qui labourent de leurs griffes mal affûtées les pavés durs.

Avoir pitié de celles qui portent des brassières étoilées ?

Parlez-moi des ordures, des ordures ambulantes, souveraines des ruelles…

Ayez pitié des hommes, entre vous, dans leurs dires…

Ne prenez pas la stupeur pour un mauvais sourire…


Un sein pendant n’est pas un aguichant appât mais une NÉCESSITÉ

Bien sûr : « L’armure de poils ne suffit pas. »

Car songez à tous ces désarmés qui coulent dans les rues déguisées en vingt-quatre juin… la laine ne protège pas des clous cloués dans les tibias… car les chiens n’entendent pas la Prière pour l’indulgence

Et ce sera pourtant demain vos enfants de chiennes qui auront les coups portés bas dans les tibias alors que vous, vous jetterez vos regards de grands-pères comme des draps mouillés pour taire l’incendie dans nos mots-tempêtes-obus.

« Une rose avait pleuré et des hommes avaient connu la tempête dans leur poitrine. » Un enfant a été écrasé… par la colère… et au bout de leurs poings.

le sang est tombé comme tempête qui crève

à nouveau sortir le cri du bois comme bête traquée et forger la colère dans les cœurs des campagnes

et l’homme seul expirer au bout de sa colère vaine dans le fossé sans pitié

« Un cor avait appelé Roland » et les cloches aux clochers des églises jadis (1837) ont appelé les Patriotes au combat

« les pointes de lances en rangs serrés » n’ont servi qu’à grossir la flambée

et nous, on nous dira que la Rébellion est entrée en nous jusqu’aux os jusqu’à tache-d’huiler l’écran de nos rêves collectifs…


« Les moujiks ne veulent pas comprendre quand je leur dis que les dieux vivaient dans l’air et expiraient dans la tête », et les vautours et les chacals de l’Histoire disent les dieux de leur côté, un dieu « made in usa »…

et ici les corneilles chassent l’espoir que l’oiseau fasse son nid dans nos cheveux

qu’ils le gardent leur dieu ; cet aigle mourra au bout du temps des cerises quand les cerisiers auront vécu l’automne de leur fécondité

ils en ont mis plein les yeux jusqu’à tuer la vie et la liberté désormais basculées dans le soir

et même notre langage a faussé son orbite parce que je-il est sourd

et la mort est un possible à naître et la mort sort de la gueule de nos mots

Et ce « monde mort flotte » comme flottent les mots sur le canal, égoutte de notre sang des pancartes brûlées, nécessité de flotter le bois mort jusqu’à la consommation du siècle et je balustre comme il faut pleuvoir et aboyer un chien mord

UN OISEAU…

un oiseau n’arrivait pas
à s’arracher de mes tripes
à s’en aller se perdre dans la Tourmente
le peuple de la nuit se tordait de douleur dans la pénombre de Montréal
je l’ai vu
le malin se lever sur la mer nos champs de neige que cela était beau

car le monde est un fruit deux morceaux d’une même pomme
dans l’ombre et dans le soleil
mon cœur de pomme ressent encore ce grand chaos à travers la nuit qui navigue jusqu’au jour
dans le fruit un ver se tordait en faisant son chemin tel un clou dans la pulpe de l’arbre

la nuit n’est pas pourrie quoi qu’on dise elle doit être mangée et le fruit doit pourrir pour que les pépins
prennent de l’aile et fassent un arbre

tous les fruits
toutes les nuits sont bonnes
il faut les laisser croître jusqu’à la moisson de peur de
voir toute la récolte tomber avant l’heure sous la faux
car la rouille même la rouille n’a pas d’hérédité
vient sur le fruit quand le temps est mauvais

à minuit dans cette boîte de Montréal une nymphomane
collait une ventouse à tous ces corps d’adolescents
il y avait dans cette boîte de minuit de Montréal un petit bum en érection des pieds à la tête
de toutes ces femmes

