ITURIEL.

POÈME.


i.


Sous l’auréole d’or, chaperon écarlate,
Sa molle chevelure en reflets purs éclate
Et glisse comme une onde alentour de son col ;
Même lorsqu’il chemine, on sent ses ailes battre,
De sorte que jamais, de ses beaux pieds d’albâtre,
Ituriel n’a touché le sol.

Qu’il est beau, quand, au gré de son aile tendue,
Il se roule à plaisir par l’immense étendue,
Inspiré, ses cheveux tantôt se répandant
Comme un royal manteau sur sa tunique bleue,
Et tantôt dans les airs traînant comme la queue
De quelque météore ardent.

Il va, l’archange saint, et le vent de ses voiles
Sur leurs tiges d’or fin balance les étoiles ;

Et la moisson divine ondule à son essor,
Et les célestes fleurs, doucement secouées,
Versent comme un parfum sur les blanches nuées
Les pleurs de leur calice d’or.

Il va, semant partout cette fleur noble et sainte
Qui, — comme le lilas ou la molle hyacinthe,
Comme la violette aux timides senteurs,
Comme l’étoile d’or qui dans les herbes brille
Et tombe avec les foins sous la même faucille,
Ou le lis aux pâles couleurs ;

Comme le frais bluet qui dans les champs s’oublie,
Comme les Doigts de mort que rassemble Ophélie,
Comme la marguerite, étoile du chemin,
Douce et naïve fleur qui murmure et console,
Et dont la feuille vaut autant que la parole ;
Comme la rose et le jasmin,

Comme toutes les fleurs enfin de la nature ; —
Qui ne s’élève pas sous l’humaine culture,
Et trompe les efforts de l’homme ; car il faut,
Pour que cette fleur croisse aux terrestres collines,
Qu’un archange du ciel, aux belles mains divines,
En jette le germe d’en haut.

Il vole, et va semant partout sur notre globe
Et de ses ailes d’or, et des plis de sa robe,
De ses mains, de ses pieds, de tous ses vêtemens :
Ainsi qu’une liqueur d’un vase saint enfuie,
S’échappe goutte à goutte une mystique pluie
D’étoiles et de diamans.

Et les perles du ciel, les divines rosées,
Dans la vaste étendue errantes, dispersées,
Vont tomber au hasard où les chasse le vent,
Sur terre cultivée ou bien sur terre inculte,
Sur l’enfant né d’hier, sur le front de l’adulte
Qui déjà s’incline en rêvant !


Elle va, la semence, où le vent la dirige,
Et, quand sur son chemin elle trouve une tige
Qu’elle peut féconder, alors voilà soudain
Qu’au-dessus de ses sœurs celle-ci croît et pousse,
Emplit l’air d’une odeur plus suave et plus douce,
Et devient l’honneur du jardin.

ii.


Ituriel ! Ituriel ! c’est la forme sacrée
Qui voltige toujours près de l’homme qui crée ;
C’est cet être charmant, cet esprit familier,
Cette dame avec qui l’artiste cause en rêve,
Et qu’il retrouve encor, quand le matin se lève,
Assise dans son atelier.

Il était là quand Gœthe, homme dur et sévère,
Mais poète divin qu’entre tous je révère,
Pensait à Marguerite ; et lorsque Raphaël,
Pâle en son atelier, méditait une teinte,
Ituriel lui venait montrer son aile peinte
Des bleus reflets de l’arc-en-ciel.

Ituriel ! c’est Marie avec son diadème,
C’est la sainte qu’on prie et la femme qu’on aime ;
C’est le son, la parole, et la voix, et l’éclair ;
C’est la source éternelle où l’artiste s’inspire,
C’est tout ce qu’il entend, qu’il voit et qu’il respire,
C’est la fleur, la rosée ou l’air.

Deux jours après la mort de sa dame chérie,
Lorsque Pétrarque allait par la plaine fleurie,
Voyant partout sa Laure occupée à prier,
Tandis que les lilas, les jasmins et les saules
Épandaient leurs cheveux sur ses blanches épaules,
Comme pour la glorifier ;

C’était lui qui prenait le visage de Laure,
Lui, le beau Séraphin, qui venait dès l’aurore

Atteindre le poète aux sublimes chansons,
Et, mains jointes, assis sous les fleurs et les branches,
Cacher naïvement ses longues ailes blanches
Sous les ramures des buissons.

Et Pétrarque, ravi de ce divin spectacle,
Rendait graces au Christ d’un si gentil miracle,
Et demeurait long-temps en un calme profond,
Heureux de voir ainsi la belle trépassée
Revivre dans le ciel, comme dans sa pensée,
Avec une auréole au front.

