Itinéraire de Clermont au puy de Dôme

J.B. Baillière (p. --102).
AVIS DE L’ÉDITEUR.

La première édition de cet ouvrage parut en 1831, et, quoique tirée à un assez grand nombre, elle fut épuisée dès le commencement de 1835. On concevra facilement ce prompt écoulement, en se rappelant que de nombreux voyageurs viennent tous les ans visiter le puy de Dôme, et que cet Itinéraire, en leur évitant la dépense d’un guide, leur indique mieux peut-être ce qu’ils doivent rencontrer en chemin. La célébrité de la vallée de Royat, qui s’y trouve longuement décrite, a dû aussi augmenter la vogue de cette livraison de l’Auvergne pittoresque. Quatre lithographies ont été ajoutées à cette seconde édition, que l’auteur a du reste soigneusement corrigée, et à laquelle il a ajouté les nouvelles observations qu’il a pu recueillir dans ses fréquentes excursions au puy de Dôme et aux environs.


ITINÉRAIRE

DE

CLERMONT

AU PUY DE DOME.


Le puy de Dôme fut le premier objet qui frappa nos regards en arrivant en Auvergne. A la distance de vingt lieues, nous apercevions déjà cette montagne isolée, dont la cime s’élevait majestueusement dans les airs, et dont les formes se dessinaient à mesure que nous approchions de Clermont. De cette ville, on voit ce puy, sous la forme d’un cône élargi par la base, et dont le pied est caché par un rideau de collines qui lui sont subordonnées. Par une illusion qui a lieu dans tous les pays montagneux, on croit que le puy de Dôme est très-près de la ville, et qu’aussitôt arrivé au sommet des montagnes surbaissées, sur lesquelles il semble s’élever, rien ne s’opposera à ce que l’on commence de suite à gravir ses flancs : cependant il n’en est pas ainsi, et le pied du puy de Dôme est à deux lieues de poste de la barrière de Clermont[1].

Il est facile de franchir cette distance. La grande route de Clermont à Limoges passe assez près de la montagne, et des embranchemens latéraux permettent à toute espèce de voitures d’arriver jusqu’à la base même du cône.

Nous entreprîmes le voyage à pied, pour mieux observer, et sortîmes de la ville par la barrière de Fontgiève. La pente, d’abord assez douce, ne tarda pas à devenir plus rapide, et nous montâmes lentement au milieu des vignes et des jardins, ayant toujours le puy de Dôme en face ; mais à mesure qu’on s’élève, il semble s’abaisser, et disparaît enfin caché par les montagnes que l’on apercevait de Clermont. Nous arrivâmes à la hauteur du village de Durtol, laissant à droite le joli bois qui sert de promenade à ses habitans et à ceux de la ville ; puis, suivant les détours forcés qui adoucissent la pente de la grande route, nous atteignîmes le plateau de Prudelles. Des rochers de granite, qui, au delà de Durtol, commencent à border la route, annoncent un pays plus sauvage. Les vignes ont disparu ainsi que les noyers, et l’air frais que l’on commence à sentir, même pendant les chaleurs de l’été, indique que déjà on est arrivé au-dessus de la plaine. Effectivement la pente s’adoucit ; on voit à sa droite une colonnade de basalte que l’on exploite pour entretenir la route ; elle fait partie d’un plateau assez étendu et de même nature, sur lequel on se trouve, et que traverse la chaussée. Quand la pluie a entraîné la poussière qui la couvre, on voit, au milieu même de la route, de grosses masses de péridot, qui sont enchâssées dans le basalte. Cette roche se prolonge de l’autre côté, et forme un escarpement à pic, une espèce de promontoire qui se trouve à sept cents mètres d’élévation, et que l’on aperçoit distinctement de Clermont, où on le nomme Cap de Prudelles. C’est de là principalement qu’on peut admirer le beau spectacle de la Limagne avec la ville de Clermont qui en forme le premier plan. De là on aperçoit la continuité des plateaux de basalte qui correspondent à celui sur lequel on se trouve. Tels sont, à droite, ceux de Charade et de Gergovia ; et à gauche, ceux des Côtes et de Chanturgues. La Limagne se déroule dans toute son étendue ; l’Allier paraît d’espace en espace au milieu des moissons et des arbres de toute espèce qui couvrent cette belle plaine. Les grandes routes, bordées de noyers, se dessinent comme des allées d’orangers au milieu d’un jardin, et l’œil, voyageant avec la rapidité de l’éclair, parcourt en moins d’une seconde les plaines du Bourbonnais et les montagnes de la Loire, qui terminent l’horizon. Rarement un ciel bien pur permet de jouir de toute l’étendue de ce spectacle. Souvent des brouillards ou simplement des vapeurs suivent le cours de l’Allier et de la Dore, qui sillonnent la Limagne, ou s’arrêtent sur les villes et les villages qui sont dispersés dans la plaine. On ne se lasse pas de l’ensemble du tableau ; mais c’est ici qu’il faut en examiner les détails ; c’est là qu’il faut revenir dans la soirée, lorsque le soleil, caché derrière les montagnes volcaniques, envoie encore quelques rayons sur la Limagne ; c’est alors seulement que l’on voit distinctement la chaîne du Forez et les ravins qui la sillonnent : on aperçoit la ville de Thiers et les villages qui l’avoisinent, et l’on suit le cordon tracé sur les porphyres par la route de Lyon, qui domine les précipices creusés par les eaux de la Durole. Ces détails d’un immense tableau disparaissent en partie du sommet du puy de Dôme, et leur nombre d’ailleurs devient si prodigieux, qu’on ne peut s’arrêter sur aucun d’eux.

Si, comme nous, l’on voyage à pied, un chemin plus court que la grande route conduit au plateau de Prudelles ; c’est un sentier frayé au milieu des pierres, et que l’on nomme, comme tous les chemins qui abrègent, une coursière. On le rencontre à gauche de la route, à la hauteur du chemin de Durtol ; on retrouve de nouveau la grande route que l’on ne fait que traverser pour prendre la suite du sentier, et l’on quitte une troisième fois le grand chemin pour arriver, par une pente rapide, sur les basaltes de Prudelles, et éviter le crochet que les voitures sont forcées de prendre, et que l’on nomme le Grand-Tournant.

Une fois à Prudelles, la végétation commence changer ; on se trouve déjà dans la région des montagnes. On voit au-dessous de soi, les vignes, les noyers et les arbres fruitiers s’abaisser graduellement et se confondre dans la plaine avec les moissons. Le froment est ici remplacé par le seigle ; le noyer par le frêne, et quelques prés, offrant déjà des plantes subalpines cachent en quelques endroits l’aridité du terrain ; ils descendent sur un versant qui fait face au bois de Villars, et couvrent ainsi de végétation une vallée au fond de laquelle est une chaussée romaine, dont nous nous sommes occupés dans la description et l’itinéraire du volcan de Pariou.

Près de là nous vîmes un cratère peu profond, mais très-large, que traverse la route avant d’atteindre la Baraque. Ses bords sont composés de basalte et de scories fort anciennes, et c’est évidemment de cet endroit qu’est sortie la lave de Prudelles, sur laquelle nous nous étions arrêtés un instant auparavant. Malgré sa proximité de Clermont, malgré son importance géologique, et quoique la grande route le partage en deux, ce cratère est resté ignoré jusques dans ces dernières années, où il a été indiqué par M. le docteur Peghoux.

Nous arrivâmes bientôt à la Baraque, hameau bâti sur la lave qui s’est épanchée du cratère de Pariou, et composé de quelques auberges, bien différentes de ce qu’elles étaient autrefois. Des monceaux de scories couvraient le terrain environnant ; les pierres étaient amoncelées, couvertes de crevasses et de fissures plus ou moins profondes ; nous remarquions partout l’action du feu, et nous étions en effet sur un large courant de lave, dont l’éruption a peut-être précédé l’existence des hommes.

Nous approchions alors sensiblement du puy de Dôme, qui paraît comme un cône élargi, posé sur une vaste plaine. C’est de ce point qu’il semble le plus régulier, et qu’il s’élance avec majesté au milieu des montagnes volcaniques qui l’environnent. Le petit puy de Dôme[2], moins élevé que lui, est adossé à sa droite, et semble lui servir d’arc-boutant.

Des proportions régulières distinguent le puy de Dôme des montagnes qui constituent les grandes chaînes des Alpes et des Pyrénées ; sa forme arrondie, qui lui a valu son nom[3], le rapproche plutôt des ballons des Vosges et de l’Alsace, que des pics et des plateaux qui constituent les chaînes dont nous venons de parler : cependant, vu de différens aspects, il ne conserve pas la même régularité. Les rochers qui, en quelques endroits seulement du côté du nord, percent la pelouse uniforme dont il est couvert, sont plus multipliés du côté du sud ; ils y forment des escarpemens et des vallons à pentes rapides ; on observe quelques déchirures qui paraissent de loin, à cause de la blancheur du rocher dans lequel elles sont creusées, et la masse de la montagne paraît avoir éprouvé des dégradations progressives qui ont altéré sa régularité.

À la Baraque, deux routes se présentent ; une conduit au Mont-Dore, l’autre à Pontgibaud. On peut suivre indistinctement l’une ou l’autre ; on peut même les abandonner toutes deux : le but du voyage est en face, et une petite lieue de plaine sépare de sa base, qui paraît éloignée d’un demi-quart de lieue. Si l’on a le projet de revenir une autre fois visiter le puy de Pariou, il faut aller en ligne droite, ou suivre pendant quelque temps la route du Mont-Dore ; mais si l’on est forcé de voir en un seul jour la partie montagneuse qui domine Clermont, il faut suivre la route de Pontgibaud, et visiter en passant le cratère de Pariou, pour gagner ensuite le puy de Dôme. Quelle que soit la route que l’on prenne, on ne quitte plus le sol volcanique ; tantôt on traverse les rochers qui hérissent la surface des courans de lave ; tantôt on marche sur des tapis de bruyères qui s’étendent jusqu’au sommet des cônes volcaniques, et l’on traverse de temps en temps de petits chemins tracés sur la pouzzolane et le sable des volcans. On foule un sol entièrement différent de celui de la Limagne ; excepté l’église d’Orcines et quelques maisons qui l’environnent, on ne voit plus qu’une plaine monotone, qui produit çà et là quelques champs de seigle et d’avoine, et sur laquelle s’elèvent de nombreuses montagnes volcaniques qui donnent au paysage un aspect triste et tout particulier. On voudrait déjà atteindre le sommet de l’une ou l’autre de ces montagnes, pour découvrir au loin un pays plus fertile, et sortir du désert dans lequel on se trouve.

Quand nous eûmes visité le beau cratère de Pariou[4], nous descendîmes par la partie sud, et nous arrivâmes au pied du petit puy de Dôme ; c’est le côté par lequel on peut le plus facilement en atteindre le sommet, soit que l’on commence à monter par l’extrémité de la montagne qui s’étend en pente douce du côté de Pariou, soit que l’on suive le ravin qui semble former une ligne de démarcation entre le grand puy de Dôme et le petit.

Par l’un ou l’autre de ces deux chemins, on rencontre d’abord un bois qui forme une ceinture interrompue au pied de la montagne. Le hêtre y domine ; le coudrier, la viorme, le sureau à grappes et de jolis rosiers en forment le taillis et protègent les daphne et les airelles qui y croissent en abondance. Au-dessus de ce bois, la bruyère végète avec quelques buissons de houx et de coudrier, et couvre le sol jusqu’au sommet du petit puy de Dôme.

Lorsqu’on en a atteint la partie supérieure, on a fait plus de la moitié du chemin nécessaire pour gravir le grand puy de Dôme. On est alors sur un terrain inégal et couvert d’éminences arrondies que l’on aperçoit mieux quand on est un peu plus élevé. La pelouse est souvent remplacée par des tas de scories qui indiquent l’approche d’une bouche ignivome, et déjà nous avions aperçu sur les flancs, des ravins creusés dans des sables et des pouzzolanes semblables à ceux que lancent de nos jours les volcans en activité. Nous reconnûmes bientôt que toutes ces inégalités sont dues à des matières qui sont sorties avec violence d’un centre commun, et qui se sont accumulées autour de leur foyer. Celui-ci est resté intact ; il a conservé sa forme et ses dimensions ; c’est un joli cratère, dont les flancs sont couverts de verdure, et dans lequel on peut descendre avec facilité.

On lui donne, dans le pays, le nom de Nid de la Poule ; il a quatre-vingt-neuf mètres de profondeur, et trente-cinq seulement sur son bord méridional. La montagne sur laquelle il se trouve a douze cent soixante-huit mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer ; c’est une énorme masse de scories qui probablement ont toutes été lancées par cette bouche, et ont ainsi accolé au puy de Dôme une montagne qui en diffère entièrement par son mode de formation et la nature de ses produits.

Quoique ceux-ci soient moins variés qu’à Gravenoire[5], on y rencontre cependant une grande variété de scories et de bombes volcaniques, dont le volume est souvent considérable. Les scories ont quelquefois acquis un degré de fusion qui les rend très-sonores, malgré les pores nombreux dont leur masse est criblée ; elles contiennent du fer oligiste spéculaire. Quoiqu’au premier abord, il semble que le petit puy de Dôme n’ait pas donné de coulées de lave, on trouve cependant à sa base un point d’éruption d’où s’échappe un courant bien marqué, qui va se réunir à ceux du puy de Côme et des montagnes voisines. Ce courant volcanique semble sortir d’un cratère ouvert par le côté. Nous vîmes encore, près du Nid de la Poule, plusieurs dépressions, qui sont de véritables cratères, et nous en avions remarqué un très-petit, creusé dans une sorte de brèche, en arrivant de Pariou à la base du petit puy de Dôme.

Des bords du Nid de la poule, nous apercevions sur le flanc du puy de Dôme un chemin en zig-zag, que nous suivîmes pour en atteindre le sommet[6]. À mesure qu’on s’élève, la vigueur de la végétation augmente, la pelouse sèche et jaunâtre qui couvrait les scories du petit puy de Dôme se change en magnifiques tapis de verdure qui cachent presque partout la roche qui forme la montagne. Celle-ci cependant paraît au jour en quelques endroits, et il est facile de voir qu’elle diffère entièrement, par sa nature, des scories qui composent le petit puy de Dôme qui lui est adossé. Une pierre blanche, légère, toujours imbibée d’eau, forme la masse entière du puy de Dôme, ou du moins toute la partie dans laquelle on a pu pénétrer. On ne retrouve de roche analogue que dans deux localités bien éloignées, les montagnes du Can tal et les monts Euganéens. M. de Buch lui a donné le nom de Domite, et nous reviendrons plus loin sur ses propriétés.

Nous continuâmes de gravir la montagne, et l’herbe devenait d’autant plus épaisse que nous nous élevions davantage. Elle était émaillée d’une foule de fleurs inconnues à la plaine, et remarquables par leur fraîcheur et leur éclat. Nous étions déjà très-élevés au-dessus du petit puy de Dôme, qui s’offrait à nos yeux comme une masse de scories incohérentes, disposées sur deux rangs autour de la bouche principale qui les avait rejetées.

Nous croyions enfin arriver au terme de notre voyage, mais nous fûmes encore arrêtés par un grand plateau légèrement ondulé, où nous nous reposâmes quelques instans.