ça et bien d’autres choses encore mais est-ce la vérité ?
n’est pas : si simple
n’est à : personne
ni :gens de loi
gens d’Église
gens de bien ne sauraient dire celle-là au cœur de
cet homme
cette femme
car : il faut s’aimer pour ne pas haïr : les miroirs le disent et il y avait plus de cœur dans
cet homme
cette femme
qu’en nous

les missionnaires de la morale
les juges et les étourdis vont à l’arbre pour le déraciner
ou à ses fruits qu’ils jettent
par paquets sur le tas de fumier et ils sont tout surpris de voir lever d’autres arbres qu’il leur faudra couper encore par la racine ou le fruit jusqu’à la consommation du futur.

ils se chauffent du même bois qu’ils brûlent

Les yeux rivés sur la Vérité comme pendus à une étoile, les astronautes d’ici-bas mettent le cap sur un miroir. Ils y débarquent et voient toujours la vérité de haut.

Vue d’en-bas, c’est un point, mais ce point est poussière dispersée à l’échelle d’un cosmos.

C’est pourquoi à seize ans je croyais dire la vérité parce qu’on me l’avait montrée dans une étoile. Mais j’ai compris que l’étoile était un mirage au fond de mon crâne parmi des millions d’autres diamants.


Je suis parti avec un fanal dans ces rues de Montréal et les néons ont aveuglé ma trop falote lumière et j’ai dû fermer les yeux, ébloui.

Et au fond de mon crâne mon petit diamant était resté ouvert et me lançait des cris à fendre pierre comme un navire qui chavire au milieu des éclairs.

Il était cloué au fond de ma mémoire et j’ai passé devant tous ces yeux enflammés et je l’ai entendu crier de tous ses feux.

« C’est l’amour » me disait ma vieille étoile, celle qui s’est traînée depuis l’âge de raison dans la boue de mon enfance.

« C’est la passion » me prêchait cette même vieille-mauvaise étoile née là-haut dans ma conjoncture pour être miroir noir, ma glace, mon éteignoir, mon double-froid, l’effroi de ma naissance à la lucidité.

Je l’ai crue et suivie comme le chien fidèle, jusque dans ses bras, dans son lit.

Puis la passion s’est tue et l’étoile est reparue lavée par la pluie sur la vitre au firmament de mon crâne.

C’est dans ces temps de fin d’orage, quand nos étoiles, comme des oiseaux terrorisés se taisent encore que la rôdeuse passe au-dessus de la tête des naufragés du Titanic…

Et c’est dans ces temps d’avant l’orage que le poids de la chair pèse sur la terre et la réveille, femme endormie, de ses milliers de serpents-éclairs dans le trèfle. Et le trèfle grandit sous l’électricité.

Tout ça dans les rues de Montréal, un orage en plein hiver.

ILELLE


Pouvez-vous faire croire à vous-mêmes que ce que vous dites ou faites est objectif : illusion ! Tout est fait projection… Tous du premier au dernier détestons les rêves collectifs. Mais parfois, à cause d’Éros ou par besoin d’élire un dieu faisons semblant d’espérer encore. Mais que cela ne dure. Et je déteste les rêves des autres, surtout ceux qui me concernent. C’est pourquoi je révulse les rêves des hommes de ce temps en racines dans l’immémorial.

Mer — Je respire tue tue
titue

Moi — « Tue » avant que je sois
 Tu m’as déboussolé
 pris ton pouls par époux-vante

Mer — (inceste)
 Insiste ! je lécherai tes pieds

Moi — Ton lit est agité
 tu agis tes flancs et berces tous les monstres larvaires
 jusqu’au calvaire du courage qu’il faut pour
 grimper jusqu’aux arbres
 se fer coquille sous dur silex-istence-soleil

Mer — Je ronfle ma poitrine battrele blé
 je roule et me saoule de sol


Moi — Je suis frère de lune
 maon soeurère né de ton sein
 et te dicte ta conduite de femme molle
 et te dicte ta conduite de femme melle
 mère ogresse qu’agresse la féem mmâl e

Mer — Croooooooochchchchchchchcheucueueullllllll

Moi — C’est moi le prophète et suis chien qui aboie à la lune
 et je suis sans testicules loin de la lune

Mer — Bois ! je te ferai un autre petit frère tout
 semblable à ilelle du fond des eaux
 nous ferons un frère ensemble fils

Moi-moi — Ile ! Ile !