Et puis il ramassait aux pieds de sa patrone
Les beaux lis glorieux dont il fit sa couronne,
Fleurs qui ne croissent plus, hélas ! sur nos chemins,
Et que lui distinguait de la terrestre fange,
Aux célestes clartés des yeux du bel archange
Qui le conduisait par les mains.

Et lorsque Beethoven, cet homme de génie,
Ce dieu de la sonate et de la symphonie,
Faisait gémir le Christ sur le Mont-Olivier,
Ituriel, Ituriel, encor dans l’attitude
De l’inspiration, de la béatitude,
Debout derrière le clavier,

Lui versait sur le front la foi, source nouvelle,
Baptême où le Seigneur à l’homme se révèle ;
La foi, rayon divin sans lequel ici-bas
Un artiste n’a point de délire ou d’extase ;
Car comment voulez-vous qu’il s’exhale du vase
Des parfums qu’il ne contient pas ?

Et Beethoven jetait, à larges flots de lave,
La céleste musique en sa poitrine esclave,
Et ses yeux répandaient une morne lueur,
Ses cheveux se tordaient comme fait la couleuvre :
C’était l’artiste tel qu’il faut le voir à l’œuvre,
Pâle et ruisselant de sueur.


Beethoven composant, Beethoven en délire !
Ah ! quel homme jamais vous le pourrait décrire ?
Ce n’était plus alors le geste ni la voix
Du poète qui pense et dont le front s’incline :
C’était, parmi les siens, gravissant la colline,
Le fils de Dieu portant sa croix.

iii.


Oh ! s’il pouvait un jour te prendre fantaisie
De me venir trouver, ange de poésie !
Car peut-être, qui sait ? la pensée en mon sein
Sommeille sans rien faire, ainsi qu’une onde fraîche
Qui, pour aller mouiller la fleur aride et sèche,
Ne peut sortir de son bassin.

Ituriel ! Ituriel ! bel ange, dans ta course,
Viens éveiller cette eau qui repose en sa source ;
Viens, et peut-être alors que ses flots assoupis
Couleront librement parmi les touffes d’herbes,
Ou monteront au ciel s’épanouir en gerbes,
Pour retomber sur les épis.

Viens, car si, comme un vin dans sa cuve profonde,
L’implacable pensée en nous fermente et gronde,
Il faut à la fournaise une entaille par où
Chaque jour, chaque nuit, se dissipe et s’écoule
Tout ce que le cerveau crée et fond dans son moule ;
Sans cela l’homme serait fou.

Viens, car, durant ses nuits de peines et d’études,
Quand le poète, hélas ! du fond des solitudes,
Ange, t’a bien long-temps appelé, mais en vain ;
Il se lève à l’aurore et rentre dans la vie,
Prend le bras du premier qui passe et le convie,
Qu’il soit infernal ou divin.

Tel fut le docteur Faust, dont Gœthe a fait l’histoire,
Qui, jour et nuit, veillait dans son laboratoire,

Suivant toujours de l’œil son doigt qui s’en allait,
Comme sur le chemin fait un serpent qui rampe,
Creusant de longs sillons, aux lueurs de la lampe,
Dans la poussière du feuillet.

Faust ! il passait le jour et puis la nuit entière,
Cherchant à séparer l’ame de la matière.
Il demandait toujours, sans être rebuté,
Quel est ce feu divin, quelle est cette semence
Qui, dans ses moindre jets, nourrit cet arbre immense
Qu’on appelle l’humanité ?

Pâle, il le demandait à Dieu même ; mais comme
Dieu ne dévoile pas ses mystères à l’homme,
Alors il recourait à des livres anciens,
S’y plongeait, aspirant de toute sa poitrine
La poudre du volume et la folle doctrine
De quelques vieux magiciens.

Ah ! pauvre docteur Faust, de plus en plus avide !
Et son cerveau pourtant demeurait toujours vide !
Ce qu’il y mettait hier s’en allait aujourd’hui.
« Quel est donc, disait-il, ce feu qui vivifie ? »
Et la religion, l’art, la philosophie,
Tout cela se raillait de lui.

Enfin, voyant un jour que les sciences vaines,
Au mal terrible et lent qui coulait dans ses veines,
À l’implacable feu dont il se sentait plein,
Ne pouvait apporter ni baume, ni remède :
Le ciel s’y refusant, il choisit un autre aide.
Cet aide fut l’esprit malin…


Hans Werner