Introduction aux grands principes/Avertissement

Introduction aux grands principes
Introduction aux grands principes, ou Réception d’un philosophe, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierŒuvres complètes de Diderot, volume II (p. 73-74).


AVERTISSEMENT DE NAIGEON
DANS L’ÉDITION DE 1798


M. de Mont…, militaire fort dévot, crédule même jusqu’à la superstition, comme le sont plus ou moins tous les hommes peu instruits, ayant fait lire à Diderot le premier Dialogue, ce philosophe y reconnut sans peine l’ouvrage d’un théologien, d’un de ces hommes qui se croient modestement les interprètes de la Divinité, et un moyen d’union entre elle et les faibles mortels. Il ne fut pas surpris, mais indigné du ton qui règne dans cet écrit, ou plutôt dans cette satire, où bien loin d’exposer fidèlement, ainsi que l’exigeaient la justice et le respect qu’on doit à la vérité, la doctrine des incrédules modernes, on ne trouve partout que les définitions inexactes et les fausses idées d’un controversiste ignorant ou de mauvaise foi, substituées à celles des philosophes, et les vrais principes de ceux-ci exagérés, portés à l’extrême, afin de rendre les uns et les autres tout à la fois ridicules et odieux. Quoique très-éloigné par caractère, comme par réflexion, de tout ce qui pouvait l’engager dans une dispute avec un prêtre, espèce d’homme qu’il ne faut avoir ni pour ami ni pour ennemi, Diderot proposa à M. de Mont…, que la diatribe anti-philosophique du théologien avait fortifié dans ses préjugés, de répondre à cette déclamation et d’en faire sentir le vague et la faiblesse. Cette réponse, qui est excellente, ainsi que les notes qu’il y joignit, ne lui coûta que le temps de l’écrire. M. de Mont…, qu’elle n’avait pas fait changer d’opinion, mais qu’elle avait rendu, sur plusieurs points importants, un peu moins sûr de son fait, la jugea digne d’une réfutation, et se hâta même, dans cette vue, de la communiquer au théologien. Celui-ci, qui, sans être lié avec Diderot, le rencontrait quelquefois dans une société qui leur était commune, cessa dès lors de garder le voile de l’anonyme, et joua tout son jeu. Plein de confiance dans ses propres forces, et fier d’entrer en lice avec un philosophe qui jouissait déjà d’une grande réputation, il entreprit de répondre sérieusement, et avec ordre, au Dialogue où Diderot introduit le prosélyte répondant par lui-même. Mais, si, comme on ne le voit que trop souvent, un sophiste très-délié, très-subtil, peut donner à une mauvaise cause quelque apparence de justice, et fasciner avec art les yeux de quelques juges prévenus ou sans lumières, tous ses moyens de séduction n’ont aucun effet sur des esprits droits et pénétrants. Diderot ne trouva, comme il s’y attendait, dans la réponse du théologien, que ces misérables lieux communs, dont, à la honte de la raison humaine, les différentes écoles de théologie retentissent tous les jours depuis près de vingt siècles, et qui suffiraient seuls pour prouver la fausseté du christianisme, quand l’absurdité de cette triste superstition ne serait pas d’ailleurs démontrée par le simple exposé des faits et des dogmes qui lui servent de fondements. Le silence lui parut d’abord le parti le plus sage qu’il eût à prendre dans cette circonstance assez délicate : mais la crainte de se compromettre, en mettant dans tout leur jour les paralogismes de son adversaire, céda au désir de faire triompher la vérité des vains sophismes d’un ergoteur, qui, par sottise ou par malice, confond tout pour tout obscurcir ; et il envoya à M. de Mont…, sa réponse à l’Examen du Prosélyte répondant par lui-même. Soit que le théologien sentît en effet toute la force du coup que les raisonnements de Diderot portaient à l’édifice ruineux du christianisme, supposition que le caractère bien connu des prêtres, et en général la fausseté de leur esprit ne permet guère d’admettre ; soit plutôt que, sans être convaincu, il jugeât du moins nécessaire de combattre avec d’autres armes un ennemi contre lequel celles qu’il avait d’abord employées s’étaient brisées, il ne crut pas devoir ramasser le gant que Diderot lui avait jeté d’une main ferme et hardie ; et, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, il remit sa défense à un autre temps qui ne vint point, et quitta une arène où la vanité, qui dans la plupart des hommes ne va guère, même dans ses excès, jusqu’à leur cacher, et éteindre en eux le sentiment de leur faiblesse, l’avertissait qu’il ne pouvait plus descendre, sans s’exposer publiquement à une défaite honteuse.

Ces éclaircissements m’ont paru nécessaires pour l’intelligence de ce petit écrit, qu’on ne peut guère entendre, sans en connaître le motif et l’à-propos.