Ile — You’re brass tacks criss and Koka-kola
 Antiacostie !

Moi — (Dans ma tête)
Le funambule disait droit et je vivais gauche et maintenant je resplendis à la lueur des déifications stratiques. Je m’énerve t’ai-je dit. Je bafouille au moment de palper.

Ile — Criss d’man tu calcules la speed de ton orbite froide.
 Médite la chaleur cursive et cours at-water.
T’enculasse pour édifier tes Hydro-cul. Tu nommes progress la domestication la maîtrise. Ta maîtresse t’échappe dans la fumée par ta lâche forme calquée, ton vice déboussolé, assouvi,
 HU
 CC
 RO


Moi — Je t’aime sœurère, car le temps n’est plus à la confusion des genres dans le nombre. J’nous augurons la vie à abattre et à poursuivre. Refusons le « prochain épisode » (hubert, marci !) Demain la voie lactée s’émiettera devant tout rythme désuet de l’efficacité de la KuKuCulture. À nouveau j’arrêterai le soleil de paître la face labourée de la terre pour parfumer des sties en porcelaine bleue, sœurère.

Mer — Je Wo ! suis cellui qui fut la première. I’ll be alone ! Wo ! Wo !

Ilelle — Je suis le pain sur la planche avec la mie ; celui qui me suit n’est pas l’ami. Il est pointe de l’Ile, le silex qui tranche quiconque est de planche et n’est pas bois dressé. Quidams ambulants en sursis n’ayez pitié. Pauvres croûtes ! Car si de vous, pauvres abbés, nous bientôt besoin n’aurons de vous, merci !

Mer — Je fus la lame sur le fleuve ; j’ai retranché sans crainte de tranchées la petite cabouise made in Kanada.

Moi — Je suis la lame sans manche au velours de fer qui mutile la main qui…

Mer — Partez ! aimez-vous… Le bonheur est une plaie à la face des hommes demeurés, une gerçure qui jamais ne se comble. Sois Il à Elle ou ilelle, ma Remplaceuse.

TON HISTOIRE EST UNE ÉPOPÉE


Conte du 24 juin

un long temps de tempêtes encore sur nous s’abat
comme un drapeau trempé dans l’huile
la mer est grosse de colère

j’entends frapper ses lames jusqu’à la porte
et la pluie s’allie au vent
pour tourmenter jusqu’aux battants de nos fenêtres

je suis un rocher planté droit
entre le large et la côte
j’ai un phare presqu’éteint
qui n’a même plus lumière
pour indiquer la rive
aux bateaux qui s’échouent


aux tempêtes succèdent les tempêtes
comme à la nuit noire
succèdent les jours de brume
et pourtant je le sais
il faut rester debout
contre vents et marées
garder feux allumés

j’avais souhaité qu’une éclaircie
donne au veilleur du phare
le temps de reposer un peu
de déposer les armes
et les lanternes
de plier les bagages
pour planter le couteau
dans l’écorce de l’arbre
que le sel de la mer
a tué par les racines
sur mon rocher lavé

un éclair seul m’a
redonné la vue
de l’immense prairie
à conquérir vague à vague

une page blanche
s’est déroulée largeur de ciel
comme un grand livre
qui s’ouvre
sur le nom des camarades
sur le tien ton nom
et le nom du pays

Québec c’est toi
comme l’éclair est tache de lumière
à largeur d’un pays dans la nuit


après le fracas
couvent encore
les longues plaintes
de tous les navires en détresse
plaintes plus longues
qu’un continent
à l’appel des sirènes
n’accourent plus
que des navires au mât tombé

la vigie du haut du phare
n’espère plus
pour ces femmes trop belles
et ces hommes castrés
à la naissance de leur carène
où vient la mer s’épuiser
qu’un grand brasier
dans le ciel
pour éclairer la route
de toutes ces barques perdues
déviées vers le grand large

je te dis cela de moi qui suis le rocher
et le phare à la vigie sur la mer
et je te dis la nuit
comme la brume
pour que tu saches tes ennemies Pierre.


