Introduction à l’étude de la paléontologie stratigraphique/Tome 1/Chapitre III


CHAPITRE III


Si déjà l’histoire de la paléontologie et de la géologie stratigraphique en Italie nous a présenté plusieurs centres scientifiques, tels que Florence, Sienne, Bologne, Venise, etc., d’où émanèrent les productions des naturalistes, il en sera bien autrement dans le vaste espace compris entre les Alpes et la mer du Nord, entre le Rhin et la Sibérie. Le seul lien qui réunisse beaucoup de ces travaux est la langue dans laquelle ils ont été écrits, car un grand nombre sont en latin, et presque tous les autres en allemand.

Nous devrons donc, pour plus de clarté, subdiviser notre sujet en traitant successivement, dans un ordre géographique, 1° des Alpes et de la Suisse ; 2° du Wurtemberg et de la Bavière ; 3° de la Bohême, de l’Autriche et de la Hongrie ; 4° de la Pologne et de la Silésie ; 5° du centre et du nord de l’Allemagne, comprenant la Saxe, la région hercynienne, le Hanovre, le Brunswick, la Prusse et les provinces Baltiques ; 6° de la Scandinavie ; 7° de la Russie.


§ 1. Des Alpes et de la Suisse.


Provinces Illyriennes.


Les Alpes orientales des provinces Illyriennes de la Carniole, Provinces de la Carintbie et de l’Istrie, ont été l’objet d’un travail considérable, publié de 1778 à 1789, par Balthazar Hacquet[1], et accompagné de nombreuses planches de coupes et de cartes. Cet ouvrage, particulièrement technique, est consacré à l’exploitation et à la recherche des mines du pays plutôt qu’à son histoire naturelle proprement dite. Aussi n’y trouve-t-on mentionnés que peu de fossiles, et le petit nombre de ceux qui y sont assez mal figurés semblent provenir de terrains anciens.
Suisse

Sur le versant opposé au nord-ouest des Alpes, la Suisse a été dans les derniers siècles, comme elle l’est encore aujourd’hui, une terre féconde en naturalistes. La variété et la richesse de ses productions végétales et minérales, la grandeur et la magnificence des tableaux que la nature y déploie, stimulant sans doute l’esprit naturellement investigateur de ses populations, ont inspiré ces nombreux ouvrages qui ont fait dire à Scheuchzer, l’un de ses enfants les plus dévoués, l’un de ses écrivains les plus laborieux : Dignissima est præ multis aliis terris Europæis Helvetica nostra, quæ curiosorum naturæ lustretur oculis (sic), physicorum et historicorum exerceat pennas[2].
Conrad Gesner.

Dès 1565, Conrad Gesner[3] publie ses remarques sur les pétrifications, mais sans se prononcer sur leur origine. Il figure divers fossiles, tels que des crinoïdes ; il donne le premier dessin d’une Bélemnite, corps que nous verrons Agricola désigner le premier sous ce nom, puis il représente les pierres judaïques (baguette de Cidaris), des Glossopètres (dents de Squales), etc.
J. Wagner N. Langius.

Wagner, dans son histoire naturelle de la Suisse[4], a réuni les matériaux connus alors sur ce sujet, et Lang, Langy ou Langius (Nicolas)[5], médecin de Lucerne, a fait représenter un assez grand nombre de fossiles de son pays, mais accompagnés d’observations peu propres à en faire connaître les vrais caractères.
J. Jacob Scheuchzer.

Personne plus que Jean-Jacob Scheuchzer[6] n’eut le droit d’exprimer la pensée que nous venons de rappeler. Né à Zurich en 1672, il ne cessa, pendant près de cinquante ans, de publier ses observations sur les diverses parties de l’histoire naturelle d’un pays qu’il avait exploré en tous sens et sous tous les points de vue. Précurseur de Bénédict de Saussure, il eut le même dévouement et la même constance dans ses recherches, mais tous deux étaient arrivés avant le temps où elles pouvaient réellement porter leurs fruits. Ni l’un ni l’autre, avec des mérites différents et une instruction en rapport avec le temps où ils vécurent, ne trouva la raison des phénomènes contre lesquels leur obstination se heurtait en vain. Comme bien des observateurs qui vinrent encore après eux, ces courageux pionniers de la science n’avaient pas compris qu’avant d’étudier les pays de montagnes, il fallait étudier les pays de plaines, de plateaux et de collines peu élevées ; que là seulement se trouverait l’explication des problèmes auxquels donnaient lieu l’examen des roches stratifiées, que là seulement on pouvait apprécier l’ordre ou la succession normale des couches de la surface terrestre, dont les grandes montagnes ne sont que des accidents et des irrégularités. Il fallait en un mot chercher à se rendre compte de la règle avant de vouloir expliquer l’exception. Mais les caractères physiques du pays qui les entourait les influencèrent à leur insu sans leur apporter aucune lumière propre à les éclairer.

L’ouvrage de Scheuchzer qui le fit le plus connaître est celui qu’il publia sous le titre de Piscium querelæ et vindiciæ[7]. Dans cette sorte de prosopopée allégorique, l’auteur fait parler les poissons fossiles pour se plaindre d’avoir été victimes du déluge universel, bien que fort innocents des crimes qui l’avaient motivé. Ils se plaignent aussi de l’injustice des hommes qui ne veulent pas les reconnaître aujourd’hui pour les ancêtres des poissons actuels et qui les rabaissent au point de les reléguer parmi les pierres brutes.

Ce travail, à part la forme que justifient les idées du temps, avait un intérêt réel par ses planches, qui représentent, d’une manière très-reconnaissable, des poissons ou ichthyolithes de la plupart des localités les plus célèbres aujourd’hui, tels que ceux des schistes cuivreux du Mansfeld, des couches jurassiques supérieures de Pappenheim en Bavière ou d’Altdorf, ceux du groupe nummulitique du mont Bolca et des schistes de Glaris. On y trouve aussi figurés des poissons de la Hesse, de Lunebourg, de l’argile de Londres et d’autres provenant de localités plus éloignées encore, telles que la Syrie, le Maryland et la Caroline. Ces gisements d’ichthyolithes les plus importants ont été ainsi illustrés, il y a plus d’un siècle et demi, par un savant que les zoologistes de nos jours, entre autres Cuvier, ont traité légèrement en le jugeant au point de vue de la science moderne et en ne voyant dans ses ouvrages que les parties qui prêtent à la critique.

Sans doute sa méprise sur la Salamandre fossile d’Œningen, qu’il décrivit sous le titre d’Homo diluvii testis[8], et que le grand anatomiste français remit à sa vraie place, est peu excusable de la part d’un médecin instruit, mais il ne faut pas pour cela méconnaître ses mérites à d’autres égards.

Lorsqu’on étudie avec quelque attention les travaux de Scheuchzer, on y trouve, au milieu de beaucoup d’expressions diffuses et de cette phraséologie qui caractérise l’époque, des remarques judicieuses et originales sur des sujets traités souvent depuis avec beaucoup moins de sagacité. Ainsi, dans son Specimen lithographiæ Helvetiæ curiosæ[9] il s’est beaucoup occupé des pierres lenticulaires ounumismales des cantons de Schwytz, d’Uri et de Lucerne, de même que dans ses Miscellanæa curiosa[10], et, depuis cent cinquante ans que près de deux cents naturalistes ont décrit ces corps, aucun d’eux n’a rien dit de plus exact que lui.

Le catalogue raisonné de sa collection, qu’il a publié en 1716, est disposé d’une manière tout aussi méthodique qu’on pourrait le faire aujourd’hui. De quinze cents objets qui y sont énumérés, cinq cent vingt-huit provenaient de la Suisse, et le reste de divers pays. Depuis les plantes jusqu’aux mammifères, toutes les divisions des deux règnes y sont représentées. Les cornes d’Ammon seules sont au nombre de 149, et Scheuchzer est probablement le premier qui ait essayé de les classer suivant un certain ordre. Il en forme d’abord deux groupes : l’un comprenant celles qui sont épineuses, l’autre celles qui ne le sont pas. Chacun d’eux se divise suivant que les Ammonites sont lisses ou striées. Les cornes d’Ammon lisses se subdivisent d’après leurs tours comprimés, épais, arrondis, etc. ; les cornes d’Ammon striées, suivant que les stries sont simples, bifurquées, trifurquées, etc. Il reprend ensuite, en se conformant à ses divisions, les cent quarante-neuf formes qu’il a distinguées et ajoute à chacune une phrase courte, caractéristique, sans jamais omettre l’indication de la localité d’où elle provient. Ce travail est bien supérieur à la longue dissertation historico-physique qu’avait donnée Reiskius en 1689 sur les Ammonites de Brunswick. Les Bélemnites sont placées par Scheuchzer après les Astéries et les Entroques, méprise bien excusable alors. En un mot, ce catalogue a pour le temps un mérite presque égal à celui de Luidius, d’ailleurs beaucoup plus ancien, et dont nous parlerons plus loin.

Dans son Herbarium diluvianum, ou recueil de plantes fossiles, dont la seconde édition fut publiée en 1723, le même naturaliste énumère et figure une grande quantité d’empreintes de plantes provenant de diverses localités, et particulièrement celles du terrain houiller d’Angleterre, des dépôts lacustres d’Œningen, près de Constance, et quelques-unes du mont Bolca dans le Vicentin, mais, on le conçoit, sans qu’il cherche à établir entre elles aucune différence d’âge. Ce fut en présentant cet ouvrage à l’Académie des sciences que Fontenelle, alors secrétaire perpétuel, dit : Voilà de nouvelles espèces de médailles dont les dates sont et sans comparaison plus importantes et plus sûres que celles de toutes les médailles grecques et romaines[11].

On a souvent depuis fait honneur de cette pensée à bien des naturalistes, entre autres à G. Cuvier, mais on voit qu’elle remonte à plus d’un siècle auparavant, et, sans que nous prétendions que ce dernier ne fût très-capable de la trouver aussi, on conviendra qu’elle est plus dans la tournure d’esprit du secrétaire perpétuel de 1710 que de celui de 1820. Scheuchzer vint en France et fut à l’Académie, dont il était correspondant, une dissertation latine sur les pierres figurées, dans laquelle il compare les Numismales qu’il avait observées aux environs de Noyon (Oise) avec celles de la Suisse qui avaient été de sa part l’objet de si longues études[12].
J. Gesner

Jean Gesner, dans sa dissertation physique sur les pétrifications d’origines différentes[13], continua l’œuvre de Scheuchzer. On lui doit cette curieuse observation, que les restes fossiles de radiaires échinides, stellérides et crinoïdes se brisent toujours en présentant dans leur cassure les plans du rhomboèdre de la chaux carbonatée.
L. Bourguet

Louis Bourguet, quoique né à Nîmes en 1678, passa presque toute sa vie à Neufchâtel, où il professa la philosophie et les mathématiques ; aussi son Traité des pétrifications[14], comme ses Lettres philosophiques[15], se rapporte-t-il principalement à l’histoire naturelle de son pays d’adoption.

Dans le premier de ces ouvrages, qu’il regarde comme un complément de ceux de Langius et de Scheuchzer, il traite de tous les fossiles, depuis les éponges jusqu’aux poissons, sans distinction de terrain. Il décrit particulièrement des crustacés de la côte de Ceromandel et des poissons pétrifiés, rencontrés tant en Europe qu’en Asie. Ce travail n’est pas, à proprement parler, zoologique, et, si l’on ajoute qu’on n’y trouve aucune indication sur les localités d’où proviennent les fossiles qui ont été recueillis évidemment dans la plupart des terrains, on en conclura qu’il est d’une très-faible importance sous ces deux rapports. Mais à d’autres égards, il n’est pas, même aujourd’hui, sans utilité. Ainsi, on trouve dans la préface une appréciation fort juste de l’infériorité où était la France en 1741, relativement à la connaissance des fossiles de son propre sol. Bourguet donne ensuite une bibliographie scientifique par nations qui confirme pleinement son opinion et qui continue la bibliographie de Scheuchzer en la reliant, par une sorte d’anneau intermédiaire, avec celle du grand ouvrage de, Walch et Knorr. L’indication de près de quatre cents localités des diverses régions du globe, où des fossiles avaient été recueillis jusqu’à cette époque, n’est pas non plus un travail dénué d’intérêt et fait regretter que l’auteur n’ait pas eu la même attention pour les fossiles eux-mêmes.

On doit à Bourguet des remarques sur la correspondance des angles saillants et rentrants des vallées, sujet auquel on a voulu donner plus tard une importance théorique qu’il est loin d’avoir ; il a étudié la composition des roches, la constance de l’épaisseur des couches qui offrent dans les montagnes des positions si variées, depuis celles qui sont parallèles et horizontales jusqu’à celles qui sont pliées en zigzag. Partout il a remarqué la présence de débris organiques remplis par la matière même de la roche qui la renferme et dont ils sont ainsi contemporains. On a vu qu’à peu près dans le même temps des considérations analogues avaient occupé Arduino. Il constata enfin, sur les pentes calcaires du Jura, l’existence de blocs de roches cristallines semblables à ceux que le géologue véronais signala, quelques années après, sur les sommités secondaires du versant méridional des Alpes ; mais ni l’un ni l’autre n’émit d’opinions particulières sur les traces d’un phénomène qui devait, un siècle plus tard, exercer la sagacité des géologues et donner lieu à des discussions aussi vives qu’à des théories variées[16].
B. de Saussure

La ville de Zurich, qui pendant si longtemps semble avoir eu le privilège presque exclusif d’être le centre des naturalistes suisses, et d’où sortaient leurs publications les plus importantes, vers l’époque à laquelle nous arrivons, perd une partie de ces prérogatives au bénéfice de Genève, qui nous montre encore aujourd’hui, avec un juste orgueil, les représentants de ces familles où, depuis plus d’un siècle, la science et l’esprit sont héréditaires. Bénédict de Saussure, qui naquit dans cette dernière ville en 1740, et J. André de Luc en 1727, s’avancent d’un pas plus ferme dans le champ des études de la nature, en y joignant des connaissances physiques plus étendues. On ne peut pas dire cependant que leurs recherches aient contribué sensiblement à l’avancement de la paléontologie stratigraphique, parce que ni l’un ni l’autre n’a publié d’ouvrage iconographique sur les fossiles, parce qu’ils n’ont pas, plus que leurs prédécesseurs, rattaché la connaissance de ceux-ci à celle de l’âge des couches de sédiment, et qu’enfin l’examen méthodique de ces dernières n’a point reçu non plus de leurs travaux une impulsion nouvelle.

Néanmoins de Saussure, par la persévérance et la multiplicité de ses recherches géologiques, minéralogiques, physiques et botaniques, par leur exactitude et leur précision, comme parla droiture et la modestie de son caractère qui se reflètent si bien dans ses écrits, est une figure à part dans l’histoire des sciences naturelles ; c’est une individualité qui se détache noblement de toutes celles qui l’environnaient vers la fin du xviiie siècle.

Le Voyage dans les Alpes[17] n’est point une œuvre de génie ; cette longue et consciencieuse étude de la nature n’a point suggéré à l’auteur de ces idées fécondes qui servent de base à toute une science ; mais c’est un de ces livres rares qu’on lit à tous les âges avec intérêt et profit, et qu’on lira dans tous les temps. La pensée et les faits y sont toujours rendus dans un style naturel, simple, concis, sans digressions superflues. On sympathise avec le voyageur ; on le suit avec son savant ami, A. Pictet, au milieu des scènes alpestres qu’il décrit toujours avec une sobriété d’expression qui n’est pas pour cela dénuée de charme ni d’élégance. Aussi, bien que ce soit nous écarter un peu du cadre que nous nous sommes tracé, nous pensons qu’on ne nous saura pas mauvais gré de donner ici un aperçu des recherches géologiques de ce savant, l’une des gloires de son pays et qu’oublient trop souvent aujourd’hui beaucoup de ceux qui repassent incessamment sur ses traces. Nous y sommes d’autant plus engagé que, d’une part, nous ne connaissons encore aucune analyse raisonnée de la partie géologique de ce grand travail, et que, de l’autre, son étendue doit empêcher bien des personnes d’en entreprendre la lecture.

Condenser dans quelques pages le résultat de trente années d’étude n’était pas une tâche sans quelques difficultés, et ces difficultés, dues à la grande quantité des matériaux accumulés dans quatre volumes in-4o, sont encore augmentées par la disposition même de ceux-ci. L’ouvrage se compose d’un certain nombre d’itinéraires de voyages, dirigés tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et sans vues générales bien arrêtées. En, outre, les opinions théoriques exprimées dans les deux premiers volumes sont assez différentes de celles qu’on trouve dans les deux derniers, publiés dix ans après, car de Saussure observait et écrivait sans parti pris, sans idées préconçues, sans entêtement, et modifiait volontiers ses opinions au fur et à mesure que les faits lui en démontraient le peu de fondement. C’était le propre de son caractère, ce n’en était pas sans doute le côté le moins estimable, et, à cet égard, il est encore un très-bon modèle à suivre.

Pour obvier à l’inconvénient d’une distribution des matières si peu méthodique, nous grouperons les observations du Voyage dans les Alpes qui se rapportent à notre sujet, en rappelant d’abord celles qui traitent des environs de Genève et de la chaîne du Jura, puis, descendant au sud, nous les suivrons à travers la Savoie, le long du versant méridional des Alpes, dans le Milanais, le Piémont, les environs de Gênes, de Nice, pour remonter dans la Provence et le Dauphiné. Prenant ensuite le massif du Mont-Blanc comme centre, nous y rattacherons les parties les plus originales et les plus importantes des études de l’auteur, et, dans une troisième division, nous réunirons les détails relatifs aux autres grands massifs de la chaîne centrale, le Saint-Gothard, le Mont-Rose et le mont Cervin. Cet arrangement diffère peu, d’ailleurs, de ° l’ordre chronologique des excursions de de Saussure.

Dès les premières pages du Discours préliminaire[18], il justifie lui-même ce que nous avancions tout à l’heure. « C’est surtout, dit-il, l’étude des montagnes qui peut accélérer les progrès de la théorie du globe. Les plaines sont uniformes ; on ne peut y voir la coupe des terres et leurs différents lits qu’à la faveur des excavations qui sont l’ouvrage des eaux et des hommes. Or ces moyens sont très-insuffisants, parce que ces excavations sont peu fréquentes, peu étendues, et que les plus profondes descendent à peine à deux ou trois cents toises. Les hautes montagnes, au contraire, infiniment variées dans leur nature et dans leurs formes, présentent au grand jour des coupes naturelles d’une très-grande étendue, où l’on observe avec la plus grande clarté, et où l’on embrasse d’un coup d’œil l’ordre, la situation, la direction, l’épaisseur et même la nature des assises dont elles sont composées et des fissures qui les traversent. » On ne doit point s’étonner qu’avec de pareilles vues l’auteur n’ait obtenu que de si faibles résultats relativement à la chronologie des couches, qu’il observait d’ailleurs avec beaucoup de soin.
Essai sur l’histoire naturelle des environs de Genève

La description du mont Salève, situé au sud de Genève, et par laquelle de Saussure commence la série de ses recherches, est très-propre à faire voir sa manière de procéder et de conclure. Ainsi, en parlant des blocs erratiques, épars sur sa pente orientale, il dit (p. 151) : « Les eaux de l’océan dans lequel nos montagnes ont été formées couvraient encore une partie de ces montagnes, lorsqu’une violente secousse du globe ouvrit tout à coup de grandes cavités qui étaient vides auparavant et causa la rupture d’un grand nombre de rochers. Les eaux se portèrent vers les abîmes avec une violence extrême, proportionnée à la hauteur qu’elles avaient alors, creusèrent de profondes vallées et entraînèrent des quantités immenses de terre, de sable et de fragments de toutes sortes de roches. Ces amas, à demi liquides, chassés par le poids des eaux, s’accumulèrent jusqu’à la hauteur où nous voyons encore plusieurs de ces fragments épars. »

La présence de ces débris de roches cristallines des Alpes, déjà signalée par Bourguet, sur les pentes du Jura opposées au débouché de la vallée du Rhône, comme ceux du Salève, vis-à-vis du débouché de l’Arve, sont, pour de Saussure, des preuves irrécusables de son hypothèse. La brisure du fort de l’Écluse aurait été en grande partie approfondie par les eaux, et, en résumé, c’est à une grande débâcle, survenue lorsque la mer couvrait encore les montagnes jusqu’à une hauteur considérable, que doivent être attribués l’aspect érodé des escarpements du Vouache, du Salève, de la gorge du fort de l’Écluse et la dispersion des blocs et des cailloux.

Quant au Salève en particulier, ses couches, inclinées à l’E., verticales même par places, auraient été déposées telles qu’on les voit aujourd’hui. « Si les couches des montagnes, dit l’auteur (p. 185), n’avaient été produites que par des accumulations de sédiments proprement dits, comme on le croit communément, il n’aurait pas pu se former de couches dans une situation verticale, et toutes celles à qui nous voyons cette position n’auraient pu la recevoir que de quelque bouleversement ; mais, comme les bancs de la plupart des roches ont été produits, suivant mes observations, par une espèce de cristallisation confuse, et que les cristallisations n’affectent aucune situation particulière, qu’elles se forment sous toutes sortes d’angles, on ne doit nullement s’étonner de voir des couches perpendiculaires à l’horizon ou même contournées et dans des situations que des sédiments n’eussent jamais pu prendre. »

Cette idée de la cristallisation des couches de sédiment était d’ailleurs fort en vogue à cette époque, comme on le verra plus loin, et de Saussure ne croit pas impossible que les tranches même des couches du Salève, coupées, comme on le voit aujourd’hui, presque à pic du côté de Genève, n’aient été disposées ainsi dès l’origine. Aussi repoussa-t-il les explications de Pallas et de Lazzaro Moro, relatives au soulèvement de ces mêmes couches, plus ou moins redressées dans les montagnes. Cependant on vient de voir que de Saussure ne se fait pas faute d’évoquer les secousses violentes qui bouleversent des montagnes entières, lorsque ces secousses lui sont nécessaires pour faire mouvoir les eaux de ses grandes débâcles, et l’on peut dire alors qu’il fait jouer lui-même les grandes machines dont il reproche assez gratuitement l’emploi aux autres (p. 189).

Après avoir décrit et figuré deux coquilles bivalves remarquables du Salève, l’une que de Luc avait fait connaître, sans la nommer, et qui est la Diceras Lucci, Defr., l’autre une Pinnigène (P. Saussurii, Defr.), de Saussure fait remarquer que la montagne des Voirons, située au nord-est de la précédente, de l’autre côté de l’Arve, est composée de grès en couches inclinées aussi vers les Alpes, et qu’à partir de Taninge, c’est au contraire de ce côté que les montagnes commencent à présenter leur face abrupte. Les couches du Môle confirment aussi cette observation générale, que les montagnes secondaires sont d’autant plus irrégulières et plus inclinées qu’elles s’approchent davantage des roches primitives (p. 229). Les coteaux de Montoux, de Boisy sont également formés de grès tendres ou mollasses, plus ou moins relevés vers le lac, et, d’après les calcaires qu’on y trouve, notre savant guide admet que la mer y a séjourné longtemps. Il se fonde sur ce que « les pierres calcaires ne se forment que par des sédiments successifs des eaux peuplées d’animaux marins, et les grès, étant à ciment calcaire, doivent s’être aussi déposés dans la mer. » Ainsi, il n’admettait pas encore l’existence des dépôts lacustres, déjà si connus de l’autre côté des Alpes. Les calcaires foncés, compactes, de Meillerie sont décrits ensuite sans être autrement distingués, et il en est de même des roches des environs de Saint-Gingolf.
Chaînes du Jura

chaînes Passant au nord du lac, il trace avec une grande justesse de coup d’œil les caractères physiques ou orographiques du Jura ; mais sa manière d’en apprécier la stratification, d’accord avec ce qu’il a dit du Salève, montre jusqu’à quel point il était encore loin de la vérité. « J’ai cru pendant longtemps, dit-il (p. 277), que toutes les couches devaient avoir été formées dans une position horizontale ou peu inclinée à l’horizon, et que celles qu’on rencontre dans une position perpendiculaire ou très-inclinée avaient été mises dans cet état par quelque révolution ; mais, à force de rencontrer des couches dans cette situation, de la voir dans des montagnes bien conservées et qui ne paraissaient pas avoir subi de bouleversement, et d’observer une grande régularité dans la forme et la direction de ces couches, je suis venu à penser que la nature peut bien avoir aussi formé des bancs très-inclinés et même perpendiculaires à la surface de la terre. » De sorte que c’est la régularité et la symétrie de l’irrégularité même qui lui fait admettre une conclusion si singulière, conséquence naturelle de la fausse voie dans laquelle il s’était engagé dès le commencement.

Le Jura, continue de Saussure (p. 281), est composé de différentes chaînes à peu près parallèles entre elles et aux Alpes, mais tirant un peu plus du N. au S. Celle de ces chaînes qui est la plus élevée et la plus voisine des Alpes avait dans l’origine la forme d’un dos d’âne dont les pentes, à partir du faîte, occupent les flancs en descendant jusqu’au pied. Les chaînes qui lui succèdent à l’ouest sont graduellement moins élevées, moins étendues, et leurs couches, courbées en voûtes ou en demi-voûtes, viennent enfin mourir dans les plaines. Celles-ci ont à leur tour pour base des bancs calcaires horizontaux de même nature que ceux des monts Jura et qui furent peut-être anciennement contigus avec eux.

La pierre, grise, dure, compacte, qui constitue le noyau des hautes montagnes, renferme peu de coquilles pétrifiées, tandis que les pierres tendres, colorées, des montagnes basses de la Franche-Comté et du Bugey en sont remplies[19]. La Dôle et ses environs, la roche du Chalet où les restes fossiles sont abondants, les couches oolithiques ou composées de grains concrétionnés sont décrits successivement, et ces derniers corps sont rapportés à leur véritable origine par l’auteur. Quant aux couches repliées en chevron qu’il remarque çà et là, il ne suppose point que cette disposition soit le résultat d’une action mécanique postérieure à leur dépôt.
Porte du Rhône

Dans l’examen de la perte du Rhône (p. 325), de Saussure distingue, non pas des assises successives, mais différentes natures de pierre composant les parois de la gorge que parcourt le fleuve, et sans aucune vue stratigraphique. Il signale des fossiles, tels que des Ammonites et des Turbinites, dans le banc supérieur des roches calcaires, et la couche d’argile pyriteuse au-dessous du banc coquillier ; dans l’argile et le sable verdâtre sont des Ammonites de formes variées, des Gryphites striées (probablement l’Inoceramus sulcatus), des échinites et des fragments d’orthocératites (probablement de Hamites).

En faisant ici (p. 336) une excursion dans le champ de la zoologie microscopique, l’auteur sépare très-justement des Nummulites les corps lenticulaires (Orbitolina), dont une des couches de cette localité est pétrie, mais il est porté à les considérer plutôt comme un minerai de fer terreux que comme les restes d’un animal ou d’une plante ; quant aux Nummulites elles-mêmes, elles sont, de sa part, l’objet d’une dissertation assez étendue et d’hypothèses dont nous avons déjà démontré le peu de fondement[20].
Le Jorat

Revenant ensuite aux bords du lac de Genève, il en décrit la rive septentrionale et particulièrement le Jorat, composé de grès ou mollasse et qui forme la ligne de partage des eaux qui se rendent dans l’océan par le Rhin de celles qui se rendent au sud dans la Méditerranée par le Rhône. L’existence des blocs de granite sur ces grès et leur absence à l’intérieur de la roche lui prouve que la formation de cette dernière est antérieure à la débâcle qui a accumulé sur les basses montagnes extérieures ces débris provenant des montagnes centrales. Le mont de Sion, entre le Vouache et le Salève, lui offre la même composition et les mêmes caractères.
Voyage de Genève à Annecy et à Aix

Nous devons dire dès à présent qu’entre ce premier mémoire et le voyage dont nous allons parler, de Saussure avait parcouru d’autres parties des Alpes sur lesquelles nous reviendrons tout à l’heure, et où il avait trouvé des motifs pour modifier singulièrement son opinion, quant à la formation des couches redressées ; aussi ne devons-nous pas être étonné de le voir admettre, dans son itinéraire de Genève à Annecy et à Aix, que les grès, d’abord peu inclinés, puis verticaux d’Albie, ont été redressés, et cela par cette seule raison qu’il y trouve des cailloux [21]. Ainsi, ce ne sont ni la présence des corps organisés, ni les vrais caractères de la stratification qui lui font reconnaître ce changement de position, c’est uniquement l’existence des cailloux, et sans eux il eût persisté à voir des phénomènes de cristallisation dans toute roche en couche non horizontale.

En cet endroit, un dépôt de sable et de cailloux qui s’étend sur les précédents lui prouve le dérangement antérieur de ceux placés dessous.

De Saussure, qui prenait constamment et avec un grand soin, la boussole à la main, la direction et l’inclinaison des couches, n’a jamais tiré la plus simple conséquence de ce mode d’observation ; aussi ne se rend-on compte de sa persistance à cet égard que par son habitude de noter tout ce qui pouvait être noté. On peut croire aussi qu’un manque complet d’aptitude à reproduire graphiquement ses observations l’a empêché très-souvent de tirer de celles-ci toutes les conséquences auxquelles il aurait été conduit par des dessins et des profils suffisamment exacts ; car rien ne force à se rendre compte des rapports naturels des couches comme la nécessité de les tracer sur le papier.
Maurienne et Tarentaise

D’Aix à Chambéry et autour de cette dernière ville règnent des calcaires inclinés ou horizontaux, quelquefois gris, compactes et approchant du marbre. De Saussure mentionne les couches repliées en S de la montagne de la Tuile, près de Montmélian, les ardoises qui commencent à se montrer au delà de Planèse, la fonderie de cuivre d’Aiguehelle, dont le minerai est extrait de la montagne de Saint-Georges, et les roches feuilletées, micacées et quartzeuses de cette partie de la vallée de l’Arc. Les granites s’y montrent çà et là pour se terminer à Saint-Jean (p. 36). De ce point à Lans-le-Bourg sont des schistes et des calcaires noirs. Les masses de gypse, très-fréquentes dans tout ce pays jusqu’au Mont-Cenis, offrent un aspect très-tourmenté, mais il les croit malgré cela horizontales et beaucoup plus récentes que toutes les pierres de cette partie des Alpes. P. de Lamanon, en faisant ici l’application de ce qu’il avait observé dans le bassin tertiaire d’Aix en Provence, regardait ces mêmes gypses comme ayant été formés dans des lacs d’eau douce au fond de ces vallées[22].