De là il n’y a plus qu’un pas à faire pour atteindre le sommet, qui, vu de Clermont, semble former l’extrémité du cône de la montagne, et qui du point où nous nous trouvions se présentait sous la forme d’une butte surajoutée à sa partie orientale.

Notre fatigue fut bientôt oubliée, pour jouir du spectacle qui se présentait ; nous voulions tout voir à la fois, et nous ne distinguions rien qu’un vaste pays couvert de coteaux et de montagnes. De tous côtés la vue s’étend, pour ainsi dire, indéfiniment, et l’horizon se confond avec le ciel : la multitude des objets est infinie, leur éloignement considérable ; leur variété étonne, et l’on cherche long-temps un point de départ, pour les examiner avec détail. Ce qui frappe le plus est la quantité de montagnes qui sont groupées du côté du nord ; elles se ressemblent par la forme ; elles sont toutes coniques ou arrondies ; les unes sont terminées par un cratère ; et au delà du puy de Pariou on aperçoit le puy des Goules, dont le cratère est moins grand, mais dont les bords empêchent de voir la profondeur. Le puy de Sarcouy et le puy de Clierzou, l’un en forme de calotte, l’autre offrant l’apparence d’une cloche, et privés de cratères, font partie du même groupe. Tous deux sont formés de la même roche que le puy de Dôme. Le premier est encore exploité pour avoir des pierres de construction ; l’autre offre un grand nombre de grottes qui y furent creusées autrefois pour en extraire des sarcophages. Dans le même groupe, et sur un plan un peu plus éloigné, on remarque une montagne toute déchirée et de couleur rougeâtre ; c’est le puy de Chopine, dont le pied est entouré par la montagne des Gouttes. Une série de montagnes se prolonge, dans la même direction, jusqu’au delà de VolPl. 2.

Lecoq Del.

Lith. de Desrosiers à Moulins.

Groupe de Volcans au Nord du Puy de Dôme.

(Vue prise au Sommet de ce dernier.) vic, et presque toutes sont d’anciennes bouches à feu. Un peu sur la gauche, se trouvent deux montagnes accolées, le Grand et le Petit Suchet, dont la composition minéralogique est aussi différente que celle du grand et du petit puy de Dôme ; et au delà on rencontre le puy de Côme, un des volcans les plus puissans de toute l’Auvergne. Son sommet présente deux cratères, mais aucun d’eux n’a fourni l’immense coulée de lave qui s’est épanchée jusque dans le lit de la Sioule qui traverse Pontgibaud. On aperçoit cette coulée qui couvre un grand espace de terrain sur lequel la végétation commence à s’établir, mais qui n’a pu encore être soumis à aucune culture, et qui, du point où nous nous trouvions, semblait un désert couvert de rochers[7]. Au couchant du puy de Dôme, et bien au delà de la lave de Côme, nous vîmes quelques monticules qui sont encore volcaniques ; c’étaient les puys de Banson, de la Vial et de Neufont ; ils sont situés au delà de la Sioule, que son lit encaissé dérobe à la vue, et ils se détachent, sans s’élever beaucoup au-dessus d’elles, des plaines de la Creuse et de la Corqui terminent l’horizon. Quelques lacs arrondis paraissent çà et là dans le lointain, et se distinguent surtout pendant les belles soirées d’automne, lorsque le soleil n’envoie plus que quelques rayons obliques réfléchis par leurs eaux. Au sud, on retrouve une longue série de cônes volcaniques qui paraissent plutôt alignés que groupés ; les uns sont couverts de pelouse ; d’autres de belles forêts ; quelques-uns offrent çà et là des buissons de hêtres, continuellement broutés par les troupeaux, et presque tous ont leur sommet tronqué ou creusé en cratères qui témoignent encore des anciens bouleversemens de l’Auvergne. Cependant cette ligne de montagnes coniques s’arrête à trois lieues de distance, et quelques-unes seulement éloignées sur une plaine élevée, semblent marquer la route qui conduit aux Monts-Dores. Ceux-ci offrent des pics déchirés, qui rappellent les montagnes primitives ; souvent un nuage les environne, ou la neige couvre leurs pelouses. Plusieurs montagnes s’y rattachent ; telle est la Banne d’Ordenche qui domine le long plateau qui descend à Laqueuil ; telles sont les roches Tuillière et Sanadoire, qui sont placées comme les portes d’une vallée qui s’élargit ensuite, et dont les deux bords, couverts de basalte, se prolongent en s’éloignant toujours jusqu’à la petite ville de Rochefort. Le Pic de Sancy domine toutes ces hauteurs, et le mont Dore, dont il est le point culminant, bornerait l’horizon si l’élévation des sommets du Cantal ne permettait de les apercevoir à vingt lieues de distance. Le lac d’Aydat paraît au pied du mont Dore, quoiqu’il en soit encore très-éloigné ; l’œil peut suivre, pour ainsi dire, jusqu’au puy de la Vache, la coulée de lave qui, en élevant naturellement sa digue, a été la cause du séjour de ses eaux.

Toute la partie orientale ne présente qu’une vaste plaine, bornée par les montagnes du Forez, et qui, vers le nord, se confond avec le ciel, par les plaines du Bourbonnais et du Nivernais. Quoique la hauteur à laquelle nous nous trouvions ait fait disparaître une partie des inégalités du sol, nous distinguions dans la Limagne une grande quantité de pics et de plateaux : les premiers sont souvent occupés par les ruines de vieux châteaux, tandis que les plateaux offrent tous des récoltes plus ou moins abondantes. La longue coulée basaltique de la Serre, située au sud-est, se distingue parfaitement à cette élévation ; l’œil la suit jusqu’au village du Crest, bâti à son extrémité. Un peu au delà paraît la montagne de Gravenoire, que ses scories rouges et noires font facilement apercevoir, et la belle vallée de Fontanat qui va s’ouvrir dans la Limagne. Celle-ci est toute entière au pied du puy de Dôme, avec ses villes, ses villages, ses coteaux couverts de vignes, et ses belles avenues de noyers. On voit d’un coup d’œil la partie la plus riche de l’Auvergne, et l’on considère en silence toutes ces habitations dispersées, d’où s’élève une fumée vacillante, seul objet mobile d’un si grand tableau. Quelquefois pourtant des nuages traversent le ciel, et leurs ombres errantes parcourent la plaine, cachant successivement le soleil aux lieux qui se trouvent sur leur direction.

Le calme qui règne dans les hautes régions de l’atmosphère est une des choses qui font le plus d’impression sur l’homme, surtout lorsqu’il atteint pour la première fois une élévation à laquelle il n’était pas encore parvenu. Le puy de Dôme, plus qu’une autre montagne, produit cet effet difficile à décrire ; son élévation de 1,100 mètres au-dessus de la Limagne[8] ; sa supériorité sur les cônes qui l’avoisinent, et sa position au milieu de vastes plaines, en font une véritable île dans les airs, et l’isolement qu’on éprouve au sommet n’en est que plus complet. Ces réflexions nous conduisirent naturellement à examiner l’endroit où nous nous trouvions ; c’était un petit tertre arrondi, qui avait environ cinquante à soixante pas de circuit, et qui était couvert comme le reste de la montagne, d’une pelouse jonchée de fleurs[9]. C’est là que Perrier vint, d’après les avis de Pascal, placer un tube plein de mercure, dont l’abaissement donna la preuve de l’élévation de son génie[10].

Nous y vîmes encore les restes d’un ancien édifice ; c’était une chapelle sous le nom de Saint-Barnabé : elle dépendait du prieuré de Saint-Robert, à Montferrand, et existait encore en entier en 1648, lors des expériences de Perrier. Les débris de cette chapelle offrent des pierres de nature très-différente, et tout-à-fait étrangères au puy de Dôme. Il y a même des morceaux de porphyre qui viennent évidemment des monts Dores. Il n’en est pas moins singulier, dit Ramond[11], qu’on ait cherché si loin des pierres, quand on en avait si près ; et l’on ne sait comment expliquer une pareille bizarrerie, si l’on ne suppose qu’en imaginant de construire un édifice religieux sur une cime de pénible accès, on a fait entrer le transport des matériaux dans les mérites de l’entreprise.

Un peu au-dessous se trouve une petite plaine que nous avions déjà traversée en montant, mais à laquelle nous avions fait peu d’attention, parce que nous étions pressés d’arriver au point culminant. Dans les beaux jours des mois de juin et juillet, un grand nombre de papillons voltigent sur cette partie de la montagne, et plus rassurés que dans la plaine, ils se laissent approcher d’assez près. Lorsqu’on a été favorisé par un temps calme, assez rare dans les montagnes d’Auvergne, c’est avec regret que l’on quitte cette petite plaine. On la trouve bordée de rochers du côté du sud ; elle est le point de départ d’un assez grand nombre de ravins, dont plusieurs ont leurs versans très-escarpés, mais qui tous sont garnis, dans le fond, d’une herbe longue et souvent couchée, ou de grosses touffes de mousses sur lesquelles il est assez difficile de ne pas perdre l’équilibre. Il y avait autrefois un chemin du côté du sud ; mais des éboulemens l’ont interrompu dans plusieurs endroits, en sorte qu’il fallut nous résoudre à descendre sur le gazon. Les personnes qui n’ont pas acquis l’habitude des montagnes sont quelquefois effrayées de la pente rapide contre laquelle elles vont lutter. Cette pente uniforme, l’isolement de la montagne, et la profondeur de la Limagne qu’on aperçoit au loin, frappent quelquefois tellement l’imagination, qu’on a beaucoup de peine à décider à descendre. On fait le tour de la plaine du sommet ; on cherche un côté moins rapide ; on préfère souvent celui par lequel on est monté ; enfin on prend son parti ; et lorsqu’on a fait quelques pas, quand on a vu qu’une chute sur un gazon touffu ne peut produire aucun mal, on trouve bientôt plus commode et plus prompt de descendre que de monter. On peut même s’asseoir sur l’herbe, et se laisser glisser jusqu’au bas, sans qu’il y ait le moindre danger, et l’on est toujours le maître de s’arrêter au moyen de l’herbe sur laquelle on glisse. Si c’est la partie méridionale que l’on a choisie pour descendre, on ne perd pas de vue la ligne des puys volcaniques.

Ceux des Gromanaux, de Besace, de Monchié, de Salomon, de Barme, de Laschamps, de Pourcharet, etc., tous volcans modernes, ont encore leurs sommets au-dessous de vos pieds. Vous voyez le château d’Alagnat et les beaux hêtres qui forment son parc planté sur la lave. Vous apercevez le village de Laschamps, en partie caché par des arbres, entouré de quelques prairies, et la grande plaine de genêts cultivés, qui sont sa principale richesse[12]. Çà et là s’élèvent des colonnes de fumée produites par les écobuages qui précèdent toujours les moissons de seigle, et lorsqu’on approche un peu des grandes plaines de bruyères qui sont au pied la montagne, le silence est interrompu par le son lointain des clochettes que portent les troupeaux.

Nous arrivâmes en peu de temps dans un bois de hêtre dont le sol était couvert par de grandes fougères, et nous ne tardâmes pas à joindre le chemin d’Alagnat, qui sépare le puy de Dôme de celui des Gromanaux. Si, au lieu de descendre directement vers ce bois, on se dirige un peu au sud-ouest, on rencontre un petit plateau ou plutôt une sorte de prolongement de la base du puy de Dôme, sur lequel sont épars beaucoup de débris de construction, des tuiles, des morceaux de briques, et quelques massifs encore cimentés, qui indiquent la position d’un ancien village ou les restes d’un vieil édifice.

Nous descendîmes encore pendant quelque temps par le chemin d’Alagnat, et ensuite nous sortîmes du bois. Nous retrouvâmes alors la bruyère qui poussait en bandes allongées, sur un sol morcelé par l’eau des pluies ; ici, nous marchions sur une terre végétale, riche en terreau, produit par la décomposition de ces bruyères ; plus loin, les sables volcaniques formaient la base de la plaine, et en se dirigeant un peu à gauche des ruines de Montrodeix, placées sur une éminence qui se présente à l’est du puy de Dôme, nous rencontrâmes un chemin sablé de pouzzolane, bordé de blocs de lave, que nous ne quittâmes plus. Nous nous retournions malgré nous pour voir encore l’énorme masse que nous venions de parcourir[13], nous considérions sa position sur une plaine parsemée de cônes volcaniques, son association avec le petit puy de Dôme, dont la structure est tout-à-fait différente, et dont le cratère a lancé une si prodigieuse quantité de scories ; nous nous demandions enfin quelle a pu être l’origine de cette montagne, quelles sont les substances qui la composent, comment la végétation a pu s’y établir, quels sont les animaux qui l’habitent, et par quelle raison les plantes qui couvrent sa surface peuvent conserver, pendant les chaleurs de l’été, et à une aussi grande élévation, une fraîcheur qui contraste avec l’herbe fanée, fixée au sol brûlé de la plaine.

Les travaux multipliés des personnes qui ont étudié l’Auvergne, et spécialement la montagne du puy de Dôme, n’ont pas sans doute résolu ces questions, mais du moins ils ont pu jeter quelque jour sur leur solution.

Avant qu’on ait reconnu en Auvergne l’existence d’anciens volcans, c’est-à-dire, avant 1734, on ne s’était pas inquiété de la nature du puy de Dôme, et ce fut en 1761 que Guettard, annonçant à l’Académie des sciences l’existence de volcans dans cette contrée, dit seulement, d’une manière vague, qu’il avait été volcanisé. Quelque temps après, Desmarest vint étudier avec détail ces volcans éteints qu’on venait de signaler à l’attention des géologues. Le puy de Dôme fut pour lui l’objet de longues méditations ; mais l’état où se trouvait alors la géologie, le peu de connaissances que l’on avait sur la composition des roches et la structure des terrains, lui firent adopter une opinion qui n’est plus soutenable de nos jours. Il regarda cette montagne comme une énorme masse de granité chauffée sur place par les feux souterrains qui en changèrent la nature. De Saussure adopta l’opinion de Desmarest, et regarda seulement le rocher chauffé, non comme du granité, mais comme du felspath terreux : pendant long-temps l’idée de Desmarest fut la seule soutenue ; seulement, comme chacun voulait faire quelque chose de neuf, en admettant toujours cette énorme masse chauffée sur place, on faisait varier sa nature avant qu’elle soit altérée, et on remplaçait successivement le granité par le felspath, celui-ci par l’argile ; on augmentait l’action de la chaleur par des vapeurs acides, par des sels pénétrans, etc. Enfin, comme on ne pouvait pas faire varier les faits existans, on changeait au moins les causes qui les avaient produits.

La théorie de la formation du puy de Dôme en était à ce point, lorsqu’en 1788 parut l’ouvrage de M. le comte de Montlosier[14] ; il renfermait de nouvelles idées sur la formation de cette montagne. Une connaissance approfondie du pays qu’il décrivait fit bientôt reconnaître à cet observateur plusieurs montagnes de même nature que le puy de Dôme ; tels sont les puys de Clierzou, de Sarcoui, de Chopine, et le petit Suchet. L’analogie de forme que présentent ces masses et celle du puy de Dôme, rendaient probable l’idée d’une origine commune, en même temps qu’elle repoussait la préexistence de roches primitives qui auraient été chauffées ou altérées par les feux volcaniques. On voit, dit l’homme célèbre que nous venons de citer, que tous ces puys de même nature « n’ont été que l’effet d’une éruption pulvérulente, dont les matières, retombant de toutes parts dans leur propre foyer, ont dû nécessairement s’épancher en tout sens, et affecter une configuration sphérique[15]. »

Dolomieu regardait le puy de Dôme comme produit d’un volcan qui aurait été bien plus élevé, et que l’Océan aurait entraîné[16].

