Itinéraire de Paris au mont-d’or

Vue de la Cascade du Mont-dor
Dépt du Puy de Dôme

Itinéraire

de Paris au mont-d’or.

1826.

Ma fille avait perdu sa mère depuis seulement quatre mois ; sa douleur était extrême et sa santé singulièrement affaiblie. Les médecins lui conseillèrent d’aller prendre les eaux du Mont d’or et j’appuyai leur avis. Je n’ai pas une grande foi dans la vertu des eaux en général, mais je pensais que dans le cas où elles ne produiraient pas un grand effet par elles-mêmes, le changement d’air, la distraction causée par la variété des objets qui frapperaient ses regards, pourraient au moins affaiblir les idées de tristesse qui la consumaient ou apporter quelqu’amélioration à son etat devenu déplorable.

J’avais besoin moi-même de chercher, non des plaisirs que la disposition d’esprit où j’étais, ne pouvait m’offrir nulle part, mais de faire diversion à un chagrins : je la déterminai donc à ce voyage, et il fut convenu que nous le ferions ensemble, nous devions voyager en poste et seulement pendant le jour ; nous convîmmes de prendre des notes sur tout ce qui serait dans le cas de fixer notre attention et de faire de ce petit voyage, une relation en forme d’itinéraire.

J’approuvais dans l’éxécution de ce projet le moyen de satisfaire notre goût pour tout ce qui occupe, et l’avantage d’échapper à l’ennui de rester tout une journée dans une voiture et dans l’inaction. J’entrevoyais aussi dans cette sorte d’obligation de donner à toute chose plus d’attention, le moyen de mieux connaitre, de retenir d’avantage, et le plus essentiel d’atteindre le but que nous nous proposions de tromper nos ennuis. En effet, nous n’avons pu effacer nos idées mélancolique, et ce n’est pas non plus ce à quoi nous tâchions, mais nous en avons éloigné le retour, en même temps que nous avons perdu de vue les lieux témoins de nos malheurs ce qui pouvaient plus souvent en rappeler le douloureux souvenir.

Nous eûmes pour faire la route, ce qu’on appele un Brittska, charmante voiture, d’origine allemande, où l’on trouve, uni à la légèreté, à la solidité, l’avantage d’une distribution intérieure propre à contenir tout ce qui peut être minutieusement nécessaire pour un long voyage. Ces sortes de voitures, sont à timon et à flèche droite ; elles sont à souffler, avec tablier et sans vache, toutes conditions voulues par les règlemens, pour n’avoir besoin que de deux chevaux, ce qui est une grande économie.

Nous partons de Paris le jeudi 3 août à 6 heures du matin, munis de provisions afin de pouvoir marcher toute la journée, sans nous arrêter autrement que pour les relais. Nous suivons les superbes boulevards du Montparnasse ; nous appercevons de loin l’enceinte où repose le tendre objet de notre amour et de nos regrets ; l’idée que nous nous en éloignons, que nous semblons le fuir, vient attrister nos cœurs ; ma fille me prend la main, la serre dans les siennes sans pouvoir dire un mot. Nous sommes tous deux animés d’un même sentiment ; notre poitrine se gonfle, des soupirs s’échappent, des larmes coulent……

Nous continuons à marcher ; nous admirons la force, la beauté des arbres artistement alignés et taillés. La verdure de leur feuillage ajoute au bel effet qu’ils produisent, et à la fraicheur de l’air qui est calme et délicieux.

En franchissant la barrière, je me rappele ce quatrain du patriarche de la littérature :

adieu, ville de bruit de fumée et de boue,
Paris, où de l’homme la bassesse se joue ;
où de l’homme enfin, l’on n’estime le prix,
qu’au poids du vil métal qui couvre ses habits.

Depuis que ces vers sont faits, les mœurs ne sont point changées, l’on est toujours en honneur et le sera probablement tant qu’il y aura des hommes, des passions, des besoins. Le bruit et la fumée, sont de tous les temps ; quant à la boue quoique certaines rues de la bonne ville fussent en possession d’en avoir toute l’année, elle n’était pourtant pas de saison ; l’été avait été brulant, le thermomètre avait marqué jusqu’à 28 dégrés, aussi la campagne dépouillée de toute verdure, annonçait-elle la sècheresse la plus aride.

Là, comme partout aux environs de la capitale, de nombreuses constructions, que se sont élevées comme par enchantement, attestent l’accroissement de la population. Il faut faire une demi-lieue sur la grande route pour découvrir ces plaines si fécondes en souvenirs historiques.

Le premier village qui se présente sur la droite est Gentilly, ancienne maison de plaisance de nos rois. Situé dans un fond, arrosé par la petite rivière de Bièvre ; sa végétation avait conservé quelque chose de vert qu’on aimait à remarquer au milieu de ces champs jaunis et déssechés par l’ardeur du soleil. Ce lieu n’a rien d’agréable, cependant il paraît que Pepin, fils de Charles Martel, l’avait pris en affection et qu’il l’habitait même en hiver.

Plus loin la vüe se porte à regret sur Bicètre, bâtiment d’une immense étendue, où sont renfermés les vagabonds, les filles publiques, et les grands coupables. C’est dans ce lieu que la nature présente le tableau hideux, effrayant de l’oubli des devoirs, de la dégradation et de la corruption des mœurs. Il sert cependant de retraite à de bons pauvres, ainsi qu’à des malheureux privés de leur raison.

Du temps des troubles de la fronde, ce chateau fut entièrement détruit ; Louis XIII le fit rebâtir pour servir d’asyle aux braves que la guerre avait mutilés, mais cet établissement ne parvint point au dégré de perfection et d’utilité qu’il comportait. Louis XIV conçu un projet plus vaste et plus digne de sa nation : il fit élever l’hôtel des Invalides. On réunit alors à l’hopital général de Paris, cette maison de Bicètre, qui depuis est devenue une maison de force et de réclusion.

J’ai visité deux fois cet établissement, et si l’ordre qui règne dans son intérieur, si sa distribution, sa police, son régime, méritent l’attention de l’homme observateur, le puits qu’on y trouve doit la fixer. Ce puits a 171 pieds de profondeur et quinze de diamètre. Tout le fond a été creusé dans le roc vif où sont les sources qui fournissent neuf pieds d’eau inaltérable. La machine qui éleve l’eau est placée dans un manège au milieu duquel est un grand arbre debout, sur un tambour pratiqué à la cime de cet arbre, tournent deux cables, l’un qui file et l’autre qui défile. Ils passent ensuite sur deux poulies de quatre pieds de diamètre placées au dessus du puits. À l’un des bouts de ces cables est un sceau tout à tour ascendant et descendant, le poids de chacun est d’environ quatre cents livres et ils puisent l’Eau par quatre soupapes, qui sont à leurs fonds. Au moyen de ce mécanisme ingénieux, ils se remplissent perpendiculairement, et rien ne pouvant les faire balancer, ils ne sont point exposés à se rencontrer et a éprouver [mots raturés] des chocs qui bientot les briseraient. Arrivé à la hauteur convenable, des mains dites accrochent le sceau montant et le font pencher vers un réservoir où il se vide et de suite, il aide par son poids l’autre sceau à monter de même. Le réservoir qui a 59 pieds carrés, contient quatre mille muids d’eau, qui s’échappent par une infinité de tuyaux pour aller se distribuer dans toutes les parties de la maison. Pendant longtemps cette étonnante machine était mise en action par des chevaux ; ce sont à présent des hommes qui la font mouvoir, et cette nouvelle manière me parait mieux entendue : elle réunit l’avantage d’exercer les prisonniers, d’entretenir leur santé par un travail qui n’est point forcé, et de leur procurer un petit salaire qui les aide à supporter leur captivité.

Mais quittons cet asyle de malheur et de crime. Jetons nos regards du côté opposé de la route ; sur cette belle plaine d’Ivry. Ce n’est pas dans cette plaine que fut donné en 1590, la bataille que Henri IV gagna sur l’armée de la ligue, commandée par le Duc de Mayenne ; mais par la conformité de nom, l’imagination se reporte à cette mémorable journée qui soumit les ligueurs. Il semble que ce soit là où l’amant de Gabrielle, l’ami de Sully, le père des français, désigna son panache blanc comme le guidon qui devait conduire ses phalanges au chemin de l’honneur et de la gloire ; là aussi, qu’il embrassa Schomberg afin de réparer l’affront qu’il lui avait fait dans un moment d’humeur ; là enfin qu’il fut plus soldat que général, plus homme que monarque, et qu’il conquit avec sa couronne le cœur de ses sujets.

Le village d’Yvry se trouve dans la plus agréable situation et je me rappele d’avoir vû tout auprès une chapelle solitaire, consacrée par la piété et sanctifiée par les nombreux miracles opérés autrefois par le bienheureux Saint-Frambourg. J’ignore si ce lieu existe encore ; ce que je puis assurer c’est que je l’ai vû visiter par un grand nombre de fideles : on prétendait qu’en passant la tête par un trou pratiqué derrière l’autel et en buvant ensuite de l’eau d’une citerne voisine, beaucoup de malades avaient recouvré la santé. J’ai passé, comme les autres, ma tête par le trou, j’ai bu de cette eau myraculeuse ; mais j’étais jeune alors, je me portais bien : je n’ai donc pu ressentir aucun de ses bons effets.

C’est non loin de là qu’on voit le joli village de Vitry, renommé par le nombre et l’excellence de ses pépinières d’arbres de toute espèce. Les chênes dit-on s’y élevaient de terre, droits et sans nœuds, ce qu’on attriburait à la pureté de l’air ainsi qu’à la bonne qualité du sol un peu épuisé maintenant. Les habitants y sont actifs, industrieux et riches. On retrouve encore parmi eux cette simplicité des mœurs antiques si vantées et qui exilées du reste de la terre, semblent s’être réfugiées à Vitry.

Ce village n’est qu’à une très-petite distance de choisy, où l’on voyait sur les bords de la seine un superbe chateau fréquemment habité par Louis XV et Mad. de Pompadour, et où par malheur, la décence et les mœurs n’ont eu que trop à rougir. De sa magnificence, du luxe de ses ameublements, de tous les chef-dœuvres qui le décoraient, il ne reste plus rien ; la cupidité a tout renversé, tout dénaturé, tout détruit. La charrue a labouré ces belles allées, ces rians bosquets. Ce séjour délicieux a disparu comme beaucoup d’autres qui faisaient l’ornement de la france. On a mis en produit quelques arpens de terre de plus, cela est vrai ; mais tout considéré, l’agriculture et le commerce ont peu gagné, l’industrie et les arts ont perdu beaucoup

C’est ainsi à choisy où Louis seize se retira, avec toute la famille royale, après la mort de Louis quinze, le 10 mai 1774. Il avait été convenu que l’on quitterait Versailles, au moment où le roi rendrait le dernier soupir ; mais dans une semblable occasion, la bienséance ne permettait pas de faire passer de bouche en bouche un ordre de départ ; il fut décidé qu’on placerait une bougie allumée auprès d’une fenêtre et qu’elle serait éteinte à l’instant où le mourant cesserait de vivre. La bougie fut éteinte : à ce signal, les gardes du corps, les pages, les Ecuyers montèrent à cheval ; tout fut prêt pour le départ et l’on partit immédiatement.

En sortant de la chambre de Louis XV, le duc de Villequier, premier valet de chambre d’armée enjoignit à Andouillé, premier médecin, d’ouvrir le corps et de l’embaumer. Le médecin devait nécessairement en mourir. Je suis prêt, répliqua Andouillé, mais pendant que j’opererai, vous tiendrai la tête, votre charge vous l’ordonne. Le Duc s’en alla sans mot dire, et le corps ne fut, ni embaumé, ni ouvert. Le roi avait le pourpre en outre de la petite vérole ; chacun fuyait le palais où l’air était infecté. Mad. Campan, de qui j’emprunte ces détails, rapporte que plus de cinquante personnes gagnèrent la petite vérole pour avoir seulement traversé la galerie ; et dix en moururent. Mesdames filles de Louis XV qui étaient restées longtemps près du lit de leur père, gagnèrent toutes trois cette affreuse maladie ; elle se déclara le quatrième jour de leur arrivée à Choisy, et la cour quitta précipitamment cette résidence pour aller se réfugier au chateau de la Muette.

Je me suis un peu détourné de ma route, je me hâte de la reprendre. Ce que je retrace ici, est exactement ce qui faisait le sujet de notre entretien, aussi sommes-nous arrivés, sans nous en appercevoir, à la première poste, c’est-à-dire à Villejuif, vieux village du temps de Jules César et qui suivant les apparences n’a jamais rien eu de beau, sinon un chateau qui tombe en ruine quoiqu’il appartienne à un Pais de France. Un peu après on nous a fait remarquer un autre chateau mieux entretenu et qu’on nous a dit appartenir à M. de Montesquiou.

Fromenteau, où se trouve la seconde poste, est un fort joli village. Il est orné d’une fontaine qui donne de fort bonne eau dont nous avons fait provision. Au bas d’une petite côte, on traverse un charmant ruisseau qui va se jeter dans la seine, qu’on apperçoit sur la gauche. Sur la droite, on voit entouré d’une belle végétation, le petit village de Verry, très remarquable par la beauté de son sîte. Ris, qu’on trouve immédiatement est aussi fort joli. C’est un bourg dans les Paysages qui l’entourent sont extrêmement agréables.

Essonne est le premier endroit un peu considérable que l’on encontre. C’est un bourg qui éxistait déjà sous Clovis. On y battait monnaie. L’Église que l’on y voit est ce qui reste d’un prieuré fondé par l’abbé Suger en 1121. La rivière qui passe à Essonne a favorisé l’établissement de plusieurs manufactures qui sont en grande activité. Celles de papier et d’indiennes sont les plus considérables et méritent d’être observées ; je regrette de n’avoir pu les visiter non plus que le moulin à poudre. La petite rivière qu’on nomme la Jaine, ne nous a paru être qu’un ruisseau, quoiqu’elle fut réunie à celle d’Etampes. La rue principale est étroite, et dans la saison des pluies, elle doit être fort salle et de plus exposée aux innondations. Au milieu, on est comme dans un puits. Neuf heures venaient de sonner, les ouvriers quittaient leurs travaux ; la rue en était encombrée.

Dès qu’on a remonté la côte, on jouit de la vue de la seine, et de jolies habitations qui se font remarquer fréquemment. On apperçoit aussi de la hauteur et sur la gauche, un groupe de maisons ; c’est Corbeil, petite ville à 7 lieues de Paris et un peu détournée de la grande route. Je ne m’arrêterai pas pour chercher à décider la question qui s’est élevée et qui est encore en litige, pour savoir si cette ville a été fondée par un général de l’Empereur Néron, commandant dans la gaule, ou si c’est la même dont il est parlé dans les commentaires de César ; ce qui parait certain, c’est qu’il y avait un pont déjà sous la première race de nos rois, et que charles le gros fit bâtir en cet endroit, un chateau qu’il érigea en comté, et où il plaça des troupes pour défendre la campagne et arrêter les normands qui dévastaient tout. Ce chateau fut bâti au 9e. siècle, et au 10e les Comtes de Corbeil étaient déjà connus avantageusement. On voit que le sixième Comte, Bernard II, fit la guerre au roi Philippe premier et qu’il eut même sa folle prétention de le détrôner. Il poussa le ridicule jusqu’à vouloir recevoir son armure des mains de sa femme : noble Comtesse, lui dit-il, donnés joyeusement cette épée à votre noble Baron ; je la reçois de votre main, comme Comte, et j’espère vous la rapporter bientot en qualité de roi de France. Le noble Baron avait sans doute mal pris ses mesures ; le sort des armes ne répondit point à sa jactance : au lieu de conquérir une couronne, il fut tué.

Corbeil a été le théâtre d’une autre bravade au temps de la ligue. Le Duc de Parme envoyé par le Pape, pour soutenir les catholiques, assiégea saintement la ville, et jura de la réduire en cinq jours. Au lieu de cela, elle tint au grand mois ; mais la courageuse résistance des habitans eut des suites funestes ; et pour en tirer vengeance, ce fut au nom d’un Dieu de miséricorde et de paix, que le Duc livra la ville au pillage et que ses soldats passèrent tout au fil de l’épée, sans distinction de rang, d’âge et de sèxe.

Ce fut à Corbeil que mourut cette reine infortunée, Ingelburge, fille de Valdemar, premier roi de Dannemarc et femme de Philippe auguste. Il la prit en déplaisir dès le premier jours de ses noces. Les esprits forts du temps ne manquèrent pas d’attribuer son aversion à son sortilège ; mais le véritable sorcier était l’amour que le roi avait conçu pour la belle Agnès de Mérande. La malheureuse reine fut reléguée à Etampes où elle végéta dans la plus grande misère. Le Pape s’étant mèlé de cette affaire de ménage, Philippe, qui n’avait pu effrayer, ni ses remords, ni une armée nombreuse de Sarrasins, trembla devant les canons de l’Eglise, courba sa tête auguste, et reprit sa femme à qui il laissa dix mille francs par testament. Elle mourut à l’âge de 60 ans. Je ne puis résister au desir de donner une idée de l’éloquence des panégyristes de ce temps : voici ce que l’Evêque de tournai disait de cette reine : elle égala sara en prudence, rebecca en sagesse, Rachel en graces, Anne en dévotion, hélène en beauté, et Polixène en majesté. On ne se serait certainement pas attendu à voir figurer hélène et Polixène dans un sermon.

On distingue Corbeil, en vieux et en nouveau, séparés l’un de l’autre par la Seine. On y voit encore les vieux restes d’un palais ou le grand maître Villiers de l’Isle adam a tenu un chapitre général de son ordre, et où St. Louis et Philippe le Hardi ont logé quelque fois. Henri IV y descendit lorsqu’il voulut s’en assurer et ce fut dans le prieuré que les habitans vinrent lui présenter les clés de la ville. Dans l’Eglise de la commanderie, l’on voyait de tous côtés des sépultures. La plus remarquable était celle de la reine fondatrice de l’Eglise ; elle y était représentée sur une table de cuivre avec tous les attribus de la royauté. Pendant la révolution, ce monument a été transporté à Paris et je me rappele de l’avoir vù au musée de la rue des petits augustins.

Corbeil a aussi été célèbre par ses Ecoles où le fameux Abeilard enseigna longtemps ; aujourd’hui c’est une ville où il se fait un commerce considérable en grains. Les marchés y sont fréquens et très-abondamment pourvus. On remarque un immense magasin, construit par ordre de l’abbé Terray et d’où l’on tire une grande partie des approvisionnemens en grains, destinés pour Paris. On trouve aussi beaucoup de mégisseries, de tanneries et de fabriques de cuirs de toute espèce.

Nous traversons St assise, sans nous y arrêter. On nous fait remarquer un fort beau chateau qu’on nous dit appartenir à Madame Manuel, mais nous croyons avoir été mal informés c’est le même au surplus qu’on appele aussi St. port et où Louis XV s’est arrêté une fois en allant à Choisy. S. M. daigna louer beaucoup de choses, mais elle trouva la salle à manger trop petite. Cette observation ayant été rapportée à Gluck, qui en était alors propriétaire, il s’empressa d’en faire construire une nouvelle dont la décoration est extrêmement recherchée, mais soins superflus : Louis XV n’a plus passé par St. Assise.

Les relais qu’on trouve ensuite successivement sont Ponthierry, qui mérite à peine le nom de village et où toutes les maisons sont en pierres meulières ; et Chailly, situé en rase campagne. Après avoir quitté ce petit village, on trouve un terrain léger dont la superficie blanchâtre annonce beaucoup de grès.

En effet on apperçoit dans l’éloignement, une infinité de blocs, dont on ne peut d’abord se rendre raison et dont l’aspect est aussi pittoresque que singulier. On entre bientot dans la forêt de fontainebleau, où ces blocs se reproduisent, les uns isolés et de la plus énorme dimension, les autres groupés sur eux-mêmes et présentant, soit une montagne inaccessible, soit un amphithéâtre, ou d’immenses débris ; c’est la décoration la plus vaste, la plus magnifique ; c’est le tableau le plus parfait d’un grand désordre, et je ne pense pas que rien puisse mieux représenter les ruines de ces cités fameuses de l’Egypte et de la grèce. La végétation se fait jour à travers ces énormes masses : partout où quelques graines ont pu se reposer sur un peu de terre végétale, elles s’y sont développées, elles y ont fructifié, et leurs rameaux vigoureux, contrastent par leur belle verdure, avec l’arridité de ces rochers grisâtres, à l’abri desquels ils semblent croitre et s’élever vers les cieux.

Cette forêt qui contient 24, 425 arpens, est de toute beauté. J’ai été frappé de la majesté de ces vieux chênes qui comptent assurément par siècles. La force de leur végétation, l’élévation de leur cîme l’épaisseur de leur feuillage, ces allées sombres, où l’art ne s’apperçoit pas ; ces voûtes de verdure, ou contournées ou qui se perdent dans l’éloignement, tout cela contribue à imprimer à ce lieu, un sentiment religieux qui invite au recueillement. Nous nous croyions transportés dans ces forêts antiques et sacrées, où les Druides avec pompes, offraient leurs sanglans sacrifices, où ils recueillaient le gui, pour en faire hommage au dieu qui préside aux armées.

Nous étions presque seuls, à peine on rencontrait quelques piétons, mais nulle voiture. Nous nous arrêtâmes un instant, le plus grand calme régnait autour de nous : rien n’interrompait le silence de cette vaste sollitude. En vain on prêtait l’oreille, le son des cors ne retentissait plus, la voix des chasseurs et des meutes nombreuses, ne se faisait plus entendre ; bien différent des temps ou Louis xiv animait ces lieux par des chasses tumultueuses et brillantes ; où son petit fils, avec sa cour intime ses flatteurs et ses courtisannes, promenait à jour fixe son desœuvrement et son ennui.

…Ce gros dieu, lourd et pesant,
Dont l’entretien est froid, glaçant,
qui ne rit jamais, qui toujours baille,
Et se trouvait toujours à Versaille.

On lit dans les mémoires publiés par Mad. Campan : le roi ne pensait qu’au plaisir de la chasse ; on aurait pu croire que les courtisans se permettaient une épigramme, quand on leur entendait dire sérieusement le jour où le roi ne chassait pas : le roi ne fait rien aujourd’hui. Les petits voyages étaient une affaire très-importante pour Louis XV. Le premier jour de l’an, il marquait sur son almanach les jours de départ pour Compiègne, fontainebleau ou choisy, et les plus grandes affaires, les événemens les plus importans, ne dérangeaient jamais cette distribution de son temps.

À une époque plus rapprochée on a vû le bon Louis XVI, si digne d’un meilleur sort, venir quelquefois à fontainebleau, se reposer des soins pénibles d’une couronne qui bientot devait lui échapper, et se distraire de chagrins trop réels, causés par le malheur des temps.

Marie Antoinette, cette reine dont la personne et la mémoire, ont été si outrageusement calomniées, a trouvé dans cette forêt, lorsqu’elle n’était encore que Dauphine, l’occasion de développer son respect pour la vieillesse et sa sensibilité pour l’infortune. Un paysan très-âgé, est blessé par un cerf que l’on poursuivait ; aussitot la princesse s’élance hors de sa calèche, y fait placer le paysan, avec sa femme, et ses enfans, fait reconduire cette famille, jusqu’à sa chaumière, et la comble de tous les soins, de tous les secours qui pouvaient lui être nécessaires.

Nous faisions ma fille et moi, des réflexions assés tristes, sur l’instabilité des choses humaines, sur les vicissitudes, les tribulations que Louis XVI et Marie antoinette avaient éprouvées, et sur la fin déplorable de leur carrière commencée sous de si brillans auspices, lorsque notre postillon, qui allait sur la terre, reprit tout à coup le pavé, et nous tira de nos rêveries.

Nous étions fort près de la ville de fontainebleau où se retrace aussi beaucoup de souvenirs historiques. Sa population est estimée à 6 400 habitans. Sa distance de Paris est de quinze lieues dans le Département de la marne. Elle a une sous-préfecture, un tribunal de première instance, une inspection forestière. Il s’y fait un grand commerce de raisins, de fruits et de savon. On y voit de belles rues, de beaux hotels, de belles maisons ; mais cette ville est principalement remarquable par son chateau, qui se trouve dans un fond vers le milieu de la forêt.

Il entrait dans notre plan de le visiter. La chaleur, comme je l’ai dit, avait été fort grande pendt. plusieurs jours, nous craignions d’en être incommodés et nous avions l’intention de coucher à Fontainebleau ; mais le temps ayant changé dans la matinée, nous n’avions plus les mêmes raisons de nous arrêter. D’ailleurs un orage s’annonçait, des éclairs sillonnaient les rües, le tonnerre grondait et il pleuvait déjà lorsque nous arrivâmes à la porte ; cette circonstance nous fit changer de résolution. Il eut été possible malgré la pluie de voir les appartemens, mais il eut fallu renoncer aux jardins que nous aimons et avec lesquels nous étions bien aise de faire connaissance ; nous continuames donc notre route. Nous fumes bientot assaillis par l’orage qui fut assés violent, mais qui heureusement ne dura pas.

La route passe devant la grille principale du chateau. En sortant de la ville, on se trouve dans un carrefour qui est un point de départ pour les chasses. Au milieu, s’élève un obélisque entouré de bornes en granit et supportant une grosse chaine. On apperçoit de tous côtés, de belles allées percées dans la forêt, et aux angles des trois principales on a placé de petites colonnes surmontées de boules à pointes dorées, semblables à celles qui décorent la grille du carrousel.

Le pavé est on ne peut pas mieux entretenu, la chaussée large, la voie en général très spacieuse, bordée de beaux arbres, de peupliers surtout, dont la tête orgueilleuse se fait remarquer par son extrême élévation. Tout est grand, tout est majestueux, tout annonce la magnificence et les approches d’une résidence royale. On ne croit pas voyager sur une grande route ; on croit se promener dans une avenue, ou dans les allées du plus beau parc.

Le pavé finit un peu avant Nemours. On quitte la forêt pour entrer dans cette ville, petite et fort gentille. Elle est située dans une isle, entre le canal de Briare et la rivière de Loing. Pour y entrer on passe sur deux petits ponts, de deux arches en pierre et fort bien entretenues. La rue principale est large et belle ; les maisons bien allignées et pour la plupart élégantes et dans le goût moderne : on s’apperçoit qu’on n’est pas encore très loin de la capitale. Mais ce sont à peu près les dernières constructions de ce genre que l’on rencontre, sinon dans les grandes villes. L’Eglise de Nemours ressemble à une petite cathédrale, et son clocher en flêche est d’un bon effet.

Cette ville tire son nom tout naturellement de Nemur, forêt, parcequ’elle se trouve entre la forêt de Montargis et celle de Fontainebleau. Gautier, chambellan de Louis VII était seigneur de ce lieu, qui n’était alors qu’un village ; il y avait un chateau, et c’est là où furent conclus deux traités fameux dans l’histoire de la Ligue. Par le premier du 5 juillet 1585[1], ceda aux Princes de la maison de Lorraine, chefs de la ligue, les villes de Toul, Verdun, châlons et quelques autres dont ils s’étaient emparés ; par le second, qui est du 15 juillet 1588, il se reconcilia avec eux, et la crainte de l’armée espagnole prête à se réunir aux ligueurs, l’engagea à leur accorder tout ce qu’ils exigeaient de lui. L’ancien chateau n’éxiste plus ; il était considérable, il avait été longtems habité par les Ducs de Nemours de la maison de savoie.

Il y a probablement peu de chevaux à Nemours : les ânes paraissent y être employés à tous les genres de service. Ils sont d’une belle espèce, forts et bien soignés. Nous en avons vu deux avec des selles et des brides élégantes ; nous en avons vu deux autres attelés à une charrue et trois à une charrete destinée à transporter du fourrage.

Les environs de Nemours sont charmans. Nous continuons à trouver des routes bien entretenues quoique sans être pavées. Mais ici plus qu’ailleurs nous voyons les traces de la double invasion de 1814 et de 1815 : il n’existe plus d’arbres que d’un seul côté, et sur une grande étendue de chemin. Il est surprenant que les autorités communales n’aient pas tenu à honneur de remplir ces vides qui rappelent des malheurs encore recens et dont le souvenir ne peut qu’affliger un cœur français. Sur une grande route d’ailleurs en même temps que les arbres contribuent aux agrémens du pays, ils deviennent précieux pour le voyageur. Je trouve que pour lui, ce sont des compagnons, des guides sûrs, qui le servent au besoin ; qui récréent sa vue, soutiennent son courage. Est-il forcé, par la fatigue, de s’asseoir sous leur ombre ? il puise dans un doux repos, de nouvelles forces pour continuer sa marche et parvenir au terme de sa course.

Nous cotoyons les bords du Loing. autant sur la droite, la campagne offre de verdure et de charme, autant l’autre côté présente de sècheresse et d’arridité ; ce sont des coteaux de sables sans la moindre végétation. D’Énormes blocs de grès, semblent être jetés ça et là, et prêts à s’abimer sur le chemin et sur les passans. Leur forme est si variée, si bizare, que de loin l’on croit appercevoir un obélisque, une pyramide, ou une statue colossale. Nous passons auprès de jolis ruisseaux, alimentant des moulins et formant par leur disposition dans la prairie, les plus agréables points de vue.

La Croisière, où nous arrivons, n’est pas un village ; il n’y a que la maison de la poste, dépendante du village de Souple, que l’on ne traverse pas. Nous ne voyons plus ni la petite rivière de loing, ni ces masses de grès, informes et menaçantes, qui un jour se détacheront ; ni ces colines dépourvues de culture, qui semblent mises en opposition avec le riant tableau que nous voyons sur la droite. La route est toujours unie ; elle est de plus ornée de deux rangs de peupliers, dont plusieurs sont remarquables par la forme spirale qu’ils présentent à une certaine distance.

Fontenaye, nous ramène notre petite rivière, ses moulins rustiques, sa prairie, ses agrémens. L’Eglise du village ne diffère pas des autres habitations, elle ressemble beaucoup plus à une grange qu’à un lieu consacré au culte divin. L’Edifice est loin de s’élever autant que les arbres qui l’environnent et la toiture d’un côté touche presque au sol. On remarque dans cet endroit, un vieux pont, sans parapet et dont l’arche du milieu, parait avoir été coupé à dessein, mais à une époque éloignée et que personne n’a pu m’indiquer. Ce pont doit être fort ancien, car les piles sont rangées à leur base d’une façon étonnante ; elles rentrent peut-être de deux pieds tout autour, et paraissent ne plus reposer sur rien. Les eaux étant en petite quantité et le courant peu rapide, il a du falloir des siécles pour arriver à ce point de dégradation qui est évidemment louvrage des eaux et du temps. Le loing dans ces environs n’est pas poissonneux, mais on nous a dit qu’en revanche, il produisait de belles écrevisses et en abondance. Nous en avons vues qui étaient en effet fort grosses.

On continue à voir une belle verdure, mais au milieu de laqu’elle on est fâché de trouver des chaumières d’une apparence aussi misérable : quand la nature se montre si riche, si parée, il semble étrange que les habitans ne montrent pas plus d’aisance et de bonheur.

Les coteaux secs et nus, qui nous ont accompagnés pendant si longtemps, et qui semblaient ne s’éloigner que pour se montrer de nouveau, ont tout à fait disparu. Ils ont fait place à un charmant valon au fond duquel on remarque un petit chateau qu’on nous dit appartenir à Mad. de Genlis. Un peu plus loin nous en remarquons un autre plus considérable, qu’on nous dit appartenir à un Pais de France.

Le livre de poste indique Puits la Lande, comme relais entre Fontenaye et Montargis, mais on ne s’y arrête pas. On double la poste ; nous l’ignorions aussi nous trouvions la distance d’autant plus longue que la journée s’avançait et que nous sentions le besoin de diner. Nous appercevons enfin des maisons ; nous croyions être à Puits la lande, que nous avions cependant traversé, mais que nous n’avions pas apperçu, tant il a peu d’apparence, lorsque notre postillon se retourne pour nous demander où nous voulons nous arrêter. Nullepart lui dis-je, nous voulons coucher à Montargis : mais, vous y êtes, nous répondit-il ; et en vérité nous ne nous en serions pas douté. À l’aspect du faubourg on se croit dans un village : toutes les maisons sans exception, sont de vraies chaumières, enduites d’un méchant torchis en terre d’un jaune gris, bien vieux, bien sale, bien laid. Aucune ne s’éleve à la hauteur d’un premier.

Après le faubourg, on traverse un pont en pierre jeté sur le Loing et l’on se trouve dans la ville ayant en face la rue principale, qui est longue, large, bien pavée et bordée d’assés belles maisons. La population de la ville, n’est guère au delà de 6, 000 âmes ; au moment où nous sommes arrivés, elle paraissait immense : tout le monde était aux portes et aux fenêtres ; la gendarmerie était à cheval, la garde nationale sans les armes, toutes les autorités se trouvaient rassemblées. Le tambour battait je ne sais trop quoi, ni lui non plus sans doute : il voulait battre un rappel et semblait battre aux champs. En nous oubliant un peu, nous eussions pu croire que nous étions des personnages importants et nous figurer que tout ce mouvement était pour notre réception : rien en effet ne pouvait y mieux ressembler. Nous arrivâmes bientot à l’auberge, où nous apprimes que ce rassemblement avait pour objet de se poster vers un chateau voisin où un incendie venait d’éclater. Nous avons su un peu plus tard, que le feu état éteint et que le dommage n’avait pas été grand.

Nous étions logés à la ville de Lyon, bonne auberge, où l’on nous a fait attendre un peu le diner, mais où d’ailleurs nous avons été très-bien. Je n’avais pas voyagé depuis plus de trente ans, et certes on était loin de trouver alors, sur les routes, des chambres aussi élégamment meublées, aussi propres et surtout d’aussi bon couchers que ceux que nous avons trouvés. Après le repas, nous sommes allés visiter la promenade publique qui n’est autre qu’un petit chemin dans une prairie, le long du canal de Briare. Nous avons éxaminé les bassins de ce canal et nous avons remarqué que par les procédés employés pour le jeu des machines, il ne fallait pas au delà de cinq minutes, pour emplir un bassin et par conséquent pour élever un bateau de la plus grande dimension, à dix pieds au dessus du niveau de la rivière, où il était auparavant. J’aurais été bien aise de visiter encore le soir même, le vieux chateau dont on voit les restes imposant, mais il ne faisait plus assés jour.

Le lendemain matin à 4 heures je m’y fis conduire. Je ne suivrai ni Piganiol, ni Lamartinière dans leurs recherches sur l’origine douteuse de son nom. Ce qui parait le plus probable, est ce que dit andré Duchesne : que le chateau ou la ville, ont d’abord été nommés Montargus, à cause de sa position élevée, qui permet d’embrasser de tous côtés une grande étendue de pays. L’un a donné son nom à l’autre et par corruption ; on en a formé le mot Montargis qui a prévalu. Quoiqu’il en soit, cette ville et le pays voisin, furent donnés par St. Louis, en appanage à son fils Philippe, mais étant mort sans enfant, la donnation revint à la couronne. Depuis ce temps quoique quelques Princes ou Princesses, en aient jouit par la libéralité de nos rois, néanmoins il ne fut pas séparé du Domaine jusqu’à françois 1er. qui l’a lieux en faveur de sa belle sœur Renée de France, Duchesse de Ferrare. Sa fille Anne d’Est, ayant épousé le Duc de Nemours, elle lui apporta en dot Montargis, et ses héritiers en jouirent jusqu’à Henri IV, qui le racheta du Duc de Nemours. Louis XIII, le donna en appanage, avec le titre de Duché, à son frère Gaston. À sa mort en 1660, Louis XIV, donna ce duché à son frère Philippe, toujours en appanage et c’est à ce titre que le Duc d’Orléans en jouissait encore au milieu du siècle dernier.

Montargis fut bloquée par les troupes anglaises en 1427 et réduite à une grande extrémité. Les anglais au nombre de trois mille, commandés par les Comtes de Warwick, de Suffolk et de Jean de la Soll, avaient investi la ville, qui se défendit, par l’avantage de sa situation, et par le courage de ses habitans et d’une faible garnison. La place manquait de vivres et de munitions, Dunois qui l’honorait du titre de bâtard d’Orléans, ayant la hire sous ses ordres, est choisi pour leur en porter. Son premier soin est d’instruire les assiégés du secours qu’il leur amenait. Il marche à la tête de seize cents hommes, arrive, combat, met les ennemis en déroute et remporte une victoire signalée.

Le chateau fut bâti par Charles V. On y voyait un des plus grands vaisseaux qu’on put trouver : une salle qui avait vingt huit toises deux pieds de long, sur huit toises quatre pieds de large. On ne peut plus maintenant rien distinguer dans l’intérieur, c’est un monceau de ruines, sur lesqu’elles restent seulement debout, quelques pans de murailles, et une grosse tour qui s’élève à une grande hauteur. Cette fortification a été faite avec un tel soin, le ciment qui a été employé se trouve avoir acquis par le temps une telle dureté et s’être lié tellement avec sa pierre, qu’on ne peut maintenant la séparer. On avait eu, m’a t’on dit, l’intention d’employer la mine, mais on aurait compromis la partie de la ville qui est de ce côté et ce moyen a été abandonné.

Je suis fâché de voir disparaitre tous ces vieux Edifices, qui font époques et qui sont autant de monumens historiques. J’aurais voulu qu’on en conservât au moins un, dans chaque département ou dans la circonscription des anciennes provinces, mais avec ses fossés, ses ponts-levis, ses tourelles, ses bastillons. La singularité des formes, le gigantesque des proportions, n’auraient pas manqué d’exciter un grand intérêt, sous le rapport des rapprochemens et des comparaisons et d’attirer un grand nombre d’amateurs et de curieux. J’aurais voulu surtout, que dans les restaurations que le temps eut rendu nécessaires, on se fut attaché à reproduire le même ordre d’architecture, et dans l’intérieur, les mêmes distributions, les mêmes meubles, les mêmes ornemens. Il en eut peu couté pour leur conservation, puisque les siècles et la main destructive de l’homme, peuvent à peine les abattre, et l’on eut ainsi ménagé, aux beaux arts des modèles précieux, et à l’histoire des moyens d’études pour peindre le caractère, les goûts, les habitudes, les mœurs, de ces temps chevaleresques et barbares, dont la description imparfaite ne se trouve que dans les romans.

Nous avions fait dans notre première journée vingt neuf lieues en moins de douze heures ; nous avions le même trajet et même un peu davantage pour la seconde, nous convinment donc de partir de bonne heure ; avant six heures nous étions en voiture. La sortie de la ville est plus agréable que son entrée, du moins dans notre direction, ce qui n’est pas ordinaire ; les provinciaux ayant grand soin d’orner de préférence les postes qui regardent Paris et souvent de lui donner son nom.

..