Les détails très-précis observés le long de la route à Saint-Michel, à la Buffe, à la Bastière, au pont de la Denise, aux Fourneaux, à Saint-André, à Modane, à Villarodin, à Bromans, à Termignan et à Lans-le-Bourg, sont, avec ceux des environs de Chamouni dont nous parlerons tout à l’heure, ce qui a le plus contribué à éclairer l’auteur sur la véritable origine des couches redressées. Ce passage de de Saussure est d’ailleurs un des mieux écrits de son ouvrage, et d’une exactitude dont on peut juger en le comparant avec tout ce qui a été publié dans ces derniers temps par les géologues, soit isolément, soit réunis comme au mois de septembre 1861. Aussi doit-on s’étonner qu’il ne soit venu dans la pensée d’aucun de ces observateurs de mettre en regard la description de 1789 avec celles exécutées soixante-douze ans après. C’eût été à la fois un hommage rendu à l’un de nos plus glorieux devanciers et un moyen de faire apprécier par leurs résultats la différence des méthodes d’observation. Mais le personnalisme contemporain se préoccupe assez peu de ces sortes de considérations, craignant peut-être de diminuer son propre mérite en parlant de celui des autres.

(P. 56.) Au passage du Mont-Cenis, le savant naturaliste de Genève observe les schistes micacés, les calcaires, la position du gypse, des calcaires micacés, des grès, etc. De la Grande-Croix à la Novalèze se montrent quatre assises puissantes de schistes micacés, alternativement effervescents et non effervescents, avec des calcaires et des quartz subordonnés çà et là. De Lamanon[23] avait décrit une des cimes voisines de la plaine du Mont-Cenis, et la roche Michel, qui en est peu éloignée, atteint 1792 toises d’altitude, d’après de Saussure (p. 80). Suivent d’autres détails observés entre la Novalèze et Turin.
Résumé

(P. 102.) Dans son coup d’œil général sur les faits précédents, il ne se préoccupe aucunement de la superposition et se borne à constater la nature des roches qui se succédaient le long de sa route, sans songer à replacer dans leur position première les couches qu’il admet actuellement en avoir été dérangées. Il ne mentionne point ici les gypses, parce qu’il les regarde comme une « production parasite qui ne tient point au fond des rochers dont les montagnes sont composées. » Cette manière de voir se conçoit à certains égards et d’après ce qui vient d’être dit ; mais, dans certains cas aussi, des superpositions directes eussent pu lui faire rejeter cette idée de parasitisme.

Du côté de l’Italie comme du côté de la Savoie, continue de Saussure, les Alpes sont bordées par des amas considérables de sable, de cailloux roulés et de blocs détachés de ces mêmes Alpes, rassemblés et accumulés par des courants d’eau d’une force et d’une grandeur incomparablement supérieures à celles des courants actuels. Du côté de l’Italie, la première ligne de montagnes est fort étroite, remplie de roches magnésiennes (serpentines, etc.) ; du côté de la Savoie, c’est une bande de montagnes calcaires d’une largeur considérable. Sur ce dernier côté, la seconde ligne est formée de schistes ardoises et de roches quartzeuses, quelquefois micacées. Vers le Piémont, ces dernières succèdent immédiatement aux roches magnésiennes sans l’interposition des ardoises. Vers le centre, en Savoie, ce sont des roches de pétro-silex, de mica et de feldspath ; en Piémont, ce sont des granites veinés (gneiss). En Savoie, des roches de corne, des alternances de calcaire, d’ardoises et de pétro-silex constituent la partie la plus voisine de la chaîne centrale ; en Piémont, ce sont des calcaires et des roches magnésiennes. Enfin, les gypses parasites manquent au sud ; de sorte, dit l’auteur, que les deux flancs opposés des Alpes ne sont ni semblables, ni symétriques quant aux roches qui les composent. Il en est de même de leurs formes, et la pente méridionale est ici beaucoup plus abrupte que la pente nord, comme on l’observe encore sous le parallèle du Mont-Blanc et du grand Saint-Bernard. Il s’ensuit également que les plus grands escarpements de la chaîne centrale sont tournés vers l’Italie.

(P. IO7.) De Saussure admet bien que toutes les roches n’ont pas été disposées ainsi par des causes régulières et uniformes. « Ce désordre, dit-il, rappelle naturellement à l’esprit l’idée des feux souterrains ; mais comment des feux capables de soulever, de bouleverser des masses aussi énormes, n’auraient-ils laissé, ni dans tous ces lieux ni dans ces mêmes masses, aucun vestige de leur action ? Je n’ai pu découvrir aucune pierre qu’on puisse soupçonner avoir subi l’action du feu. » Ainsi, il ne concevait pas une autre cause interne que celle qui produit les volcans, et tout ce que l’on avait déjà écrit de si judicieux à ce sujet n’avait aucune valeur à ses yeux, ou ne lui était pas connu.
Piémont

L’orographie du pays que l’œil embrasse de la colline de Superga, près de Turin, est parfaitement tracée, et de Saussure fait voir ensuite, en traversant la plaine de la Lombardie, que le peu d’épaisseur de la terre végétale n’est pas nécessairement une preuve du peu d’ancienneté des continents actuels. Partout les cailloux des plaines qu’arrosent les affluents du Pô et du Tessin sont l’objet d’une étude minutieuse. De Novi à Ottajano, il mentionne des collines tertiaires, expression que nous rencontrons pour la seconde fois sous sa plume, sans qu’il en donne de définition, et que d’ailleurs on ne retrouve plus dans ce qui suit. Il décrit pétrographiquement le rameau de la chaîne ligurienne de l’Apennin, observe qu’aux environs de Gênes (p. 141) les couches, redressées sous des inclinaisons très-variables, courent néanmoins constamment du N. au S., et il porte une attention toute spéciale aux poudingues du cap Porto-Fino que venait de signaler Spadoni[24].
Provence

(P. 156.) De Gênes à Nice, comme de cette ville à Fréjus, la relation du voyage n’est qu’une suite de détails pétrographiques, interrompus par des recherches sur la température interne, soit des eaux, soit des continents. Plus loin, la montagne de la Sainte-Baume, le cap Roux, la presqu’île de Gien et l’île de Porquerolles, les porphyres et autres roches de l’Esterel, les volcans éteints de Broussaut et d’Evenos, les roches que traverse la route de Toulon à Marseille, celles de cette ville à Aix, sont observés au même point de vue lithologique.

Après un examen très-circonstancié du volcan de Beaulieu (p. 315)[25] et des plâtrières d’Aix, de Saussure fait remarquer que, en général, les empreintes ou les restes de poissons fossiles, sans être absolument rares, le sont cependant plus que les coquilles, et qu’on n’en trouve que sur quelques points en quelque sorte privilégiés. Il est également digne de remarque que les carrières où l’on en rencontre en offrent alors beaucoup, disposés par lits sur une épaisseur considérable, ce qu’il attribue à l’ancienne existence de grands lacs salés ou d’eau douce qui se vidaient et se remplissaient successivement. Lorsqu’ils se vidaient, les poissons, réfugiés dans l’endroit le plus bas, étaient ensevelis dans la vase, laquelle, en se durcissant, conservait leurs empreintes. Il ne fait d’ailleurs aucune réflexion sur l’âge, la position, l’étendue, l’épaisseur et l’origine supposée des dépôts gypseux, quoique le mémoire de Lamanon eût déjà paru, tandis qu’il s’étend longuement sur les cailloux de la Durance. En général, si de Saussure se borne aux caractères généraux et pétrographiques des couches en place, sans essayer de se rendre compte de leurs relations d’âge et de leur mode de formation, en revanche les cailloux, soit des dépôts meubles superficiels, soit des poudingues solides plus ou moins anciens, ont toujours pour lui un attrait particulier. Entre Avignon et Montélimart, il est frappé de la prédominance des cailloux de quartz (p. 361) ; de cette dernière ville à Tain, ce sont ceux de la vallée de l’Isère qui appellent son attention, et les variolites du Drac, regardées à tort par de Lamanon comme d’origine volcanique, ce qu’avait nié Prunelle[26], n’ont pas moins d’intérêt pour lui que celles de la Durance.

En redescendant au sud, il mentionne la mollasse de Pélissane, sans reconnaître ses rapports avec d’autres gisements analogues du pays. La plaine de la Crau lui offre la plus belle occasion possible de disserter sur une mer de cailloux ; elle avait été déjà décrite exactement par Darluc[27], qui attribuait tous ces fragments de roches et leur arrangement aux vagues de la mer, tandis que P. de Lamanon[28] les regardait comme ayant été charriés par la Durance, et Servières par le Rhône[29]. De Saussure rejette l’hypothèse de Lamanon, parce que, suivant lui, les espèces de cailloux qui dominent sur les bords de la Durance ne sont point celles de la Crau, et que réciproquement il n’y en aurait pas un seizième qui fussent communes. L’uniformité de la surface de cette plaine et le volume des cailloux plus considérable que dans la vallée précédente sont également contraires à cette supposition. Mais, en rejetant au même titre l’intervention du Rhône dans le phénomène, il en trouve la cause dans la débâcle générale qui se serait produite lorsque les eaux de la mer, abandonnant nos continents, se portèrent avec une violence extrême vers les lieux les plus bas du sol où s’étaient ouverts les gouffres qui les engloutirent. C’est, on le voit, l’hypothèse déjà invoquée pour les cailloux du bassin de Genève. Ici de Saussure sort de sa réserve habituelle, et ce n’est pas d’une manière heureuse, car il ne fait que reproduire des idées vieilles de plusieurs siècles, et qui n’en étaient pas plus vraies pour cela. Enfin, le poudingue qui supporte les cailloux de la Crau serait pour lui une preuve de l’ancienne existence de la mer lorsque la débâcle supposée y apporta les débris en question.
Vivarais et Dauphiné

En remontant la vallée du Rhône, — le long de sa rive droite, à partir de Beaucaire, et passant le Garden pour examiner successivement les environs du Pont-Saint-Esprit, de Bourg-Saint-Andéol, de Viviers, de Rochemaure, de Soyon et de Crussol (p. 418), on voit que de Saussure n’a point saisi les vrais rapports des alternances de roches calcaires, granitiques, schisteuses, etc., qu’il rencontre, ce qui se conçoit fort bien lorsqu’on se dirige comme lui du S. au N. ; mais l’ouvrage de Giraud Soulavie, qui avait déjà paru, avait posé les bases de la stratigraphie de cette partie du Vivarais ; il aurait donc pu s’éclairer des observations de ce judicieux abbé.

La renommée de l’Hermitage, près de Tain, lui en fait étudier le granite ; puis ceux de Vienne, les cailloux de la plaine de Saint-Vallier, les sables d’Auberive, attirent successivement son attention. De Bourgoin à Vienne, sur la route de y Lyon, il remarque des carrières de pierres coquillières jaunâtres employées dans la bâtisse, mais il n’y reconnaît pas cette mollasse qu’il a cependant déjà vue sur tant de points. Il ne la distingue pas non plus du dépôt de cailloux roulés, lorsqu’il s’approche de Lyon, comme lorsqu’il part de cette ville par la route de Genève, pour traverser de nouveau le Jura, par Nantua et la perte du Rhône.
Voyage autour du Mont-blanc ─ Région au nord du Mont-Blanc

Après avoir essayé de donner une idée des recherches de de Saussure dans les parties qui avoisinent les Alpes centrales, ou qui les circonscrivent à une distance plus ou moins grande, nous passerons à ses excursions, exécutées à diverses reprises, dans le centre même de la chaîne et dont les résultats ont plus d’intérêt encore que les précédents.

« Le Mont-Blanc est une des montagnes de l’Europe dont la connaissance paraîtrait devoir répandre le plus de jour sur la théorie de la terre[30]. » Cette première phrase de la relation du voyage entrepris au mois de juillet 1778 montre bien toute la confiance qu’avait alors de Saussure dans l’étude des montagnes ; pour lui, comme pour bien des naturalistes de son temps, l’importance d’un phénomène se mesurait sur sa grandeur physique.

Dans ce voyage, alors qu’il n’avait encore aucune preuve directe du redressement des couches, l’étude des montagnes secondaires des environs de Bonneville, de Cluse, lui en fait bien naître l’idée ; mais il ne va pas au delà. Il y distingue des pierres brunes, feuilletées, des pierres grises, calcaires et argileuses, et rien de plus. La belle voûte de la cascade d’Arpenaz et quelques autres accidents semblables lui suggèrent la pensée qu’ils doivent leur disposition à l’action des feux souterrains. « Mais, dit-il (p. 399), malgré ces observations, ce n’est pas sans peine que j’ai recours à ces agents presque surnaturels, surtout quand je n’aperçois aucun de leurs vestiges ; car cette montagne et celles d’alentour ne laissent apercevoir aucune trace du feu. » D’autres exemples de dislocations plus compliquées, lui font encore dire (p. 401) : « La cristallisation peut seule, à mon avis, rendre raison de ces bizarreries. » Un peu avant Saint-Martin, les schistes ardoises alternent avec les lits de calcaires noirs. La direction et l’inclinaison des couches sont toujours constatées avec soin ; mais quelle pouvait en être l’utilité, dès que l’on croyait à la cristallisation ? à moins qu’on ne considérât les plans comme étant ceux des cristaux ou des indications du clivage ? mais de Saussure avait trop de bon sens pour pousser la conséquence jusque-là.

(P. 430.) Il remarque, vers le fond de la vallée de Chamouni, la présence du gypse, de bancs calcaires et d’ardoises, appliqués contre la base du Mont-Blanc et des autres montagnes de la chaîne, mais sans qu’ils pénètrent au cœur des massifs primitifs. Il étudie ensuite les glaciers et passe aux montagnes des environs de Valorsine. Son ascension du Buet et sa description du panorama qu’on a sous les yeux, lorsqu’on est à son sommet, ont un vif intérêt. La montagne est particulièrement composée de calcaires gris noirâtre et sableux, d’ardoises noires, pesantes, de bancs de grès, de calcaires très-minces alternants, etc. Il détermina barométriquement son altitude, qui se trouva être de 1578 toises 1 2, et Pictet, qui l’accompagnait, ayant pu prendre l’angle de hauteur de la cime du Mont-Blanc, qu’il trouva de 4°, 21′, 30″, en déduisit l’élévation de cette dernière montagne de 2238 toises au-dessus du lac ou 2426 au-dessus de la mer.

De ce point, comme d’un observatoire, de Saussure put embrasser un immense horizon et saisir les caractères généraux des chaînes centrales (p. 503). Le granite qui les forme toutes est pour lui stratifié ou disposé par grands feuillets, plus ou moins verticaux, surtout dans l’axe même des crêtes. Ceux des flancs, inclinés, s’appuient contre les précédents et sont rarement renversés en sens contraire. Les plans des feuillets sont parallèles entre eux et à la direction générale de la chaîne dont ils font partie. Ici la direction commune est N.-E., S.-O. Quant aux montagnes secondaires, composées d’ardoises et de calcaires, lorsqu’elles s’appuient contre les primitives, elles sont aussi divisées en grands feuillets, presque verticaux, se terminant par des pyramides.

(P. 511.) Il faudrait, suivant l’auteur, chercher, dans la direction des plans des couches inclinées, la clef de la théorie de la terre relativement à la direction des courants de l’ancien Océan dans lequel les montagnes ont été formées. Il s’ensuit que, la direction des couches et des chaînes résulterait de celle des courants marins, et que les chaînes se seraient formées sous la mer, telles que nous les voyons aujourd’hui. Lorsqu’il écrivait cette relation de son premier voyage, notre savant guide n’était donc pas encore au-dessus des spéculations les plus étranges du xviie et de la première moitié du xviiie siècle.

(P. 528.) Les grès et les poudingues s’observent toujours, dit-il, à la séparation des couches primitives et secondaires, et il en est de même entre celles-ci et les tertiaires ; d’où il conclut que « tous les grands changements dans les causes génératrices des montagnes furent précédés par des secousses du globe, qui réduisirent en fragments plus ou moins grossiers différentes parties des montagnes qui existaient alors ; que ces fragments furent déposés par couches sur la surface de ces montagnes dans un ordre relatif à leur pesanteur ; que là des sucs de différente nature les agglutinèrent et les convertirent en grès ou en poudingues ; qu’ensuite de nouveaux dépôts ou de nouvelles cristallisations produisirent de nouvelles couches, qui, par le changement arrivé dans les causes génératrices des montagnes, se trouvèrent être d’une nature différente des premières et formèrent de nouveaux genres de montagnes. Ces bancs de sable et de débris, interposés entre les dernières couches primitives et les premières secondaires, n’empêchent pas qu’en général il n’y ait une liaison marquée et des transitions nuancées entre ces deux ordres de montagnes. »

(P. 533.) Les filons de granite observés dans des roches feuilletées y auraient été déposés par des eaux venant d’en haut. C’est, on le voit, la théorie des filons métallifères telle que la professait alors Werner, appliquée au granite dont les éléments se trouvaient en dissolution dans l’eau d’infiltration qui descendait des hautes chaînes. « Que faudrait-il donc encore, se demande alors l’auteur (p. 536), pour qu’il fût indubitable que les montagnes de granite aient été réellement formées dans l’ancien Océan ? »

Il faudrait, continue-t-il, que les granites fussent disposés par couches et qu’ils renfermassent des vestiges des habitants, des eaux. La première condition est résolue affirmativement, puisque pour lui les granites sont parfaitement en couches, ou stratifiés, comme nous dirions aujourd’hui. Dans quelques cas cependant où cette disposition n’est pas apparente, comme dans les montagnes peu élevées, il explique cette exception par des phénomènes ultérieurs qui auraient fait disparaître les fissures indiquant les plans des couches. Quant à la seconde condition, elle n’est point remplie à la vérité, mais il ne la trouve pas absolument nécessaire, par cette raison, dit-il qu’il n’y a pas non plus de fossiles dans les couches secondaires immédiatement superposées, lesquelles cependant, de l’aveu de tous, ont été formées dans la mer, et parce qu’il s’en rencontre dans ces mêmes roches lorsqu’on descend vers les basses montagnes et dans la plaine. Les eaux de l’Océan primitif ne renfermaient point les éléments de la vie qui s’y sont développés peu à peu.

En revenant ensuite dans la vallée de Chamouni, de Saussure étudie le Montanvert, les glaciers qui l’avoisinent et le Brévent[31]. Les granites veinés et feuilletés lui suggèrent toujours les mêmes réflexions et les mêmes doutes sur leur mode de formation, et il ne peut se résoudre à admettre des redressements si fréquents et si réguliers ; il en est de même des granites veinés ou en masse, feuilletés ou sans divisions, qui auraient une origine semblable.
Poudingue de Valorsine

Lors d’un premier voyage fait en 1776, allant visiter les sources de l’Arve, non loin de Valorsine, « je trouvai, dit de Saussure, des choses auxquelles je ne m’attendais point, et qui étaient bien plus intéressantes que les sources ; cependant j’ai cru devoir y retourner encore une fois l’année dernière (1784) pour observer avec attention les objets que je vais décrire. » Ce sont des schistes gris et lie de vin, remplis de cailloux arrondis ou anguleux, de diverses natures et de diverses grosseurs, disposés en couches verticales, et qu’il n’hésita pas à regarder comme ayant dû être formés horizontalement et redressés ensuite après leur consolidation. « Quelle est la cause qui les a redressés, se demande-t-il ? C’est ce que nous ignorons encore ; mais c’est déjà un pas, et un pas important, au milieu de la quantité prodigieuse de couches verticales que nous rencontrons dans nos Alpes, que d’en avoir trouvé quelques-unes dont on soit parfaitement sûr qu’elles ont été formées dans une situation horizontale. La masse entière de cette montagne, ajoute-t-il plus loin (p. 105), élevée de 1181 toises au-dessus de la mer, a donc été redressée par la même révolution ; car toutes ses couches ont à peu près la même situation que nos poudingues enclavés au milieu de la montagne et dont l’épaisseur n’est pas moins de 100 toises. »

À partir de ce jour, les idées de l’auteur furent sensiblement modifiées, mais sa manière d’observer resta la même, quant à l’âge relatif des diverses roches de la vallée de Chamouni.

Il pense que les ardoises proprement dites, les pierres calcaires bleuâtres ou noirâtres, mêlées de mica ou de grains de quartz, sont fort antérieures à la révolution qui a donné aux montagnes la forme qu’elles ont actuellement, changé la situation première des couches, creusé la plupart des vallées, etc. ; on les trouve, en effet, dans un désordre qui prouve que la même révolution a troublé leur situation primordiale. Mais il serait porté à regarder comme beaucoup plus modernes les gypses et les pierres calcaires poreuses semblables au tuf, bien qu’elles ne contiennent aucun vestige de corps marins. La roche du Biolay pourrait cependant faire exception, étant engagée sous les roches primitives.
Région au sud du Mont-Blanc

Après de nouveaux détails pétrographiques sur les roches de cette vallée, de Saussure, poursuivant son itinéraire autour du Mont-Blanc, décrit celles du col du Bonhomme, du passage des Fours (p. 186), les ardoises, les calcaires bleuâtres, alternants et diversement inclinés, des grès remplis de cailloux roulés recouverts à 1396 toises d’altitude par des ardoises grises, des roches quartzeuses avec et des brèches au col de la Seigne, etc. La structure en éventail (p. 200) est supposée pouvoir résulter de l’infiltration de l’eau dans les feuillets des couches, d’abord toutes verticales. Les montagnes des environs de Cormayeur (p. 295) sont décrites comme offrant aussi cette disposition, mais sans que, cette explication leur soit applicable, car l’auteur dit : « La montagne, dans sa totalité, est soutenue et ne surplombe point ; tout est appuyé comme dans une voûte. » Partout règnent les ardoises, les calcaires noirs très-inclinés courant dans la direction de la vallée. Le Cramont, au sud de Cormayeur, montre une sorte de marbre cipolin ou calcaire à gros grain confusément cristallisé, bleu d’ardoise, avec des veines blanches et du mica.

(P. 331.) « En me trouvant sur ce magnifique belvédère, dit le savant naturaliste, le premier objet de mon étude fut le Mont-Blanc. Il se présente ici de la manière la plus brillante et la plus commode pour l’observateur. On l’embrasse d’un seul coup d’œil, depuis sa base jusqu’à sa cime, et il semble avoir écarté et rejeté sur ses épaules son manteau de neige et de glaces pour laisser voir à découvert la structure de son corps. Taillé presqu’à pic dans une hauteur perpendiculaire de 1600 toises, les neiges et les glaces ne peuvent s’arrêter que dans un petit nombre d’échancrures, et il montre partout à un le roc vif dont il est composé. »

Sa forme paraît être celle d’une pyramide dont une des faces est tournée au S.-E., vers le Cramont, et dont l’angle au sommet serait de 130°. Cette pyramide paraît elle-même composée de grands feuillets triangulaires ou pyramidaux, dont trois, qui ont leur base dans l’Allée-Blanche, forment ensemble l’avant-corps de la base de la pyramide, exclusivement granitique dans toute sa hauteur.

Toutes les chaînes de montagnes qui environnent le Mont-Blanc de ce côté sont parallèles ; elles présentent leurs escarpements abrupts vers lui, et c’est un fait général que le relèvement des roches secondaires des flancs contre l’axe cristallin 1 de la chaîne centrale. De Saussure conclut de cette relation que, « puisque les montagnes secondaires ont été formées dans le sein des eaux, il faut que les primitives aient eu la même origine. » Il combat ensuite le creusement des vallées par les rivières et la correspondance des angles rentrants et saillants signalée par Bourguet. « On voit enfin, ajoute-t-il en terminant, que la plupart des vallées ont été creusées, non point dans la mer, mais au moment de sa retraite, ou depuis sa retraite, par les eaux des neiges ou des pluies » (p. 540). Cette opinion est donc très-différente de celle qu’émettait l’auteur dans le volume précédent (vol. I, p. 340) et par laquelle la direction des couches et des chaînes résultait de celle des courants marins, car alors les vallées qui les séparent doivent être contemporaines et non postérieures, comme il le dit-ici. « Je ne prétends pas cependant, continue-t-il (p. 343), que les eaux pluviales des torrents et des vallées soient l’unique cause de la formation de celles-ci : le redressement des couches des montagnes nous force à en admettre une autre. » D’où nous pouvons conclure, à notre tour, qu’une certaine confusion régnait encore à cet égard dans la pensée de l’auteur, par suite d’observations incomplètes et parfois contradictoires.

(P. 394.) En descendant la vallée de la Doire par Aoste et Ivrée, de Saussure décrit une multitude de roches qui se succèdent sur ses flancs, toutes plus ou moins cristallines, calcaires, quartzeuses, micacées ou calcaires avec schorl, mica, stéatite, etc. Comparant ici, comme il l’avait déjà fait plus à l’ouest, les roches placées au nord et au sud de la chaîne centrale des Alpes, il remarque que les calcaires dominent encore dans la première direction, tandis que dans la seconde ce sont des roches feuilletées plus ou moins cristallines, et même des granites qui descendent jusqu’aux plaines (p. 423).

De Saussure remonte ensuite vers le grand Saint-Bernard, décrit les roches qui l’environnent, et croit que l’on s’est trop hâté de séparer les roches en primitives et secondaires, parce qu’il y a, suivant lui, de fréquentes alternances de calcaires, de schistes argileux et de schistes quartzeux et micacés. Puis, redescendant par Saint-Pierre, Martigny, Saint-Maurice et Bex, il complète ainsi la série de ses études autour du massif du Mont-Blanc, massif sur lequel il ne tarda pas à diriger plus particulièrement les recherches dont nous allons nous occuper.
Massif du Mont-Blanc

Lors de ses premières excursions, en 1760 et 1761, la cime du Mont-Blanc était encore regardée comme inaccessible, et ce ne fut qu’en 1775 et 1783 que des guides du pays tentèrent, mais sans succès, l’ascension, en partant de la vallée de Chamouni et se dirigeant par la montagne de la Côte[32]. Vers le milieu de septembre de 1785, de Saussure et Bourrit essayèrent d’y arriver en partant de Bonnassey, et se dirigèrent en conséquence par l’aiguille du Goûté ; mais, après s’être élevés à 1935 toises, l’accumulation de neiges récentes les empêcha de pousser plus avant. L’année suivante, dès le mois de juin, ils renouvelèrent cette tentative sans plus de succès[33], et l’attention se reporta de nouveau vers la montagne de la Côte. Jacques Balmat, guide expérimenté, découvrit à cette époque la véritable direction à suivre, et le médecin Paccard ayant eu la même idée, ils se réunirent et parvinrent au sommet de la montagne au mois d’août 1786. Ce fut le 1er oût de l’année suivante que de Saussure, accompagné de dix-huit guides portant des instruments de physique et tout ce qu’il fallait pour camper plusieurs jours au milieu des neiges perpétuelles, put enfin réaliser le rêve de sa jeunesse.

Les roches rencontrées dans les deux premières journées de cette périlleuse entreprise, et qui percent çà et la les glaces et les plaques de neige, sont des schistes amphiboliques et feldspathiques, des granites veinés et d’autres roches syénitiques, avec plombagine, quartz et mica, des roches stéatiteuses ou granitoïdes, renfermant des nodules de quartz et presque verticales, enfin des schistes ardoises de teinte foncée. Au dôme du Goùté, la pierre était couverte de bulles vitreuses d’une teinte verte sur les cristaux d’amphibole, blanche sur ceux de feldspath, dénotant l’action de la foudre dans ces hautes régions (p. 164). Dans la troisième journée, de Saussure reconnut que le massif qu’il désigna sous le nom de l’Épaule gauche du Mont-Blanc était formé de granite divisé par des fentes verticales dirigées N.-E., S.-O., suivant le plan des couches. La stéatite, l’hornblende, la chlorite, la pyrite, la delphinite (épidote), y sont plus ou moins répandues. Enfin, la roche apparente la plus élevée de la montagne et même de toute l’Europe se rencontra, à 2400 toises, composée de granites en masse avec hornblende, et stéatite remplaçant le mica, le feldspath en constituant les trois quarts. Les roches situées au sud de la cime, dominant l’Allée-Blanche, sont encore des granites, des syénites et des pétro-silex.

Le sommet du Mont-Blanc, qui fut atteint dans la matinée du 5 août, n’offrit à de Saussure qu’une arête allongée, fort étroite, à peu près horizontale, s’abaissant à ses extrémités, et dirigée E.-O. Elle est entièrement formée par la neige. Les roches en place n’affleurent qu’à 60 ou 70 toises au-dessous. Vues de ce point culminant, les montagnes environnantes, surtout celles situées au nord, dans la Suisse et la Savoie, paraissent assez bien liées entre elles et former des espèces de chaînes. « Mais les montagnes primitives n’ont point cet aspect ; elles paraissent distribuées en grandes masses ou en groupes de formes variées et bizarres, détachés les uns des autres, ou qui du moins ne paraissent liés qu’accidentellement et sans aucune régularité » (p. 179).

« Des observations faites dans toute la hauteur de ces massifs, il résulte, continue-t-il, une propriété bien remarquable des montagnes en couches verticales, c’est que leur nature est la même depuis leur base jusqu’à leur cime, quelle que soit l’élévation de cette dernière. Dans celles, au contraire, dont les couches sont horizontales ou à peu près, on voit la nature de la même section verticale changer à mesure qu’on s’élève, circonstances qui tiennent à la différence de la cause qui a donné à ces diverses montagnes leur situation et leurs formes. Dans celles qui sont composées de tranches verticales, chaque tranche est une seule et même couche, dans le sens propre du mot, et non le résultat de quelques fissures accidentelles, comme on l’a prétendu (p. 183). Ces couches étaient originairement horizontales, et n’ont été redressées que par une révolution de notre globe. Il est donc bien naturel que chacune d’elles ait conservé, dans toute sa hauteur, la nature identique qu’elle avait lors de sa formation.