En 1815, Ramond lut à l’Académie des sciences un mémoire sur le nivellement barométrique des monts Dores et des monts Dômes, et malgré la rapidité avec laquelle il décrit les sommets de cette dernière chaîne, il n’a pu s’empêcher de s’arrêter un instant sur le puy de Dôme, et d’émettre sur son origine l’opinion qui lui paraissait la plus probable. D’après lui, une immense coulée de lave blanche et poreuse serait partie du mont Dore, pour couvrir le plateau qui supporte actuellement les puys volcaniques. Cette coulée se serait épanchée avant le soulèvement de ces derniers, et c’est alors seulement que le puy de Dôme et les autres puys de même nature seraient restés comme témoins de cette immense coulée, et comme les masures d’un vieil édifice, à travers lequel les feux souterrains auraient fait jouer la mine[17].

Peut-être, disait encore Ramond, les montagnes de domite sont-elles le reste d’un petit système distinct, et tout aussi indépendant des monts Dore, que ceux-là le sont du Cantal et du Mezenc.

Ces deux théories furent combattues, en 1828, dans un mémoire inséré dans les Annales scientifiques de l’Auvergne[18], et l’auteur ne manqua pas d’en proposer une nouvelle, sur laquelle la Bibliothèque de Genève[19] publia un article assez étendu, avec des observations qui tendaient à l’appuyer. On suppose que, lors des éruptions du mont Dore, une couche de matières pulvérulentes entraînées par les eaux pluviales et les vents[20], s’est déposée sur la plaine qui est actuellement couverte de cônes volcaniques, et qu’à l’époque où ces derniers ont cherché à se faire jour, il en est qui ont soulevé, sans pouvoir la percer, la couche épaisse qui s’opposait à leur éruption. C’est à un soulèvement de ce genre qu’on doit attribuer l’origine du puy de Dôme, sa forme arrondie, et la présence du petit puy de Dôme, volcan moderne qui lui est accolé, et dont les efforts ont soulevé sa masse avant d’avoir pu se frayer une issue par le cratère du Nid de la Poule.

Quelle que soit l’opinion que l’on se forme sur l’origine de cette masse imposante, la roche qui la compose n’en est pas moins très-remarquable ; sa texture est poreuse ; elle est rude au toucher, et renferme partout de petits cristaux de felspath, des aiguilles d’amphibole et des paillettes de mica[21]. Ordinairement elle se présente avec une teinte blanche qui la fait distinguer de très-loin ; mais souvent ces couleurs changent sur les fissures qui s’y rencontrent ; elle offre toutes les nuances du jaune et du rouge que le feu a pu faire acquérir au fer qu’elle renferme. Ces fissures sont souvent tapissées par de jolis groupes de fer oligiste que le feu a sublimés sur leurs parois. C’est principalement au sud et au nord que l’on a rencontré jusqu’à présent ces beaux groupes de cristaux, et l’empressement qu’on a mis à les rechercher les a maintenant rendus très-rares[22].

Une roche aussi tendre que celle du puy de Dôme ne dut pas rester long-temps intacte. L’action de l’air, du soleil, et surtout des brouillards et des pluies, si communs dans les hautes régions de l’atmosphère, ne tardèrent pas sans doute à en altérer l’extérieur, et si l’on en juge par les blocs de roches qui sont, encore à découvert, la végétation dut bientôt s’emparer de leur surface : partout, en effet, ils sont couverts de mousses et de lichens qui concourent encore à y fixer l’humidité de l’atmosphère.

Partout ces petites plantes végètent avec une force qu’on ne remarque pas quand elles ont pour support des roches primitives ; mais malgré ces circonstances favorables, combien de siècles ont dû s’écouler avant qu’un manteau de verdure ait couvert les flancs de cette montagne : il en est peu cependant dont la végétation soit aussi belle, et dont on puisse suivre le développement avec plus d’intérêt. Excepté quelques espèces printanières qui devancent les autres, et quelques plantes tardives qui terminent le calendrier de Flore, tout paraît, fleurit et se fane dans l’espace de trois mois : du quinze mai au milieu du mois d’août, la végétation a parcouru toutes ses phases et offert au botaniste toute la Flore du puy de Dôme. Déjà quelques espèces qui se prêtent à toutes les températures ont fleuri depuis un mois dans la Limagne, quand elles essaient d’ouvrir leurs fleurs à la base du puy de Dôme ; et si leur constitution leur permet d’en habiter le sommet, ce n’est encore qu’un mois après celles de la base qu’on peut espérer de les rencontrer à la même époque de leur existence : c’est ce que l’on peut très-bien observer sur les airelles qui couvrent toute la pente du nord, et dont les fleurs se succèdent en suivant l’élévation du sol, depuis le premier mai jusqu’à la moitié du mois de juin.

Peu de plantes précèdent le mois de mai, car souvent encore la neige couvre la montagne, et c’est au moment où elle commence à abandonner quelques espaces, que l’on y trouve les crocus, qui n’attendaient qu’un rayon de lumière pour s’épanouir. Il s’écoule encore quelque temps avant qu’aucune autre espèce ne paraisse, et celles qui se hasardent les premières restent cachées sous les buissons, comme pour se mettre à l’abri d’un hiver qui n’est pas terminé ; alors paraissent les premières fleurs de l’anémone des bois ; leurs pétales blancs teints de rose à leur extrémité restent encore long-temps appliqués sur leur faisceau d’étamines. La fumeterre bulbeuse, et l’ysopyrum thalictroides ; se montrent ensemble à la base de la montagne ; leur feuillage se ressemble un peu, et leurs fleurs délicates, portées sur des pédoncules flexibles, luttent contre les tempêtes et les écirs qui n’ont pas encore abandonné ces régions montagneuses. La scille à deux feuilles ouvre alors ses fleurs d’un bleu d’azur, et sans quitter le nord de la montagne, elle arrive jusqu’au sommet. Une herbe longue et couchée par le poids des neiges qui viennent de fondre, cache les jeunes pousses d’une foule de plantes qui vont bientôt la faire disparaître sous leur feuillage. Les noisetiers, qui dans la plaine ont épanoui leurs fleurs dès le mois de février, en ont encore à la fin du mois de mai ; mais alors la végétation part tout d’un coup, les buissons se couvrent de feuilles, les églantiers fleurissent, les graminées étalent leurs panicules qu’un vent d’ouest tient ordinairement fléchies du côté de la Limagne. De grandes luzules, la pulmonaire à feuilles étroites, la mercuriale vivace, couvrent les pentes les plus voisines du sommet, et le narcisse jaune, dispersé çà et là, vient y mêler ses fleurs tardives. Un peu plus tard, l’alchimille des Alpes décore une partie de la montagne de ses feuilles argentées ; les orchis, les vaccinium, les arbutus, disparaissent sous les feuilles de grandes plantes qui commencent à se développer, et dans le mois de juillet la végétation a acquis tout son luxe. Il est impossible alors de faire un pas sans rencontrer des plantes remarquables. La grande gentiane est la plus commune ; elle commence à la base et ne cesse qu’auprès du sommet ; elle est accompagnée des belles ancolies dont le bleu contraste si agréablement avec le jaune de ses fleurs : le doronicum austriacum, le lys martagon, l’angélique sauvage, sont dispersés sur les pentes du levant et du nord ; le cacalia petasites, qui ne se retrouve plus qu’au mont Dore, cache les ravins de ses larges feuilles, et se couvre de fleurs rouges, aux aspects du nord et du couchant. Partout on rencontre des pensées ; mais c’est surtout sur le grand plateau du sommet qu’elles offrent le plus de variétés ; elles admettent tous les mélanges de jaune, de violet et de blanc, et perdent bientôt dans les jardins ces teintes variées qu’elles prennent au sommet du puy de Dôme. L’arnica des montagnes, les chrysanthèmes, la pédiculaire feuillée, qui prend ici un plus grand accroissement que dans les Alpes ; le méum aux feuilles découpées, le serpolet à odeur de citron, des œillets odorans, un aconite à fleurs jaunes, et l’athamantha libcinotis, font partie de la végétation de cette plaine. Ces espèces croissent encore sur les rochers du sud avec les téléphium à larges feuilles, et le géranium sanguin, qui s’élève ici à une grande hauteur. Le sommet du puy de Dôme présente alors un aspect remarquable ; des plantes qui croissent habituellement sur le bord des ruisseaux, dans les prairies humides, viennent se mêler aux plantes alpines, et partager ce petit espace où toutes les espèces de la montagne, soit de la base, soit de ses flancs, semblent avoir des représentans. La gentiane s’y rencontre encore avec la scabieuse des champs et l’alchimille des Alpes ; le myosotis des marais mêle ses fleurs bleues à celles des phyteuma et des chrysanthèmes ; le botrychium lunaria se cache dans l’herbe avec l’orchis vert, sous les feuilles de la berce branchursine ou de la gesse des marais.

L’oseille sauvage, le trèfle des prés, l’euphraise officinale, la potentille dorée, la bistorte le caille-lait jaune et quelques campanules viennent encore compliquer cette singulière réunion de végétaux qui succède aux éiégans trollius, à l’astrantia major, à la saxifrage granulée et aux primevères, dont les fleurs étaient encore épanouies dans le mois précédent.

Dans les bois qui forment une ceinture interrompue autour du grand et du petit puy de Dôme, on remarque le sonchus plumieri, que l’on retrouve au mont Dore avec le sonchus alpinus, totalement étranger au puy qui nous occupe ; le senecio cacaliaster, l’euphorbe d’hiver, qui est alors en graines, le bunium denudatum, l’œillet de Montpellier, le seneçon à feuilles d’adonis, le laserpitium latifolium et le jasione perennis, dont les belles fleurs bleues contrastent avec la couleur noire des pouzzolanes sur lesquelles on la voit souvent former des touffes arrondies.

Cette belle végétation dure jusqu’au milieu du mois d’août ; on ne rencontre plus ensuite que des verges d’or, quelques épervières et la scabieuse succise, dont les fleurs acquièrent au sommet du puy un tel développement, qu’au premier aspect on croirait qu’elles appartiennent à une espèce distincte. Les airelles se couvrent de fruits, les graines des composées sont emportées par les vents, les gentianes et les martagons se dessèchent, les feuilles des buissons changent de couleur, et la pelouse jaunie disparaît bientôt sous un voile de neige.

Le puy de Dôme n’offre pas autant de ressource à l’agriculteur qu’au botaniste. Il est partagé en deux parties principales : l’une appartient aux héritiers de M. le marquis de Vayny, ancien seigneur du puy de Dôme ; l’autre fait partie du communal d’Alagnat. Les troupeaux que l’on rencontre sur les flancs arrivent rarement jusqu’au sommet, d’où ils descendraient difficilement. On fauche quelquefois, mais c’est avec peine, et l’on est presque toujours contrarié par les vents : aussi on est obligé de lier l’herbe en bottes aussitôt qu’elle est coupée, et une pente rapide la conduit bientôt au pied de la montagne, où l’on s’occupe à la sécher. Les flancs du puy produisent aussi une grande quantité de bruyère, que les paysans d’Orcines et d’Alagnat arrachent pour se chauffer.

Le manque d’eau absolu, et l’absence de forêts (car on ne peut regarder comme telles les bouquets de bois qui se trouvent à la base de la montagne), rendent la Faune du puy de Dôme bien moins riche que sa Flore.

Les quadrupèdes un peu gros s’y cachent difficilement, et ne s’y montrent que l’hiver ou pendant la nuit ; tel est le loup qui préfère pour sa résidence les bois de Corne et de Laschamps qui en sont voisins, et le renard que l’on y voit plus communément, et qui s’est creusé quelques terriers dans les parties les plus escarpées du sud et du couchant. Le lièvre y est assez commun, et, quoique rare sur le grand puy de Dôme, on le rencontre souvent blotti et abrité dans le cratère nommé le Nid de la Poule ; la belette et probablement l’hermine, la musaraigne et une espèce du genre rat complètent à peu près le catalogue des quadrupèdes.

L’ornithologie n’est pas beaucoup plus riche ; la plupart des oiseaux que l’on y rencontre n’y font jamais leur nid. Les oiseaux de proie s’élèvent souvent jusqu’au sommet, et l’aigle que l’on y voit quelquefois préfère se reposer sur les escarpemens du puy Chopine, ou sur des sommets moins fréquentés. Deux espèces d’alouettes qui nichent sous les bruyères et quelques fauvettes qui ne quittent guère les bouquets de bois situés sur les pentes inférieures, sont, avec le merle, les chantres permanens du puy de Dôme.

Une herbe longue et souvent humide favorise malgré l’élévation, la multiplication des reptiles et surtout des ophidiens, qui cependant se réduisent à l’orvet et à deux espèces de couleuvres, dont une porte sur la tête une tache jaune qui la fait distinguer ait premier coup d’œil. Aucune espèce n’est dangereuse. Le lézard agile et le gros lézard vert, tous deux très-communs dans la Limarne et sur ses coteaux, sont remplacés par une espèce bien moins vive, qui présente plusieurs variétés de couleurs dues au sexe principalement, et qui n’atteint jamais le sommet de la montagne. Il n’en est pas de même de la grenouille temporaire. Celle-ci se rencontre partout, et représente à elle seule l’ordre des batraciens ; elle atteint de grandes dimensions offre souvent des variétés bien distinctes, qu’une étude approfondie transformerait probablement en plusieurs espèces.

L’absence de toute espèce de ruisseaux et même de marres produites par les eaux de pluie, exclut du puy de Dôme tous les genres de mollusques fluviatiles ; aussi les lymnées, les planorbes, les cyclades, les cyclostomes aquatiques, si communs dans les marais de la Limagne, et dont on trouve encore plusieurs espèces sur les plaines élevées des montagnes, manquent absolument au puy de Dôme. D’un autre côté, la température n’est pas assez élevée pour le cyclostome élégant, ni pour les bulimes ; en sorte que la conchyliologie se trouve réduite à quelques pupa qui s’abritent avec la vitrine pellucide sous les larges gazons de mousse humide, et à quelques individus rares de l’hélix nemorum, si toutefois on peut donner ce nom à un hélice à bouche noire ou violette, plus petit que ne l’est ordinairement cette espèce, et qui en diffère encore par la forme de la spire et de la bouche. Si c’est réellement l’hélix nemorum, c’est une variété distincte que l’on retrouve dans plusieurs autres localités montagneuses, et qui, dans celles dont nous nous occupons, n’offre jamais que les teintes jaunes et roses, sans aucune bande de couleur plus foncée. Quelques espèces du genre limace, dont une de grandeur moyenne et d’une couleur fauve très-claire, paraissent aussi, dans les temps de pluie, jusque sur la partie supérieure ; mais leur multiplication est sans doute subordonnée au plus ou moins d’intensité de froid pendant l’hiver ; car, dans certaines années, on en rencontre beaucoup, tandis que, dans d’autres, on en voit à peine quelques individus.