Nous appercevons de loin la forêt de Montargis, contenant autrefois, huit mille trois cents arpens, mais qui ne doit plus avoir aujourd’hui la même étendue. Tout est planté en chêne et hêtres. Nous pensions à ce chien célèbre qui parvint à faire découvrir le lieu où son maitre avait été assassiné[2] qui, plus tard, reconnut le meutrier, le combattit, suivant l’usage du temps, et fut assés heureux pour le terrasser et le forcer d’avouer son crime. Nous faisions là dessus nos réflexions ; nous déplorions la fin tragique du malheureux Aubry, et nous admirions la fidélité, l’intelligence, du courageux animal, dont l’action héroïque a si bien méritée de passer à la postérité. Nous nous reportions à ces temps d’ignorance et de superstition, où l’épreuve de leau et du feu, était admise en justice et considérée comme jugement de Dieu, et nous adressions des louanges à la sagesse de Louis IX, qui en renversant la loi dite gombette et défendant les duels judiciaires, avait réellement opéré une révolution dans cette partie de l’administration ; car dès lors pour être en état de juger, il fallut entendre des témoins, analyser leurs témoignages, examiner les écrits des plaideurs, suivre et comparer leurs raisonnemens. Il fallut enfin être instruit, laborieux ; et comme les seigneurs savaient à peine signer leurs noms, ils se trouvèrent incapables de continuer à rendre la justice et s’en dégoutèrent.

Nos entretiens étaient sérieux, comme on en peut juger, mais ils avaient pour nous un intérêt, un charme que je ne puis exprimer. Nous laissions quelque fois aller notre imagination, mais bientot nous revenions aux nouveaux objets qui pouvaient attirer notre attention.

Nous marchons entre deux plaines fort belles et d’une grande étendue. Nous voyons une charrue attelée de huit bœufs, chose nouvelle pour ma fille. Nous étions surpris de voir employer une force aussi grande, pour tracer des sillons peu profonds, dans une terre qui nous paraissait meuble et légère. Ces attelages s’étant rencontrées assés fréquemment dans tout le Département du Loiret, je me trouvai à même d’en voir de plus près et je reconnus que les quatre bœufs du milieu étaient jeunes, qu’ils n’étaient point dans le cas d’aider les autres et qu’ils ne figuraient que pour s’accoutumer à ce genre de travail.

Nous voyons quelques bouquets de bois ; sur la gauche un petit Etang et dans l’éloignement une petite maison de campagne, tout en hauteur et ressemblant plutôt à une tour carrée qu’à un bâtiment d’habitation. Les plaines sont toujours belles, bien cultivées, et l’on ne peut s’empêcher de remarquer combien on trouve peu de villages. Les soins donnés à la culture, annoncent cependant une population aussi active que nombreuse, mais retirée dans l’intérieur des terres.

Nous arrivons à Nogent sur Vernisson, petit Bourg dont les maisons sont dans le genre de celles du faubourg de Montargis. Les embrasures des portes et des fenêtres sont en briques, les pans de bois apparens et tout le reste enduit d’un mortier en terre jaune. L’ensemble de cette sorte de construction, n’est pas désagréable, quand les maisons sont neuves ou proprement entretenues, mais en général la manière de bâtir dans cette partie du Loiret que nous traversons, ne fait pas l’éloge du bon goût des habitans et surtout des architectes, s’il y en a.

Nous remontons une côte encore très-raide quoiqu’on l’ait adoucie, heureusement qu’elle est courte. On découvre bientot des plaines immenses. Tout ce pays est très découvert.

Je dois placer ici une observation, à la honte des communes et de l’administration publique ; c’est qu’à chaque relai, on se trouve assiégé de pauvres qui commencent souvent par vous offrir des fleurs ou des fruits et cela d’un ton libre, animé, engageant, et qui par une transision subite finissent toujours par demander l’aumone et de la manière la plus trainante et la plus piteuse. Nous avons plusieurs fois observé à une certaine distance, des femmes occupées à travailler devant leur porte ; à la vivacité de leurs mouvemens ; à l’air dégagé qu’elles montraient, on pouvait les supposer dans le meilleur état de vigueur, de joie et de santé, souvent même leur figure annonçait tout cela. Hé bien ! approchait-on, la voiture était-elle arrêtée ? à l’instant on laissait l’ouvrage, on paraissait se soutenir, se trainer avec peine, pour venir d’une voix lamentable répéter en psolmodiant et jusqu’à satiété ma… bonne… dame… mon… bon… monsieur… queuqu’ p’tites… choses… ces femmes n’inspirent aucun intérêt, aucun sentiment de compassion ; au contraire elles sèchent le cœur et tuent la charité : on leur donne cependant et beaucoup, mais pour se soustraire à leur importunité. C’est avec répugnance et non avec la satisfaction qu’on éprouve intérieurement en faisant une bonne action. Il est affligeant de voir dans les campagnes, autant qu’à Paris, des gens encore dans l’âge où l’on peut travailler, se livrer volontairement à un métier si honteux, si dégradant ; il est plus affligeant encore d’y voir élever des enfants, qui, placé dans une ferme ou dans un atelier, pourraient un jour devenir utiles à l’Etat, au lieu qu’ils lui sont à charge et qu’ils en sont la plaie et le fléau.

Un peu après avoir passé Nogent, nous étions occupés à regarder de fors beaux chataigners qui bordent la route, lorsque nous vîment une grande voiture publique entièrement remplie de turcs se dirigeant vers Paris.

Aux approches de la Bussière, on laisse sur la droite la route qui conduit à Bourges. On apperçoit bientot un chateau qui s’annonce bien et qui a son entrée par deux grilles, l’une en face, l’autre sur le côté. Vû de près son aspect est triste ; tout était fermé et je pensais qu’il n’était pas habité. On m’a dit le contraire. Il appartient à un génois qui l’a acquis depuis peu d’années et qui y fait sa résidence. Cette habitation, nous dit-on, n’a rien par elle-même que de très-ordinaire, mais le parc est remarquable par son étendue, par la manière dont il est planté et sa belle végétation ; il l’est aussi et principalement par un Etang de plus de trente arpens. Le village de la Bussière est petit, et forme un angle parfait. C’est là où l’on change de chevaux. Nous vîmes sur sa porte le maitre de la poste, avec sa femme, et nous trouvâmes enfin un jeune homme ayant bon air, bon ton, s’exprimant bien et sans affectation. Il répondit complaisamment à plusieurs de mes questions, et voyant notre embarras pour de la monnaie, il nous en donna qui nous fut fort utile pour les postillons qui sont dans l’habitude de n’en avoir jamais. Plus tard, nous ne nous sommes plus mis en peine de leur en trouver ; nous faisions dire à celui qui reprenait, ce qui était du, ou ce qui était payé d’avance.

À peine nous avions repris la route qu’une perdrix est venue passer devant nous. Je fais cette remarque parceque c’est la première pièce de gibier que nous ayons vue, sur une distance de plus de quarante lieues de pays que nous avions traversées. Les chasses n’étaient pas encore ouvertes, les chasseurs probablement n’auront pas été heureux de ce côté.

Nous retrouvons nos maisons en briques et en bois apparents. Quelques unes sont entourées d’arbres et produisent l’effet de ces fabriques élevées à grands frais dans les parcs ou dans les grands jardins.

Nnous voyons de petites bergères occupées à filer en gardant leurs troupeaux. Elles n’ont sans doute ni les graces, ni la fraicheur des bergères chantées dans nos Idilles, mais elles ne sont pas pour cela dépourvues de gentillesse et d’agrément : comme celles d’arcadie reproduites par le poussin, elles ont le petit chapeau de paille ; et si on ne les entend pas chanter la romance pastorale et plaintive, on voit du moins avec plaisir leurs brebis grasses et blanches, et près d’elles l’agneau préféré.

Nous venons de monter une côte d’où nous decouvrons la Loire, dont les bords offrent une grande richesse de végétation. Nous appercevons Briare, où l’on entre au bas du revers de la côte. Cette petite ville faisait partie de l’ancien gatinois et n’est remarquable que par son canal, qui en se réunissant à la Loire, établit la communication de ce fleuve avec la Seine. Ce canal commencé par Sully, est le premier ouvrage de ce genre, entrepris en France. Après la retraite de ce Ministre, les travaux furent suspendus, puis continués, et enfin achevés sous Louis XIII qui les donna à l’entreprise. Le produit des droits qui se percevaient autrefois, était très considérable ; il l’est moins depuis l’établissement du canal d’Orléans, qui, dans son cours de 18 lieues, unit le Loing et la Seine à la Loire et se trouve ainsi détourner beaucoup de marchandises, qui, auparavant ne pouvaient être transportées que par le canal de Briare. Celui-ci était le seul alors qui put établir avec Paris, une communication capable d’attirer dans la capitale, le commerce de la mer par Nantes, et celui de toutes les belles provinces situées sur la Loire.

La ville de Briare que quelques géographes ne qualifient même que de Bourg, fait partie du Dépt. du Loiret. Sa population n’est estimée qu’a 1800 habitans. Elle est chef lieu de canton. On y remarque seulement une assés belle rue et un pont en pierre sur le canal.

En sortant de Briare on s’éloigne de la Loire et l’intervalle qui sépare ce fleuve de la route, forme une plaine d’un terrain léger et qui parait peu fertile. Avant d’arriver à hipoly, village où l’on ne s’arrête pas on trouve une partie de pavé qu’on ne peut éviter et qui est détestable. Nous en avons été incommodés quoi que notre voiture fut fort douce et que nous allassions très doucement. À ce désagrément près, le village est assés bien, et pour son peu d’étendue, il contient une assés grande quantité de maisons bien bâties. Avant d’y entrer, on remarque sur la droite, et sur le bord de la route, un grand crucifix, haut de quinze pieds au moins et dont la figure plus grande que nature, est peinte couleur de chair et surmontée d’un petit auvent pour la garantir de la pluie. On lit audessus cette inscription, que je copie littéralement, sans rien changer à l’orthographe : Prié Dieu pour le repos dé ame Pardin. Les mots n’étant pas séparés, c’est une confusion pour trouver un sens, il faut chercher. Je ne pouvais m’expliquer la signification surtout du dernier mot : le postillon que j’avais fait arrêter, me dit que c’était le nom de l’ouvrier, ce que certainement je n’aurais pas deviné.

En priant pour le repos des âmes, on aurait pu recommander de prier aussi pour les pauvres voyageurs car c’est précisément à cet endroit où le chemin est si rabotteux, si mauvais et où ils sont si horriblement cahotés. Ce monument a été élevé dernièrement par les soins pieux et éclairés des bons missionnaires. Si l’on peut justement y blâmer l’absence de goût et de toute instruction, on doit considérer l’intention qui fait tout pardonner ; il est cependant facheux, que le Maire, ou le pasteur de la commune ; que les autorités du canton, de la Sous-Préfecture, ou de la Prefecture, s’il faut remonter aussi loin, ne se soient pas apperçus de ces fautes grossières ; qu’elles ne les aient pas fait disparaitre, et qu’elles n’aient pas réfléchi que ce monument exposé à la vénération des fidèles, était aussi exposé aux regards des Etrangers qui se piquent de savoir notre langue mieux que nous mêmes, et qui ne manqueront pas d’en faire l’objet d’une critique sévère et pour cette fois bien méritée.

Avant d’arriver à Neuuy, on se trouve sur une hauteur d’ou l’on découvre la Loire qui parait dans cet endroit avoir la même largeur que la Seine avant son entrée dans Paris, mais pour le moment les eaux sont si basses que toute navigation se trouve interrompue. Le lit de ce fleuve manque de profondeur : en été les eaux ne coulent que par filets ; en hiver elles débordent et inondent tous les environs. Nous rencontrons un petit chateau à M. de Coipet. Nous traversons un village ou hameau, où nous voyons devant une fabrique, trois petits garçons occupés à donner à de la brique sa première forme, et qui, chose singulière, sont de la tête aux pieds, aussi jaunes que la terre dont ils se servent. La route est agréable quoique un peu montueuse ; on jouit sur les hauteurs d’une vue magnifique ; c’est un vrai panorama.

Après avoir traversé la ville, petit village dans l’Eglise, fort basse n’a pas de clocher, et auprès de Miesme, un de nos chevaux fut pris de chaleur et allait tomber. Le postillon s’en apperçut, s’arrêta et nous descendimes. Après un instant de repos, on a pu aller au pas, jusqu’à une maison qui se trouvait peu éloignée, et là on a frotté le cheval avec du vinaigre, on lui en a fait respirer, et mis dans les oreilles. Pendant cette opération, la diligence de Lyon que nous avions passée quelques instans auparavant, nous atteignit et nous passa à son tour. Je conseillai au postillon de profiter de l’occasion pour faire demander un autre cheval à la poste prochaine ; et comme il ne me répondit pas et que je le crus bonnement tout préoccupé de ce qu’il faisait, je courus à la diligence ; je fis la proposition au conducteur, et ce n’est pas sans déplaisir que je le vis se refuser à nous rendre ce bon office, que j’aurais rendu très certainement en pareille circonstance. De retour auprès de notre postillon, je le grondai de n’avoir pas cherché à me seconder dans ma tentative qui pouvait en même temps nous tirer d’embarras et conserver à son maître une bête qu’il nous avait dit être jeune et bonne. Il prétendit que le maitre de poste à Cosne, où nous devions relayer, ne se serait pas prêté à cet arrangement ; que cela ne se faisait jamais ; qu’au surplus le cheval allait mieux, nous pouvions monter et nous remettre en route. Ma fille, toujours bonne, toujours compatissante pour ces animaux si doux, si utiles et qu’on traite si mal, voulait qu’on n’allât qu’au pas ; je ne m’y opposai point quoique j’en fusse contrarié, car alors il devenait de toute impossibilité de faire, comme nous le proposions, nos trente trois lieus dans la journée, mais quand nous vîmes que nous prenions plus de soins, plus de souci de cet incident, que nous prenait la partie intéressée, nous laissâmes les choses ; nous partîmes au trop et nous arrivâmes à Cosnes sans autre accident.

La ville de Cosne, faisait partie du Nivernais. En 1421, Charles VII encore Dauphin voulut l’assiéger, mais il leva le siège aux approches des anglais qui s’avançaient avec des forces bien supérieures à celles des français. Cette ville fut souvent prise et reprise durant les guerres du 16e siècle. Elle est sur la rive droite de la Loire, au confluant de la Nohain et chef-lieu de sous-préfecture de la Nièvre, avec tribunal de première instance et chambre des manufactures. Sa population est de 5 000 habitants.

nous sommes entourés de marchands qui offrent de petits objets provenant de leurs fabriques de coutellerie généralement estimés. Cependant nous n’avons rien remarqué de soigné, de joli ; et si d’après les échantillons on portait un jugement, il ne serait pas à leurs avantages.

En sortant de Cosne, l’orizon se perd derrière d’immenses coteaux, fort élevés et couverts de vignes. On voit alternativement de belles plaines ; un bon sol et de belles prairies. On arrive bientôt à Pouilly qui est dans un fond. Avant d’y descendre, on joint d’un coup d’œil superbe et on ne peut pas plus étendu. La Loire se montre là dix fois large comme la Seine, et quand les eaux sont abondantes, ce doit être un des plus beaux points de vue, qu’il soit possible de trouver. Quoique ce tableau laissât à désirer puisque le fleuve n’offrait que quelques filets d’eau, nous ne nous lassions pas d’admirer combien il était vaste, magnifique, et c’est à regret que nous le voyions se rapétisser progressivement à mesure que nous descendions la côte.

Après Pouilly, on se trouve presque tout de suite, sur les bords de la Loire. Dans cet endroit, le terrain est si bas, que pour peu que les eaux s’èlevent, la route doit être inondée et interceptée. On nous a donné pour postillon, un jeune homme de quinze ans. J’avais bonne envie de chicaner sur son âge au-dessous de celui qui est prescrit par les réglement ; mais il était si gentil, il avait un air si intelligent et si doux, qu’il nous inspira toute confiance, et que nous n’avons pas eu lieu de nous repentir de la lui avoir accordée. Il nous a mené très-modérement et très bien.

Nous approchons de la Charité, ville assez remarquable, et par la construction gothique de presque toutes ses maisons et par les restes nombreux de ses anciennes fortifications. Elle est sur le penchant d’une petite coline qui s’éleve sur le bord de la Loire, et devait par sa position, présenter un point de défense très-important. Elle eut beaucoup à souffrir durant les guerres, contre les anglais, et plus encore dans le seizième siècle, pendant la guerre de religion. Les Protestans, la prirent et la reprirent plusieurs fois sur les catholiques. Ceux-ci en étaient les maitres en 1569 sous Charles IX, lorsque le Duc des Deux-ponts la leur enleva par surprise et par trahison, pour y faire passer un secours qu’il menait aux prostestans dans la Guyenne. Celui qui commandait dans la place s’était enfui secrètement, les habitans demandèrent à parlementer, mais pendant que les Députés de part et d’autre étaient en conférence, quelques personnes de la ville qui favorisaient les huguenots, descendirent une corde au moyen de laquelle les ennemis étant montés les uns après les autres, ils s’emparèrent de la ville, où tout était dans la plus grande confusion. Elle fut donnée au pillage aux allemands, au lieu d’un mois de paix qu’on leur devait.

Cette ville qui faisait anciennement partie du Nivernois, est aujourd’hui chef lieu du canton du Département de la Nièvre. Son commerce consiste principalement en fer. On y trouve des manufactures d’armes blanches et de boutons de métal ; des fabriques de draps et d’ouvrages en émail, en acier, en fer battu, en fer blanc ; des verreries, des fayences, des entrepôts d’ancres, pour la marine, et des forges.

Nous avons remarqué l’Église du couvent des Dames Ste Marie qui est toute moderne et d’une grande fraîcheur. Elle se trouve élevée jusqu’à un premier étage, et on monte par un escalier en fer à cheval, construit au fond d’une petite cour. Une grille sépare la nef des tribunes, où les religieuses viennent entendre les offices. Du côté de l’Église, la grille est masquée par un rideau mobile, et du côté du couvent par une grande gaze noire, tendue, fixée, et dont la transparence est ménagée de manière à ce que les cloitrées puissent appercevoir, sans courir le risque d’être le moins du monde appercues. Du reste aucun édifice remarquable ; la ville est laide, tous les toits sont-noirs, toutes les maisons paraissent enfumées. Les rues sont ferrées et assés bien entretenues, mais toutes étroites, tortueuses et d’un difficile accès. On passe devant la salle de spectacle, indiquée en grosses lettres sur une vieille muraille. On a eu grand soin d’espasser les lettres et les mots pour que cela produisit plus d’effet. C’est dommage qu’il ne soit pas venu à l’idée de l’auteur d’y ajouter le nom de la ville, comme à Pantin ou l’on avait ingénieusement écrit : corps de garde de Pantin ; c’eut été plus long et eut mieux ressemblé à ces dépenses que le mauvais goût laisse subsister sur beaucoup d’Edifices de la bonne ville de Paris, pour empêcher de faire ou déposer des des ordures le long de certains murs. au surplus cette indication pour le théâtre de la charité, n’est pas la précaution inutile, car la porte d’entrée étant tout simplement un poste d’allée de trois pieds de large, personne ne se douterait que ce fut là un lieu destiné à réunir d’élite de la population d’une ville qui compte au moins 4,000 habitans.

Après la sortie de la ville on trouve de nouveau la Loire que l’on cotoye pendant quelques instans. Le sol de la route n’est pas beaucoup plus élevé que le fond du fleuve et n’en est séparé que par un petit parapet en terre et de la hauteur de deux pieds, pas davantage. Deux bateaux se trouvaient tout près de nous ; ils avaient déployé toutes leurs voiles et faisaient de vains efforts pour se remettre à flots : ils s’étaient hazardés sur un trop faible courant, ils étaient engravés et ne pouvaient parvenir à se dégager.

La route tourne ici brusquement sur la gauche et l’on s’éloigne et l’on s’éloigne encre une fois du fleuve pour ne plus le retrouver qu’à nevers. J’ai voulu goûter de ses eaux ; le lieu était propice, je descendis : je ne les trouvai pas aussi douces, aussi bonnes que les eaux de la seine. Tout le pays que nous avons parcouru, était évidemment autrefois couvert d’immenses forêts ; de grandes parties bordent encore les routes, mais on s’apperçoit que des concessions partielles, et toutes récentes ont été faites ; que des défrichemens ont eu lieu et qu’on a mis en culture des portions de terrains, dont les limites sont indiquées par quelques arbres laissés pour cet effet. Ces divisions, ces morcelemens qui indiquent l’existence de la petite propriété se font plus particulièrement remarquer dans le Département de la nièvre, dont les parties boisées sont dans une plus forte proportion.

Nous arrivons à Pougues, petit village qui n’a qu’une rue, mais large et fort propre. Nous eumes pour postillon un homme assés remarquable par la manière dont il était affublé. C’était un petit vieillard à mine madrée. Sa longue barbe, sa méchante blouse qui jadis avait été bleue, son chapeau, sans bord, sans fond, sans couleur bien déterminée, lui donnait un air qui prévenait peu en sa faveur. Le village est dans un fond ; pour en sortir, il faut monter une côté qui tournoie, et qui est assés longue, assés raide. Pendant qu’on changeait de chevaux, j’étais allé devant, comme cela m’arrive souvent, pour être mieux à portée de voir et d’interroger ; notre petit homme a profité de ce qu’il n’y avait qu’une femme dans la voiture, pour ne faire aucun frais de toilette et pour se croire dispensé de prendre le costume prescrit par les ordonnances. Lorsqu’il me rejoignit et que je le vis dans cet équipage, je ne manquai pas de me plaindre de son costume plus que négligé : pour toute réponse, il me dit qu’il faisait trop chaud. J’aurais pu à mon tour me croire dispensé de le reconnaitre comme attaché à la poste royale, et lui donner juste ce qui lui revenait pour ses guides ; mais en définitive, il nous avait bien menés et je ne crus pas devoir lui tenir rancune de sa négligence.

Avant d’arriver à Pougues, le pays se découvre, et les bois font place à de belles vallées, de beaux coteaux couverts de vignes, qui par malheur ont été gelées cette année. C’était le dernier relai pour arriver à Nevers. Tout en effet annonçait les approches d’une capitale : on rencontrait plus de monde sur la route ; on voyait de tous côtés, des maisons de campagne. Nous remarquons surtout un joli petit pavillon dans le goût chinois, fraichement peint, d’une forme élégante, élevé sur une terrasse, d’où le point de vue doit être délicieux.

L’Entrée de Nevers est fort bien. La route est superbe ; c’est un boulevard, une promenade, un bel arc de triomphe, une place spacieuse, de jolies maisons, des clochers hardis et bien plantés, toutes choses qu’on apperçoit d’abord, flattent la vue et donne à ce côté de la ville, un air de grandeur, tout à fait imposant. Nous descendons à l’hôtel de France, grande, belle et bonne auberge, où cependant nous avons été assés mal traités. On réparait la maison. On nous a logés au milieu des plâtres, on nous a servi un assés mince diner, qu’on nous a fait attendre un temps infini et pour tout cela on nous a fait payer fort cher.

Nous sommes allés nous promener dans la ville ; nous avons trouvé des rues étroites, mal percées et qui repondaient mal à ce que nous avions vu d’abord. Il y a cependant beaucoup de boutiques et de maisons qui ne manquent pas d’une certaine élégance. Tout le beau quartier est dans le haut de la ville ; la partie basse, est comme à Paris le f. b. St. Marcel. C’est là ou se trouvent les fabriques d’ouvrages en Email et d’Etoffes de laine ; des fonderies de canons ; des forges, clouteries, tannerie, verreries, fayenceries.

Nous n’avons pas vû la tour de la cathédrale, ni le portail de l’Eglise de la visitation qui sont cités ; mais nous avons vu un calvaire, œuvre des dernières missions et qui mérite d’être remarqué. Il n’est pas sur une éminence ; il fait face à une place, au milieu de laqu’elle est élevé un grand crucifix. On a planté dans une forme demi circulaire des peupliers de moyenne grosseurs ; on les a ébranchés jusqu’à la hauteur de huit à neuf pieds et cet intervalle se trouve dans une sorte d’étui carré, ayant bases et chapiteaux, ornés de manière à figurer des pilastres d’où sortent les rameaux des arbres. Un peu en avant, est un autel décoré d’attributs religieux, servant de soubassement à des colonnes d’une proportion moindre, disposées dans le même ordre que les pilastres, et supportant un petit fronton. Entre les pilastres et les colonnes, on a ménagé une galerie de trois à quatre pieds de largeur, au milieu de laqu’elle on voit dans un renfoncement et précisément derrière l’autel, le tombeau du sauveur. Cette galerie est ouverte du côté des pilastres qui servent comme d’acrothères, à une petite balustrade à hauteur d’appui. On y entre par chacun des côtés de l’autel, après avoir monté douze dégrés de même largeur que l’édifice, qui peut avoir environ vingt pieds de développement. Je crois avoir compté également, douze colonnes et autant de pilastres. Probablement ce nombre aura été choisi pour faire allusion aux douze apôtres de J. C.

Ce monument est éclairé le soir par des lampes et parait être entretenu avec soin. Il est construit en maçonnerie légère et en bois pour la plus grande partie. Il est peint, couleur de pierre et la fraicheur du tout ressort d’autant mieux, qu’il se trouve comme adossé à un massif de verdure. Son ensemble est d’un joli effet ; mais le style et les proportions ne sont point ce qu’ils doivent être pour la destination ; il y a trop de recherche et d’afféterie. C’est plutot le péristile d’un temple à venus, et l’on s’attendrait à y trouver l’image de cette déesse, plutot que l’image d’objets révérés et consacrés par la religion. Toutes les parties de ce monument sont d’une extrême fragilité, et quelque soin qu’on prenne de les entretenir, il sera toujours difficile de les conserver longtemps.

Nevers, est sur la rive droite de la Loire et disposée en amphithéâtre. Plusieurs écrivains ont appliqué à cette ville ce que les commentaires de Cesar disent de Noviodunom situé dans le pays des Eduens, mais d’autres regardent cette application comme fausse et prétendent que les anciens ne lui ont donné d’autre nom que celui de Nivernum, qui a été formé de la rivière de Nièvre qui, un peu au dessous de cet endroit se joint à la Loire. Selon ceux-là, nevers n’aurait été d’abord qu’un chateau bâti à ce confluent : il n’est pas en effet dans le dénombrement des anciennes cités de la gaule, fait sous l’Empereur honorius et cette ville ne peut produire d’Evêque avant le règne de clovis.

Après l’irruption des barbares, Nevers resta sous la domination de ceux auxquels appartenaient les territoires d’Autun, et ce ne fut que depuis, qu’il fut érigé en cité et en ville Episcopale. Les rois de france possédèrent Nevers depuis la mort de Clovis, jusqu’au déclin de la race des Carolingiens. Ce fut pour lors que les gouverneurs s’étant rendus absolus dans les villes ou ils commandaient, le Comte Guillaume devint propriétaire de Nevers, à peu prés au milieu du dixième siécle, sous le règne de Lothaire.

On découvrit en 1719, dans l’abbaye de N. D. un tombeau, couvert d’une pierre d’environ six pieds de long. On y voyait une figure en ronde bosse, dont la tête portait une couronne radiale ou à pointes. On trouva onze pièces de monnaie frappées sous charles VII, françois Ier et henri III. Quelques antiquaires croyent que ce tombeau est celui d’un Comte enterré dans cette Eglise, au treizième ou au quatorzième siécle et que les pièces de monnaies qui sont postérieurs à ces Epoques, ont été jetées après coup dans ce moment, où y ont été cachées comme dans milieu sacré et inviolable.

Le chateau des anciens Ducs n’existe plus. Il a été remplacé par une citadelle construite sur les dessins de Vauban.

Adam Billaud, plus connu sous le nom de Maitre Adam, et qui figura parmi les poëtes qui se signalèrent sous le Ministère du cardinal de Richelieu, était de Nevers et y exerçait la profession de ménuisier.

Nevers était la capitale du Nivernais ; elle est maintenant chef lieu du Département de la Nièvre, avec tribunal de première instance et de commerce ; chambre des manufactures, Bourse. &a. Son cômerce consiste principalement en bois, en charbon de terre et en bétail.

Il n’était bruit à Nevers lorsque nous y sommes arrivés que du Prefet (M. Walhenes) dont la réception avait eu lieu tout recemment. Dans la salle où nous avions diné on discourait assés lentement sur son mérite comme administrateur, comme littérateur et comme poëte. Le lendemain lorsque j’allai suivant ma coutume, faire préparer notre voiture, je trouvai, quoiqu’il ne fut pas encore cinq heures, un groupe nombreux dans la cour et un colloque établi, entre le maitre de l’hôtel, quelques maquignons et les garçons d’écurie. Je m’approchai et je fus fort surpris d’entendre qu’il était encore question de M. le Préfet. Mais pour cette fois, il ne sagissait plus de ses qualités comme homme de lettres ou comme fonctionnaire public, mais bien de la qualité d’une paire de chevaux qu’il venait d’acheter pour le prix de deux mille écus. Les uns vantaient la beauté, l’excellence de ces chevaux, d’autres les dépréciaient et il s’en suivit une discussion fort animée et qui d’abord était assés plaisante. un gros homme pris la parole et se mit en devoir d’énumerer toutes les qualités exigées pour constituer un bon cheval et toutes celles dont étaient dépourvus ceux dont il était question. Il parlait bien et je crois qu’il avait raison ; mais comme il me paraissait disposé à suivre la description du cheval depuis l’oreille, jusqu’à la queue, et que je tenais beaucoup plus à partir qu’à fixer sur ce point mon opinion, je renouvellai l’invitation d’aller me chercher des chevaux, et ce n’est pas sans peine que l’un des garçons se décida à quitter l’entretien.

à 5 heures et demie nous étions en voiture. nous traversons la ville ; nous revoyons les mêmes lieux que nous avons visités la veille et dans tout le quartier bas qui regarde la Loire, nous ne trouvons pas les maisons plus belles, les rues mieux alignées. Le quai était encombré de matériaux pour la réparation du pont qui se compose de vingt arches. Il est moitié en pierre et moitié en bois. Immédiatement après l’avoir passé, on trouve la campagne. La route a été exhaussée, les plaines de chaque côté sont beaucoup plus basses et se trouvent submergées régulièrement chaque année ; c’est ce qui explique pourquoi l’on ne trouve point où presque point d’habitations de ce côté du pont lorsque de l’autre elles sont si resserrées. On ne fait pas d’abord cette remarque et l’on est tout surpris de voir que la population s’arrête tout à coup, là où l’on s’attend à trouver un faubourg.

Le pays que nous parcourons ce matin abonde en bois, en grains, en gras paturages ; les habitans, sont frais, dispos ; et leur mise, propre soignée annonce l’aisance et le bonheur. Nous en rencontrons beaucoup qui portent des provisions à la ville. Les femmes ont presque toutes au col, une grosse croix en or, surmontée d’un cœur, et soutenue par un ruban de velours noir. Cette couleur sied bien ; elle fait ressortir la blancheur de leur peau et la fraicheur de leur teint. Elles portent généralement un chapeau de paille étroit sur les côtés, et figurant par derrière et par devant, deux rouleaux dont les pointes se relevent brusquement. Cette forme est bisarre, cependant nous avons trouvé qu’elle dégageait la figure et coiffait avantageusement.

Le premier village que nous rencontrons, est Magny. On continue à remarquer une végétation vigoureuse, annonçant un bon terrain. Les bestiaux, sont plus gros, plus gras, plus forts que dans les départemens que nous avons déjà traversés. On ne se sert guère que de bœufs, soit pour le labourage, soit pour le service des campagnes, soit pour le transport des marchandises de toutes espèces. Il est a remarquer que beaucoup sont couleur chamois, et que beaucoup de moutons sont noirs. Les fermes, les villages, sont toujours éloignés de la route, on n’en apperçoit que rarement, ce qui parait toujours singulier : on ne sait, ni d’où partent ces nombreux troupeaux qui paissent le long des fossés qui bordent le chemin, ni par qui toutes ces terres peuvent être aussi bien cultivées.

Nous venions de faire notre déjeuner ; nous voulions donner un reste de pain à un chien de berger qui était près de nous ; ma fille l’enveloppa dans du papier et le jeta. Au lieu du chien, ce fut le berger qui le ramassa et qui le mangea avec une avidité qui nous surprit. Ce n’est certainement pas parceque cet homme était pressé par la faim, mais parceque le pain était blanc et plus attrayant que le pain noir qu’on est dans l’habitude de manger dans les campagnes.

Après Magny, le premier relai est à St. Pierre Montier, très petite ville ou réputée telle. On lui donne 1400 habitans et je ne sais pas trop où ils peuvent être logés, car il n’y a qu’une rue encore n’est-elle pas fort longue. Les postillons ne la suivent pas ; ils prennent sur la gauche et près d’une marre, un petit chemin, qui doit être dangereux dans les mauvais temps. Ils se détournent pour être plus à proximité de la poste qui se trouve de ce côté.

nous continuons à trouver des bois et un pays d’un aspect sévère. J’ai déjà dit que les bœufs étaient employés à tous les genres de services. Quoique les terres soient plus fortes dans les Départemens de la Nièvre et de l’allier que dans le Loiret, nous ne voyons pas que l’on se serve ici de plus d’une paire de bœufs pour la charrue. On n’en met pas davantage pour l’ordinaire aux voitures à deux roues, qui sont d’une construction simple et très légère. On en voit quelque fois quatre, mais c’est rare ; ce nombre est pour les charriots à quatre roues.

St Imbert est un simple relai et Villeneuve, un trop petit village pour qu’on puisse en parler. Nous rencontrons une femme, vêtue non seulement avec propreté, mais avec une sorte d’élégance, et parée de bijoux, marcher nu-pieds, ayant à la main de jolis petits sabots, bien faconnés et portant sur la tête un panier. Cette rencontre me rappela ce que dit un voyageur moderne, que dans l’ancienne Colchide, il avait vu des femmes marchant pieds nues et cependant couvertes de brocards d’or et d’argent. Nous n’avons pas remarqué ailleurs que cet usage fut suivi. Nous appercevont de jolis maisons de campagne, comme aux environs de nevers. nous approchons de Moulins ; déjà nous voyons les cloches de la ville, et la première habitation qui s’offre à nous, est un pavillon, auquel se rattachent les murs de cloture d’un jardin, et dont la construction est en brique disposée de manière à former des guirlandes, des festons, des losanges, des rosasses et le tout éxécuté avec beaucoup de goût et de soin.

Nous entrons dans la capitale de l’allier et nous voyons qu’il est d’usage d’orner ainsi, non seulement la façade des maisons particulières, mais la plupart des Edifices. Le Palais de justice est dans ce genre ; il a été nouvellement restauré et l’on ne peut rien trouver de plus frais, de plus gracieux. Cette recherche d’ornement contraste même avec la gravité du lieu. Il faut que tout soit approprié à son usage, et il ne me parait pas bien que le temple où thémis rend souvent des arrêts si sévères, ressemble au chateau d’une petite maitresse. J’ai vu beaucoup de monumens construits de briques en tout ou en partie ; mais je n’avais pas vu l’employer aussi généralement et en former des dessins aussi variés. l’hôtel de la Préfecture, la maison commune dont la construction n’est pas achevée, le college royal et plusieurs autres Edifices méritent d’être remarqués. Moulins est l’une des plus jolies villes du royaume. Elle nous a paru d’autant plus agréable, que depuis peu d’heures, nous avions quitté Nevers, et que nous n’avions pas perdu le souvenir de ses rues étroites, sombres et plus ou moins embarrassés.

On voit peu de chevaux dans la ville ; tous les transports sont faits par des bœufs qui paraissent fort dociles. Il suffit pour les diriger, de leur poser une baguette sur la tête : le conducteur est devant, ils suivent ses mouvemens et répondent parfaitement aux directions qu’on leur imprime. On les traite avec douceur, on les excite de la voix, sans rigueur, sans cris et je trouvais que leur travail se faisait avec moins d’efforts et de peine. Il est vrai que le service se fait lentement, mais il est paisible ; et je compte pour quelque chose de n’être, ni importuné par d’impitoyables claquemens de fouets, ni scandalisé par des vociférations ; aussi impies, que révoltantes. Sous le rapport de la tranquillité, Moulins peut être regardé comme une petit Paradis.

Cette ville était la capitale du Bourbonnais ; elle est sur la rive gauche de l’allier, dans une plaine agréable et fertile, à douze lieues de Nevers et vingt de Clermont en Auvergne. Bourbon l’archambaud était autrefois la capitale du Bourbonnais, auquel elle a donné son nom ; mais elle a cédé cet honneur à Moulins. Cette dernière ville doit son agrandissement aux Princes du sang de france, qui ont possédé le Bourbonnais, et il n’en est guère fait mention avant Robert fils de St. Louis, qui y fit bâtir un hopital. Les seigneurs de Bourbon qui faisaient leur résidence dans la petite ville de Sauvigny, à deux lieues de Moulins, s’assemblaient souvent à l’occasion de la chasse dans cet endroit, où il y avait une ancienne tour qu’on appelait la Tour mal coëffée et qui faisait partie du chateau de Moulins. Ils y bâtirent ensuite un chateau, et le séjour qu’ils y firent, l’agrément et la commodité du lieu, formèrent peu à peu, une ville qu’on appela Moulins, à cause qu’il y avait des moulins dans les environs.

Il y avait anciennement à Moulins un baillage et une sénéchaussée, dont le gouverneur du Bourbonnais était le sénéchal né. Il y avait aussi une chatellerie royale et un siège particulier pour la connaissance des causes du domaine du roi et qu’on appelait la chambre du domaine.

Aujourd’hui cette ville est chef lieu de Préfecture et chef lieu de la dixième conservation forestière, avec tribunal de première instance et de commerce, Evêché, collège royal, séminaire &a.

On lit dans la Martinière, que lors d’un dénombrement qui fut fait en 1696 pour l’Etablissement de la capitation au taxe par tête, on trouva onze mille trois cent trente neuf personnes ; et d’après les derniers relevés de statistique, on n’a compté que quinze mille habitans. Il est surprenant que la population de cette ville ne se soit accrue que d’environ un tiers, dans un espace de cent trente années, et cela dans un pays aussi excellent.

On trouve à Moulins, beaucoup de fabriques de couteaux, de ciseaux, d’armes à feu, d’armes blanches ; des filatures de lin, de coton ; des forges, et dans ses environs des carrières de pierres et des eaux minérales. Son commerce consiste en quincaillerie, graines, vins, bestiaux, poissons, charbon et bois de construction.

C’est la patrie de Renaudin, et des maréchaux de Berwick et de Villars.