Au contraire, les montagnes divisées en tranches horizontales ne se sont élevées que par une accumulation de différentes couches composées de cristallisations ou de dépôts dont la nature variait à raison de la diversité des matières que contenaient les eaux où elles ont été formées. Il suit de cette théorie que les rochers du centre d’une masse, comme le Mont-Blanc, toute composée de couches verticales, ont dû être originairement enfouis dans la terre à une très-grande profondeur, » etc.

(P. 185.) « Enfin, de ce bel observatoire, je saisissais d’un coup d’œil, ou du moins sans changer de place, l’ensemble du grand phénomène que j’avais observé, pour ainsi dire, pièce à pièce, celui du relèvement des couches des montagnes du côté du Mont-Blanc. De quelque côté que mes yeux se tournassent, je voyais les chaînes secondaires, et même les chaînes primitives du second ordre, relever leurs couches contre le Mont-Blanc et les autres cimes de son voisinage. Telles étaient, au nord, les montagnes du Beposoir, celles de Passy, de Servoz, et le Buet ; au midi, celles du Col de Ferret, du grand Saint-Bernard, puis celles de la chaîne du Cramont, dont la cime ne se voit pas de ce point, mais dont on aperçoit le prolongement bordant l’Allée-Blanche, pour aller se joindre aux montagnes de la Tarentaise. »

Comme moyenne des mesures trigonométriques et barométriques, de Saussure assigna à la cime du Mont-Blanc une hauteur absolue de 2450 toises, et, après y être resté quatre heures pour les diverses expériences qu’il s’était proposé de faire, il redescendit, campa encore une nuit sur la neige, et rentra à Chamouni le quatrième jour, sans accident sérieux, mais non sans avoir éprouvé de grandes fatigues.

Cependant comme le manque de temps et l’effet de l’air raréfié ne lui avait pas permis de faire toutes les observations de physique qu’il avait eues d’abord en vue, il chercha l’année suivante un point plus favorable quoique moins élevé, et choisit le col du Géant, par lequel on descend à Cormayeur, et dont l’altitude est de 1763 toises. Il y resta dix-sept jours, pendant lesquels les observations furent continuées sans interruption. Partout les roches se sont trouvées être des granites en masses, des granites veinés, des gneiss ou des roches micacées quartzeuses. Toutes les couches sont verticales ou très-inclinées, et dirigées N.-E., S.-O., ou E.-N.-E. à O.-S.-O.

(P. 235.) « La structure du Mont-Blanc, dit de Saussure, ne se manifeste nulle part aussi distinctement que du côté qui regarde le col du Géant. On voit, jusque sous sa cime, les coupes des tranches verticales de granite dont cette masse énorme est composée, et, comme ces tranches se montrent là de profil et coupées par des plans qui leur sont perpendiculaires, leur régularité, qui ne se dément nulle part, dans le nombre immense que l’œil en saisit à la fois, ne permet pas de douter que ce ne soient de véritables couches. On voit ces couches se répéter jusqu’au pied méridional du Mont-Blanc, qui repose sur l’Allée-Blanche ; mais, comme je l’ai observé ailleurs, ces couches deviennent graduellement moins inclinées à mesure qu’elles s’éloignent de l’axe de la montagne. On peut les comparer à des planches appuyées contre un mur, auxquelles on donne plus de pied à mesure qu’elles en sont plus éloignées. On ne voit donc rien de ce côté de la chaîne qui réponde aux couches renversées qui flanquent son y « côté septentrional. »
Voyage de Genève au lac Majeur

Dans un voyage qu’il fît en 1783, de Saussure constata d’abord que les montagnes des cantons de Fribourg et de Berne, qui séparent le lac de Genève de celui de Thune, dans le Genessay et le Simmenthal, étaient toutes secondaires, calcaires pour la plupart, et que les couches, souvent verticales, couraient du N.-N.-E. au S.-S.-O., ou du N.-E. au S.-E., direction générale des Hautes-Alpes, qui leur correspondent [34]. De Spitz à Guttanen, Brienz, Meyringen et Grindelwald, la disposition générale des couches secondaires les montre se relevant vers les chaînes cristallines. De Guttanen au Grimsel, à la plupart des granites sont stratifiés, sans affecter de direction constante, quoique persistant sur de grandes étendues, et coupant transversalement les vallées.

Après avoir examiné les grands glaciers de Lauter-Aar, de l’Ober-Aar et du Rhône, le savant voyageur redescend par la vallée de Formazza à Duomo-d’Ossola et aux îles Borroinées. Presque partout il observe des granites veinés qu’il regarde comme horizontaux, décrit les calcaires cristallins de Mergazzo, qui furent employés pour la cathédrale de Milan, et les roches cristallines de l’Isola Bella. Il remonte ensuite de Formazza à Locarno, par la Furca, del Bosco, se dirige vers Airolo, au pied du Saint-Gothard[35], et par la vallée Lévantine, indiquant partout minutieusement les caractères physiques du pays, son aspect général, et les roches de granites, veinées, micacées, quartzeuses et calcaires, tantôt verticales, tantôt horizontales.
Le Saint-Gothard

Le Saint-Gothard, par lui-même (p. 28), ne constitue pas géographiquement une sommité ni un point bien déterminé, et les environs du passage et de l’Hospice montrent des granites, des schistes micacés et des granites veinés en couches. En résumé, dit l’auteur (p. 61), du lac Majeur jusqu’au delà d’Airolo, les roches sont tantôt horizontales et tantôt verticales ; celles du Saint-Gothard proprement dit plongent vers l’axe de la chaîne ; plus haut, le long de la crête, elles sont verticales, et, en redescendant vers Urseren, au nord, elles plongent encore vers l’axe comme au sud. Depuis la vallée d’Urseren jusqu’au pied de la chaîne septentrionale, elles sont généralement verticales. Les alternances fréquentes dans cette région et les passages graduels des granites veinés aux granites en masses, joints à l’identité de l’inclinaison et de l’allure des deux roches, ne permettent pas à de Saussure de douter de leur origine commune, qu’elles ne soient également stratifiées, et qu’il n’y ait des granites veinés aussi anciens que des granites massifs, quoique en général il soit vrai de dire que les gneiss sont plus modernes que les granites.

Après une note fort étendue sur les minéraux du Saint-Gothard, dont il donne une liste, sans doute la plus complète que l’on ait encore publiée de cette riche localité, il continue à redescendre par Altorf et Lucerne. Les poudingues du Rigi devaient appeler surtout son attention ; car nous avons déjà vu qu’il attribuait à la connaissance des cailloux roulés des grandes vallées beaucoup d’importance, les regardant comme les témoignages irrécusables des révolutions de la terre. Ceux du Rigi, arrondis ou anguleux, reliés par un ciment calcaire, sont tous d’origine secondaire, et auraient été apportés par la vallée-de Mutten-thal (p. 108). On voit que de Saussure ne se rendait pas encore compte ni de l’âge de ces poudingues, ni de l’époque relative de la formation de la vallée par où il fait arriver ses éléments. Ainsi, en parlant des cailloux roulés des deux Emmes, il est plus préoccupé de leur origine que de leur chronologie relativement aux poudingues précédents.

Les cailloux, continue-t-il, varient suivant les vallées ; chacune d’elles à ses cailloux prédominants ou caractéristiques indiquant d’où provenait le torrent qui les a apportés. Ainsi les jades caractérisent le bassin du Léman ; le quartz grenu, la vallée du Rhône, depuis le Jura jusqu’à son embouchure ; les variolites à pâte d’ophibase ; la vallée de la Durance ; les schistes amphiboliques, celle de l’Isère ; les variolites du Drac, la vallée que parcourt ce torrent ; et d’autres variolites particulières avec une sorte d’argilolite, les vallées des deux Emmes (p. 155). De l’examen plus particulier de ces derniers, il déduit que la grande débâcle n’a charrié dans le bassin du lac de Genève aucun caillou provenant de la région située au nord du Jorat, puisqu’on n’y observe aucune de ces roches si fréquentes au nord de Berne. L’origine des cailloux du bassin du lac de Genève doit donc être cherchée dans les Alpes du Valais d’une part et dans celles de la Savoie de l’autre.

Voyage au Mont-Blanc

« Depuis longtemps le Mont-Rose était l’objet de ma curiosité, dit plus loin de Saussure[36]. Cette haute montagne domine la lisière méridionale de la chaîne des Alpes comme le Mont-Blanc domine la lisière septentrionale de cette même chaîne. On voit le Mont-Rose de toutes les plaines du Piémont et de la Lombardie ; de Turin, de Milan, même de beaucoup plus loin que Milan. » Se dirigeant alors par le Valais, il en décrit les roches jusqu’à Brig, passe le Simplon, où il signale les schistes mélangés de quartz et de feldspath et les gneiss du col. En redescendant au sud, ce sont encore des schistes micacés, des gneiss, etc., qu’il rencontre, avec une assise de calcaire blanc subordonnée, à un quart de lieue du village. (p. 334). Puis il gagne la vallée de la Toccia, Duomo-d’Ossola, en se dirigeant ensuite par la vallée d’Anzasca, jusqu’à Macugnaga, le village le plus élevé de la base du Mont-Rose, dont les cimes le dominent au nord, à l’ouest et au sud. Les roches de cette base sont des granites veinés ou feuilletés, composés de quartz, de feldspath et de mica, renfermant des pyrites aurifères qui donnent lieu à une exploitation régulière. Tout le massif est d’ailleurs formé, jusqu’au sommet, de granite veiné et de diverses roches schisteuses ou feuilletées, et sa cime la plus élevée atteint, d’après les évaluations de de Saussure, 2430 toises, ou 20 toises de moins que celle du Mont-Blanc.

La réunion des diverses sommités qui constituent le Mont-Rose forme un cirque entourant le village de Macugnaga, et s’ouvrant à l’est dans la vallée d’Anzasca, disposition comparée à celle d’une raquette dont les montagnes qui bordent cette vallée représenteraient, le manche. Le diamètre du cirque, pris au milieu de l’épaisseur de ses murs, est d’environ 5000 toises ou deux lieues.

(P. 351.) « Mais ce n’est pas seulement la singularité de cette forme qui rend cette montagne remarquable ; c’est peut-être plus encore sa structure. J’ai constaté que le Mont-Blanc et tous les hauts sommets de sa chaîne sont composés de couches verticales ; au Mont-Rose, jusqu’aux cimes les plus élevées, tout est horizontal ou incliné au plus de 50°… (P. 353.) Cette forme circulaire, avec un vide au milieu, donne l’idée d’un cratère de volcan, et pourrait faire imaginer que telle a été l’origine du-Mont-Rose, ou que du moins il a été produit par une explosion souterraine ; mais, outre qu’on n’y trouve aucune trace de ce phénomène ni de l’action du feu, les roches ne sont point, comme dans les volcans, relevées contre l’intérieur du cratère… » Celles de la partie méridionale de la couronne, comme celles du pic Blanc, se relèvent au S. ou en dehors ; celles de l’ouest, où sont les plus hautes cimes, se relèvent aussi au S. ; celles du nord à l’E. et celles de l’est se relèvent également vers l’E. « Si donc ces couches ne sont pas actuellement dans leur situation originaire, celles qu’elles présentent aujourd’hui indiqueraient des changements partiels et irréguliers plutôt qu’une cause unique et relative à un centre commun. On ne peut y remarquer qu’un fait général, c’est que les pentes sont toutes beaucoup plus rapides à l’intérieur qu’en dehors du cirque, surtout au nord et à l’ouest, où sont les plus hautes cimes. »

Le granite veiné de ces montagnes renferme d’ailleurs des assises de granite en masse qui en sont contemporaines.

En poursuivant ses recherches autour du massif (p. 272), de Saussure jugea, du sommet du Roth-Horn, que le diamètre total était plus considérable qu’il ne l’avait pensé d’abord, vu de l’intérieur, et qu’il était en réalité de plus de 9000 toises. « On voit de là, dit-il, que le Mont-Rose n’est pas une montagne isolée, mais une masse centrale à laquelle viennent aboutir sept ou huit grandes chaînes de montagnes qui s’élèvent à mesure qu’elles s’approchent de ce centre, et qui finissent par se confondre avec lui, en devenant des parties ou des fleurons de sa couronne. »
Le Mont-Cervin

Enfin, en 1792, un septième voyage fut consacré par de Saussure a l’étude du Mont-Cervin, sorte d’obélisque triangulaire, composé de trois masses distinctes ou de trois grandes couches parallèles entre elles, montant au N.-E. Ce sont des serpentines, des gneiss, des roches micacées et quartzeuses.
Coup d’œil général.

En jetant à la fin de ses longues et savantes recherches un coup d’œil général sur les Alpes comprises entre le Tyrol et la Méditerranée, notre illustre guide nous prouve qu’il n’avait saisi aucune loi bien prononcée dans leurs caractères soit géographiques, soit géologiques, car j’ai reconnu, dit-il (p. 464), qu’on pourrait presque assurer qu’il n’y dans les Alpes rien de constant que leur variété. « Cependant on observera qu’en général les plans des couches suivent la direction des vallées longitudinales et des dos prolongés des montagnes, et que ces mêmes vallées, de même que les chaînes des montagnes, sont généralement dirigées de l’E. À l’O., ou du N.-E. au S.-O. On remarquera aussi que les couches des montagnes les plus modernes sont en général inclinées et appuyées contre la masse des plus anciennes, excepté dans celles qui sont renversées ou dont les plans sont inclinés en sens contraire des pentes des montagnes.

« On observera enfin qu’en général les pentes sont plus rapides et les vallées plus profondes du côté du midi. Cependant le Mont-Cervin à ses escarpements tournés au N.-E., de même que le Breit-Horn, et les pentes extérieures du, Mont-Rose sont plus douces du côté du sud que du côté du nord.

« Mais un fait que l’on observe sans aucune exception, ce sont les amas de débris sous la forme de blocs, de brèches, de poudingues, de grès, de sables, ou amoncelés, et formant des montagnes ou des collines, ou bien dispersés sur le bord extérieur, ou même dans les plaines qui bordent la chaîne des Alpes, et qui attestent ainsi la subite et violente retraite des eaux. Nous voyons donc dans les Alpes la preuve certaine de la catastrophe ou de la dernière scène du grand drame des révolutions du globe. Mais nous ne voyons que des indices fugitifs et problématiques des actes précédents, excepté les preuves de cristallisations tranquilles dans les temps plus anciens qui ont précédé la création des animaux, et de dépôts ou de sédiments dans ceux qui ont suivi cette époque, et quelques preuves de mouvements violents, comme la formation des brèches, des poudingnes, le brisement des coquilles et le redressement des couches. »
Réflexions sur l’œuvre de de Saussure

Pour justifier ce, que nous avons dit en commençant, nous avons tenu à reproduire l’expression même des principaux résultats que de Saussure avait obtenus de ses longues études. L’idée de la succession normale des phénomènes, déduite de la série chronologique des faits constatés, est à peine indiquée dans ses quatre volumes de descriptions et d’expériences de diverses sortes. Nulle part l’application un peu en grand de la discordance ou de la concordance des couches n’apparaît nettement ; les poudingues de Valorsine, les poudingues du Bigi et ceux qui résultent des phénomènes plus récents sont à peine distingués quant à leur âge relatif ; il en est de même des calcaires, des schistes ardoises, des grès, etc. Hormis les détails pétrographiques et orographiques, tout reste indéterminé comme si, à l’époque-où il écrivait, ce que nous appelons aujourd’hui la stratigraphie, n’avait encore été compris nulle part. Mais nous avons déjà dit qu’elle avait été mise en pratique en Italie, et nous verrons que d’autres parties de l’Europe étaient tout aussi avancées à cet égard.

Quant à la considération des fossiles, quels qu’ils soient, leur présence ne sert encore qu’à classer, sous la désignation vague de roches secondaires, celles où l’on en rencontre. L’expression de couches tertiaires se trouve, il est vrai, quelquefois, mais on n’aperçoit point ce qui les caractérise et les différencie des secondaires.

Nous remarquerons néanmoins que, dans l’Agenda eu Tableau général des observations et des recherches dont les résultats doivent servir de base à la théorie de la terre, fruit précieux de la longue expérience de l’auteur, il recommande de « constater s’il y a des coquilages fossiles qui se trouvent dans les montagnes les plus anciennes et non dans celles d’une formation plus récente, et classer ainsi, s’il est possible, les âges relatifs et les époques de l’apparition des différentes espèces ; comparer exactement les ossements, les coquillages et les plantes fossiles avec leurs analogues vivants, » etc. (p. 505). Mais nulle part nous ne trouvons ni l’application de ces préceptes, ni que de Saussure ait cherché à vérifier ces indications qui peut-être lui auront été suggérées tardivement par la lecture de quelques livres tels que ceux de Buffon.

Parmi d’autres préceptes, d’ailleurs excellents, qu’on trouvera dans cette espèce de mémorandum, nous ne pouvons mieux faire, pour terminer notre appréciation des travaux géologiques du grand naturaliste génevois, que de citer encore celui par lequel il termine son œuvre, et que personne n’a plus scrupuleusement observé que lui (p. 539) : « Mais ce qui est plus rare encore, dit-il, et peut-être plus nécessaire que le zèle qu’il faut pour surmonter ces obstacles, c’est un esprit exempt de prévention, passionné de la vérité seule, plutôt que du désir d’élever ou de renverser des systèmes, capable de descendre dans les détails indispensables pour l’exactitude et la certitude des observations, et de s’élever aux grandes vues et aux conceptions générales. Cependant il ne faut point que ces difficultés découragent ; il n’est aucun voyageur qui ne puisse faire quelque bonne observation et apporter au moins une pierre digne d’entrer dans la construction de ce grand édifice. »
Travaux de J. André de Luc

Compatriote et contemporain de de Saussure, Jean-André de Luc parcourut d’autres pays, écrivit beaucoup, mais presque toujours sous une forme peu scientifique, prétendant à de grandes vues théoriques et dominé par des idées, soit préconçues, soit étrangères à son sujet, qui ont dû singulièrement nuire à la valeur de ses travaux. Il lui a manqué, comme à la plupart des géologues du xviiie siècle, précisément ce qu’il fallait pour arriver à des déductions positives, à la fois théoriques et pratiques sur la structure et la composition du sol, savoir l’examen continu et détaillé d’une surface donnée, suivi dans des directions convenablement choisies, et la construction ou la représentation graphique du résultat de ces études. Ainsi, jamais nous ne voyons les observations de de Luc, non plus que celles de de Saussure et de la plupart de leurs contemporains, projetées sur un plan vertical ou horizontal, même de quelques lieues, d’étendue, pour montrer les relations des roches et leurs affleurements à la surface. Ce sont toujours des études sans suite, superficielles, énoncées dans des descriptions vagues, interminables, et où le désir d’expliquer tout avec des données incomplètes laisse le lecteur incertain ou aussi ignorant après qu’avant. Mieux valait peut-être encore les iconographes qui les ont précédés, et qui du moins, par la représentation des corps organisés fossiles et l’indication exacte du lieu d’où ils provenaient, laissaient dans l’esprit quelque chose de positif, et apportaient des matériaux utiles pour l’avenir. Mais motivons notre opinion sur le savant physicien et naturaliste génevois.

Lors de la première publication de ses Lettres physiques et morales sur les montagnes et sur l’histoire de la terre et de l’homme, adressées à la reine de la Grande-Bretagne[37], ouvrage dont le titre seul suffirait pour montrer l’incohérence des idées qu’il renferme, il semble que le mot géologie n’était pas encore employé pour exprimer la connaissance de la terre, car de Luc lui préfère celui de cosmologie, en faisant remarquer toutefois qu’il ne le prend point dans sa véritable acception de connaissance de l’univers.
1re lettre physique et morale

1778

L’histoire de la terre, dit-il plus loin (p. xx), est l’objet gééral que je traite, et, dans quelque vue qu’on l’étudie, on ne saurait en séparer l’histoire de l’homme, sans risquer de tomber dans l’erreur. C’est du moins ce qui m’a paru dans toutes mes recherches. J’ai trouvé entre ces deux histoires ses rapports qui m’ont frappé et très-souvent dirigé. »

Avec de telles prémisses, il était, on le conçoit, difficile que les conséquences ne fussent pas plus ou moins entachées d’erreurs. L’homme est complètement dépendant de la nature physique qui l’entoure, mais celle-ci est dans la plus parfaite indépendance d’un être organisé de plus ou de moins à la surface, de la terre. De Luc, à cet égard, était encore dans les langes du moyen âge, et ses idées étaient moins avancées que celles des prêtres de Memphis. On ne peut donc s’étonner que, malgré ses travaux variés, ses voyages, ses raisonnements et ses méditations, la nature ne lui ait révélé aucun de ses mystères.

En proposant ces vues, dit-il encore (p. xxiv), il n’a point pour but de critiquer les auteurs qui en ont eu d’autres avant lui, « car je suis convaincu, ajoute-t-il, que rien ne nuit plus au progrès que cette dernière voie… Dans la société, les disputeurs ont souvent l’homme en vue plutôt que la chose, et le public ne connaît presque la chose que par les disputeurs, » ce qui a été parfaitement vrai dans tous les temps. Néanmoins, on verra plus loin que peu fidèle à son précepte, l’auteur critique avec beaucoup d’amertume ceux qui ne pensent pas comme lui.

Imbu des idées de son époque, dont nous avons déjà fait ressortir les inconvénients, « c’est, dit-il aussi (p. 127), dans « les montagnes que l’on doit principalement étudier l’histoire du monde. Outre que les plaines sont plus altérées par les travaux de l’homme, leur peu d’élévation au-dessus du niveau de la mer ne suppose pas des machines aussi puissantes pour les fabriquer et les mettre à sec que ces masures énormes[38] entassées les unes sur les autres. C’est donc là qu’on doit aller s’instruire des faits, c’est-à-dire de ce qu’il faut expliquer lorsqu’on entreprend de rendre raison de l’état où se trouve aujourd’hui la surface de la terre, » etc.
2es lettre physique et morale

1778

Cette publication, interrompue, fut reprise, l’année suivante, avec le titre un peu moins hétérogène de Lettres physiques et morales sur l’histoire de la terre et de l’homme[39]. La première partie (t. I) renferme des discours sur divers sujets sans rapports avec le nôtre ; la seconde, un examen des systèmes, de cosmologie, où l’on attribue au déluge universel l’état actuel de la surface de la terre ; ce sont les idées de Burnet, de Whiston, de Woodward, de Leibnitz, de Scheuchzer, de Pluche et d’Engel. La troisième partie comprend les systèmes où l’on attribue cet état actuel de la surface de la terre à des opérations lentes des eaux ; la quatrième (t. II), le système qui assigne aux fleuves ce même état ; la cinquième, celui qui regarde les continents comme le résultat des changements lents survenus dans le niveau des mers ; enfin la sixième, qui traite de l’influence des feux souterrains. Ces études sont toutes fort incomplètes dans leur sujet même, et sont plutôt pour l’auteur des thèmes à digressions, plus ou moins étendues, qu’un examen critique, sérieux et comparé de toutes les hypothèses. Les tomes III, IV et V sont ; consacrés à des relations de voyages dans les Pays-Bas, la Westphalie, le Hanovre, le Harz, les bords du Rhin, etc., relations dans lesquelles les caractères physiques du pays sont décrits avec détails, accompagnés de dissertations sur tous les sujets, mais où le géologue pourrait à peine trouver à glaner çà et là quelques faits isolés, et où le paléontologiste ne rencontrerait absolument rien.

La seconde partie du tome V, qui est la onzième de l’ouvrage, comprend le Système cosmologique de l’auteur, déduit de tout ce qui précède. « Notre esprit, dit-il (p. 450), ne se promène dans la nature que parmi les probables ; c’est l’une des plus grandes vérités que nous tenions de l’expérience… Ce que nous cherchons en cosmologie, c’est comment notre globe a des montagnes » (p. 452). Ainsi, rien que les montagnes, voilà toujours ce qui préoccupe de Luc.-Il distingue, d’après leur origine, les montagnes volcaniques et les montagnes aquatiques ou secondaires ; quant aux montagnes nommées primordiales, comme il n’a aucune donnée expérimentale ni d’observation directe sur leur origine ou leur mode de formation, il les nomme montagnes inexplicables, et ne s’en occupe plus. Il connaît ; à la vérité, leurs matériaux constituants ; mais cela ne lui suffit pas pour remonter sûrement à leur cause première. « Si, d’un autre côté, continue-t-il (p. 454), j’examine les rapports qu’ont entre elles ces différentes classes de montagnes, par leurs positions respectives, je trouve des preuves évidentes que les montagnes inexplicables sont antérieures à celles qui doivent leur existence au « feu et à l’eau. Je borne donc mes recherches sur le passé « aux effets connus de ces causes connues ; tout ce qui est plus « ancien est lettre close pour moi. »

Cela posé, sous forme d’axiomes, de demandes et de réponses, il s’efforce de reconstruire un édifice abstrait, idéal, qui a bien quelques rapports avec celui que les géologues d’alors admettaient comme résultat général des faits acquis, mais aux différentes parties duquel on ne peut assigner ici aucun nom spécial, parce que l’auteur ne cite aucun nom particulier de lieu ni de chose à l’appui de chaque axiome formulé ou de chaque réponse qu’il adresse. Après une multitude de considérations et de raisonnements de la même nature, il est amené à ce qu’il regarde comme son argument fondamental, et s’exprime ainsi (p. 485) :

« Les continents qui existaient au temps de l’ancienne mer n’étaient pas une masse solide ; c’étaient des voûtes qui recouvraient d’immenses cavernes. Celles-ci étaient à plusieurs étages, comme les offices sous des palais. Malgré leur vaste étendue et leur profondeur, leurs colonnes étaient peu nombreuses ; tout y étant primordial, la continuité et la solidité des matières suppléaient au petit nombre des appuis. C’est ainsi que ces anciens continents étaient soutenus au-dessus du niveau de la mer, et son eau n’avait originairement aucun accès dans leurs cavernes. Les accidents particuliers qui arrivèrent au fond de cette ancienne mer, par les feux souterrains, ouvrirent des chemins à ces eaux dans l’intérieur de la terre, etc. Elles y produisirent les mêmes effets que sous le fond de la mer ; il s’y fit de grandes fermentations ; les voûtes furent ébranlées, et leur rang supérieur s’abattit sur celui qui les supportait. Alors les continents disparurent[40]… À la fin de cette première partie de la révolution, la mer couvrit tout le globe, excepté les îles de l’ancien fond… Cependant le poids de l’eau, ajouté à celui de la masse des premières voûtes, surchargea celles de dessous et les enfonça. Ce nouveau poids, ajouté au précédent, enfonça un troisième rang de voûtes, et, par une succession assez prompte d’effets pareils, le nouveau lit de la mer s’approfondit de plus en plus, de sorte qu’enfin toutes ses eaux s’y retirèrent, laissant à sec nos continents. »

Ces citations, relatives à ce que de Luc appelle l’histoire ancienne de notre globe, nous dispense de le suivre dans ce qu’il appelle son histoire moderne. Ces rêveries n’avaient pas même alors le mérite de la nouveauté, et comment pouvait-il dire, après cela, que, dans sa Cosmologie, il se bornait aux effets connus des causes connues ? Nous ne nous occuperons pas d’avantage de sa critique des idées de Buffon, que nous aurons occasion d’étudier nous-même, à un autre point de vue, et à plus forte raison nous abstiendrons-nous de rappeler ses considérations sur la Genèse, le récit de Moïse, le déluge biblique et la révélation du législateur des Juifs, sujets complètement étrangers à la science telle que nous devons la traiter.
Lettres à Blumenbach

1798

Peut-être pourrions-nous nous borner à cet exposé sommaire d’un ouvrage qui a eu un certain retentissement ; mais il serait peu juste de ne pas chercher si, dans ses travaux ultérieurs, l’expérience et la réflexion ne sont pas venues modifier les idées de de Luc, comme nous avons vu qu’avaient été modifiées celles de de Saussure. Les Lettres sur l’histoire physique de la terre, adressées à Blumenbach[41], publiées vingt ans plus tard, vont nous éclairer à cet égard.

La première lettre renferme des généralités exactes sur la disposition des couches, leur origine et les phénomènes qu’elles ont éprouvés depuis. L’auteur rappelle ensuite qu’il s’est attaché à démontrer le peu d’ancienneté des continents, ce qui, dit-il, renverse d’un seul coup tous les systèmes de géologie où l’on y employait, pour expliquer leur formation, les causes lentes agissant pendant une suite innombrable de siècles. Il cite, à l’appui de cette manière de voir, les ossements d’Éléphants et de Rhinocéros fossiles qui auraient été déposés dans la mer, et ce n’est que depuis la retraite de cette dernière que les continents ont été émergés. Ici de Luc confond évidemment les dépôts tertiaires marins avec les dépôts diluviens beaucoup plus récents. Il remarque que les lacs des montagnes ne sont point remplis par les détritus apportés des vallées supérieures, et que les vallées des pays de montagnes ne sont point dues à l’action des eaux torrentielles ou pluviales. Les blocs erratiques n’ont pas été transportés par des rivières ; mais il ne reproduit pas l’hypothèse que nous avons rapporté ci-dessus.