Si plusieurs causes s’opposent à la multiplication des animaux appartenant aux différentes classes dont nous venons de parler, les mêmes obstacles ne se présentent plus pour les insectes. La différence dans la température, une couche épaisse de terre végétale, percée sur certains points par des roches dont les blocs détachés sont épars à la surface du sol, une variété infinie de végétaux, sont autant de circonstances qui concourent à y attirer un grand nombre d’espèces.

Les mille pieds, les iules se cachent sous les pierres avec les carabes et les féronies ; c’est surtout dans le Nid de la Poule qu’on en rencontre d’abrités sous les blocs de scories, dispersés sur la pelouse du cratère ; la cicindelle champêtre est commune à la base de la montagne, mais elle s’y élève peu. Les taupins et les téléphores voltigent continuellement avec quelques longicornes, sur les fleurs des jasiones et des ombellifères ; des gribouris aux ailes métalliques se cachent dans les fleurons des arnica ; la chrysomèle glorieuse se met à l’abri sous les larges feuilles du cacalia petasites, et le geotrupes vernalis, plusieurs aphodius et beaucoup de staphylins se creusent des galeries dans les matières immondes où ils ont choisi leurs retraites.

La coccinelle à sept points devient quelquefois si commune, qu’elle couvre toute la partie supérieure de la montagne.

Les sauterelles n’y sont jamais bien nombreuses ; elles préfèrent le séjour de la plaine, ainsi que le grillon, dont l’espèce commune s’élève cependant sur le flanc du petit puy de Dôme. Bien peu de libellules, et l’ascalaphe, plus rare encore, viennent se mêler aux tipules et aux ichneumons, dont le nombre ne le cède pas toujours à celui des coccinelles.

Les fleurs sont couvertes d’abeilles et de bourdons ; on y voit souvent la guêpe commune et une autre espèce qui fixe son nid après les rochers ou sur les branches sèches des genêts qui se trouvent au pied de la montagne.

Le chrysis enflammé voltige de fleur en fleur, plus brillant que les autres hyménoptères, il est aussi plus rare. Ce sont les diptères qui sont les plus nombreux ; outre les tipules que nous avons déjà cités, on rencontre dans le genre mouche une variété infinie ; il en est surtout une très-petite espèce presqu’entièrement noire, qui couvre sur la montagne des espaces assez grands. Elle se rassemble de préférence sur les rochers et sur les mousses qui les recouvrent, et elles forment, lorsqu’on en approche tout-à-coup, un nuage si épais, qu’on est obligé de fermer les yeux jusqu’à ce qu’elles se soient éloignées.

Au milieu de tous ces insectes, on voit souvent voltiger des papillons ; mais ils préfèrent à la partie élevée, presque toujours battue par les vents, la lisière des bois qui peuvent leur servir d’abri. On y voit l’apollon et quelques polyomates, parmi lesquels on distingue l’arion, le chryseis, le gordius et celui de la ronce. Dans les beaux jours, ces polyomates, excepté l’arion, montent jusque sur la plaine, couverte de fleurs, qui termine la montagne. On y rencontre aussi plusieurs espèces de satyres aux ailes foncées, la piéride gazée, le beau machaon, la belle dame, l’argine aglaée, offrant quelquefois des variétés, et la petite tortue qui parait surtout à la floraison des scabieuses, et dont les couleurs sont bien plus vives que dans les jardins et les prairies. Les petites espèces y sont assez communes ; on y distingue le ptérophore pentadactyle et quelques teignes rouleuses. Les nocturnes cependant sont moins communs que les diurnes, et moins rares que les crépusculaires. Le petit paon remplace le grand ; le bombix du chêne et celui de la ronce, l’écaille du plantain et sa variété hospita, l’écaille fermière, et même l’hébé, tombent quelquefois dans le filet du chasseur.

Cette abondance d’insectes, et surtout de diptères, a déterminé un grand nombre d’araignées à se fixer au puy de Dôme. Celles qui appartiennent à la section des tendeuses, et que l’on connaît vulgairement sous le nom d’araignées de jardin, sont les moins communes ; qui tient peut-être aux difficultés qu’elles éprouveraient à tendre leur toile que les vents détruiraient aussitôt. Elles sont remplacées par les araignées crabes et les araignées loups, parmi lesquelles on rencontre en automne une très-belle espèce, dont l’abdomen est rouge orangé, marqué de quatre points noirs, et dont les pattes sont annelées de blanc.

Ce qui contribue à entretenir sur le puy de Dôme la végétation brillante dont nous avons tracé une légère esquisse, et qui a précédé les espèces d’animaux compris dans cette liste incomplète, c’est la facilité avec laquelle la roche qui compose la montagne absorbe l’eau, et l’attraction remarquable qu’elle exerce sur les nuages. Cette roche double de poids lorsqu’on la plonge dans ce liquide, en sorte que le puy de Dôme représenterait une masse d’eau égale à la moitié de son volume environ, si on le supposait saturé ; c’est ce qui fait que cette montagne est constamment humide, c’est ce qui explique comment il n’existe ni ruisseaux, ni sources, ni torrens sur aucun point de sa surface. Quelle que soit l’abondance des eaux pluviales, elles glissent le long de la tige des végétaux, et pénètrent bientôt dans le rocher qui leur sert de réservoir commun ; et l’on se ferait sous ce rapport une idée assez juste du puy de Dôme, en le considérant comme une grosse éponge plus ou moins imbibée d’un liquide qu’elle céderait aux différens corps qui touchent sa surface.

L’isolement de cette montagne et la hauteur à laquelle elle s’élève, permettent d’observer facilement l’action qu’elle exerce sur les nuages dont elle est souvent entourée. C’est un spectacle dont on jouit fréquemment à Clermont ; car il est rare qu’il s’écoule vingt-quatre heures sans qu’un brouillard plus ou moins épais ne se rassemble au sommet du puy. Dans le commencement, on ne voit qu’une vapeur très-rare qui enveloppe comme une gaze légère la partie supérieure de la montagne, et qui ne cache pas la robe de verdure sur laquelle elle est répandue ; cette vapeur suit les contours de la montagne, elle augmente peu à peu de densité, et finit par former un nuage convexe qui enveloppe toute sa partie supérieure. On lui donne le nom de Chapeau du puy de Dôme ; c’est un phénomène qui se renouvelle souvent dans les belles soirées d’été[23] ; il conserve son chapeau jusqu’au lendemain matin, puis on le voit diminuer de densité, jusqu’à devenir translucide, puis transparent, et disparaître comme il s’est formé. Ce chapeau, exactement appliqué sur le sol, démontre bien l’attraction qu’exerce la masse du puy sur ce nuage ; son épaisseur est égale partout, et l’on en voit quelquefois deux l’un sur l’autre, et conservant toujours la forme que détermine la surface sur laquelle ils sont appliqués. Les rayons affaiblis du soleil qui disparait au delà des plaines de la Creuse, viennent souvent dorer ce dôme de vapeurs qu’un léger coup de vent enlève quelquefois avec une rapidité incroyable.

Tantôt le puy de Dôme prend son chapeau avec un ciel d’azur sur lequel on ne voit aucun nuage ; tantôt des nues amoncelées terminent l’horizon et indiquent pour le lendemain du mauvais temps, qui reste souvent confiné dans la région des montagnes. Le chapeau, dans ce cas, ne se dissipe pas comme à l’ordinaire ; il augmente graduellement, s’étend même jusqu’à couvrir la montagne entière, en lui conservant toujours sa forme, et c’est alors qu’on voit les nues descendre comme des flots du sommet vers la base qu’elles n’atteignent jamais ; elles sont absorbées par la roche poreuse, que nous avons décrite, et vont servir d’aliment aux végétaux variés qu’aucun ruisseau n’arrose. Mais l’attraction du puy de Dôme ne se borne pas à fixer ces vapeurs dans sa masse puissante, il attire les nuages que le vent pousse dans son voisinage ; il les force de s’arrêter sur sa cime ; ils se mélangent bientôt à l’enveloppe de vapeurs qui permet encore de distinguer sa forme, et toute la partie montagneuse qui domine Clermont disparaît sous les nuages qui confondent la terre avec le ciel.

Si au lieu de jouir de loin de ce spectacle, on se trouve alors au milieu de ces nuages, une obscurité profonde règne autour de vous ; vos habits sont bientôt mouillés par une pluie invisible, et si vous atteignez le sommet d’une montagne, à peine osez-vous en descendre. Si le brouillard moins épais permet de distinguer quelques objets, leurs dimensions sont toujours augmentées ; un rocher que l’on est sur le point d’atteindre parait une montagne isolée, et l’œil qui ne peut mesurer la profondeur des ravins les prend souvent pour des précipices. Mais qu’un coup de vent balaye les nuages, toute l’illusion cesse, chaque objet reprend sa place, et le soleil achève de débarrasser l’atmosphère de quelques nuages pelotonnés, qui semblent se dissoudre à mesure qu’ils s’élèvent.

D’autres fois les nuages arrêtés autour du puy de Dôme se transforment en pluie qu’un vent d’ouest dirige toujours du même côté, et dont on ne peut prévoir la fin. Le meilleur parti à prendre lorsqu’on se trouve en course avec de telles circonstances, et surtout quand on a le projet de gravir le puy de Dôme, est de remettre à une autre fois un voyage que l’on pourrait faire sans danger, mais qui deviendrait très-désagréable. La pluie a dans les montagnes un caractère particulier ; les gouttes d’eau moins éloignées de leur point de départ, touchent la terre pour ainsi dire sans faire de bruit ; elles n’ont pas le temps de se réunir pour former ces larges gouttes que l’on voit souvent tomber dans la plaine. Ne traversant qu’une atmosphère déjà refroidie, la pluie est froide et pénètre les habits en très-peu de temps. Le vent, qui la pousse avec force, contribue encore à la rendre moins supportable, et si elle vient en face de vous, vous avez de la peine à avancer. Il pleut pendant long-temps avant qu’on s’aperçoive de la présence de l’eau sur le terrain ; les produits volcaniques l’absorbent aussitôt qu’elle tombe ; mais bientôt la végétation change d’aspect, et prend au pied des montagnes le caractère de fraîcheur qu’on remarque toujours au sommet du puy de Dôme.

Ces pluies, si fréquentes pendant l’été, ne sont pas moins communes à l’entrée de l’hiver et vers la fin de l’automne ; mais alors la température de l’atmosphère les change souvent en neige extrêmement fine, qui se précipite rapidement, et l’on voit tout d’un coup le puy de Dôme blanchi sortir des nuages dans lesquels il était plongé.

Lorsqu’on a été témoin de l’attraction bien remarquable que le puy de Dôme exerce sur les nuages, et de la grande absorption d’eau qui a lieu sur toute sa surface ; quand on réfléchit à la quantité de liquide qui doit résulter de la fonte des neiges, et qu’y versent des pluies très-fréquentes, on est étonné de ne pas rencontrer la moindre source sur les flancs de la montagne. Tout y est sec, et depuis la base jusqu’au point de la plaine où nous nous trouvions, nous ne vîmes que des pouzzolanes arides qui supportaient, sans la nourrir, une herbe couchée par le vent et brûlée par le soleil. Nous marchâmes quelque temps encore sur ce sol qui semblait devenir de plus en plus aride, et qui cachait sans doute des réservoirs souterrains, qui eussent porté la vie à sa surface s’ils eussent pu s’y frayer une issue. En nous dirigeant du côté de Clermont, nous rencontrâmes çà et là des terres couvertes de genêts, et nous arrivâmes près d’un monticule qui atteignait à peine huit à dix mètres d’élévation au-dessus du sol. Les habitans le nomment Chuquet-Genestoux. Nous avions vu au puy de Pariou et au petit puy de Dôme un vaste appareil volcanique, des cratères bien formés et tout ce qui peut rappeler les éruptions terribles qui eurent lieu avant les temps historiques : ici, au contraire, c’est une simple boursouflure du terrain, un soupirail des volcans puissans qui s’élèvent dans les environs, et probablement une cheminée latérale du petit puy de Dôme. Nous y rencontrâmes des scories très-fraîches, qui composent à elles seules toute la saillie que le chuquet fait au-dessus du sol. Ces scories contiennent du pyroxène, et adhèrent quelquefois à des fragmens de granité, dont la surface a été entièrement fondue ou vitrifiée par l’intensité de la chaleur. Ces morceaux de granitée qui ont évidemment été lancés par ce petit volcan, sont communs autour de lui ; ils sont plus tendres que la même roche, quand elle n’a pas subi d’altération, et le mica qu’ils renferment présente une couleur bronzée due au violent coup de feu qui a arraché ces masses au terrain primitif qui fait la base de toute la plaine. Aucune apparence de cratère ne rappelle cette petite éruption ; mais les traces du feu volcanique sont encore si fraîches qu’on ne peut les méconnaître[24]

Avant d’arriver à Chuquet-Genestoux, nous avions déjà rencontré de gros blocs de lave, qui paraissaient enchâssés dans les pouzzolanes ; mais c’est surtout au delà de cette petite butte, que la lave devient de plus en plus commune. Les blocs se rapprochent, se confondent, et l’on distingue bientôt une véritable coulée d’une lave très-dure et très-compacte. Cette coulée semble sortir des environs de Chuquet-Genestoux, et quoiqu’on ne puisse pas lui assigner positivement cette masse de scories, pour son point de départ, il est probable cependant que la lave et ces scories ont entre elles de grands rapports. Peut-être aussi ces gros blocs de lave, qui couvrent une partie de la plaine, sont-ils le produit d’une coulée qui se serait épanchée par quelque fissure du sol, à une époque où de violentes commotions ont bouleversé toute l’Auvergne.

Quelle qu’en soit l’origine, on marche sur la même lave jusqu’à la grande route du Mont-Dore que l’on traverse, et on la rencontre encore au commencement de la belle vallée de Fontanat.

Nous nous détournâmes un instant pour visiter les ruines de Montrodeix. Ce château fut bâti par Waipher, duc d’Aquitaine, sur un faisceau de prismes basaltiques qui sortent d’une butte de granite. Les basaltes mêmes sur lesquels il fut construit, fournirent les matériaux de ses épaisses murailles, et leurs prismes couchés les uns sur les autres, et assemblés sans mortier, ne résistèrent pas, en 761, aux armes de Pépin, lorsqu’il vint ravager l’Auvergne.


DESCRIPTION

DE LA

VALLÉE

DE ROYAT ET FONTANAT.


Du sommet de Montrodeix, nous voyions naître à nos pieds la riante vallée de Royat, et nous descendîmes assez rapidement pour nous y rendre et la suivre dans tous ses détails. Quelques maisons entourées d’arbres et prairies, nous annonçaient un terrain moins aride que celui que nous venions de parcourir depuis la base du puy de Dôme. La fraîcheur de la végétation nous indiqua bientôt la présence de l’eau que nous n’avions pas rencontrée depuis long-temps. Nous arrivâmes à la Font-de-l’Arbre, hameau bâti sur la lave, et où nous vîmes quelques sources qui sortaient de dessous la coulée de lave. Plus loin, nous en trouvâmes une autre bien plus abondante, et qui sert de lavoir aux habitans ; elle est assez profonde, abondante et d’une limpidité parfaite. A peine ces eaux sont-elles sorties des rochers, qu’elles sont dirigées avec intelligence par les paysans. De petits canaux les conduisent de suite dans les prés qu’elles arrosent ; on ménage avec soin la pente du terrain, pour prolonger leur cours, et déjà l’aspect du paysage est changé. Un air de vie et de fraîcheur se répand partout ; les sommets des montagnes ne paraissent plus que de temps en temps à travers les ouvertures du feuillage. Une belle vallée s’ouvre devant vous, et les eaux réunies, cherchant de tous côtés à s’échapper des petites digues qui les contiennent, vont bientôt disparaître sous la végétation qu’elles ont développée.