En sortant de Moulins, on quitte la route de Lyon ; on tourne sur la droite, on suit un chemin non pavé et assés mauvais quand il pleut ; on se trouve près de l’allier que l’on passe sur un fort beau pont de treize arches, construit nouvellement en pierres de laves, provenant des belles carrières de Volvic, qui sont à peu de distance. On se trouve en face de la route de clermont, un peu moins large que celle qu’on vient de quitter, mais d’ailleurs aussi belle et aussi bonne. Le commencement est absolument comme l’avenue d’une maison de plaisance ; elle est bordée de chaque côté de superbes peupliers, très serrés et procurant l’ombrage le plus agréable et le plus frais. nous nous trouvons bientot devant un petit chateau de forme singulière. Le bâtiment principal qui est fort peu étendu, parait être construit en terre. Il est flanqué de deux petites tourelles, dont une ressemble tout à fait à un colombier. C’est à peu près en face de cette propriété, que nous avons trouvé un malheureux conducteur, bien dans l’embarras et à qui il ne nous a pas été possible de porter aucun secours. La ventrière du cheval ayant manqué et les brancards de la voiture, s’étaient levés, trois pièces de vin ont roulé sur le chemin, ensuite dans un fossé et une qui s’est brisée a été entièrement perdue. Cet homme déplorait la perte de son vin et ne savait comment s’y prendre pour retirer les deux pièces restées intactes. Cette opération ne pouvait se faire qu’au moyen de cordages et de bras, qu’on ne pouvait pas espérer de trouver qu’à Moulins. nous avons regretté de ne pas nous y rendre ; nous nous serions volontiers chargés de lui en procurer.

Le premier relai ne se trouve qu’à la distance de deux postes et demie. Cette course est trop longue pour être faite par les mêmes chevaux et tout d’un trait. On ne leur accorde pas même un rafraichissement après l’avoir fournie. Le sol est montueux et fatiguant ; on ne peut pas aller vite ; souvent on ne va qu’au pas et les voyageurs souffrent de cet arrangement. Pendant les six mauvais mois de l’année, on paye ici un cheval de renfort. Le lieu où se trouve la poste se nomme chatelneuve. C’est un petit village, long et étroit, situé sur une côte fort élevée d’où s’étant très loin sur une vaste campagne où coule l’allier. Nous appercevons pour la première fois, la chaine des montagnes du Puy de Dôme, qui ne nous paraissent que comme un rideau de vapeurs terminant en immense horizon : on doute même que ce soient des montagnes.

Saint Poursain, où l’on arrive bientôt, est la première ville de l’auvergne. Elle est fort petite, quoiqu’elle compte près de quatre mille habitants. Elle se trouve en rase campagne, au confluant de la Sioule et de la Bouble, petites rivières larges et fortes comme à Paris la rivière de Bièvre. Nous n’avons vu aucune rue passable, aucune maison où un honnête voyageur put s’arrêter, sinon celle de la poste qui est en même temps une auberge où l’on est fort bien.

J’avais une commission pour la maitresse de cette maison. J’ai déjà dit que j’étais dans l’habitude de descendre à chaque poste. à la dernière, avant d’arriver à Moulins, à peine eus-je mis pied à terre que je fut accosté par un gros homme, qui me demanda si je suivais la route de Clermont et si je voulais lui rendre un service. Je lui dis que j’allais en effet à Clermont et que je ferais ce qu’il désirais pourvu que ce ne fut pas dans le cas de m’occasionner trop de retard. C’est moi, dit-il, qui tiens la poste de Saint Poursaint. Depuis plusieurs jours, je suis absent de chez moi et je crains que ma femme ne soit inquiète, et pour la tranquilliser, je vous serai obligé si vous voulés bien lui dire que vous m’avés vû, que je me porte parfaitement, et que je serai près d’elle au plus tard demain soir. Je lui proposai d’écrire, l’assurant que je ferais remettre sa lettre par le postillon : il s’en déffendit ; j’insistai ; il persista ; et comme à la manière dont il s’exprimait, je soupçonnai qu’il pouvait avoir une bonne raison pour ne pas écrire, je ne le pressai pas d’avantage. assés serviable de ma nature, j’acceptai la commission, quoiqu’il me parut étrange d’en être chargé. J’avais donc ici à la remplir et c’est ce que je fis de mon mieux. J’avais cependant un certain scrupule à dire que le cher homme se portait bien, car la chose prise à la lettre, n’était pas fort exacte ; il avait déjeuné, et la vérité est qu’il n’était pas dans le moment d’une grande solidité sur ses jambes.

Je trouvai une femme de trente à trente cinq-ans, alerte, resolue, et qui par son embonpoint et son humeur enjouée, ne me parut pas du tout avoir souffert de l’absence du mari ; a par le peu de joie qu’elle montra en apprenant son retour prochain, je pus facilement juger que mon message était au moins la précaution inutile. Je fus toutefois remercié avec obligeance ; mais je n’en fus pas moins désapointé, moi, qui jouissais par avance du bonheur de porter des consolations à une Epouse que je m’imaginais trouver dans l’attente et dans l’affliction.

Saint Pourçain doit son origine à une ancienne abbaye de l’ordre de St. Benoit dont elle a pris le nom et qui était comme avant St. grégoire de Tours. On sent que l’Eglise ait été bâtie par Charlemagne et l’on prétendait que d’anciennes sépultures qu’on y voyait étaient celles des Princes et Princesses de la famille de cet Empereur. Il existe dans cette Eglise un ecce homo, d’une seule pierre et que les curieux regardent comme comme un chef-d’œuvre de sculpture. Je l’ai vû ; je conviendrai qu’on peut en effet le considérer comme un petit chef-d’œuvre, mais pour le temps où il a été fait.

De cette ville, au Maillet de l’Ecole, la route est extrêmement unie, aussi le trajet se fait-il très rapidement. Ce village n’est rien, on y remarque seulement un reste de vieux donjon, dont plusieurs ouvertures sont encore garnies de grilles à mailles très serrées : c’était la porte de Gannat, petite ville que l’on trouve deux lieues plus loin. Cette ville est très ancienne, ainsi que l’indique les constructions d’une infinité de maisons particulières et les restes nombreux d’anciennes fortifications. Sa population est estimée à 5000 âmes. Il s’y fait un grand commerce de bestiaux, et l’on trouve sur son territoire des mines d’alun et des Eaux minérales. De Gannat on se rend à Aigueperse, long et vilain Bourg où l’on trouve encore beaucoup de monuments qu’on est convenu d’appeler gothiques, parce que les goths nous les ont transmis, car ce genre d’architecture vient d’arabie.

De Saint-Pourcain à Gannat, nous avions déjà remarqué que le postillon nous menait plus vite que de coutume ; je ne disais rien parce que la route était extrêmement belle et unie ; qu’il ne pouvait y avoir le moindre danger. Celui que nous prîmes en dernier lieu, nous fit partir au galop, ce qui est assés d’habitude, mais il continua d’aller le même train et d’une manière tout à fait extravagante. Les chevaux nous envoyaient envoyaient de la terre, nous en étions inondés ; chaque fois qu’ils étaient poussés, ils nous faisaient éprouver des secousses dont nous souffrions beaucoup ; je me plaignis, il ne fit pas mine de m’entendre ; je me plaignis de nouveau et lui enjoignis d’aller plus modérément : il me dit alors, qu’il était pressé et qu’il ne pouvait pas aller plus doucement. Choqué de cette impertinence et voyant ma fille très effrayée, j’ordonnai vivement au postillon de ralentir sa marche, et ce ne fut pas sans peine que j’obtins de lui d’être menés à notre volonté et non à la sienne. Cette conduite nous parut étrange et nous ne pouvions en deviner la cause ; nous la sûmes plus tard et la voici. Le Duc d’orléans qui revenait de sa terre de Randan, devait passer par cette route et avait fait retenir des chevaux. L’ordre établi pour le départ des postillons, ayant mis le nôtre dans l’obligation de nous mener, il en était contrarié et faisait tout ce qu’il pouvait, au risque de nous verser, afin d’être de retour assés tôt pour faire partie des relais destinés Mot raturé pour le Prince, qui ne passa pas par cette route. il n’y eut que ses enfans que nous rencontrâmes avec quelques personnes de suite.

Arrivés à Aigueperses, suivant l’usage, les chevaux furent dételés, et suivant le mien je descendis pour visiter la voiture. Je reglais avec le postillon, que je gourmandais, comme il le méritait, et j’adressai quelques questions aux personnes qui se trouvaient là, lorsque je m’apperçus qu’on n’amenait pas de nouveaux chevaux. Je demandai le maitre de poste que l’on me montra assis tranquillement devant sa porte ; je lui dis de faire en sorte que l’on se hâtât. Et pourquoi ? me répond il ? — comment pourquoi ! ne le voyés vous pas ? pour avoir des chevaux — Des chevaux : nous n’en avons pas. M. le Duc d’orléans qui devait passer par ici, a pris la route de Lyon et nous venons d’y envoyer tous ceux que nous avions de disponibles. Je ne pouvais pas croire qu’on eut ainsi dégarni les relais d’une route et parconséquent suspendu le service ; je vérifias le fait, il était vrai. mais alors pourquoi ne m’avoir pas prévenu tout de suite ? pourquoi avoir souffert que les chevaux fussent dételés, que la voiture fut laissée, comme elle était au milieu de la rue ? je ne comprenais rien à une telle conduite. Pendant que je discutais, j’apperçus le postillon, qui s’était mis à l’écart et, se disposait à partir sans même avoir donné aux chevaux le temps de souffler. J’allai à lui, je voulus l’obliger à doubler la poste ; il s’y refusa absolument : j’insistai, je menaçai, ce fut en vain. Je reclamai l’intervention du maitre de poste pour m’aider à faire éxécuter le règlement, ce fut aussi sans effet. forcé de me résigner, je demandai qu’au moins la voiture fut conduite dans une auberge. vous pouvés, me dit le postillon, rester à la poste, c’est la meilleure auberge du pays et vous y serés bien. Cela pouvait-être et cela était réellement ; mais je compris alors que de conivence avec le postillon, le maitre de poste avait essayé de profiter de la circonstance pour nous mettre dans la nécessité de nous arrêter chés lui et je ne voulus pas me prêter à la supercherie. Les chevaux ont donc été remis à la voiture qui fut menée dans une auberge qu’on nous indiqua. Pendant ce temps, voulant réclamer l’appui de l’autorité pour forcer le postillon à doubler la poste, je m’adressai à un honnête gendarme pour savoir la demeure du maire ; il eut la complaisance de m’y conduire. nous ne le trouvâmes pas ; nous allames chés l’adjoint qui était également absent. Enfin n’ayant aucun moyen, aucun espoir de me faire rendre justice, je m’en fus bien mécontent rejoindre ma fille qui était restée dans la voiture et que je trouvai dans la plus pitoyable auberge et mourant de peur d’être obligée d’y passer la nuit. faute de mieux, il fallut cependant prendre son parti ; tout en déplorant notre sort nous avisions au moyen de diner, car nous avions perdu beaucoup de temps, et la journée était fort avancée ; nous avisions aussi au moyen de nous installer de manière à être sinon le mieux, du moins le moins mal possible, lorsque ma fille, toujours inquiéte, toujours l’œil au dehors apperçut deux chevaux de retour sur Riom. Elle me prévient, je fis appeler le postillon, qui ne demanda pas mieux que de nous conduire. En un instans la voiture fut prête et nous fumes enchantés de pouvoir nous tirer de l’embarras où nous étions. Ma fille surtout se trouva bien heureuse de ne pas rester dans une maison où suivant toutes les probabilités elle eut été fort mal à son aise. Ce n’eut pas été au surplus la faute de nos hôtes qui paraissaient être de bonnes gens ; ils voyaient notre répugnance, ils cherchaient à la vaincre, à nous rassurer, à nous engager ; ils auraient eu pour nous les égards, les soins qu’ils promettaient, j’en suis bien sûr, mais tout cela ne pouvait remedier à l’essentiel dont malheureusement ils se trouvaient privés.

Aigueperse est une ville encore moins considérable que Gannat ; elle ne compte que 4500 habitans ; je n’y ai vu aucun édifice, aucun bâtiment remarquable, et n’a je pense d’autre mérite que d’avoir vu naitre le chancelier de l’hopital et le poëte Jacq. Delille. Il y a, dit-on, dans cette ville, une fontaine qui bout à gros bouillons quoique l’eau soit froide au toucher. nous n’avons pu la voir à cause des contretemps que nous avons éprouvés. Elle est sans saveur du moins fort sensible, et ce qu’il y aurait de surprenant c’est qu’elle suffoque les animaux qui en boivent et que les oiseaux qui en goûtent meurent un instant après.

D’Aigueperse à Riom, le chemin est charmant ; il est bordé de chaque côté de superbes noyers, et la vue s’étend sur des plaines immenses où tout annonce des terres excellentes et une grande fertilité. Le jour diminuait et c’est à regret que nous cessions de voir cette belle partie de l’ancienne Limagne, qu’on appelait si justement le parterre et le potager de l’auvergne.

Il était 9 heures quand nous arrivâmes à Riom, tous les incidens survenus avaient retardé notre marche. Je me proposais d’adresser une plainte au sous-Préfet et en attendant le souper, je me mis en devoir d’écrire, mais sur les instances de ma fille, je n’achevai pas ma lettre. j’ai peut-être eu tort : le postillon et plus encore le maitre de porte, avaient cédé à un sentiment de cupidité ; ils avaient manqué à leur devoir et méritaient au mieux une forte réprimande.

Riom, est à trois lieues de clermont et la seconde ville d’auvergne. Son nom est formé de Ricomague qui en langue celtique signifiait une demeure riche. Grégoire de Tours, fait mention de cette ville en plusieurs endroits de ses ouvrages, où il rapporte les miracles de St. Amable prêtre et patron du lieu.

Le roi Philippe Auguste ayant assiégé cette ville, ne s’en rendit maitre après plusieurs assaults, que par capitulation. Il en emmena quarante otages qu’il retint longtemps à Paris. Riom fut très peuplée sous les Ducs d’auvergne de la maison de france, lesquels étaient fils et petits fils du roi Jean. Leur résidence en cette ville y attira les plus grands seigneurs de la Province qui composaient leur cour, et l’on retrouve encore les hotels qu’ils ont habités.

Riom était considérable, par sa sénéchaussée ; par son présidial, dont le ressort était l’un des plus étendu du royaume ; par son Bureau des Finances, l’un des six qui avaient une plus grande direction en matière de tailles, et par une chambre et un hôtel des monnaies. Elle a perdu de son importance : elle est chef lieu de sous-préfecture, avec cour royale et Tribunal de première instance et de commerce, mais on n’y bat plus monnaie. Elle est bâtie sur une hauteur, près de la petite rivière de l’Ambène. des rues sont larges et plusieurs d’entre elles se coupent à angles droits. à la place des fossés qui lui servaient d’enceinte, on y trouve aujourd’hui un fort beau boulevart planté de quatre rangs d’arbres et qui fait le tour de la ville.

nous sommes logés, à la colonne D’or, sur une grande place. nous avons en face de nos croisées, une jolie fontaine, donnant jour et nuit de l’eau excellente, avantage que nous avons rarement rencontré sur la route. La promenade publique est derrière cette fontaine. C’est un quinconce dont l’extrêmité forme une terrasse qui domine la campagne du côté du nord et qui offre un très beau point de vue. Les maisons et les édifices sont construits avec solidité, mais ils manquent de grace et de goût. Bâtis avec des pierres de lave, elles sont d’un fond noir qui rend leur aspect triste et d’un effet désagréable. l’Église principale est fort belle. Le vaisseau est grand et peut être comparé à celui de la paroisse St. germain des près. La tour de cette Eglise est remarquable ; elle s’élève d’abord carrement et se termine dans la forme d’un pain de sucre coupé par la moitié. C’est là je crois où St. gal, Evêque d’auvergne avait fait élever un autel, sous lequel il fit transporter le corps de St. amable dont j’ai déjà parlé.

Cette Eglise est sur une belle place au milieu de laqu’elle les dernières missions ont élevé un fort beau crucifix, posé sur un fort piédestal carré et entouré de bornes. Toute la croix, depuis la base jusqu’au sommet est parsemé de fleurs de lys d’or et les trois extrêmités supérieures terminées par des couronnes aussi en or et fleurdelisée. l’Ensemble de ce monument est d’un bel effet, seulement la figure du christ est trop petite pour la croix : les bras n’en peuvent couvrir que la moitié au plus en laissant un trop grand vide.

Si je ne craignais de scandaliser la piété peu éclairée de certaines âmes, je me permettrais de dire que je n’aime point à voir ces sortes d’images en dehors des lieux consacrés au culte. Je trouve indécent d’exposer des objets sacrés et pour lesquels on doit du respect, à toutes les intempéries des saisons. Dans un carrefour, ils se trouvent pour ainsi dire, au milieu des ordures qu’on dépose de toutes parts ; ils sont exposés à d’injurieux blasphêmes et témoins du mouvement de toute une population qui souvent se querelle et s’injurie de la façon la plus grossière et la plus impie, ce sont de véritables et continuelles profanations. Comme nous passions, une malheureuse femme était à genoux dans la boue et prosternée devant ce crucifix. Elle avait le dos courbé, les mains en croix sur sa poitrine et les yeux fixés vers la terre. Elle priait sans doute avec ferveur ; elle ne s’apperçut pas qu’un charriot s’approchait et fut renversée par l’un des bœufs qui le traînaient. Elle n’eut pas beaucoup de mal, mais elle pouvait être abymée : cet accident nous causa une frayeur extrême.

Riom a été le berceau de plusieurs personnes qui se sont illustrées par leur savoir et leur esprit : anne Dubourg, conseiller au Parlement de Paris ; guebrard, archevêque d’aix ; Jean Sirmond, l’un des hommes les plus savant parmi les Jésuites ; Jean Sirmond neveu du précédent, historiographe de France et l’un des quarante de l’académie française, et l’Evêque de Senez, l’un des plus grands prédicateurs de son temps.

La population de cette ville est de plus de 13,000 âmes. Son commerce consiste principalement, en toiles communes, en toiles communes, en Epicerie et en quincaillerie. Ou y fabrique beaucoup de chandelle et de bougie ; des toiles de coton, des bazins, des mouchoirs. On fabrique aussi des eaux de vie et des pâtes de fruits. Elle possède des eaux minérales et des tanneries considérables. Ses environs abondent en vins, blés, chanvres, fruits de toute espèce, et en noix et chenevis dont on extrait de l’huile.

C’est à Riom qu’on commence à trouver les mœurs, les habitudes et surtout le langage de l’habitant des montagnes. Toute la classe bourgeoise parle français, mais le peuple ne connaît que le patois auvergnat, aussi a-t’on beaucoup de peine à se faire comprendre des filles d’auberges. Elles ne savent dire que le mot oui, et cela est facheux : on croit qu’elles ont entendu, on attend et rien ne vient parce que souvent elles n’ont pas compris ce qu’on a demandé. Nous étions chés de fort braves gens, mais dont l’intelligence et l’activité ne nous ont pas paru être le fond essentiel de leur caractère. Il ne m’a pas été possible de faire graisser notre voiture ; on n’avait point de chèvre et pour y suppléer, le garçon est allé fort loin chercher un énorme cric, qui n’a pu servir. avec le moindre bon sens on eut pu le prévoir, ce malheureux homme ne s’en est pas douté et s’est donné de la peine pour rien. J’ai fait faire cette opération à Clermont où j’ai trouvé des gens bien autrement alertes et intelligens. Il ne ma pas été possible non plus de me faire comprendre quand il s’est agi d’aller commander des chevaux, j’ai été obligé d’y aller moi même. Mais je me trouvai dans un autre embarras : j’ignorais où était la poste et les deux premières personnes à qui je m’adressai pour le demander, ne me comprirent pas. Il n’était que cinq heures, il y avait peu de monde encore dans les rues, je ne savais de quel côté tourner mes pas. Je marchais au hazard, lorsque j’apperçus un honnête bourgeois ; j’allai droit à lui et non seulement il m’enseigna ce que je voulais savoir, mais il poussa la complaisance jusqu’à me conduire. Je ne savais comment reconnaitre tant de politesse ; après m’être confondu en remerciemens, je lui vantai les beautés de sa ville et chaque lieu devenait un sujet de louanges, aussi fut-il enchanté de moi, il me reconduisit jusqu’à mon hôtel ; j’ai vû le moment où je ne pourrais plus m’en débarrasser. Il me quitta cependant non sans peine et en m’exprimant tous ses regrets que je ne restasse pas davantage, pour me montrer tout ce que la ville renferme de curieux.

Je trouvai tout ouvert dans notre hotel et je ne voyais personne. Les maitres et les filles n’étaient pas levés et le garçon était allé reporter le cric ; cependant les chevaux étaient venus et attelés, et très-certainement nous eussions pu partir sans être apperçus. Il est difficile de trouver moins d’ordre et plus de négligence que dans cette maison. Toute fois nous avons été bien traités ; les chambres qu’on nous a données étaient belles, bien meublées et nos lits fort-bons. nous eussions sans doute passé une très-bonne nuit si nos oreilles eussent été accoutumées aux horloges dont le timbre est d’une force à étourdir. En allemagne et en Angleterre, des crieurs annoncent l’heure pendant la nuit. Cet usage qui remonte au temps où il n’y avait point d’horloge et assés loin, puis que la première ne fut connue en france que sous Louis XI, se conserve comme précaution surabondante ; elle serait au surplus fort inutile à Riom où les heures sonnent de reste.

Les américains se font aussi annoncer l’heure pendant la nuit et de plus le temps qu’il fait. C’est un usage qu’ils ont conservé des anglais ; et comme chaque pays doit avoir les siens, on prétend qu’en Turquie des hommes ont la mission de parcourir les rues et de prévenir de l’heure marquée par le Prophète pour que chaque mari rende ses devoirs à sa femme.

Nous ne voulions pas nous en aller sans payer notre dépense, nous entrâmes dans la cuisine où nous fûmes surpris à la vue d’un énorme pain qu’on nous dit peser de 30 à 40 livres. Il est placé sur un bloc au bout de la table et chacun en prend sans le déranger. Il est noir, sec et d’un goût désagréable. Les gens de la campagne et les domestiques n’en mangent point d’autre. Pour les bourgeois et les voyageurs, on fait un petit pain blanc, qui serait assés bon s’il était plus cuit. Les Boulangers ne font pas comme ici de grands frais de grilles pour décorer le devant de leurs boutiques ; ils fichent un clou ou deux, de chaque côté de la porte ; ils y accrochent un pain, et cela suffit pour indiquer la profession.

nous partîmes de Riom le Dimanche 6 aoust à 6 heures du matin. Jusqu’à Clermont, dont la distance est d’une poste et demie, on ne perd pas de vue les montagnes, qui étaient ce jour là couronnées de nuages sombres. Les terrains qui nous environnent, le sol de la route que nous suivons, les pierres déposées ça et là pour servir à son entretien, tout présente une teinte rembrunie qui donne au pays un caractère particulier.

avant d’arriver à Clermont, on traverse Montferrand très petite ville, qui n’en est qu’à un quart de lieue et qui était autrefois un chateau appartenant aux Comtes d’Auvergne. C’était alors leur meilleure place de guerre, c’est pourquoi l’on dit encore en auvergne, ferrand le fort, quoiqu’il n’y ait plus de fortification. Il y avait autrefois une cour des aides que Louis XIV a fait transferer à Clermont de même que le college. On lit dans la description de la france par Piganiol, que la proximité de ces deux villes avait fait naitre, au maréchal d’Effiat, lieutenant pour le roi, l’envie de les joindre sous le nom de Clermontferrand et que la jalousie des habitans avait rendu cette union impossible. Elle a cependant eu lieu sous Louis XIII en 1633 et depuis ces deux villes n’en forment plus qu’une.

La petite ville de ferrand, est sur une élévation dominant une vaste plaine, et l’on conçoit qu’elle dut être autrefois une place de guerre fort importante. quant à présent, comme ville, je n’ai rien vu de plus triste, de plus maussade que les maisons qu’elle renferme. Les escaliers sont pour la plupart en dehors du moins jusqu’au premier où se trouve une espèce de terrasse ou balcon, mais tout cela si grossièrement, si grotesquement ajusté qu’on parait entrer par la fenêtre. On voit que les rampes qui sont en fer ont jadis été ouvragées, mais la maçonnerie qui les supporte est si lourde, l’ensemble est si vieux, si délabré, qu’il est difficile de rien trouver de plus misérable et de plus laid.

ferrand, car aujourd’hui on ne lui donne point d’autre nom, peut être considéré comme un faubourg de Clermont qu’on apperçoit immédiatement et dans lequel on entre peu de minutes après avoir quitté ferrand.

La ville de Clermond, l’une des plus considérables du royaume ; est la capitale de l’auvergne. Elle doit son origine à Auguste qui lui donna le nom d’augustonemetum ou mosum, qu’elle quitta ensuite pour celui d’urbes averna ou avernorum. Elle est à environ une lieue d’une montagne nommée gergoie que plusieurs savans ont soutenu être l’ancienne gergovie dont il est parlé dans les commentaires de César, comme étant la principale place des auvergnats, et comme étant située sur une haute montagne : posita in altissimo monte omnes aditus difficiles habebat. Cette désignation ne peut s’appliquer à clermont qui n’est point sur une haute montagne, je me rangerais donc volontiers du côté de longuerue quand il dit qu’on s’est trompé en prenant clermond pour cette ancienne place des gaulois.

Clermont a été la capitale du Comté d’auvergne ; les Comtes prenaient souvent le nom de cette ville et s’appelaient Comtes de Clermont. Philippe-auguste ayant confisqué l’auvergne sur le Comte Guy en 1212, la Province et le Comté furent réunis à la couronne. charles V dit le sage y tint les Etats du royaume en 1374, ou 75. On y a aussi célébré plusieurs Conciles entre autres celui de 1095, où le Pape Urbain II présida et où l’on conclut la première croisade pour la terre sainte.

La ville de Clermont avait en outre de la Cour des aides, une sénéchaussée et un présidial crée en 1582, à la sollicitation de Catherine de médicis, qui était Comtesse de Clermont. Le sénéchal était d’épée et il n’est pas sans intérêt de remarquer que ses gages étaient de 300 livres. un sénéchal était cependant un officier de robe courte, chef de la noblesse et qui la commandait quand on convoquait l’arrière ban.

On porte la population de Clermont à 31, 500 hab Cette ville, belle, riche, bien peuplée, est aujourd’hui le chef lieu de la Prefecture du Département du Puy de dôme, avec Evêché, tribunal de commerce et de première instance ; trois justices de paix, Bourse de commerce, chambre consultative des manufactures, arts et métiers ; académie, college royal &a. Les anciennes rues comme dans toutes les vieilles villes, sont étroites, tortueuses et sombres, mais il y en a plusieurs de fort belles ; elles ont surtout un mérite c’est d’être bien pavées et fort propres. La place Jod, est remarquable par son étendue, par l’Eglise, le marché et les édifices qui la décorent. Il y a un beau jardin botanique et plusieurs hopitaux ; de belles Eglises, des promenades agréables, une jolie salle de spectacle et plusieurs fontaines. On remarque celle de bronze et particulièrement la fontaine dite pétrifiée. C’est un pont formé naturellement sur la petite rivière de Tiretaine par des Eaux qui se sont pétrifiées. Ce pont a 36 brasses de longueur, 8 de largeur et 6 dépaisseur.

Toutes les maisons sont couvertes en tuiles d’un rouge vif. Les toits sont peu inclinés, ce qui est assés extraordinaire dans un pays où il tombe beaucoup de neige. Cette manière donne aux bâtimens une forme carrée qui n’est pas agréable. Le genre de construction, est généralement sévère, et ce qui contribue à le faire paraitre tel, c’est la pierre de lave qu’on emploie et qui est ainsi qu’à Riom d’un gris tirant sur le noir et le bleu. On voit des maisons entièrement construites avec ces sortes de pierre, mais plus communément on ne l’emploie qu’aux angles des murailles, ainsi qu’aux embrasures des portes et des croisées. Tout le reste est en maçonnerie, recouverte d’un vilain crépis de couleur grise plus ou moins foncée.

Le commerce de clermont consiste en papeterie, confitures sèches, toile, chanvre, fil, laine, draperie ; blé, vin, fromages, cuirs &a. on y trouve des fabriques d’antimoine et des fabriques de bas de soie ; de l’Ébénisterie, des tanneries, corroyeries et autres ; un Entrepôt de commerce de Provence pour Paris, et de Bordeaux pour Lyon. Deux marchés considérables par semaine et quatre grandes foires, le dernier vendredi de carnaval, les 9 mai, 16 aoust et 11 novembre. Les routes royales de lyon, du Puy, de Mende, Limoges, Moulins et Bordeaux y aboutissent. On paye de Paris 47 postes et demie. La distance de Paris est de 95 lieues. C’est la patrie de Blaise Pascal et de Girard, auteur des synonimes français.

On s’arrête à clermont à l’hotel de la poste, qui est une auberge bien tenue, fort belle et fort bonne. Delà au Mont-d’or, nous croyions que la distance n’était que de huit lieues, elle est de treize par la grande route. On paie six postes et demie, plus deux chevaux de renfort. au dire du postillon, il fallait dix heures de marche, cependant il était huit heures lorsque nous sommes partis, et avant cinq heures, nous étions rendus à notre destination.

on commence à monter immédiatement après avoir quitté la ville. Tous les environs sont couverts de vignes et dans chaque pièce, on y voit une petite maisonnette, dont les murs blancs et la couverture d’un gros rouge, tranchent sur un fond de verdure. Les montagnes sont aussi plantées de vignes, jusqu’à une grande hauteur ; les sommets et les parties qui en approchent sont seuls incultes. Au bout d’une demie-heure, on a tourné trois montagnes. on s’était éloigné de la ville on s’en rapproche, on la domine ainsi qu’une étendue immense de pays. Après une heure de marche, on est assés élevé pour avoir perdu toute trace de végétation, sinon entre quelques montagnes dans des ravins profonds, où croissent des maronniers ou des chataignés fort beaux.

Des vapeurs se promenent constamment sur la cîme des plus hautes montagnes dont nous sommes encore éloignés. Derrière une montagne qu’on suppose être la dernière, on découvre une autre montagne : ce serait justement qu’un maitre orgueilleux pourrait se dire Seigneur de monts sur monts nous continuons à monter sans qu’il paraisse que nous approchions. Le chemin est large, uni et fort beau. Il est entretenu avec des matières noires volcanisées qui laissent la même teinte à la route, qui naguère présentait des dangers à chaque pas. Les autorités locales et les voyageurs surtout, réclamaient une restauration reconnue nécessaire, indispensable ; impossible de l’obtenir : on ne trouvait aucun fonds pour cette dépense. Pendant dix ans entiers on a eu la patience de renouveller cette demande, pendant dix ans on a reçu même réponse. Enfin parvenue au dernier point de dégradation la route allait devenir tout-à-fait impraticable et c’eut été un malheur pour le pays et pour l’humanité, lorsqu’un matin une belle et grande Duchesse annonça l’intention de se rendre au Mont-d’or. on se rappele alors, que les chemins sont mauvais, que S. a. pourrait bien courir quelques risques et vite le Télégraphe est chargé de transmettre ordre de les réparer. En moins de rien et comme par enchantement, les offres se remplissent, les travaux s’éxécutent et se terminent à la satisfaction de tout le monde. nous profitons de cette heureuse amélioration. Quelque bon que soit le chemin, quelqu’habitués que puissent être et les hommes et les chevaux dont on se sert dans ces montagnes, comme c’est sur leur pente même qu’il a été coupé, comme rien ne serait dans le cas de vous garantir, si par une circonstance imprévue, un cheval s’approchait trop près du côté dangereux, les conducteurs ne sauraient avoir trop de précaution et les voyageurs trop de surveillance : en voici un exemple. En montant on va toujours au pas ; nous allions si doucement que le postillon s’endormit. Déjà les chevaux qui s’étaient écartés de la ligne, s’approchaient du bord et n’en étaient pas à deux pieds, lorsqu’heureusement ma fille s’en apperçut ; elle poussa un cri qui reveilla notre homme et fit qu’il se jeta du côté opposé. J’écrivais je n’avais rien vû, et si ma fille eut été comme moi occupée ou si elle eut été endormie, nous étions perdus. un peu plus loin on nous montra l’endroit où la diligence de Lyon avait été renversée. Par bonheur il ne s’y trouvait que deux personnes, elles furent horriblement mutilées.

Nous montons depuis une heure et demie ; nous trouvons de méchantes chaumières dépendantes d’un pauvre village appelé la Baraque et qui est bien nommé. C’était le jour dominical et l’heure des premiers offices. Deux petites cloches invitaient les fideles à la prière ; leur son porté au loin, répété, varié par l’écho prolongé des montagnes, produisait un concert dont l’effet d’harmonie avait quelque chose de religieux, de suave, de celeste qui portait à l’âme et la disposait aux sentimens les plus tendres. Nous marchions fort lentement et sur un terrain tellement uni que nous sentions à peine le mouvement de la voiture. D’épaisses ténèbres ténebres nous environnaient de toutes parts. Le calme le plus parfait règnait autour de nous. Dans cet isolement du reste de la terre, nous ne pûmes nous défendre d’une émotion, d’un frémissement, d’une sorte de terreur dont nous fumes frappés en même temps ma fille et moi. Nous sentimes nos cheveux se dresser sur nos fronts et nous tombâmes dans une extase dont nous aurions peine à rendre compte. l’illusion était si grande, si forte, si complète ; notre imagination était tellement agitée, troublée, exhaltée par tout ce prestige qu’il n’eut pas été fort difficile de nous faire croire à une apothéose. Cette erreur fut passagère comme la circonstance qui la fit naitre, mais l’Etat étrange où nous nous sommes trouvés s’est souvent depuis présenté à notre souvenir et souvent il a été l’objet de notre entretien.

nous parvenons enfin, au lieu le plus élevé qui est à 4, 547 pieds au dessus du niveau de la mer. Là, le vent soufflait d’ouest ; il était humide et froid ; nous fumes heureux de pouvoir nous envelopper d’une couverture que le hazard plutot que la précaution, nous avait fait mettre dans notre voiture. Bientot nous descendons dans une vallée peu profonde, où nous éprouvons une douce satisfaction a revoir la nature : les champs, la prairie.

nous passons au pied du Puy de Dome, la plus élevée des montagnes environnantes. Nous le laissons sur la droite avec son athmosphère brumeux, qui nous cache son sommet. Nous saluons sur la gauche un crucifix qui se trouve sur la route et presque immédiatement le soleil se fait jour à travers les vapeurs qui nous dérobaient sa lumière et ses rayons bienfaisans viennent comme exprès pour réjouir nos pensées, pour réchauffer, ranimer nos membres engourdis et presque galcés.

nous faisons notre petit repas du matin. nous continuons à voir des terres labourables et de belles verdures. Nous laissons sur la gauche, une montagne dont les sommités ressemblent à des ruines. Pour la plupart elles sont boisées du côté qui regarde le nord ; de l’autre, elles sont entièrement couvertes de mousse, de Lychen, ou de gazon toujours verts. Les couches sont si épaisses, les racines si multipliées, si fortes, si bien liées que les habitans, qui manquent de bois, en levent de grosses mottes, les retournent, les font sècher au soleil et s’en servent l’hiver pour se chauffer. Ils s’en servent aussi pour couvrir le faitage de leurs maisons, quand la couverture est en chaume.

Après avoir traversé la vallée, le chemin se resserre et redevient monstrueux. Par intervalle, on voit des nuages, ou glisser legèrement sur le haut des montagnes, ou les envelopper, ou descendre plus ou moins vers leur base. On trouve une seconde vallée, plus profonde et plus grande que la première. on quitte sur la gauche, un revers de montagne, couvert de petits hêtres et sur la droite, un cône uni et couvert d’un fin et vert gazon. Au fond de la vallée, on apperçoit quelques villages ou hameaux, on trouve un joli ruisseau ; on monte de nouveau pour redescendre dans des prairies délicieuses. On passe près d’un bosquet charmant qui semble avoir été planté tout exprès pour former le fond du tableau le plus enchanteur : ce sont des jets d’eau naturels au nombre de cinq et s’élevant à une assés grande hauteur. Plus loin, une cascade sortant d’un fourré de bois et d’où s’échappent par une infinité de petits filets, des eaux argentées et brillantes, qui vont se perdre ou former de nouvelles cascades, sur un gazon du plus beau vert. Ce paysage est d’une beauté ravissante. Ici, l’art n’a point embelli la nature ; la nature seule a fait tous les traits.

Nous arrivons à Rochefort, vieux village noir et laid, bâti comme au fond d’un puits. C’est là où l’on change de chevaux ; c’est le seul relais entre clermont et le Mont-d’or. On est à plus de la moitié du chemin. On a fait trois postes et demie ; il n’en reste plus que trois, qui se font rapidement après la première montée pour laqu’elle on prend un cheval de renfort. Il a éxisté dans ce village, un chateau dont on voit encore les ruines et qui appartenait à la maison Chabannes. On y voit de vastes souterrains qui étaient destinés à renfermer les prisonniers.

Après avoir quitté Rochefort, la route tourne sur elle même et l’on se trouve comme à plomb au dessus du village. Bientot, on retrouve les sytes agrestes et variés de la Suisse. La route incline vers la droite, on cesse de monter et l’on quitte le cheval de renfort. La campagne que l’on découvre est belle et bien cultivée, mais ne présente rien de remarquable. On arrive à Laquille petit village d’assés pauvre apparence, ou l’on ne s’arrête pas. On trouve encore là d’anciennes fortifications qui sont sont en ruines. Nous remarquons près de l’Eglise, sur le bord du chemin une cloche assés grosse, élevée seulement à cinq à six pieds de terre. Elle n’est point placée de manière à être mise en branle ; elle n’a point de mouton, point de bascule : si on la frappe avec le battant ce ne peut être qu’en le dirigeant avec la main.

A partir de ce lieu, les habitations qui avaient été rares, se rapprochent ; le pays devient plus vivant, et pour la première fois depuis que nous voyageons dans les montagnes, nous sommes accostés, suivis, exédés par des enfans qui mendient avec la persévérance la plus importante.

une épaisse forest de sapins se présente sous la forme d’un amphithéâtre et sous l’aspect le plus sauvage : c’est l’invitation de ces forêts vierges du nouveau monde. Le chemin se rétrécit et dans de certains lieux, deux voitures ne peuvent y passer de front. C’est ici que l’on est plus particulièrement exposé à des dangers, c’est ici que l’existence dépend de la prudence des conducteurs comme de la sureté des chevaux. Ce chemin est coupé en corniche sur la pente des montagnes dont nous suivons tous les détours, toutes les sinuosités. Nous sommes comme suspendus au dessus d’une vallée dont la profondeur effrayerait si l’œil ne s’y reposait toujours sur une belle verdure, si les montagnes qui nous font face n’offraient des points de vue toujours agréables et toujours nouveaux. Enfin si ces tableaux qui se succèdent et se déroulent à nos yeux, ne captivaient pas autant l’attention et permettaient autre chose que d’admirer la nature dans ce qu’elle a de plus beau, de plus grand, de plus majestueux. Nous descendons insensiblement dans la vallée formée par deux chaines de montagnes presque à pic et d’une très-grande élévation. Elle se resserre peu à peu et n’est bientot plus qu’une gorge, arrosée par une infinité de petits ruisseaux qui fuyent des montagnes pour se réunir à un autre ruisseau, dont le cours rapide, bruyant, est poussé par une cascade dont les eaux tombent en nappe et d’une hauteur de plus de deux cents pieds. La vallée se resserre toujours et son extrêmité est fermée par une montagne de même élevation que les précédentes. Le jour de notre arrivée toute cette extrêmité se trouvait enveloppée d’une vapeur épaisse et noire dont l’aspect présentait l’idée d’un gouffre affreux, d’un antre profond, sans issue, inaccessible. Nous pensâmes que là devait être le terme de notre course, car là le monde semblait finir. En effet nous apprimes bientot qu’un groupe de maisons que l’on appercevait sur un des plans rapprochés de ce tableau presque magique, était le village du Mont-d’or, ou nous arrivames peu d’instans après.