En résumé, pour de Luc, toute la masse des continents serait composée de couches de différentes substances, dont les principales espèces ont à peu près partout le même ordre de superposition ; mais nulle part, dans son travail, cet ordre n’est indiqué d’une manière régulière ou systématique, et aucun exemple ni aucune localité ne sont cités à l’appui ; ce sont toujours, comme dans les ouvrages précédents, des abstractions aussi vagues dans les termes que dans l’application. Après les premières sortes de roches qui sont les plus anciennes et ne renferment point de corps organisés, on en observe d’autres qui en contiennent, et dont les espèces changent suivant les différentes couches. La constance de ces espèces dans les couches contemporaines n’étant point déduite de cette observation, on peut la regarder encore comme étant sans valeur. Parmi ces corps organisés, continue-t-il, on trouve des restes d’animaux et de végétaux terrestres ; mais, jusque dans les dépôts meubles de la surface, le plus grand nombre est d’origine marine ; ainsi de Luc ne distinguait pas les sédiments d’origine exclusivement d’eau douce, depuis longtemps mentionnés au delà des Alpes, et ne connaissait même pas les observations de Lamanon sur les gypses d’Aix et de Paris.

Quoiqu’il soit certain, poursuit-il, que les couches ont été formées dans la mer, ce qui suppose une accumulation continue, et dans une situation peu éloignée de l’horizontale, elles sont actuellement rompues, renversées, affaissées par grandes masses, de sorte que toute la surface de nos continents ne présente que des masures. Les causes violentes qui ont ainsi bouleversé nos couches ont précédé quelque grande révolution par laquelle nos continents ont été mis à sec et livrés ainsi à l’action des causes actuellement connues. Enfin, ce grand événement n’a pas précédé de bien des siècles nos temps historiques marqués par les monuments de l’homme.

On voit, par cet exposé de principes, que de Luc n’admettait qu’une seule grande révolution ayant plissé et disloqué les couches, puis celle qui a mis les continents à sec. Il était donc moins avancé qu’on ne l’était alors en Italie, et l’on ne comprend pas qu’ayant séjourné longtemps en Angleterre et beaucoup voyagé en Allemagne, il ait si peu profité des travaux stratigraphiques et paléontologiques qu’on y avait déjà exécutés. Cette remarque peut s’appliquer d’ailleurs aux autres livres de l’auteur, qui semble n’avoir fait aucune étude des savants qui l’ont précédé dans tant de pays et sur tant de sujets.

Passant à l’explication et à l’interprétation des faits tels qu’il les conçoit (p. 45) : « Le Traité de géologie, dit-il, dont j’ai entrepris de donner l’extrait dans ces lettres, tend à établir la certitude de la révélation mosaïque. » Puis, attaquant les géologues dont les systèmes sont contraires à cette révélation : « Toutes ces théories de la terre qu’on lui a opposées renferment, continue-t-il, une proposition commune, qui, dans toutes aussi, est l’argument fondamental, c’est que nos continents sont d’une très-grande antiquité. Cette idée n’est point venue des faits, mais comme une hypothèse nécessaire à d’autres hypothèses. » Nous n’avons point besoin, on le comprend, de discuter de pareilles assertions, que nous ne citons que pour montrer combien peu le temps avait rectifié les premières opinions de l’auteur.

Il distingue seulement parmi les corps organisés fossiles ceux qui sont anciens de ceux qui sont modernes ou ensevelis dans les couches superficielles, semblables aux animaux actuels, et tout prouve, suivant lui, que la mer a abandonné les terres dans une seule révolution, depuis laquelle elle n’a plus changé sensiblement de niveau. « Cette circonstance est si évidente, ajoute-t-il, que M. de Dolomieu s’étonne qu’on ne l’ait pas reconnue plutôt, puisqu’on peut la lire partout sur nos continents. » Mais ce qui nous semble beaucoup plus évident encore, c’est que de Luc n’avait fait qu’une étude très-superficielle des pays qu’il avait parcourus. Comme la plupart de ses contemporains qui avaient le plus voyagé, il n’avait aucune base d’observation, aucun principe pour se guider, aucune méthode pour classer et coordonner les faits. Il ne voit presque partout que ce que nous appelons aujourd’hui les dépôts de transport diluviens, lesquels ne sont nullement d’origine marine, comme il le croit, et le reste, c’est-à-dire le domaine de la géologie presque entier, est relégué par lui dans un vaste inconnu.

En outre, les quelques idées justes qu’on rencontre se trouvent encore faussées dans ses conclusions par cette introduction malheureuse d’éléments théologiques complètement étrangers à la science, de sorte que, de toute cette argumentation si compliquée et de ce luxe de raisonnements accumulés sur chaque sujet, on voit à regret qu’il ne reste absolument rien d’utile à retenir. (Page 58.) « Il faut étudier, continue-t-il, les couches pierreuses placées sous ces couches meubles, celles dont nous venons de parler, et c’est d’après cette considération et l’ensemble des faits que nous nous trouvons d’accord, entre autres MM. de la Métherie, de Saussure, de Dolomieu, Pini et moi, sur cette conclusion fondamentale, que toutes les substances qui forment aujourd’hui la masse connue de nos continents ont dû, à quelque époque reculée, faire partie d’un liquide qui couvrait tout le globe, et dont elles se sont successivement séparées par voie chimique. C’est là une époque fixe dans le temps passé ; elle doit nécessairement avoir été déterminée par quelque nouvelle cause, et suivie de la chaîne des événements qui a produit enfin l’état présent de la terre. »

Cherchant ensuite à remonter vers cette première époque qui lui paraît si bien fixée, il part de la présence des animaux marins renfermés dans les différentes couches, animaux qui vivaient dans les lieux où ils se trouvent encore, et qui diffèrent dans chacune d’elles. Mais, ici comme précédemment, ce sont des phrases générales sans aucune indication de lieux, de roches, de genre, ni d’espèce d’êtres organisés, par conséquent sans application directe possible. Aujourd’hui, ajoute-t-il, il ne se passe rien de semblable dans la mer, parce qu’il ne s’y fait pas de précipité chimique comme autrefois, et « elle ne produit absolument rien qui ait le moindre rapport avec ces couches pierreuses » (p. 61).

Il admet que les dépôts ont été d’abord horizontaux, puis bouleversés, redressés, plissés, etc. ; mais il admet également la stratification du granite. Il expose la succession du redressement des couches en rapport avec le plus ou moins d’éloignement des roches cristallines ou granites primitifs ; arrangements faits d’après les données de Pallas, de Patrin, de Dolomieu, de Ramond, et plus particulièrement de de Saussure.

(P. 76-77.) Reproduisant alors ce qu’il avait déjà présenté sous diverses formes, relativement à l’origine des couches, à leur mode de formation, à l’apparition des êtres organisés, aux dislocations, et surtout aux enfoncements des roches qui n’ont laissé que quelques éminences, savoir, les montagnes là où elles se rompaient, il arrive au moment où les continents prirent naissance comme terre sèche, à la suite de la dernière de ces convulsions. « C’est donc là, dit-il (p. 78), une suite non interrompue d’opérations qui ont commencé par le granite.

« La première des opérations, le dépôt de cette roche, a dû avoir lieu lorsque les éléments étaient à l’état liquide, toute cristallisation étant impossible sans cela ; la terre à l’état liquide prit sa forme déprimée aux pôles, les couches minérales commencèrent à se former sur un noyau solide quelconque. Le liquide était aqueux et contenait tous les éléments des autres substances connues, et sa température était celle nécessaire à leurs combinaisons chimiques. »

Se livrant alors à de longues digressions sur la lumière et la chaleur, sur leur action réunie ou séparée, sur leurs analogies et leurs différences, de Luc arrive à conclure (p, 92) que « rien « de ce que nous observons sur notre globe n’a pu commencer de s’opérer sans la réunion d’une certaine quantité de lumière à tous les autres éléments dont il fut d’abord composé, éléments qui, sans elle, auraient été sans actions chimiques les uns sur les autres, et qu’ainsi l’origine de tous les phénomènes géologiques connus date de l’époque de cette réunion. » C’est donc à la présence de la lumière qu’est attribué le premier phénomène de la composition des roches. Déjà l’auteur avait suivi ce qu’il appelle une marche analytique, dans des lettres adressées à de la Métherie ; « mais, ajoute-t-il, en dirigeant ma marche d’une manière plus formelle, plus détaillée par rapport au but de ces lettres, celui de montrer l’accord de la nature et de la foi à l’égard de la première révélation. » Ces lettres sont indiquées ci-après.

(P. 96.) Les jours de la Genèse sont des périodes, comme nous avons vu que Needham l’avait dit depuis longtemps, comme nous verrons que Buffon l’écrivait aussi vingt ans auparavant, et d’autres plus anciennement encore, et cela ne peut s’entendre autrement, ajoute de Luc, puisque le soleil, qui est la cause de nos jours actuels, par suite du mouvement de rotation de la terre, ne paraît dans le récit biblique que le quatrième des jours en question.

La série des opérations physiques qui, suivant l’auteur, ont en lieu à la surface du globe, depuis l’existence de la lumière (non pas de celle du soleil bien entendu) jusqu’à la naissance de l’homme sur les premiers continents, est divisée par lui en 6 périodes, dent l’énumération est précédée encore de raisonnements spéculatifs et abstraits, d’insinuations banales et de mauvais goût contre ceux qu’il désigne par l’épithète d’athées, etc. Mais nous épargnerons au lecteur toutes ces petitesses d’un homme d’esprit, quoique d’un esprit rarement juste. Nous lui épargnerons également l’examen de ces 6 périodes, dont la première a été déterminée par l’addition de la lumière, la seconde par des phénomènes chimiques et physiques, par l’intervention de l’Être suprême, qui a ordonne le premier arrangement (p. 125). Dans la troisième, la végétation qui a formé la houille s’est produite sans le concours de l’action solaire, puisque l’astre qui nous éclaire aujourd’hui ne fut créé que le quatrième jour, etc. Le tout est terminé par des commentaires sur les onze premiers chapitres de la Genèse.

Ces lettres de de Luc à Blumenbach ne sont donc pas de la science sérieuse, mais un mélange incohérent de toutes sortes de données incomplètes, empruntées aux sciences physiques et d’observation, avec addition d’idées théologiques ou mystiques ; c’est une association hybride dont on ne retire aucune instruction, aucune pensée nette, aucune application utile. Nous nous serions même abstenu de cet examen, si le nom d’André de Luc n’avait eu une certaine renommée aux yeux des personnes du monde, pour lesquelles il semble avoir écrit plutôt que pour les savants, et si par suite cette opinion ne s’était transmise jusqu’à nous, avec tous ses bénéfices, et sans plus ample informé.
Traité élémentaire de géologie

1810

Enfin, pour asseoir définitivement et sans prévention notre jugement sur le correspondant si fécond de la reine d’Angleterre, de Blumenbach, de la Métherie et de tant d’autres célébrités contemporaines auxquelles ses lettres s’adressaient, cherchons si, dans un ouvrage plus récent, dont le titre essentiellement scientifique promettait un exposé plus méthodique, de Luc a modifié ses idées et la manière de les rendre.

Le premier paragraphe du discours préliminaire placé en tête de son Traité élémentaire de géologie[42] promettait beaucoup à cet égard, car rien n’est plus clair et mieux pensé ; mais bientôt la théologie reparaît, et notre rôle de critique finit, car l’auteur ne fait que reproduire sous une forme plus condensée ce qu’il a dit dans ses lettres précédentes. Ayant eu connaissance de la théorie de Hutton et de l’explication qu’en a donnée Playfair, il la commente à son point de vue ; il invoque tour à tour de Saussure et de la Métherie, les combat, et revient à sa propre idée sur l’existence des cavernes, « dont l’origine, dit-il (p, 50), devant tenir à la constitution primitive du globe, elles deviennent un guide pour la déterminer. »

La suite du livre comprend encore, sous la forme de lettres, adressées à Hutton, forme dont il semble que l’auteur ne puisse se détacher, de véritables paraphrases de celles de 1778, 1790, 1791 et 1798, auxquelles les noms fréquemment reproduits de Hutton, de Playfair et de de Saussure donnent seulement une apparence de nouveauté. Les déductions (p. 360 et 365) ne sont rien autre que ce qu’on a déjà vu, de sorte que, dans cet ouvrage, qui semble être la dernière expression des idées de de Luc, rien ne vient justifier ce que son titre annonçait.
Mémoires divers

De Luc a publié, en outre, toujours sous forme de lettres, une multitude de mémoires insérés pour la plupart dans le Journal de physique. Ainsi, dans sa 2e lettre[43], s’appuyant sur les dénominations de Pallas, il croit retrouver dans les montagnes du Jura le premier ordre de montagnes calcaires de l’Oural, rapprochement complètement faux comme ceux qu’il fait avec les données de Burtin pour la Belgique. La 12e lettre sur les couches de craie et celles de houille, puis sur leurs catastrophes[44], n’est pas plus heureuse. Ailleurs, après avoir traité du Salève[45], il est ramené, dit-il, au système de l’affaissement des continents anciens lors du déluge, système déjà exposé dans les lettres précédentes où il a combattu l’hypothèse des soulèvements. Aussi n’admet-il, comme ayant été élevées, que les montagnes volcaniques, et encore n’ont-elles pas été soulevées, mais ont-elles acquis leur relief par suite de l’accumulation successive des matières rejetées par le volcan. Pour lui, le Mont-Nuovo et les îles de Santorin ne sont que des accumulations dues à cette dernière cause.

« C’est donc aux affaissements qu’il faut toujours revenir pour se rendre raison des montagnes sous leur rapport d’éminences élevées à la surface du globe, c’est-à-dire que les parties qui faisaient suite aux couches qui les composent se sont affaissées les unes brusquement, et ont laissé debout ces faces abruptes ; les autres, en bascule, ont donné aux couches cette inclinaison rapide. » Il est évident que l’auteur, de même que tous ceux qui avant et depuis lui se sont rattachés à cette hypothèse comme phénomène général, n’a jamais considéré que les montagnes monoclinales, ou dont les couches n’offrent qu’une inclinaison, et non les montagnes anticlinales, ou dont les mêmes couches s’abaissent en sens inverse de chaque côté de l’axe. De Luc se prononce d’ailleurs ici contre la supposition que les couches très-inclinées ou verticales aient pu se former ainsi par voie de cristallisation.

Dans la 15e lettre, il traite de considérations météorologiques auxquelles donnent lieu la formation et la naissance des continents[46] ; dans la 16e[47], il essaye de réfuter la critique en partie très-judicieuse qu’avait faite le père Pini de ses hypothèses les plus hasardées, et qui fut suivie d’objections également fondées présentées par de la Métherie[48]. Dans la 18e, où il essaye de décrire les environs de Weymouth, on peut voir combien de Luc, si prompt à bâtir de fragiles édifices avec les matériaux des autres, était peu habile à en recueillir lui-même. Les 19e, 20e, 21e, 22e et 23e[49] roulent encore sur divers sujets déjà traités par lui. La 24e traite de la nature des silex et de l’origine des substances des roches coquillières, la 25e est une réponse au père Pini, la 26e traite de l’origine des sables superficiels et de celle des continents, la 27e des effets produits par le changement du lit de la mer, et la 28e est encore relative au peu, d’ancienneté des continents[50], assertions auxquelles de la Métherie[51] n’a pas laissé que de faire des objections très-judicieuses.

Dans son Mémoire sur la Lenticulaire, de la Perte du Rhône, sur la Lenticulaire numismale et sur la Bélemnite[52], de Luc considère les Nummulites comme des corps analogues à l’os de la Seiche, mais ses observations sur la structure intérieure de ces corps sont parmi les meilleures que l’on ait encore faites jusqu’alors. Dans un second mémoire[53] il a fait connaître des Numismales provenant des montagnes de Lahour, dans la province de Silhet, au nord du Bengale, et après les avoir comparées avec certaines espèces, du Véronais et des environs de Bayonne et reconnu leur identité : « C’est un fait intéressant, dit-il, en géologie, qu’un même fossile se trouve à d’aussi grandes distances et sous des latitudes si différentes, » Avant lui on n’avait guère considéré les Nummulites géologiquement ou par rapport aux couches qui les renferment. Cette observation, dont l’exactitude a été confirmée depuis, a donc posé le premier jalon dans cette voie non encore parcourue et qui a tant contribué à donner à ces corps une importance qu’on ne leur soupçonnait pas. De Luc a critiqué aussi avec raison le nom de Discolithe, que nous avons vu proposé par Fortis, mais c’est à tort qu’il blâme ce dernier d’avoir admis que les tours de la spire et les cloisons se reproduisent en relief à la surface de certaines espèces[54].

Dans sa description du mont Voiron, près de Genève[55], de Luc mentionne, sous le nom de Buffonite, un des corps problématiques désignés aujourd’hui sous le nom d’Aptychus ; il attribue, comme de Saussure, les cailloux et les-blocs erratiques de cette montagne aux courants de la mer, courants qui sont ceux du déluge biblique, qu’on ne peut abandonner, dit-il, sans tomber dans de graves erreurs. « Il est peu de systèmes de ce genre, ajoute-t-il (p. 425), où les erreurs soient plus multipliées que dans celui de M. de Buffon, et cependant c’est celui qui, dans son temps, obtint le plus de crédit, et qui nuit le plus à la confiance qu’on doit au récit de Moïse dans son histoire du déluge. »

Sans doute le génie de Buffon est trop au-dessus des attaques de de Luc pour avoir besoin d’être défendu ; mais nous ne pouvons nous empêcher de protester en passant contre cette partialité, ce dénigrement si voisin de l’envie que le naturaliste physicien de Genève manifeste à l’égard du savant français toutes les fois qu’il en trouve l’occasion. Si toutes les idées théoriques de Buffon ne sont pas irréprochables, comme nous le verrons, leur simplicité et leur grandeur imposante ne font que mieux ressortir le caractère compliqué, tourmenté, des fantastiques élucubrations que de Luc cherche toujours à mettre à l’abri sous l’égide protectrice de la Bible. Le passage suivant, extrait de la 14e lettre sur les os fossiles et sur les dernières opérations des anciennes mers, suffira pour donner une idée du goût de sa critique. « On a bien peint, dit-t-il, M. de Buffon en le nommant le Pline français, car il ne réfléchissait pas plus que, cet ancien naturaliste ; il ne connaissait presque aucun fait géologique par lui-même ; son imagination l’entraînait ; il s’accrochait à tout ce qui pouvait le flatter, et il pensait, comme beaucoup d’autres, qu’en ne répondant pas aux objections il les faisait oublier[56], » etc. Une pareille phrase et celle qui la suit, que nous nous abstenons de rapporter, suffisent pour la condamnation de celui qui les a écrites.
Parallèle de de Saussure et de de Luc

Si, pour nous résumer, nous comparons actuellement Bénédict de Saussure et J, André de Luc, ces deux citoyens de Genève, comme ils se qualifiaient, placés tous deux dans une condition sociale élevée et s’étant occupés des mêmes sciences, nous remarquerons entre eux les différences les plus prononcées. Le premier sort rarement du champ de l’expérience et de l’observation attentive des faits, concentrant ses recherches dans un espace bien limité et glorieusement parcouru. Esprit judicieux, sobre jusqu’à la timidité de déductions théoriques ou d’hypothèses, il préfère rester en deçà de ce qu’il sait que de courir le risque de s’égarer au delà ; quand il parle des opinions qu’il ne partage pas, il s’exprime toujours avec une convenance parfaite. Son livre restera comme un modèle d’exactitude et un tableau toujours vrai, simple et animé, de cette nature dont il représente les scènes imposantes et variées.

Le second, sous l’empire d’idées préconçues ou de relations nécessaires entre des sujets d’ordres très-différents, a parcouru des pays assez divers. Esprit aventureux, se montrant, dans ses relations épistolaires, critique partial et sans élévation, croyant ne marcher qu’avec l’expérience et s’en écartant cependant sans cesse pour tomber dans le domaine des spéculations imaginaires, mêlant, sans s’en apercevoir, le vrai et le faux, ce qui est démontré avec ce qui ne l’est pas, et associant les résultats scientifiques avec les croyances, les récits et les dogmes religieux, il a pu se faire une popularité momentanée, mais que le temps ne doit pas sanctionner.

Ni de Saussure, ni de Luc n’ont construit d’édifice ; mais l’un a rassemblé et laissé après lui de nombreux matériaux, bien préparés, qui ont pu être utilisés ; l’autre n’a laissé, le plus ordinairement, que des opinions hasardées, sans fondement et sans application possible.

Enfin, ces résultats si différents, obtenus par ces deux enfants distingués de la docte cité de Genève, se traduisent encore par la forme même que chacun d’eux a donnée à ses ouvrages[57].


§ 2 Bavière, Wurtemberg et Cobourg.


La Bavière septentrionale, le Wurtemberg et le duché de Cobourg, qui correspondent à la Souabe et à la Franconie de la géographie ancienne, ont fourni à la paléontologie, pendant le cours du xviiie siècle, un contingent d’iconographes plus considérable encore que la Suisse, et la seule ville de Nuremberg a vu publier dans ses murs plus de planches de pétrifications qu’aucune des grandes cités de l’Europe.

J. Baubin, J. Jacob et Ferd. Bajer ou Bayer

Après la, description des coquilles recueillies aux environs des bains de Boll en Wurtemberg, par J. Bauhin[58] ; après E. Camerarius (Dissertationes, etc., in-8o. Tubiugen, 1712), qui croyait que les fossiles étaient le résultat de forces germinatives répandues dans les roches par la nature, nous voyons, en 1712, J. Jacob Bajer publier son Oryctographia Noriea, ou description succincte des objets rfœsiles du territoire de Nuremberg, avec les dessins des pierres figurées. L’auteur y traite méthodiquement, et dans des chapitres séparés, comme nous le ferions aujourd’hui, des divers sujets qui se rapportent à-la géologie du pays, et plus particulièrement des fossiles, ayant soin d’en séparer les corps qui n’ont que l’apparence de formes organiques et ne sont, comme on dit, que des ludi ou des jeux de la nature. Il décrit successivement les corps qui résultent du moulage intérieur et les autres de l’empreinte extérieure des vrais produits organiques, puis les restes de végétaux aussi bien que les coquilles bivalves et univalves ; Les Bélemnites sont mentionnées particulièrement, ainsi que les Ammonites ou cornes d’Ammon, qu’il rapproche des Nautiles. Il reproduit le dessin d’une médaille antique qui représente une tête de Jupiter portant des cornes de bélier, et celui d’une tête de Moise accompagnée des mêmes attributs, qui seraient l’origine du nom assigné à ces coquilles. Quelques commentateurs ont fait remonter cette désignation à Solinus, abréviateur de Pline, mais nous avons déjà dit que le texte du Polyhistor[59] n’ajoutait absolument rien à celui du grand naturaliste romain, que nous avons rapporté. Nous avons donc toute raison pour croire, jusqu’à ce que des documents plus circonstanciés aient été produits, que les anciens ne connaissaient pas les véritables Ammonites.

Les 6 planches triples de fossiles représentent ces corps, d’une manière très-reconnaissable aujourd’hui pour appartenir tous au lias et aux autres groupes jurassiques du pays. Ce travail est certainement l’œuvre d’un homme instruit et d’un bon esprit.

Le supplément qui fut publié 22 ans après, sous le titre de Sciagraphia musei sui, accedunt supplementa Oryctographiæ Noricæ (1750), contient trois nouvelles planches de fossiles du même terrain, le catalogue de sa bibliothèque et de ses collections de minéraux, de roches et de fossiles, une lettre de Scheuchzer sur divers sujets, particulièrement sur les cornes d’Ammon, et la réponse de Bajer, qui se montre toujours un de ces hommes qui cultivent la science uniquement pour elle et dans une aussi bonne direction que le permettaient les connaissances du temps.

Son-fils, Ferd, J. Bajer[60], a donné, une édition ; in-folio des deux ouvrages précédents, avec d’autres planches où les mêmes figures sont reproduites, et y a ajouté un nouveau supplément avec 15 planches, représentant d’abord des dendrites, puis des. Fungies, des Alcyons de la Bavière, des poissons d’Eichstadt et de Pappenheim dans la pierre blanche fissile de cette localité, qu’il suppose avoir été l’emplacement d’un ancien lac laissé par le déluge. Ensuite viennent des annélides, des stellérides, des crustacés, des Huîtres, des Bélemnites, des Nautiles, des Ammonites et des coquilles univalves et bivalves.

En résumé, cet ouvrage de Bajer, quand même on n’aurait rien publié depuis sur ce pays, nous donnerait une idée très-satisfaisante de sa faune jurassique, depuis le lias jusqu’au Portland-stone. Quoique les couches y soient très-régulières, bien suivies, et faciles à distinguer les unes des autres par leurs caractères pétrographiques constants, la pensée qu’il pouvait exister un rapport entre leur position relative et leurs fossiles particuliers n’est pas venue aux naturalistes dont nous venons de parler.
Auteurs divers.

David Spleiss[61] décrivit, au commencement du siècle, les nombreux ossements fossiles découverts aux environs de Canstadt. J. Sam. Carl[62] prouva leur origine organique par leur composition chimique. F. Gmelin[63], J. S. Schroter[64], Joh Purruker et Graefenhahn[65], Bauder[66] et plusieurs autres ajoutèrent encore aux recherches des Bajer, et Nuremberg vit paraître, de 1755 à 1778, le plus grand ouvrage qui ait encore été publié sur le sujet qui nous occupe, celui de G. Wolfgang Knorr, intitulé Lapides diluvii universalis testes[67]. Il en dessina et grava les planches, mais le texte, qui en constitue certainement le plus grand mérite, est dû à J. Ern. Em. Walch.
C. W. Knorr et E. Em. Walch

Ces planches, par leur arrangement peu méthodique dès l’origine, ont obligé ce dernier à ne pas suivre non plus un ordre absolu dans leur description, d’où sont résultées beaucoup de répétitions dans les détails et une certaine confusion dans l’ensemble. Essayons néanmoins de donner une, idée de ce travail, non-seulement le plus considérable qui ait paru dans le siècle, mais qui, à plusieurs égards, surtout par l’immensité des recherches et la sagacité des aperçus qu’il renferme, n’a encore été dépassé par aucun de ceux qui l’ont suivi.

Les 275 planches sont inégalement réparties dans les quatre volumes, fort inégaux eux-mêmes. La première, qui sert de frontispice, est une vue des carrières de Solenhofen, localité déjà célèbre par la richesse de la faune qu’elle renferme et que les découvertes ultérieures ne cessent d’augmenter en la rendant l’un des exemples les plus curieux que la géologie ait fait connaître d’une association variée d’êtres organisés accumulés sur un même point[68]. Les planches suivantes, toutes dessinées avec un grand soin, fort exactes et coloriées, représentent d’abord une grande variété de dendrites, particulièrement celles des marbres dits de Florence, puis des fossiles de toutes les classes d’invertébrés, des poissons et des plantes tertiaires et carbonifères. Il en est à peu près de même des autres volumes, où l’on n’observe aucun ordre zoologique, géologique ni géographique dans l’arrangement général des matériaux ; néanmoins ceux qui appartiennent évidemment à la même classe, à la même famille ou au même genre se trouvant rapprochés, facilitent les recherches dans chaque volume et la comparaison des volumes entre eux.

Le texte du premier volume traite d’abord d’une multitude de détails fort instructifs sur les divers caractères des pétrifications, détails qui annoncent une observation aussi attentive que judicieuse, puis les modifications de diverses sortes qu’elles ont éprouvées et leurs causes probables. Ainsi la silicification des piliers en bois du pont de Trajan sur le Danube, la cause de la cassure toujours spathique des parties solides des radiaires, appellent successivement l’attention de l’auteur, qui distingue les corps marins fossiles en pélagiques et littoraux, et pense, avec beaucoup de ses contemporains, que ceux dont on n’a pas retrouvé les analogues doivent exister dans les mers profondes inexplorées. Ses considérations générales sur l’ancienneté relative et la distribution des fossiles dans les diverses couches sont fort justes pour le temps. L’étude des changements survenus dans la nature minéralogique des corps organisés enfouis dans les roches sédimentaires, celle des empreintes, des contre-empreintes et des moules qu’ils y ont laissés, celle de tous les phénomènes si variés de la fossilisation, sont faites avec un soin et une exactitude que nous chercherions en vain dans les ouvrages de nos jours.

Nous en dirons autant de toutes les recherches bibliographiques et de l’exposé des faits et des idées, relatifs au sujet qui nous occupe, et, pour ne point allonger démesurément ces quelques indications, nous nous bornerons à rappeler que le résumé de la partie dogmatique de la science et de son état en général jusqu’en 1777, les aperçus sur son avenir et les par des sur lesquelles doivent porter les investigations futures, sont ici parfaitement tracés. Le passage suivant, qui termine ces considérations, dénote chez l’auteur une véritable intelligence de la science telle que nous la comprenons aujourd’hui : « Nous manquons encore, dit Walch, d’une bonne géographie souterraine qui puisse nous instruire des anciennes catastrophes de notre globe, par la direction des couches des pétrifications, par leur étendue, par la différence des pétrifications qui se trouvent dans chaque lit, par la conjonction ou la divarication des couches suivies, par leur hauteur, profondeur et épaisseur. On n’a pas encore assez appliqué les pétrifications à la lithogénésie, ni mis à profit, comme il aurait fallu dans cette science, ces restes remarquables de l’ancien monde[69]. »

Dans chaque volume, Walch, en traitant d’une division zoologique (genre, famille ou classe), en reprend l’historique avec la plus vaste érudition, avec une simplicité, une bonne foi et une absence complète de tout sentiment personnel qui font singulièrement estimer l’auteur. C’est ainsi qu’on peut encore consulter aujourd’hui très utilement la classification : des crustacés (vol. I, p. 123), partagés en brachyuri et macrouri et la sous-division de ceux-ci en 11 genres avec l’indication des nombreux ouvrages qui avaient déjà traité des crustacés fossiles ; l’histoire de la classification des éehinodermes (vol. II, p. 132), celle des grands mammifères (vol. III, p. 146), celle des poissons (ibid., p. 165), et des diverses sortes de dents ou Glossopètres qui en proviennent (vol. II, 2° part., p. 185). Le chapitre des Bélemnites (vol II, p. 211) et celui des Trilobites (vol. IV, p. 104), où Walsh, après avoir fait l’historique de ces corps, les désigne sous ce nom en disant (p. 106) : « Nous lui donnerons la dénomination la moins étudiée en la nommant une Trilobite. Les trois lobes du dos et de la queue sont des caractères par lesquels ce corps se distingue de tous les autres, et, comme ces caractères sont visibles, nous les jugeons convenables, etc. » La description qui suit est très-complète et incomparablement supérieure à tout ce qui avait été dit jusque-là sur ce sujet.