À peine avions-nous passé la Font-de-l’Arbre que nous arrivâmes à Fontanat, village situé dans la vallée, et encore bâti sur la lave ; mais là elle semble s’arrêter et forme une petite éminence que l’on désigne sous le nom de Cliuquet d’Autour. Plusieurs sources s’échappent de l’extrémité de cette coulée, et vont réunir leurs eaux à celles du ruisseau que la pente de la vallée change, pour ainsi dire, en torrent. Partout on voit des filets d’eau vive qui sortent d’une roche noire ; de tous côtés on entend le bruit des moulins qui commencent à la Font-de-l’Arbre pour ne finir qu’à Clermont. Une source est plus considérable que toutes les autres, et sort avec impétuosité près d’un ancien moulin, bâti au niveau du ruisseau. On appelle cette source le Canal, et effectivement à la manière dont l’eau s’en échappe, il semble qu’elle y est amenée de plus loin, et que la source n’est pas l’ouvrage de la nature. Le manuscrit d’Audigier, déposé à la bibliothèque royale, et cité par Delarbre, semble confirmer cette opinion dans le passage suivant :

« La ville de Clermont ne manquait pas d’eau de source dans l’espace que contenait son enceinte, dans les faubourgs et dans son propre territoire. Ces eaux jaillissent à Fontgiève, à Fontmaure, à Chamalières, aux Roches, à Saint-André, au Champet, à Rabanesse, à Saint-Jacques, à Saint-Pierre, à Jaude, à Beaurepaire, à Saint-Mart, à Sainte-Claire, à la Garde, à Saint-Alyre, à Bien-Assis, à l’Oradoux.

» Les eaux de Fontgiève, de l’Oradoux, de Fontmaure, de Bien-Assis, de Chamalières, de Saint-André, de Rabanesse, de Saint-Jacques, sont vives et saines ; les autres sont minérales.

» Ces sources ne suffisaient pas pour la commodité des quartiers hauts de la ville, il fallut recourir aux aquéducs. L’auteur de la vie de saint Austremoine a conservé la mémoire du plus ancien de tous : il était entier, sous l’empire de Dèce, en 250, et déchargeait à Clermont tout le ruisseau d’Estoupat (c’était le lac de Servières), qui coule vers Orcival. L’aquéduc commence dans le pré Lecomte, et continue jusqu’à Fontanat, dont la source n’est que l’écoulement de l’ancien aquéduc qui s’est rompu en cet endroit. L’on observe encore ses vestiges depuis Fontanat jusqu’à Clermont. Il ne reste plus d’ouvrage de cette nature qui fût plus magnifique. Il n’était pas porté sur des arcs hors de terre, comme ceux de Nîmes. On voulut conserver la fraîcheur de l’eau en formant l’aquéduc tout-à-fait sous terre, de briques et de mastic, de trois pieds de hauteur et d’un pied et demi de largeur, en sorte qu’un homme peut y passer en se courbant.

» Les fontaines de Fontgiève, de Fontmaure, de Chamalières sont des écoulemens de cet ancien aquéduc, qui traversait toute la ville ; car, après avoir fourni le haut de la ville, il se déchargeait dans la maison d’Emeric et celle de Dumas, situées au quartier des Carmes-Mitigés, et dans la partie orientale. De là il procède qu’il paraît quelques traces de l’aquéduc dans la cave d’Emeric, et qu’il en coule quelque reste d’humeur dans ladite cave. De là il conduisait les eaux dans toute la partie orientale, ou il traversait l’enclos des Jacobins où l’on en voit des vestiges[25]. »

Ce fameux aqueduc fut détruit par Thierry, fils de Clovis, et premier roi d’Austrasie, qui mourut en 534.

Si réellement cette belle source du Canal n’est que la sortie des eaux du lac de Servières, c’est une chose bien singulière qu’on soit allé chercher des eaux aussi loin, quand on en avait plus près d’aussi abondantes.

La grande quantité d’eau qui existe dans le village de Fontanat est encore augmentée par une très-belle source, qui s’échappe dans une prairie, sur le bord du chemin. Cette source sort de plusieurs ouvertures, et l’eau arrive avec assez de force pour imprimer un mouvement continuel aux graviers qui se trouvent au fond du bassin. Sa température est de 9 degrés, et aussitôt sortie, elle s’épanche sur une herbe allongée, constamment couchée par le poids du liquide qui se répand en nappe au milieu de cette belle prairie. Plusieurs plantes aquatiques d’un beau vert annoncent, par leur balancement continuel, le mouvement des eaux du bassin, qui s’écoulent ensuite avec rapidité, et vont se réunir à celles du village.

Pour jouir de tout l’effet que produisent, ces eaux limpides, il faut, pour sortir du village, suivre le cours du ruisseau. On est arrêté par des moulins ou par des maisons bâties sur le bord de l’eau ; mais en descendant toujours on arrive dans une gorge assez pro fonde et creusée dans la lave. Plusieurs moulins qui y sont construits profitent facilement de la chute et de l’abondance des eaux ; aussi leurs roues sont petites et construites avec économie ; elles sont simplement munies de palettes sur lesquelles l’eau frappe avec force, et la pente du terrain compense suffisamment la perte de force due aux vices de construction. Le mécanicien pourrait sans peine y apporter de nombreux perfectionnemens ; mais le peintre y trouverait une foule de modèles. La simplicité de ces constructions, les détours des eaux qui arrivent tantôt par en bas, tantôt par en haut, les vannes formées par une petite planche, contre laquelle l’eau arrive avec force, et se divise en une gerbe brillante, produisent un effet difficile à décrire ; mais ce qui anime surtout le paysage, c’est le mouvement de toutes ces roues qui tournent souvent en sens contraire, et à demi cachées sous de larges touffes de verdure : elles-mêmes sont couvertes de mousses, de marchantia, et d’une foule de petites plantes qu’elles emportent dans leur mouvement de rotation, comme la terre entraîne dans sa course autour du soleil tous les objets qui se trouvent à sa surface.

Près du dernier moulin, nous rencontrâmes encore une petite source dont les eaux étaient recueillies dans une auge de pierre, et nous vîmes devant un passage très-étroit entre le mur du moulin et la lave dans laquelle cette gorge est creusée. Nous parvînmes à traverser ce passage sans nous mouiller les pieds, et nous nous trouvâmes en face du plus beau point de vue de Fontanat. Plusieurs roues tournent avec rapidité et dispersent autour d’elles la surabondance des eaux qui leur communiquent le mouvement. Ces gouttes d’eau montent, descendent, se croisent en tous sens, prenant successivement la teinte des objets environnans. Le trop-plein et plusieurs cascades en lancent encore dans les airs une nouvelle quantité, qui retombe en pluie fine sur les mousses dont les digues sont couvertes. La blancheur de ces eaux écumantes contraste avec les masses de lave noire sur lesquelles elles s’épanchent, et avec les bouquets d’arbre que l’humidité entretient dans une fraîcheur continuelle. Des blocs de rochers détachés de la vallée, et entraînés par le ruiisseau, restent amoncelés sous ces voûtes de verdure ; ils s’opposent au cours de l’eau, lui font faire mille détours, augmentent encore le bruit des cascades qui couvre en partie celui des moulins, et disparaissent sous les fougères et les fleurs.

Le point d’où l’on peut le mieux observer toutes ces jolies chutes, est une portion assez bien conservée de l’ancien aquéduc dont nous avons déjà parlé : il est construit en mastic très-solide, et reçoit les eaux qui s’échappent des moulins. À une certaine distance, il se divise en deux branches, dont l’une conduit ses eaux au midi ; elles servent bientôt à l’irrigation des belles prairies situées entre Fontanat et Royat, et l’on suit difficilement sa direction ; l’autre se dirige vers le nord, et paraît mieux conservée ; elle longe les prairies de Villars, et y répand ses eaux ; on la suit près des habitations et dans le bois qui est au-dessous de Villars ; on la rencontre encore sur la route romaine, à une petite distance de Chamalières ; mais l’eau n’y coule plus ; sa construction est partout la même ; c’est un béton très-solide qui paraît avoir été fait avec beaucoup de chaux et une certaine proportion de pouzzolane noire.

La majeure partie du ruisseau de Fontanat[26] suit la déclivité du terrain, et va arroser les belles prairies qui couvrent les pentes de la vallée jusqu’au village de Royat. Nous le laissâmes à notre droite, et après avoir suivi pendant quelques minutes la prise d’eau de l’aquéduc, nous rencontrâmes une pente très-rapide, et nous trouvâmes la route de Fontanat à Clermont. On ne doit pas s’attendre à rencontrer ici une grande route comme celle qui conduit de Clermont au puy de Dôme ; c’est simplement un chemin que peuvent fréquenter les voitures rurales, c’est-à-dire, un petit char attelé de deux vaches, et à condition de ne pas se croiser avec un semblable équipage. Lorsqu’on sort de Fontanat par cette route, sans descendre aux moulins, on voit qu’on a été obligé de percer un rocher pour ouvrir la gorge qui fermait en quelque sorte cette partie de la vallée. Le chemin y est très-étroit, et creusé dans le granité. Déjà quelques gros blocs de même nature sont dispersés dans le village, et le granite a remplacé la lave ; mais à peine étions-nous sortis de ce défilé, que nous aperçûmes à une petite distance une grande quantité de ces blocs arrondis, qui atteignaient quelquefois des dimensions considérables ; nous en vîmes le long du chemin, sur les hauteurs qui le dominent à gauche, et plusieurs de ces masses avaient roulé dans la vallée, ou s’étaient arrêtées sur ses flancs. Nous en trouvâmes plusieurs qui étaient empilées, et dont la supérieure était comme suspendue. Une autre était fendue, et les deux fragmens rapprochés n’adhéraient plus par aucun point. Nous aperçûmes sur le versant opposé des boules semblables et qui peut-être étaient encore plus grosses. Les plus belles sont auprès du parc de Solagnat. Nous suivîmes pendant long-temps ce chemin tracé sur le granite, et presque toujours bordé d’arbres du coté de la vallée. Celle-ci s’élargit insensiblement, et le chemin conservant une pente très-douce, nous éloignait de plus en plus du ruisseau dont nous entendions toujours le bruit[27].

Il est peu de vallées qui présentent autant de fraîcheur que celle-ci, et qui soient situées dans une aussi belle position. Une pelouse unie et couverte de fleurs en tapisse les flancs ; des arbres fruitiers répandent partout leur ombrage, et le bois que l’on aperçoit au loin sur le versant opposé, descend jusque sur les bords du ruisseau qui disparaît sous son feuillage. Quelques rochers nus s’élancent au milieu des arbres, et forment la crête des montagnes. Le volcan de Gravenoire élève sa cime brûlée au-dessus de la verdure, et les châtaigniers fleuris, qui ceignent sa base en forme de ceinture, ombragent encore le village de Royat, qui paraît au loin à une grande profondeur.

Pl. 3.

Lecoq Del.

Lith. de Desrosiers à Moulins.

Royat ; Vue générale en venant de Clermont. La vallée s’ouvre alors dans la Limagne, souvent couverte de vapeurs qui lui donnent l’aspect d’une mer éloignée.

Nous entrâmes bientôt sous l’ombrage de ces vieux châtaigniers ; nous traversâmes des prés-vergers arrosés par une eau limpide, émaillés par les fleurs bleues des myosotis, et les corolles dorées des renoncules. L’eau qui coulait de toutes parts entretenait ces plantes dans une fraîcheur que nous ne nous lassions pas d’admirer, et elles se développaient avec tant de vigueur qu’elles cachaient la lave de Gravenoire sur laquelle le village est bâti[28]. Des rues sales et étroites, presque toujours humides ; des maisons mal bâties, dont l’intérieur est à peine éclairé par quelques lucarnes, des escaliers extérieurs, et dont la solidité n’est pas à l’épreuve ; enfin, une église gothique[29] qui semble lutter contre la végétation qui veut s’emparer de ses ruines, tel est le spectacle que présente Royat. Nous n’étions cependant qu’à une demi-lieue de Clermont, mais nous en étions à cent lieues pour la civilisation ; le luxe était du côté de la nature, rien du côté des habitans. Resserrés dans une vallée étroite, placés au milieu d’une atmosphère froide et humide, ils sont sujets à toutes les indispositions que ces circonstances peuvent amener. Les goitres y sont plus communs que dans le reste de l’Auvergne, et les individus qui les portent sont souvent affectés de crétinisme.

Au milieu de la grande rue, nous rencontrâmes une fontaine dont l’eau coule dans un bac de pierres de Volvic. À côté, est une arcade sous laquelle nous passâmes pour gagner le fond de la vallée ; nous vîmes une croix gothique en lave sculptée, et dont le pied était couvert d’inscriptions. À droite, est l’église, remarquable par sa crypte et son architecture du moyen-âge. En face on a construit une fontaine publique dont l’eau s’écoule par quatre jets. Delà, nous descendîmes dans une gorge

Pl. 4.

Lecoq Del.

Lith. de Desrosiers à Moulins.

La Grotte de Royat lors de l'Inondation de 1835. très-étroite, creusée par le ruisseau dans la lave qui est descendue de Fontanat. Là, on est étonné de la quantité d’eau qui arrive de tous côtés ; on n’entend que le bruit des cascades. Partout la mousse s’étend en longs tapis sur les roues des moulins et couvre les masses de lave dans laquelle la vallée est creusée ; le soleil peut à peine pénétrer sous les rameaux entrelacés des noyers et de tous les arbres qui penchent sur la vallée, et les châtaigniers qui couvrent la base du Puvde Châteix, descendent jusque sur les rochers qui bordent le précipice. C’est près du ruisseau qui coule avec bruit sous cet ombrage que s’ouvre la grotte si souvent dessinée par les peintres. Sa largeur est de vingt-six pieds, sa profondeur égale sa largeur, et le point le plus élevé de la voûte au-dessus du sol est de quinze pieds. Elle fut creusée par les eaux qui jaillissent sous la lave par sept ouvertures et qui ont entraîné une partie du terrain meuble sur lequel reposait ce courant volcanique. On voit cette eau limpide sortir avec abondance du point de jonction de cette lave avec le terrain sur lequel elle s’est épanchée, et tomber en cascades qui, réunissant leurs eaux, forment le ruisseau qui sort de la grotte.

