Influence des phases de la Lune sur le nombre des jours de pluie et de neige


INFLUENCE
DES
PHASES DE LA LUNE
Sur le nombre des jours de pluie et de neige


Par le Dr SIMONIN, père.




La prévision de l’état du ciel serait d’une grande utilité pour l’agriculture, la navigation, les expéditions militaires, les voyages et même les fêtes publiques. Aussi, dès l’antiquité, des hommes d’un grand mérite tels que Aratus, Varron, Théon, Virgile, Pline, Théophraste, etc., ont cherché dans l’aspect des astres, dans celui de la lune surtout, des signes indicateurs des changements de temps. Les Toaldo, les Lanarck, les Morin et d’autres savants météorologistes ont, de nos jours, émis sur ce sujet important des théories que l’expérience n’a pas confirmées. Il ne pouvait en être autrement, car, ainsi que le disait le célèbre F. Arago : Qu’est-ce au fonds qu’un changement de temps ? « Tel météorologiste, s’il admet l’influence des phases lunaires, se croira autorisé à ranger sous cette dénomination tout passage du calme au vent, d’un vent faible à un vent fort : d’un ciel serein à un ciel nuageux ; d’un ciel nuageux à un ciel entièrement couvert, etc. Tel autre exigera, au contraire, des variations très-tranchées dans l’état de l’atmosphère. Cette difficulté n’est pas la seule que la question présente, mais elle explique pourquoi il est à peu près impossible de trouver sur la question du temps qu’il a fait à telle ou telle époque, des documents numériques incontestables[1]. »

Convaincu avec M. Arage de l’impossibilité de soumettre au calcul toutes les variations de l’atmosphère, Je ne chercherai à faire connaître que celles qui peuvent être démontrées par des chiffres, et, dans ce mémoire, il ne sera question que de l’influence des phases de la lune sur le nombre des pluies. Avant d’entrer en matière, qu’il me soit permis, pour l’intelligence de mon sujet, de donner quelques définitions tirées, en partie, des ouvrages de l’astronome que je viens de citer.

La lune, dont le volume est quarante-neuf fois moindre que celui de la terre, en est distante, en moyenne, de 86 000 lieues ; elle décrit autour de notre globe une ellipse dont la terre occupe un des foyers. On donne le nom de périgée à l’extrémité du grand axe de cette ellipse la plus voisine de la terre, et celui d’apogée à l’extrémité opposée, où la lune atteint le point le plus éloigné du globe terrestre. Le périgée et l’apogée sont encore désignés sous le nom d’absides.

La révolution synodique de notre satellite, pendant laquelle il nous montre toujours le même hémisphère, s’opère d’Occident en Orient ; sa durée est de 29 jours 53 minutes. Cette révolution constitue le mois lunaire.

Pendant chaque révolution synodique, la lune passe par différentes formes ou phases. Quand cet astre se trouve directement interposé entre le soleil et nous, il ne peut être aperçu ; au moment où ce phénomène se réalise, la lune se nomme nouvelle, c’est celui de la conjonction.

À 14 jours 76 minutes, terme moyen du moment de la conjonction, la lune paraît être un cercle lumineux complet ; le temps où cela arrive s’appelle pleine lune, c’est celui de l’opposition ou de la syzygie, mot qui sert indistinctement à désigner la nouvelle et la pleine lune.

L’époque qui partage en deux parties égales, l’intervalle compris entre la nouvelle et la pleine lune, est celle où cet astre a la forme d’un demi-cercle lumineux, dont la partie convexe est occidentale ; on dit alors que la lune est dans le premier quartier ou première quadrature.

La seconde quadrature, le second ou dernier quartier, arrive 7 jours 4 minutes après la pleine lune. Cet astre se montre, alors, sous la forme d’un demi-cercle lumineux dont la convexité est orientale.

L’espace de temps qui s’écoule entre la nouvelle et la pleine lune se nomme période de croissance ; celui qui sépare la pleine lune de la nouvelle, période de décroissance ou de déclin.

Dans sa révolution, la lune est tantôt au midi et tantôt au nord de l’écliptique. Le point de l’écliptique par lequel passe la lune, en allant du midi au nord, s’appelle le nœud ascendant, le point de l’écliptique qu’elle traverse en passant du nord au midi, se nomme nœud descendant.