Seconde partie

On nous avait indiqué un hôtel ; nous n’y trouvames point de place. On nous mena dans un autre où l’on ne put nous offrir qu’une chambre ayant deux alcoves et deux lits, plus un autre lit dans un petit cabinet attenant, très-petit à la vérité, mais bien éclairé. Je jugeai que je pourrais laisser à ma fille, la chambre qui était passable et que le cabinet me resterait. Je convins du prix qui se règle d’avance à raison de tant par jour et par tête. J’ai trouvé ce prix modéré et au dessous de celui que je m’attendais à payer. Nous procédames donc tout de suite à notre installation. En un instant notre voiture fut entourrée de gens qui se pressaient, se battaient, se culbutaient pour porter nos effets ; ils se les arrachaient à l’envi. Cette scêne[sic] figurait au mieux les scênes[sic] tumultueuses et souvent sanglantes qu’à la honte du siècle et de notre espèce, on se plait à renouveller chaque jour de fête aux champs Elisées.

Dans tous les hotels l’usage est de manger à table d’hôte ; il y a peu d’exceptions, et c’est suivant moi ce qu’on a demieux à faire dans un pays où l’on ne retrouve plus le cours ordinaire de ses occupations. C’était l’heure du diné, lorsque nous arrivames, mais nous étions fatigués, nous étions de plus en habit de voyage et peu disposés à faire de la toilette. Nous demandames à être servis dans notre chambre et nous ne sortimes pas du reste de la journée.

L’arrivée d’un voyageur est un événement pour toutes les personnes d’une hotellerie, surtout à une grande distance de la capitale : on veut connaitre son nom, sa position sociale, et ces renseignements ne sont ni difficiles, ni fort-longs à obtenir puisqu’on est obligé de produire ses passeports. Il est l’objet de la conversation pendant le premier repas, quand il n’y assiste point ; j’étais donc comme avant de m’être montré : on savait, qui j’étais, d’où je venais, qui j’accompagnais.

Le lendemain, nous nous préparions à descendre à l’heure indiquée, lorsqu’on vint nous prévenir que le dejeuné était serv. on nous conduisit dans la salle à manger, où nous trouvames une table de douze couverts et je ne dirai pas très-bien, mais beaucoup garnie. Nous nous plaçames modestement près de la porte comme étant les derniers venus. Le haut de la table était occupé par les doyens, au nombre desquels on remarquait deux gentilhommes limousins ouvriers Emigrés, un Ecclésiastique, un négociant de Lyon et un ancien major. Celui-ci bon homme, d’un esprit tout pacifique, n’ayant guère apprit que sa théorie et n’ayant guère vû dans ses campagnes que l’Italie et quelques Isles de l’adriatique ne parlait pas d’autre chose. Du reste très assidu aux heures du repas, toujours le premier à table, mangeant bien, quoique malade, et sa femme en tout l’imitant. Le curé était un petit homme d’une soixantaine d’années, parlant peu, mangeant de même, mais buvant sec et dru. Il s’était ménagé, quand par hazard, le flacon n’avait pas été renouvellé et nous avions lieu de craindre qu’il ne lui fût survenu quelqu’indisposition. Ma fille voulait aller à la messe ; elle ne crut pas pouvoir mieux s’adresser qu’à lui pour connaitre l’heure à laqu’elle on l’a disait : je n’en sais rien, Madame, lui répondit-il, je suis ici pour ma santé et ne m’occupe pas d’autre chose. L’un des deux Emigrés ne disait rien et ne faisait ni grand bruit, ni grande consômation ; l’autre calme et froid, s’écoutant parler, paraissant se complaire à émettre son opinion sur les Jésuites et le pouvoir absolu, semblait avoir été créé et mis au monde, tout exprès pour contraster, par son caractère phlégmatique et la manière compassée de ses discours, avec la volubilité un peu bredouillante du négociant, qui jeune encore, d’une taille élevée, sec, vif, ardent, professait les opinions les plus libérales. Nous eussiés dit alceste s’irritant au moindre mot et combattant philinte, dont rien n’émeut la tranquille indolence et dont l’air de satisfaction semble toujours dire : tout est bien. D’ailleurs gens d’esprit, l’un et l’autre, ayant de l’instruction et s’accordant au mieux toutes les fois qu’il s’agissait de littérature, de sciences, d’arts, objets surlesquels la conversation roulait le plus ordinairement.

Le régime qu’on suit au Mont-d’or est très régulier, ce qu’on a fait un jour, on l’a fait la veille, on le fera le lendemain ; mais il n’a rien d’austère, rien de gênant quoiqu’il soit établi à l’usage des malades. La première chose qu’il convient de faire après son arrivée, est d’aller rendre visite au medecin des Eaux, M. Bertrand, homme d’une cinquantaine d’années simple dans ses manières, commandant sa mise, mais instruit, connaissant le pays et se prêtant avec une complaisance achevée aux questions qu’on lui fait.

Pour les personnes qui vivent dans le grand monde, qui par goût, ou par ton aimant à se coucher coucher tard et se lever de même elles / doivent trouver du changement dans leurs habitudes, car on est éveillé de grand matin. Le services des bains commence à trois heures du matin dans le fort de la saison, et dès lors il est de toutes impossibilité de dormir. Deux vigoureux gaillards en veste, en pantalon bleus et en bonnet de laine rouge parcourent les corridors avec de méchantes chaises à porteurs et viennent prendre les malades presque jusque dans leur lit. Ils sont ainsi conduits à l’Etablissement thermal où ils trouvent un bain préparé suivant l’ordonnance, pour la chaleur et pour la durée ; après quoi on les reporte de la même façon. En franchissant le seuil de la porte, le porteur de devant prononce le numero de la chambre ; aussitot une fille placée en vidette sur les dégrès de l’escalier, court bassiner le lit dans lequel les malades se mettent tout soudain.

Tout est règlé par le Docteur, qui ne néglige pas les plus petits détails. On lui doit cette justice qu’il a grand soin de ses malades, qu’il est partout, que tout est prévu et si bien ordonné que le service se fait avec un ordre, une régularité, une précision admirable.

Il n’est pas nécessaire de s’habiller, on passe seulement de grandes chaussettes en laine et une grande chemise ou manteau aussi en laine. Les dames mettent en outre une sorte de pèlerine sur les épaules. L’usage est de laisser ces objets aux femmes de service et pour ne pas s’exposer à en recevoir de cette origine, les Dames achettent l’étoffe à la pièce et les confectionnent elles mêmes, ou les font faire sous leurs yeux.

Rien n’est plaisant comme de voir toutes les chaises à porteurs, grossièrement travaillées, sans aucune peinture en dehors, sans la moindre garniture dans l’intérieur et sans autre siége qu’une petite planche, traverser les rues dans tous les sens. Les unes, ne ressemblent pas mal à de petits confessionnaux de campagne, les autres à de vieux Etuis de clavecins. Pour peu qu’on observe, on juge à la démarche leste et vive des porteurs, que leur charge est légère et qu’il transportent quelque petite maitresse ; si au contraire le brancard ploie à chaque pas, si les hommes marchent pesamment et avec peine, à coup sûr la boïte renferme ou quelque financier, ou quelque gros major.

Il n’y a pas que les baigneurs, il y a aussi les buveurs d’eau. Pour ceux-ci voici quel est le régime. On prend un verre ordinaire, on y met une cuillerée de lait qu’on trouve dans un bolle préparé à cet effet. On va ensuite à une petite barraque où est une source d’eau chaude. On présente d’abord le fond extérieur du verre, pour le dégourdir, puis on l’emplit et l’on boit, soit la totalité, soit la moitié, suivant l’ordonnance du medecin. Si l’on ne prend qu’un demi verre, on doit soigneusement jeter le surplus, cela est toujours recommandé ; non qu’il y ait quelque maléfice attaché à la conservation de l’autre moitié, mais dans la crainte que par économie, on ne soit tenté de faire une réserve pour le second coup. On boit jusqu’à la concurrence de trois verres, à demi-heure de distance et toujours il faut se promener dans les intervalles.

Dès le lendemain de mon arrivée, quand je vis le matin, passer sous ma fenêtre, tant de jeunes et jolies petites malades, dont la plupart avaient besoin de dire qu’elles l’étaient, leur teint coloré annonçant tout le contraire ; quand je les vis dis je avec une même quantité de liqueur blanche au fond d’un verre, je ne pouvais me figurer où elles allaient ainsi toutes dans la même direction ; mais je l’appris bientot, c’était à la barraque ; lieu étroit et sale, mais charmant pour les reconnaissances et les rendés-vous. l’intérêt qu’on prend à la santé d’une jolie femme et l’obligation de la petite promenade, fournissent tout naturellement l’occasion de lier une conversation et d’offrir un bras qui ne se refuse guère. On se dirige vers le port qui est tout prés de là et comme au bout de peu de jours chacun se connait, on salue à droite, on salue à gauche, on fait des petites mines ; et les souris gracieux, les signes de tête, les civilités, remplissent le temps prescrit par le docteur, pour aller prendre le second ou le troisième verre d’eau.

La source dont nous venons de parler, donne l’eau avec autant d’abondance que naguère en donnait sur le point neuf, la bonne et généreuse samaritaine ; cette eau s’échappe et va se perdre dans les innombrables ruisseaux qui coulent de toutes parts, et dans toutes les directions ; n’importe il ne/faut pas moins que chaque verre, ou chaque demiverre rapporte à la ferme ses cinq centimes. Vous ne payés pas seulement l’eau que vous buvés, les bains que vous prenés, les gens qui les préparent et ceux qui vous portent, il n’y aurait là rien que de fort naturel ; vous payés même pour tout autre chose car il est un fait assés remarquable c’est qu’en construisant les maisons du Mont d’or, on a oublié, non pas d’y pratiquer un escalier, mais des fosses d’aisance ; ils n’en existent nulle part. Les habitans font dans les rues, dans toutes les ruelles, dans tous les coins qu’ils peuvent trouver ; mais pour les Etrangers, on a établi sur le plus rapide des ruisseaux, des espèces de guérites, où chacun est admis moyennant ses cinq centimes.

Le service des bains et toutes les boissons doivent être terminés à 9 heures. On fait alors une demi-toilette. à 10 heures, toutes les cloches des hotels sont en branle ; on descend dans la salle à manger et l’on trouve une table toujours abondamment servie. après les complimens d’usage, les questions obligées, sur la santé, sur l’effet des eaux, on se met à table et l’on mange de bon appétit.

Pendant le repas, on agite la question de savoir de quel côté se dirigera la promenade et quelque fois les avis se partagent : les uns veulent aller à la vernière par le salon Mirabeau, les autres en passant par la Bourboule, dont nous parlerons plus loin. Il en est qui préfèrent la cascade du Cureuil parce qu’elle est plus prés, parceque les chemins sont moins fatiguans, et qu’on peut en même temps voir celle du Rossignolet. Enfin les plus entreprenans veulent aller jusqu’au Pic Sancy, au Lac Chambon, voir même au Lac Pavin ; mais côme en définitive il faut toujours qu’on aille quelque part ; comme les chevaux qui ont été retenus ou ceux qu’on espère louer, arrivent sur la place, on les monte ; chaque société forme un front de bataille, et l’on part sans trop savoir souvent où l’on ira.

4 heures

À 4 heures chacun rentre. On fait une toilette un peu plus soignée et à 5 heures le diné est annoncé comme le déjeuné l’a été le matin.

Dès que le soleil cesse de paraitre, il fait froid. On ne se promène guère après le repas du soir : ou l’on se réunit pour causer, ou faire la partie d’écarté, ou l’on se retire pour faire sa correspondance, ou s’occuper de lecture ; et comme on a beaucoup marché et qu’on s’est levé matines, on sent le besoin de se coucher de bonne heure pour se lever de même le lendemain. Lorsque le temps est mauvais, on est tout déconcerté, on ne sait que devenir. Les femmes se réunissent et travaillent ; les hommes assés malheureux pour ne se ménager aucune occupation, ont une ressource pour échâper à l’ennui, c’est un petit café, où ce que l’on prend est assés mauvais, mais où les amateurs trouvent un billard et les nouvellistes des journaux qui arrivent de Paris le 4e. jour, quelques fois même le 3e. suivant les jours de courier. On y trouve aussi, une petite bibliothèque, où l’on s’abonne à raison de 25 centimes par volume. Le dimanche et le jeudi, la Bibliothèque est transformée en salle de danse. Nous n’y sommes point allés. Le soir même de notre arrivée, qui était un Dimanche, nous avons entendu les violons et vû de nos fenêtres les préparatifs ; nous avons même eu une jeune dame toute parée, qui se promettait sans doute de passer une soirée fort agréable et dont l’attente a été trompée : il ne s’est pas trouvé suffisamment de danseurs, ou plutot je crois de danseuses et le bal n’a pas eu lieu. Depuis ce jour, il n’a plus été possible de réunir assés de monde pour former seulement une contredanse. il est vrai que la saison était déjà avancée pour le pays et que beaucoup de citadins avaient quitté les montagnes. On joue à ces soirées, à ce qu’on nous a dit, et cette année on avait remarqué deux jeunes gens de fort bon ton, favorisés d’un bonheur incroyable pour la retourne des rois.

On se doute bien que cette réunion est exclusivement pour les Etrangers. Les habitans de la commune sont des gens sobres, laborieux, économes ; ils ne manquent point d’intelligence, mais ils sont lents, lourds, et très-intéressés ; tous ouvriers ou journaliers et souvent en même temps petits propriétaires et cultivateurs. Pour eux, tous les jours de la semaine, sont consacrés aux travaux de la campagne. Le Dimanche, leur seul passetemps est de danser à leur manière au son de la musette ; instrument qu’ils affectionnent quoiqu’il ne nous semble marquer ni mesure ni cadence. Il est un fait qui prouve la régularité de leur conduite, c’est qu’on ne trouve pas de cabarets dans le village du Mont-d’or : c’est une remarque qu’on a rarement l’occasion de faire et que je me plais à consigner ici.

l’habillement des hommes est pour l’ordinaire un pantalon, un gilet court, toujours en laine et presque toujours de couleur bleue. Les femmes portent de petits chapeaux de paille, bordés et noués avec un ruban noir. Sous ce chapeau, elles ont plusieurs bonnets et quelques fois encore un grand fichu plié en travers et posé soit sous le chapeau, en faisant retomber les pointes par derrière, soit dessus et fixé sous le menton. Elles portent aussi sur la tête une sorte de fichu noir maintenu avec un cercle de cuivre. leurs vétemens sont aussi toujours en laine et de couleur bleue ou noire. Cet usage de se couvrir de laine et de se couvrir beaucoup, est fort sage dans un pays de montagnes, où la température moins élevée, est plus ordinairement humide et froide. mais il contraste avec un autre usage, celui d’avoir les jambes et les pieds nus. Toutes les filles de service ne portent point de bas, sinon les jours de fêtes. Elles ont ou des sabots ou des souliers fort décoltés, et il ne faut pas croire qu’elles tiennent à vous montrer une jambe propre et blanche ; elles sont tout au contraire d’une malpropreté qui repousse, et qui ne se conçoit pas dans un pays où l’eau coule de toutes parts. Du reste, elles aiment le travail, elles sont ménagères, très-attachées à leurs maris, à leurs enfans. J’ai visité plusieurs maisons, elles sont mal tenues et l’on voit promptement que l’ordre et la propreté, ne sont pas chés elles leurs meilleures qualités.

Leurs Etables sont à ne pouvoir pas en approcher. Les pauvres vaches couchent dans la fauge absolument. elles n’ont pas la moindre litière et cela est simple, ils n’ont point de paille. Les chevaux sont à peu près de même, on s’en occupe peu. Ils sont petits, faibles et en mauvais état ; mais habitués à ne marcher que sur des chemins montueux, pierreux et d’un accès difficile, ils ont le pas plus sûr et conviennent mieux que d’autres dont il serait d’ailleurs fort dangereux de se servir. Les voies tranchées, la vue des précipices, le fracas des torrens, rien ne les effraie, ils vont doucement, mais ils vont toujours, et une fois dans une certaine direction, ils savent où vous allés et vous mène au but, malgré les obstacles et quoique souvent les chemins aient perdu toute trace.

quand ils ne sont pas retenus pour la promenade dans les environs, on les envoie au paccage avec les vaches, les chèvres, les moutons ; à la chute du jour, tout cela revient par troupeaux et chacun va trouver son gîte. Ce pèle-mèle, n’est pas sans inconvéniens, même sans dangers ; une petite fille a été renversée sous nos yeux, par un cheval qui s’était pris de gaité et qui parcourait les rues au galop. Cette pauvre enfant a été cruellement mal-traité. Ces accidens doivent être fréquens et me paraitraient mériter de fixer l’attention de l’autorité.

Les chevaux ne servent que pour le transport à dos ; pour le labourage et le transport par voiture, on ne se sert que de vaches : on ne voit presque point de bœuf. Elles sont ferrées aux quatre pieds, mais seulement l’ongle qui est en dehors.

La commune du Mont-d’or, compte environ 600 habitans domiciliés. Dans la saison des bains la population est double par le nombre d’ouvriers, de commissionnaires et de domestiques de tout sèxe qui viennent dans le dessein d’être occupés par les Etrangers.

Dès le commencement de septembre, les bains cessent d’être administrés ; les malades s’en retournent, quelques uns satifaits, le plus grand nombre regrettant son temps, sa peine et son argent. Bientot s’en retournent aussi, les approvisionneurs, les cuisiniers, les servantes et tous ce qui compose le nombreux domestique des hotels garnis.

La montagne qui donne son nom à la commune a 5,808 pieds d’élévation et se trouve par conséquent de 1261 pieds plus haute que le Puy de Dôme qui n’en a que 4,547.

à l’exception de quinze ou vingt maisons garnies, on ne voit guère que des chaumières, mal construites et tout aussi mal meublées. On est surpris de trouver des apparences de misère chés une classe d’hommes naturellement travailleurs, sobres et rangés, lorsque dans la réalité, ils jouissent d’une aisance souvent assés grande. une mai, une table, quelques vieilles chaises composent tout le mobilier, avec le lit qui est à double étage, à la manière des vaisseaux, et construit dans des parties de ménuiserie grossièrement travaillées. Son entrée est à la hauteur de trois pieds pour le premier étage et large de quatre à peu près, de sorte que si l’on y adaptait deux petites portes, cela figurerait assés bien un buffet. Le lit du second étage est pour les enfans ; l’on y monte avec une échelle.

Les maisons qui ont quelques régularités dans leur construction, sont comme celles de Riom, de clermont et de presque toute la haute et basse auvergne, en pierre de lave pure. Les mieux construites ont leur soubassement tout en pierre de cette nature jusqu’à l’appui des croisées du rez de chaussée ; elles sont de plus ornées d’une cymaise au dessus de chaque étage et d’une corniche taillée et à moulures. Tous les intervalles sont remplis en petites pierres remplaçant nos moellons et recouverts d’un crépis épais, à la chaux et au sable.

Les pierres susceptibles d’être taillées se tirent d’une carrière, non loin du Mont-d’or, au revers de la montagne dite du capucin et dont nous aurons bientot l’occasion de parler. Elles sont chargées sur des charriots ; tirés par quatre, six, et jusqu’à huit vaches. Les autres pierres détachées des montagnes et roulées par les eaux, se trouvent dans les ravins, dans le lit des ruisseaux, qui, dans les temps ordinaires se traversent au moyen de quelques pierres placées de distance en distance, pour y poser le pied, mais qui, au moindre orage deviennent d’affreux torrent : on n’a que la peine de les fendre quand cela est possible.

Les maisons n’ont que deux, ou trois étages au plus. Les murs sont plus épais que les nôtres, ils ont pour l’ordinaire 24 pouces. Cette précaution est nécessaire pour garantir de l’humidité et plus encore pour donner aux constructions une solidité capable de supporter la couverture qui est d’un poids énorme. Ils ne font usage ni d’ardoise, ni de tuile ; ils ont une qualité de pierre qui se lève par feuilles ; ils arrondissent grossièrement la partie qui doit être apparente, rangent et fixent chaque morceau à la manière de l’ardoise ; mais ces feuilles ayant quelque fois 2 pouces d’épaisseur et 12 à 15 pouces carrés, il en résulte une charge tellement considérable que nous murs qui n’ont ordinairement que 18 pouces ne pourraient pas la supporter. Cette manière n’est point désagréable à l’œil. Ces pierres comme toutes celles qu’on trouve dans le pays ayant subi l’action d’un feu plus ou moins violent, sont de couleur nuancée, et de loin elles font l’effet d’une marqueterie.

Tous les hotels garnis ont l’intérieur disposé de la même manière et sont bien appropriées à leur destination ; les escaliers en pierre depuis le bas jusqu’au haut, sont larges, ainsi que les corridors et suffisamment pour que deux chaises à porteurs puissent aisément passer si elles se rencontrent.

Il y a peu d’années, aucune de ces maisons n’existait ; les malades couchaient sous le chaume encore étaient-ils obligés d’apporter leurs lits.

Les rues sont ferrées avec des matières volcaniques qui se trouvent partout, ou plutot elles ne le sont qu’au milieu à l’endroit du ruisseau.

L’Eglise est petite, trop petite pour la population, qui ne peut que s’augmenter si les eaux continuent à avoir de la vogue. Le clocher est en forme de petite tour carrée. Il est peu élevé et renferme deux petites cloches qui sont continuellement en branle dans les temps de neiges, d’orages ou de brouillard ; c’est pour donner une direction aux voyageurs qui pourraient s’être égarés dans les montagnes.

Devant le portail, on a placé une croix sur un fût de colonne romaine dont la sculpture est parfaitement conservée. J’ai assisté à une procession qui a eu lieu le jour de l’assomption : elle était précédée par un jeune homme agitant continuellement une très-petite sonnette ; venait ensuite un homme d’une haute stature portant non pas une banière, mais un drapeau déployé et flottant, lequel représentait une croix jaune et verte. Au milieu était représenté un saint-sacrement. Derrière cet étendart venait une assés belle croix en argent ; puis un double rang de jeunes filles, toutes en chapeaux de paille bordés de noir, et de même un double rang de garçons précédant le clergé. La procession s’est arrêtée devant une croix, élevée sur les ruines mêmes d’un ancien temple construit par les romains et dont je parlerai tout à l’heure. Le curé a donné la bénédiction aux assistans, après quoi le cortège a fait volte-face et s’en est retourné à l’Eglise, dans le même ordre et avec le plus grand recueillement.

Le village du Mont-d’or, n’a guère que deux rues : les autres ne peuvent être considérées que comme des ruelles étroites, pierreuses et malpropres. C’est vers le milieu de la principale rue que se trouve d’Etablissement thermal. C’est un véritable monument, d’un bel effet et qu’on est surpris de trouver dans un lieu aussi retiré. Sa façade extérieure est ornée de frises et d’un bel entablement, avec consoles. Les sculptures sont éxécutées avec autant de soin que de goût. L’Ensemble forme un paralélogramme élevé d’un rez de chaussée, d’un premier étage, et percé en bas de sept portiques. Celui du milieu sert d’entrée ; les autres éclairent des cabinets destinés pour les bains, mais ils ne sont point achevés. On monte au premier étage par un double escalier composé de vingt neuf marches, en pierre de lave d’un seul morceau et large chacune de dix pieds. Les cinq croisées du milieu doivent éclairer un beau salon qu’on était en train de parqueter. Il est d’un carré long et grand au moins comme le foyer du théâtre de Madame. Les côtés latteraux doivent former deux appartements, l’un pour le médecin des Eaux, l’autre pour de grands personnages qui voudraient visiter l’Etablissement.

Tout l’édifice, sans même en excepter la couverture est en pierre de lave, dont beaucoup sont d’une fort grande dimension. L’ordre, la simplicité de son architecture, lui donnent un aspect sévère, imposant et parfaitement convenable pour son usage. Il est facheux que le sol sur lequel il repose ne soit pas élevé de quelques pieds : vû a quelque distance il parait comme enterré et perd de son effet.

Il est en face d’une rue assés large, mais peu longue ; elle conduit à une espèce de port formant un grand ovale, entouré d’un parapet et servant de promenade principalement le matin aux buveurs d’eau. au point milieu, on a élevé un méridien qui donne la position du lieu, et qui de plus quand il fait soleil, indique aux malades l’intervalle des différens verres d’eau qu’il leur est prescrit d’avaler.

Il avait été question d’ombrager cet emplacement, et j’aurais été fort de cet avis, mais le docteur a dit qu’il fallait aux malades un air libre et son opinion a prévalu. Ce port était un peu encombré de matériaux pour l’achevement du monument thermal, et aussi pour un pont que l’on construit de l’autre côté du port. Au premier coup d’œil, on se demande à quoi peut servir un pont sur un aussi faible ruisseau ; mais ce ruisseau qui est la Dordogne à moins d’une demi-lieue de sa source ; ce ruisseau qui parait si paisible et qu’on passe à pied sec dans son cours ordinaire, devient au moindre orage, un torrent furieux, arrachant, entrainant les plus gros arbres, détachant des montagnes, des pierres énormes et les roulant avec fracas.

Ce pont doit être d’une seule arche. Nous avons vu terminer les deux culées ; nous espérions voir former l’arche qui doit être en fil de fer, mais les eaux ayant grossi tout à coup, et ayant emporté avec le pont volant, tous les échaffaudages, cet accident a retardé les travaux.

Par cette construction une communication sera établie en tout temps entre les deux parties de la vallée qui est coupée dans sa longueur par la rivière naissante. Elle est dautant plus importante qu’on élève beaucoup de bâtimens [sic] et que les principaux matériaux se tirent, comme je l’ai déjà dit, d’une carrière qui se trouve sur la rive opposée au village du Mont-d’or. J’ai regret de n’avoir pu voir cette carrière qu’on dit être fort curieuse. Elle contient une grande quantité de porphyre, très-opaque, très-dur et très-beau. La couleur de ce caillou qui est ordinairement d’un rouge plus ou moins foncé, est ici d’un vert mélé de taches ou grains blanchâtres, que l’on prétend ressembler au porphyre vert de la Sibérie.

J’ai vu transporter de fort grosses pierres. Elles sont placées sur des charriots à quatre roues, grossièrement faits, et tirés par quatre ou six vaches. Ils descendent de la montagne par des chemins affreux, qu’on ne jugerait pas pouvoir être praticables. Ces lourdes masses arrivent cependant, non sans de grandes difficultés, que l’on n’aura plus à surmonter, lorsque le pont éxistera et que le chemin projeté sera éxécuté. Il doit être percé de manière que les voitures puissent arriver par une pente plus douce et plus facile.

Avant 1817, une soixantaine de chétives habitations, composaient tout le village du Mont-d’or, et ces habitations de même que les bains étaient aussi incommodes que sales. D’après les agrandissemens et les améliorations qui ont eu lieu depuis quelques années, je ne serais pas surpris d’apprendre que les accroissements du Mont-d’or, ne se sont pas bornés aux constructions indispensables pour les baigneurs, mais que des habitations éparses sur les points les plus pittoresques de la vallée offrent des retraites élégantes et recherchées pendant la saison des Eaux. La vérité est que la beauté de ces montagnes, le charme, la diversité des sites, la pureté de l’air et si l’on veut la vertu des eaux, peuvent produire cette métamorphose.

On remarque dans l’intérieur et tout près du village, des vestiges de monumens antiques. Ce sont surtout des fûts et des tronçons de colonnes qui ne peuvent point avoir été transportés au mont-d’or : leur nombre, la liaison que quelques uns conservent encore et l’aspect miserable du lieu où on les voit presque tous épars, repousse cette idée. La tradition les attribue aux ruines d’un édifice thermal et il faut convenir que les eaux fortifient ce témoignage.

Il parait que dès 1787, des plans furent dressés et des travaux commencés par les soins de l’Intendant de la Province d’Auvergne. Pendant la révolution ces travaux furent suspendus. En 1810, on adopta de nouveaux plans présentés par l’Ingénieur du Département et par Ledru, architecte ; et ce ne fut qu’en 1817 que les fonds nécessaires ont été accordés pour la construction des Bains. Depuis lors, les travaux furent repris et continués avec la plus grande activité.

Lors de la suspension des travaux, en 1789, le village et les bains restèrent dans l’état où ils étaient depuis bien des siécles : on ne connaissait et même trente ans après, que trois sources thermales : la fontaine de la Magdeleine, qui nait au milieu du village et qui est celle où se rendent les buveurs. La source du Bain de César, renfermé dans un petit bâtiment de forme antique et reçue dans une auge de pierre : une seule personne pouvait s’y plonger encore fallait-il qu’elle se tint accroupie. Les sources du Bain St. Jean, ou grand bain qui consistait en une salle unique de 18 pieds de longueur sur 15 de largeur, au fond de laqu’elle se trouvait une grande auge, rectangulaire qui recevait les eaux à leur naissance. Des cloisons de planches divisaient cette auge en quatre compartiments : c’étaient les bains. Dans trois encoignures, se trouvaient autant de baignoires mobiles reservées pour les cas où il convenait d’affaiblir la température native des eaux. Voila tout absolument tout l’Etablissement thermal à cette époque. hommes, femmes ; riches, indigens, tous étaient baignés dans cette espèce de cave, sans vestibule, sans aucune pièce de communication, sans autre séparation que des rideaux de toile flottans devant chaque baignoire et sans issues suffisantes pour la sortie du gaz et des vapeurs.

Si l’on en croit le medecin des eaux, la fontaine de la magdeleine était seule sous la main du gouvernement. Les autres sources appartenaient à un particulier qui ne voulait point s’en désaisir ; on eut beaucoup de peine a en obtenir la concession, de même que des maisons qui les pressaient de toutes parts. on l’obtint cependant et c’est en démolissant des constructions qui tombaient en ruines, qu’on découvrit, à trois pieds seulement de profondeur, une piscine en pierres de taille bien cimentées, ayant environ dix pieds de longueur, autant de largeur et deux pieds de profondeur. Elle était remplie de tuiles calcinées et de chevrons à demi brûlés, ce qui prouva qu’elle avait été détruite par un incendie. Un peu au dessous du pavé, on rencontra de gros murs dont la forme et l’arrangement ne permettaient pas de méconnaitre les ruines d’un ancien et vaste édifice. Un peu plus profondément on décombra une galerie spacieuse s’étendant du sud au nord, et dont le mur occidental replié vers le milieu, formait une enceinte carrée, fermée de trois côtés. On trouva ensuite une autre piscine plus grande que la première. Son pavé fait en dalles de pierres de taille, inclinait doucement des bords vers le centre : deux bans disposés en gradins règnaient le long de deux grands côtés et l’on y descendait par trois escaliers placés le long des petits côtés.

Au devant du mur occidental de cette piscine on déblaya une seconde galerie se dirigeant comme la première du sud au nord, et ce qu’il y a de remarquable c’est que ces bains étaient parfaitement semblables à ceux que le Docteur Socquet a vûs à Aix en Savoie et qu’il a décrits dans son analyse des Eaux.

Les bains de vapeur placés aux deux extrémités de la grande galerie, étaient divisés en plusieurs pièces. Ceux du côté du sud n’étaient pas aussi dégradés que les autres. Chaque côté avait son aqueduc par lequel l’eau thermale, ou la vapeur arrivait dans le réservoir. Ces aqueducs existent encore et sont d’une très-belle conservation. On a recueilli dans celui qui est au midi, une grande quantité de petites pierres et de petits morceaux d’Email provenant identiquement d’une mosaïque dégradée par sa longue macération dans l’eau chaude. De ces fragments les uns sont faits en lave d’une pâte noire très-fine, très-compacte et taillées en parallelogrāme, les autres beaucoup plus nombreux, plus petits ont la forme cubique et sont en émail diversement coloré, ce qui donne lieu de penser que les premiers ont servi à former l’encadrement, et les seconds les dessins de la mosaïque.

A quelques pas de l’aqueduc, on a trouvé une piscine pavée en marbre blanc et revétue en stuc, une colonne renversée dont les tronçons arrondis et sans ornemens étaient à peine disjoints, et une petite pyramide circulaire également renversée, ayant à peu près 6 pieds de hauteur. Son socle décoré de feuillage est séparé par un cordon en saillie du fût, qui, en place de chapiteau, était probablement surmonté d’une coupe. Nul doute que ce petit obélisque, tout à fait gracieux, en servit d’ornement à une fontaine.

Près de l’entrée septentrionale de la grande-piscine, et sur la même ligne que celle où était l’obélisque, on a decouvert un troisième aqueduc, beaucoup plus petit que les deux autres et renfermant la source de la magdelaine. Là il était rompu et c’est par un conduit frayé à travers les décombres que de ce point les eaux allaient sourdre au milieu de la place du Panthéon. De la restauration de cet aqueduc est résulté l’augmentation du volume et de la température des eaux de la Magdelaine.

De nombreux conduits de plomb serpentant à travers ces ruines, presque tous oblitérés par le dépôt des eaux, indiquaient par leur dispositions et leur arrangement, que l’on pouvait à volonté diriger toutes les sources dans les grandes piscines. Il en est plusieurs d’un gros volume qui s’enfoncent sous des maisons où l’on pourra probablement un jour dégager les parties de l’édifice qui restent enfouies.

Pendant les fouilles, on a trouvé une petite
cornaline
cornaline dont la gravure représente un faune ; un anneau d’or de forme octogône ; des agrafes ; des palmettes ; des chaines de même métal et d’un beau travail ; une paire de pinces à épiler, et plus de soixante pièces de monnaies romaines bien conservées : elles sont pour la plupart de Vespasien, de Trajan, d’antonin, de Marc-aurèle et rappèle cette succession de beaux règnes pendant lesquels l’Empire romain fut si florissant et si heureux.

Une découverte d’une toute autre importance est celle de deux sources abondantes, qui font monter le thermomètre à 42 degrés. l’une est reçue dans un puits de forme octogône que l’on a conservé ; l’autre surgissait au milieu de la grande piscine. On a appelé la première Bain Ramond et la seconde source Rigny.

Ces deux sources ne sont pas les seules dont le mont d’or se soit enrichi : vers les premiers jours de septembre 1821, pendant qu’on travaillait à la restauration du Bain de César, il en parut un autre tout près de ce bain, plus abondante et aussi chaude que la source de César, et cette nouvelle fontaine, construite et placée sous les auspices de S. a. R. Madame la Duchesse de Berri, reçut le nom de fontaine de Berri ou Caroline : dénomination qui consacre le souvenir du séjour de cette Princesse dans ces montagnes.

Après la découverte de ces anciens thermes, il n’y eut qu’une pensée, celle de modifier les nouveaux plans, d’attacher les constructions dégagées aux constructions projetées et surtout de restaurer la grande piscine dont les murs paraissaient aussi solides que bien conservés. Mais les quartiers de brèche porreuse qui en liaient les murs et formaient plusieurs assises à différentes hauteurs, se fendirent en tous sens et tombèrent en décomposition par l’action du soleil et des premières gelées. Cette dégradation irremédiable ne permit plus de s’arrêter à un projet de restauration, et il fallut bien à regret sans doute, renoncer à l’espoir de conserver des restes aussi précieux.

Les travaux qui avaient précédé cette grande construction et préparé l’emplacement destiné à la recevoir, ont été mis complètement à découvert par suite des immenses déblais qu’il a fallu faire. Ils sont d’une hardiesse remarquable et annoncent une grande persévérance. Toutes les sources sortent d’une coulée de Klingstein, en prismes réguliers, dont la longue pente est très-raide et la base cachée par le rehaussement de la vallée. D’après cette disposition, il fallait ou placer les bains au pied de la coulée et alors se borner à recevoir les eaux altérées qui en découlaient ça et là, ou bâtir sur la coulée même et au débouché des sources. Ce dernier parti éxigeait assurément beaucoup de travail, mais il assurait la conservation de la température des eaux, nécessairement compromise si l’on se fut arrêté au premier. On ne consulta que les avantages sans s’effrayer des difficultés. La coulée fut entamée à une hauteur d’environ vingt mètres au dessus de la base, nivelée sur une grande surface, et convertie en deux terrasses ou plateforme, séparées l’une de l’autre par un escarpement vertical de quatre mètres de hauteur.

C’est sur ces deux plateformes et à travers lesquelles naissent les sources, que le nouveau monument thermal est assis. Il se compose de trois parties distinctes adossées sans intervalle, communiquant entre elles et se rattachant au bain de César qui le domine, par un beau réservoir dont la contenance peut être de soixante pieds cubes. Les eaux du bain de César et de la fontaine Caroline sont reçues dans ce réservoir.

En suivant l’ordre de leur construction respective, ces trois parties sont : le Pavillon, la grande salle des bains et le bâtiment de l’administration.

Le pavillon a plus de trente pieds de longueur sur autant de largeur ; il est couvert d’une voûte en arrête et renferme sept baignoires. Quatre de ces baignoires se trouvent dans autant de cabinets à voûtes de cloitres ménagés dans les encoignures de la salle. Les trois autres placées contre la muraille orientale et séparées entre elles par des parpaings, reçoivent les eaux du grand bain à leur débouché, et sont à l’endroit même où était l’auge rectangulaire démolie avec l’ancien bain ; de sorte que l’on se baigne aujourd’hui au lieu même où l’on se baignait autrefois. Le fond de toutes ces baignoires construites en dalles de lave porphyrique, se compose de pierres faciles à désassembler et à démonter au besoin.

Au dessus des cinq baignoires placées de front, est une grande auge en pierre de taille, servant de reservoir pour les douches. L’Eau du grand bain y est élevée à l’aide d’une pompe.

Deux réservoirs bien cimentés pouvant contenir soixante à quatre-vingt pieds cubes d’eau et creusés dans la coulée sont au dessous du pavé du pavillon. Ils reçoivent les eaux du grand bain hors le temps du service. Pendant le service la communication entre les réservoirs et le grand bain est interrompue ; alors les eaux sont prises par des canaux et versées dans les aqueducs de suite.