L’humidité et la température uniforme qui y règnent constamment, entretiennent à la surface de ses parois des plantes d’un vert magnifique ; on distingue surtout des marchantia, des byssus verts et roses, dont le mélange produit un effet très-agréable, et des lichens qui s’étalent sous forme de rosettes. Toute la voûte est couverte de ces petites plantes qui cachent la surface du rocher sans faire disparaître ses inégalités. De larges fissures divisent la lave sous laquelle se trouve la grotte, en masses prismatiques qui restent suspendues au-dessus de votre tête ; des touffes de verdure sortent de toutes les fentes où quelques racines peuvent pénétrer ; les longs rameaux du lierre couvrent toutes les surfaces, et la lave, qui, dans cet endroit, a plus de quarante pieds d’épaisseur, supporte des maisons et de grands arbres qui dominent toute la vallée. On a peine à croire qu’un site aussi beau ait été autrefois désert, et l’on se reporte avec peine à cette époque éloignée, où une lave incandescente descendant comme un fleuve de feu, est venue terminer son cours dans un lieu qui n’offre plus que des eaux et de la verdure. On peut cependant remonter le cours de cette lave sans la quitter un instant. À peine est-on sorti du village, qu’on entre sous les châtaigniers ; au-dessus d’eux, existent des cerisiers nains qui croissent sur le flanc du volcan, et l’on arrive bientôt au point d’éruption dont la lave est partie, et l’on ne peut plus douter de son origine, quand on marche sur des scories aussi fraîches que si le feu qui les a formées venait de s’éteindre. Royat n’existait pas alors ; la lave incandescente se refroidissait peu à peu ; les eaux, dérangées dans leur cours et réduites en vapeur, cherchèrent à se frayer une issue sous la masse qui les couvrait, et elles finirent enfin par se faire jour à travers toutes ces matières volcaniques ; la végétation s’établit ensuite sur le bord des sources. Le ruisseau de Fontanat, arrêté dans sa course, rongea peu à peu la digue qui retenait ses eaux, creusa ce beau vallon tel qu’il existe aujourd’hui, et mit à découvert ces jolies grottes où l’auteur de la Fée de Royat a trouvé le sujet d’un poème des plus élégans et des plus vrais.

Moins patient que le naturaliste, le poète n’a pas laissé au temps le soin de changer une lave brûlante en un site couvert de verdure ; une fée s’est chargée, du prodige, et l’on ne sait qui a le mieux réussi, ou de la fée dont la baguette a produit le miracle, ou du poète dont la plume l’a retracé avec autant d’élégance.

« C’est toi qui la reçus, abri mystérieux,
Grotte heureuse, aujourd’hui berceau de nos fontaines,

C’est toi qui fis couler le calme dans ses veines ;
Ta pierre s’amollit, tu te couvris de fleurs
Pour adoucir sa pose et charmer ses douleurs,

» Aux chants de mille oiseaux la vierge se réveille,
Et c’est encore l’amour qui parle à son oreille.
Triomphe, heureux vallon ! tu fis sa sûreté,
Tu recevras le prix de l’hospitalité ;
Elle veut t’enrichir, te combler sans mesure
Des biens et des attraits épars dans la nature ;
Elle veut que ces bords disent au voyageur
Que d’une enchanteresse ils ont fait le bonheur.
D’abord pour consacrer la grotte hospitalière,
Un éternel bienfait va couler de sa pierre.
Dix fois d’un doigt magique elle parle au rocher :
Le trait n’est pas plus prompt sous le doigt de l’archer ;
L’eau jaillit à grands flots ; dix sources écumantes
S’échappent en grondant de leurs prisons béantes :
Et d’un bruit si nouveau le pâtre stupéfait
Frémit d’abord, s’approche, et bénit le bienfait.

» Qui dirait les trésors apportés par ses ondes,
Les rouages criant sous leurs chutes fécondes,
Les grains qui par la meule à grand bruit écrasés,
Vont rendre la vigueur aux mortels épuisés ?
Les prés sont abreuvés, la campagne est fleurie :
La riche agriculture entretient l’industrie.
De l’orge et du houblon s’arrogeant les vertus,
L’eau va rivaliser la liqueur de Bacchus ;
Ici la noix pressée éclaire ou nourrit l’homme ;
Là le pauvre ravit son breuvage à la pomme ;
Là naissent des feuillets qui prendront une voix
Pour défendre les mœurs, la liberté, les lois.


» Suivons, suivons des yeux la baguette enchantée ;
La dette des bons cœurs n’est jamais acquittée.
Elle effleure le sable, il y naît un berceau,
Le granit le plus dur enfante un arbrisseau ;
De nuance en nuance, et d’étage en étage,
Partout brille sa grâce, ou sa fierté sauvage.
Le châtaignier pompeux lance au ciel ses rameaux,
Et le pampre enrichit et pare les coteaux.
Tu naquis sons ses pas, joli mont des Chambrettes[30] !
C’est elle qui forma ces cellules discrètes
Où viennent amoureux, poètes et buveurs,
D’un tendre enivrement savourer les douceurs.
Vieux chênes, votre gui bientôt vous fera honte ;
Tombez, cédez la place aux fruits de Cérasonte.
Vous, restez, noirs débris des volcans destructeurs,
Des désastres passés nous aimons les horreurs,
Et l’homme, ami secret du trouble et du ravage,
Jusque dans ses plaisirs en recherche l’image.

» Que vous dirai-je, enfin ? ce fortuné concours
D’accidens, ce combat des ombres et des jours,
Ces rochers suspendus sur l’amant qui soupire,
Ce séduisant gazon qui rit à soir délire,
Ces eaux qui dans leur fuite emportent ses sermens,
Ces fruits vers lui penchés pour rafraîchir ses sens,
Ces aspects tour à tour inspirant la folie,
La terreur, ou la joie, ou la mélancolie…
Voilà son grand ouvrage ; elle a déguisé l’art
Si bien que l’œil s’y trompe et rend grâce au hasard.


» Et de la Fée au loin les grâces se répandent,
Aux besoins des cités ses bontés condescendent.
Fier d’avoir étonné l’audace des Romains,
L’Auvergnat relevait sa ville et ses destins
Dans un site enchanteur, et sous des cieux prospères
Qui lui prodiguaient tout, hors les eaux salutaires.
Ses vieillards à Royat marchent en supplians.
L’indulgente beauté sourit aux cheveux blancs :
Leurs vœux sont exaucés : de son urne féconde
Partent, emprisonnés, les trésors de son onde ;
Elle les suit de l’œil, sa gracieuse main
À travers les rochers leur indique un chemin,
Et de loin leur montrant le but qui les appelle :
« Courez, légères eaux, vers la cité nouvelle,
Portez de mon pouvoir, comme de ma bonté,
L’éclatant témoignage à la postérité. »

(Reymond, dans la Fée de Royat.)


Toutes les qui eaux arrivent à Clermont, viennent effectivement de Royat, et la grotte citée par le poète est à une très-petite distance de celle dont nous avons parlé plus haut. On suit pendant quelques pas le cours du ruisseau de Fontanat ; on traverse une végétation des plus belles, qui cache, pour ainsi dire, la lave sur laquelle on marche ; ce sont des géranium, des circea, des dorines printannières auxquelles succède la balsamine sauvage, remarquable par ses tiges noueuses et transparentes, ses fleurs suspendues et l’élasticité de ses fruits qui, au moindre choc, lancent au loin les graines qu’ils renferment.

C’est à l’aspect du nord, et dirigée sur le vallon, que se trouve l’ouverture de cette grotte, également creusée par les eaux sous le même courant de lave. Elle est moins grande que l’autre ; sa profondeur est de dix-huit pieds, sa largeur de quinze, et sa hauteur de sept dans le point le plus élevé. Ici, l’art est venu au secours de la nature. Tous les filets d’eau qui sortaient par-dessous la lave, ont été amenés par des conduits dans un beau bassin. On y a même fait arriver par une route souterraine une source qui est placée au-dessus première grotte, et qui, à certaines époques y verse par un tuyau de terre que l’on voit à sa droite, la partie surabondante de ses eaux. Ces sources viennent se rendre par dix ouvertures dans un premier bassin, où elles déposent le sable et les graviers qu’elles ont entraînés, et leurs eaux réunies, versées dans un autre bassin, tombent immédiatement dans un canal qui doit les conduire à Clermont.

Ces eaux appartiennent à la ville par des titres ; mais on fut d’abord très-embarrassé pour les faire sortir de la gorge vers laquelle elles s’épanchaient, afin de leur faire prendre le chemin de Clermont. On n’y parvint qu’en les conduisant de l’autre côté de la coulée, c’est-à-dire, en leur faisant faire un trajet de plus de vingt toises sous un courant de lave, dont l’épaisseur est d’environ quarante pieds.

On trouve à ce sujet dans l’ouvrage de Delarbre des détails que leur concision nous permettra de rapporter.

« La première cession faite par le seigneur de Royat est de 1511, et la seconde est de 1661. Pierre Guichon, ingénieur de Liège, en entreprit la conduite ; Gabriel Simeoni, ingénieur, de Florence, donna le devis, indiqua les moyens de sortir les eaux de ce réservoir, de vaincre les difficultés qui paraissaient insurmontables. Il s’agissait de percer une énorme masse de basalte, très-dure et très-difficile à entamer, dans un espace de la longueur de vingt-trois toises. Il fallait creuser dans l’intérieur de ce rocher un passage couvert, haut de cinq pieds, large de quatre. Cette excavation fut commencée en 1515, et achevée en 1558 : ce travail exigea plus de quarante ans. Lorsqu’on considère la nature de ce rocher, et les dangers de cette entreprise, on ne doit pas être étonné du grand nombre d’années employées à creuser dans une masse vitrifiée très-compacte, et capable de résister aux instrumens les plus acérés.

» Ce rocher, percé d’outre en outre, on construisit à son extrémité un canal en maçonnerie d’un pied cubique, jusqu’au regard de Lussau, de la longueur de 347 toises.

» Du regard de Lussau, la conduite fut faite en tuyaux de bois jusqu’au regard Taillandier (550 toises).

» Du regard Taillandier à l’endroit le plus élevé de la ville, la conduite fut faite en poterie (597 toises). Total de la conduite, 1474 toises. »

La conduite des eaux de Royat a depuis été faite partie en tuyaux de pierre de taille, partie en tuyaux de fonte qui, malgré la pureté des eaux, s’engorgent de carbonate de chaux et d’hydrate de fer.

Arrivées au point le plus haut de la ville, les eaux montent par des tuyaux de pierre de taille dans une chambre voûtée qui tient à la salle de spectacle. Elles s’épanchent dans un beau bassin, et au moyen de robinets, on les distribue dans tous les quartiers. En cas d’incendie, un gros tuyau de décharge fait sortir toute l’eau dans la partie la plus haute de la ville, d’où on la dirige du côté où elle est nécessaire. Un embranchement porte aussi à volonté une grande masse d’eau dans la salle de spectacle,

Il paraît assez étonnant qu’on soit resté, comme le rapporte Delarbre, quarante ans à creuser la galerie qui conduit les eaux de l’autre côté de la coulée, car cette galerie n’est pas percée dans la lave, mais seulement dans le terrain qu’elle recouvre. La voûte du canal forme le sol de la galerie qui commence dans la grotte à gauche du bassin. Il faut d’abord se baisser et marcher très-incliné. On trouve à droite une petite source qui va se réunir aux autres, et bientôt après on peut se tenir debout ; la voûte de la galerie s’élève alors, et reçoit du jour à son extrémité par un soupirail élevé et étroit qui s’ouvre près d’un gros noyer, et auquel on arrive facilement de plain-pied de l’autre côté de la coulée.

Si, au moyen d’une lumière, on examine les parois de cette galerie, on y distingue des couches de sable remplies de paillettes brillantes dues à du mica et des fragmens de roches qui s’y trouvent mêlés. On y reconnaît sans peine l’ancien lit d’un ruisseau sur lequel la lave s’est épanchée. L’eau a fini par reprendre son cours, et par venir sortir au point de jonction des deux terrains ; souvent elle a miné le terrain meuble qui supporte la lave, et celle-ci restant suspendue, a formé la voûte des grottes ; car outre celles dont nous venons de parler, on en voit plusieurs autres, mais qui maintenant sont privées d’eau. On a cru jusqu’à présent, et nous l’avons supposé nous-mêmes un peu plus haut, que toutes ces eaux venaient de la montagne de Gravenoire ; mais lorsque l’on suit avec soin toute la vallée de Fontanat, on voit une coulée de lave qui en occupe la partie basse et qui vient s’arrêter à Royat, en sorte qu’une partie des eaux de la grotte vient des hauteurs du puy de Dôme, sans en exclure celles que le volcan de Gravenoire peut fournir. Il est probable cependant que la lave de la grotte ne vient pas de ce volcan, et que les eaux qu’il puise dans l’atmosphère s’échappent à Montjoli et non à Royat.

La température de ces eaux donne à peu près la moyenne annuelle de celle de l’air, et l’on voit par les différences de chaleur qui existent entre elles, qu’elles viennent de différens niveaux. Les plus élevées sont les plus froides.

Ther. centig.
Grande source de la Font-de-l’Arbre. 8,5
Fontanat, petite source près le village 8,3
Fontanat, source du canal 8,1
Fontanat, source de la prairie 9
Royat, source des grottes 11
Ces sources conservent le même degré de 6
température pendant l’hiver ; c’est du moins

que nous eûmes occasion d’observer avec M. G., quand nous visitâmes Royat pendant les grands froids du mois de décembre 1829.

Le paysage était alors bien différent de ce qu’il est pendant les belles journées du mois de mai ; ce ne fut qu’après avoir traversé des endroits recouverts de trois à quatre pieds de neige, que nous parvînmes jusqu’au vallon où se trouvent les grottes. Celles-ci ressemblaient plutôt à des cavernes volcaniques qu’à des sources d’eau froide ; des blocs de lave noire paraissaient au milieu de la neige, et les parois de la grotte étaient encore tapissés de verdure ; une vapeur épaisse sortait constamment de l’ouverture, et disparaissait bientôt dans l’air ; le ruisseau lui-même et toutes les petites sources dont les eaux se rendent dans le vallon, répandaient cette même vapeur qui ne s’élevait pas au-dessus de la coulée de lave. La cause en était dans la grande différence de température des eaux et de l’atmosphère. Le thermomètre centigrade était à 19 degrés au-dessous de 0, et les eaux étaient à 11° au-dessus ; il y avait donc une différence de 30 degrés qui produisait cette quantité de vapeurs. L’eau paraissait chaude lorsqu’on y plongeait la main, et la neige fondait sur son passage ; la vallée était plus intéressante que dans les beaux jours d’été. Quelques moulins essayaient encore de tourner ; l’eau qu’ils dispersaient retombait congelée autour d’eux ; les mousses dont les roues étaient couvertes se trouvaient enchâssées dans la glace. Celle-ci augmentait toujours, s’attachait aux murs et à tous les parois, et arrêtait bientôt la roue qui se trouvait serrée entre deux masses de glace. Les stalactites se formaient alors avec une rapidité étonnante ; des touffes d’herbe sèches ou quelques mousses allongées leur servaient de centre ; les roues, les vannes et le toit des maisons en étaient garnis, et la surface de l’eau qu’elles atteignaient bientôt, était la seule limite de leur accroissement. Il est impossible de se figurer un plus beau spectacle que celui que présentaient alors les environs de la grotte. Les cascades tombaient sur des masses de glace formées par l’eau qui jaillissait. Celle-ci recouvrait tous les corps voisins, se moulait sur leurs formes, et les couvrait d’une enveloppe transparente : on remarquait surtout un lierre attaché sur la lave, et dont les feuilles constamment humectées avaient chacune une enveloppe transparente, à travers laquelle on voyait la seule verdure de la vallée.