Aussi regrette-t-on d’autant plus vivement que ces excellentes choses se trouvent si souvent noyées dans des redites, des digressions inutiles, et la confusion qui résulte du manque de méthode dans l’arrangement de ces innombrables matériaux. Au reste, Walch avait parfaitement compris ce défaut capital dans son œuvre, ainsi qu’on le voit au commencement de la préface ; mais l’obligation de se conformer à la disposition des planches arrangées par Knorr, au fur et à mesure que les éléments lui en étaient remis, ne lui permit pas de suivre un ordre systématique absolu dans l’ensemble.

Les tables, qui terminent l’ouvrage et forment le tome IV, peuvent, jusqu’à un certain point, obvier à cet inconvénient. La première est une Table systématique de la classification de tous les corps décrits et figurés, rangés dans un ordre naturel de classe (zoophytolithes, vers, stellites, oursins, coquilles, insectes (entomolithes), crustacés (Gammarolithes et Trilobites), poissons, oiseaux, quadrupèdes, anthropolithes et végétaux). La seconde, dressée par Sam. Schroeter, est une table alphabétique de tous les objets décrits ou mentionnés, laquelle permet toujours, un nom quelconque étant donné, de le trouver immédiatement dans chaque volume.

Ainsi, non-seulement les planches de l’immense travail de Walch et Knorr nous représentent presque tout ce qui était connu alors sur les fossiles ou les pétrifications, mais encore le texte renferme tous les documents bibliographiques ou historiques qui s’y rapportent ; il reproduit, avec un luxe prodigieux de citations précises et rigoureusement exactes, tous les faits, toutes les idées, les opinions, les théories émises depuis l’antiquité jusqu’en 1778. C’est donc un véritable monument, expression complète et fidèle de la science du temps, monument dont nous recommanderons l’étude approfondie à quiconque s’occupe sérieusement de la paléontologie générale et qui y trouvera des enseignements de plus d’une sorte.

Quelques autres naturalistes venus plus tard ont encore apporté des documents pour la paléontologie de cette partie de l’Allemagne méridionale, mais ces documents sont peu importants en comparaison de ceux que nous avons cités. Tels sont Flurl[70], Rôsner[71], Memminger[72], Schmidel ou Schmiedel[73], etc.
J. C. Reinecke, Albrecht, etc.

Plus au nord, J. Seb. Albrecht a signalé les pétrifications des deux règnes observées dans le duché de Cobourg[74], et J. C. M. Beinecke[75], dans son travail sur les Nautiles et les Argonautes, vulgairement appelés cornes d’Ammon, a fait connaître la distribution de ces fossiles dans les diverses couches de ce pays. Quant à la classification que propose l’auteur, on voit qu’il n’avait pas toujours de bons échantillons pour constater l’existence et la position du siphon, qui ne manque jamais. Après s’être attaché à démontrer les affinités de ces coquilles avec le Nautile et la Spirule, Reinecke se demande si les cornes d’Ammon existent encore dans les profondeurs de l’océan, et recherche la cause de leur distribution présumée. Il passe ensuite à une description méthodique de quarante espèces, toutes fort bien représentées dans quinze planches, les meilleures peut-être que l’on ait encore données de ces coquilles.

Les divers ouvrages publiés sur les fossiles de la Bavière, du Wurtemberg et du duché de Cobourg nous font donc connaître particulièrement les faunes jurassiques et du muschelkalk qui y sont bien développées, mais sans qu’aucune distinction de ces diverses associations de fossiles, en rapport avec l’âge des couches qui les renferment, semble avoir été soupçonnée par les auteurs qui les ont décrites.


§ 3. Bohème, Autriche et Hongrie.



Bohème


Dans la Bohême, séparée de la Franconie par la chaîne ancienne du Böhmerwald, les publications relatives aux corps organisés fossiles et à la géologie ont été plus tardives que dans les pays voisins. Vers 1770, Franz Zeno[76] indique dans deux mémoires la véritable origine des fossiles recueillis aux environs de Prague. Ceux qu’il mentionne provenaient du terrain de transition et un petit nombre de la craie. Les caractères zoologiques des trilobites ont été complètement méconnus par l’auteur, qui ne fait aucune différence entre les fossiles secondaires et ceux de transition, et combat l’opinion émise par L. Moro, qui supposait la croûte de la terre brisée, puis soulevée par l’action du feu intérieur. Zeno croyait que le déluge avait occasionné la dispersion des coquilles rencontrées dans les diverses couches de la terre. Les coupes qu’il a données des carrières ouvertes le long de la Moldau ont été reconnues depuis pour être fort exactes, mais l’auteur n’en a déduit aucune idée théorique vraie sur la succession des couches de la contrée.

Peu après, de Born[77] mentionne un certain nombre de fragments de trilobites des environs de Prague, et, dans une lettre que lui adresse le comte Kinski[78], ce dernier signale les fossiles recueillis entre Zditz et Ginetz. Il reconnaît comme analogues aux trilobites de Dudley en Angleterre les nombreux restes d’animaux articulés des schistes argileux du pays, corps qui étaient alors désignés sous le nom d’Entomolithus paradoxus que leur avait imposé Linné, et que l’auteur pense avoir eu la faculté de s’enrouler et de se dérouler pendant leur vie. Pour de Born les schistes à crustacés font partie des formations primaires, et ces mêmes fossiles sont indiqués à la montagne de Wynice, auprès de Tmayn et sur d’autres points autour de Prague..

En 1791, J. C. Lindacker[79] décrit avec assez de précision la composition des terrains, qui environnent cette dernière ville ; il reconnaît leur origine sédimentaire, les alternances des diverses roches, la présence de pétrifications plus ou moins nombreuses, et signale celles des grès surtout comme les plus remarquables. Ce sont des fragments de trilobites provenant, entre autres localités, des bords de la Moldau, des environs de la grotte de Saint-Procope et de Wraz, sur la route de Prague à Béraun. Le fossile qu’il décrit sous le nom de Gegitterte Kæfermuschel se reconnaît aisément, dit M. Barrande, pour un Trinucleus, dont l’animal se trouvait tantôt étendu, tantôt roulé en boule.

Dans un travail sur le territoire de Mies, le même auteur[80] fait connaître les schistes gris avec, des veines de quartz qui reposent sur le granite, et dans celui où il traite des couches de charbon du cercle de Pilsen, comprenant les mines de Nemitz, Chotieschau, Merklin, Tschimin, Oesel et Themnin[81], il donne une coupe du terrain de la dernière de ces localités. Ces dépôts charbonneux et les schistes avec empreintes de plantes reposent sur les schistes argileux anciens (Tonschiefer), dont les couches, au lieu d’être horizontales comme à Mies, sont ici verticales. Toute la contrée aurait été un lac au fond duquel la houille se serait déposée et aurait été recouverte ensuite par des sables et des argiles résultant de la décomposition des roches granitiques des montagnes environnantes. En explorant ensuite la chaîne : du Böhmerwald, Lindacker, accompagné de Preysler et de Hoser[82], reconnut, le long de la route, à partir de Prague, que les grès anciens ou quartzites, les grès Schisteux et des grès schisto-argileux avec leurs fossiles, servent de base aux couches plus récentes, caractérisées par des fossiles différents, tels que des Ammonites, couches que nous verrons plus tard désignées sous les noms locaux de Quadersandstein et de Pælner-Kalk.

L’année suivante, Fr.-Ambr. Reuss[83] dans son Essai sur la minéralogie des environs de Prague, constate la même succession de schistes argileux, de calcaire, de grès et de marne, mais il admet ensuite des passages de l’un à l’autre et des transformations très-contestables. Il signale des dents de poissons, des baguettes d’échinides et des Gryphées qui ne sont pas suffisamment distinguées d’ue multitude d’autres corps, dont le gisement n’est pas indiqué et qui, d’après les noms seuls de genres usités alors, ne peuvent être rapportés à une époque déterminée. Dans des roches calcaires différentes, il signale des fossiles sous les noms d’Échinites, d’Orthocératites, de Bélemnites, d’Entrochites, et fait remarquer que ce calcaire (Steinkstein) repose sur le grunstein (diorite). En résumé, dit M. Barrande, à l’ouvrage duquel nous continuons à emprunter ces données, le mémoire de M. Reuss est un des plus intéressants qui aient été faits à cette époque où la géologie et la paléontologie étaient encore si peu avancées en Bohême.

Dans sa description des seigneuries de Kônigshof et de Tocznik, le même observateur[84] s’occupe des montagnes de Kosow, composées de grunstein, de calcaires compactes, de calcaire argileux et de grès argileux plus ou moins ferrugineux ou micacé. Au mont Dlauha-Hora, les calcaires compactes sont remplis de bivalves, d’Orthocératites, etc. Dans la seigneurie de Tocznik particulièrement, Reuss mentionne, avec non moins d’attention, toutes les roches au point de vue minéralogique, mais sans tracer les limites verticales ni horizontales des couches, non plus que leur ordre de superposition normale, omissions bien pardonnables alors dans un pays comme la Bohême, lorsque dans d’autres, où les relations et les communications entre savants étaient plus fréquentes et plus faciles, des lithologistes très-célèbres n’étaient pas plus avancés.

Le petit bassin houiller de Zébrak a été aussi étudié par Reuss comme il l’avait été déjà par Lindacker. De son côté, F. Riepl, dans son coup d’œil sur le terrain houiller de la monarchie autrichienne[85], s’est occupé du bassin carbonifère de la Bohême. Ceux des cercles de Béraun, de Pilsen, de Rakonitz, sont placés à la surface du terrain de transition et semblent avoir été déposés dans des dépressions des schistes.

En 1822, Alex. Brongniart[86], à qui l’on doit le premier essai d’une classification des corps désignés et confondus jusque là sous le nom d’Entomolithus, d’Entomostracites, etc., et qu’il réunit sous le nom beaucoup plus simple et plus expressif de trilobites introduit par Walch, n’en signale encore qu’une espèce en Bohême : c’est l’Asaphus Hausmanni. De Schlotheim[87], l’année suivante, en indique 4, et, en 1825, le comte Sternberg [88], dans un travail particulier sur les crustacés de ce pays, en signale un plus grand nombre, qui constituent réellement aujourd’hui 10 espèces.

Nous devons nous arrêter ici pour ne point dépasser les limites de la période historique que nous retraçons, mais nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer que l’étude des trilobites de la Bohême offre un exemple frappant et bien digne d’être signalé par avance de ce que peuvent la sagacité et la persistance réunies pour arriver à des résultats inattendus, on pourrait presque dire merveilleux. Ainsi, de 1770 à 1825, dans un laps de 55 ans, tous les naturalistes étaient parvenus à réunir 10 espèces appartenant à cette famille, et en 20 ans, de 1852 à 1852, un seul observateur[89], doué de cette volonté ferme et de cette perspicacité de coup d’œil auxquelles rien ne supplée, a recueilli, décrit et fait figurer, avec un soin et une exactitude qui font de cette 1re partie de son ouvrage un véritable modèle, 55 genres de trilobites du système silurien de la Bohême, et comprenant 252 espèces. La plupart de celles-ci ont été étudiées aux divers âges de leur développement, et quelques-unes depuis l’état embryonnaire[90].
Hongrie

Si nous nous avançons vers l’Est, la Hongrie nous offrira quelques recherches de Fr. Em. Brückmann, qui, dans ses Lettres de voyage, imprimées en 1729, décrivit quelques pierres figurées[91]. Mais le rapport de J. E. de Fichtel sur la pétrification des principautés comprises dans les Siebenbürgen [92] est beaucoup plus explicite et plus détaillé. L’auteur y indique avec soin toutes les localités où il a recueilli des fossiles, particulièrement dans le bassin de la Maros, dans la vallée de Deva, etc. À Roksad il a trouvé de grandes Huîtres, figurées exactement, et qu’il est facile de reconnaître pour l’O. crassissima, Lam. Cette espèce, représentée déjà dans le grand ouvrage de Walch et Knorr, est, comme on sait, très-caractéristique de la période tertiaire moyenne dans l’ouest de l’Europe, comme en Asie Mineure, sur les flancs du Taurus et plus loin encore, sur les pentes inférieures de l’Ararat. Fichtel figure aussi, une autre grande espèce d’Huître très-différente, donnée également par Walch et Knorr ; et qui n’est pas moins importante par son extension géographique, caractérisant le groupe nummulitique depuis les Pyrénées occidentales, les Alpes, la Transylvanie, la Crimée et l’Asie Mineure, jusqu’en Arménie. Cet ouvrage de Jean-Ehrenfried de Fichtel peut encore aujourd’hui être utilement consulté, malgré les recherches et les publications dont ce pays a été l’objet dans ces derniers temps, et il en est de même de son Traité des pétrifications de la Transylvanie[93].

Dans leur mémoire sur les testacés microscopiques, Léop. de Fichtel et Jos. Cor. de Moll[94] ont décrit et fort bien représenté, sous les noms génériques de Nautilus et d’Argonautes, e plusieurs espèces de Nummulites de la Hongrie (Carpathes), et de l’Autriche. Ils y ont réuni d’autres rhizopodes vivants et, fossiles très-différents, à l’instar de plusieurs auteurs contemporains, qui ont eu le même tort, Néanmoins ce travail, accompagné de 24 planches, doit être regardé, avec ceux de Plancus et de Soldani, comme ayant particulièrement contribué à la connaissance de ces organismes inférieurs, destinés par la nature à jouer un si grand rôle dans la composition des roches sédimentaires.

Clusius a donné son Nomenclator panonicus, où plusieurs fossiles sont signalés, entre autres les Numismales, sous le nom de Numismali lapides Transylvaniæ, auxquelles se rattachent des légendes historiques du roi Ladislas.

J. J. Ferber a publié des recherches sur les montagnes et les mines de la Hongrie, et David Frenzel un index des pierres précieuses, des fossiles et des pétrifications des environs de Chemuitz[95]. C. F. Delius[96], d’après l’examen des Carpathes, qui étaient les plus hautes montagnes qu’il eût observées, croyait que toutes les grandes chaînes du globe et le noyau même de notre planète devaient être composés de roches calcaires. Si nous suivions rigoureusement les dates, nous aurions Q V encore à mentionner ici deux publications : l’une, constituant un ouvrage très-important, relatif à la Hongrie ; c’est le Voyage minéralogique et géologique exécuté par Beudant en 1818 et publié en 1822[97] ; l’autre, l’Essai sur la constitution physique et géognostique du bassin de Vienne, par C. Prévost[98] ; mais ces travaux, qui sont l’application à ces pays des principes les plus avancés alors de la science en France, et dus à des étrangers qui s’y trouvaient momentanément, ne représentent point l’état de cette même science en Hongrie et en Autriche ; ce sont des importations étrangères à son histoire, et il y aurait un double inconvénient à nous en occuper ici, parce que nous ne connaissons encore rien de ces principes et qu’ils sont sans rapport avec la manière dont se faisaient les observations, sur les lieux mêmes, par les savants qui les habitaient. Pour nous, les travaux de Beudant et de Prévost doivent être regardes comme les premières bases de la géologie moderne, posées dans cette partie du bassin du Danube, et, par conséquent, ils seront compris dans l’exposition du Cours proprement dit.
Autriche

Les quelques publications relatives au règne minéral de l’Autriche, telles que celles de Stütz[99], de Sartori[100], de E. F. Germar[101], de M. S. Anker[102] et de Rasoumovski[103] n’eurent en réalité aucune influence sur la partie de la science qui nous intéresse.


§ 4. Pologne et Silésie.


Pologne


Au nord des Carpathes, le bassin de la Vistule, qui comprend la plus grande partie de la Pologne, a été l’objet de quelques recherches de la part des anciens paléontologistes et des géologues Rzaczynski[104], dans son histoire naturelle curieuse de ce pays, a donné plusieurs renseignements utiles ; Guettard[105], dont nous aurons beaucoup à parler lorsque nous nous occuperons de la France, a publié un mémoire sur la nature des terrains de la Pologne et des minéraux qu’ils renferment. La carte qu’il y a jointe présente trois divisions géologiques ou zones, l’une au sud, l’autre au nord, et une troisième dirigée N.-O., S.-E. de Bochnia et Wielikska au Dniester. Cette dernière, assez étroite, se trouve en dehors de la région des Carpathes. Ce mémoire est accompagné de 5 planches représentant des fossiles secondaires et tertiaires assez reconnaissables.

Plus tard, Stasica[106] a écrit aussi sur la géognosie des Carpathes et des plaines de la Pologne, et en 1805 Geusau[107] a donné la description d’une petite série de fossiles des environs de Sandomir. Tels furent les précurseurs de G. G. Pusch, qui plus qu’aucun autre a contribué à faire connaître les nombreux débris organiques de cette contrée, par des publications variées et surtout par son grand ouvrage, qui les résume toutes et parut en 1857[108].
Silésie

Si du bassin de la Vistule nous passons dans celui de l’Oder supérieur, nous verrons que, dès le commencement du xviie siècle, C. Schwenkfeld[109] donnait un catalogue des plantes et des fossiles de la Silésie ; Th. Kretschmer[110] traitait des montagnes et particulièrement de celles des Sudètes au point de vue minéralogique ; J. Prœtori.[111], du Riesengebirge, ainsi que de Charpentier[112] ; G. A. Volkmann[113], dans sa Silesia subterranea, a fait connaître le gisement d’un certain nombre de pétrifications. On peut encore citer les lettres de Zöllner[114] sur la Silésie, Cracovie, Wielikska et le comté de Glatz, ainsi que les voyages exécutés en 1791, et l’ouvrage de Raumer sur la Silésie inférieure[115].

L. de Buch a donné un essai d’une description minéralogique des environs de Landeck, petite ville située à trois lieues au sud-est de Glatz[116]. Le traducteur regarde ce petit ouvrage comme le meilleur travail, de minéralogie géographique qui ait été publié en Allemagne. L’auteur, dit-il, ne décrit pas les différents objets en suivant l’ordre dans lequel il les a observés pendant son voyage ; mais après avoir bien étudié le terrain et saisi lui-même l’ensemble formé par les masses minérales qui le composent, il fait successivement l’histoire de chacune de ces masses, c’est-à-dire qu’il décrit la nature, la structure, l’étendue et la position respective de chacune d’elles, et, de cette manière, donne vraiment l’idée de la constitution minéralogique de la contrée. La préface de de Buch n’est pas moins judicieuse, lorsqu’il distingue les méthodes de descriptions géographiques, géognostiques et oryctognostiques et qu’il donne la préférence à la seconde, la seule qui, en effet, réponde au but que le géologue doit se proposer.


§ 5. Centre et nord de l’Allemagne.


Pour exposer les idées et les faits qui se rattachent à la connaissance des fossiles du centre et du nord de l’Allemagne proprement dite, il serait assez difficile de suivre une marche exclusivement géographique et par pays ; elle n’aurait d’ailleurs qu’un très-médiocre intérêt, parce que les ouvrages iconographiques ou représentant des restes de corps organisés sont moins nombreux et moins importants que ceux dont nous avons parlé jusqu’à présent ; aussi préférons-nous indiquer d’abord les premières pensées qui ont germé dans l’esprit des naturalistes même avant la Renaissance, mentionner ensuite quelques observations du xvie siècle pour arriver enfin aux théories plus importantes du milieu et de la fin du xviiie. Nous nous occuperons après des publications iconographiques et des descriptions locales de la même période.
Albert le Grand, Agricola

Celui que l’on a nommé à juste titre l’Aristote du moyen âge, Albert le Grand, n’avait pas méconnu, comme on l’a fait souvent depuis, l’origine véritable des fossiles. Dans son chapitre VIII, de Lapidibus, il s’occupe des différentes pierres représentant des empreintes ou des traces d’animaux, et suit en cela, comme en beaucoup d’autres points, l’école d’Avicenne. George Agricola ou Bauer[117], né à Glaucha, en Misnie, en 1490 ou 1494, et regardé comme le père de la métallurgie, au XVIe siècle, n’était point étranger non plus aux sciences naturelles. Il possédait également bien les auteurs anciens, et rappela qu’on avait regardé le Daphnia de Pline comme désignant des coupes transverses de Nummulites. Il a donné le nom de Bélemnites aux fossiles que l’on a depuis continué à désigner ainsi, et il a repoussé l’assimilation qu’on en avait voulu faire avec le lyncurium de Pline.
Leibnitz

N’ayant point à nous occuper de la théorie physique de la Terre proprement dite, nous ne rappellerons le nom de Leibnitz qu’à cause des fossiles qu’il a mentionnés dans plusieurs parties de sa Protogæa et des opinions qu’il professait à leur égard. Une première esquisse de ce livre célèbre fut insérée dans un journal de Leipzig en 1693, mais il ne fut publié en entier que 56 ans après la mort de l’auteur, en 1749, l’année 1 même où, par une singulière coïncidence, parut la Théorie de la Terre de Buffon.

Leibnitz, en signalant les restes de poissons des schistes cuivreux d’Eisleben et d’Osterode (Saxe), les compare tous à des espèces vivant encore dans les eaux douces ou dans les eaux marines. Il rappelle que Walerius Cordus, médecin d’Hildesheim, qui passait pour avoir fourni à Agricola beaucoup de renseignements sur les fossiles du nord de l’Allemagne, en a recueilli d’assez nombreux dans les diverses exploitations du Hanovre, des environs d’Hildesheim, d’Alfeld et sur les flancs du Harz. Il ne doute nullement d’ailleurs de leur origine organique. Il donne des figures d’Ammonites que nous connaissons aujourd’hui pour caractériser le muschelkalk, les calcaires jurassiques et la craie, fossiles qu’indiquait déjà Lachmann dans son Oryctographie d’Hildesheim. Il représente également les dents de Squales désignées sous le nom de Glossopètres et qu’il attribue fort bien à des poissons. On leur croyait alors des vertus particulières et surtout des propriétés médicinales. Aussi en voyait-on qui étaient enchâssées dans des montures en or ou en argent que l’on portait au cou, comme des préservatifs de certaines maladies ou contre de prétendus maléfices.

Les Bélemnites dont parle aussi Leibnitz sont bien les corps que nous désignons ainsi, mais qui ne peuvent pas plus représenter les dactyli Idæi de Pline que son lyncurium (antè, p.11). Le célèbre philosophe allemand s’est encore occupé de la recherche d’ossements fossiles enfouis sous les stalagmites de la grotte de Baumaner, de celles de Scharzfeld, et mentionne les coquilles rencontrées dans les couches profondes d’un puits, creusé à Amsterdam jusqu’à 76 mètres. On remarquera d’ailleurs que la fin de la Protogæa est assez faible relativement au commencement, et peu digne d’un aussi grand esprit.
Lehmann

Il semble que ce soit à Lehmann[118] que l’on doive, en Allemagne, la première distinction rationnelle et générale que nous avons faite en commençant ce Cours, entre les roches dites primitives, cristallines et sans fossiles, qui constituent les éléments de la croûte originaire du globe, et les roches secondaires, celles qui ayant été déposées ensuite, au sein des eaux, avec les débris des précédentes, renferment des restes de végétaux et d’animaux. Cette division fondamentale dans la science, qui complète celle non moins importante qu’un siècle auparavant Sténon avait indiquée (antè, p. 18) et qu’Arduino appliquait vers le même temps (1759) aux Alpes secondaires du Vicentin, du Véronais et du Padouan (antè, p. 50), reposait sur de nombreux faits que Lehmann avait puisés dans l’examen attentif des roches carbonifères et cuprifères des pentes du Harz et de l’Eragebirge. On peut les résumer ainsi en allant de bas en haut, inversement à l’ordre naturel, mais en suivant celui que les anciens auteurs adoptaient généralement alors.

1. Formation primaire et à filons.
2. Vieux grès rouge.
3. Dépôts houillers.
4. Grès rouge secondaire (Rothe todte).
5. Argile et calcaire bleu.
6. Schistes cuivreux.
7. Calcaire schisteux.
8. Zechstein, rauchwacke, calcaire fétide, albâtre.

Cette classification des roches d’une partie de la Saxe et des pays voisins est certainement remarquable pour l’époque, et repose sur les vrais principes stratigraphiques ; mais Lehmann eut le tort, comme un des grands maîtres de la science dont nous parlerons tout à l’heure, de croire que toute la terre devait être modelée sur la petite contrée qu’il avait si bien observée, et qu’il pouvait raisonner sur la structure générale de l’une d’après la connaissance de l’autre.
Fuchsel

Nous parlerons ici des travaux de Fuchsel, dont l’existence, qui semble avoir été ignorée de la plupart de ses contemporains, nous a été révélée 60 ans après par M. Keferstein dans un article du Journal de Géologie[119], où il réclame pour l’auteur le mérite d’aperçus très-justes et qui sont la base de nos théories actuelles. Fuchsel a publié deux mémoires : le premier intitulé Historia terræ et maris ex Historia Thnringiæ per montium descriptionem erectæ[120] ; le second, Esquisse pour l’histoire ancienne de la terre et de l’homme[121], où l’auteur reproduit le système présenté dans le précédent. Ces mémoires nous sont d’ailleurs inconnus et n’existent pas dans nos bibliothèques.

Fuchsel ; qui avait surtout étudié le Harz, le Thuringerwald, les environs de Rudolstadt, y a déterminé la position relative des roches désignées aujourd’hui par les noms de muschelkalk, de grès bigarré, de zechstein, de schistes cuivreux et de rothe todt liegende, comme il suit, de bas en haut :

  1. Rothe todt liegende,
  2. Schistos cuivreux,
  3. Zechstein,
  4. Grès bigarré,
  5. Muschelkalk,

donnant ainsi, de plus que Lehmann, la position du muschelkalk, du grès bigarré et de ses marnes ou des deux groupes inférieurs du trias par rapport au zechstein sous-jacent.

Suivant Fuchsel, les continents ont été recouverts par la mer jusqu’après le muschelkalk ; mais, certaines couches ne présentant que des végétaux et des animaux terrestres, il admet qu’un continent a dû exister dans son voisinage et aurait été envahi ensuite par les eaux. De semblables révolutions peuvent arriver aujourd’hui, car, dit-il, la terre a toujours présenté des phénomènes semblables à ceux qu’on observe actuellement. Ainsi, ce que l’on a appelé, dans ces derniers temps, la théorie des causes actuelles, ce qui n’en est point une, puisque c’est la simple supposition que ce que nous voyons a toujours été ou à peu près, pensée déjà renouvelée d’Aristote, était aussi professée en Allemagne il y a un siècle.

Fuchsel aurait en outre reconnu que certaines couches étaient caractérisées, non-seulement par leur structure et leur nature minéralogique, mais encore par les débris organiques qu’elles renferment. Dans la formation des dépôts, la nature a suivi les lois actuelles ; chacun d’eux a donné lieu à une couche, et la réunion d’un certain nombre de celles-ci a produit une formation qui représente une époque dans l’histoire du globe. Les dépôts formés d’abord horizontalement ont pu être inclinés ensuite par des tremblements de terre ou des oscillations du sol, etc. Enfin, suivant M. Keferstein, une carte géologique était jointe au travail précédent ; c’était, par conséquent, une des premières qui aient été construites. Si ces principes de la science moderne, émis en Allemagne il y a cent ans, y sont restés inconnus ou sans résultat immédiat sur ses progrès ultérieurs, nous ne devons pas nous en étonner, puisqu’en France on a encore été plus longtemps à entrer dans la voie indiquée dès 1746 par un de nos compatriotes. L’histoire nous apprend, en effet, qu’il ne suffit pas qu’une idée soit juste pour qu’elle soit immédiatement appliquée ; il faut encore qu’elle vienne en son temps, lorsque tout est, en quelque sorte, préparé autour d’elle pour la recevoir ; si elle arrive trop tôt, elle peut bien n’être pas perdue, mais elle ne germe pas et ne porte pas de fruits.
A. G. Werner

Abraham-Gottlob Werner naquit à Wehlan, en Prusse, en 1750. Professeur à l’école des mineurs de Freyberg, il publia, en 1787, un exposé très-succinct de sa méthode qu’il a constamment modifiée et améliorée depuis, mais sur laquelle il n’a jamais rien publié de complet[122].

L’auteur y traite successivement : 1o des roches primitives, (uranfanglichen Gebirgsarten), comprenant le granite, le gneiss, le schiste micacé ou micaschiste (Glimmerschiefer), le schiste argileux (Tonschiefer), le schiste porphyrique, le porphyre, le basalte, le mandelstein, la serpentine, le calcaire primitif, le quartz, la roche de topaze ; 2o les montagnes en couches (Fœltz Gebirgsarten), comprenant des calcaires, des grès, des couches de bouille, de craie, de sel, de gypse et de Ter ; 3o les roches volcaniques (vulkanischen Gebirgsarten), ou produits volcaniques de diverses natures et les roches pseudo-volcaniques ; 4o les produits d’alluvion plus récents que le no 2, les produits des phénomènes actuels. Cette méthode s’est plutôt répandue par ses nombreux élèves, qui y ajoutaient le fruit de leurs propres recherches, que par des publications ; et, au fond, ce n’est que la pensée de Sténon, d’Arduino, de Lehmann et de Fuchsel, appliquée d’une manière plus systématique et plus générale. Werner eut, plus que ces derniers, l’avantage de se trouver sur un plus grand théâtre, et, comme professeur, un mérite qui contribua beaucoup à propager ses idées et à les mettre en pratique partout, tandis que celles de ses prédécesseurs ne sortaient pas d’un cercle extrêmement restreint, où peut-être même elles n’étaient pas suffisamment comprises faute d’explications et de démonstrations orales. Werner mit en outre dans son exposition plus de précision et une forme méthodique qui en faisaient mieux saisir les résultats et en facilitaient l’application sur le terrain.