La construction du pavillon a du éxiger beaucoup de circonspection : c’est là que nait et devait être recueillie l’une des sources les plus importantes de celles qu’on connaissait alors qu’il fallait pratiquer deux grands réservoirs. Cette opération, du succès de laqu’elle dépendait le succès de l’Etablissement, fut dirigée par l’architecte avec autant d’habilité que de bonheur.

Le pavillon a deux portes, l’une au midi, l’autre au nord. à l’ouest, une grande arcade établit une communication entre l’intérieur du pavillon et celui de la seconde partie de l’Edifice. Cette seconde partie désignée sous le nom de grande salle de bains longue de plus de soixante pieds et l’arge d’àpeuprès autant, a un rez de chaussée et un premier étage. Le premier étage, dont le pavé est plus bas de douze pieds que celui du pavillon, est divisé suivant sa longueur en trois parties. Plus large et plus élevée que les deux autres, la partie intermédiaire forme une grande salle destinée à la circulation des baigneurs et des personnes attachées au service des bains. Les parties lattérales ou bas-côtés présentent chacune neuf cabinets de bains, suffisamment spacieux, mais non pas aussi propres qu’on pourrait le desirer. Du reste, ils sont commodes, bien éclairés et tous pourvus d’une douche.

une galerie entoure les cabinets, et les dalles mobiles qui en forment le pavé, couvrent l’aqueduc de distribution et protègent les conduits de plomb qu’il renferme. Ces conduits se composent de tronçons de plus de quatre pieds de longueur, assemblés par de fortes brides de cuivre solidement vissées. De cette de cette disposition résulte la faculté de les démonter au besoin.

Au rez de chaussée de la grande salle de bain se trouve la portion de l’Etablissement réservée aux indigens. Cette portion que l’on appele les Piscines, moins longue, mais aussi plus large que le plan supérieur, est comme celui-ci, divisé en trois parties et suivant le même sens : une salle au fond de laqu’elle sont trois grandes baignoires, en occupe la partie intermédiaire et sépare les deux piscines, placées dans les parties latérales.

chaque piscine de forme parallélogramme, dont les angles sont arrondis, a environ douze pieds de longueur sur six au moins de largeur. quatre cabinets de douches très-spacieux, en regard les uns des autres, correspondent à chacun des petits côtés des piscines, dont ils ne sont qu’à une petite distance. huit personnes peuvent s’y doucher à la fois. On peut circuler aisément autour des piscines, où l’on arrive soit par une grande arcade servant d’entrée à la salle intermédiaire, soit par deux portes extérieures et particulières à chacun des deux sèxes.

J’ai plusieurs fois visité ces piscines. Pour des bains publics et d’indigens, le service ne s’y fait pas mal, quoiqu’il y ait par fois un peu d’encombrement et de confusion. Je les ai vu emplis : les eaux sortent avec une abondance, une force qui étonnent ; elles tombent avec fracas dans une grande auge d’où elle s’échappent pour alimenter les piscines. On ne peut guère y rester longtemps pendant cette opération : on est bientot étourdi par le bruit et suffoqué par l’odeur du gaz, et par la vapeur humide, épaisse et chaude dont toute la salle est remplie.

Les trois réservoirs dont on a parlé, ont chacun leur conduit séparé. Ceux qui se trouvent sous le pavé du pavillon, alimentent les dix huit robinets des bains de la grande salle, ainsi que les piscines. Le réservoir du bain de César fournit les douches de tout l’établissement à l’exception de celles du pavillon. En outre comme il est plus élevé que les deux autres, on peut, par le moyen d’une communication ménagée à cet effet, amener les eaux du premier dans les secondes, d’où elles sont ensuite distribuées soit dans les cabinets de bains, soit dans les piscines.

Outre les eaux qui se précipitant des réservoirs supérieurs, rempissent en peu de minutes les bassins des piscines, celles-ci reçoivent encore le tribut de deux nouvelles sources qui y circulent sans cesse, et il est à remarquer que le pauvre comme le riche se baigne dans de l’eau vierge.

Les aqueducs de fuite placés au dessous de celui de distribution, ont une pente rapide et une dimension qui permet de les visiter sans rien avoir à craindre du gaz exhalé par les eaux ; toutefois il serait imprudent de s’y engager, surtout si le tems est chaud et à l’orage, sans une chandelle allumée dont l’extinction avertirait qu’il faut promptement retourner sur ses pas.

Le toit de l’Edifice est tout en dalles porphyriques et rappele celui des grands monumens de la grèce. l’architecte a pris pour modèle de la corniche, celle des bains romains, dont plusieurs pièces ont été trouvées parmi les décombres.

On se demande à qu’elle époque remonte une construction aussi importante par sa masse et aussi distinguée par ses belles proportions, que celle dont on a trouvé d’aussi nombreux débris ? quand et par qu’elle cause a t’elle été détruite ? et l’on ne peut répondre à ces questions que par des conjectures.

Parmi les monumens qu’on trouve dans le village, les plus remarquables sont une colonne encore sur place et renfermée dans une maison ; deux tronçons de colonne, dont j’ai déjà parlé, l’un servant de socle à une croix près de la fontaine de la magdelaine, et les deux autres surmontés également d’une croix et placés à l’entrée de l’Eglise. On en voit aussi quelques uns qui sont épars dans la vallée et plus ou moins éloignés du village. La place près de laqu’elle est la colonne porte le nom de Panthéon. Cette dénomination, conservée par tradition, l’est aussi m’a t’on dit par les titres des anciens seigneurs du Mont-d’or : dans des écrits qui remontent à 1420, les terres environnantes sont désignées sous le nom de terroir du Panthéon.

La colonne dégarnie de son chapiteau a 7 pieds au moins de hauteur. Sa surface ornée de basreliefs est cachée à moitié par une muraille de construction moderne, et des cordons d’ornemens et de feuilles, divisent la surface de son tronçon inférieur, en panneaux ou compartimens rectangulaires. On remarque différens sujets, tels que des boucliers de la forme de ceux que les romains désignaient sous le nom de delta, et des Enfans portant sur la tête des corbeilles de fleurs et de fruits.

Sur un pilastre occupant l’entre-colonnement, on voit un ornement de la nature de ceux qu’on appele arabesques ; il représente une plante prolifère sortant d’un vase, et des génies ailés assis sur les découpures de la fleur. La partie extérieure de la même muraille, présente également d’autres pierres ciselées où le goût et la facilité de l’artiste se montrent dans l’attitude et l’action de plusieurs figures. Près de ces figures, sont des ornement qui représentent un autel et des sacrifices.

Presque tous les tronçons épars ont trois pieds de hauteur et autant de largeur. Ils sont ainsi que la colonne, formés d’une lave porphyrique absolument semblable à celle dont le bains de Cesar est construit. L’un de ceux qui sont auprès de la fontaine de la magdelaine, est divisé en six panneaux dont plusieurs sont occupés par des symboles relatifs à l’histoire romaine. Les trois panneaux supérieurs représentent des génies affectant différentes postures ; l’un d’eux tient une urne lacrimatoire. Dans l’un des panneaux inférieurs, on distingue une louve allaitant deux enfans ; dans une autre, une oie et un bouclier, et enfin dans le dernier, deux oiseaux que l’on peut prendre pour des poulets sacrés ou pour des colombes, emblême de vénus, de qui César se glorifiait de tenir son origine, par Enée.

Des deux tronçons près de l’Eglise, l’un est couvert de grands feuillages, c’est l’inférieur. L’autre est divisé en huit panneaux rangés sur la même ligne, et renfermant chacun une figure dont une de femme vétue et coiffée comme une vestale ; les sept autres figures plus petites, représentent des génies ailés. Est-ce un monument votif en remerciement de la santé qu’aurait recouvrée la personne désignée, est-ce la reconnaissance qu’on aurait voulu personnifier, ou bien serait-ce la nymphe de la fontaine la plus importante, et les enfans ailés, les génies des sept autres fontaines ? c’est ce qui nous importe peu de savoir. Ce qu’il y a de plus réel et de plus intéressant c’est que la hardiesse, l’étendue et la destination du travail ; l’aspect et la forme des parties qui en restent debout ; les bas-reliefs qui décorent les colonnes, les monnaies trouvées dans les fouilles, les dénominations que plusieurs lieux retiennent encore, que tout enfin dépose du séjour des romains et démontre que les édifices dont on foule aux pieds les ruines, ont évidemment été leur ouvrage.

J’ai recherché à qu’elle époque la construction de ces bains pouvait remonter et je n’ai rien trouvé qui put me l’indiquer ; on serait tenté de croire que c’est sous le règne d’auguste, et ce qui pourrait appuyer cette opinion, c’est que les habitans de la capitale de l’auvergne, réunirent son nom à celui de Nemetum, que portait cette ville comme dans la suite sont celui d’augusto-nemetum. Mais des savans, des antiquaires, présentent que les ornemens des colonnes ne furent introduits qu’au temps où l’architecture commençait à dégénérer, et tout le monde sait qu’elle florissait sous Auguste : il faut donc rester dans le doute.

On est également incertain sur les causes de leur ruines ; celle qui se présente d’abord à la pensée, quand on examine les lieux, c’est que situés dans une vallée très-profonde, adossés contre une montagne d’une pente très-raide et dont la crète se compose de rochers énormes et mal liés, ils ont disparu sous un éboulement. mais la nature du remblai qui les couvrait repousse cette idée : dans les décombres, il n’y avait aucune de ces pierres énormes qui n’auraient pas manqué de suivre un grand déchirement de terrain et d’en déposer. On prétend d’ailleurs qu’il y a à peine deux siècles, le flanc de cette montagne était revétu de sapins dont on voit quelques restes et qu’il me paraitrait important de reproduire afin de protéger le village contre la chute possible des terrains et des masses qui le dominent. C’est donc au tems, ou peut-être plus aux hommes qu’il faut attribuer leur ruine. Pendant les grandes commations qui précédèrent la chute de l’Empire d’occident, l’Auvergne devint le but des incursions des barbares que ses richesses attiraient. Les fils de Clovis se la disputèrent les armes à la main, et il est fort probable que le Panthéon et les bains furent renversés dans le cours de ces guerres désastreuses. Ce qui semblerait le prouver c’est qu’ils se trouvaient à une petite distance de la capitale de la Province, et qu’une grande route dont on retrouve encore de nombreuses traces y favorisait la filtration des troupes.

On est surpris de ne rien trouver dans les vieilles chroniques sur les eaux thermales du Mont d’or, et ce silence peut être attribué tout simplement à un changement de nom. Il parait qu’on a confondu le Mont-d’or avec chaudesaigues à 30 lieues de Clermont, où l’on trouve des eaux très remarquables, mais aucun vestige d’établissement thermal. Je citerai à cette occasion, un passage de l’ouvrage de M. Bertrand, où il décrit ce qu’il a vû avec le Comte de Montlosier : " nous avons vû sur les bords et dans le lit même du ruisseau qui traverse la petite ville de Chaudesaigues, de nombreuses sources très-chaudes. Nous avons admiré surtout la belle et volumineuse fontaine du Parc qui nous a donné 79° de température et à laqu’elle un professeur d’histoire naturelle à Clermont en attribue 82. Ses Eaux comme celles des sources inférieures sont distribuées par des conduits de bois, dans toutes les maisons où l’inclinaison du terrain permet de les conduire : reçues dans un réservoir ménagé sous le pavé d’une pièce qu’on appele la maison chaude, elles y entretiennent une chaleur agréable et uniforme ; et à l’aide du même artifice, on s’est procuré dans quelques auberges, des bains, des douches et des Estuves sèches et humides à volonté. Nous sommes entrés dans une étuve sèche, où le thermomètre marquait 42 degrès. On emploie avec avantage la fontaine du parc à tanner les cuirs, à fouler les draps et au dégraissage des laines : elle blanchit le linge, elle trempe la soupe du pauvre et lui tient lieu de loucher. Quand sera-t’elle appelée, continue-t’il, à lui rendre des services plus signalés encore ! et son exclamation est bien naturelle : comment se fait-il en effet que l’une des sources de l’Europe les plus remarquables par son abondance et sa température soit restée dans un abandon aussi complexe ? nulle autre part ce semble, on ne saurait trouver autant de ressources pour un grand établissement thermal et peut-être n’y a t-il qu’à le vouloir pour que Chaudesaigues, aujourd’hui si négligé, devienne un jour le Carlsbad de la france.

Pour revenir au Mont d’or, suivant M. Bertrand, il parait que ce serait l’aquis calidis de Pentinges, placé près d’augusto-nemetum et le Calentes Bain de sidoine ; que le nom ancien a changé, comme les anciens bains avaient disparu, et le changement s’est reproduit à différentes époques : il fut connu il y a plusieurs siecles, sous le nom de St. Pardoux ; postérieurement on a appelé ce village les bains, puis enfin les Bains du Mont-d’or à cause de la montagne au pied de laqu’elle il se trouve.

Sans parler des petites sources qui participent plus ou moins de l’Etat minéral, celles qui sont depuis longtemps connues, ou récemment retrouvées sont au nombre de sept ; elles sortent de la pente très-raide de la montagne de Langle, sont disposées sur la même ligne, très-proches les unes des autres et traversent le village en courant de l’est à l’ouest.

La plus élevée de ces sources, est désignées sous le nom de Ste. marguerite. Ses eaux sont froides, limpides et contiennent une assés forte portion de gaz acide carbonique.

La fontaine Caroline, dont la découverte est très recente, fournit 43 décimètres cubes d’eau par minute et fait monter le thermomètre centigrade à 49°. Le conduit qui reçoit les eaux, les verse dans un grand réservoir construit depuis peu, qui leur est commun avec celles du bain de César et d’où les unes et les autres vont se distribuer dans l’Etablissement thermal.

Le Bain de César est à dix toises au dessous de la fontaine Sainte Marguerite, et séparé seulement par l’épaisseur du mur d’enceinte de la fontaine Caroline. Le petit édifice dans lequel ses eaux débouchent a été récemment restauré, et l’on a eu l’attention d’en reproduire les anciennes formes qui portent le caractère d’une haute antiquité. Au milieu du bain est une cuve d’un seul bloc. Son fond est percé de deux ouvertures à travers lesquelles deux colonnes d’eau jaillissent en bouillonnant et en faisant un bruit beaucoup plus remarquable dans certains temps que dans d’autres. Sa source donne 41 décimetres cubes d’eau par minute et fait monter le thermomètre à 45°.

Les sources du grand bain sortent de la même coulée que celles du bain précédant. Les eaux sourdent en filets épars à travers les interstices que présentent les angles des prismes, et disposés en quinconce, ils ont une température et un volume particuliers. Le volume d’eau provenant de leur réunion est de 38 décimetres cubes par minute.

Le Bain Ramond, trouvé parmi les décombres des bains romains, est surmonté d’une margelle octogône qui retient encore deux anneaux de fer dont la forme et la disposition annoncent qu’il avait un couvercle à charnière. Sa profondeur est de 4 pieds et demi, sa largeur de 3 pieds. Il fournit 13. D. cubes d’eau par minute et fait monter le thermomètre à 42°.

C’est aussi parmi les ruines des bains romains, que la source Rigny a été découverte. Elle fournit douze décimetres cubes d’eau par minute et soutient le thermomètre à la même hauteur que le bain Ramond.

J’ai déjà parlé plusieurs fois de la fontaine de la magdelaine, dont les eaux viennent sourdre dans une cabanne au milieu de la place du Panthéon. Il parait que pour la commodité des malades, le projet est d’amener cette fontaine sous le promontoir couvert de l’établissement thermal.

Le volume des sources thermales ne varie point. Il est le même en été et en hiver ; après de longues sécheresses, comme après des pluies prolongées.

Les Eaux du Mont d’or sont très-transparentes, néanmoins elles ont l’aspect un peu gras, celles du grand bain surtout. Exposées à l’air, leur surface ne tarde pas à se couvrir d’une pélicule très-fine, nacrée et irisée qui adhère aux corps avec lesquels on les met en contact. Elles n’ont point d’odeur sensible : on en a gardé pendant deux ans dans des bouteilles : celles qui avaient été bien bouchées étaient inodores ; les autres avaient contracté une odeur hépatique très-prononcé. Leur saveur est d’abord légèrement acidule, puis onctueuse et salée : sur la fin, elle devient amer : je n’ai jamais pu en boire sans éprouver quelque nausée. Ce goût un peu salé, est peut-être la raison pourquoi, les bœufs, les vaches, les chevres, les brebis les recherchent avec avidité et il est d’observation qu’elles amaigrissent et déssèchent les animaux, s’ils en boivent souvent. Toutes les eaux qui coulent dans la vallée participent plus ou moins de la propriété des eaux thermales ; cela expliquerait pourquoi tous les bestiaux ont une apparence si chétive. Je ne sais si cette observation peut s’appliquer aux hommes, mais je n’en ai remarqué aucun qui eut quelqu’embonpoint.

un jour dans notre hotel on agita la question de savoir si la chaleur des eaux thermales, diffère essentiellement de celle des eaux communes élevées à la même température ; chacun donna son avis, mais ne pouvant l’appuyer d’aucun témoignage la question ne fut pas résolue. rentré dans ma chambre, je fis quelques recherches et parvins à fixer mon opinion sur ce point. Comme il y a gaz et gaz, il y a de même chaleur et chaleur. La chaleur animale est très-différente de celle de nos foyers nos foyers et celle des eaux thermales diffère beaucoup de celle des eaux communes élevées à la même température. Cette chaleur est plus douce, plus agréable et, pour ainsi dire, plus en rapport avec notre nature. Il est certain qu’on ne pourrait pas boire de l’eau échauffée à 38 dégrés. Indépendamment de sa température trop élevée, une eau ordinaire ainsi chauffée a une saveur désagréable, au lieu que j’ai bû volontiers des eaux minérales qui ont la même température, sans éprouver d’autre sensation à la bouche et aux entrailles, qu’une chaleur douce qui se répandait partout. Mais le goût désagréable de l’eau chauffée à 38° disparaitrait peut-être si comme l’eau minérale, l’eau ordinaire tenait des gaz et des substances salines en dissolution. C’est une expérience qui sans doute a été faite. Maintenant est-il vrai que la température trop élevée de la première s’oppose à ce qu’on puisse la boire ? je ne le crois point, par la raison qu’on boit d’un seul trait du bouillon dont la température est non seulement de 38° mais au dessus de 40 degrés. Le potage, le café surtout, se prennent à une température bien plus élevée encore. Il faut que l’énorme masse de vapeur éxhalée au besoin par la bouche, et l’habitude surtout, rendent les voies de la déglutition, indiffèrentes à une chaleur bien supérieure à celle de l’économie.

On s’est aussi souvent demandé, si les bains chauffés artificiellement se réfroidissent moins lentement que les bains d’eau thermale, et l’expérience a démontré qu’à densité égales, sous les mêmes conditions de pression et de température atmosphériques et dans des vases dont la nature, la forme et la capacité sont semblables, l’eau ordinaire et l’eau thermale, la première élevée artificiellement à la même température que la seconde, perdent dans des temps égaux, des quantités de calorique absolument égales.

On a voulu aussi s’assurer si l’eau ordinaire et l’eau thermale, toutes conditions égales d’ailleurs, excepté celle de la température, arrivaient aussi vite l’une que l’autre à l’ébulition, et il a été constaté que la seconde conserve ses avances et boût toujours la première.

Il se trouve avoir trois sortes de bains au M.d’or les piscines, les bains tempérés de chaleur et les bains pris dans les cuves. Des réservoirs, où l’eau reste plus ou moins interposée, alimentent les piscines et les bains tempérés. Les cuves sont placées au débouché des sources, et les personnes qui s’y baignent se trouvent au milieu du bouillonnement des nombreuses vaines d’eau thermales.

Le volume et la température des sources des bains des cuves, sont constans. Tout porte à croire que les substances minérales fixes, tenues en dissolution dans leurs eaux, s’y trouvent toujours aussi en même quantité et dans les mêmes proportions.

La durée des bains pris dans les cuves, est en général d’un quart d’heure. Si le temps est froid ou pluvieux, il faut pour que le bain imprime à l’économie les modifications désirées, qu’il soit un peu plus prolongé. Il est des cas au contraire où ces modifications se manifestent au bout de sept ou huit minutes, et où il serait dangereux de le prolonger plus longtemps. Voila pourquoi le medecin doit toujours être présent, et il faut convenir que M. Bertrand, est très-assidu, très-soigneux, très-empressé auprès de ses malades. C’est lui qui fait préparer chaque bain particulier, et qui en détermine la température et la durée.

Suivant le rapport des baigneurs, il parait qu’en entrant dans le bain, ils éprouvent une chaleur brulante et un picotement insuportable à la peau, quoique la température du bain ne soit pas augmentée. Le poulx y devient accéléré, la respiration gênée, le visage injecté et couvert de sueur, et tout cela beaucoup plus vite que de coutume. la peau est très-rouge après le bain, et malgré son peu de durée, les malades transpirent ce jour là beaucoup plus qu’à l’ordinaire. Il parait aussi que cette manière d’être des bains a plus ou moins d’intensité ; le plus souvent elle ne dure qu’une ou deux heures et se fait indistinctement remarquer, tantot au commencement, tantot au milieu, et tantot à la fin du service : s’il vient à pleuvoir, elle cesse tout à coup. Sous les mêmes influences, la source du bain de César débouche avec un bruit plus fort que de coutume et fait entendre une sorte d’éructation que l’on distingue à plus d’une vingtaine de pas. On dirait alors que les colonnes d’eau sont entrecoupées par de grosses bulles de gaz qui font explosion dès qu’elles cessent d’être comprimées dans les conduits souterrains.

Les hâbitans du Mont-d’or regardent cet état des bains, comme avant coureur d’un orage et il est très-rare que ce présage les trompe.

Quand on sort du bain, la peau est fortement colorée, et la sueur ruisselle sur le corps ; il éxiste un état fébrile bien prononcé, mais qui baisse insensiblement dès que le malade a été replacé dans son lit. Une chaleur douce et modérée, succède à la chaleur âcre ressentie pendant l’immersion. Tout le corps se couvre d’une sueur abondante, mais qu’il importe de modérer au bout d’une demi-heure, ou trois quart d’heure, pour ne pas occasionner trop d’affaiblissement. Dans la journée une transpiration agréable et douce, remplace la sueur abondante éprouvée pendant et après le bain, et si elle a été modérée comme il convient, au lieu de se trouver affaibli dans la journée, on se veut plus dispos ; les articulations ont plus de fléxibilité ; l’appétit est meilleur. Il m’a paru évident que les bains du Mont-d’or favorisent plutot qu’ils ne troublent les digestions, mais il est évident aussi qu’ils ressèrent et diminuent les sécrétions.

J’ai entendu dire que les piscines étaient plus efficaces que les bains particuliers. Il est certain qu’on y obtient un plus grand nombre de guérisons. Mais tout en convenant qu’il peut résulter quelque avantage de la masse d’eau beaucoup plus grande dans laqu’elle le corps se trouve plongé, est-ce bien à cette cause qu’il faut les attribuer, et les personnes qui s’y baignent ne sont elles pas, toutes choses égales d’ailleurs, dans des conditions plus favorables à leur rétablissement ? c’est l’habitant de la campagne, que n’ont énervé, ni les travaux du cabinet, ni les tourmens de l’ambition, ni les plaisirs, ni les veilles, ni la douilletterie des cités. Ses affections ordinairement simples comme son genre de vie, ne sont ni agravées par l’imagination, ni par d’autres causes contre lesqu’elles les traitements doivent échouer le plus souvent. Telles sont sans doutes les véritables causes de la prétendue inférorité des bains particuliers sur les bains pris en commun. Il est probable que si l’on baignait le riche dans les piscines et le pauvre dans les bains particuliers, c’est ici qu’on aurait plus de guérisons.

On prétend qu’au Mont d’or, les douches des piscines sont, à volume égal, plus fortes que celles des autres bains, parcequ’elles se trouvent plus inférieures aux réservoirs. C’est sur quoi je ne puis avoir d’opinion : les bains du Mont-d’or sont les premiers que j’ai vûs, et mon voyage en Auvergne, le premier que j’aie fait, du moins dans l’âge où l’on peut observer. Cela expliquera pourquoi je parle avec un peu d’entousiasme peut-être de beaucoup de choses qui se rencontrent ailleurs. Je suis dans le cas de ce villageois qui, pour la première fois quitte sa campagne, ou du citadin qui tout à coup se voit transporté hors de sa grand’ville, où jusque là le monde lui avait paru concentré. Il est probable que mon erreur durera jusqu’à ce que j’aie fait un second voyage et que j’aie mieux vû. Tout ce que je puis dire sur les douches, c’est que rien de ce qui peut constituer des douches bien entendues et appliquées à tous les cas, n’a été négligé : hauteur, volume, forme, direction, tout m’a semblé avoir été calculé, étudié, prévu.

Ma fille n’ayant pu supporter les bains entiers, le médecin lui conseilla les bains de pieds : il prétendit que leur usage, combiné avec celui des eaux en boisson produirait de bons effets, dans la position où elle se trouvait. Elle en prit deux chaque jour ; ils ne lui ont pas fait de mal, mais il n’en est résulté aucun bien marqué. Ces bains doivent être pris avant le repas et autant que possible au naissant même des sources, mais cela n’est guère praticable pour les Dames : on les leur apporte dans des sceaux de fer blanc, avec les précautions nécessaires pour que leur température native ne soit que très-peu affaiblie. Leur durée n’est que de six à sept minuttes. L’irritation locale, la coloration et la chaleur de la peau qu’ils déterminent se soutiennent quelque fois plus de deux heures après l’immersion. Le médecin dit qu’il n’est pas rare que les ongles des pieds noircissent dans le bain, par la raison qu’il contient de l’oxide de fer en dissolution, que cet oxide se combine avec l’acide des orteils et que c’est à sa fixation sur les ongles, qu’on doit attribuer leur coloration.

Les eaux de la magdelaine qui se prennent dans la matinée et à jeun, ne se mêlent point à la boisson des repas. Pour les personnes qui se baignent, il est indifférent de les boire après ou avant le bain. hors les cas où il convient d’user de beaucoup de circonspection, on les ordonne à la dose de trois verres, comme je crois l’avoir déjà dit ailleurs, et à demi heure d’intervalle. cet intervalle est plus long ou même on s’abstient des derniers verres, si la première prise fatigue l’estomac.

Ces eaux sont administrées pures ou mélangées suivant les indications : l’eau seconde de chaux, le lait, l’eau de tilleul, l’eau de riz, une dissolution de gomme arabique, sont les substances qui au besoin servent à les altérer pour en faciliter la digestion chés les personnes d’une complexion délicate.

Le traitement dure quinze jours terme moyen, mais on conçoit qu’il se modifie suivant l’âge, le sexe, les forces, la susceptibilité des malades, le plus ou moins d’irritation de la peau et l’état de l’atmosphère ; il s’étend donc pour quelques personnes, au delà de vingt et même de vingt cinq jours, mais il est très rare qu’il dépasse un mois. Outre les circonstances particulières tirées de l’effet des eaux, de la nature de la maladie, il est des causes d’une influence générale qui modifient encore cette durée. Ainsi quand le temps est pluvieux, on peut sans inconvénient et quelque fois même on doit prolonger le traitement. Il faut au contraire qu’il soit plus court, si la chaleur et la sècheresse sont établies surtout par les vents du nord. On voit des malades qui du dixième au quinzième jour ne boivent plus les eaux qu’avec répugnance ; il convient alors d’en discontinuer l’usage sur le champ. Si l’on ne prend ce parti, bientot ces malades se plaignent d’un malaise général : ils éprouvent une grande altération, de l’amertume à la bouche, de la sècheresse, de la chaleur à la peau et de l’agitation pendant la nuit. Des mouvemens fébriles surviennent et les forces languissent, mais le calme ne tarde pas à renaitre à près la cessation du traitement. Quand rien n’oblige à la suspendre, il convient pendant les derniers jours de diminuer graduellement la dose des eaux. Il n’est pas inutile de prévenir les femmes que le traitement réussit mieux quand il est fait de continue et que autant que possible, elles doivent se prémunir contre toute interruption.

Le médecin prétend que ses eaux se conservent longtems sans éprouver aucune décomposition qui en altère remarquablement la propriété, et qu’il en a gardées, qu’il était impossible au bout de deux ans de distinguer d’avec d’autres eaux puisées depuis peu de jours. Je lui en demande bien pardon, mais j’ai emporté deux bouteilles de cette même eau. Je les avais bouchées avec beaucoup de soin ; malgré cela lorsqu’à notre retour à Paris, nous en avons bû, ma fille et moi, nous devons le déclarer pour l’acquis de notre conscience, nous ne lui avons plus trouvé aucune saveur. Je suis allé au Dépôt ; j’ai demandé une bouteille d’eau du Mont-d’or ; j’ai reconnu la même forme de verre, le même cachet sur le bouchons que j’avais vus sur la place du Panthéon. Nous y avons goûté et nous avons reconnu qu’elle n’avait plus le même goût qu’on lui trouve au lieu où on l’a prend. A la vérité le Docteur recommande de la mettre dans des vases dont la contenance n’éxède pas un verre afin d’empêcher que le gaz acide carbonique ne se dégage au premier trait. Je conçois qu’on prenne ce soin pour toutes les eaux plus ou moins chargées de principes gazeux. Mais chaque jour je voyais à la fontaine de la magdelaine, emplir, boucher, cacheter, emballer, expedier des bouteilles semblables à celles dont je me suis servi ; or je le demande pourquoi n’employait-on pas des quarts ou des demi-quarts de bouteilles ? Mais cette précaution serait tout à fait inutile. non plus que l’eau que nous avions emportée, celle que nous avons achetée, n’avait plus de force dès le premier verre. Il est donc vrai et utile de dire que les eaux du Mont-d’or perdent de leur qualité en perdant leur calorique et qu’on ne la retrouve plus même en leur rendant leur température native. Pauvres malades, fiés-vous donc aux médecins !

L’air du Mont d’or est vif, et comme dans tous les pays montueux, il a ses inconvéniens. Les personnes d’une faible constitution, ou affectées de la poitrine, doivent éviter de gravir les montagnes. On a vû des malades cracher le sang à la suite de ces promenades fatigantes, et abstraction faite de la fatigue occasionnée par l’éxercice à pied, la promenade est encore dangereuse, si l’on atteind les hauteurs où les inspirations deviennent plus rapprochées à raison de la raréfaction de l’air. Les malades affectés d’une manière fâcheuse par les transitions du froid au chaud, doivent se prémunir contre ces transitions avec plus de soin encore quand ils prennent les bains et des eaux qui augmentent la transpiration ; en général les personnes qui viennent dans ces montagnes auraient grand tort de ne pas apporter des vétemens chauds. Partis de Paris, par une chaleur de plus de 20 degrès et nous dirigeant au midi, nous ne pouvions penser que cette précaution fut nécessaire, et jusqu’à ce que des vétemens fussent venus de la capitale, ma fille s’est souvent privée de sortir pour ne pas s’exposer au froid.

Le village du Mont-d’or qui est le mons-Duranius des anciens, se trouve profondément encaissé dans l’une des nombreuses vallées qui sillonnent l’énorme masse volcanique des montagnes de l’auvergne. Cette vallée a une lieue et demie de longueur et un petit quart de lieue dans sa plus grande largeur. Ouverte du sud au nord, elle change de direction un peu au dessus du village, tourne du côté de l’ouest et va en s’abaissant cotoyer la base du pic gros, qui semble en défendre l’entrée.

Sa pente exposée au sud-ouest est formée par les montagnes de Langle et de Servielle. On apperçoit au milieu des débris volcaniques dont elle est couverte, quelques parcelles de champs et de prairies et des groupes épars d’arbres vigoureux. Le sapin, le hêtre, le fresne, sont les arbres qui se trouvent en plus grand nombre. On apperçoit le sorbier, le cerisier à grappes, l’alizier, le coudrier, mais de loin à loin : ces arbres décorent la pente opposée, au dessus de laqu’elle on remarque le capucin et le plateau du rigolet.

La montagne du Mont-d’or proprement dite, s’arrondit en demi cercle pour former la partie supérieure de la vallée et termine l’orizon en élevant ses cîmes au dessus de tout ce qui l’environne.

C’est le flanc septentrional de cette montagne qui donne naissance à la dordogne. Des touffes de coudriers, de noisetiers et de saules, dont les feuilles remarquables par l’éclat de leur vernis, ombragent les bords de cette rivière. Elle serpente dans la vallée, feconde ses belles prairies et diversifie ses paysages nombreux.

Ce que des pays sucessivement tourmentés par les eaux et les feux souterrains, peuvent offrir de pittoresque, se trouve, plus ou moins en grand, dans la vallée et dans ses environs. Déchirures, éboulemens, basaltes et porphyres prismatiques, coulées de laves, sous des amas informes que d’autres coulées recouvrent : cîmes de montagnes là où furent des dépressions ; effondremens à la place de hauteurs primitives ; partout sur terrain nouveau violemment sorti des entrailles de la terre ; Eaux froides et thermales en abondance : tout dépose des modifications que le sol a subies et des longues convulsions qu’il a éprouvées. Mais l’époque de ces convulsions ne s’est pas conservée ou n’est pas arrivée jusqu’à nous. Une belle et vigoureuse végétation recouvre presque partout ces matières confisses et amoncelées, aujourd’hui si tranquilles, autrefois et pendant longtemps sans doute, dans un épouvantable conflit. De leur disposition résultent des paysages extrêmement variés et qu’en vain l’art tenterait d’imiter.

La cascade de Quëreilh est la première que nous ayons visitée ; elle est à peu de distance du village ; c’est aussi l’une des premières promenades indiquées aux baigneurs. Du haut d’une coulée basaltique, coupé à pic, dont la corniche semble avoir fléchi et s’être abaissée dans son milieu, tombe le ruisseau du barbier. Ses eaux ont creusé un canal sinueux suivant la largeur de l’affaissement : c’est là qu’elles gissent en bouillonnant au milieu des arbustes dont l’épaisse verdure fait encore mieux ressortir leur blancheur écumeuse. à l’extrémité du canal, un fragment de la coulée les divise en deux branches ; la plus faible forme une nappe déchirée par les saillies qu’elles rencontrent à des hauteurs inégales. Des faisceaux de prisons détachés de la coulée et gisans à sa base, reçoivent l’autre branche qui s’y précipite de toute la lourdeur de sa masse et de la hauteur de trente à quarante pieds. La violence du choc résout une partie de ses eaux en vapeurs ; et placé dans une certaine direction, on voit avec ravisement briller toutes les couleurs de l’arc en ciel.

Au dessus des masses qui composent ce paysage, à l’endroit même où les eaux sont divisées, et sur le premier plan du tableau, s’éleve un antique sapin ; ses rameaux desséchés, son tron sans écorce, contrastent avec le ton de vigueur imprimé aux objets qu’il domine et qui concourent à faire de ce lieu, le bocage le plus riant et le plus délicieux.

C’est près de la cascade du queureilh, que se trouve celle du rossignolet. Elle sort d’un ruisseau qu’on n’apperçoit pas et qui se trouve sur la gauche de la petite route qui conduit à Clermont. Les eaux se précipitent dans une gorge profonde ; elles écument, elles blanchissent et tombent en formant un épais brouillard. Cette cascade est très-jolie ; mais elle perd de son effet, parce qu’elle ne peut être vue que de côté, à peu de distance de sa source et à son niveau. Pour mieux l’observer, il faut se coucher sur le ventre et s’avancer le plus possible en ayant soin de se cramponner après les arbrisseaux dont elle est entourée : cette précaution est indispensable : la chute est si rapide et l’escarpement si grand que la tête tournerait infailliblement. Les Dames doivent renoncer au plaisir de voir le rossignolet.

On nous avait dit que le salon de Mirabeau était moins éloigné que la cascade dont je viens de parler en vous tentâmes de vous y rendre à pied ; mais la raideur, la difficulté des chemins fatiguerent bientot ma malade qui demanda à se reposer. Nous nous assîmes sur un épais gazon et peut être que nous eussions continué notre promenade, mais une petite couleuvre qui passa tout près de moi et qui causa quelque frayeur, fit changer de résolution. Je courus après le reptile et je le tuai d’un seul coup de cane ; il était long de douze à quinze pouces. Il était du genre des serpens charbonniers ou serpens nageurs, dont la morsure n’a rien de dangereux. Je m’efforçai de rassurer ma petite promeneuse, mais ce fut en vain ; elle m’objecta que si nous n’avions rencontré qu’une petite couleuvre nous pouvions en rencontrer une plus grosse, ce qui était en effet très-possible dans un lieu couvert, sombre et marécageux comme celui où nous étions. Et comme je ne voyais d’ailleurs nulle raison de s’opposer sinon à un danger du moins à une peur nouvelle, nous sortimes de notre forêt de sapins et nous retournament au village, d’où nous étions beaucoup plus éloignés que nous ne le pensions. On nous avait montré en partant le point où il fallait nous rendre ; il nous avait paru très-rapproché et pourtant nous avions fait plus d’une lieue lorsque nous nous sommes reposés. On doit se défier des apparences, l’escarpement des montagnes et et la grande transparence de l’air, contribuent à tromper l’œil et à faire paraitre les objets beaucoup plus rapprochés qu’ils ne le sont réellement.

Cette promenade fut la seule que nous fimes à pied dans les forêts.

Le lendemain nous reprimes la même route que la veille, mais à cheval. Quand on veut s’éloigner un peu, c’est de cette manière que les Dames surtout doivent se promener. Si l’on ne connait pas bien les chemins, il est prudent d’avoir un guide et si l’on est à pied, il est très-utile de se munir d’une cane, non comme arme défensive, mais pour faciliter la marche qui est toujours plus ou moins pénible.