En face, on apercevait encore de longues stalactites de glace, produites par des suintemens qui sortaient de la lave, et plusieurs d’entre elles atteignaient sept à huit pieds de haut. La vapeur qui s’élevait en abondance s’attachait bientôt aux branches sèches des arbres et des buissons ; un givre soyeux s’y déposait lentement, augmentait tous les jours, tombait au moindre vent, se renouvelait encore et résistait au soleil, dont quelques rayons pénétraient obliquement dans la vallée. Royat était couvert de neige, et son église gothique élevait, comme un signe de l’éternité, la guirlande de lierre qui couronne ses ruines. Le puy de Dôme, d’un blanc éclatant, se détachait au loin du ciel le plus pur, et le soleil qui finissait sa course, répandait encore sur la Limagne une clarté dont la vue ne pouvait supporter l’éclat.

Depuis cette époque, Royat a été le théâtre d’un événement désastreux ; onze personnes y ont perdu la vie, entraînées par le torrent, avec les débris des nombreuses usines que nous venions de visiter. Ce malheur arriva le le 16 juillet 1855. Le matin, un soleil brûlant éclairait l’Auvergne ; mais les arbres de Royat, déjà couverts de leurs feuilles, arrêtaient ses rayons ; l’ombre et la fraîcheur régnaient sous ses vieux châtaigniers, dans ses profonds vallons. L’eau ruisselait limpide et pure sur la lave et sur les fleurs ; le bruit des moulins se faisait entendre, et les oiseaux chantaient sur le bord du ruisseau. Les habitans de la vallée, confians dans un si beau jour, s’étaient dispersés et vaquaient aux travaux des champs, tandis que de nombreux promeneurs quittaient la ville et venaient à Royat contempler la nature dans toute sa magnificence.

À une heure, un vent léger vient agiter les branches des châtaigniers séculaires qui couvrent les coteaux de Royat ; quelques traînées de poussière s’élèvent en tourbillonnant, puis un nuage d’un gris foncé se forme avec une étonnante rapidité. Il s’étend, se colore et s’avance poussé par un vent plus violent qui le dirige bientôt au-dessus de la vallée. Un éclair affreux illumine son immense étendue et fait voir sa dimension menaçante, et les montagnes d’eau que l’attraction électrique retient suspendues à sa surface. Le tonnerre éclate, puis un silence effrayant prélude à la tempête.

Pendant que le soleil éclairait encore les autres points de l’Auvergne, Royat, plongé dans les ténèbres, disparaît entièrement. Les dentelures du nuage s’étaient allongées, ses énormes protubérances s’étaient ouvertes, et des torrens d’eau s’en échappaient avec une telle abondance, qu’il fut impossible aux malheureux habitans de prendre la moindre précaution. Ceux qui étaient dans les champs ne purent joindre le village, et ceux qui ne l’avaient pas quitté se réfugiaient promptement dans leurs habitations. Bientôt on entendit un bruit lointain dont il était facile de deviner la cause. La belle vallée de Fontanat était inondée et de vieux arbres, arrachés par la violence des eaux, venaient augmenter la puissance du torrent qui descendait sur le village. Le premier choc fut terrible, mais malheureusement des constructions le soutinrent. Un pont solide, placé à l’entrée du village, résista aux vieux troncs qui vinrent le frapper et au courant qui les chariait. En un instant des arbres tout entiers arrivèrent et formèrent en quelques minutes une digue puissante qui fit refluer le ruisseau. Mais enfin, cédant à la masse, le pont s’écroula, et le torrent, surmontant tous les obstacles et frappant avec tous ses débris, balaya cette belle vallée si riante et si pittoresque une heure auparavant. Rien ne put résister ; les constructions les plus solides, les digues les plus massives, les moulins, les maisons, tout fut entraîné. Les malheureux habitans n’eurent pas le temps de fuir, et les cadavres meurtris flottaient aux yeux de leurs parens et de leurs amis, dont les cris déchirans ne pouvaient les secourir. Chamalières et une partie de Clermont furent atteints par le même fléau, et ce ne fut que dans la soirée que l’on put commencer à chercher les morts. C’est alors que l’on vit tout ce que l’événement avait d’affreux. Les cadavres étaient ensevelis sous de puissans troncs d’arbres, ou arrêtés par leurs vêtemens dans leurs branches déchirées ; de pauvres enfans tenaient encore leur mère ; long-temps elle avait lutté contre la mort, se soutenant à une croisée et protégeant sa famille, mais la maison fut emportée par l’eau et leur servit de cercueil. Le désespoir était à son comble ; le père des malheureux enfans qui venaient de périr arriva bientôt après et cherchait inutilement sa maison et sa famille. Il ne pouvait croire qu’il avait été si cruellement frappé, il craignait de se tromper et cherchait ailleurs une habitation qu’il ne devait plus retrouver. Les bestiaux attachés dans les étables avaient inutilement mugi ; en vain ils avaient brisé les liens qui les retenaient, leurs corps flottaient avec ceux de leurs maîtres. Royal n’était plus qu’un vaste amas de ruines ; d’énormes blocs de lave et de granite cachaient les rouages de ces nombreux moulins que l’eau venait d’emmener. La mousse qui les couvrait, le lierre qui s’étendait en festons sur les vieilles murailles, tout avait disparu. Que la nuit qui succéda à ce jour de désastre fut affreuse ! De malheureux orphelins, errant sur le bord du ruisseau, appelaient leurs mères qui ne répondaient plus ; des bestiaux, échappés par instinct, cherchaient l’étable où ils étaient nourris, et à la lueur de quelques torches, le vénérable curé de Royat, aidé de personnes dévouées, cherchait dans la fange du torrent les cadavres qu’il renfermait encore. Son presbytère devint une salle de morts et un asile pour les vivans. Sa charité ne se ralentit pas un instant, et il ne prit du repos qu’après avoir rendu à toutes ces victimes les derniers devoirs que tout homme a droit d’attendre d’un véritable prêtre.

Le lendemain, toute la ville de Clermont vint sur les lieux, mais on ne reconnaissait plus Royat. Quelques filets d’eau bourbeuse avaient pris la place du ruisseau si limpide et si pur ; la verdure était anéantie sur le bord de l’eau ; à peine si quelques portions des moulins qui encombraient la vallée était encore debout, et l’on remarquait surtout une chambre et un lit près duquel était une branche de buis bénit. Toutes les personnes de la maison avaient péri en cherchant à fuir ; leur salut dépendait de leur résignation.

Chacun traversait Royat au milieu des pleurs, et des ruines de toute espèce. La charité fut grande, mais le malheur la dépassait encore. Nous avons tous donné pour soulager une si grande infortune, et vous qui peut-être lirez ces lignes sur les lieux mêmes qui les ont inspirées, croyez à leur vérité, et si quelque malheureux vient implorer votre bonté, ne le repoussez pas, car le secours qu’il vous demande, il en a besoin, et le plaisir de faire le bien vous l’aurait fait doubler, si vous aviez été témoin de ce triste spectacle.

En face des grottes, s’élève une petite montagne toute couverte de châtaigniers, de noyers, de cerisiers nains, et sur laquelle on cultive aussi la vigne ; c’est le puy de Châteix. Nous l’avions visité avant de descendre aux grottes. En descendant de Fontanat, nous avions atteint ce monticule, et avant d’y parvenir, nous avions remarqué les traces d’un aquéduc qui commence le long de la côte de Villars et qui continue jusqu’au puy de Châteix. Il est creusé dans le granite à une profondeur de huit à neuf pouces ; il est large d’un pied environ, et placé à la surface du sol. Cet aquéduc fut fait au commencement du sixième siècle, et ses eaux, dirigées de Chàteix à Chamalières, arrivaient ensuite à Clermont dans des tuyaux de bois.

D’après ce que rapporte Delarbre, Didier, évêque de Cahors, se trouva à Clermont lorsqu’on y travaillait. Charmé du succès de cette entreprise, il écrivit à Césaire, évêque de la ville d’Auvergne, pour le prier de lui envoyer les ouvriers qu’il avait employés, la ville de Cahors se trouvant dans la nécessité de se procurer de l’eau. Or, comme Césaire mourut en 649, et qu’il fallut nécessairement un certain nombre d’années pour creuser cet aquéduc, il est à peu près certain qu’il date des premières années du sixième siècle.

Une partie de ces eaux arrivait presqu’au sommet du monticule, dans une forteresse[31] qu’y avait fait bâtir Waipher, duc d’Aquitaine, qui était aussi en possession du château de Montrodeix.

Ni l’un ni l’autre de ces châteaux forts ne résistèrent à la fureur de Pépin, et la forteresse disparut du sommet de Châteix. L’aquédue fut détruit en plusieurs endroits, et ses eaux s’épanchant sur les pentes arides de la vallée de Villars, contribuèrent à y développer les belles prairies qui les couvrent aujourd’hui.

À mi-côte de ce monticule, et du côté du moulin de l’hospice, qui semble fermer dans cet endroit la vallée de Royat, on rencontre dans une argile jaunâtre des grains de blé, de seigle, des pois, des haricots, etc., qui sont charbonnés et souvent mélangés avec des morceaux de charbon de bois. Le nom de greniers de César, dont on fait honneur à cette localité, ne manque pas d’y attirer une foule de curieux qui y ramassent quelques grains ou qui en achètent aux enfans du village. La position des lieux fait présumer que ces grains appartenaient à la forteresse qui était construite au sommet ; que les greniers qui les contenaient furent incendiés, et que les grains brûlés, entraînés par les pluies, peuvent aujourd’hui prouver, non la présence de César, mais celle de Pépin et de ses guerres sanglantes avec le duc d’Aquitaine.

L’histoire seule a conservé le souvenir de cette forteresse, ses ruines mêmes n’existent plus ; et si le sommet de Châteix n’offre plus rien à l’antiquaire, il présente du moins un point de vue magnifique. Le village de Royat est tout entier à vos pieds, et ses maisons resserrées dans une gorge étroite, ombragées par de vieux châtaigniers, cachent ; presque partout les moulins et les chutes d’eau, dont le bruit vient frapper votre oreille. De là, on suit le cours de cette lave qui, descendant de Fontanat, est venue s’arrêter au pied de Chàteix, et au milieu de laquelle le ruisseau s’est creusé un profond ravin. Partout des bouquets d’arbres cachent les précipices, et laissent quelquefois entrevoir les eaux sous leur feuillage ; ailleurs, ils contrastent avec l’aridité de la lave, dont les blocs amoncelés s’élèvent encore au-dessus d’eux. Enfin, Clermont, la Limagne et tous les monticules dont elle est couverte, s’abaissent à mesure qu’ils s’éloignent, et se confondent à l’horizon.

Si celui qui contemple ce paysage, aime à se rendre compte des révolutions qu’a éprouvées notre globe, il ne quittera pas Châteix sans jeter un coup d’œil sur sa structure.

Placé sur le bord de la Limagne, son pied était autrefois caché sous les eaux du lac, et sa partie supérieure, adossée aux montagnes granitiques, dominait la surface du Léman d’Auvergne. On peut, en effet, en partant du point où Châteix tient aux autres montagnes, et en descendant jusque dans la plaine, connaître la nature des bords du bassin de la Limagne. Au granité à gros grains succèdent dès grès qui paraissent cristallisés, et qui passent, par nuances insensibles, au granite auquel ils sont adossés. C’est à ces grès que M. Brongniart a donné le nom d’arkoses. Ils sont très-variés sur la montagne de Châteix ; tantôt très-compacts, tantôt plus friables, ils sont riches en felspath, et présentent parfois l’apparence de porphyres terreux. Un filon puissant vient affleurer et former le sommet du puy. Il est composé de fragmens de ce même grès, liés par un ciment d’oxide de fer et de chaux carbonatée (i). Nous y vîmes des veines de sulfate baryte en cristaux très-réguliers et d’une teinté jaunâtre. Enfin, en descendant, les grès deviennent plus terreux ; quelques couches ne paraissent plus que des sables agglutinés. Si on descend vers Chamalières, on trouve une portion de ces grès pénétrée de bitume, et enfin, quand on arrive dans la plaine, ils sont recouverts par des marnes calcaires qui furent déposées par les eaux de la Limagne. Ainsi Châteix offre la série des dépôts qui se sont successivement recouverts en s’adossant tou-

[32] jours aux montagnes granitiques qui forment les bords du bassin de la Limaane.

En descendant de Châteix, du côté de la vallée de Royat, nous arrivâmes au moulin des hospices, qui barre la vallée, et qu’il fallut traverser pour en sortir. C’est le premier moulin de ce genre qui fut construit dans les environs de Clermont, et son mécanisme contraste singulièrement avec celui des moulins à farine que l’on rencontre plus haut dans la vallée.

À peine avions-nous traversé ce moulin, que nous étions à Saint-Mart, lieu qui tire son nom d’une ancienne chapelle rurale, bâtie au sixième siècle par saint Mart, qui y mourut et y fut inhumé.

En cotoyant le ruisseau, nous trouvâmes plusieurs masses de pierre calcaire qui sont dues à des eaux minérales qui s’échappaient du pied de la montagne de Châteix.

Plusieurs de ces sources existent encore ; mais elles déposent plus qu’un peu d’oxide de fer qui colore en jaune le sol sur lequel les eaux s’épanchent. Une d’elles, plus considérable que les autres, alimente un établissement thermal, dont l’inspection est confiée à M. le docteur Lizet. La source est abondante ; sa température est d’environ 25 degrés ; elle renferme du muriate et du sufalte de soude, des carbonates de chaux et de magnésie, de la silice et de l’oxide de fer. Il s’en dégage avec bruit une grande quantité d’acide carbonique qui contient toujours un peu d’azote.

La propriété de ces eaux, et la petite distance d’un quart de lieue qui les sépare de la ville, y attirent tous les ans un assez grand nombre de malades et de curieux.

Le chemin qu’on suit pour y arriver est bordé par des saules qui ombragent un ruisseau d’eau vive. La renoncule flottante et la fontinale s’y développent en longs rameaux qui suivent le mouvement des eaux. Une herbe longue et épaisse couvre le sol des vergers arrosés par ce ruisseau. Nous passâmes devant le parc de Montjoly où se termine la coulée de lave de Gravenoire, et où elle forme des grottes mephytiques, qui doivent cette propriété à l’acide carbonique qui s’y dégage, et après avoir traversé de beaux jardins maraichers, nous entrâmes à Clermont par la barrière de Jaude. Nous aurions pu abandonner la route en sortant de Saint-Mart, et monter, en face des bains, un chemin dont la pente rapide conduit en quelques instans à la partie supérieure du courant de lave. Un éboulement, au bas duquel le chemin est tracé, permet de reconnaître l’épaisseur de ce courant. On voit la lave enveloppée de scories qui souvent se réduisent en cendres à la partie inférieure de la coulée, et qui, à sa partie supérieure, servent de supports à des touffes de végétaux qui couvrent les bords du précipice. On y distingue la saxifrage hypnoïde, commune au puy de Dôme, et qui est descendue, dans cet endroit, presqu’au niveau de la Limagne. On y voit aussi le sedum dasiphyllum à une élévation bien moindre que celle à laquelle on le rencontre dans les Alpes. Il est surtout commun le long des murs, où la couleur glauque de ses feuilles contraste avec le vert soyeux des mousses au milieu desquelles il végète.