L’action attractive de la lune, combinée avec celle du soleil, pouvant élever les flots de l’Océan et produire les marées, on a pensé que cette même action devait produire un phénomène analogue sur l’atmosphère si facile à mettre en mouvement. Les observateurs ont reconnu que notre satellite exerce, en effet, une certaine influence sur l’atmosphère, non par attraction, mais en vertu d’une force dont la nature est encore inconnue.

Poitevin, Pilgram, MM. de Gasparin et Schoübler ont recherché l’influence des phases de la lune sur le nombre des pluies et, à l’exception de Poitevin qui observait à Montpellier où il pleut rarement, ils ont obtenu des résultats à peu près semblables.

M. Schoübler a déduit de 28 années d’observations faites, à Munich de 1781 à 1788 ; à Stuttgard, de 1809 à 1819 et à Ausbourg, de 1813 à 1828[2], que le nombre des jours de pluie ou de neige est plus grand depuis la nouvelle lune jusqu’à la pleine que depuis cette dernière jusqu’à la nouvelle lune de la lunaison suivante. La proportion est comme 6 est à 5.

M. Clesse, s’appuyant sur neuf années d’observations, faites de 1842 à 1850, s’est convaincu que la lune exerce une certaine action, dont la nature lui est inconnue, sur l’atmosphère terrestre. Suivant les diverses positions de notre satellite, cette action influe sur la direction des vents, la pression atmosphérique et les chutes de pluie[3].

Ce que M. Schoübler a fait à Munich, à Stuttgard et à Ausbourg, je l’ai fait à Nancy, ville où il pleut souvent[4]. J’ai compté les jours pluvieux et neigeux de 21 années, du 1er janvier 1841 au 31 décembre 1861, pendant lesquelles 259 lunaisons se sont succédées, et j’ai noté pour chaque jour de pluie ou de neige, la hauteur moyenne du baromètre et la direction des vents. Ces opérations longues et fastidieuses m’ont donné les résultats suivants :

Phases de la lune. Nombre de jours pluvieux.
Nouvelles lunes.... 956
Premiers quartiers... 947
Pleines lunes..... 961
Derniers quartiers... 923
Total.... 3 787

Ces observations s’accordent avec celles de M. Schoübler en Allemagne et de M. de Gasparin à Paris ; ainsi on voit que pendant la nouvelle lune, il pleut plus souvent que pendant le premier quartier ; que le maximum des jours pluvieux a lieu pendant la durée de la pleine lune, et le minimum durant celle du dernier quartier ; qu’il pleut, donc, plus fréquemment pendant la lune croissante que pendant son déclin. Ces faits identiques en Allemagne et en France, démontrent l’influence que la lune exerce sur l’atmosphère terrestre. Cette influence, cependant, ne se trouve pas être la même, ni pour chaque année, ni pour chaque lunaison : elle peut être augmentée, diminuée ou troublée par une multitude de causes, tels que le pérygée et l’apogée de l’astre, les saisons, les orages, etc. ; en sorte que les phases lunaires ne peuvent fournir, sur le temps qu’il fera, que des probabilités et non des prédictions.

Le baromètre n’est pas un indicateur plus fidèle ; la pluie commence à tomber, lors même que la colonne de mercure est à son maximum de hauteur : à la vérité, si la pluie doit avoir une certaine durée, on voit cette colonne descendre, non par degrés, mais par des alternatives d’abaissement et d’élévation, et elle ne se relève, définitivement, qu’au moment où le météore va cesser.

Il pleut aussi par tous les vents ; mais dans l’immense majorité des cas, la pluie coïncide avec ceux d’ouest, du sud-ouest et du sud. En hiver, la neige tombe par les vents du nord-ouest, du nord et du nord-est. Au commencement du printemps et à la fin de l’automne, par ceux du sud et de l’est ; à ces époques, ces derniers vents sont très-froids, parce qu’ils ont traversé les montagnes des Vosges, alors couvertes de neige.

De ce qui précède, il faut conclure que, dans l’état actuel de la science, la météorologie n’offre, encore, aucun moyen de connaître le temps qu’il fera, même à une époque très-rapprochée.

  1. Astronomie populaire, tome troisième, page 520.
  2. À Stuttgard, il tombe, année moyenne, 641 millimètres d’eau, et à Augsbourg, 971.
  3. Études météorologiques présentées en septembre 1850 au congrès scientifique de France, à Nancy.
  4. À Nancy, le nombre moyen annuel des jours de pluie est de 160, celui des jours de neige de 29, et la quantité d’eau tombée est de 810 millimètres : l’eau fournie par la fonte de la neige n’est pas comprise dans cette estimation.