Le salon de Mirabeau, est ainsi nommé parce que l’orateur de ce nom y déjeuna dit-on, une fois avec quelques amis. Il est sur la rive gauche de la Dordogne et au milieu d’un petit plateau couvert d’arbres très-touffus. Là on est surpris de trouver une enceinte gazonnée dont les bords relevés en glacis et ombragés de sapins, produisent par l’arrangement de leurs rameaux, l’effet d’une vaste tenture. En face de l’entrée, se présente une grande coulée de basalte escarpée verticalement, semi-circulaire et dont la cîme découpée en festons, est bordée d’arbrisseaux étagés en forme de guirlandes. À ce beau cirque, il ne faudrait que des gradins, pour se croire dans un de ces spectacles familiers aux peuples anciens. Ce salon est sur le chemin qui conduit à la Vernière autre cascade près du village du Rigolet-bas. Les pentes adoucies qui bordent une vaste esplanade, sont baignées au nord, par la Dordogne, et au sud-ouest par le ruisseau de la Vernière. Une double rangée de hêtres, couronne la crète de ces pentes. à gauche on voit le petit vallon de la Vernière arrosé par le ruisseau du même nom. Il affecte la forme du Mont-d’or pour ce qui est de la vallée. Là tout est grand, tout est sévère ; ici les proportions beaucoup plus petites, n’en sont que plus agréables ; mais ce que l’on ne fait qu’entrevoir, et qu’il faut examiner de près, c’est cette cascade mystérieusement cachée et dont le réduit, taillé dans la lave est d’un effet au delà de toute expression. Ses eaux débouchent des noirs sapins, qui par la disposition de leurs plans étagés, lui forment un double couronnement, glissent et se moulent en nappe écumeuse, sur la saillie inclinée qui règne au milieu et suivent la hauteur de la coulée. Le hêtre couvre le flanc droit de son enceinte, comme le sapin en ombrage la gauche. La forme élancée et pyramidale de celui-ci ne contraste pas moins avec la masse arrondie de l’autre, que ne le fait la couleur de leur feuillage. Ce n’est qu’à travers de ce feuillage que le soleil envoie quelques rayons tremblant qui viennent ajouter encore à la beauté de ce réduit enchanteur. Je ne me lassais point d’admirer ces inégalités du sol, cette salle de verdure, ces énormes blocs de basaltes, entrainés ou mis à découvert par la force des eaux ; cette grotte formée naturellement sous un amas de pierres informes, ces arbres encore verts, déracinés en partie et renversés par les vents, cette belle végétation, cette masse d’eau glissant en s’arrondissant sur une autre masse de coulée, noircie usée par les eaux et par les années. Toutes ces beautés de la nature, qu’on admire et qu’on ne peut ni imiter, ni décrire, je ne pouvais les quitter ; je serais resté beaucoup plus longtemps à les contempler si la trop grande fraicheur du lieu n’eut été dans le cas de nuire à ma fille.

Nous devions le même jour visiter les bains de la Bourboule qui sont très près de la vernière, mais plusieurs Dames se trouvant fatiguées, nous reprîmes la route du Mont-d’or, et nous fimes bien car l’heure était avancée ; nous n’arrivames que juste pour nous mettre à table, ce qui contraria un peu ces Dames de ne pouvoir pas changer de toilette.

La Bourboule est un méchant hameau, où l’on ne trouve que deux ou trois maisons passables. Il est situé sur la rive droite de la Dordogne et dans un lieu très-bas qui doit être régulièrement inondé toutes les fois que la rivière se goutte et cela lui arrive souvent. On y trouve des eaux thermales qui sortent du pied de la masse volcanique des montagnes du Mont-d’or. Leur température est très-élevée, le thermomètre marque jusqu’à 46 degrés. Elles réussissent très-bien dit-on, contre les affections cutanées, les engorgement lymphatiques et les rhumatismes. Elles contiennent une grande quantité d’hydro-chlorate de soude ; du reste, il n’y a rien qui les recommande d’une manière bien spéciale. Leur réputation n’est cependant guère moins anciennes que celles des eaux du Mont-d’or. La route romaine dont on trouve des vestiges et qui traversait les montagnes de l’auvergne, passait auprès de la Bourboule. Les différentes sources que l’on voit sont plus ou moins chaudes. l’une d’elles renfermée dans une tourelle construite depuis peu d’années, est peu abondante et fournit du gaz hydrogène sulfuré, mais en petite quantité. Les bains qui existent sont à un particulier, qui pour la commodité des baigneurs, qui ne sont pas en grand nombre, a fait élever récemment un bâtiment plus spacieux où l’on trouve huit baignoires alimentées par une source qui, à son débouché, donne une température qui s’éleve comme je l’ai dit jusqu’à 46 dégrés : on prétend même qu’elle peut s’élever jusqu’à 52, suivant certaines circonstances atmosphériques.

On ne visite guère la Bourboule qui n’est qu’à une petite lieue du Mont-d’or, sans aller voir la chambrette du tisserand. Cet homme est parvenu à se creuser dans le roc vif, une habitation qui est tout à fait remarquable. Elle peut avoir douze à quinze pieds carrés ; elle est éclairée principalement par la porte, sur la droite on a construit une cheminée et une petite croisée. Sur la gauche est le lit dans une espèce d’alcove et à côté un petit cabinet éclairé par une lucarne : c’est là où se trouve le métier du tisserand ; c’est là où nous avons trouvé ce pauvre homme travaillant à la confection d’une toile grossière. Il est âgé de soixante et dix ans, vétu à la manière du pays. Ses cheveux sont noirs et taillés droits comme ceux des normands. Quand on va le voir, il quitte son travail, salue, répond laconiquement aux questions qu’on lui fait et retourne bientot à l’ouvrage. Il a été douze ans à former sa demeure. Je l’habite depuis trente, nous a t’il dit, et et je vis heureux. une Dame lui ayant demandé s’il souffrait du froid pendant les longs hivers qu’on éprouve dans le pays : aucunement, a t’il répondu. En effet, on conçoit que l’exposition au midi doit modifier beaucoup l’action des vents du nord dont il est garanti. Mais ce que nous avions peine à concevoir c’est qu’on ne remarquait aucune trace d’humidité, lorsque autour de la cabanne l’eau coulait de toutes parts.

En m’éloignant de ce bon solitaire, je pensais à ce qu’il venait de dire : qu’il était heureux. Je le crois. Exempt d’ambition, borné dans ses goûts, dans ses desirs ; ayant peu de besoins et trouvant à les satisfaire, sa vie doit s’écouler paisiblement. Pourquoi donc se tourmenter incessamment, pour chercher le bonheur, quand il est si près de nous, quand il est si facile de se le procurer !

un lieu qui ne mérite pas moins, quoique sous d’autres rapports, d’être visité, c’est la roche vaudeix ou roche du siége. à l’intérêt de son site sauvage, à la diversité de ses aspects imposans, de ses formes pittoresques, s’ajoute encore celui des événemens dont elle rappele le souvenir. Qu’on se représente un cône escarpé de tous côtés, ayant sur quelques uns près de cent cinquante pieds de hauteur, et s’élevant au milieu d’une forêt, dont l’accès présente de grandes difficultés, on aura une idée de cette roche. Un sentier taillé en goutière, est le seul point par lequel son sommet soit accessible, et pourtant c’est là où s’élevait une forteresse qui, au quatorsième siécle soutint un siége de six semaines. Sur cette roche où n’aurait jamais du retentir le fracas des armes, paissent tranquillement aujourd’hui de nombreux troupeaux. La verdure qui la pare, les arbustes qui en ombragent les bords, offrent un doux repos aux voyageurs qui la visite. C’est en vain qu’on y cherche quelque indice de son ancien fort, l’herbe, l’œillet sauvage, croissent où s’élevaient des tours menaçantes. Deux cônes uniformes et sur-ajoutés au cône principal, présentent cependant encore des traces irrécusables du travail des hommes, comme les fers de flèches et de lances dont les environs sont semés, attestent leur fureur.

Une promenade fréquentée et très agréable est le capucin. C’est une montagne de l’autre côté de la Dordogne en face le village du Mont-d’or. Son sommet oblong à 4437 pieds d’élévation ; un des côtés détaché de la masse, ne ressemble pas mal de loin à un homme revétu d’un capuchon ; c’est à cet accident qu’est du le nom de cette montagne. Le capucin, offre une de ces erreurs d’optique dont j’ai déjà parlé et dont les personnes habituées aux montagnes m’ont assuré ne pouvoir pas toujours se défendre. Vu du Mont-d’or, on croirait qu’en moins d’une demi-heure on peut en atteindre le sommet, et c’est à peine si cet espace de temps suffit pour faire le tiers du trajet. Le chemin, qui est nouvellement taillé en zig-zag, a été fort adouci ; c’est un chemin entier, tandis que partout ailleurs il faut marcher dans des ravins dont l’accès est aussi difficile, aussi fatigant que dangereux. J’ai fait cette promenade à pied. On la fait à cheval très-aisément et même dans une litière portée par deux hommes ou deux chevaux. arrivé sur le plateau, on trouve une forêt très-agréable. On est frappé de l’odeur balsamique et résineuse qu’exhalent les sapins, et je conviendrai avec le Docteur, que l’air en est emprégné doit influer beaucoup sur les forces vitales. C’est la promenade la moins éloignée et je crois la seule que les Dames puissent se permettre de faire à pied. Tout le plateau étant garni d’arbres, il ne présente pas, comme aux autres montagnes, l’inconvénient d’éprouver subitement un air trop vif, mais il faut rester sous cet ombrage vert et frais ; si l’on veut arriver à la pointe du rocher, on est obligé de marcher encore pendant au moins une demi-heure. Bientot on ne trouve plus nul chemin tracé et la pente devient si rapide, la pelouse sur laqu’elle on marche, si unie, si glissante, que l’on ne peut avancer qu’en s’aidant de quelques brins d’herbe et des parties du rocher qui se sont détachées et qui se trouvent dispersées ça et là. Tout à fait à l’extrêmité on a placé un banc ; j’avais besoin de me reposer, mais le lieu est si élevé, si arrondi, si étroit, si escarpé, et le vent soufflait avec tant de force lorsque j’y suis monté, que j’ai cru prudent de m’asseoir sur le gazon. On domine à pic, non seulement sur le village, mais sur toute la vallée. La vue est superbe, mais dans aucun temps, je ne conseillerais à une dame d’en tenter le voyage : il est trop rude et trop périlleux ; il n’y a guère non plus que les hommes qui l’entreprennent.

à notre retour nous avons rencontré dans le bois, une jeune Dame qui se promenait seule, un livre à la main. Elle faisait semblant de lire et paraissait beaucoup moins occupée de sa lecture que tourmentée de l’idée de s’en retourner comme elle était venue.

Les guides qui vous conduisent ne manquent jamais d’instruire le voyageur de l’accident effroyable arrivé au bon curé du Mont-d’or. Ce respectable pasteur revenait de Latour, lieu de sa naissance ; c’était en février, le temps était froid et les montagnes couvertes de neige ; une corniche étroite, prise du côté nord du capucin et qui faisait partie de la route qu’il avait à parcourir était couverte de glace : le curé perd pied et glisse avec rapidité dans les précipices obscurs que l’on voit à la base de la montagne. Revenu de l’étourdissement que lui cause sa chute, il essaie de se relever et ne s’apperçoit qu’en ce moment, qu’il a la cuisse cassée. Qu’on se figure de toute l’horreur de sa position. Au milieu des montagnes, au sein d’une vaste forêt, à plus d’une lieue et demie de son habitation et de tout chemin fréquenté, que peut-il attendre des hommes ! une faible lueur d’espérance lui reste cependant. Le lendemain est un dimanche. Il s’est toujours trouvé au milieu de ses paroissiens quand les solennités de l’Eglise les y appelent : son absence fera naitre des inquiétudes ; on ira à la découverte… mais vingt heures au moins doivent s’écouler avant que l’on pense à cette détermination, et faible, brisé, souffrant, pourra t’il aussi aussi longtemps se passer de secours ? cependant la nuit, cette nuit d’angoisses inexprimables s’était écoulée. sur les onze heures le curé entend les cloches de son église… ses paroissiens sont réunis : surpris de ne point voir leur pasteur, ils s’interrogent avec inquiétude. Au milieu des tristes conjectures que l’on forme, un homme attaché au service des bains, ne prenant conseil que de sa tendre sollicitude, part, arrive à Latour et apprend que le curé était parti la veille de ce village. Il y répand la consternation. aussitot douze personnes montent à cheval et à quatre heures du soir le vénérable pasteur entend et reconnait la voix de ses amis qui l’appelent. Ils l’entourent, ils le réchauffent et le rendent à la vie au moment où ses forces épuisées, ses membres glacés lui faisaient pressentir sa dernière heure.

C’est en face la montagne du capucin que se trouve la grande cascade. Le volume d’eau n’était pas considérable lorsque nous la vîmes, néanmoins elle produit un bon effet par son extrême élévation. La pente qui y conduit est-très raide et les fragments de lave dont elle est semée, ne présentent qu’un appui trompeur, un sol qui fuit sous les pas et sur lequel il serait dangereux de s’exposer. Une coulée de porphyre coupée à pic, évidée à sa base et formant une voûte qui s’agrandit chaque année ; des blocs énormes détachés de la masse porphyrique et des troncs abattus, mutilés, derniers représentans d’arbres, autrefois la paiure de ce paysage, n’offriraient qu’un tableau confus et sévère si le torrent qui se précipite du haut de la coulée et fuit avec fracas de chute en chute, ne venait animer les objets qui l’avoisinent. Cette cascade prend le nom de la montagne du Mont-d’or, parceque c’est du haut de sa cîme qu’elle se précipite. Celui qui aurait l’habitude marcher sur des rochers et qui ne craindrait pas de se mouiller un peu, ou même de faire quelque chute, pourrait monter à la cascade par le ravin de son ruisseau. Il est vrai que la fatigue est extrême, mais aussi quand on est sensible aux beautés de la nature, par quel plaisir n’est-on pas dédommagé. Ce n’est pas seulement la raideur et l’escarpement de la montagne qui contribue à rendre plus pénible cette singulière route, c’est surtout l’immense quantité de lave qu’on y rencontre, en blocs de toute grosseur, qui sans cesse obligent à des détours ; il en est d’énormes, que la pente du terrain a fait rouler jusqu’au ruisseau. l’Eau arrêtée par eux, vient les frapper dans sa chute ; elle blanchit, elle écume et ne peut couler qu’en les tournant et en les suivant dans leurs contours. S’ils n’ont qu’une hauteur médiocre, alors elle s’éleve au dessus d’eux, retombe en nappe de l’autre côté, et dans son cours sautant ainsi de roc en roc, elle forme cent cascades, dont les moins belles seraient des merveilles dans nos jardins anglais.

Au milieu de tout cet amas de lave, qui offre à la fois, et le monument d’un grand incendie et les décombres d’une immense ruine, la nature a fait naitre de la verdure et des arbres. Les masses volcaniques dont la base est baignée par l’eau, sont toutes couvertes de pelouse à leur partie supérieure. Partout le long du ruisseau, on voit des sapins et des fresnes ; quelques-uns ont pris racine dans la fente d’un bloc, d’autres comme je viens de le dire, courbés, abattus par les tempêtes et les hivers, sont tombés à travers le ruisseau.

On arrive enfin au haut de la montagne et alors se déploie devant nous, toute entière, sa vaste et superbe décoration : c’est une immense coulée de basalte, qui haute de soixante pieds et terminée par une surface plane est venue sur la montagne, s’arrondir en demi cercle. Dans certaines parties, elle repose sur des cendres volcaniques, dans d’autres, elle a formé des colonnes prismatiques ; il en est où la lave parait avoir été mal fondue, et comme les éclats se détachent perpendiculairement par écailles et par lames, la masse dans sa hauteur parait taillée à pic. Vers le fond de l’enceinte, les parties inférieures de la base ont beaucoup plus souffert de la dégradation. Par un effet local elles se sont creusées en profondeur de sorte qu’aujourd’hui, il éxiste sous la coulée de basalte, une espèce d’arceau ou de portique fort long, sous lequel on peut se promener à couvert. C’est au centre de l’enceinte, que la cascade se trouve placée, comme dans le point de vue le plus favorable ; c’est de ce demi cercle qu’elle se précipite ; mais sa chute est telle, les laves sur lesquelles elle tombe, la font rejaillir avec tant de force et en parties si tenues, qu’elle forme une brume, et s’il est permis de s’exprimer ainsi une poudre d’eau qui mouille, lors même qu’on est à une certaine distance. Ainsi que je l’ai dit, je ne l’ai pas vue dans toute sa beauté. En été ce n’est quelquefois qu’un simple ruisseau tombant perpendiculairement, ou n’ayant qu’un jet faible et égal dans sa largeur ; mais après une pluie ou à la fonte des neiges, devenue rivière rapide, l’eau par une courbe très-alongée, s’élance impétueusement dans son bassin et va s’épandre avec fracas, bien au-delà du lieu ordinaire de sa chute. A chaque instant selon que le vent a plus ou moins de prise sur cette nappe d’eau ; on la voit s’étendre, se diviser, se rétrécir, s’arrondir en colonne, ou s’épanouir en éventail ; quelque fois jetée contre la roche et déchirée par les aspérités qui s’y rencontre, elle forme dans certains endroits de sa chute, une pluie à larges goutes tandis que dans d’autres, elle tombe sous la forme d’une vapeur blanche ou d’une écume à gros flocons.

Au milieu de toutes ces ondulations si mobiles, la réfraction et la réflexion des rayons du soleil donnent encore des effets de lumière ravissant et quelquefois, comme à la cascade du queureilh, mais plus en grand, toutes les nuances de l’arc-en-ciel. un poëte en ce moment croirait voir une pluie de diamans, de rubis, d’émeraudes et de toutes les pierreries ensemble, et malgré toute l’éxagération que semble annoncer cette peinture, le poëte aurait raison.

Comme le rocher-lave, d’où découle la cascade, se délite sans cesse, il est impossible que [mots raturés] ces dégradations continuelles ne lui fassent éprouver des changements considérables. Tout ce qui se détache du massif de basalte, tombe dans le bassin ; il s’y amoncelle, en exhausse le sol et tend par conséquent à diminuer la hauteur de la cascade ; celle ci en effet s’accourcirait annuellement, si sans cesse et surtout dans la crue des eaux, elle ne travaillait à emporter tout ce qui s’oppose à son cours. Les masses considérables par leur poids et leur volume peuvent seules lui résister. Alors le reste est poussé et entrainé ; les blocs roulent dans son lit escarpé ; et tandis que les unes ne font que s’user et s’arrondir, les autres dans leurs chutes fréquentes, éclatent et se brisent ; tous sont portés dans la Dordogne qui, les reprennent à son tour, les charrie avec les siens à travers le Limousin, le Périgord et la Guienne. usés les uns par les autres, limés, frottés sur le terrain sur lequel ils passent, ils deviennent successivement éclats, fragmens, galets, grenaille, gravier, puis sable enfin ; et c’est sous ce dernier dégré d’altération, de décomposition ; sous ce résidu de sable, que les monts-d’or vont ainsi que je l’ai dit ailleurs encombrer le vaste bassin de la gironde et le golfe de gascogne.

C’est sur la cîme de cette même montagne que se trouve le lac Pavin, qui, par sa forme et ses détails, est un des plus beaux et des plus singuliers de ces pays. Placé dans le cratère d’un ancien volcan ce lac ne serait là qu’un objet extraordinaire, s’il y était un et de toutes parts à découvert ; mais ce qui l’embellit et ce qui lui donne un charme inexprimable, c’est un rideau de verdure, haut d’environ cent vingt cinq pieds, qui s’élevant sur ses bords, le suit dans son contour, s’arrondit comme lui et le couronne agréablement. Quoique cette ceinture ait un talus si escarpé qu’on ne peut y marcher sans risque de tomber dans le lac, cependant elle est presque partout couverte de pelouse ; une grande partie est même couverte de bois. On voit qu’au temps où le volcan était en action, il avait dans sa couronne une échancrure par laqu’elle s’écoulaient les substances liquides et fluides qu’il vomissait. actuellement, c’est par là que le lac déborde : l’eau y coule sur un lit de lave qui forme une sorte de déversoir. Du banc de lave elle tombe en cascade dans un canal qu’elle a creusé sur le penchant de la montagne, et gagnant un vallon qui traverse un ruisseau qu’on nomme le ruisseau de la Couse, elle va se jeter avec lui dans l’allier près d’Issoire.

Il faut remarquer encore que le rideau à mesure qu’il approche de la ligne de lave diminue peu à peu de hauteur et vient insensiblement se confondre avec elle, de sorte que l’ouverture qui n’eut été qu’un objet frappant, si elle avait été taillée verticalement dans ce mur de cent ving cinq pieds, devient par cette pente douce, un objet d’autant plus agréable, que c’est par là que l’on monte au lac et qu’on peut le voir.

Le bord inférieur du bassin forme une sorte de banquette horizontale qui d’un côté tenant au rivage, de l’autre s’avance de douze à quinze pieds sous l’eau. Dans cet espace, elle est couverte de fragmens de lave, placés les uns près des autres comme le serait un pavé naturel. Le cratère, au lieu d’avoir un talus, comme paraitrait l’annoncer sa forme d’entonnoir, s’enfonce tout à coup perpendiculairement ; on ne voit plus que de l’eau, et le lac devient un abyme. Du reste point de joncs sur ses bords, point de plantes aquatiques, point de bourbier ni de limon, rien enfin qui annonce le marécage. On dirait que la main d’un génie veille sans cesse à le tenir propre et riant.

En hiver l’eau y gèle à une grande profondeur : alors non seulement on peut se promener sur l’abime mais on profite de cette circonstance favorable pour exploiter les bois du rideau qui sans cela seraient inexploitables.

On est parvenu, non sans difficultés à sonder le fond de ce vaste lac : on a trouvé deux cent quatre vingt huit pieds de profondeur. quelque étonnante que soit une pareille hauteur dans un bassin d’eau douce, elle dut être bien autrement considérable au moment où il n’était encore que le foyer d’un volcan éteint, ou un gouffre écroulé.

La limpidité des eaux de ce lac surpasse toute description ; leur vue seule donne la soif et le desir d’en boire : elles sont plus douces, plus agréables que celle du Mont-d’or, mais beaucoup moins fraiches, ce qui se conçoit aisément. Ces eaux conservent toute leur beauté dans leur chute, tant qu’elles coulent sur le penchant de la montagne, mais dans le voisinage de leur jonction avec la Couse, elles commencent à se troubler.

L’explosion d’un coup de fusil dans cette circonférence, occasionne un bruit singulier qui dure plusieurs secondes, parcequ’il circule, il roule tout autour du bassin et revient à l’endroit d’où il était parti. Au dessus et à peu de distance du Pavin, est un lieu d’où la célébrité dépend en partie de la sienne : on le nomme le creux de soucy ; c’est une sorte de puits naturel, ou plutot c’est une ancienne cheminée volcanique dont le fond est maintenant rempli d’eau, ainsi que le Pavin. Comme le niveau est élevé de cent quatre vingt six pieds au dessus de celui de Pavin, les gens du pays croyent qu’elle a sa décharge dans le lac.

On donne généralement le nom de Monts-d’or, à toute cette chaine de montagnes, les plus élevées de l’auvergne et les plus étendues. Elles doivent leur nom à la Dor, qui y prend sa source. On estime leur circonférence à vingt lieues. La plus haute d’entre elles à laqu’elle on donne plus particulierement le nom de Mont-d’or, est celle qui est célebre par ses eaux thermales. Elle est élevée de seize cent quarante huit toises au dessus du niveau de la mer. C’est aussi d’elle dont je parle plus spécialement.

C’est en sortant du sommet de cette montagne, que la Dorforme la cascade dont je viens de parler. Elle confond ses eaux dans la vallée avec celle d’un autre ruisseau nommé la Dogne et réunissant alors leurs noms comme leurs eaux, les deux ruisseaux s’appelent dès lors la Dordogne, qui, après avoir, comme rivière, traversé le Département de la Corrèze et celui auquel elle a donné son nom, va se joindre à la garonne près de Bourg au bec d’ambez, après un cour de quatre vingt cinq lieues.

Si l’on ne veut connaitre que le Mont-d’or, un chemin particulier y conduit ; j’y suis allé à pied ; je crois qu’il serait possible d’y monter à cheval. Je suis allé jusqu’à la base du cône qui le termine et qu’on nomme le pic de la croix. Mais à moins d’être accoutumé à gravir les rochers, il serait dangereux

d’affronter
d’affronter celui du pic. Il est beaucoup de personnes qui ne se verraient pas sans effroi sur la pointe de cette quille, entourées de précipices de tous les côtés.

Le froid qui règne au Mont-d’or est extrèmement vif. On y voit quelque fois de la neige encore encore dans le mois d’aoust. Cette neige diffère de celle des villes et des campagnes, en ce qu’elle n’est point comme celle-ci composée de flocons légers en forme de duvet, mais de petits glaçons très-minces, très-luisans et assés solides entre eux pour supporter un certain poids. Dans les vallons profonds et étroits, la neige s’amoncelle et forme avec la verdure des environs, un singulier contraste. Sur toute la montagne, il n’y a pas d’endroit plus horrible que la gorge où la Dogne prend sa source et qu’on nomme la gorge des enfers ; et il faut convenir qu’elle mérite ce nom par son aspect effroyable, par les formes affreuses des rochers volcaniques qui l’entourent, par les morceaux énormes de laves brisées et d’argile cuite, dont les dégradations l’ont couverte. La neige en occupe le fond, ne laissant qu’un passage peu large à la Dogne, qui traverse la gorge, laqu’elle a un courant d’air que les eaux vives emportent toujours avec elles et qui entrant par un bout du canal, sort par l’autre. mais au printemps, quand l’atmosphère est devenue plus tempérée, l’air ne peut parcourir cette route sans s’attiédir et fondre la neige. a mesure que la température devient plus chaude, la fonte augmente et creuse enfin une véritable voûte fort large, parfaitement ceintrée, haute de quatre pieds et sous laqu’elle on peut passer en se baissant un peu. Ce qui reste de neige au dessus de l’arcade, n’a souvent plus qu’un pied d’épaisseur et dans cet état elle forme sur le ruisseau et dans le sens du courant, une sorte de pont composé d’une arche tout en longueur. La neige extérieure reste sèche, tandis que celle de l’intérieur se fond et découle de toutes parts en filets d’eau ; une partie vont même en gros bouillons sous la forme de vapeurs. C’est un spectacle singulier de voir cette brume épaisse qui nous a si fort frappés le jour de notre arrivée au Mont-d’or, s’épancher avec un ruisseau par la bouche d’une autre de neige ; c’en est un aussi que cette neige elle-même dans une saison où plusieurs des contrées voisines ont déjà moissonné leurs grains ; mais ce qui fait le plus d’impression sur le spectateur qui réfléchit, c’est de voir tous les météores aqueux dans un lieu où le feu jadis embrasa jusqu’aux rochers et qui selon sa juste dénomination dut être véritablement un Enfer. En examinant le Mont-d’or sous le rapport de la géologie, on s’apperçoit que cette montagne est une immense ruine, dans laqu’elle on reconnait partout les vestiges d’un vaste incendie. Après le feu, les eaux en ont changé la face une seconde fois ; elles l’ont sillonnée profondément par des gorges et des ravins ; elles l’ont hérissée de pics hideux et de roches entièrement décharnées ; mais en même temps, elles l’ont presque partout tapissée de verdure, et aujourd’hui de nombreux troupeaux y paissent en liberté.

Descend-t’on dans la vallée du Mont-d’or, de nombreux charmes attirent les regards de l’observateur : le naturaliste, trouve à chaque pas des plantes nombreuses qui couvrent les côteaux et les monts d’alentour ; le savant s’y voit au milieu des richesses minérales, et le peintre n’a que l’embarras de choisir entre les sites, les plus bizarres, les plus sauvages, les plus féconds en accidents et en contrastes. Cette vallée n’est qu’une vaste collection de curiosités où la nature laisse le choix. Tous les résultats des phénomènes volcaniques y sont entassés ; rien n’y est en ordre ; les blocs y sont sous les yeux, il faut les briser, les trésors sont dans leur sein : les schorls, les laves porphyriques les basaltes prismatiques, les brèches volcaniques et les différens métaux mis en fusion, offrent les brillantes métamorphoses qu’ont subis les élémens primitifs.

Toutes les montagnes de la chaine du Mont-d’or donnent d’excellens pâturages. On voit partout de grands troupeaux de vaches et de chèvres, quelquefois au nombre de deux cents. C’est un beau spectacle que ces troupes de quadrupedes de couleurs différentes sur un immense tapis de verdure. Tous ces troupeaux sont sous la garde du fermier de la montagne, qui, dans des huttes de terre et de bois appelées Burons, s’occupent spécialement de la confection des fromages, l’une des principales ressources des Buroniers. Je suis entré dans une de ces huttes ; son aspect était on ne peut pas plus misérable : un homme et un petit garçon étaient occupés tout à tour à faire des sabots et des fromages. Ils m’ont montré un fromage, de la forme et de la dimension d’un assés gros Etui de manchon et pouvant peser au moins trente livres. Pour l’ordinaire, les fromages de ce pays sont ronds, plats et du poids d’une livre à peu près. On en sert sur les tables ; quelques uns se trouvent bons mais généralement la qualité est médiocre. C’est à tort qu’on les confond avec ceux provenant d’une petite commune aussi appelée Mont-d’or et qui se trouve près de Lyon.

Le pic Sancy est un des sites qui appelent l’attention des curieux ; mais pour le visiter l’excursion est longue, fatigante, et c’est avec juste raison que le médecin recommande à ses malades de s’en abstenir. Pour s’y rendre, il faut remonter la dordogne, traverser la vallée d’Enfer. En continuant de remonter cette vallée, on dépasse les hauteurs où le sapin cesse de croitre. On laisse les plus élevés sur la gauche. il faut jeter un coup d’œil sur le ruisseau qu’on entrevoit au milieu des sapins et des masses de cacalia et de souchus des alpes qui se plaisent à élever sur ces bords leurs tiges couronnées de fleurs, les unes d’un violet pâle, les autres d’un bleu clair. Les eaux transparentes fuyent en bruïssant le long de la pente inégale qui les entraine : c’est un serpent qui semble comme échappé au mystérieux ombrage où se cache son origine ; et cette comparaison se présente si naturellement à l’esprit que les habitans eux mêmes n’ont pas d’autre terme pour désigner cette jolie cascade.

Pour se rendre au Pic sancy, nul chemin n’est tracé ; il faut de toute nécessité un guide pour nous diriger dans tous les contours qu’on est obligé de suivre. Ce sont des montagnes sur d’autres montagnes, qu’il faut tourner et gravir incessamment, non sans peine et même sans danger. Mais arrivé à la cîme aujourd’hui très-accessible, un horizon sans borne se développe aux yeux du spectateur. La vue y embrasse tous les puits contemporains du vaste et terrible incendie qui ne les forma qu’en dévorant leurs ainés. Elle plonge dans les nouvelles vallées, dont les escarpemens et les profondeurs présentent à chaque instant d’épouvantables précipices. Le moindre faux pas peut vous y précipiter, mais les chevaux ont une telle habitude de ces chemins pierreux et tortueux, leur allure est si tranquille, si régulière, et leurs pas si sûrs, que nulle crainte ne vient vous troubler. On sent cependant parfois, le besoin de détourner la vue et on la repose avec plaisir sur les nombreux troupeaux, habitans fortunés de ces hautes régions, pendant la saison où la retraite des neiges leur en livre l’accès. l’habitude de se hazarder sur leurs sommets et de les parcourir, ne les garantit pas toujours des accidens qui les entrainent dans les abymes au dessus desquels on les voit suspendus : on ne peut se défendre d’un certain frémissement à l’aspect de cette position. On ne peut se défendre non plus d’un sentiment pénible en appercevant les bergers montagnards, récolter des herbages là où les animaux les plus agiles pourraient à peine atteindre. une large ceinture de cuir les entoure ; elle porte un anneau de fer auquel est attaché le bout d’une corde, dont l’autre bout est fixé à un pieu enfoncé dans la terre. Ainsi retenus, ils promènent la faulx sur de petites surfaces verdoyantes, disséminées sur les déchirures de la gorge des enfers, ou des pentes si raides de la vallée de chaudefour.

l’Economie humaine s’accommode très-bien de l’air que l’on respire sur ces hauteurs : au lieu d’avoir cette activité dévorante que l’on reproche à celui des montagnes de premier ordre, il semble au contraire ici favoriser toutes les fonctions et augmenter les forces. J’ai trouvé qu’on y était plus agile, plus hardi, plus entreprenant, et que les facultés de l’âme ne restaient pas étrangères à cette augmentation d’énergie.

Je reviens au Pic sancy. nous ne fumes pas heureux le jour où nous en fimes l’ascension. Le temps avait été beau toute la matinée, le soleil brillait, l’air était calme et pur, nous ne pouvions avoir aucune appréhension : nous partons. nous passons gaiement la Dordogne, nous traversons la vallée d’Enfer et nous montons sans appercevoir le moindre signe fâcheux ; mais arrivés sur le plateau, le vent soufflait du côté opposé où nous étions montés, et ce montrait si violent, qu’il nous fut impossible de rester sur nos chevaux. nous descendimes. Parvenu à la hauteur où nous étions, il faut encore gravir ce qu’on appele le Pic, pointe élevée de soixante à quatre vingt pieds et sur laqu’elle des Ingénieurs géographes ont dressé, depuis peu, une table qui s’ert à des observations astronomiques. Nous étions huit, nous avions tous le désir dy monter ; mais à peine avions nous jeté quelques regards, sur ces immenses plaines qu’on apperçoit auloin, qu’un premier coup de tonnerre se fait entendre. En moins de cinq minuttes, nous voyons un orage se former, s’avancer et fondre sur nous. Dès lors il fallut renoncer à tout projet d’aller plus loin. En beaucoup moins de temps quil n’en faut pour le décrire, le pic est tourné, enveloppé d’épais nuages qui marchent avec la plus effrayante rapidité. nous sommes bientot nous mêmes enveloppés et tout moyen de retraite, nous parait désormais impossible. La petite caravanne est alors en pleine déroute. Ma fille était seule de femme ; elle ne pouvait suivre nos compagnons qui fuyaient au risque de se précipiter et de se perdre dans les abymes. nous restames donc en arrière et ma fille montra dans cette circonstance, une résignation, un sang froid, un courage bien au dessus de son sèxe et qu’on trouve rarement dans le nôtre. Elle paraissait plus occupée du grand et beau spectacle dont elle était témoin que de l’imminence du danger auquel nous étions exposés. Cependant l’eau tombait par torrens, et le vent nous poussait avec tant de violence, que plusieurs fois nous fumes obligés de nous asseoir et même de marcher sur nos mains pour n’être pas jetés dans quelques précipices. Tous les élémens semblaient déchainés contre nous ; la foudre ne cessait de gronder et les éclairs qui sillonnaient les rues, marquaient plus que le jour, nos pas incertains et chancelants. Notre position était affreuse et je ne puis en retracer l’image, sans frémir encore. nous marchions péniblement sur une herbe mouillée et glissante. Nous appercevions parfois la trace de quelques pas, nous la suivions, bientot cette trace nous échappait et nous retombions dans de nouvelles incertitudes. Ma pauvre enfant luttait avec avantage contre tant d’obstacles ; mais je prévoyais que les forces l’abandonneraient et que dans peu peut-être elle succomberait à de si grandes fatigues. mes inquiétudes étaient inimaginables. je m’efforçait de les lui cacher ; [mots raturés] je soutenais son courage en l’assurant que je reconnaissais le chemin et j’étais un instant heureux quand par un faible indice je pouvais et me faire illusion à moi-même et croire que je l’avais persuadée.

Tourmentés par les vents, fatigués par la pluie, éblouis, étourdis par la vivacité des éclairs et par de continuelles et terribles détonnations, nous ne pouvions pas tenir longtemps à de si grandes calamités. nous avions par hazard suivi la bonne voie, mais infailliblement nous nous serions égarés et Dieu sait quel sort nous eut été réservé. je donnais le bras à ma fille quand nous pouvions aller ensemble de front, j’étais témoin des efforts qu’elle faisait, je partageais sa peine. J’appréciais toute l’étendue de nos malheurs, j’avais le cœur brisé. Un instant je perdis toute espérance, mes jambes fléchissaient, je me sentais défaillir, lorsqu’une idée vint me ranimer et pour ainsi dire me rendre à la vie. nous n’étions pas remontés sur nos chevaux, le vent nous eut promptement renversés ; ils nous suivaient fort paisiblement. quand nous nous arrêtions, ils s’arrêtaient de même et ces bons animaux moins malheureux que nous, broutaient l’herbe en nous attendant. Je pensai qu’ils pouvaient avoir déjà fait le voyage au Pic sancy et que pour le retour surtout, leur instinct nous servirait mieux que notre propre intelligence. nous les fimes marcher devant, et nous les suivîmes à notre tour avec un sentiment de confiance qui nous donnait de nouvelles forces. nous trouvames ainsi les Différens mamelons que nous avions vûs, que nous reconnumes ou que nous crûmes reconnaitre à travers les nuages ; mais les chevaux en liberté marchaient trop vite, ma fille ne pouvait les suivre ; il fallut moderer leur pas tout en tremblant de changer leur direction. Toute fois ils nous conduisirent bien et j’eus tout lieu de m’applaudir du parti que j’avais pris. après deux heures de marche forcée, de fatigue et d’angoisses, nous nous trouvâmes au milieu de la montagne ; nous revîmes la forêt de sapin et notre joie fut grande car nous étions sûrs alors de ne point nous être égarés : elle fut plus grande encore, quand à mesure que nous avancions dans la forêt nous vîmes la pluie diminuer, les nuages se dissiper l’horison s’étendre et tous les autres accidens s’affaiblir graduellement. Il était arrivé ce qui arrive fréquemment dans les montagnes, que les arbres par leur extrême élévation, avaient détourné l’orage et qu’il n’y était pas descendu audelà d’une certaine région.

Après tant de tourmente, le calme que nous éprouvions était bien réparateur dont nous goûtions tout le charme. ma fille était exténuée ; elle tomba dans mes bras : je croyais bien périr, me dit-elle, mais j’étais résignée. En effet quoiqu’elle souffrit beaucoup, aucune plainte ne lui échappa. nous voulumes prendre un peu de repos sur un gazon doux et sec ; nous ne pûmes y rester que peu de minutes : mouillés, transpersés, le froid nous saisit bientot, il fallut se résoudre à continuer sa marche. nous reprimes nos chevaux que rien ne nous empêchait plus de monter et nous partimes. nous n’avions plus d’inquiétude, le chemin était tracé et nous croyions être au terme de nos maux. Mais un nouvel obstacle devait encore nous arrêter. En venant, nous avions traversé un ruisseau qui sépare le bois de la vallée d’enfer. Il était presqu’à sec, nous n’y avions pas fait attention ; les eaux qui étaient tombées des hauteurs en avaient fait un petit torrent que je désesperais de pouvoir franchir. sa largeur n’était que de quelques toises, mais j’ignorais qu’elle pouvait être sa profondeur. Je coupai une branche d’arbre, je m’avancai le plus que je pus, je sondai et je reconnus six à sept pieds d’eau vers le milieu. Avec un peu de bonne volonté de la part de nos bêtes nous pouvions passer. Nous essayames une première fois sans succès ; les chevaux reculèrent un peu épouvantés ; une seconde tentative ne fut pas plus heureuse ; à la troisième pressés par nous, excités par la direction qui leur promettait d’arriver bientoit au gîte, ils avancèrent et nous portèrent à l’autre bord, sans autre dommage que d’être mouillés de nouveau jusqu’à la ceinture. Notre traversée n’avait peut-être pas été d’une minute ; c’était assés, un peu davantage et nous serions tombés suivant toutes les apparences : l’extrême rapidité des eaux et le bruit de leur course effrayent l’imagination et l’on ne se figure pas combien l’œil et la raison se troublent promptement. Enfin nous étions pour cette fois tout à fait hors de danger. nous revimes cette fameuse vallée d’Enfer ; mais comme notre position avait changé, que nous étions dans l’Etat le plus misérable, elle ne nous parut pas aussi horrible que nous l’avions vue, quatre heures auparavant. Nous découvrimes de loin le village du Mont-d’or que nous avions pensé ne plus revoir ; nos regards s’y fixaient comme malgré nous, tant nous étions impatiens d’y arriver. nous accusions la lenteur de nos montures, lorsque nous apperçumes quatre cavaliers qui semblaient se diriger de notre côté. Ils pressaient leur marche comme nous pressions la nôtre ; bientot nous les distingons mieux, plus de doute ils viennent à notre rencontre. ils nous font des signes, ils nous appelent et nous répondons par des cris de joie ; ils approchent, ils nous rejoignent ; c’était en effet des gens de l’hotel qui, sur le rapport de nos compagnons de voyage et sachant de combien de dangers nous pouvions être menacés, venaient à notre secours avec des crocs, des cordages, des vivres et des habits. Ma fille et moi, nous nous couvrimes d’un manteau ; elle prit un peu de chocolat, moi quelques gorgées de vin et au bout d’une demi-heure nous arrivames au logis.