Son travail eût été sans doute plus complet s’il eût médité les recherches des savants que nous venons de rappeler. Il se concentrait volontiers dans ses propres idées et dans ses observations personnelles, aussi cet exposé de la classification qu’il donna à l’âge de 27 ans semble-t-il inférieur à ce qu’il aurait dû être s’il eût pris en considération les données de Lehmann et de Fuchsel, de 20 et 30 ans plus anciennes.

Werner observa qu’entre les roches primitives à filons ou terrain granitique et celles désignées sous le nom de terrain secondaire ou à couches, comprenant les dépôts stratifiés d’origine plus récente et renfermant des fossiles, il y avait encore une série de roches participant un peu des caractères minéralogiques des premières, mais renfermant aussi quelques restes organiques, et il les désigna sous le nom de roches de transition ou intermédiaires. Il appliqua alors celui de Flœtz-rockz aux roches secondaires proprement dites, parce qu’il les croyait toujours en couches horizontales, tandis que les précédentes étaient plus ou moins inclinées. Mais cette expression de Flœtz-rockz dut être elle-même abandonnée dès que l’on reconnut que dans le Jura, sur les flancs des Alpes, etc., ces mêmes roches étaient inclinées et redressées comme celles de transition. Enfin, les disciples de Werner adoptèrent aussi l’expression de neu Flœtz pour désigner ce que nous appelons a aujourd’hui le terrain tertiaire ; de sorte que l’ensemble de sa classification peut se résumer dans les quatre termes suivants, dans les trois derniers desquels il distinguait en outre des séries particulières, calcaires, argileuses et siliceuses.

  1. Roches primitives à filons ou terrain granitique.
  2. Roches intermédiaires ou de transition.
  3. Roches secondaires (Flœtz-rockz).
  4. Neu flœtz (roches tertiaires).

Werner appliqua le nom de géognosie à l’étude directe et positive des roches ou des couches de la terre, laissant celui de géologie à la partie spéculative ou théorique où allaient s’égarer tant d’esprits de ce temps-là.

Comme Lehmann, Werner, qui n’avait guère étudié que la Saxe, établit son système sur des bases trop étroites, avec des connaissances de géognosie géographique trop restreintes ; aussi croyait-il que presque toutes les roches s’étaient formées dans l’eau, d’où le nom de neptunistes donné à ses élèves, par opposition à ceux de vulcanistes et de plutonistes, donnés aux disciples d’Hutton, géologue écossais qui attribuait au contraire au feu l’origine et la consolidation de la plupart des roches.

Toujours, on le voit, nos théories sur les plus grands sujets sont, comme nos plus simples idées, le reflet de la somme de nos connaissances et en rapport avec la nature des objets que nous avons-sous les yeux ; c’est de pareils écarts que l’histoire de la science doit nous garantir, parce qu’elle nous force malgré nous à sortir du cercle de nos propres pensées, du champ toujours restreint de nos études personnelles, et qu’elle agrandit, par suite, l’horizon de nos recherches comme de nos spéculations, en même temps qu’elle rectifie nos déductions par des comparaisons auxquelles nous n’aurions pas songé sans cela.

On a attribué à Werner, ce principe qui guide les mineurs dans leurs travaux : savoir, que, dans un même district, tous les filons de même nature doivent leur origine à des fentes parallèles entre elles, ouvertes en même temps, remplies ensuite durant une même période et par les mêmes substances minérales. Ce principe devait être le germe d’une théorie qui a eu du retentissement par son application aux grandes dislocations de l’écorce terrestre. Si, en effet, toutes les dislocations qui ont produit des chaînes de montagnes et qui sont parallèles étaient contemporaines, l’âge des chaînes s’en déduirait naturellement ; mais l’on sait aujourd’hui que les dislocations se sont produites avec la même direction, dans le même espace, à des époques très-différentes, et le principe, dans son application générale, a dû perdre de son importance.

Dans sa nouvelle théorie de l’origine des filons[123], Werner critique celle de Lehmann, et peut-être trouverions-nous là l’explication de ce que nous disions tout à l’heure ; mais si cette dernière, qui consistait à considérer tous les filons comme les ramifications d’un tronc principal placé vers le centre de la terre, n’était pas irréprochable quant à la forme, elle était cependant plus vraie en principe que celle de Werner, qui fait opérer le remplissage de tous les filons par en haut et n’admet pas que leurs substances aient été dissoutes dans un liquide et soient le résultat d’un précipité chimique.

L’un des grands avantages de Werner, c’est d’avoir fondé une école dont les élèves appliquaient les principes partout et rapportaient ce qu’ils voyaient à ces mêmes principes, non d’une manière absolue, mais en les modifiant avec intelligence, suivant les résultats de leurs propres observations, ce qui obviait aux inconvénients d’une subordination trop exclusive à la parole du maître, et ce qui leur était d’autant plus facile que ces principes n’étaient pas écrits. De Humboldt, de Buch, de Charpentier, d’Aubuisson, de Schlotheim, Hoffmann, Eslinger et aujourd’hui leurs continuateurs à Freyberg appartiennent à cette école, qu’ils ont contribué à illustrer. Loin de se faire les défenseurs obstinés des idées du professeur, c’étaient des esprits élevés qui s’en séparaient dès qu’elles ne leur paraissaient plus fondées sur la nature des choses, et ce fut encore un bonheur bien rare pour Werner que d’avoir eu pour disciples des hommes aussi éminents qui n’ont ainsi propagé que ce qu’il y avait de vrai dans ses idées, sans insister jamais sur celles qui étaient fausses.

Si maintenant nous réunissons ensemble Lehmann, Fuchsel et Werner comme les représentants d’une même école positive et pratique, fondée sur l’observation attentive et la comparaison des faits, nous reconnaîtrons que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, cette petite région de l’Allemagne centrale qui avait été le champ de leurs travaux était entrée dans la véritable voie de la géologie stratigraphique, tandis que dans le même temps nous avons déjà vu et nous verrons encore des hommes, de mérite sans doute, mais qui n’étaient pas éclairés par les mêmes principes, marcher presque au hasard, chacun de leur côté, sans méthode commune, sans base à laquelle leurs recherches pussent être rapportées et coordonnées, et, par conséquent, sans résultats effectifs pour l’édification d’une science qu’ils cultivaient avec plus de dévouement que de réflexion.
Iconographes et oryctographes

Saxe

Parmi les iconographes qui, dans le nord et le centre de l’Allemagne, ont contribué à faire connaître les corps organisés fossiles de ce pays, nous citerons d’abord Valerius Corsdus dont le recueil de fossiles remonte à 1561, puis Jean Kentmann [124], qui a donné le catalogue de ceux que l’on trouve particulièrement dans la Misnie, aux environs de Dresde, et dans quelques pays voisins. Lorsqu’en 1696 on découvrit un squelette d’Éléphant, presque entier, près de Burg-Tonna, non loin d’Erford (Erfurt) en Thuringe, le collège des médecins de Gotha n’hésita pas à déclarer que c’était un jeu de la nature et qu’il s’en formait de semblables dans la terre ; mais G. E. Tenzel [125] s’attacha à prouver le contraire et une polémique très-vive s’engagea pour et contre[126]. Les premières données relatives aux reptiles ou Monitors des schistes cuivreux de la Thuringe sont dues à Spener[127], à Link[128] et à Em. Swedenborg [129], qui les prenaient naturellement pour des crocodiles.

On doit ensuite à divers auteurs des documents de peu d’utilité aujourd’hui ; tels sont Büttner[130], dont l’ouvrage contient tout un système sur le déluge, ses causes et ses effets ; les planches qui l’accompagnent représentent des poissons, des reptiles et des plantes fossiles de certaines parties de l’Allemagne avec de véritables ludi pris pour des corps organisés ; puis G. Fr. Mylius[131], Bucher[132], Valentin Alberti[133] et Hoppe[134], qui décrit, sous le nom de Gryphite pétrifiée, le premier Productus signalé dans le zechstein de Géra. Ce fut l’occasion d’une discussion très-vive entre lui et Schreiber, qui persistait à regarder ces corps comme des jeux de la nature. Un peu auparavant, Schüttie[135] avait publié une courte description des fossiles et des minéraux des alentours d’Iéna.

Hebenstreit[136] a traité des pierres figurées des environs de Leipzig ; Gehler[137] a publié un programme de quelques-unes des pétrifications les plus rares du même pays, Leske un voyage en Saxe relatif à l’histoire naturelle, et, plus récemment, les recherches de Freiesleben[138], quoique particulièrement techniques et celles de Liebenroth[139] n’ont pas laissé, ainsi que quelques autres plus oryctognostiques que paléontologiques, de prouver l’intérêt qu’on attachait aux fossiles. On trouve surtout dans le second ouvrage de Freiesleben des détails intéressants sur les schistes cuivreux.
Région Hercynienne.

La région qui s’étend au nord du Harz, le Hanovre, le Brunswick et la principauté de Quedlinburg, n’ont pas été non plus stériles en productions relativœ aux fossiles. Dès 1669, Lackmann ou Lachmund[140], dans son Oryctographie des environs d’Hildesheim, a donné un certain nombre de planches représentant les restes organiques de ce pays ; Reiskius[141], dans sa longue dissertation historico-physique sur les cornes d’Ammon du Brunswick, nous présente un vrai modèle de la manière dont on traitait alors les sujets d’histoire naturelle, c’est-à-dire des digressions à l’infini jointes à une érudition creuse, qui semble approfondir tout et remonter à l’origine des choses pour finir par s’occuper à peine du sujet lui-même. Quant à J. Johnston[142], qui l’avait précédé de quelques années, il ne croyait pas que ces corps fussent de véritables coquilles. Bruckmann [143], Ritter[144], G. Henning Beherens, dans son Hercynia curiosa[145], Krüger, en traitant des pétrifications de la principauté de Quedlinburg[146], J. J. Lerch[147] et J. Schreber[148], en s’occupant des environs de Hall, et Lehmann, dans ses curiosités naturelles d’Halberstadt[149] prouvent jusqu’à quel point les recherches paléontologiques étaient suivies au nord et à l’est de Harz, dans cette première moitié du xviiie siècle. Ballenstedt[150] s’occupait des mêmes études dans l’Elmsgebirge, et C. Bieling[151] a fait connaître les restes des vertébrés du Linderberg dans le duché de Brunswick ; C. F. Meyer[152] a décrit les fossiles de Scheppenstedt, d’Harzbourg et de Salzthal.
Prusse et province baltique.

Si nous remontons actuellement au nord et au nord-est, dans la Prusse actuelle et les provinces Baltiques, nous verrons que les paléontologistes iconographes y ont laissé dans la science des traces tout aussi nombreuses et plus profondes encore que les précédentes. J. Phil. Breyn ou Breynius, né à Dantzig en 1680, a principalement traité, dans sa dissertation sur les polythalames[153], de la structure des coquilles chambrées ou divisées en plusieurs loges et que nous plaçons aujourd’hui parmi les céphalopodes. Les caractères des Orthocératites y ont été bien saisis, ainsi que ceux des Ammonites, mais il n’est pas exact de dire, comme on lit dans l’Histoire des sciences naturelles, professée par Cuvier au Collège de, France[154], que c’est le premier ouvrage où il soit question, avec quelques détails, des diverses espèces d’Ammonites ou de cornes d’Ammon, et qu’il est la première base des recherches nombreuses auxquelles ont donné lieu ces coquilles remarquables. On a vu, en effet, que dès 1689 Reiskius avait publié une dissertation fort étendue sur ce sujet, et qu’en 1716 Scheuchzer avait fait plus, en donnant une classification raisonnée de 149 Ammonites.

Nous avons dit que, vers le milieu du xviiie siècle, l’étude des rhizopodes ou des animaux à coquilles microscopiques ou submicroscopiques, rangés alors avec les coquilles de céphalopodes, avait pris en Italie et dans le sud de l’Allemagne une grande extension, par les travaux de Beccari, de Plancus, de Soldani, de Fortis, de Fichtel et Moll ; vers le même temps, le nord de l’Allemagne vit naître l’étude plus attentive des oursins fossiles. Ainsi Breyn, dans son Schediasma de Echini, dissertation qu’il a ajoutée au mémoire précédent, range les oursins qu’il connaissait dans 7 genres, d’après la position relative des deux ouvertures anale et buccale de leur enveloppe solide. Ce sont les genres Echinometra, Echinoconus, Echinocorys, Echinantus, Echinospatagus, Echinobrissus et Echinodiscus, qui ont tous pour racine le mot Echinus.

Jacob-Théodore Klein, l’un des hommes de l’époque qui se sont le plus occupés des fossiles du nord de l’Allemagne, a publié son tableau des Échinodermes[155] deux ans après l’ouvrage de Breyn. C’est le travail le plus étendu qui ait paru sur ce sujet et surtout sur les oursins fossiles ; aussi est-il le point de départ, encore utile aujourd’hui à consulter, de tout ce qui a été écrit sur cette classe de corps. Il y a ajouté des observations sur les baguettes d’échinides et d’autres sur les Bélemnites, qu’il rapproche des Nautiles. Après avoir réuni pour cet ouvrage tout ce qu’il y avait d’oursins dans le cabinet royal, de Dresde, ce que ses relations étendues avec les naturalistes des autres pays et sa propre collection lui avait fourni, il proposa une classification fort simple et très-rationnelle, basée, comme celle de Breyn, qu’il ne connaissait probablement pas, sur la position relative des ouvertures buccale et anale, caractère qui est encore de premier ordre dans les classifications les plus récentes. Mais, étendant les combinaisons et les rapports de ces deux parties plus loin qu’on ne l’avait fait encore, il proposa 14 genres, sans faire aucune mention de ceux de son prédécesseur. Une traduction française de cet ouvrage a été faite par Brisson[156], et Leske, dans une édition plus étendue publiée en 1778, a encore ajouté aux recherches de son devancier.

On doit aussi à Klein une description des pétrifications des environs de Dantzig[157], comprenant des Ammonites, des Peignes et des Limes jurassiques, quelques lnocérames et d’autres fossiles crétacés, des trilobites et des crinoïdes des terrains anciens, tous d’ailleurs très-mal figurés, puis une note sur des dents d’Éléphant[158], une autre sur un Bœuf fossile[159], et une troisième sur des Huîtres également fossiles[160]. Le travail de Rosinus[161] sur les crinoïdes, qui suivit bientôt le mémoire de J. C. Harenberg, peut être regardé comme un modèle de ce genre de recherches, eu égard au temps où l’auteur écrivait, et ses études sur les Bélemnites méritent également d’être mentionnées[162], de même que l’ouvrage de J. H. Link[163] sur les Étoiles de mer, Parmi les travaux moins étendus ne se rapportant qu’à des faits particuliers ou à des études locales, nous rappellerons ceux de Kirchmaier[164], de Reisk[165] sur les Glossopètres des environs de Lunebourg, corps auxquels s’attachaient des croyances populaires et étaient attribuées des vertus particulières ; puis ceux de Mell[166] sur les pierres figurées des environs de Lubec, d’Asmann[167] sur celles des environs de Wittenberg, de Neuber[168] sur le même sujet, de Martini[169] sur quelques pétrifications de la Marche Électorale, entre autres les Orthocératites et les Ammonites.

Arenswald[170] a décrit les corps organisés fossiles du Mecklembourg et de la Poméranie, et Denso[171] a fait remarquer leur rareté relative dans ce dernier pays ; Lesser[172] a fait connaître les curiosités naturelles du bailliage de Hohenstein, dans le comté de Stolberg, et l’on doit à Stobœus[173] un opuscule consacré aussi à l’histoire des pétrifications, de même qu’à J. D. Titius [174] plusieurs dissertations sur le même sujet.

Les insectes conservés dans le succin qu’on retire des bois ou lignites des bords de la Baltique ont également attiré l’attention des naturalistes du pays. Ainsi, dès 1742, Sendel[175] en parlait dans son histoire du succin, Bock[176] également, et d’autres renseignements sont indiqués sur ce sujet dans le grand ouvrage de Walch et Knorr[177]. Le baron de Hüpsch[178] a décrit et figuré le fossile connu alors sous le nom de pierre de pantoufle, sandaliolithe, sandalithe, crepite ou crepidalithe, la Calceola sandalina, Lam., provenant du calcaire de l’Eifel. Il place cette coquille à côté des Gryphites et des Térébratules, et en distingue deux espèces. Il décrit également une Orthocératite et une Baculite.

Enfin, nous indiquerons encore, en terminant cette énumération des recherches publiées dans cette partie du nord de l’Allemagne pendant les trois quarts du xviiie siècle, les ouvrages plus généraux d’Hollmann[179] sur l’origine des corps marins et des autres corps étrangers qui se trouvent dans le sein de la terre, de Rasp[180], qui, dans son spécimen de l’histoire naturelle du globe terrestre, a donné un travail complet sur toutes les îles nouvellement apparues et sur tous les systèmes de cosmologie émis jusqu’alors, et de J. H. Gottlob de Justi[181], sur l’histoire du globe déduite et prouvée par ses propriétés intérieures et extérieures. L’auteur reconnaît que les roches ont été soulevées par l’action des feux souterrains, que la mer a plusieurs fois changé de lit, qu’elle occupait la place de nos continents actuels, que la surface des terres a été plusieurs fois habitée, puis dépeuplée, par suite de catastrophes universelles, et cela avant le commencement de l’ère actuelle. Pour l’auteur, qui était panthéiste, Dieu et le monde ne font qu’un.
Blumenbach

Si nous recherchons maintenant, vers la fin du xviiie et le commencement du xixe siècle, quelque représentant de la paléozoologie générale dans ces mêmes pays, nous le trouverons dans Blumenbach, né à Gotha en 1752, et mort en 1840. Ce savant rangeait les fossiles dans quatre classes qui correspondaient, suivant lui, à autant de révolutions du globe[182]. La première comprend les fossiles dont les analogues vivent encore sur les lieux mêmes où leurs ancêtres ont été détruits ; la seconde, ceux dont les analogues ont survécu à une grande catastrophe, mais qui ont dû être transportés par des inondations, tels que les grands quadrupèdes dont les ossements ont été accumulés sur certains points et dont les représentants existent actuellement sous des latitudes différentes. La troisième époque est caractérisée par les fossiles équivoques, c’est-à-dire ceux qui ressemblent aux espèces vivantes, qui toutes offrent des différences qui ne permettent pas de prononcer si ce sont les mêmes espèces dégénérées ou bien d’autres réellement distinctes. Enfin, dans la quatrième sont rangés les fossiles les plus anciens, dont les analogues n’existent plus et qui semblent avoir appartenu à une autre terre.

l’auteur, appliquant à ces quatres prétendues classes les divisions générales quelquefois usitées dans l’histoire des nations ou des races humaines, en époques historique, héroïque et mythologique, trouve que ses deux premières classes ou les plus récentes rentrent dans les temps historiques, la troisième comprenant l’âge héroïque et la quatrième correspondant au temps obscur de la mythologie.

Voilà cependant où en était encore en Allemagne, dans les premières années de ce siècle, les idées sur la succession des faunes et des flores fossiles ; remarquons que ce sont celles d’un des naturalistes les plus éminents de l’époque, l’un des plus instruits et des plus éclairés. Qu’était-ce donc que celles des autres ? car on peut dire aujourd’hui que les idées de Blumenbach sur ce sujet peuvent être toutes rangées dans sa quatrième époque, celle de la fable.

Dans son Manuel d’histoire naturelle[183], les pétrifications sont réparties dans trois classes : la première comprend celles dont les analogues existent encore (petrificata superstitorum) ; la seconde, celles dont les analogues sont douteux (petrificata dubiorum), et la troisième, celles dont les analogues sont inconnus (petrificata incognitorum), arrangement qui n’est certainement pas plus naturel ni plus conforme aux faits que le précédent.
De Schlotheim

Enfin, à une époque encore plus rapprochée de nous, le nom de Schlotheim vient clore la liste des paléontologistes iconographes de l’Allemagne proprement dite. Il donna en 1804 une description des empreintes de plantes et des pétrifications végétales les plus remarquables[184], ou Essai sur la flore de l’ancien monde, accompagné de 27 planches de végétaux et de deux autres représentant des Astéries, des Euryales, des Spirifer, des crinoïdes, des Tentaculites, etc. En 1820, il commença la publication de son Petrefactenkunde, ou les pétrifications sous leur point de vue actuel, et description des débris d’animaux et de plantes fossiles ou pétrifiées de l’ancien monde[185].

Après l’indication de la classification qu’il adopte, après avoir rappelé l’existence des restes humains enveloppés dans des couches solides récentes, l’auteur énumère les restes d’animaux vertébrés, en commençant par les grands mammifères, tels que l’Éléphant, le Rhinocéros, le Bœuf, le Cerf, etc., puis passe aux oiseaux, aux poissons, aux insectes, aux trilobites, aux mollusques univalves et bivalves, traite des Bélemnites, des Orthocératites et de 38 espèces d’Ammonites, en y comprenant celles déjà décrites par ses prédécesseurs. La synonymie de chacune d’elle est rapportée, le lieu ou le gisement indiqué avec soin ; mais il n’en est pas de même du terrain, qui l’est peu exactement ou bien est tout à fait omis. Ces détails constituent plutôt des remarques que de véritables descriptions régulières, suivant le nom de chaque espèce. 65 Térébratules y sont relatées et figurées ; c’est le plus grand nombre d’espèces qu’on ait encore réunies jusque-là dans un seul ouvrage. Dans un supplément publié deux ans après et accompagné de 21 planches, de Schlotheim[186] a représenté et décrit des ossements des environs de Kostriz, des crustacés, des plantes, des polypiers du terrain de transition. Enfin, dans un dernier fascicule, accompagné de 16 planches, et qui parut en 1823, le même savant a donné les figures de trilobites, d’Astéries, d’Ophiures, de crustacés et d’autres pétrifications du muschelkalk de la Thuringe.

Nous venons de dire que les indications de terrain n’avaient point, dans ces publications, toute l’exactitude désirable ; c’est à quoi M. A. Boué a tâché de remédier par un article où il a donné une liste des fossiles décrits ou figurés par de Schlotheim, distribués dans les terrains auxquels ils appartiennent ou dont ils proviennent[187].


§ 6. Scandinavie.


Nous ne trouvons sur le Danemark et la Norwége que l’ouvrage de M. H. Schaeht[188] qui ait quelque rapport avec notre sujet ; ceux assez nombreux et même fort étendus relatifs à l’histoire naturelle de l’Islande ne nous offrent aucun intérêt à cet égard ; on voit seulement que T. Bartolin envoya à Resenius une dent d’Éléphant qui provenait de cette île et était changée en silex[189]. Les ouvrages de Strom[190], de Pontoppidan[191], où l’on voit cités un crâne et une dent gigantesque provenant aussi d’Islande, et d’autres ossements déterrés en Norwége, et le voyage de de Buch[192], n’ont pas plus d’intérêt à notre point de vue, tandis qu’en Suède, dans cette région de l’Europe déjà si avancée vers le nord, les connaissances paléontologiques ne sont pas demeurées en arrière des autres sciences, qui y avaient été cultivées de si bonne heure et avec tant de succès.

Après Wendius[193], Swedenborg[194] publie une lettre sur les pierres figurées de la Suède ; Bromell[195], dans la seconde partie de son ouvrage, signale entre autres fossiles le petit genre de trilobites désigné plus tard sous le nom d’Agnostus et ces corps toujours assez énigmatiques désignés sous celui de Graptolithes. Linné admettait, comme les anciens, la liquidité originaire du globe, mais le reste de sa cosmogonie est peu digne d’un esprit aussi éminent. Il connut seulement un petit nombre de fossiles, parla des trilobites sous le nom d’Entomolithus paradoxus[196], signala d’autres débris organiques observés dans ses voyages, mais sans en faire l’objet d’une étude spéciale. J. G. Wallerius[197] a donné une dissertation sur les traces du déluge universel, a traité de l’origine du monde et de la terre[198], et s’est occupé des coquilles récentes de la côte d’Uddevalla [199], qu’Alex. Brongniart a décrites de nos jours. Fought[200] a fait connaître les polypiers du terrain de transition de l’île de Gothland, dont Linné avait déjà parlé, et Brünnich[201] s’est également occupé des trilobites. J. A. Gyllenhal[202], de son côté, a signalé de nouvelles formes de radiaires depuis longtemps figurées[203] et constituant aujourd’hui le type des Cystidées. J. J. Dœbeln a décrit et représenté des ossements gigantesques, probablement d’Éléphant trouvés en 1733 à Falkenberg, dans la province d’Halland[204]. G. Wahlenberg[205] a traité plus tard, d’une manière beaucoup plus spéciale, des trilobites de ce pays, qu’il désigne encore sous le nom d’Entomostracites, puis des autres fossiles de transition de l’ile de Gothland, de la Westrogothie, de ceux de 1 la craie de Scanie, etc. L’auteur a décrit en même temps les divers systèmes de couches qui composent les dépôts sédimentaires anciens de la Suède. Ce sont, de bas en haut : 1° des schistes alumineux et calcarifères, caractérisés par certaines formes de trilobites ; 2° des calcaires puissants remplis de fossiles, et surtout d’Orthocératites et de trilobites de grandes dimensions ; 3° des schistes argileux différents de ceux de la base, dépourvus de calcaire et de crustacés. Wahlenberg pense que les principales formes de trilobites affectent chacune un gisement particulier, et qu’elles représentent ainsi des époques différentes.


§ 7. Russie.


Considérons actuellement les recherches qui, dans l’Europe orientale et dans le nord de l’Asie, appartiennent à la période de l’histoire dont nous nous occupons. Le caractère paléontologique le plus frappant de ces immenses surfaces, celui qui leur a donné une véritable célébrité, qui a depuis un siècle et demi appelé l’attention d’une multitude de naturalistes, c’est la présence, sur une infinité de points, de débris de grands mammifères pachydermes, particulièrement d’Éléphants et de Rhinocéros, enfouis dans les dépôts superficiels des vallées.
Auteurs anciens

Dès 1696, H. W. Ludolf[206] mentionnait l’Éléphant-mammouth de Sibérie ; Tatischew[207], Breyn[208], Carthenser[209], Laxmann [210] s’en occupèrent également, mais au point de vue zoologique ; les matériaux qu’ils avaient sous les yeux étaient rapportés par les voyageurs ou les marchands qui faisaient le commerce de l’ivoire fossile, c’est-à-dire des défenses d’Éléphant, que l’on exploitait en quelque sorte sur les bords des grands fleuves.

De Strahlenberg[211] a montré comment les os étaient mis à découvert lors des inondations. Il cite un squelette déterré près du lac Tzana, entre l’lrtysch et l’Obi, une tête entière à Toumen, sur la Toura, et entre Tomsk et Kafnetsko. Suivant Billing[212], certaines îles de la mer Glaciale, entre l’embouchure de la Lena et celle de l’Indighirska, sont formées de sable, de glace et d’une multitude prodigieuse d’ossements, de dents, de défenses, etc.

J. Georges Gmelin[213], qui, en 1733, avait été attaché comme naturaliste à l’expédition de Bering, envoyée par l’impératrice Anne dans la Sibérie orientale, fit connaître le gisement de ces grands mammifères le long des rives et à l’embouchure de la Lena et de ses affluents. Le czar Pierre avait ordonné, en 1722, que l’on recherchât avec soin le corps de l’animal d’où provenait ce que l’on appelait alors des cornes de Mammont, et, l’année suivante, Spiridion Portniaghinne informa la chancellerie d’Iakoutsk qu’en allant d’Oustiansk à la mer Glaciale, à 50 lieues environ de celle-ci, il avait trouvé, dans une couche de tourbe, une tête de Mammouth avec les cornes séparées, et la tête d’un autre animal différent. Ces premières indications furent suivies d’autres recherches qui amenèrent la découverte, dans des conditions semblables, de beaucoup de restes que Gmelin n’hésita pas à rapporter, les uns à l’Éléphant, et les autres à un animal moins grand, qu’il supposa voisin du Bœuf. Il pensait que ces animaux, pour éviter quelque danger, avaient dû fuir vers le nord, où ils seront morts de faim et de froid, et que d’autres avaient été noyés par des inondations qui les auront transportés, puis déposés là où op les trouve aujourd’hui. Amelin mourut en 1755, avant d’avoir publié la plupart de ses recherches, et ses nombreux manuscrits, déposés à Saint-Pétersbourg, ont dû être utilisés par ses successeurs, et surtout par Pallas.

Pallas

Ce dernier, à qui ses travaux sur la Russie d’Europe et la Sibérie ont fait un grand renom, possédait certainement toutes les qualités nécessaires au naturaliste voyageur, et, comme il n’était pas moins, bon courtisan, il fit servir le crédit et la faveur dont il jouissait auprès de Catherine II au profit des observations scientifiques qu’il poursuivit avec beaucoup de constance et de bonheur. Né à Berlin en 1741, ses voyages se firent particulièrement de 1768 à 1773[214], et le dernier, dans la Russie méridionale, en 1793 et 94[215].
Éléphants et Ehinocéros

Nous n’avons point à apprécier Pallas comme zoologiste, comme botaniste ni comme géographe, mais seulement comme géologue, et pour les services qu’il a rendus à la paléontologie. À ce dernier égard, on doit reconnaître qu’il signale, avec un soin scrupuleux, toutes les localités où il avait observé des débris organiques en place, et qu’il rapporte avec une égale attention tous les renseignements qu’il a obtenus sur les lieux. Ce sont surtout les restes d’Éléphants et de Rhinocéros appartenant à la dernière période de l’histoire de la terre, qui sont l’objet de ses préoccupations constantes. Il les mentionne dans la plupart des vallées du versant oriental de l’Oural, dont les cours d’eau se réunissent au Tobol, l’un des principaux affluents de l’Irtysch, et dans ceux de l’Ob, plus au nord. Bien plus loin encore, vers Pest, on découvrit en 1771, sous le méridien de Iakoutsk, par 64° lat. N., sur les bords du Viloui, l’un des affluents de la Lena, un cadavre entier de Rhinocéros avec sa chair, sa peau et ses poils. Il était enterré dans un sable mélangé de gravier. On sait que, sous cette latitude, le sol ne dégèle que jusqu’à quelques pieds de profondeur pendant les trois mois d’été, autrement rien des parties molles n’aurait pu être conservé, depuis le phénomène qui, venant du sud ou des pentes de l’Altaï, a du entraîner ces animaux dans les parties basses des plaines de la Sibérie et jusque sur les bords de la mer Glaciale[216]. Pallas décrivit en même temps un crâne du même animal, trouvé au delà du lac Baïkal, non loin de la rivière Selenga.

