Introduction historique et critique aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament/Tome I/Chapitre 2/Article 2/Question III/1

PREMIÈRE PROPOSITION.
La simple assistance n’a suffi aux auteurs sacrés dans aucune partie de leurs ouvrages.

1. Quand les écrivains sacrés et les pères de l’Eglise ont parlé du secours surnaturel qui a aidé les auteurs de l’Ecriture dans la composition de leurs ouvrages, ils ont appliqué ce secours à l’Ecriture en général, sans faire la moindre restriction, sans excepter la plus légère partie. Ainsi, quand Jésus-Christ et les apôtres ont appelé l’Ancien Testament Loi divine, Ecriture divine, oracles de l’Esprit saint ; quand tous les docteurs de la religion chrétienne, en parlant de l’Ancien et du Nouveau Testament, n’ont cessé de répéter que les Ecritures étaient les instruments, les organes du Saint-Esprit, des plumes de l’Esprit divin, des cordes mues par un divin archet, ils n’ont établi aucune distinction, ni entre les différents livres dont se compose le corps sacré des Ecritures, ni dans aucune partie quelconque de ces livres. Enfin, quand saint Paul a déclaré lui-même que toute l’Ecriture est divinement inspirée ; quand la tradition, fidèle interprète des sentiments du grand Apôtre, n’a jamais donné lieu à restreindre l’inspiration à certaines portions plus ou moins considérables de l’Ecriture, il y a, ce nous semble, bien de la hardiesse et de la témérité à vouloir se contenter dans quelques parties de la simple assistance de l’Esprit saint. Cela ne serait permis qu’autant que la simple assistance remplirait les conditions de l’inspiration proprement dite ; car évidemment nous n’avons aucun droit d’admettre une espèce de secours qui ne remplirait point la force et l’énergie des termes employés par les écrivains sacrés, et qui ne répondrait nullement aux sentiments et aux expressions des pères. Or, la simple assistance, sous quelque rapport qu’on l’envisage, est inférieure à l’inspiration, puisqu’elle a pour but unique de diriger l’entendement de l’écrivain sacré dans l’usage de ses facultés, de telle sorte qu’il ne commette aucune erreur, tandis que l’inspiration influant de plus sur sa volonté, le pousse et le détermine à écrire. Ainsi, dans la simple assistance, c’est l’écrivain qui s’est déterminé à écrire librement et indépendamment de tout secours surnaturel, tandis que dans l’inspi- ration, c’est Esprit saint lui-même qui est l’auteur de sa détermination. Voici une autre différence non moins frappante. Dans l’inspiration, Dieu dicte ou suggère à l’écrivain sacré qu’il anime de son souffle divin (c’est l’expression dont s’est servi saint Paul, θεόπνευστος) au moins le fond de ce qu’il doit dire, et le conduit de telle manière que non-seulement il ne peut tomber dans la moindre erreur ou la plus légère surprise, mais que tout ce qu’il écrit est la pure parole de Dieu, et a Dieu pour auteur ; mais dans la simple assistance, l’Esprit saint ne dicte rien, ne suggère rien : il empêche seulement que l’écrivain qui en est favorisé ne fasse un mauvais usage de ses lumières. Ainsi c’est moins une illumination de l’entendement qu’un secours externe de providence qui veille à ce que l’écrivain ne tombe dans aucune erreur ; de sorte qu’avec ce seul secours, tout ce qu’il dit reste sa propre parole ; parole infaillible, il est vrai, mais qui n’a que l’homme pour auteur.

2. S’il y avait dans l’Ecriture des endroits composés sous la simple assistance, il y aurait donc des parties qui seraient inspirées et d’autres qui ne le seraient pas, et qui par conséquent ne pourraient pas être dites la parole de Dieu, et seraient tout simplement des paroles humaines : or ce mélange de paroles de Dieu et de paroles humaines, loin de trouver le moindre fondement dans les auteurs sacrés et dans la tradition, se trouve en opposition formelle avec ces deux autorités, qui affirment expressément que toute l’Ecriture a été divinement inspirée, et que toute entière elle est la parole de Dieu.

3. Si dans la composition de leurs ouvrages les écrivains sacrés n’avaient eu pour tout secours que la simple assistance, quelle différence mettrait-on entre leurs écrits et les décisions des conciles œcuméniques ? Cependant la tradition et l’Eglise elle-même en reconnaissent une immense. Les Ecritures sont à leurs yeux la parole de Dieu même, tandis qu’elles ne regardent les décrets de ces conciles que comme l’explication purement humaine, quoique infaillible, de cette divine parole.

4. Si la simple assistance ne suffit pas pour qu’un ouvrage soit réputé Ecriture sainte, il ne peut, à plus forte raison, devenir la parole de Dieu, quand il a été composé sans ce secours et par une industrie toute humaine. L’Eglise, assistée elle-même par le Saint-Esprit, ne peut déclarer par ses décisions que ce qui a été fait ; et il n’est pas en son pouvoir de changer la nature d’un livre ; elle le fait connaître pour ce qu’il est ; mais, en l’approuvant, elle ne peut pas faire qu’il ait été composé par l’Esprit saint, s’il ne l’a pas été réellement. Or, on a toujours et généralement entendu par Ecriture sainte un ouvrage composé par l’Esprit saint. Ainsi l’Eglise ne pourra jamais faire qu’un écrivain qui, en composant son livre, n’a été mu que par son seul et propre esprit, ait été cependant mu par l’Esprit saint ; ce qui signifie, en d’autres termes, qu’un ouvrage qui n’a été composé que par une industrie purement humaine ne saurait jamais être la parole de Dieu dans le sens que Jésus-Christ, les apôtres, les pères, et l’Eglise elle-même, ont toujours attaché à cette expression, quand ils l’ont appliquée à l’Ecriture sainte.