Notre événement avait fait bruit dans le pays, presque toutes les personnes de l’hotel étaient venues au devant de nous ; beaucoup d’autres des maisons voisines se trouvaient sur notre passage ; toutes paraissaient nous plaindre et nous étions en effet dans un bien triste état. Des Dames s’empresserent autour de ma pauvre petite qui était pâle et presque mourante d’épuisement et de froid : elles la descendirent de cheval, la portèrent dans sa chambre et par leurs bons soins elle fut promptement déshabillée, changée, réchauffée, et mise dans son lit. Ces excellentes Dames lui firent mille offres de services, et les marques d’intérêt qu’elles lui donnèrent étaient si vives, si tendres et si vraies que nous en fûmes touchés jusqu’aux larmes.

M. Bertrand le médecin vint aussi donner ses soins à ma fille qui heureusement ne se ressentit point des suites que pouvait avoir notre triste aventure. Il nous gronda d’avoir entrepris un tel voyage et nous raconta à cette occasion que peu de temps auparavant deux Dames qui s’étaient fait porter en litière au Pic sancy, avaient été surprises aussi par un orage ; mais que le torrent que nous avions pu traverser, s’était trouvé tellement gonflé et débordé, qu’elles furent obligées de passer, non seulement le reste de la journée dans la forêt, mais encore toute la nuit.

Telle est la petite relation de notre ascension au Pic sancy, ascension que je ne conseille à nulle dame de tenter, dans aucun temps.

sans indiquer avec autant de détails, les lieux qui méritent d’être visités dans les environs du mont-d’or, je dois parler du Puy ferrand, de son large sommet circulaire, remarquable par sa végétation si vigoureuse ; de la vue admirable dont on y jouit, et du bel effet des grandes éguilles porphyriques dont son escarpement oriental est flanqué.

J’ai parlé du lac Pavin, je n’oublierai pas le chateau de Murol, qui n’en est pas éloigné et dont la masse imposante et l’admirable position attirent les regards, comme sa forme et ses détails captivent l’attention.

Le lac du chambon, n’est pas moins intéressant par son gracieux paysage, que remarquable par le contraste de l’azur de ses eaux, avec la couleur rougeâtre du Puy Tartaret qui forme une partie de son cadre. Il est plus remarquable peut-être encore par la partie isle ombragée d’arbres touffus, qui s’éleve au milieu de la nappe d’entelée du lac, et que de loin on prendrait pour un vaisseau avec ses voiles déployées. On prétend que c’est dans ce lieu même où fut l’habitation du spirituel et vertueux Sidoine appollinaire, Evêque et historien qui naquit à Lyon en 430 et qui fut en 472 élevé au siége épiscopal d’avernum aujourd’hui Clermont.

Je ne puis omettre ni les roches thuilières et sanadoires à l’opposite l’une de l’autre et placées presque sans intervalle, à l’origine d’une riante vallée d’où elles s’élevent comme deux pyramides ; ni le lac de guéry qui les avoisine, qui les domine et se trouve à 1246 mètres d’élévation. Le ruisseau qui l’alimente, sillonne une croupe saillante et à deux versans, d’où ces eaux incertaines se rendent dans la Loire ou la Gironde, au gré du moindre obstacle qui en change le cours.

De tous ces lieux, les uns sont peu éloignés du village, d’autres au contraire se trouvent à trois et quatre heures de marche, et ce n’est qu’en franchissant les hauteurs que l’on arrive à ceux-ci. Un tel trajet à pied est impossible pour les Dames, et même pour les baigneurs ; fait à cheval, il ne saurait être encore sans de graves inconvénients. Ce n’est pas quand on prend des bains qui assouplissent la peau et en augmentent les fonctions, qu’il faut s’exposer aux orages des montagnes, toujours si violent, aux différentes températures si tranchées entre les cîmes et les vallées, entre la chaleur du jour et l’extrême fraicheur des soirées.

En général, il faut avoir l’attention de choisir de beaux jours, pour entreprendre de longues excursions et encore il conviendrait qu’on ne les fit qu’avant, ou quelque temps après le traitement. Quant aux promenades beaucoup moins éloignées, non seulement elles présentent d’agréables distractions, mais elles sont pour bien des malades habituellement sédentaires, un motif d’exercice et l’on voit tout ce que l’exercice dans un air pur, peut avoir d’influence sur le rétablissement de la santé.

On aurait une fausse idée du climat du mont-d’or, si on le déduisait de la lattitude du lieu, qui est de 115 dégrés 33 minuttes. Le village est à 1052 mètres au dessus du niveau de la mer, et il est reconnu que la chaleur thermomètrique baisse, comme on sait, à peu près d’un dégré quand on s’élève à 160 mètres.

Le vaste plateau volcanique au milieu duquel les eaux thermales viennent sourdre, est balayé par tous les vents : de nombreux ruisseaux dont le cours est très-rapide, le sillonnent profondément. Sa surface présente donc de grandes inégalités ; et les saillies disposées en pics isolés, couverts de neige pendant plus de six mois de l’année, attirent les orages et rendent les pluies très-fréquentes. Il est aisé de pressentir tout ce que ce concours de circonstances doit apporter de modification à l’influence de la lattitude.

Le mois de septembre s’écoule rarement sans que la neige blanchisse les cîmes les plus élevées, mais on la voit disparaitre aussi rapidement que la variation de la température qui en a déterminé la formation. Celle qui tombe au mois d’octobre se conserve, et ordinairement à cette époque elle descend dans les vallées. Déjà les communications partout partout imparfaitement tracées, si l’on en éxcepte la grande route de Clermont, deviennent difficiles ; bientot elles sont fermées, ou du moins très-dangereuses particulièrement sur les hauteurs. Sur un sol coupé comme celui dont je parle, où des sommités nombreuses et complètement nues, bordent les plateaux nombreux qu’il faut franchir, les vents presque toujours impétueux, n’ont point un libre passage. Réfléchis par les obstacles qu’ils rencontrent, ils se meuvent en tourbillons, avec les les neiges légères qu’ils soulevent. Au milieu de ces tempêtes, connues dans les montagnes sont le nom d’Echirs, il n’est plus possible de rien distinguer, de reconnaitre sa route, de se diriger par le point d’où le vent souffle puisqu’il se fait sentir de partout. L’air est chargé d’une neige très-fine : nue en tous sens, avec une violence inconcevable, elle pénètre dans les yeux, dans la bouche, dans les narines ; elle intercepte la respiration ; elle s’insinue à travers les plus petites ouvertures des vétemens, de tous côtés elle assaille avec furie. Si la couche de neige déjà tombée est épaisse et qu’on y enfonce, la fatigue augmente le péril de cette cruelle position : les forces s’épuisent ; on s’arrête de lassitude et malheur à qui cède au someil dont il est bien difficile de se défendre, il est bientot conduit du repos à la mort.

On m’a cité des exemples de personnes engourdies par le froid, qui ont été rappelées à la vie, après plusieurs jours d’une mort apparente ; mais il faut des soins bien entendus, et les montagnards ne se livrent que trop à l’instinct borné d’opposer brusquement la chaleur aux accidens dont il sagit. Au mont-d’or, c’est dans le bain de Cesar qu’on plonge les malheureux recueillis sur les neiges. Ailleurs, on les expose sans ménagement à l’action d’un grand feu, ou bien on les place dans des lits très-échauffés ; on les introduit dans des fours dont on vient de sortir le pain, tous moyens que les hommes de l’art regardent comme dangereux, propres à déterminer la gangrène, quand le froid n’a fait que suspendre les mouvemens vitaux. Pour ranimer ces mouvemens et rétablir la circulation du centre aux extrémités, le moyen le plus efficace parait être de couvrir les membres de neige, ou de linge mouillé d’eau froide et de faire sur la poitrine et le bas-ventre, des frictions avec une brosse ou de la flanelle imbibée d’une liqueur spiritueuse. Quand on commence a reconnaitre quelques signes de vie, on fait succeder à la neige et à l’eau, des applications de moins en moins froides ; on étend les frictions jusqu’à ce qu’elles soient générales ; on donne quelques cordiaux, lorsque le malade à recouvré la faculté d’avaler, et on le fait passer graduellement dans un endroit échauffé. De cette manière, on est presqu’ assuré de sauver une personne que la méthode contraire aurait empêché de revenir à la vie. Dans un pays où les accidens de cette sorte, enlevent annuellement plus d’hommes qu’on n’en voit périr en plusieurs années, dans les hautes Pyrénées, malgré les glaciers, les précipices et la témérité des habitans, on s’étonne que les moyens qu’on pourrait employer en certains cas, ne soient pas connus de tout le monde ; mais telle est l’ignorance des auvergnats que rien ne peut les détourner de leurs vieilles et pernicieuses routines. Pour éclairer ces hommes sur leurs vrais intérêts, il faudrait porter dans leurs montagnes le flambeau de l’instruction ; il faudrait un enseignement élémentaire et aussi forcer les parens à envoyer leurs enfans aux écoles plutot que de les dégrader en les accoutumant à mendier sur tous les chemins.

Les causes de la précocité de l’hiver, ne sont pas sans influence sur le printemps et elles en retardent les approches. Dans les années les moins froides, à peine la neige se retire-t-elle de la vallée du mont-d’or, avant la mi-avril. Elle occupe encore les sommets vers les premiers jours de mai, et ce n’est pas toujours, que le pic sancy en est dégarni au commencement de juillet.

Les premiers efforts de la végétation ne se manifestent guère dans la vallée, avant le milieu d’avril. On dirait qu’ici elle a lieu d’une manière désordonnée : les arbres, les seigles, les prairies, tout reverdit à la fois. Quelques coups de tonnerre et quelques pluies chaudes et abondantes changent subitement la physionomie du pays. Sur les hauteurs, la végétation retarde de près d’un mois ; mais l’herbe y croit et s’y développe avec une rapidité proportionnée au long engourdissement des végétaux. Le plus souvent, peu de jours s’écoulent entre les premiers indices de leur reveil, et le moment où l’on conduit sur les plateaux le bétail destiné à y demeurer jusqu’à la fin de septembre.

Les chaleurs de l’été, beaucoup moins fortes que dans la plaine, presque toujours tempérées par l’agitation de l’air et la fraicheur des nuits, commencent en juin et se soutiennent jusqu’à la mi-septembre : c’est le temps consacré à la saison des bains. Ordinairement il est beau depuis le 15 juin jusqu’au 6 ou le 8 juillet. Des orages le dérangent. La pluie s’établit jusqu’au 20 ou au 24 du même mois ; de beaux jours la remplacent et durent pendant un mois. Alors presque toujours la température baisse, le temps devient très mauvais, et les cîmes se couvrent de neiges.

En général l’automne est beau, surtout lorsque le vent du sud domine, et ne rencontre pas une atmosphère trop humide ou trop réfroidi. Ces beaux jours en dépassent guère la mi-octobre. Plus tard les vents de l’ouest s’établissent, la pluie et la neige se succèdent ; celle-ci ne tarde pas à prévaloir et ramène avec elle, les longs hivers de ces montagnes.

L’air exempt d’émanations malfaisantes est très-pur ainsi que je l’ai déjà dit. Dans la vallée on croit la quantité relative de gaz carbonnique, un peu àcrue par celui qu’exhalent les eaux thermales : c’est du moins ce que porte à croire le petit nombre d’oiseaux qu’on y apperçoit comparativement aux environs. Il est des jours où la transparence de l’air est tout à fait digne de remarque. On croirait appercevoir les objets éloignés à travers une bonne lunette, tant ils paraissent distincts et rapprochés. La vallée du Mont-d’or n’est guère plus large que le jardin des thuileries. Elle est formée comme je l’ai déjà dit par deux chaines de montagnes fort élevées et dont la pente est fort-rapide. Nous allions souvent nous reposer à l’ombre d’un petit bois, sur le revers de la montagne du capucin ; c’est dans cette position où nous avons principalement observé l’effet singulier de cette grande transparence qui est à ce qu’on prétend l’indice certain d’une pluie prochaine. Je vois souvent de chés moi, le même phénomène se reproduire sur les hauteurs de Meudon et de Saint-cloud, mais l’illusion n’est pas aussi grande à beaucoup près.

Non seulement les hautes montagnes attirent et retiennent les nuages, mais encore il peut arriver qu’elles en déterminent la formation. tel est le cas où suivant les physiciens leur température est inférieure à celle de la couche d’air qui les environne. Alors l’absortion de la chaleur condense l’humidité de l’atmosphère autour de leur sommet : delà ce chapeau de vapeurs dont on voit souvent se coiffer tous les pics dominants. On remarque fréquemment ce phenomène sur le pic sancy. C’est ordinairement dans la matinée qu’il se manifeste, et vient troubler le charme des promenades entreprises par le plus beau temps : au lieu de la vue admirable dont on esperait jouir sur la cîme du puy, en arrivant on s’y trouve dans un épais nuage. Souvent ces nuages s’élevent du sein de la forest encore humide d’une pluie récente et restent groupés à la base ou à mi-côte du puy sancy qui les domine comme un promontoire. Souvent encore on les voit déboucher par l’entrée de la vallée, s’appuyer sur ses pentes, s’y avancer peu à peu en colonnes très-profondes et très-épaisses, l’envahir tout entière, gagner les hauteurs et s’y déployer en vastes décorations dentelées, mobiles comme l’élément dans lequel elles sont suspendues et changeantes au gré de la température et de la vitesse de chaque courant d’air qu’elles rencontrent.

Les causes qui retiennent les nuages sur les Puys du Mont-d’or, y rendent les pluies et les orages plus fréquents que dans les environs. Quelquefois les travaux de la campagne y sont interrompus par une pluie qui n’a guère plus d’une lieue de rayon. Les nuages qui la versent occupent les vallées et restent acculée contre le flanc des montagnes qui se trouve exposé au vent.

Le médecin des Eaux dit avoir vû en octobre 1817, le revers oriental des montagnes couvert de plus d’une pied de neige ; elle descendait jusqu’au lac du chambon. Un vent d’est la poussait avec violence. Il n’y en avait point sur le revers occidental et le vent y était presqu’insensible. La crète des montagnes formait la ligne de séparation entre la tourmente et le calme.

Si le tonnerre est plus fréquent au Mont-d’or que dans ses environs, en revanche il n’y est point dangereux. Presque tous les villages de la partie occidentale du Département du Puy de Dôme, conservent le souvenir de malheur plus ou moins recent, occasionnés par la foudre ; on ne se rappele point qu’elle ait jamais frappé celui du Mont-d’or. Les puys qui le dominent et l’environnent, sont pour lui des paratonnèrres non moins puissans que nombreux. Mais aussi combien n’est-elle pas à redouter sur les cîmes de ces puys, comme sur les plateaux élevés qui leur servent comme de base. Dans la vallée, le seul inconvenient des orages résulte d’une secrette inquiétude, d’un mal-aise, d’une agitation indéfinissable dont à leur approche, les personnes délicates ou languissantes, ne sauraient se défendre. D’ailleurs on peut y jouir sans crainte comme sans danger du spectacle imposant qu’ils présentent. Ils ont ici un caractère de grandeur inconnu dans la plaine. Les phenomènes électriques, ont une tout autre énergie et le tonnerre un fracas et des raisonnemens qui sont particuliers aux montagnes. Je trouve que les coups sont moins éclatans ; que le retentissement est plus sourd, plus fort, plus prolongé, plus terrible.

Le Mont-d’or présente de grandes richesses et un grand attrait sous le double rapport de la minéralogie et de la Botanique et j’ai vivement regretté de n’avoir pas dans ces deux sciences des connaissances plus positives et plus étendues. J’ai pu cependant, aidé de la flore d’auvergne, me former une idée de la physionomie végétale de cette contrée.

Ce qu’on rencontre le plus, ce sont les Lichens et les mousses qui sont bien aussi des espèces de Lichens. Quant aux végétaux, il en est qui se recommandent par leur vertu médicale comme l’arnica, la véronique, l’Euphraise, l’ancolie, la camomille et beaucoup d’autres plantes propres à soulager les maux qui font notre misère ; et il ne faut pas s’y tromper, ce qu’on débite sous le nom de vulnéraire suisse, n’est pour la plupart qu’un composé de simples prises sur les montagnes d’Auvergne.

On trouve aussi la fraise et la framboise dans la vallée du Mont-d’or et dans ses bois. La fraise est petite, comme celle des alpes, mais de bon goût. C’est le seul fruit mangeable qui nous ait été servi ; du reste, nous n’avions que de méchans abricots, de mauvaises pêches jaunes dont personne ne voulait et qui encore n’étaient pas récoltées dans le pays.

Le seigle, l’avoine et le sarasin, sont les seules plantes céréales que l’on cultive au Mont-d’or et dans les environs. On y trouve des choux, des pommes-de-terre assés bonnes, mais c’est tout. Le peuple vit misérablement et pour garnir la table des hotels, il faut tout faire venir de clermont. Le pays ne fournit point de bœufs, aussi ne vous sert-on que de la vache assés dure et du petit veau qui n’est pas très-bon ; il n’y a que le mouton qui, malgré sa petite espèce est tendre et succulent. Quant à la volaille elle est toujours maigre et vient pour la plus grande partie des villages voisins.

On prétend qu’il n’y a point de maladies endémiques au Mont-d’or. On prétend aussi que le goitre y est inconnu, ce qui déposerait contre l’opinion des personnes qui attribuent cette maladie à la vivacité des eaux, et à leur mélange avec celles qui proviennent de la fonte des neiges.

Je puis le repeter, l’air que l’on respire au Mont-d’or est très-salubre ; cependant je n’ai pas remarqué que les habitans eussent cet air de prospérité qu’on voit avec plaisir, par exemple, dans la limagne et dans la Nièvre. Toutes les femmes sont ici maigres, laides et paraissent avoir plus d’âge qu’elles n’en ont réellement. Il est vrai de dire que leur malpropreté les dépare beaucoup. Les hommes ont aussi généralement peu d’embonpoint et peut-être la cause provient-elle de la qualité des eaux ; je serais porté à le croire puisqu’elles agissent en ce sens sur tous les animaux.

Une autre remarque, c’est que la douceur de l’atmosphère, la bonté de la température, ne peuvent avoir d’influence que pendant quatre mois de l’année tout au plus, pendant le reste du temps la nature ensevelie sous les neiges reste comme engourdie. Ainsi les bienfaits de cet air si pur, si vivifiant, ne peut se faire sentir que pendant un tiers de l’année, ce qui n’est pas suffisant et ce qui semble expliquer pourquoi tous les êtres qui vivent dans cette contrée, n’ont pas cette physionomie, cette corpulence, annonçant la vigueur, la joie, la santé. Le climat du Mont-d’or, n’est donc pas en général aussi propre qu’on le prétend, au développement. des facultés. En effet il ne peut pas l’être dans un pays où, sous une lattitude assés élevée, on trouve pourtant le même froid que dans certaines parties du nord de l’Europe. car dans les vallées, il arrive souvent qu’on éprouve des chaleurs étouffantes, tandis que sur les hauteurs l’air est froid, vif et pénétrant.

En hiver les montagnes ne sont pas tenables, et les lieux bas éprouvent une constante humidité ; mais pendant les mois de juin, juillet et aoust le pays est charmant, admirable : à chaque pas on trouve des points de vue nouveaux et de nouveaux sujets d’observation.

Je ne m’étais pas jusqu’à présent éloigné de la capitale, au delà de 50 à 60 lieues ; mais j’ai lu beaucoup de voyages ; je me suis trouvé en rapport avec beaucoup d’étrangers et beaucoup de français qui ont voyagé dans les quatre parties du monde et j’ai pu m’assurer de l’exactitude des uns par le témoignage des autres. Je vois donc qu’ici, comme dans les Pyrennées, les alpes et la suisse, on trouve des vallons et des colines, qui se succèdent alternativement ; des sources abondantes, de limpides ruisseaux ; des torrens, des cascades, des escarpemens, des précipices affreux et tous les accidens de terrain qui constituent les plus magnifiques paysages. Je vois, comme en Italie de nombreux monumens d’antiquité dont plusieurs se trouvent encore dans le plus bel état de conservation. Enfin dans ces épaises et noires forests, dans ces énormes sapins tout couverts de mousse et de barbe, je ne puis m’empêcher de trouver de la ressemblance avec les forets primitives du nouveau monde.

Les montagnes d’auvergne, comme celles du Vivarais, sont des volcans éteints qui ont été anciennement des volcans en feu et par conséquent voisins de la mer quoiqu’aujourd’hui ils en soient à une grande distance. Sur ces hauteurs où le calme est parfois si profond, qu’on peut entendre le batement du cœur et des artères des tempes, on est véritablement plus disposé qu’ailleurs au recueillement, à la méditation. En effet peut-on s’empêcher de réfléchir sur les causes qui ont amené de si grands déplacements ; sur la cause de ces foudres souterraines, de ces dilatations violentes et de ces commotions résultant de la lutte intestine des Eléments !

Quand on se représente les déchiremens affreux que ces lieux ont soufferts, et que l’on compare cet état violent, dont l’idée seule épouvante, au calme parfait dont ils jouissent aujourd’hui ; quand on considère ces grandes solitudes, et ces troupeaux, si nombreux, si paisibles, sur les lieux mêmes qui furent jadis le théâtre de tant de révolutions et de bouleversemens, l’imagination ne peut qu’être frappée de ce contraste.

l’homme secouerait peut-être les viles passions qui l’agittent, s’il gravissait vers un séjour élevé ! Toutes ses pensées ne sont peut-être basses et terrestres que parcequ’il s’est enseveli dans des maisons que la fauge environne. Qu’il monte sur les hauteurs, sa pensée s’élevera avec lui et il perdra toutes ces petites idées rempantes et uniformes, comme le terrain sur lequel il marchait. C’est ici que l’homme est évidemment plus fort et meilleur. La nature semble porter plus visiblement sous un aspect informe, brut et sévère, l’empreinte d’une main auguste et créatrice. C’est de ces forêts dont l’ombrage a quelque chose de solennel que roule en mugissant le torrent qui a coupé la montagne, depuis sa cîme jusqu’à sa base et qui semble tomber dans un abyme sans fond. Un paysage majestueux, des lacs qui se trouvent dans le cratère même des volcans et qui répètent les sommets irréguliers qui les environnent ; des pyramides dont la base semble être les fondemens du globe ; des ruines immenses et magnifiques, images et restes du cahos ; des bouts de rochers pendans en précipices : c’est au milieu de ces majestueuses horreurs, de ces grands effets qui attachent l’âme toute entière que le naturaliste et le poëte doivent venir puiser des leçons fécondes et des images neuves. Car le globe laisse voir à nu ses entrailles, ainsi que le travail souterrain de ces fleuves intarrissables, chargés d’arroser des royaumes et de porter partout la vie et la fécondité.

J’ai dit que ma fille n’avait pu supporter les bains entiers. Prises en boissons et en pédiluves, les eaux ne lui avaient pas fait éprouver un bien très-prononcé, toutefois je crus remarquer une amélioration dans son état. Je trouvais son teint plus coloré, ses traits moins altérés, ses yeux plus vifs ; je trouvais qu’elle avait plus d’appétit ; que ses digestions étaient moins lentes, moins pénibles ; que ses forces reprenaient puisqu’elle avait pu faire sans trop de fatigue des promenades assés longues à cheval et même à pied ; je lui trouvais aussi, la peau moins sèche, moins brûlante et le poulx moins agité ; enfin je trouvais que les nuits étaient meilleures, le someil plus doux, plus prolongé ; les transpirations moins fortes, moins odorantes. hélas ! rien de tout cela n’était réel : mais ce qu’on desire, on le croit aisément ; je m’abandonnai donc à cette douce illusion et me laissai flatter de l’espoir consolant que plus tard le bon effet des eaux se ferait mieux sentir.

Le traitement des bains ne dure pas au delà de vingt cinq à trente jours. Nous étions au Mont-d’or depuis près d’un mois, nous touchions au mois de septembre ; les matinées, les soirées devenaient froides, humides et ma fille ne pouvait presque plus sortir. Notre hotelerie se dépeuplait comme toutes les autres. chaque jour des baigneurs reprenaient le chemin de la ville, et n’étaient pas remplacés, le nombre diminuait sensiblement : le mouvement devenu moins grand, le séjour devenait plus triste. j’avais terminé mes petites excursions, j’avais achevé de mettre en ordre toutes les notes que j’avais prises sur les lieux même que j’avais visités ; nous pensâmes donc à notre retour, et nous fîmes pour cela nos petits préparatifs.

Le Docteur avait droit à nos premiers adieux. Je le remerciai de ses soins attentifs pour ma fille, de ses complaisances pour moi et de tous les renseignemens qu’il avait bien voulu me procurer. Nous embrassames le peu qui restait de nos ex-pensionnaires et nous partimes le 28 aoust à 6 heures du matin munis, comme en venant des petites provisions nécessaires pour être dispensés de nous arrêter autrement que pour la nuit.

On nous avait vanté ce qu’on appele la petite route, non sous le rapport de l’entretien et de la beauté ; mais comme étant plus courte et moins dangereuse. Sur le premier point chacun était d’accord ; sur le second, les avis se partageaient et nous n’étions pas fachés de juger par nous mêmes ; nous lui avons donc donné la préférence et nous avons eu signe de nous en applaudir.

En suivant la petite route on ne passe point par Rochefort qui est regardé comme le point milieu de la grande route et où se trouve le relai ; parconséquent nous ne nous sommes pas servi des chevaux de poste. Nous avons fait prix avec un conducteur et tout compté nous en avons été quitte à meilleur marché. On a mis à notre voiture deux bons chevaux qui ont lentement fourni leur carrière quoique longue et fatiguante ; seulement à un quart de lieue du Mont-d’or, à l’endroit où l’on quitte la grande route pour prendre la petite qui se trouve sur la droite, nous avons trouvé un renfort de deux vaches qui ont été attelées en avant des chevaux, ce qui formait un attelage peu élégant et peu digne. Ce renfort est d’une indispensable nécessité pour gravir la montagne qui est fort élevée et fort rude. Le chemin est affreux. Coupé dans une infinité d’endroits par des ravins plus ou moins profonds, encombré de blocs, détachés des montagnes, entrainés, roulés par les eaux, ce n’est qu’avec les plus grandes précautions et les plus gdes difficultés que nous sommes parvenus à franchir certains passages. Je craignais à chaque pas que la voiture ne se brisât, et si nos conducteurs n’avaient pas eu lattention de la maintenir avec des cordes, il est bien évident que nous eussions versés, non pas une fois, mais dix et vingt peut-être, tant la route était mauvaise. J’étais aux regrets de l’avoir suivie, je craignais qu’elle ne se trouvât ainsi dégradée partout et je jugeais qu’alors il nous serait impossible d’arriver : je voulais retourner sur mes pas ; mais les conducteurs me rassurèrent ; ils me dirent qu’un orage avait causé cet encombrement et qu’à mesure que nous monterions les accidens deviendraient plus rares ; en effet le sol ne tarda pas à changer de nature et au lieu de ces enfoncemens de ces grandes aspérités, nous trouvâmes bientot un sable mouvant qui nous présenta sinon d’autres d’angers, du moins des difficultés d’une autre espèce. Nos roues qui étaient fort minces enfonçaient de plus d’un pied et le tirage devenait extrêmement pénible. À chaque instant, il fallait s’arrêter pour faire reprendre haleine à nos quatre pauvres bêtes. Pour les soulager d’autant ; nous descendîmes, mais il nous fut impossible de marcher ; ma fille remonta presque aussitot et je ne tardai pas à remonter à remonter également. Nous parvinmes enfin, non sans beaucoup de temps et de peines, au point le plus élevé et là le renfort nous quitta.

En tournant cette montagne, on laisse sur la droite une vaste forêt de sapins, d’un aspect sauvage et romantique. Du même côté et très près de la route, se trouve la cascade du Queureuilh. Il faut se détourner seulement un peu pour l’appercevoir et nous nous proposions bien d’aller lui faire une courte et dernière visite, de même qu’au Rossignolet autre cascade, dont j’ai parlé ; mais les obstacles que nous avions rencontrés ne nous permirent pas de prendre ce plaisir.

Après un instant de repos, nous sommes descendus par un très-bon chemin et par cent détours dans une vaste plaine bien cultivée, mais ne présentans pas une campagne, aussi riche, aussi belle, aussi variée dans ses productions, que celles qui bordent la grande route. Nous trouvâmes de même par exemple des habitations aussi chétives dispersées ça et là, et partout des enfans mendiant et courant après les voitures jusqu’à extinction.

Nous trouvons devant nous un groupe de cônes couverts de mousse et de gazon, mais dépourvus de tout autre végétation. Nous sommes entourés de hautes chaines de montagnes qui se font remarquer au loin ; nous franchissons celle qui nous fait face, et nous nous trouvons dans une autre plaine un peu plus riante ; mais les sites agrestes, les ruisseaux, les vertes prairies, nous ne les retrouvons plus.

C’est au milieu de cette plaine qu’on trouve l’habitation, connue sous le nom de Randan, laquelle appartient au Comte de Montlozier. Peu de voyageurs vont au Mont-d’or, sans visiter sa modeste demeure. Tout le monde a lu son ouvrage sur la monarchie française et d’après ses opinions sur la féodalité, on pourrait se figurer que son habitation ressemble à quelques uns de ces vieux manoirs entourés de murailles bien épaisses, de fossés bien profonds, de tourelles bien élevées et bien défendues. Point du tout : une simple ferme dont les bâtimens consistent en deux ailes, l’une destinée pour l’habitation, l’autre pour la bestiaux. Telle est la retraite du Comte.

Je l’ai connu aux affaires Etrangères où il a été attaché comme historiographe. Je ne pouvais passer aussi près de sa demeure sans aller le saluer : je ne le trouvai pas, il était à Clermont.

La plaine de Randan, n’était autrefois qu’un désert entouré de montagnes incultes. A force d’essais, de soins, de persévérence, le propriétaire phylosophe est parvenu à vaincre les vieux préjugés, à faire adopter de nouveaux modes d’engrais et de culture appropriés au sol, à la température, et à rendre productive, une terre qui jusque là, n’avait pas été jugée digne d’être défrichée.

Randan est entouré de jeunes plantations un peu maigres. On apperçoit le travail, les efforts de l’homme pour vaincre la nature. La route est bordée d’arbres et de hayes ; on voit qu’on a cherché à rassembler autour de l’habitation, un peu de verdure, un peu d’ombrage, pour récréer l’œil et tempérer la chaleur qui est très grande pendant trois mois de l’année.

De ce lieu qui offre plus d’intérêt que d’agrément, on marche pendant une heure ; on arrive à un groupe de mâsures qu’on traverse, après quoi se fait la jonction de la petite route avec la grande. Nous nous trouvons dans cette même plaine la première que nous ayons rencontrée en venant et la dernière par conséquent pour notre retour. Cette plaine est immense. Nous n’avions pu la première fois en mesurer l’étendue à cause des brumes qui masquaient toutes les hauteurs. Nous retrouvons notre crucifix, planté sur le bord du chemin et que nous laissons cette fois sur la droite ; mais nous ne retrouvons pas heureusement cette température humide et froide, qui nous avait si fort incommodés : il fait au contraire une chaleur insuportable. Nous arrivons au pied du Puy-de-Dôme que nous n’avions pu voir en venant. Nos chevaux étaient fatigués. Nous ne nous étions point arrêtés chés M. de Montlozier comme nous comptions de le faire et je profitai d’un repos devenu nécessaire pour visiter cette montagne, et pour cela nous en avons fait approcher la voiture le plus qu’il a été possible.

Les montagnes qui nous entourent ne font plus partie des Monts-d’or ; elles tiennent à une chaine de montagnes qui se trouvent dans la basse auvergne, et qui moins considérables que les premières, par la hauteur et l’étendue, est néanmoins aussi célebre soit par la forme, son élévation et les vues magnifiques qu’elle présente ; soit par les expériences sur l’air, que Pascal y fit, soit enfin par les plantes et ses autres productions. La chaine des montagnes de Dôme, longue de huit lieues, court du nord au sud, étant composée de plus de soixante monts ou puits différens. Les Monts-Dôme furent non seulement volcanisés, comme les Monts-d’or, mais presque tous portent un caractère particulier qui les distingue. Parmi tous ces Monts, le grand puits qui est celui que je décris, se trouve placé vers le centre de la chaine et les surpasse en hauteur et semble un géant au milieu de ses enfans. Ce qui contribue surtout à lui donner cet air de paternité, c’est une montagne nommée le petit Puy de Dôme, qui, s’élevant à ses côtés, est attachée à lui par sa base et moins haute seulement de quatrevingt quatre toises.

Malgré sa pente escarpée, il est couvert d’herbe dans toute sa surface, excepté deux ou trois endroits où il laisse des protubérances de lave d’un gris blanc, qui semble ne se montrer là que pour avertir qu’il fut volcanisé, et qu’il ne l’a pas été comme les autres montagnes. On ne saurait croire combien ce jet magnifique est agréable sous sa robe verte et quel charme inconcevable lui donne cet ensemble de grandeur et de grace. Les voyageurs qui ont parcouru les Pyrénées et les alpes, ont pu voir des montagnes plus importantes par leur élévation et même par leur volume, mais difficilement sans doute ils en auront rencontré une mieux dessinée et surtout mieux placée pour plaire. Le pic a la forme d’un dé à coudre. Depuis sa base, jusqu’à son sommet, l’œil parcourt un tapis de verdure sur lequel paissent de nombreux troupeaux. On monte au pic par deux chemins différens, bien tracés et n’offrant ni danger, ni même de grandes difficultés.

À l’est et au sud, le puy est parfaitement isolé ; au nord et à l’ouest, il est adossé à plusieurs autres montagnes plus petites, qui, appuyées elles mêmes les unes contre les autres, lui servent en quelque sorte d’arc-boutant, et donnent de ce côté à des pâturages, une étendue qu’on est étonné de lui trouver parce que en le voyant de la plaine, elles étaient cachées par sa crête. Quoique ce Puy ne soit qu’un rocher brûlé, cependant les pluies et les vapeurs dont il est imbibé sans cesse, lui donnent une fécondité rare ; et cette fécondité, il l’a communique aux montagnes qui l’entourent : toutes, si l’on en excepte une ou deux, sont couvertes ainsi que lui, d’une herbe touffue, et toutes servent de pacage.

Outre cette verdure qui cache sa lave et qui la pare, il nourrit un grand nombre de violettes, d’œillets sauvages, de marguerites jaunes et blanches et autres fleurs dont les couleurs sont très-belles et très-vives. J’en avais formé un joli bouquet pour ma fille qui était restée dans la voiture ; j’ai eu le petit chagrin de voir toutes ces fleurs se flétrir promptement, malgré le soin que j’avais pris de les garantir du soleil.

Arrivé sur la cîme du pic, on jouit d’un des plus beaux spectacles et d’une des plus riches vues qu’il soit possible de trouver. Elevé de huit cent vingt toises au dessus du niveau de la mer, de cinq cent soixante au dessus du sol inférieur de Clermont, de quatre vingt quatre au dessus du petit Dôme, le voyageur croit voir, comme l’olympe, l’univers à ses pieds, car rien ne borne plus ses regards. Il a sous les yeux les soixante Puys avec leurs cratères antiques, leurs ravins, leur courant de lave et leur lit de Pouzzolane noire ou rouge. Plus loin, c’est la limagne tout entière, avec ses villes, ses villages et ses monticules sans nombre. Partout se montrent des champs de toutes couleurs, des habitations, des chemins à perte de vue, des groupes de montagnes, enfin quatre ou cinq départemens différens, et un pays de cent trente lieues de déroute dévant lui. Accoutumé à ne mesurer de l’œil que des espaces limités, j’étais effrayé de cet horison sans borne ; mes regards incertains craignaient de s’égarer dans cette immense étendue et cherchaient quelque lieu où ils pussent se reposer. Je croyais presque voir l’immensité.

Pour me délasser d’un spectacle fatigant et qui finissait par porter à la tête une sorte d’étourdissement et d’ivresse, je me promenai sur le puy ; je le parcourus à différentes hauteurs pour en connaitre la nature. Tout y parait nouveau : on voit un rocher que les flâmes d’un volcan n’ont pu fondre, mais qu’elles ont tellement altéré qu’aujourd’hui sa nature n’est plus reconnaissable. Par un prodige inconcevable leur effet fut assés violent pour calciner sa masse entière, pour y produire des tubérosités et des boursoufflures très-volumineuses ; mais par un autre prodige plus incroyable encore, cette masse ne coula point ou au moins sa lave s’est peu étendue.

Si en descendant par la route du nord, on voit des pouzzolanes et des schories, elles y furent lancées par le volcan du petit puy. Si le long de la route opposée, on trouve un courant de lave qui cotoye la base du Dôme, ce courant descend des pays nommés Monchié et Salomon ; ces observations, [mots raturés] qui ne sont pas de moi, ont porté quelques naturalistes à croire que le Puy de Dôme n’est que le produit d’une montagne volcanique plus élevée et qui avait été détruite par l’océan, tandis que lui-même par sa nature poreuse aurait continué d’exister.

Je n’ai pas poussé plus loin mes recherches : je marchais depuis deux heures, le soleil était ardent, je me sentais fatigué ; je rejoignis ma fille qui me gronda un peu d’avoir été aussi longtems. Je la trouvai occupée à rédiger notre itinéraire depuis le du Mont-d’or jusques au Puy de Dôme. Cette partie de notre voyage, est entièrement d’elle, je n’y ai pas changé quatre mots.