Le nord de l’Asie, dit-il ailleurs[217], renferme une si prodigieuse quantité de grands mammifères que, depuis le Tanaïs jusqu’à la pointe du continent la plus voisine de l’Amérique, il n’y a presque pas un fleuve dans cet espace immense, sur les bords ou dans le lit duquel on n’ait trouvé et l’on ne trouve encore fréquemment des os d’Éléphant et de plusieurs autres animaux qui n’appartiennent pas à ces climats. Remarquons encore que dans toute cette étendue, et sous les diverses latitudes, depuis l’Oural, à l’ouest, et l’Altaï, au sud, il jusqu’aux plages de la mer Glaciale, toute la Sibérie est en quelque sorte jonchée de ces débris. L’ivoire le plus recherché pour ses qualités est celui qui se trouve dans les contrées voisines du cercle polaire et dans les régions situées à l’est, beaucoup plus froides que celles de l’Europe à latitude égale.

De la présence des poils, très-abondants surtout aux pieds et à la tête, Pallas[218] est porté à conclure que ces animaux pouvaient habiter sous un climat moins chaud que les Rhinocéros de nos jours, et la découverte, dont nous parlerons plus loin, d’Éléphant fossile ayant offert des particularités analogues, vient appuyer cette hypothèse.
Fossiles divers.

Quant aux débris organiques des roches plus anciennes, soit, calcaires, soit arénacèes ou argileuses, Pallas[219] les mentionne également avec soin. Tels sont les Bélemnites, les Ammonites, les Térébratules, les Tellines, les Chames, les Mytilus et des crustacés aux environs de Moscou, à Koroshovo, ceux de Valadimir, Constantinovo, des rives de l’Oka aux environs de Kosimof, etc. Il signale la craie à Simbirsk avec des Bélemnites, et sur beaucoup d’autres points, le long des affluents du Volga, mais sans distinguer, quant à leur âge relatif, les couches qui renferment ces fossiles. On ne voit même pas que l’idée de la non-contemporanéité de ces diverses couches lui soit venue, et nous on aurons la preuve si, au lieu de suivre le voyageur qui observe et ramasse les pierres sur sa route, nous cherchons dans ses écrits à saisir les vues théoriques que lui ont suggérées l’examen des grandes surfaces de pays qu’il avait parcourues.
Observations sur la formation de montagnes

Le mémoire de Pallas, intitulé : Observations sur la formation des montagnes et les changements arrivés au globe, particulièrement à l’égard de l’empire de Russie, mémoire lut, le 26 juin 1777, à l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg, nous donnera la mesure exacte du résultat général de ses recherches[220].

Les plus hautes montagnes du globe sont, dit-il, formées de granite, dont la base est toujours un quartz plus ou moins mêlé de feldspath, de mica, et, ajoute-t-il, de petites basaltes éparses, sans aucun ordre et par fragments irréguliers[221]. La roche n’est jamais en couches, mais par blocs ou par masses entassées les unes sur les autres, et elle ne renferme jamais non plus de fossiles organiques. Dans le Caucase, les roches granitiques du centre de la chaîne sont très-régulièrement accompagnées, de chaque côté, par des bandes schisteuses, qu’il nomme primitives, et à celles-ci succèdent des montagnes secondaires et tertiaires.

La bande des montagnes primitives, schisteuses, hétérogènes, qui, par toute la terre, accompagne les chaînes granitiques, « comprend les roches talqueuses et quartzeuses mixtes, trapézoïdes, serpentines, le schiste corné, les roches spathiques et cornées, les grès purs, le porphyre et le jaspe : tous rocs fêlés, en couches presque perpendiculaires, ou, du moins, très-rapidement inclinées. Elles semblent, comme le granite, antérieures à la création des êtres organisés, et l’on n’y a jamais trouvé de pétrifications ni d’empreintes de plantes.

« Nous pourrons parler plus décisivement, continue Pallas, sur les montagnes secondaires et tertiaires de l’empire, et c’est de celles-là, de la nature, de l’arrangement et du contenu de leurs couches, des grandes inégalités et de la forme du continent d’Europe et d’Asie, que l’on peut tirer avec plus de confiance quelques lumières sur les changements arrivés aux terres habitables. Ces deux ordres de montagnes présentent la chronique de notre globe la plus ancienne, la moins sujette aux falsifications, et en même temps plus lisible que le caractère des chaînes primitives ; ce sont les archives de la nature antérieures aux lettres et aux traditions les plus reculées, qu’il était réservé à notre siècle observateur de fouiller, de commenter et de mettre au jour, mais que plusieurs siècles après le nôtre n’épuiseront pas.

« Dans toute l’étendue des vastes dominations russes, aussi bien que dans l’Europe entière, les observateurs attentifs ont remarqué que généralement la bande schisteuse des grandes chaînes se trouve immédiatement recouverte ou cottée par la bande calcaire. Celle-ci forme deux ordres de montagnes, très-différents par la hauteur, la situation de leurs couches et la composition de la pierre, calcaire qui les compose, différence qui est très-évidente dans cette bande calcaire qui forme la lisière occidentale de toute la chaîne ouralique, et dont le plan s’étend par tout le pays plat de la Russie. L’on observerait la même chose à l’orient de la chaîne et dans toute l’étendue de la Sibérie, si les couches calcaires horizontales n’y étaient recouvertes par les dépôts postérieurs, de façon qu’il ne paraît. À la surface que les parties les plus saillantes de la bande[222], et si ce pays n’était trop nouvellement cultivé et trop peu exploité par des fouilles et autres opérations que des hommes industrieux ont pratiquées dans les pays anciennement habités. Ce que je vais exposer sur les deux ordres de montagnes calcaires se rapportera donc principalement à celles qui sont à l’occident de la chaîne ouralique.

« Ce côté de ladite chaîne consiste, sur 50 à 100 verstes de largeur, en roches calcaires solides, d’un grain uni qui, tantôt ne contient aucune trace de productions marines, tantôt n’en conserve que des empreintes aussi légères qu’éparses, Cette roche s’élève en montagnes d’une hauteur très-considérable, irrégulières, rapides et coupées de vallons escarpés. Ces couches, généralement épaisses, ne sont point de niveau, mais très-inclinées à l’horizon, parallèles, pour la plupart, à la direction de la chaîne qui est aussi ordinairement celle de la bande schisteuse ; au lieu que du côté de l’orient les couches calcaires sont au sens de la chaîne en direction plus ou moins approchante de l’angle droit.

« En s’éloignant de la chaîne, on voit les couches calcaires s’aplanir assez rapidement, prendre une position horizontale et devenir abondantes en toutes sortes de coquillages, de madrépores et d’autres dépouilles marines. Telles on les voit dans toutes les vallées les plus basses qui se trouvent aux pieds des montagnes (environs de la rivière Oufa), telles aussi elles occupent toute l’étendue de la Grande Russie, tant en collines qu’en plat pays… » Après avoir rappelé la distribution des blocs et des cailloux roulés sur les pentes du Valdaï, ainsi que le sillonnement de ces collines qu’il attribue à une inondation d’une grande violence, Pallas continue ainsi : « Plus avant dans les terres, où les couches calcaires n’ont pas été dérangées, l’observateur trouve partout la conviction la plus complète que ces couches, tantôt peu profondes, tantôt accumulées en bancs qui forment des collines isolées ou cohérentes par petites chaînes, aussi bien que la couche glaiseuse qui se trouve généralement au-dessous du plan calcaire et tout aussi abondante en productions marines, ont formé l’une et l’autre, dans les premiers âges du globe, le fond d’une mer profonde qui ne saurait avoir produit ces dépôts originairement marins et sans aucun mélange de restes d’animaux terrestres, que pendant une longue suite de siècles. C’est surtout la couche glaiseuse, dont la profondeur, chez nous, n’est pas explorée et qui me semble continuée à une partie de la bande schisteuse des hautes chaînes, qui doit avoir coûté bien des siècles à la nature, et qui prouve, par ses pétrifications, que la mer doit l’avoir couverte à une grande profondeur[223]. »

En appliquant ces données générales à la chaîne de l’Oural, on voit que Pallas comprend, sous le nom de montagnes secondaires, la bande calcaire qui recouvre la bande schisteuse théorique primitive des grandes chaînes ; et par la description des lieux on reconnaît qu’il comprend, dans cette expression, ce que nous appelons aujourd’hui le terrain de transition de l’Oural et du nord de la Russie (Esthonie et Ingrie). On voit, en outre, par la dernière note que nous venons de rapporter, qu’il confondait les couches secondaires argileuses à Ammonites et à Bélemnites des environs de Moscou avec les argiles siluriennes inférieures des environs de Saint-Pétersbourg, qu’il rapproche avec plus de raison de sa bande schisteuse des hautes chaînes.

« On n’a point observé jusqu’ici, dit plus loin le savant voyageur, une suite de ces montagnes tertiaires, effet des catastrophes les plus modernes de notre globe, si marquée et si puissante que celle qui accompagne la chaîne ouralique, ou côté occidental, sur toute sa longueur. Cette suite de montagnes, pour la plupart composées de grès, de marnes rougeâtres, entremêlées de couches diversement mixtes, forme une chaîne partout séparée par une vallée plus ou moins large de la bande de roche calcaire dont nous avons parlé. Sillonnée et entrecoupée de fréquents vallons, elle s’élève souvent à plus de 100 toises perpendiculaires, se répand vers les plaines de la Russie en traînées de collines qui séparent les rivières en accompagnant généralement la rive boréale ou occidentale, et dégénère enfin en déserts sablonneux qui occupent de grands espaces et s’étendent surtout par longues bandes parallèles aux principales traces qui suivent les cours des rivières.

« La principale force de ces montagnes tertiaires est plus près de la chaîne primitive par tout le gouvernement d’Orenbourg et la Permie, où elle consiste principalement en grès, et contient un fond inépuisable de mines de cuivre sablonneuses, argileuses et autres qui se voient ordinairement dans les couches horizontales. Plus loin, vers la plaine, sont des suites de collines toutes marneuses qui abondent autant en pierres gypseuses que les autres en minerais de cuivre. Je n’entre pas dans le détail de celles-ci, qui indiquent surtout les sources salines ; mais je dois dire des premières, qui abondent le plus et dont les plus hautes élévations des plaines, même celles de Moscou, sont formées, qu’elles contiennent très-peu de traces de productions marines et jamais des amas entiers de ces corps, tels qu’une mer reposée pendant des siècles de suite a pu les accumuler dans les bancs calcaires.

« Rien au contraire de plus abondant dans ces montagnes de grès stratifié sur l’ancien plan calcaire, que des troncs d’arbres entiers et des fragments de bois pétrifié, souvent minéralisé par le cuivre ou le fer, des impressions de troncs de palmiers, de tiges de plantes, de roseaux et de quelques fruits étrangers, enfin, des ossements d’animaux terrestres, si rares dans les couches calcaires. ».

Or, si les roches secondaires ou les montagnes secondaires de l’Oural, car pour les géologues de cette époque tout pays ou tout terrain était montagne, sont aujourd’hui pour nous des terrains de transition, les montagnes tertiaires de Pallas en font encore partie, car ce n’est rien autre, au moins pour la plupart, que le système permien des observateurs actuels. On pourrait peut-être dire que jusqu’ici ce n’est qu’une question de mots ; mais ce qui prouve que les idées stratigraphiques ou de superposition étaient bien peu dans l’esprit de Pallas, et celle de la succession des faunes encore moins, c’est qu’il confond, avec ces dépôts anciens, rouges, sableux, des gouvernements de Permie et d’Orenbourg, les dépôts quaternaires à ossements de grands pachydermes. « Dans ces mêmes dépôts sablonneux et souvent limoneux, dit-il, gisent les restes des grands animaux de l’Inde, ces ossements d’Èléphants, de Rhinocéros, de Buffles monstrueux, dont on déterre tous les jours un si grand nombre et qui font l’admiration des curieux. En Sibérie, où l’on a découvert le long de presque toutes les rivières ces restes d’animaux étrangers,… c’est aussi la couche la plus moderne de limon sablonneux qui leur sert de sépulture. »

On peut juger, par ces citations, de la valeur théorique des résultats qu’a obtenus Pallas de ses nombreux voyages de part et d’autre de l’Oural ; ils sont certainement inférieurs à ceux de plusieurs de ses contemporains et même de ses prédécesseurs dans d’autres pays. Quant au rôle qu’il fait jouer ensuite aux volcans et aux eaux de la mer pour expliquer ces résultats, il est extrêmement exagéré pour les uns et les autres ; mais on. doit reconnaître que loin de suivre l’erreur de Buffon, qui élevait les eaux de la mer jusqu’au sommet des plus hautes montagnes actuelles, il préfère attribuer l’élévation de ces dernières à des commotions du globe, à l’action de décompositions souterraines, etc., et admettre que le niveau de l’Océan n’a jamais été à plus de 100 toises au-dessus de son niveau actuel. Une opinion avancée par Tournefort, et dont les recherches les plus modernes ont augmenté la probabilité, a été adoptée par Pallas. Elle consiste à regarder les montagnes qui longent aujourd’hui le Bosphore comme étant réunies, formant une barrière continue et isolant de la Méditerranée au sud le grand bassin qui, au nord, recevait les eaux du Danube, du Dniester, du Dniéper, du Don et du Kouban. Ce bassin était occupé par un immense lac plus élevé que la Méditerranée. « La digue s’étant rompue, dit-il, soit par l’action insensible des eaux, soit par suite d’un tremblement de terre, les eaux du lac s’écoulèrent dans la Méditerranée, prirent son niveau, et c’est à leur première apparition au delà de la rupture qu’on pourrait attribuer les inondations ou déluges dont les traditions de la Grèce ancienne ont transmis le souvenir. » La continuité ou la communication des trois bassins actuels de la mer Noire, de la Caspienne et de l’Aral, soupçonnée aussi par Tournefort, est également admise par le savant voyageur russe.
Crimée

Quelques années après, dans son Tableau physique et topographique de la Tauride[224], Pallas a été plus heureux au point de vue géologique que dans ses travaux précédents. Il est vrai que les caractères stratigraphiques de ce pays sont si faciles à saisir, qu’il a pu aisément y distinguer les systèmes de couches de son premier ordre de montagnes, qui correspond pour nous à la période jurassique, son second ordre, qui comprend les dépôts crétacés et tertiaires inférieurs actuels, et, en troisième lieu, des couches de dépôts postérieurs à ces deux époques et qui représentent le calcaire aralo-caspien ou des steppes. Ses remarques sur les fossiles de ces derniers sédiments, comparés à ceux des précédents, sont d’ailleurs fort justes.
Macquart, Georgi, Fischer de Waldheim.

Quelques années après, un Français qui avait séjourné assez, longtemps en Russie alla beaucoup plus loin que Pallas sur la constitution géologique du sol des environs de Moscou. Ainsi Macquart[225] avait observé que le sol de la ville avait été envahi par la mer, et que les débris de corps organisés qu’on y trouvait appartenaient à trois couches de nature différente : le calcaire, la roche noire de Koroshovo et un sable désagrégé. Ces trois divisions correspondent au calcaire carbonifère, aux couches jurassiques et aux dépôts quaternaires. Il remarqua aussi que les fossiles des deux premières roches se retrouvaient dans la troisième. Parmi les espèces que l’auteur a figurées on peut reconnaître les Ammonites virgatus, valdaicus et la Terebratula acuta.

On doit à J. G. Georgi[226] une description géographique, physique et d’histoire naturelle de l’empire russe, à Ferber des observations sur la géographie physique de la Courlande[227], à Patrin[228] La relation de son voyage aux monts d’Altaïce, en Sibérie, où se trouvent quelques renseignements pétrographiques, et à Fischer de Waldheim[229] plusieurs mémoires sur les fossiles de la Russie, mémoires par lesquels il préludait, dès le commencement de ce siècle, aux nombreux travaux qu’il a publiés par la suite. Enfin, en 1819, un Anglais, W. T. Fox Strangways, a donné une esquisse géologique des environs de Saint-Pétersbourg[230], dans laquelle il distinguait de bas en haut : les roches primitives, les argiles bleues, des couches intermédiaires, le calcaire pleta, le diluvium et des alluvions plus récentes. Dans ce premier travail, accompagné d’une carte, l’auteur décrit successivement le granite, le gneiss, des roches de grenat, des calcaires-marbres, des schistes, des argiles et des schistes calcarifères. Dans un second mémoire[231], le même savant étend le champ de ses considérations à la plus grande partie de la Russie d’Europe, dont il donne un essai de carte géologique générale ; les divers terrains y sont représentés par 21 teintes différentes, et, si l’on tient compte des difficultés de diverses sortes qu’un étranger comme M. Strangways a dû rencontrer dans l’accomplissement de sa tâche, on devra en regarder les résultats comme très-dignes d’intérêt et ayant ouvert la voie à tout ce qui a été exécuté depuis dans la même direction.


§ 8. Observations générales.


C’est ici le lieu de rappeler que vers 1764 un naturaliste français avait appliqué à la Pologne ses idées nouvelles et fort justes, quoique encore incomplètes, que plus tard un autre Français reconnut le premier, comme on vient de le dire, de véritables divisions géologiques et paléontologiques autour de Moscou, en même temps qu’un de ses compatriotes visitait l’Altaï, et que, de 1818 à1820, deux géologues partis des bords de la Seine appliquèrent à l’Autriche et à la Hongrie les connaissances de leur temps. De même nous voyons un voyageur anglais tracer les premières cartes géologiques de la Russie, et 20 ans après, en 1840, c’est encore un géologue de cette nation et un géologue français qui, réunissant leurs efforts, vont porter jusqu’au delà de l’Oural et de Pétersbourg, puis jusque dans l’ancienne Tauride, le flambeau de la science moderne. D’autres naturalistes français concentrent aussi dans le même temps leurs études sur le midi de la Russie ; un naturaliste suisse, après avoir observé la Pologne méridionale, consacre plusieurs années à débrouiller l’immense chaos de l’Arménie et du Caucase, et c’est encore un de nos compatriotes qui, dans le bassin circonscrit de la Bohême, élève depuis 25 ans un monument impérissable à la paléontologie stratigraphique des terrains anciens. Ces quelques exemples, choisis parmi beaucoup d’autres, suffisent pour montrer que, pour l’orient de l’Europe, les lumières de la science, depuis longtemps, lui viennent de l’extrême occident.
Résumé

D’un autre côté, on doit faire remarquer que, malgré les nombreux travaux de lithologie descriptive que nous avons énumérés, malgré les iconographies de fossiles provenant des pays compris entre les Alpes et la Suède, le Rhin et le Volga, et qui ont fait connaître une multitude de formes organiques, on ne peut pas dire que toutes ces recherches locales aient encore placé, en Allemagne, à l’époque où nous sommes arrivés, c’est-à-dire au commencement de ce siècle, la théorie de la terre dans une voie définitivement arrêtée. Lehmann, Fuchsel et Werner, qui n’avaient point fait de grands voyages comme Pallas, de Saussure, de Luc, etc., avaient plus que ces derniers le sentiment de la vraie méthode d’observation en géologie, et cependant on entrevoyait qu’il manquait encore quelque chose à l’application qu’ils en faisaient. L’illustre professeur de Freyberg, par un enseignement solide, raisonné et profond, imprima autour de lui une vive et salutaire impulsion ; il était dans le vrai à beaucoup d’égards, mais s’il ne profita point, autant peut-être qu’il l’aurait pu faire, des travaux de ses devanciers, il eut de plus que ceux-ci le bonheur d’être continué par les hommes les plus éminents qui, en faisant ressortir toutes ses qualités, eurent le bon esprit de ne pas vouloir défendre ses erreurs.

En résumé, si l’Allemagne, tout en apportant à la paléontologie de nombreux et précieux matériaux, n’a point eu l’honneur de démontrer la corrélation de la distribution des formes organiques avec l’ancienneté des terrains, la direction que ce grand maître a donnée à la géologie positive et pratique, fort incertaine jusqu’à lui, est pour elle un mérite aussi bien fondé et qu’elle peut réclamer à juste titre.