Le 4 mai 1969

TEMPS 13


Temps 13 a débarqué sur nos bords et par la gueule, entre deux rocs, dans la barricade des monts Hautpics, d’instinct il est descendu jusque dans la Vallée-des-Endormis. Il y a trouvé tous les hommes plongés dans leur noir sommeil à l’heure qui bascule à midi. Puis la belle Motée aux larges hanches qui rêvait près de la pompe, a souri avec du rouge aux joues.

Cela est la triste histoire d’une déesse qu’on a trompée avec une illusion.

* * *

Temps 13 fut un jour rappelé par le soleil son père. Il fallait dissiper, à l’aide d’un boyau très long, plongeant dans le plus grand lac de la terre, les nuages presque noirs que des humains très savants s’étaient amusés, avec leurs machines, à rassembler là-haut. À cause des rayons négatifs qu’ils lançaient de la terre, ces nuages ne pouvaient pas crever. Ils devinrent si lourds qu’ils firent comme de l’huile à moteur qui s’est rendue à dix mille milles, une espèce de nuit continuelle sur la terre. On entendait, comme un tourment d’en haut, un roulement sourd de tonnerre qui progresse sans jamais aboutir. Les hommes manquant d’eau et aveuglés se traînaient sur la terre comme des poissons malades dans un aquarium infect, parmi les bêtes les plus étranges.

Mais un jour ils en eurent assez et menacèrent, certains d’entre eux du moins, et qu’on tua aussitôt, d’allumer un grand feu. Les Puissants évitèrent ce suicide collectif par la peur qu’ils inscrivent à coups redoublés dans leurs cerveaux lavés, d’un châtiment plus terrible encore que la mort ; la vie éternelle. Mais l’idée du grand feu resta enfouie dans les consciences jusqu’au jour où, le rayonnant Temps 13 se réveilla parmi les hommes, lui l’endormi séculaire, d’un siècle qui avait duré mille ans. Il comprit assez vite que la nuit durait trop.

Il décida, avec douze hommes qu’il rendit pareils à lui, d’aller délivrer le soleil en secret. En les regardant d’une certaine façon, les hommes reprirent un vieil instinct de vie et les plantes se remirent à pousser au soleil revenu à cause d’un boyau très long, plongeant dans le plus grand lac de la terre.

BLUFF


Ce fut un papillon qui s’est brûlé les ailes
de s’être approché bien trop de la lampe allumée
à cause d’un démon le poussant pas à pas
comme un double assassin qui fit déchoir les anges

Il vola bien trop haut le soleil s’est vengé
et maintenant tombé il ne reste de lui
qu’un tas de cendrillons qui sentent le roussi

Il ne saura jamais le pouvoir de lumière
de ce feu qu’on a fait pour réchauffer son sang

LA NUIT DES BÊTES


un quadrille s’est dressé
sous le porche de la nuit
dans la Vallée des Silences
ont dansé dansé
et fait flamber leur sang
les danseurs
puis au bras d’une plus longue ronde
ils ont fui
s’enchaîner à la nuit qui saoule
parce qu’ils étaient désirs
les musiciens pantelants sont restés
seuls
et le violon
très longtemps a poussé sur la nuit
sa longue plainte
puis s’est cassé
comme clôture que l’on cisaille
et le piano
seul seul
a continué
à pleurer le désastre
à hurler à la lune
un loup a répondu
mais n’a donné
que des mots
il n’avait qu’un peu de temps
le temps qui passe entre un cri et
l’écho de ce cri
l’écho venait d’une femelle
elle m’a dit cette louve de fermer le piano

CONTE D’HIVER


sur le traîneau un trésor que l’attelage fait glisser du matin au soir
la nuit s’approche et sur ses pas suivent les loups
les chiens ont pris peur soudain et sont partis
sont revenus avec les loups quand leur maître fut dévoré
c’est à cette minute que le feu s’est éteint
et le trésor est resté attaché intouché
puis s’est englouti lentement sous le poids de la neige
il faudra attendre au printemps
que passe un homme
mais peut-être ne saura-t-il pas interpréter les signes laissés
peut-être que ce sera l’oubli
peut-être aussi que tous les hommes sont morts