Nous continuons notre route ; nous appercevons dans l’éloignement sur la droite des débris de tours et de fortifications qui remontent peut-être au 14e. siècle, temps malheureux où ma belle patrie se trouvait presqu’entièrement sous la domination des Etrangers. Nous arrivons à l’extrêmité de la plaine et bientot à la Barraque, village que nous avions traversé un mois auparavant et dont le brouillard nous avait caché toutes les misères.

On nous avait dit, que pour bien voir le grand Puy, il fallait le considérer de cet endroit. C’est là en effet son véritable point de vue ; nulle part il n’a cette majesté : c’est là seulement qu’il offre ce cône vraiment parfait par l’éxactitude de ses énormes proportions.

Quoique nous ayons une roue enrayée nous descendons assés vite, cette montagne que nous avions montée si lentement. Nous admirons cette belle route dont j’ai déjà parlé, nouvellement restaurée et refaite même en plusieurs endroits ; elle est dans le meilleur état d’entretien : il n’y manque qu’un garde fou pour ôter jusqu’à la possibilité du moindre accident. Nous la suivons dans ses divers contours ; nous appercevons et nous perdons de vue tour-à-tour la belle ville de clermont, dans laqu’elle nous ne tardons pas de faire notre seconde entrée.

Il était deux heures lorsque nous arrivames sur la place de Jaude. Nous étions partis du Mont-d’or à 6 heures et demie, cela fait parconséquent 7 heures et demie que nous étions restés en route ; et en déduisant les deux heures de repos pendant lesqu’elles javais visité le Puy de Dôme, il suit que nous n’avons mis que cinq heures et demie pour faire neuf lieues, car on ne compte que cela par la petite route tandis qu’on en compte treize par la grande.

Si l’on parvenait à détourner les nombreux ruisseaux qui traversent la petite route et qui creusent des ravins assés profondément pour intercepter le passage d’une voiture ; si l’on pouvait la débarasser des sables, des pierres qui roulent des montagnes et qui l’obstruent à la moindre pluie, elle serait en tout temps préférable à la grande, puisqu’elle est d’un tiers plus courte, qu’on l’a franchie en beaucoup moins de tems, avec moins de dépense et ce qui est le plus importans, avec plus de sureté, car on n’y trouve aucun passage que l’on puisse redouter.

Notre intention était d’aller à Lyon et de revenir par la champagne ou la Bourgogne ; mais je reculai devant l’observation qu’on me fit que la route de Clermont était devenue mauvaise à cause des pluies recemment tombées. Nous étions aussi pressés de rejoindre les objets de notre affection que nous avions laissés à Paris et qui souffraient de notre absence nous abandonnâmes donc notre projet.

Resolus de prendre la même route et nous proposant d’aller coucher seulement à Riom, qui n’est éloigné que de trois lieues, nous nous sommes promenés dans la ville ; nous avons visité de nouveau l’Eglise des Minimes, qui est assés grande et qui serait assés bien si dans son ensemble l’édifice n’offrait pas des disproportions choquantes. Le marché est très-spacieux ; il est situé sur la place Jaude qui elle-même est grande et belle quoique de forme irrégulière. La cathédrale est une fort belle Eglise et fort bien tenue. On y exerçait de jeunes enfans de chœur à chanter en musique ; nous avons pris plaisir à les entendre : ils ont éxécuté un motet avec beaucoup d’ensemble et d’agrément. En sortant par la porte lattérale de droite on se trouve sur une espèce de petite place où est la salle de spectacle : ce n’est point un monument : il n’y a point de façade, ni pour ainsi dire d’entrée. Nous nous proposions de voir une seconde fois la fontaine petrifiée, pour laqu’elle dit-on Charles IX se détourna pendant le voyage qu’il fit à Bayonne ; mais la chaleur était devenue si forte, l’air si étouffant, que ma fille ne marchait plus qu’avec peine. D’ailleurs de gros nuages noirs s’avançaient, de larges gouttes d’eau commençaient à tomber, nous crûmes donc prudent de rejoindre notre voiture que nous avions laissée à la poste où nous étions descendus.

Nous partons. La pluie tombe par intervalle, les nuages s’amoncelent, le tonnerre se fait entendre ; nous marchons toutefois avec une grande rapidité. Nous avions quelque espoir de gagner les premières maisons de Riom, avant que l’orage fondit sur nous, cela ne fut pas possible. Nous étions encore à une lieue de la ville, lorsque la pluie vint nous assaillir ; elle tombait par torrent. La foudre ne cessait de gronder, d’éclater autour de nous ; les éclairs sillonnaient les unes et se succedaient sans interruption. Les chevaux bronchaient quelque fois et je craignais qu’ils ne s’emportassent ; heureusement le postillon put les contenir et notre marche fut plutot pressée que ralentie. La route était couverte d’eau et ne formait plus qu’un lac avec les fossés et les plaines qui la bordent surtout sur la droite où le terrain est plus abaissé. Plus la moindre trace de chemin, seulement nous sentons que la voiture roule sur le pavé. Cependant nous approchons de la ville, nous arrivons à un petit pont qu’il faut franchir : il était inondé. Le ruisseau qui passe dessous est ordinairement très-faible et le matin peut-être il était sans eau ; maintenant elles se précipitent de la colline et forment un torrent impétueux qui semble grossir à chaque instant. Le postillon s’arrête et me demande s’il doit essayer de passer ou retourner à Clermont. L’extrêmité des deux parapets n’étaient pas entièrement submergés ; c’en était assés pour le guider. Je lui dis de passer s’il croit que ses chevaux ne s’épouvantent pas. Il pique, il passe et derrière nous au même instans, nous entendons le fracas des eaux qui s’ouvrent un passage : le pont était emporté. Ma fille se trouve mal de frayeur ; je lui fais respirer du sel de vinaigre, elle revient. Nous marchons toujours malgré la pluie, la grèle et les vents ; nous montons une partie du boulevars qui entoure la ville et nous arrivons à notre hotel sans autre mal que la peur.

Notre voiture était si bien close et si bien conditionnée que la pluie, malgré sa violence n’y pénétra point. mais le pauvre postillon était transpersé et raide de froid. La rupture du pont ayant intercepté toute communication avec Clermont, son retour devenait impossible. Les chevaux restèrent à l’auberge ; pour lui je le fis déshabiller non sans peine, il fallut découdre sa veste et son pantalon. Je lui donnai une de mes chemises pour le changer, je le fis mettre dans un lit bien chaud ; il prit une rotie au sucre, le soir un bon souper : le lendemain il n’y paraissait plus et s’en retourna par les hauteurs.

Peu de temps après notre arrivée la pluie s’appaisa ; ce fut alors que les Riomois purent sortir et connaitre tous leurs malheurs. Le ruisseau qui passe à l’hopital, en un quart d’heure avait grossi de douze pieds ; il s’était fait jour au travers de toutes les propriétés, arrachant les plus gros arbres, renversant les murs de cloture, entrainant les maisons. Notre hotesse nous fit monter dans le grenier de sa maison. Là dominant sur la plaine, nous fumes témoins des scènes les plus déchirantes. Nous avons vû sur des arbres et sur le toit de plusieurs chaumières, des hommes, des femmes, des enfans poussant des cris de détresse et implorant en vain des secours qu’il était impossible de leur porter. On n’avait point de bateaux, de sorte qu’on manquait de moyens pour secourir ces malheureux. Nous avons vû s’enfoncer et se perdre, deux hommes à cheval qui cherchaient à rejoindre mots raturés leurs familles éplorées. Nous avons vû nombre d’individus et de bestiaux, entrainés en luttant contre la mort ; mais ce qui nous a le plus ému, c’est un homme réfugié au premier étage de sa maison. Atteind par les eaux, il cherche à gagner l’Etage supérieur, en tenant avec les dents la robe d’un jeune enfant ; ne pouvant y parvenir, il s’accroche à une fenêtre, y reste suspendu pendant très-longtems et faisant des efforts inouis pour s’élever davantage, enfin épuisé de fatigue, il tombe, disparait, revient sur l’eau, parvient à se sauver, mais l’enfans le pauvre enfans n’a plus reparu.

Ma fille en pleurant détourne ses regards et s’enfuit. Nous nous retirons dans notre chambre d’où nous ne pouvions plus appercevoir ces scênes de désolations ; nous voyions seulement le mouvement ment de toute la population empressée et consternée. Nous entendions les cris des victimes, se confondant avec les cris de joie lorsqu’on pouvait en sauver quelques unes. nous avions le cœur brisé.

On est venu nous prévenir que le diner était servi ; nous sommes allés nous mettre à table, mais il ne nous fut pas possible de manger. Il faisait encore jour, je sortis pour recueillir des renseignemens sur ces affreux désastres : j’appris qu’on avait retiré dix sept cadavres et qu’à chaque instans on en trouvait de nouveaux.

Je me dirigai vers le pont que nous avions traversé deux heures auparavant et où nous avions si miraculeusement échappé au plus imminent danger. Je m’approchai d’un groupe qui s’était formé et je fus fort surpris d’entendre que l’on s’occupait de nous et que la circonstance de notre passage était blamée par les uns comme un acte de témérité, et louée par les autres comme une action hardie et presque héroïque. Je ne voyais pas le besoin de me faire connaitre et je m’en abstenais lorsque je me vis désigné par une personne que je reconnus pour habiter notre hôtel et que la curiosité avait attirée sur ce point. Chacun alors me félicita et je ne trouvai plus de censeur. La conversation roula sur les événemens de la journée, événemens dont les circonstances furent moins déplorables du côté où nous étions que du côté opposé. Je repris bientot le chemin de la ville. La personne qui m’avait fait connaitre prenant la même direction nous nous rapprochâmes : c’était un manufacturier-propriétaire à Clermont qui avait été appelé comme Juré dans l’épouvantable affaire de l’assassinat commis à Mauriac. Il m’apprit que la Cour d’assises, avait prononcé le jugement dans son audience de la veille, et que sur six accusés, tous parens ou alliés de la victime, quatre avaient été condamnés à la peine capitale. Le crime avait été commis d’une façon atroce et qui fait frémir. Je n’entrerai dans aucun détail sur cette cause extraordinaire et qui est devenue célèbre, les journaux en ont rendu compte dans les premiers jours de septembre.

Nous avons passé une triste soirée et une plus triste nuit. Il nous fut impossible de reposer ; il nous semblait entendre incessamment des cris et voir des victimes. Le lendemain matin, nous eûmes quelque crainte de ne pouvoir pas partir ; mais les eaux s’étaient retirées du moins assés pour laisser le passage du pont, sinon entièrement libre, à la rigueur praticable. Nous le traversames, mais attristés de tant de désastres. La route était encombrée de meubles, de branchages et de récoltes entrainés par les eaux. Pendant plus d’une demi lieue, nous avons souffert de ce spectacle, et plus loin d’énormes marres d’eau, des arbres renversés mutilés par les vents ou frappés de la foudre, laissaient encore les traces d’un orage qui fait époque dans les jours néfastes du pays.

A gannat, toute la partie basse a été inondée ; l’eau avait pénétrée dans toutes les maisons et nous trouvames les habitans occupés à faire jouer les pompes. Ils avaient passé aussi une nuit assés cruelle, aussi paraissaient-ils bien fatigués, bien consternés.

Le temps s’est élevé dans la matinée et s’est conservé beau tout le reste de la journée. l’orage ne s’était pas étendue au delà d’un rayon de dix lieues, du moins dans notre direction : nous avons donc bientot retrouvé notre belle route toujours bien entretenue.

Nous quittons le Département du Puy-de-dôme, l’un des plus curieux du royaume. Il est formé comme on sait de la partie la plus septentrionale de l’Auvergne et du Velay et borné au nord par le Département de l’allier, dont je vais parler ; à l’est par celui de la loire, au sud par ceux par ceux de la haute Loire et du Cantal, et à l’ouest par ceux de la Correze et de la Creuse. Il a deux cent soixante cinq lieues carrées, ou sept cent quatre vingt quatorze mille trois cent soixante dix hectares de superficie. Le territoire en est montagneux dans la plus grande partie, et le sol dans la partie haute est sec, pierreux, peu productif, mais dans la belle vallée de la Limagne, il est d’une extrême fertilité. Ce departement est arrosé par l’allier, la Dore, la Sioule, la Couze, la Dolore, la veyre et plusieurs petits lacs. Il produit du blé, des chataignes du vin de bonne qualité quoiqu’un peu épais ; des fruits, des plantes aromatiques, du miel, et abonde en mines de plomb, de houille, d’antimoine et en sources thermales et minérales. On y éleve beaucoup de mulets, de chevaux et de bestiaux. Ce Département possède des fabriques de ratines, de droguets ; de bas, de rubans de soie, de blondes, de toiles de siamois de toile de coton ; de basins, de mouchoirs, de Damas, de serges ; d’Epingles, de papier, de cartes, de pâtes de fruits, de fromages, de cuirs, de pelleteries, de quincailleries et de coutelerie. Il se divise en cinq arrondissemens : clermont, chef lieu de Préfecture ; Ambert, Issoire, Riom, et Thiers, sous préfectures. Il contient cinquante une justices de paix, et fait partie de la dix neuvième Division militaire et du Diocèse de Clermont. Sa population est de cinq cent quarante trois mille âmes et il envoie quatre Députés à la législature.

Nous quittons ce Département sans nous en appercevoir, car la ligne de démarcation n’est indiquée par rien : pas une borne, pas un poteau du moins apparent. Je suis surpris que ces indications n’aient pas été jugées nécessaires et qu’elles ne fassent par partie des améliorations qui ont eu lieu.

Le Département de l’Allier est un peu moins étendu et beaucoup moins peuplé que celui du Puy de Dôme. Il est formé du Bourbonnais et est borné au nord, par les Départemens de la Nièvre et du cher, à l’est par ceux de saône et loire et de la Loire, au sud par le Département du Puy-de-Dôme, et à l’ouest par ceux de la Creuse et du Cher. On évalue sa superficie à trois cent soixante seize lieues carrées, ou sept cent quarante deux mille, deux cent soixante et douze hectares, et sa population à deux cent quatre vingt mille vingt cinq habitans. Il se divise en quatre arrondissemens, savoir : Moulins, chef lieu de Préfecture, gannat, la Palisse et Montluçon, chef lieux de sous Préfectures, et renferme vingt six cantons en Justices de paix. Ce Département est arrosé par l’allier, qui lui donne son nom, le cher, la Loire &a. On y recolte toute sorte de grains, beaucoup de fruits et de vin. Il abonde en pâturages, où on éleve du gros et menu bétail et en forêts de chênes qui fournissent du mairrain. Il renferme des Etangs poissonneux, des mines de houille et de fer ; des carrières de marbre, des grès a éguiser, de la terre à creuset, de l’argile à potier, et possède des fabriques de porcelaine, de toiles, de quincaillerie &a. Il renferme aussi des eaux minérales très-renommées principalement celles de vichy. Il est de la même division militaire et du même Diocèse que le Département précédent et ressort également de la Cour royale de Riom. Il envoie aussi quatre Députés à la chambre élective.

La physionomie du Département de l’allier est toute différente de celle du Puy de Dôme. Ce ne sont plus ces grandes inégalités de terrain, ce sol brusquement tranché, ces sites buzares qui surprennent et frappent. On trouve bien des forêts même plus étendues, mais ce ne sont plus ces sapins, toujours verts et toujours tristes ; ce sont des chênes, des charmes des hêtres, tous arbres que nos yeux sont dans l’habitude de voir, aussi croit-on revenir d’un long voyage et rentrer dans sa patrie.

Nous revoyons avec plaisir la jolie ville de Moulins, son beau pont, ses Edifices, ses maisons, ornées de guirlandes et de festons en briques. Nous nous arrêtons à la porte qui est en même temps une des meilleures auberges et des mieux tenues, mais seulement pour changer de chevaux et pour faire quelques emplettes d’objets de coutelerie. Nous rejoignons la route de Lyon, nous marchons rapidement sans obstacle et nous arrivons avant la nuit à Nevers. Nous montons ses rues étroites, sales et tortueuses et nous descendons à l’Image, très-bonne auberge, moins avantageusement située, ayant moins d’apparence extérieure que l’hôtel de france où nous avions logé en venant, mais où en revanche nous avons été mieux logés, mieux couchés, mieux traités et à meilleur compte. Nous ne sommes pas fort éxigeant, nous convenons que nous ne sommes pas d’un rang ni d’un mérite à imprimer une grande considération, mais dans une auberge en payant fort cher, nous croyions avoir le droit d’éxiger que l’on daignât s’occuper de nous et du soin de nous faire servir : c’est précisément ce que nous n’avons pu obtenir à l’hôtel de france.

Pas extraordinaire le diner fut promptement servi et j’en avais grand besoin. En sortant de table, il était encore de bonne heure, nous avons essayé de faire une petite promenade ; mais nous n’avions pas reposé la nuit précédente, nous avions fait trente trois lieues en onze heures de temps, nous étions fatigués et bientot nous avons senti le besoin de rentrer.

Le lendemain à six heures, nous étions en voiture. En tournant la porte cochère, un trait mal assujéti se détache ; on arrête, aussitot nous sommes assaillis de pauvres. Ma fille tenait dans sa main de la menue monnaie dont elle cherchait toujours à se munir dans les endroits où nous nous arrêtions. Combien êtes-vous leur demanda t’elle ? ma bonne dame, nous sommes douze : elle n’avait pu réunir que dix sous, elle les donna, et le partage qui nécessitait des fractions n’aura pas eu lieu sans querelles, c’est assés l’usage. Ce fait paraitra peut-être puérile, toutefois je l’ai noté et je crois devoir le citer pour donner une idée de la proportion dans laqu’elle se trouvent les mendians sur les grandes routes.

Un peu après notre départ, la pluie a commencé et n’a plus cessé de tomber pendant toute la journée. Elle tombait en brouillard qui bordait l’horison. Nous avons achevé ainsi de traverser de le Département de la Nièvre qui comprend presque tout le Nivernais. Il est borné au nord par les Départemens de l’yonne et du Loiret, à l’est par ceux de la Côte d’or et de saône et Loire, au midi par celui que nous venions de quitter et au couchant par celui du cher. sa superficie est de trois cent soixante treize lieues carrées, ou sept cent trente six mille, sept cent dix neuf hectares, et sa population de deux cent cinquante huit mille habitans, ce qui vient à l’appui de mon observation sur la rareté des habitations. Ce Département est aussi un des moins peuplés du royaume si l’on excepte toute fois ceux des hautes et basses alpes. Il comprend vingt cinq justices de paix ou chef-lieux de cantons. Nevers chef lieu de Préfecture ; chateau chinon, clamcy et Cosne, chef lieux de sous Préfectures. Il est arrosé par la Loire, l’yonne, l’allier et la nièvre qui lui donne son nom. Il est fertile en vin, en grains, en fruits excellens. Il renferme de bons pâturages où l’on éleve beaucoup de gros et menu bétail ; des carrières de marbre, de pierres de grès ; des mines de fer et de charbon ; du bois et dit-on des eaux minérales. Il possède des fabriques de draps, de serges, de toiles, boutons, armes, casques, boulets, ancres, Emaux ; des verreries, tanneries, poteries et couteleries ; la coutelerie et la quincaïllerie y occupent surtout un grand nombre de bras. Il fait partie de la vingt et unième Division militaire, du Diocèse d’Autun et du ressort de la Cour royale de Bourges. De même que les deux Départemens précédens, il envoie à la chambre quatre députés.

Les Départemens de l’allier et de la Nièvre offrent le même aspect : des plaines également belles, bonnes et bien cultivées ; des bois en grand nombre, bien fournis et d’une belle venne.

Nous avons quitté le Département de la Nièvre et nous traversons celui du Loiret. Près le village de Bouy, nous retrouvons cette œuvre sainte et remarquable de la mission : ce christ avec des formes gigantesques, son inscription et ses fautes grossières qu’on a religieusement conservées. malgré le mauvais temps, notre marche n’a pas été ralentie, à six heures nous étions rendus à Montargis, et dans la même auberge où nous étions descendus en allant.

Le lendemain nous continuons notre route par un très-beau temps. Le sol est uni, nous marchons rapidement ; nous remarquons qu’en neuf minutes nous franchissons la distance d’une borne à l’autre, c’est à dire, une demi lieue. Nous quittons bientot le Département du Loiret qui tire son nom d’une petite rivière laqu’elle n’a que deux lieues depuis sa source au dessus d’Orléans, jusqu’à son embouchure dans la Loire. Ce Département se forme de la partie septentrionale de l’orléanais. Il est borné au nord par les Départemens d’Eure et Loir, de Seine et oise et de seine et marne ; à l’Est, par celui de l’yonne ; au sud par ceux de la Nièvre et du cher. Sa superficie est de trois cent cinquante sept lieues carrées ou sept cent cinq mille, cent quatre vingt onze hectares. Sa population de deux cent quatre vingt onze mille, trois cent quatre vingt quatorze habitans. Il comprend trente deux cantons ou justices de paix. Orléans est le chef lieu de Préfecture ; Gien, Montargis, Pithiviers, chef lieux de sous-préfectures. Il est traversé par la Loire, le Loiret, et le loing petite rivière dont les bords que nous avons suivis pendant plusieurs lieues sont fort agréables. Ce Departement est fertile en blé, en fruits, légumes, chanvre et surtout en vin qui est sa principale récolte. Il abonde en pâturages, en forets dont la plus remarquable est celle d’orléans qui contient quatorze mille arpens. Il abonde aussi en gibier et en poissons. Il a des manufactures en tous genres et son commerce est fort étendu. Le Departement du Loiret fait partie de la septième conservation forestière, du Diocese d’orléans et de la première division militaire. Il ressort de la Cour royale séant au chef lieu de Préfecture et envoie cinq Députés à la chambre.

Ce Département est varié dans ses productions et son aspect est riant. On trouve alternativement des bois, des plaines et beaucoup de portions de terrains autrefois boisées et qui maintenant sont mises en culture ; de belles prairies, de charmans côteaux, et des maisons de plaisance dans des situations très-agréables. Nous n’appercevons plus ces vieux restes de la féodalité, ces débris de tours et de ces vieux manoirs rappelant les temps de liesse et de désordre, les temps de guerres civiles où dans les campagnes, il n’y avait de sureté que pour les militaires et pour les gentilhommes retranchés dans leurs chateaux.

Il faut en convenir, les nobles ne connaissaient alors d’autres droits que celui de la force, d’autre loi que celle de la violence. Ils opprimaient les peuples avec impunité et les Tribunaux étaient sans force pour réprimer leurs brigandages. La tyrannie multipliée son toutes les formes pesait sur la masse des habitants, enchainait l’industrie, arrêtait les progrès du commerce, de l’agriculture et retenait la France dans un état honteux de faiblesse et de barbarie. On est surpris que des seigneurs dans leurs terres ou leurs gouvernement aient osé règner en souverains et disposer arbitrairement de la fortune et même quelque fois de la vie des citoyens, mais la surprise cesse d’avoir lieu et fait place à l’indignation quand on lit une lettre de Louis XIII, au gouverneur d’arras : Brave et généreux Saint-Preuil, vivés d’industrie, plumés la poule sans la faire crier ; faites comme les autres dans leurs gouvernement ! Tout vous est permis.

Henri IV souhaitait que chaque habitant des campagnes pus avoir assés d’aisance pour mettre le Dimanche une poule dans son pôt. Comparés le langage du père avec le langage du fils et juges. Pourtant la place royale ne voit pas moins réédifier une statue à la mémoire de Louis XIII.

Nous étions plongés dans ces tristes réflexions lorsque nous arrivâmes à Nemours, jolie petite ville à quatre lieux de fontainebleau, dans le Département de seine et marne.

fontainebleau est situé dans un fond, au milieu de la forêt et à quatorze lieues de Paris. On ne peut douter qu’il ne porte son nom depuis plus de six cents ans et ne soit maison royale depuis ce temps là : une charte de Louis le jeune en fait mention ; quelques auteurs prétendent même que ce chateau éxistait du temps du roi Robert, au dixième siècle.

Ceux qui pensent que Fontainebleau doit son nom à ses belles eaux, lui donnent une étymologie fort naturelle, mais elle ne peut être juste puisque l’on voit dans la charte de Louis le jeune qu’il s’appele fons Bliaudi, du nom d’un particulier ; mais quel était ce Bliaudi ? c’est ce qu’on ignore et c’est je crois ce qu’il n’est pas très important de savoir.

Le peuple de fontainebleau fait un conte ridicule d’un chien de françois premier appelé appelé Blaud, qui chassant avec son maitre, avait rencontré une fontaine d’une eau si belle qu’il n’aurait plus voulu la quitter ; et comme quoi le roi et la reine Claude sa femme, l’ayant trouvé dans cette extase, auraient partagé son admiration et fait bâtir un chateau près de cette fontaine. Ce n’est là qu’un petit conte, toutefois la fontaine existe, on nous l’a montrée derrière des charmilles du côté du grand chenil. Henri IV avait fait élever au dessus, un petit bâtiment en coquillages, il a été détruit. Les eaux de cette fontaine se jettent dans la grande pièce d’eau qu’on appele l’Etang.

Philippe auguste venait souvent à fontainebleau et plusieurs de ses chartes sont datées de ce lieu. Saint-Louis venait y passer les automnes et l’appelait son désert. On nous a montré l’escalier par où ce monarque montait à ses appartemens, il est en pierre et par sa forme spirale et son peu de largeur, il ne ressemble pas mal à celui d’un clocher. a versailles on le prendrait pour un escalier dérobé, mais le saint roi n’avait besoin de rien de semblable, il n’avait point de détours et s’il eut un quelque pendant secret, la reine marguerite sa femme y eut mis bon ordre, elle qui se plaignait déjà d’être trop négligée et cela par rapport à Dieu. Toujours est-il qu’en douze cent trent neuf, il y fut griévement malade et qu’en douze cent cinquante neuf, il établit les mathurins pour desservir la chapelle de la trinité et fonda l’hopital attenant au chateau.

Philippe le Bel naquit à fontainebleau en 1268. Il y mourut en 1314 et l’on croit que son second fils Philippe V dit le long y est mort également.

Charles V dit le sage fonda dans ce chateau, une bibliothèque qui fut ensuite transportée au Louvre ; Louis XI surnommé le Tibère français, en forma une autre que Charles VIII, Louis XII et françois premier continuèrent d’entretenir et qui au 17e. siécle a été réunie à la Bibliothèque du Roi. Henri II, venait souvent à fontainebleau, quatre de ses enfants y sont nés : françois II, henri III, qui portèrent la couronne ; Elisabeth qui fut reine d’Espagne, et Claude, Duchesse de Lorraine. Charles IX qui aimait beaucoup la chasse, y vint souvent, mais henri IV, après françois premier est le monarque qui affectionna le plus fontainebleau. Quatre de ses enfans y nacquirent. On trouve dans les Mémoires de Sully qu’il y dépensa deux millions cinq cent mille livres. Louis XIII y nacquit en 1601 ; Elisabeth depuis reine d’Espagne en 1602, un second fils en 1606, mort en 1611 et un troisième en 1607 qui fut Gaston Duc d’Orléans.

Louis XIV faisait régulièrement tous les ans des voyages à fontainebleau. La reine Marie-thérèse y accoucha du Dauphin en 1661. Louis XV y épousa en 1725, la reine Marie Leczinska ; en 1728 il y fut attaqué de la petite vérole et courut de grands dangers. Il survécut quarante quatre ans à cette attaque et est mort d’une seconde à Versailles en 1774. Le Dauphin son fils unique était mort à fontainebleau des le mois de décembre 1765.

fontainebleau est comme une marqueterie qui date de tous les temps. En cherchant bien on y trouverait de quoi former un cours assés complet d’architecture depuis six à sept siécles, c’est-à-dire depuis Louis VII jusques à Bonaparte. chaque monarque a voulu y faire quelque chose, mais on doit regarder françois 1er. comme le créateur des beautés de ce chateau puisqu’il le rebatit presque entièrement et ne laissa à ses successeurs que le soin de l’augmenter et de l’embellir. Il fit venir d’Italie les plus habiles artistes ; le Primatice, peintre célèbre fut mis à leur tête et tous s’éxécuter sur ses dessins. Son plan de forme presque triangulaire renferme cinq chateaux, distribués en autant de cours et de galeries élevées sous différens rois sans aucun ordre d’architecture suivi. Du côté de la ville, une grande place carrée découvre une très-longue facade, du milieu de laqu’elle s’élève entre deux ailes flanquées de quatre pavillons, un portail de gresserie du dessin de Jamin. Une inscription fait connaitre que henri IV éleva ce portique qui conduit aux cuisines et aux offices placées dans cette cour.

De cette même cour on passe dans celle du donjon, qu’on nomme la cour ovale, c’est la plus ancienne du chateau. La porte dauphine est décorée du côté de la chaussée, de colonnes toscanes rustiques et de deux masques antiques en marbre blanc. Le côté de la cour est formé de pilastres d’ordres gothiques enrichis de leurs massifs, de deux bustes antiques et de bronze. Sur cette porte s’élève un dôme carré et à jour dans ses quatre faces ; il est d’ordre composite enrichi de part et d’autres de l’écu de france et des chiffres de henri IV, et de Marie de Médicis. Les Edifices qui entourent la cour ovale se communiquent par un balcon de pierre à rampe de fer, soutenu par quarante cinq colonnes.

à gauche est une des trois chapelles du chateau. Elle fut dit-on consacrée par S. thomas de Cantorbery pour les réfugiés en france. Louis XIII la fit décorer d’un lambris peint et doré en action de graces de la naissance du Dauphin qui fut depuis Louis XIV. Au dessus de cette chapelle, il en est une autre dite la chapelle haute ou la chapelle du roi. Elle a été batie par françois premier. On passe sous un pavillon pour arriver à la cour des fontaines, qui quoique la plus petite, est la plus agréable de toutes par l’ordonnance de ses trois ailes de batiment et par ses beaux points de vue sur le jardin. Cette cour a pris son nom d’une fontaine formée par quatre Dauphins en bronze, placés dans les angles d’un bassin carré, du milieu duquel s’éleve une statue antique de Persée, en marbre. Ce bassin est accompagné d’une terrasse hors d’œuvre ornée de balustrades, qui forme une portion circulaire au devant du grand Etang. On doit à Charles IX l’escalier et peut-être le bâtiment qui est au nord de cette cour. Louis XIII fit reconstruire l’escalier hors d’œuvre, à deux rampes, dont l’une conduit à la salle des gardes et l’autre à la comédie. au bas de ces rampes sont, sur des piédestaux en pierre, deux sphinx en bronze d’une grande beauté. Dans des niches, on remarque les statues antiques de Mars, de Venus, de Bacchus, de Mercure, de Minerve et quelques bustes. Sept arcades au nord de cette cour supportent une terrasse enrichie de sculptures, de chiffres et de devises de henri IV.

La cour du cheval blanc est ainsi appelée, d’un modèle de cheval de Marc aurelle qui était au milieu, et se trouve disposée de manière à pouvoir servir aux courses de bagues et aux tournois qui étaient en usage sous françois premier.

En montant par l’escalier du fer à cheval, on entre dans un vestibule qui conduit à la galerie de françois premier. On y voit un plafond à compartiment, doré sur les moulures et qui répond à un lambris chargé de salamandres, d’armoiries, de trophées, et du chiffre de françois premier. Ces sculptures ont été éxécutées par Paul Ponce, entre les tableaux peints à fresque pae Maitre Roux et le Primatice. D’autres artistes célèbres ont éxécuté les tableaux qui sont au nombre de treize et qui presque tous sont allégoriques et ont trait à la vie de françois premier.

De cette galerie on passe dans l’appartemt du roi où se trouvent aussi beaucoup de fort beaux tableaux à la gloire de Louis XIII et de sujets tirés du paganisme. Cet appartement est terminé par la galerie de la reine, qu’on appele aussi galerie de Diane, parceque le peintre Dubois y a représenté plusieurs traits de l’histoire de cette Déesse.

On descend par l’extrêmité de cette galerie dans celle dite des cerfs, ainsi nommée à cause d’un grand nombre de têtes de cerfs placées entre des vues de maisons royales.

Dans une autre galerie d’un gout bien plus moderne, on était occupé à déplacer des tableaux qui avaient été mis sous l’Empire et qui tous rappelaient les hauts faits et les batailles de Napoléon. Ils doivent avoir été remplacés par des tableaux peints par Pujols ; quelques uns étaient déjà posés ; c’étaient des vues, des paysages qui nous ont paru d’une grande beauté.

On ne montre qu’une faible partie de cet immense chateau, qui ne contient pas moins de quinze cents appartemens de maitres et de dix huit mille chambres. Napoléon a fort embelli cette résidence. Depuis lui, fontainebleau n’est plus habité. Les Princes viennent quelquefois chasser dans la forêt, mais il n’y a plus de voyages comme autrefois. Les membres de la famille royale ont des appartemens qui leur sont destinés, mais ils dédaignent d’y venir et ces appartements, mal meublés sont dans un assés mauvais état d’entretien.

La salle de spectacle, est petite, décorée de trois rangs de loges et très-ornée, très-surchargée des dorures maintenant tout en délabre. Beaucoup d’autres parties de ce grand édifice, soit intérieures, soit extérieures, ne sont point entretenues et mériteraient de l’être. En général sous le rapport des sciences et des arts, ce lieu offre le plus grand intérêt et pour jouir de toutes les beautés qu’il renferme, il faudrait beaucoup plus de temps que nous ne pouvions lui en consacrer.

Pour le rapport historique, fontainebleau intéressa encore plus vivement. Cette galerie des Cerfs dont je viens de parler, rappele le souvenir de ce Monaldelchi, cruellement assassiné par ordre de Christine, reine de Suède, dont il était le grand Ecuyer. a l’endroit même où l’assassinat fut commis, on nous a fait remarquer le nom de Dieu gravé sur le parquet, au dessous d’une petite croix. Ces caractères qui sont a demi effacés, et qu’on nous a dit devoir bientot disparaitre entièrement, se trouvent à trois pieds environ de la quatrième croisée en entrant par la cour ovale.

après avoir renoncé au trône, après avoir abjuré le protestantisme pour lequel son père gustave adolphe s’était entièrement dévoué ; après avoir embrassé la religion catholique apostolique et romaine, christine se rendit à Rome et vint de là en france en 1656, où elle fut reçue avec tous les honneurs qu’on accorde aux têtes couronnées, malgé la bizarerie de son costume et la singularité de ses manières. fontainebleau fut le séjour que Louis XIV, lui assigna, et ce fut en arrivant dans cette résidence qu’elle accusa Monaldeschi de trahison et qu’elle résolut de le faire mourir. Cet Italien avait joui de toute la confiance de la reine qui lui avait révelé ses pensées les plus secretes. Toutefois elle n’avait pas été trahie, elle n’avait pas même l’excuse d’un amour outragé, c’est du moins l’opinion de l’histoire : le seul tort de l’amant était d’avoir cessé de plaire. Un religieux de l’ordre de la Trinité le Pere Lebel, fut appelé pour préparer le patient à la mort. Monaldeschi se jeta aux pieds de la reine et fondit en larmes. Le religieux qui a publié lui même le récit de l’événement, fit à Christine les plus fortes représentations sur cet acte de vengeance qu’elle voulait éxercer arbitrairement sur un étranger et dans le palais même d’un grand souverain qui lui donnait l’hospitalité ; mais elle resta insensible et ordonna à Sentinelli, capitaine de ses gardes de faire éxécuter l’arret qu’elle avait prononcé. Soupçonnant le sort qui le menaçait, Monaldeschi s’était cuirassé ; il fallut le frapper de plusieurs coups avant qu’il expira. On nous fit voir une pièce attenante où l’on prétend que pendant l’éxécution, christine s’entretenait de choses indifférentes ; mais suivant d’autres rapports, elle y fut présente ; elle accabla le patient de reproches amers et ne craignit pas de marcher dans son sang pour l’insulter de plus près. Enfin quand il fut mort, elle contempla son cadavre sanglant, avec une satisfaction qu’elle ne chercha point à dissimuler.

que ces détails, qu’on trouve dans beaucoup d’historiens et beaucoup de mémoires contemporains soient fondés ou non, toujours est-il que cette action inique, attroce, laisse une tache inéfaçable à la mémoire de christine, et c’est à regrèt qu’on voit sur la liste de ses apologistes le nom du fameux Leibnitz, l’un des plus génies de son siécle. La Cour de france fit connaitre son mécontentement et deux mois se passèrent sans que la reine se montrat à Paris. Dès lors on s’empressa moins à la voir et on lui prodigua moins d’encens. Elle en reçut cependant d’une femme d’esprit Madame de la Suze qui avait aussi abandonné le protestantisme, et cela dans le même temps qu’elle avait quitté son mari, pour éviter de le voir, disait christine, dans ce monde et dans l’autre.

On nous a fait passer ensuite dans un appartement modestement décoré et qu’on nous a dit être celui occupé pendant plusieurs années par le Pape Pie VII. On ne put jamais le déterminer à sortir quoiqu’il en eut la faculté. Il ne voulut pas même descendre dans les jardins : il ne quittait sa chambre absolument que pour passer dans une pièce voisine dont on avait fait une chapelle, et pour aller prendre ses repas dans la salle à manger.

On se rappèle qu’après la désastreuse campagne de 1814, Bonaparte revint à fontainebleau, avec ce qui lui restait de sa vieille garde. On nous montra la chambre qu’il habita et où probablement il passa des nuits bien agitées. On nous fit approcher d’une petite table ronde, fort simple, en bois de noyer ; on poussa un petit ressort, elle se plia et laissa à découvert une plaque en cuivre indiquant que c’est dans cette même chambre et sur ce même meuble que le fameux conquérant signa le 11 avril 1814 sa première abdication.

On proposa de nous montrer la galerie des chevreuils construite par henri IV ; et la salle de bal, l’une et l’autre renfermant nous dit-on des tableaux peints par les artistes du temps ; nous préférames descendre dans les jardins qui répondent à la magnificence des bâtimens. Ils ont été tracés par Le Nôtre, mais ses dessins ont été changés, tout est planté maintenant dans le goût des jardins du petit Trianon à Versailles. Seulement en face des appartemens et au delà d’une superbe pièce d’eau, on a conservé cette même allée où après une explication, henri IV dit à son ministre : relevés vous sully, on croirait que je vous pardonne.

Nous avons quitté à regrèt un lieu qui rappèle tant de souverains ; nous avons rejoint notre voiture, nous sommes partis, et tout occupés des objets qui venaient de frapper notre vue, nous avons trouvé court le chemin qui nous restait à faire pour gagner la capitale. Nous avions annoncé notre arrivée pour six heures ; nous avions si bien pris nos mesures et nous avions été si heureusement servis sur la route qu’à cinq heures nous franchissions la barrière des gobelins. Arrivés au boulevart Montparnasse, nous avons apperçu, ma fille son Epoux ; moi, mon fils, mon bon Achille qui venaient au devant de nous et qui par là nous ont procuré quelques instans plutot, du plaisir de les revoir et de les embrasser.

  1. Henri III
  2. quelques auteurs placent le lieu de la scêne à Bondy