Lorsqu’on arrive au sommet de ce chemin, on est près du regard de Lussau, espèce de cabane carrée dans laquelle on entend couler de l’eau. C’est un bassin où arrivent les eaux de Royat ; mais comme ce bassin reçoit pendant l’été plus d’eau que les tuyaux qui en partent n’en peuvent conduire à Clermont, on voit à côté une fontaine qui n’en est que le trop-plein, et qui ne coule que lorsque les eaux sont abondantes.

On est alors sur la coulée de lave de Gravenoire, dont la surface cultivée est couverte de vignes. Un chemin qui les traverse conduit directement à Clermont, que l’on voit en face de soi ; mais, à une certaine distance du regard de Lussau, on abandonne la coulée, et, passant au pied de quelques noyers, on descend dans un chemin creux, bordé des deux côtés de rochers inclinés, sous lesquels on a pratiqué des excavations irrégulières. On nomme cet endroit le Chemin des Voûtes, et les cavités que l’on y voit sont creusées journellement par des personnes qui viennent y chercher du sable, ou enlever des blocs de pierre pour en garnir des fours. Cette roche est en effet très réfractaire : sa nature est la même que celle du puy de Châteix, dont elle n’était sans doute qu’une prolongation, et dont elle fut séparée par les eaux qui creusèrent la vallée de Royat où la lave de Gravenoire vint ensuite s’épancher.

Ce grès est cependant bien moins compacte que celui qui forme Châteix ; il se décompose facilement, et souvent même assez complètement pour se transformer en sable grossier. Il se forme continuellement à sa surface des efflorescences d’alun et de sulfate de fer, et ces sels couvrent la roche de croûtes assez épaisses, dans tous les lieux où les parties supérieures garantissent de la pluie celles qui sont au-dessous.

Le chemin des Voûtes conduit dans la plaine du Salin, aujourd’hui couverte de jardins potagers, et sillonnée par une foule de rigoles d’irrigation pour les légumes que l’on y cultive en abondance. La route qui la traverse a été plantée, il y a deux ans, de peupliers très-rapprochés, qui commencent à l’ombrager. Chaque rangée d’arbres est placée sur le bord d’un fossé ordinairement rempli d’eau saumâtre, et à travers laquelle on voit se dégager des bulles d’acide carbonique, qui viennent crever à la surface.

Tout porte à croire que d’anciennes sources minérales existaient dans cette plaine. Le glaux maritimale, le poa maritima, le scirpus maritimus et plusieurs autres plantes fréquentes sur le bord de la mer, mais inconnues dans l’intérieur des terres, s’y développent avec abondance. Leur vigueur annonce un sol chargé de matières salines qui ne contribuent pas peu, avec l’acide carbonique qui se dégage des fissures du terrain, à entretenir la belle végétation et les riches jardins potagers qui en couvrent la surface. La fontaine de Jaude est restée comme un témoin de ces anciennes sources. On la rencontre en entrant à Clermont. Ses eaux jouissent d’une certaine réputation : on vient les boire pendant les belles matinées du mois de mai. Leur température est de 18 degrés, et à peine sorties de leur source, elles laissent déposer une partie de l’oxide de fer dont elles sont chargées.

Nous venons de tracer l’esquisse d’une simple promenade aux environs de Clermont. Un jour suffit sans doute pour arriver au puy de Pariou par la grande route, pour voir son cratère, gagner le petit puy de Dôme, atteindre le sommet du grand, et redescendre ensuite jusqu’à Clermont en suivant la pente de la vallée de Fontanat et Royat ; mais il ne faut pas compter faire soi-même toutes les observations contenues dans cet itinéraire ; il faudrait pour cela faire ce petit voyage à plusieurs reprises et dans des saisons différentes ; il faudrait être accompagné d’une personne qui connaisse parfaitement toutes les localités ; et l’intérêt qu’elles présentent est d’ailleurs subordonné au genre d’étude auquel on s’adonne.

Ces considérations cependant ne doivent pas arrêter ; il est une foule de détails qu’une description ne peut saisir, et qui peuvent vivement intéresser. Quelque exact que soit un itinéraire, il ne peut en donner une idée ; mais ceux qui pourront lentement parcourir l’Auvergne, ceux qui pourront visiter plusieurs fois les mêmes lieux, les verront toujours avec un nouveau plaisir, et seront bientôt convaincus que, sous le rapport de l’ensemble, il n’est aucune contrée qui soit plus digne d’un observateur.

FIN.

    quelques restes de l’ancien monastère, au-dessus de la lave sous laquelle la grotte est creusée.

  1. La distance de la place de Jaude, à Clermont, au sommet du puy de Dôme, est, d’après les observations de Cassini, de 4,634 toises ; celle du sommet de cette montagne au mont Dore est d’environ 15,000 toises.
  2. On trouve dans quelques ouvrages anciens, et notamment dans le manuscrit de M. Ordinaire, le petit puy de Dôme désigné sous le nom de Domet.
  3. On trouve dans les ouvrages anciens le puy de Dôme désigné sous les noms de Dumum, Duma, Podium dumense.
  4. Nous avons donné, dans un article spécial, la description du puy de Pariou, de son cratère et de sa coulée de lave.
  5. Voyez la description de Gravenoire, Annales scientifiques, industr. et statistiques de l’Auvergne, t. 1er, page 305.
  6. Il y a quelques années on pouvait arriver au sommet du puy de Dôme par deux chemins que l’on aperçoit encore, mais dont on perd la trace de temps en temps. L’un est au midi, et s’appelle Besassa ; l’autre est au nord, et se nomme les Gravouses. On pouvait alors monter à cheval jusqu’au sommet de la montagne, tandis que maintenant on ne peut guère dépasser le sommet du petit puy de Dôme.
  7. Ce courant de lave est le plus considérable de toute la chaîne. Nous consacrerons un article spécial à sa description, ainsi qu’à celle du puy dont il est sorti.
  8. Son élévation au-dessus du niveau de la mer est de 1,468 m.
  9. Une vieille tradition rapporte que sur ce sommet se tenait, deux fois la semaine, l’assemblée générale des sorciers et sorcières de France, et assuré que le premier jour de l’an, à minuit, elles y donnaient un grand festin, où elles mangaient un tigre rôti et lardé de clous de charrette.
  10. Si l’on n’a pas de baromètre à sa disposition, on peut répéter l’expérience avec une vessie que l’on n’emplit d’air qu’aux trois quarts, et qui se trouve entièrement pleine quand on arrive au sommet de la montagne. En descendant, l’air reprend son état naturel.
  11. Nivellement barométrique des monts Dores et des monts Dômes, page 85.
  12. On amène ces genêts à Clermont, où ils servent au chauffage des fours de boulangers. Ils donnent une cendre très-riche en potasse, et qui est vendue pour la fabrication du salpêtre.
  13. Le puy de Dôme, vu d’un certain éloignement, ressemble un peu au Vésuve, quoique cependant cette dernière montagne ait bien plus d’analogie avec le puy Chopine, qui est entouré par le puy des Gouttes, comme le Vésuve l’est par le mont Somma.
  14. Essai sur la théorie des volcans d’Auvergne.
  15. Essai sur la théorie des volcans, page 61.
    M. de Montlosier fonde principalement sa théorie de la formation du puy de Dôme sur la présente des fragmens de roches scorifiées qu’il a d’abord observées dans les carrières du puy de Clierzou, et ensuite dans les autres montagnes de même nature. Ces fragmens sont empâtés dans la roche même. Il appuie encore son hypothèse de la présence des pierres ponces au sommet du puy de Clierzou. M. de Montlosier résume ainsi sa théorie, en comparant le puy de Dôme aux volcans modernes qui l’avoisinent :
    « La seule différence est que ces autres montagnes ont produit souvent des courans immenses de lave, au lieu que le puy de Dôme et les autres montagnes de la même classe n’en ont fourni aucun. Côme, par exemple, a inondé de la sienne un pays de près de huit lieues de circonférence : en partant du moment où la matière de cette lave commençait à être travaillée dans les cavités de la montagne, si l’on suppose que cette matière fut parvenue à un certain état de trituration et comme de dissolution, sans pouvoir être frappée d’un coup de feu assez fort pour arriver à l’état de fusion et de lave, et que néanmoins la force expansive du volcan eût été assez puissante pour la soulever toute entière dans cet état de pulvérulence, Côme porterait aujourd’hui sur lui-même cette masse énorme qu’il a répandue comme un torrent dans les plaines. On doit croire qu’une quantité aussi considérable de matières ajoutée à sa masse lui donnerait une élévation et une stature prodigieusement différente. Telle me paraît la théorie du puy de Dôme, qui porte seulement sur sa cime et sur lui-même les matières énormes dont les autres volcans se sont déchargés en lave. » (Essai sur la théorie des volcans, page 63.)
  16. Il resterait à prouver que l’Océan a couvert l’Auvergne, et comment il a pu détruire ce volcan sans entraîner ses produits,
  17. Nivellement barométrique des monts Dores et des monts Dômes.
  18. Tome 1, page 64.
  19. Année 1829.
  20. L’opinion qui tend à faire considérer le domite comme un tuf ponceux, et non comme un trachyte, est fortement appuyée par la présence d’une assez grande quantité de charbon de bois qui a été trouvée en creusant les fossés du chemin d’Alagnat qui passe le flanc méridional du puy.
  21. La roche du puy de Dôme commence à être l’objet d’une exploitation. On en fait des filtres pour les vins, les huiles, les vinaigres : on la scie et on la débite en dalles de toutes épaisseurs. Elle prend facilement l’émail, résiste au feu, et s’emploie avec beaucoup d’avantages pour garnir l’intérieur des fours et des fournaux, dans lesquels la chaleur ne doit pas être trop forte. M. Ledru, architecte de la ville de Clermont-Ferrand, a publié sur l’emploi de cette roche, un prospectus très-détaillé, et l’a fait exploiter au puy de Sarcouy, qui étant de même nature et d’un accès plus facile, présente plus d’avantage.
  22. On peut en voir deux groupes magnifiques dans le Cabinet minéralogie de la ville de Clermont-Ferrand ; ils ont été recueillis au nord du puy, à environ deux cent cinquante mètres au-dessus de l’élévation du petit puy de Dôme.
  23. Ramond s’exprime ainsi relativement au chapeau du puy de Dôme (Nivellement barométrique des monts Dores et des monts Dômes, page 87.) :
    « Le puy de Dôme se coiffe quelquefois, et même par les plus beaux temps, d’un petit chapeau de vapeurs très-différent des nuages qui s’arrêtent habituellement à sa cime. La forme de ce chapeau est régulièrement convexe, son contour circulaire ; il a toujours une demi-transparence ; ses bords vont en s’amincissant, et se perdent insensiblement dans l’air ambiant. On n’observe ce phénomène que sur les montagnes très-dominantes et isolées. Il y a long-temps qu’on l’a remarqué au mont Pilate, dont le sommet se voit de Lucerne et le domine, et cette montagne en a pris son nom, mons Pileatus. Je l’ai souvent observé aussi à la cime du pic du midi de Bagnères ; et dans le nombre des noms qu’il a anciennement portés, je trouve celui de Pic Peylade. On comprend sans peine comment ce petit nuage se forme ; c’est l’humidité de l’atmosphère que l’absorption de la chaleur condense autour du sommet, quand la température de celui-ci est inférieure à celle de la couche d’air dont il est environné. »
  24. Outre le Chuquet-Genestoux, on voit encore au pied du puy de Dôme plusieurs points d’éruption très-remarquables. Quelques courans de lave se sont fait jour tout autour de cette lourde masse, qui s’est opposée à leur émission en un seul point. Dans certains endroits on distingue très-bien l’origine de ces laves, aux petits boutons scorifiés, qui sont placés en tête des courans ; mais, en d’autres lieux, il est très-difficile de rattacher les coulées morcelées qui couvrent la plaine qui s’étend de la base du puy de Dôme à Prudelles d’un côté et à Laschamps de l’autre. En étudiant celle plaine avec soin} on y voit une série d’éruptions successives, dont les laves se sont accumulées, et l’on y distingue aussi quelques vastes cratères qui appartiennent à une volcanisation antérieure, et qui ne deviennent sensibles pour l’observateur, que lorsqu’il est placé vers la moitié de la hauteur du puy de Dôme.
  25. Delarbre, Notice sur l’ancien royaume des Auvergnats, p. 109,
  26. Ce ruisseau est nommé dans les plus anciens titres Scatéon, mot grec qui signifie conduit souterrain, petit ruisseau sous terre. Cette dénomination paraît bien indiquer son origine. Ce ruisseau Scatéon est divisé en deux bras au-dessus de Chamalières : celui du nord est appelé Tiretaine ou Beda ; celui du midi, Artier.
    (Delarbre, Notice sur l’ancien royaume des Auvergnats, p. 112.)
  27. Les personnes qui s’occupent de géologie, feront bien d’aller de Fontanat au Cheix, hameau qui en est situé à une petite distance. Elles y verront un cirque granitique d’une grande beauté. C’est au Cheix même qu’il faut se placer pour en voir l’ensemble. C’est là aussi que se trouve une des échancrures de ce cratère ancien. La lave de Pariou y pénétra par cette ouverture, et forma un lac de matière fondue, qui occupait la partie la plus basse, où elle s’est figée, et où elle forme aujourd’hui la chère de Villars. Lorsque le bassin de lave eût acquis un certain niveau, il se déversa par une autre échancrure dans la vallée de Villars, où la lave descendit en cascades de feu. Ce cirque devait être déjà en partie comblé quand la lave y descendit. On ne remarque sur ses bords aucune trace de volcanisation, car toutes les pouzzolanes qui y sont accumulées proviennent de l’éruption de Pariou. C’est donc un de ces cirques d’explosion, comme il semble en exister un si grand nombre à la surface de la terre, et comme nous en avons plusieurs en Auvergne dans les terrains évidemment volcaniques. Ces derniers ont été transformés en lacs profonds, tandis qu’ici la lave a pris la place de l’eau, et s’est rassemblée dans le fond du bassin.
  28. Royat doit son origine à un monastère de l’ordre de saint Benoît, qui s’y établit au sixième siècle. Le sol couvert de broussailles et de buissons (rubi, d’où dérive le nom latin de ce village, Rubiacum, Rubiac, Royat), fut défriché et cultivé par les religieux, qui y attirèrent quelques familles à qui ils cédèrent quelques fonds ; la population s’accrut, il s’y forma une paroisse.
    Il y a environ cent ans que de Clermont on ne voyait pas ce village, qui aujourd’hui est à découvert et se voit dans toute son étendue. — En 1356, il fut en partie détruit par un grand incendie, qui eut lieu à la fin du mois d’août, vers les huit heures du soir. (Delarbre).
  29. Cette église fut bâtie au septième siècle. On voit encore autour
  30. C’est le nom local de cette belle colline.
  31. Il est probable que la montagne tire son étymologie de cet ancien château. On l’appelle indistinctement Chateix, Châté, Châtel. Son château portait le nom de Castrum Veiferi.
  32. A peu près dans la direction de ce filon, et à environ 600 pas au midi du village, on voit dans un ravin appelé la Mine, un filon assez puissant de sufalte de baryte blanc contenant des indices de galène à moyennes facettes.