  1. Oryctographia carniolica oder physikalische Beschreibung der Herzogthums Krain, Istrien, etc., in-4. Leipzig, 1778-1789. — Voy. aussi : Scopoli, Description des fossiles et des pétrifications du comté de Gori (Hist. nat., ann. II.)
  2. Bibliotheca scriptorum historiæ naturalis, etc., p. 87, in-12. Zurich, 1751. Ed. 1°. in-8. 1716.
  3. De rerum fossilium lapidum et gemmarum figuris et similitudinibus, in-4. Zurich, 1565.
  4. Historia naturalis Helvetiæ, 1688.
  5. Historia lapidum fïguratorum Helvetiæ, 1708. — Tractatus de origine figuratorum, 1708.
  6. Son frère, Jean Scheuchzer, secrétaire d’État du comté de Bade, fut aussi un botaniste distingué.
  7. Petit in-4. Zurich, 1708.
  8. In-4. Zurich, 1726. — Voy. aussi Physica sacra, pl. 49, p. 66. ― Le dessin a été reproduit sans observation par Bourguet, d’Argenville et Lesser, mais J. Gesner a pensé que ce fossile pouvait être un poisson du genre Silure. — Voy. aussi Andræa, Hannov. magaz., 1764, p. 619 et 774. — Scheuchzer a encore écrit une lettre sur un squelette d’Éléphant pétrifié, Journal helvétique, mars 1758.
  9. 1702.
  10. 1697.
  11. Histoire de l’Académie royale des sciences pour l’année 1710 ; p. 20, 1712.
  12. Nous ferons remarquer ici, ce que l’on ne devra pas perdre de vue dans la suite, qu’il y a certains genres de fossiles et même certaines familles dont les noms reviendront souvent dans ce Précis, parce que, très-répandus dans la nature, les uns à certaines époques déterminées et particulières, les autres, au contraire, dans toute la série des terrains, ils ont, par ces motifs, attiré de tout temps l’attention des naturalistes et même du vulgaire. Ces fossiles ont donc été, plus que les autres, l’objet de nombreuses dissertations ; ils ont été figurés mainte et mainte fois, et doivent par conséquent dans une revue historique se présenter plus souvent sous notre plume. Tels sont les Nummulites pour le terrain tertiaire inférieur, puis les dents de Squales (Glossopètres), les rudistes pour la formation crétacée supérieure, les Bélemnites pour les formations crétacée et jurassique, les Ammonites et les baguettes de Cidaris pour tout le terrain secondaire, les trilobites pour le terrain de transition, les brachiopodes pour la série géologique entière, toujours abondants et d’une variété dans les types qui défie l’imagination la plus féconde, les Éléphants et les Rhinocéros pour la période quaternaire, comme les Mastodontés dans celles qui l’ont immédiatement précédée, etc. Ces répétitions auront d’ailleurs, par ce fait seul, l’avantage de faire apprécier d’avance la plus grande importance relative de ces mêmes êtres organisés, par le rôle qu’ils ont joué simultanément ou successivement dans l’histoire biologique de la terre.
  13. Tractatus de petrificatis, in-8, 1758.
  14. Traité des pétrifications, avec figures, par M. B***, in-4 avec 60 planches. Paris, 1742 ; éd. nouv., 1762.
  15. Sur la pierre Bélemnite et la pierre Lenticulaire, avec un mémoire sur la théorie de la terre, in-8, Amsterdam, 1729.
  16. Voy. aussi Swinger, Remarques lithologiques, Actes helvét., vol. III, 1748. — D’Annone, Essai d’une description historique des curiosités du canton de Bâle, ibid., vol. IV. — Andræ, Lettres suisses, Ichthyolithes d’ŒEningen, 1764. — Lesser, Lithothéologie, poissons ; Hannov. magaz. ─ Bertrand, Essai de miner. et d’hydrographie du canton de Berne. (Récréations miner., p. 28.) — Des empreintes de plantes, d’insectes et de poissons ont été signalées dans les schistes de Glaris. (Lettres sur la Suisse, par W. Coxe, vol. I, p. 69.)
  17. Voyage dans les Alpes, précédé d’un Essai sur l’histoire naturelle des environs de Genève, 4 vol. in-4. Vol. I et II, Genève, 1786 ; vol. III et IV, Neufchâtel, 1796.
  18. Vol.I, p. 11.
  19. Mém. de M. de Lezay-Marnesia sur les fossiles d’orgelet. (Acad. de Besançon.)
  20. D’Archiac et J. Haime, Monographie des Nummulites, p. 16.
  21. Voyage dans les Alpes, vol. III, p. 5. Neufchâtel, 1796.
  22. Journal de physique, vol. XIX, p. 185. 1782.
  23. Journal de physique, 1784, n° 267, 274 et 279.
  24. Lettere odeporiche sulle montagne ligustiche, in-8, 1795.
  25. Voy. aussi Grosson, Journ. de phys., vol. VIII, p. 228.
  26. Journal de phys., vol. XXV, p. 174, 1784.
  27. Hist. nat. de la Provence, vol. I, p. 288, 1782.
  28. Journ. de phys., vol. XIX. p. 23, 1782. ─ Ibid., vol. XXII, p.477, 1783
  29. Ibid., vol. XXII, p. 270, 1783.
  30. Voyage dans les Alpes, vol. I, seconde partie, p. 355, 1786.
  31. Voyage dans les Alpes, vol. II, p. 59, 1786.
  32. Voyage dans les Alpes, vol. II, p. 550.
  33. Ibid., vol. IV, p. 141.
  34. Voyage dans les Alpes, vol. III, p. 439 et suiv.
  35. Ibid., vol. IV, p. 1.
  36. Voyage dans les Alpes, vol. IV, p. 319.
  37. 1 vol. in-8. La Haye, 1778. (C’est le commencement de ses lettres qui a d’abord paru séparément sous le titre de 1re partie et s’arrêtant à la lettre xiv.)
  38. Cette expression de masures, comme synonyme de ruine ou de destruction, revient partout dans ses écrits.
  39. Paris, la Haye, 5 vol. in-8, dont le 5e en deux parties, 1779. Ces lettres sont aussi adressées à la reine de la Grande-Bretagne.
  40. C’est à une cause de cet ordre, mais plus ancienne, que de Luc attribuait la dispersion des blocs erratiques. « L’eau introduite dans les galeries souterraines, où se trouvaient du feu et des matières prêtes à fermenter, occasionnait la génération subite d’une prodigieuse quantité de fluides élastiques de diverses sortes… S’il se faisait quelque explosion par ce concours de causes, les pièces détachées, trouvant moins de résistance dans l’eau, étaient lancées au loin, comme on en voit lancer aux volcans actuels. Mais la cause était alors incomparablement plus puissante ; et c’est vraisemblablement à de pareilles explosions que sont dus ces débris de pierres primordiales que nous trouvons jusque sur les montagnes à couches calcaires, quelquefois en masses de plusieurs toises cubes, et toujours aussi isolées que si elles venaient d’y être placées aujourd’hui. » (P. 181.)
  41. In-8. Paris, 1798. — Il y a une édition anglaise et une allemande antérieures à celle-ci.
  42. In-8. Paris, 1810.
  43. Journal de physique, vol. XXXVIII, p. 90, 1791,
  44. Journal de physique, vol. XXXVIII, p. 174.
  45. Ibid., vol. LV, p. 397, 1802. — Anté ibid., n° de germinal et vendémaire, an IX (1801).
  46. Ibid., vol. XXXVIII, p. 378, 1791.
  47. Ibid., vol. XXXIX, p. 215, 1791.
  48. Journal de physique, vol. XXXIX, p. 286 et 425.
  49. Ibid., vol. XL, p. 180, 292, 352, 450, 1792.
  50. Ibid., vol. XLI, p. 32, 123, 228, 414.
  51. Ibid., p. 437.
  52. Ibid., vol. XLVIII, p. 309, 1798.
  53. Ibid., vol. LIV, p. 173, pl. I, fig. 1 à 12, 1802.
  54. Journal de physique, vol. XLVIII, p. 225, 1798.
  55. Ibid, vol. L, p. 420, 1800. ─ Mém. lu à la Société des naturalistes génevois le 21 avril 1796.
  56. Journal de physique, vol. XXXVIII, p. 276, 1791.
  57. Quelques autres publications ont encore été données sur l’histoire naturelle générale de la Suisse. Nous en avons déjà indiqué, Histoire des progrès de la géologie, vol. VII, p. 86, 100, 134, etc., et nous ajouterons les suivantes : Capeller, Histoire du Mont=Pilate (Pilati montis historia), Bàsle, 1767. — J. H. Andraea, Briefe aus der Schwyz, in-4o, 1776. — J. Schneider, Beschreib. der Berge des Entlebuchs, Lucerne, 1784. — S. Gruner, Naturgesch. Helvetiens in der alten Welt. Berne, 1773. On doit aussi à L. de Buch la relation d’un voyage de Glaris à Chiavenna, fait en 1805 (Magaz. der Berliner Naturforsch. vol. III, p. 115), et des observations sur les dislocations et les redressements des couches des Alpes (Schr. nat. Freunde, 1809) ; à W. Buckland, un mémoire sur la structure des Alpes et leurs relations avec les roches d’Angleterre (Annals of philosophy, juin 1821) ; au Père Chrysologue de Gy… une orographie générale du Jura et de ses rapports avec les Alpes et les Vosges. (Plan d’une carte phys. et minér., etc. Journal de phys., vol XXX, p. 271, 1787.) L’auteur y critique les opinions de de Saussure et de de Luc sur les blocs erratiques sans leur en substituer une meilleure.
  58. De Lapidibaus metallicisque mire naturæ, etc., 1600. C’est le frère de Gaspard Bauhin, tous deux botanistes.
  59. Anté, p. 11.
  60. Monumentum rerum petrificatarum, in-1°. Nuremberg, 1757.
  61. Œdipus osteologicus seu dissert. de cornibus et ossibus fossilibus Canstadiensibus, in-4. Schaffhausen, 1701. — Bourguet, Traité des pétrifications, p. 142.
  62. Lapis lydius philos. pyrot. ad ossium fossilium docim. analyt. demonstr. adhibitus, in-8. Francfort-sur-le-Mein, 1704.
  63. Beiträge zu der Württemb. Naturgesch. der Achten thierisch. Versteinerungen.
  64. Ueber einige Verstein. aus der Herrsch. Heydenheim un Wurtembergischen, 1772.
  65. De Oryctographia Burgravatius Norici superioris, in-4. Bayreuth, 1764-65
  66. Description du marbre d’Aldtorf, in-8. Iéna, 1772. Ces calcaires renferment des Ammonites et d’autres coquilles. — B. Ehrhart, des Bélemnites de la Souabe, in-4o. Augsbourg, 1797.
  67. Sammlung von Merckwurdigkeiten der natur., etc., in-fo. 1755. — Die Naturgeschichte der Versteinerungen z. Erlaüt. d. Knorrisehen Sammlung v. Merk., etc. J. E. Em. Walch. Nürnberg, 1755-1773. — Recueil des monuments des catastrophes que le globe terrestre a essuyées, contenant des pétrifications dessinées, gravées et enluminées d’après les originaux, commencé par feu M. Georges-Wolfgang Knorr et continué par ses héritiers, avec l’Histoire naturelle de ces corps, par M. J. Ern. Em. Walch. Traduit de l’Allemand, 4 vol. in-fo. Nuremberg, 1768-1778. Les dates ne correspondent pas à l’ordre des volumes, le second ayant été publié en 1768 et le premier en 1777. C’est à cette traduction que se rapportent toutes nos indications. — Il y a en aussi une édition faite en Belgique, 1775.
  68. Voyez, pour la faune et la flore fossiles de cette localité, telles qu’elles étaient connues en 1853, un siècle après, Hist. des progrès de la géologie, vol. VII, p. 432, 1857.
  69. Loc. cit., vol. I, p. 99.
  70. Beschreibung der Gebirge von Baiern, etc. ─ Description des montagnes de la Bavière et du Palatinat supérieur, in-8. Munich, 1792.
  71. Nachricht von einem Berge in Niederbaiern, etc., in-8. Munich, 1785.
  72. Canstadt und seine Umgebungen, Canstad et ses environs, 1812.
  73. Vorstellung einiger Merkwürdigen Versteinerungen, etc., représentation de quelques pétrifications remarquables, avec planches. Erlangen, 1793.
  74. Ducatus Coburgensis agri cum vicinis corporum petrefactorum ex utroque regno, copia et varietate nullis secundis in Germania. (Acta natur. vol. IX, p. 401.)
  75. Maris protogæi Nautilos et Argonautas vulgo Cornua Ammonis in agro Coburgico et vicino reperiundos, etc., in-8, 15 pl. Cabourg, 1818.
  76. Von Seeversteinerungen und Fossilien, etc. (Neue Physical. Belastungen, etc., I Abtheil., p. 65 ; II id., p. 362. Prague, 1770.) — Voy. aussi Abhandl. von Versteinerzungen welche bey Prag gefunden werden. In-8 avec planches, Prague, 1769. — Nous empruntons ces détails, relatifs aux naturalistes de la Bohème, à l’Introduction historique que M. J. Barrande a mise en tête du premier volume de son magnifique et excellent ouvrage sur le Système silurien du centre de la Bohême. Nous ne pouvions puiser nos documents à une meilleure source.
  77. Lithophilacion Bornianum, 1772.
  78. Abhandl. einer Priivat-Gesellsch. in Bôhmen, vol. 1, p. 245. Prague, 1775.
  79. Mayer’s Sammlung physik. Aufsätze, etc., vol. I, p. 37. Dresde, 1791.
  80. Mineralgeschichte von Mies. (Neu. Abhandl. der k. böhm. Gesells. der Wissmsch., vol. I, p. 129, 1791.)
  81. Mayer’s Sammlung physik. Aufsätze etc., vol. I, p. 9, 1791.
  82. Ibid., vol. III, p. 135, 1792.
  83. Ibid., vol. IV, p. 339, 1794.
  84. Mayer’s Samml. physik. Aufs., vol. V, p. 98, 1798.
  85. Jahrb. der k. k. potytechn. Institute. Vienne, 1re partie, 1820. — Voy. aussi Fr. Wilibald Schmidt pour l’énumération de quelques trilobites sous le nom d’Entomolithus (Sammlung physik. – ökonom. Aufsütze, vol. 1, p. 100, 1795.)
  86. Histoire naturelle des crustacés fossiles, in-4, 4 pl. Paris, 1822.
  87. Nachträge zur Petrefactenkunde, 2e part. Gotha, 1823.
  88. Uebersicht der in Bôhmen dermalen bekannten Trilobiten. (Verhandl. des vaterl. Mus., p. 69-86. Prague, 1825.)
  89. J. Barrande, Système silurien du centre de le Bohême, vol. I, p. 283, in-4 avec atlas de 50 pl. Prague et Paris, 1852.
  90. À ces documents et à quelques autres donnés aussi par M. Barrande, mais qui ne se rapportent pas directement a notre sujet, nous ajouterons encore les suivants : Ballenstedt, Merkwürdige Ausgrabungen in Bôhmen und Màhren im 17. Jharhunderte. Ses Arch. der Urwelt, B. V, p. 68. Theobaldi, Schlackenwaldensia aracana Naturæ, in-4. Nuremberg, 1625. — B. Balbinus, Miscellanea historia regni Bohemiæ, in-f°. Prague, 1672-1681. — Curiosa naturæ arcana inclyti regni Bohemiæ et appertin. provinciarum Moraviæet Silesiæ, in-1°. Prague, 1724. Ferber, Beiträge zur Mineralgeschichte von Bôhmen, in-8. Berlin, 1774. I. B. Zauschner, Museum naturæ Pragense, in-4. Prague, 1786. F. A. Reuss, Mineralogische Geographie von Böhmen, in-4 avec pl. Dresde, 1793-97. Göthe, Sammlung zur Kennmiss der Gebirge von v. um Karlsbad, in-8. Karlsbad, 1807.
  91. De quibusdam figuratis Hungariæ lapidibus. (Epist. itin. cent., I, p. 109, 1729.)
  92. Von den Versteinerungen in Siebenbürgen… und Fossilien dieses Landes, in-4 avec 6 pl. et 1 carte. Nuremberg, 1780.
  93. In-4. Nuremberg, 1780.
  94. Testacea microscopica aliaque minuta ex generibus Argonautæ et Nautili, etc. in-4, 24 pl. Vienne, 1805.
  95. In-8, 1769.
  96. Traité sur l’exploitation des mines, 2 vol. in-4.
  97. 4 vol. in-4 avec cartes et coupes. Paris, 1822.
  98. Journ. de physique et de chimie, vol. XCI, p. 347, juillet 1820.
  99. Versuch über die miner. Geschichte von Oesterreich unter des Ens, in-8. Vienne, 1783. — Miner. Taschenb. enthält eine Oryctograph. von Unterôsterreich, etc. herausgegeben von I. G. Megerle von Mühlfeld. Vienne et Trieste, in-8, 1807.
  100. Naturwunder des Oesterreichischen Kaiserthums, in-8 avec pl. Vienne, 1807-8. — Skizszsirte Darstell. der Physikal. Beschaffenh. u. d. Naturgesch. des Herzogth. Steyermark, in-8. Grâtz, 1806.
  101. Reise durch Oesterreich, Tyrol, nach Dalmatien, etc., in-8 avec pl. Leipzig, 1812.
  102. Kurse Darstellung einer Mineralogie von Steyermark, etc., in-8 avec pl. Grätz, 1809-10.
  103. Observations minéralogiques sur les environs de Vienne, in-4 avec pl. Vienne, 1822.
  104. Historia naturalis curiosa Poloniæ, magni Ducatûz Lithuuniæ, etc., in-4. Sandomir, 1721. — De Carosi, Reisen durch verschied polnische Provihsen mineralogischen, etc., in-8. Leipzig, 1781-84.
  105. Hist. de l’Acad. r. des sciences, 1764, p. 234.
  106. O Ziemiorodztwie Karpatow, etc. (De Geognosia Carpothorum aliorumque montium et planorum Poloniæ, in-4. Varsovie, 1805.)
  107. Beschreibung einer kleinen Suite, etc. (Neu Schrift. d. Gesellsch. naturf. d. freunde zu Berlin, 2 B., p. 212. 1799 ) – Voy. aussi L. D. Hermann, Curiosités naturelles de Messel. In-4. 1711.
  108. Polens Palæontologie, in-4.
  109. Stirpium et fossilium Silesiæ Catalogus, etc., in-4. Leipzig, 1600.
  110. Mineralogia montis gigantea, Kurze Beschreib. d. bekannten Bergarten, etc., in-4. Wittenberg, 1663.
  111. Schlesischer Rübenzahl, oder Beschreib. d. Biesengeb. in Schlesien, in-8, 1668 ; — in-12, 1683.
  112. Beiträge z. geognost. Kennin. d. Riesengebirges, in-4. Leipzig, 1804.
  113. Silesia subterranea, Schlesien mit seinen unterirdischen Schätzen in-4. Leipzig, 1820.
  114. Briefe über Schlezien, Krakau, Wielikska u. die Grafsch. Glatz. auf einer Reise un Jahr. 1791., in-8. Berlin, 1792-93. — Knudmann, Promptuarium rerum naturalium et artificialium Vratialaviense, in-4. Beslau, 1726.
  115. Gebirge von Nieder-Schlesien, 1819.
  116. Mem. de miner. et de géologie, vol. I. Lyon, 1817. — Versuch einer Miner. Beschreib. v. Landeck. In-4 avec carte. Breslau, 1797. – Journ. de phys., vol. XLVII, p. 154. 1798. Cette dernière analyse donne une idée plus exacte et plus complète du travail.
  117. Voy. son Traité de la nature des fossiles, in-8. Wittemberg, 1612 (en latin).
  118. Geschichte des Flötzgebirge, Essai d’une histoire naturelle des couches de la terre. Berlin, 1756. — ou Essai sur les montagnes à couches, traduct. française par d’Holbach, 1759. — Entwurf einer Nineralogie, in-8. Berlin, 1758. — Untersuchung der sogen. Verstein. Kornähren u. Stangengr. v. Frankenberg in Hessen, in-4. Berlin, 1760. — Problema de petrefacto incognito noviter invento. (Nov. comm. Petrop., vol. X, p. 4, 29, 480.)
  119. Vol. II, p. 191, 1830.
  120. Actes de la Soc. de Mayence établie à Erfurt, vol. II, p. 44, 1762. Usus historiæ suæ terræ et maris, ib.
  121. Entwurf su der ältesten Erd-und Menschengeschichte, 1773. Sans indication du lieu de publication.
  122. Kurze Classifisation und Beschreibung der Verschiedenen Gebirgsarten. Broch., in-4 de 28 p. Dresde, 1787. – Voy. aussi Division et classification des montagnes et des roches d’après Werner, rédigées par Hoffmann et Eslinger, ses élèves. (Journ. de physique, vol. L, p. 473.) ─ Idées de Werner sur quelq. points de la Géognosie. (Ibid., vol. LV, p. 1802.)
  123. Neue Theorie von der Entstchung der Gänge, in-12. Freyberg, 1791. — Traduct. française, in-8, 1802.
  124. Nomenclaturæ rerum fossilium, etc. (In opere de fossilibus a Cour. Gesner collecto et edito. Tiguri, 1565.)
  125. Epistola de sceleto elephantino Tonne nuper effosso. in-8. Iene, 1696. — Transact. Philos., vol. XIX, p. 757. — Éd. allem. Gotha. ─ Voy. Bourguet, Traité des pétrifications, p. 135, où l’auteur ajoute d’autres documents sur le même sujet et signale d’autres ossements semblables.
  126. Voy. pour les détails de cette discussion Knorr et Walch, vol. III. p. 182.
  127. Miscellanea berolinensia, p. 99, fig. 24, 25, 1710.
  128. Lettre à Woodward, Acta eruditorum, p. 188, pl. 2. Lips., 1718.
  129. Dans son traité de Cupro, pl. 2. (Opera philosophica et mineralia, 3 vol. avec pl. Dresde, 1734.)
  130. Rudera diluvii testes, etc., in-4. Leipzig, 1710.
  131. Memorabilia Saxoniæ subterraneæ, part. I. Leipzig, in-4, 1709 ; part. II, 1718. — Chr. Mylius, Von einigen Versteinerungen um Leipzig.
  132. Sachsenlandes natur. Historie, etc., in-8. Pirna et Dresde, 1723.
  133. Dissert. physico de figuris variarum rerum in lapidibus et speciatim fossilibus comitatûs Mansfeldici, in-4. Leipzig, 1775.
  134. Récréations physiques de Berlin, p. 615, 1745.
  135. Oryctographia Ienensis, sive fossilium et mineralium in agro Ienensi brevissima descriptio, in-8. Leipzig, 1720.
  136. De Lapidibus fguratis agri Lipsiensis (Act. acad. natur. Curios. vol. IV, p. 553). — Museum Richterianum. — Historia natur. fossilium, in-4. Leipzig, 1754.
  137. Programma de quibusdam rarioribus agri Lipsiensis petrificatis, in-4. Leipzig, 1793.
  138. Beiträge zur miner. Kenntniss von Sachsen, in-8. Freyberg, 1817-18. ~ Géogr. Beschreibung des Kupferschiefergebirgez, 4 vol. in-8, 1807. 1815.
  139. Géogn. Beobachtungen u. Entdeck. in den Gegend von Dresde, in-8. Iena, 1812. Voy. aussi : Schulze, Description des fossiles des environs de Dresde (Nouv. Magas. de Hambourg, art. 33, p. 195 ; 37, p. 1. — Ibid., ancien, vol. XIX, p. 535, et vol. XV, p. 533). — De Hupach, Nouvelles découvertes d’hist. nat. de la basse Saxe, in-fo, 1768. — De nombreux mémoires de J. Sam. Schrôter et Em. Walch (Der Naturforscher, vol. I, p. 132, 1774) sur les Nautiles des environs de Weimar ; p. 199, sur les Bélemnites ; 2e part., p. 149, sur les Tortues fossiles ; p. 157, sur les Crabes ; p. 169, sur les Ammonites de Weimar ; vol. II, p. 23, sur les astroïtes et les polypiers. — P. 80, Description de deux Térébratules vivantes, par G. A. Grundlers, probablement la première anatomie que l’on ait donnée de ces brachiopodes. — P. J. Sachs, De miranda lapidum nature impress. cum majore dissert. de cancris et serpentibus petrificatis, in-8. Iena, 1664. — Schröter, Lithologische Beschreibung der Gegenden um Thangelstedt und Rettewitz in dem Weimarischen, in-4. Iena, 1768. — Verdion, Von etlichen Versteinerungen um Jüterbogk un süchsischen Churkreise, (Neu. Hamb. Magaz., 78 st., p. 474). – Titius, Gemein. Abhandl., 1re p., p. 574.
  140. Oryctographia Hildesheimensis, sive, etc., in-4 ; 1669.
  141. Exercitatio historico-physico de cornu Hammonis agri Brunuhusani et Sanderheimensis lapide quem vulgo. Drakenstein nominant. (Ephem. med. Physic. acad. imp. Leop., natur. cur. Déc., II, 7e année, p. 163, 1689.).
  142. Notitia regni mineralis, Leipzig, 1661.
  143. Epistola itineratoria sistens catologum fossilum figuratorum Guelpherbytensium, in-4. Wolffenbüttel, 1757.
  144. Specimen oryctographiæ Calenbergicæ, in-4. Sonderhausen, 1741. — Spec. II, 1743. — Oryctographia Goslarensis, in-4, 1733. Helmstadt. — Ed. alt. Sonderhus, in-4, 1738.
  145. Hercynia curiosa, in-4o. Nordhausen, 1720.
  146. Arch. de Ballenstedt, vol. III, p. 265.
  147. Oryctographia Hatensis, in-8. Halle, 1730.
  148. Lithographia Halensis. Halle, 1759.
  149. Récréations de physique, vol. II, p. 112.
  150. Arch., vol. IV, p. 44.
  151. Geschichte der Entdeckung, etc., in-4. Wolffenbüttel.
  152. Récréations minéralogiques, vol. I, p. 65. — Journ. de Brunswick, 1756.
  153. Dissertatio de Polythalamiis, in-1, 1732.
  154. Vol. III, p. 326.
  155. Naturalis dispositio Echinodermatum, in-4 avec 36 pl. Danzig, 1754. – Echinites Tesdorpfii. (Abhandl. d. naturf. Gesellsch. in Danzig, 2 Th., p. 292.)
  156. In-8, 28 pl., 1754.
  157. Specimen descriptionis petrefact. Gedanensium, in-4o. Nuremberg, 1770.
  158. De dentibus Elephantinis
  159. Philos. Transact., vol. XXXVII, n° 426, p. 427.
  160. Ibid., vol. XLI, n° 459, p. 568.
  161. Tentaminis de lithozois ac lithophytis, olim marinis jam vero subterraneis Prodromus, etc., in-4 avec 10 pl. Hambourg, 1719. — J. C. Harenberg, Encrinus seu Lilium lapidum, in-4o, 1729.
  162. De Belemniticis et hisce plerumque incidentibus alveolis animadvertiones, in-4. Francohusæ, 1728. ─ Hamb. magazin., vol. VIII, p. 97.
  163. De Stellis marinis, in-1°, 42 pl. Leipzig, 1733.
  164. Dissertatio de corporibus petrificatis, in-4. Wittenherg,1664.
  165. De Glossopetris Luneburgensis. Leipzig, 1684.
  166. Comm. de lapidibus figuratis agri littorisque Lubecensis, in-8. Lubec, 1720.
  167. De fossilibus volutalis et præcipuis de iis quaæ in Wittenbergensi regione inveniuntur, in-4. Wittenberg, 1795.
  168. Wittenb. Wochenblatt, vol. XIII, p. 278.
  169. Berlin Magaz., vol. I, p. 261 ; — id., ib., vol. II, p. 17 ; ─ id., ib., vol. IV, p. 56. — Voy. aussi sur les environs de Riedersdorf, ib., vol. I, p. 404 ; — vol. II, p. 483 ; — sur les fossiles de l’Ukermarck (Récréalions physiques de Berlin, vol. I, p. 51).
  170. Geschichte den Pommerischen und Meklenb. Versteinrungen (Naturforscher, 5 st., p. 145 ; — 8 st., p. 224).
  171. In-4. Stettin, 1748.
  172. Journ. de Hanovre, 1751. — Récréations minéralogiques, vol. I, p. 170.
  173. Opuscula in quibus petrefacterum, etc. Historia illustratur, in-4. Dantzig, 1750.
  174. De Rebus petrefactis carumque divisione observationes variæ. (Diss. resp. Dan. Gotth. Bertholdo, p. 22. Wittenbergæ, 1766. — id., Von den Versteinerungen. (Gemein. Abhandl., 1 Th., p. 248, — Neu. Hamb. Magaz., 91 st., p. 24.).
  175. Historia Succinorum, in-f°, 15 pl. Leipzig, 1742.
  176. Abrégé de l’histoire du Succin de Prusse, in-8. Kœnigberg, 1767.
  177. Lapides diluvii Testes, etc., traduct.franç., vol. I, p. 143. — Nous renverrons également au même ouvrage (vol. II, p. 25) pour beaucoup d’autres travaux sur l’oryctographie du centre et du nord de l’Allemagne qui ont été publiés dans la première moitié du xviiie siècle.
  178. Journ. de phys., vol. II, p. 148, 1774. — Neu. in der Naturgesch. des Niederd. gem. Entdek. ein. Selt., etc., in-8, 4 pl., p. 159. Francf. und Leipzig, 1768.
  179. De Corporum marinorum aliorumque peregrinorum in terra continente origine. (Comment. Soc. Gött., vol. III, p. 285. — Gött. gel. Ann., p. 985, 1753. — Journ. de Phys., vol. II, p. 118. ─ Hamb. Mugen., vol. XIV, p. 227. — Hollmann s’est aussi occupé d’ossements fossiles de Rhinocéros. (Comm. Soc. r. Götting., vol. II, p. 21-242, 1752. ─ Samml. zufäll. Gedanken. Lemgo, 1771.)
  180. Specimen historiæ naturalis globi terraquei, etc., in-8. Amsterd. et Lips., 1763.
  181. In-8. Berlin, 1771. — Abhandl. v. d. Alter d. Versteinerten Fossilien in ses Neuen Wahrheiten, 3 St., p. 312. — Voy. aussi en français : Nouvelles économiques et littéraires, nov. 1756, p. 56.
  182. Specimen archæologiæ Telluris terrarumque impriniis Hannoveranearum, in-4. Gœttingue, 1803. — Ed. altern, 1810. — Journ. des Mines, vol. XVI, 1804.
  183. Traduction française de Soulange Artaud, in-8. Metz, 1803.
  184. Beschreibzung merkwürd. abdrücke und Pflanzen Versteimrungen, etc., 1re part. avec 29 pl. Gotha, 1804.
  185. Die Petrefactenkunde auf ihrem jetzige Standpunkte durch die Bcschreibung seiner Sammlumg Versteinerungen v. foss. Ueberresten des Thier-und Pflanzenreichs, in-8, pl., in-4. Gotha, 1820.
  186. Nachträge zur den Petrefactenkunde, avec 21 pl., 1822.
  187. Edinb. Philos. Journ., janv., p. 281, avril 1825.
  188. De mirandis in nostro Septentrione imprimis Dania et Norvegia Lapidibus figuratis, in-4. (Nov. lit. maris Balticæ, p. 188, 1698.)
  189. Act. med. hafn., vol. I, p. 85, n° xlvi.
  190. Om Norske petrefacter, etc. (Naturhist. Selsk. Skrivt., 3 vol. 1re p., 110.
  191. Försog paa Norges naturalige Historie, Kjobenh, in-4. 1753. — Hist. natur. de la Norwége, trad. angl., t. II, p. 262 ; 1755.
  192. Reise durch Norwegen und Lappland, in-8. Berlin, 1808.
  193. Examen succici lapidis qui anno superiorc miris superiore figuris dicebatur, in-4, 1701.
  194. Epistola de lapidibas figuratis Sueciæ (Nova Lit. Succ., p. 192, 1721).
  195. Acta liter. Succiæ, 1725-1726. — Specimen II telluris Succanæ petrificata lapidesque figuratos varios exhibens, etc., ib., 1727, passim. 1729-1730. ─ Mineralogia et lithographia Suecana, in-8. Stockholm et Leipzig, 1740.
  196. Syst. naturæ, Lugd. Batav., in-f°, 1755. — Amœnitates academicæ, 1728. — Corallia balthica, præsentata a Henric. Fought, Upsal, 1745. — Oelands ka och Gothlandska Resa. Stockholm et Upsal, 1756. ─ Reise durch Ocland und Gothland, in-8. Leipzig, 1756, etc., etc.
  197. Mineral-Reich, in-8. Stockholm, 1747. — Éd. allem., 1750. ─ Ed. franç., 1758.
  198. Diss. observationes mineralogicœ ad plagam occidentalem sinus, Bothnici factæ, in-4, 1752.
  199. Diss. colles ad Uddevalliam conchacei, in-4. Upsal, 1764.
  200. Amœnitates academicœ, 1745.
  201. Kiæb. Selsk. skrivt. nye Saml., p. 392, 1781.
  202. Kôngl. Ventsk. acad. Handl., p. 239-261, 1772.
  203. Tilas vet. acad. Handl., pl. 11, fig. 18, 1740.
  204. Act. Ac. natur. cur., vol. V, pl. 5.
  205. Petrificata Telluris Suecanæ, in-4 avec 4 pl. (Nov. acta reg. Soc. Upsal, vol. VIII, p. 1, 1821. — Voy. aussi J. F. L. Hausman, Reise durch Skandinavien in den Jahren, 1806-1807, in-8 avec pl. et cartes. Gœttingen, 1811-1814.
  206. Grammatica russica, una cum brevi vocabulario rerum naturalium, p. 92, in-8. Oxford,1696. Nota prima de Elephante mammonteo sibirico rite déterminato.
  207. Epistola ad Benzalium de Mamontowa Kost, i. e. de fossilibus bestiæ Russis Mammont dictæ. (Act. lit. Suec., vol. II, p. 36). — Ossa subterranea fossilia ingentia ignoti animalis e Siberia adferri cœpta, in-4, Stockholm, 1725.
  208. A Description of some Mammoths bones dug up in Sibiria, etc. (Philos. transac., vol. XL, p. 39, 1737). D’après Messerschmidt.
  209. De Mammuth Russorum, in-4. Francfort, 1744. — Bibl. acad., Freyberg, n° 346.
  210. Siberische Briefs herausgegeben v. A. L. v. Schlözer, in-8. Gœttingen et Gotha, 1769.
  211. An Historico-geog. description of the north and eastern parts of Europa and Asia, etc., p. 403, in-4o, avec carte et pl. Londres, 1758. ─ Éd. originale, Stockholm, 1750. — Traduct. française, 2 vol. in-12. Amsterdam, 1757. C’est une mutilation de l’ouvrage primitif ; De Strahlenberg était un officier suédois fait prisonnier à la bataille de Pultawa.
  212. Voyage, traduit par de Castera, vol. 1, p. 181.
  213. Reise durch Sibirien, 4 vol. in-8. Gœttingen, 1751. — Trad. franç. par de Keralio, vol. II, p. 32, in-12. Paris, 1767. — Voy. aussi : Tilesius, Mem. de l’Acad. i. Saint-Pétersbourg, vol. V, p. 423.
  214. Reise durch, etc., 3 vol. in-4. Saint-Pétersbourg, 1771-76. — Voyage dans plusieurs provinces de Vampire de Russie, traduction de Gauthier de la Peyronie, revue et enrichie par de Lamarck, 8 vol. in-4 avec atlas. Paris, 1789-93. — Id. Bâle, 1806.
  215. Bemerkungen auf einer Reise, etc. — Nouveau voyage dans les gouvernements méridionaux de l’empire de Russie, 2 vol. in-4. Paris, 1807.
  216. Nouv. comm. de l’Acad. i. de Saint-Petersbourg, vol. XVII, p. 590, 1775. — Voyages, etc., vol. V. p. 215. ─ Voy. aussi : Patrin, Hist. natur. des minéraux, vol. V, p. 391.
  217. Mem. de l’Acad. de Saint-Pétersbourg, 1772, p. 576.
  218. Nouv. comm. de l’Acad. i. de Saint-Petersbourg, vol. XVII, p. 586.
  219. Voyages, etc., vol. I, p. 21-214, passim ; ─ vol. II, p. 310-313.
  220. Acta Acad. Scientiarum imperialis Petropolitanæ anno 1777. ─ Voy. un bon article sur ce sujet, Journ. de Physique, vol. XIII, mai 1779.
  221. Est-ce de l’amphibole hornblende, de la tourmaline ou du pyroxène augite que Pallas désigne par cette expression de petites basaltes ? C’est ce que nous ne saurions dire.
  222. « Ceci donne en même temps l’explication pourquoi les pétrifications marines sont si rares dans toutes les plaines de la Sibérie et ne se trouvent abondamment que vers les côtes de la mer Glaciale, où les couches horiontales calcaires et glaiseuses sont à découvert ; pourquoi l’on ne trouve point de craie en Sibérie et par quelle raison les pierres à fusil, si communes en Russie et en Europe, y sont d’une rareté extrême, » etc. Il est probable qu’en parlant des fossiles des bords de la mer Glaciale, Pallas a plutôt en vue les dépôts quaternaires que les couches à Bélemnites, Ammonites et Cératites découvertes dans ces derniers temps par M. Middendorf. (Voy. Hist. des progrès de la géologie, vol. VII, p. 562.)
  223. « Il est très-probable que les Ammones et les Bélemnites, dont nous ne connaissons pas encore les originaux, ne nous sont restées inconnues qu’à cause qu’elles ne sauraient vivre qu’à de grandes profondeurs. Leur abondance dans les lits de glaise, inférieurs aux couches calcaires, en est une preuve directe, » etc.
  224. In-4. Saint-Pétersbourg, 1796. — Éd. de Paris, in-8, 1799 (an VII). — Ed. allem. Leipzig, 1806. — Voy. aussi Harlizl, Description physique de la contrée de la Tauride, relativement aux trois règnes, in-8. Berne, la Haye, 1788. — Éd. allem., in-8. Osnabrück, 1789. ─ Lehmann, Description minéralogique des environs de Sterarussa et les bords du lac Ilmen. (Magaz. de Hambourg, art. 55, p. 72.)
  225. Essai ou Recueil de Mémoires sur plusieurs points de minéralogie avec la description des pièces déposées chez le roi, la figure et l’analyse chimique de celles qui sont intéressantes et la topographie de Moscou, avec 7 pl. Paris, 1785-89. — La topographie fut publiée à Francfort-sur le-Main en 1790.
  226. Géograph.-physical. u. naturhistor. Beschreibung des Russ. Reichs., in-8. Kœnigsberg, 1797-1801. ─ Nachträge, 1802.
  227. Anmerkungen z. physic. Erdb. v. Kurland, in-8. Riga, 1784.
  228. Broch. in-8. Saint-Pétersbourg, 1785.
  229. Mem. Soc. I. des natur. de Moscou, vol. VII-IX. — Notice sur les fossiles du gouvernement de Moscou, 1809, etc.
  230. Geological Sketch of the environs of Petersburg. (Transact. geol. Soc. of London, 1re sér., vol. V, p. 392 ; 1821, avec carte. — Mém. lu en 1819.)
  231. Outline of the geology of Russia, accompagné d’une carte géologique. (Ibid., 2e sér., vol. I, p. 1 et pl. II, 1822.)