LA BALLADE DE TRISTE JIL


ils étaient cent ou mille
ça n’a pas d’importance
ils ont fait un grand rond
sur la place publique
autour d’une fontaine
où brûlait un grand feu
ils tournaient tournaient tous
jusqu’à devenir fous
un immense manège
de beaux chevaux de bois
un jour de carnaval
un enfant était là
debout sur une grille
aux portes du château
il leur disait à tous
d’arrêter de tourner
même les musiciens
au milieu des musiques
en avaient oublié
qu’ils jouaient qu’ils jouaient
et que ça jouait faux
il y avait la aussi
un clown très très comique
un clown comme on en voit
en de rares moments
lorsqu’on franchit le seuil
où finît le réel
sous le grand chapiteau

à l’église ou encore
dans les boîtes de nuit
qui vous donnent un spectacle
gratuit pourvu que soit
bien payée votre bière

ils tournaient tournaient tous
comme la bête tourne
et la bête tournait
l’anse qui pompe l’eau
sous le bât elle tournait
sur ses pas et ceux-là
la piquaient la frappaient
jusqu’au sang jusqu’à l’os
Et l’enfant tel oiseau
perché sur la clôture
avait perdu sa voix
comme d’avoir trop crié
en hiver…
en pleurant implorait
que cessent tous ces rires
ces méchantes grimaces
et le clown qui souvent
sous son masque à grimaces
pleure son personnage
même le clown oui
riait de tout son cœur

l’enfant voulait leur dire
que plus ils frapperaient
cette trop belle bête
plus demain serait vide
et leur cœur trop pesant
comme marqué au bout

d’une piqûre de lance
ils n’ont pas entendu
que tant de sang versé
retomberait un jour
sur leurs têtes heureuses
car on ne frappe toujours
que son propre visage
dans l’ourson de peluche
que l’enfant déchiquette
c’est un double qu’il brise

et la bête tournait
dans leur sale conscience
comme un fantôme errant
comme un roi détrôné
qui a perdu la trace
de son propre royaume
fantôme dont le château
s’est laissé envahir
par tant et trop d’enfants
qui ne respectent pas
même les croix des tombes
et quand il n’y a qu’un nom
pour relier les morts
avec que les vivants
les morts doublement meurent
lorsque s’éteint en nous
jusqu’à leur souvenir

ce très bon roi fantôme
qui avait nom de Jil
depuis lors a erré
amoureux éconduit
comme au temps des mystiques

des chevaliers dolents
très tristes aussi…

sur les pas de son noir
cheval Jil se referme
la nuit et le silence
de la nuit des hiboux
on dirait un tonnerre
comme un coffre de plomb
qui roule sur des dalles
fermant jusqu’au parfum
vous nommant de très loin
tel un vieux roi très bon
qui perdit son royaume
à ce jeu fabriqué
pour une populace
il y a un enfant
qui a vu une foule
s’attaquer à la bête
en jouant et perdant
sa tête… et maintenant
le manteau de son roi
s’abîme dans les ronces
et regrette le temps
où il glissait très doux
les marches du palais
ce peuple rendu fou
réclame maintenant
la tête de son clown
sottement couronnée
pour le mettre au bûcher

au fond je le sais bien
que tout ce grand royaume

chargé de trop de signes
se trouve au fond de nous
au fond de nos mémoires
c’est le vent des ancêtres
qui souffle dans mon crâne
dans celui de tous ceux
qui comme moi les cherchent
à ce seul rendez-vous
de passé d’avenir
où nous sommes plantés
en plein cœur du présent
ce vent nous vient aussi
d’un autre continent
mais nous font pourtant signe
des arbres bien d’ici
sur leur écorce encor
bien marqués dans leur chair
de vieux trembles racontent
des histoires d’amour
mais ne savons pas dire
le poids de tout ce sang
parce qu’il s’est éteint
avant d’avoir pu naître
dans les mots des chansons

cette terre-amérique
qui nous force la main
et brûle nos cerveaux
avec des mots de fer
des mots venus d’ailleurs
sous le manteau de ceux
qui ont vu les deux mondes
et qui sont morts de peur

