Ingres d’après une correspondance inédite/XXIV

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XXIV
Paris 20 janvier 1829.

Mon bien cher ami, non seulement à cette époque, mais toute la vie, bonne santé et tout ce qui peut te rendre aussi heureux que possible ! Ta généreuse manière de te rappeler à tes amis avec ta dinde truffée, me fait toujours regretter que tu ne sois pas le roi du festin. Mais cette fois, ce qui nous console, c’est que tu vas arriver et qu’enfin nous te posséderons.

Il faudra que tes papiers soient bien en règle, pour que tu nous prouves que des raisons extrêmement majeures te forcent à rester peu de temps, ici, chez moi, où je me fais tant de fête de t’avoir, ainsi que ma bonne femme. Tu seras, te dis-je, à nous, et pour nous. Arrive donc à quelque heure que ce soit, sois le bienvenu à notre grandissimo piacere. Ma femme est allée faire ta commission. Je t’envoye l’écriture même de la personne. Nous avons remis de suite le paquet chez l’infortunée Mme C… qui nous inspire tant d’intérêt dans sa triste position. Ton arrivée lui fait le plus grand plaisir. Mais, dis-moi, comment toi, l’homme le meilleur et le plus humain, lui as-tu écrit une lettre tant soit peu durette dans sa position ? Au reste, elle nous l’a dit avec tant de retenue et avec tant d’attachement et de reconnaissance pour toi, qu’il faut l’excuser si elle y a été sensible. Moi, je pense que tu dois avoir des raisons. Tu verras tout cela de près et nous ferons, de concert, tout pour adoucir son sort. En cela, je ne ferai que t’imiter, d’ailleurs.

Pour moi, cher ami, les choses vont et ne peuvent aller autrement, de mon côté. Crois que, quoique peu habitué à me rendre compte de mes actions après moi, c’est toi que je crains le plus. Si je ne vais pas plus vite, c’est que le terrain, ma position, les hommes, et puis tant de choses que je te dirai, que tu entendras et verras, en sont causes. À revoir ! Au coin du feu, nous en avons à dire ; mais, en attendant, je puis dire que tout est perdu ou se perd… fors l’honneur d’un talent que tous avouent et respectent.

Mille amitiés et respects à ton excellente mère, à ta sœur. À bon revoir, mon bien cher ! J’ai enfin fait trêve de honte, mais ce n’est point assez pour moi d’écrire à notre cher M. Debia ; viens à l’appui de ma lettre, et, s’il garde quelque reste de juste ressentiment, je me recommande à tes soins, bon avocat. Adieu donc : ta chambre t’attend.