Moi je plonge au grenier
plein de ces vieilleries
qui nous disent pourtant
que nous durons ici
et qu’aussi se transporte
avec joie ou tristesse
dans le froid de l’hiver
ou l’ardeur du printemps
dans ces rues de Montréal
ou d’ailleurs n’importe où
un coffre de mariée
prêt à être signé :
Kébec…

SIGNES DES TEMPS OBUS


Le Mystère à coque de fer dressait des murs dans le silence entre le soleil et la terre
Ils ont été rongés par nos flèches incendiaires-termites et ont brûlé à demi par le bas
Les hauts des murs à l’abri des hampes et dans l’humidité des nuages se sont envolés d’un envol vertical pour se soustraire à nos regards devenus durs

Il ne reste que sept de ces murs à s’effondrer comme châteaux de cartes pour que le désespoir entre en nous irréductiblement

D’ici ce temps de sept années de feu, sonnez, sonnez les Pâques aux clochers de vos églises parce qu’un printemps est compté.
Il ne reviendra pas prendre place au calendrier qui bascule dans le décompte
Bientôt même on sciera jusqu’aux poutres qui retiennent vos toits d’église encore debout, et les toits vont pleuvoir sur vos têtes et vous ne serez plus que la pâte, un troupeau horrifié par vos corps ouverts aux silex-soleils

…car je sais que ce temps tire à sa fin et la fin ne voit même pas venir au devant d’elle un prophète en habit de repentir

Je sens les araignées cogner avec désespoir à toutes les portes s’ouvrant sur le vide, des chambres de torture pour les consciences où la lumière avec la couleur n’est plus qu’une auréole dans les cheveux en forme de silhouette de carton noir où il manque la cervelle


Il n’y a même pas de suicide possible et les bêtes tourmentées jusque dans leurs os ne songent pas au meurtre

Un seul espoir vient à moi en robe de mariée

C’est une colombe blanche et c’est le dernier signe
Cela fut dit il y a des siècles…
QUE CE PEUPLE SERA SAUVÉ À CAUSE DE SON ORIFLAMME Un signe géant de paix dans le ciel tourné rouge signe qu’entraîne
une colombe
La dame blanche en robe de colombe ne m’a pas menti
J’ai vu ses paroles : elles me traçaient la route du salut
* * *
Je suis le fou à la bêche
Je creuse dans les temps morts pour exhumer les possibles que je sens sous mes pieds, des signes utiles, point encore élus
J’ai des paroles de ténèbres à proférer sur vos têtes
Je crache des flammes d’enfer sur ce monde qui tourne, tourne à l’infini dans un carnaval fou
Je suis de sang pourtant et me souviens d’un hier où je pouvais parler un langage que le sang comprenait
Je suis maintenant un Éveillé de tout le temps
Je suis le Veilleur à la Lampe

Et des millions de signes-chacals s’abattent dans mon cerveau

Je suis en croix exposé au sel des vents et intouchable sur un pic trop haut pour le front des hommes
* * *

…car les dieux n’ont pas de nom…
Et dans ces déserts d’Amérique, pas moyen de fixer des noms avec la certitude qu’ils pourront durer*
C’est pourquoi sur cette face de la terre qui peut-être est sœur de Lune s’agite un peuple étrange et barbare : c’est le peuple qui verra le commencement de la fin

…car la terre est une porte étrangement sculptée, au cadre étroit
Vous croyez pouvoir y évaluer des distances qui soient sûres et c’est le temps qui vient avec la nuit tout chambarder
Et les hommes se croient d’un peuple de la terre
Z’ont l’impression folle de marcher vers la lumière sur un versant de prairie qui progresse vers le soleil
Mais vient toujours la nuit pour basculer leurs désirs de possession du soleil, un tas de pierres à la face du couchant

J’ai eu soif aussi de ce terrible soleil qui couchait derrière un brin de forêt sur la terre chez nous
Et j’ai couru pour rattraper jusqu’à l’heure fatidique du neuf mais toujours vaincu par la terre complice de la nuit j’ai basculé dans un sommeil de chair et d’eau
Et toujours les jours recommençaient
Et les hommes sont cet enfant que j’étais et qui voulait voler le soleil aux hommes de l’autre versant de la planète

* * *

Retourne-toi Temps 13 dedans ta tombe et place ta face vers les profondeurs de l’enfér-terre : le point centre du monde de feu noir

Retourne aussi Arthur Rimbaud parce que la lave à cracher ne t’a jamais saoulé
Temps 13 dors là sous les puits
Ton sommeil est plus profond que les puits

Tu cherches l’assise fondamentale, la pierre d’angle dont tu rêves, la treizième inconnue qui, déplacée d’un iota, ferait basculer notre terre, faire trois-petits-tours-et-puîs-s’en-vont aux pôles qui calottent notre monde
Cruel Icare des profondeurs qu’on croit éteintes, tu navigues agrippé aux mancherons de ta charrue dans le ventre de la terre, sous les tombeaux et les pierres-bornes, sous les toits des caves et les réseaux d’égoût

Et nous
te laissons à ce ventre creux et résonnant de la terre-matrice pour nous en aller nous perdre dans la lumière, sauter les étages des planètes, le plus près possible de la lampe-soleil

Mais n’avons d’ailes que papillon
Excuse poète notre rêve impossible
Le tien dure encore ton rêve d’Abyssinie dans la mémoire des précédents et le mien n’approche encore que sa naissance
Il est encore éparpillé dans l’inconscient des petits enfants de ce siècle sitôt déjà sonnée la demie et déjà de vieillesse usé

Terre d’Amérique méprisée et rêvée a enfanté ce mythe que j’exhume de moi-l’ici en mal de conquête d’une lumière plus large que celle de ton péché qui bouge au ventre de la terre.

Et je me sens d’un continent qui fut un jour castré de sa féminine terre de lune et les vôtres vous viennent d’un sevrage hâtif de terre-Atlantide, un grand remous dans vos consciences


Pauvres qui êtes d’un continent trop vieux avec Arthur, le dernier survivant (car ceux qui l’ont suivi ne furent que des morts-nés en sursis), ne possédez pas la jeunesse qui n’a pas de naissance et moins encore de tombeau
Nous enterrons encore vos tombeaux et ne pouvons prendre l’air comme poissons volants
Il en faudra encore des carcasses les vôtres pour bâtir la rampe dans votre marécage de vase et de sang avant que nous puissions enfin naître


Août 1969

ET SUIS LÀ


On m’a fait de sel
dans le lit de mer
un cap tourmente
exorcisé
comme lac gelé
entre deux bras de hauts monts
qui m’ont écrasé
érigés en socle
tel acropole

Et les monts sont morts
et la mer a fui sur un autre versant
et suis là
module de plomb blanc
dans ce désert de lune
en mer de tranquillité
en vallée des silences

Ne peuvent pas rouiller
mes charpentes d’acier
sous le bombardier soleil
m’éteins éternellement
et me consume
et ma coque crépite
et je bascule dans la cendre
de terre de lune


Suis Icare naufragé
dans une nuit éternelle
comme chauve-souris
à voile de cuir
au fuselage d’acier trempé
et ne reste qu’en charpente
mon squelette
que des milliers de lunettes
interrogent

Suis un gant noir
sur leur nuit
moi qui suis en nuit continuelle
devant la face de mon Soleil
et je tourne le dos aux hommes
qui veulent me réduire en miettes
m’emprisonner par morceaux
à leurs doigts de trop chair


Réalisation technique par les Éditions Cosmos

Imprimerie des Éditions Paulines
250 nord, boul. St-François, Sherbrooke, Québec, Canada.

TABLE

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ILLUSTRATIONS
par le poète


Imprimé au Canada

Printed in Canada


  1. Voir illustration en face.
  2. Voir illustration au verso.
  3. S’écrit aussi « fale ». Canadianisme. Cf. Bélisle, Dictionnaire général de la langue française au Canada.
  4. Claude Gauvreau est né le 19 août 1925 à Montréal. Signataire du manifeste du Refus Global, polémiste, poète automatiste, Gauvreau fait figure de poète maudit, il s’est suicidé le 7 juillet 1971 à Montréal.
  5. Ces citations sont tirées de : Claude Gauvreau. Sur fil métamorphose, « La prière pour l’indulgence », Montréal, Erta, 1956. Coll. « La Tête Armée ».