Influence de la castration
INFLUENCE
DE LA CASTRATION
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INFLUENCE
DE
LA CASTRATION
SUR LE DÉVELOPPEMENT,
LA CONFORMATION, LE CARACTÈRE,
LA FORCE ET LA VIGUEUR
DES CHEVAUX,
ET SUR L’AMÉLIORATION DES RACES CHEVALINES
THÈSE
PRÉSENTÉE LE 15 JUILLET 1876
PAR
Louis-Alfred Tortigue
De Doazit (Landes).
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LAVAUR
IMPRIMERIE DE MARIUS VIDAL
──
1876.
MM. | H. BOULEY O. ❄, | Inspecteur-général. | |
LAVOCAT ❄, | Directeur. | ||
LAFOSSE ❄, | Professeurs. | ||
LARROQUE, | |||
GOURDON, | |||
SERRES, | |||
ARLOING, | |||
MAURI, | Chefs de Service. | ||
BIDAUD, | |||
LAULANIÉ, | |||
LAUGERON, | |||
LABAT. |
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12 octobre 1866.
THÉORIE | Épreuves écrites |
1° | Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ; | ||
2° | Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie. | ||||
Épreuves orales |
1° | Pathologie médicale spéciale ; | |||
2° | Pathologie générale ; | ||||
3° | Pathologie chirurgicale ; | ||||
4° | Maréchalerie, Chirurgie ; | ||||
5° | Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ; | ||||
6° | Police sanitaire et Jurisprudence ; | ||||
7° | Agriculture, Hygiène, Zootechnie ; | ||||
8° | Histologie pathologique. | ||||
PRATIQUE | Épreuves pratiques |
1° | Opérations chirurgicales et Ferrure ; | ||
2° | Examen clinique d’un animal malade ; | ||||
3° | Examen extérieur de l’animal en vente ; | ||||
4° | Analyses chimiques ; | ||||
5° | Pharmacie pratique ; | ||||
6° | Examen pratique de Botanique médicale et fourragère. |
MM. | LAVOCAT ❄, | Tératologie. | |
Anatomie des régions chirurgicales. | |||
LAFOSSE ❄, | Pathologie spéciale et maladies parasitaires. | ||
Police sanitaire | |||
Jurisprudence. | |||
Clinique et Consultations. | |||
LARROQUE, | Physique. | ||
Chimie. | |||
Pharmacie et Matière médicale. | |||
Toxicologie et Médecine légale. | |||
GOURDON, | Hygiène générale et Agriculture. | ||
Hygiène appliquée ou Zootechnie. | |||
Botanique. | |||
SERRES, | Pathologie et Thérapeutique générales. | ||
Pathologie chirurgicale. | |||
Manuel opératoire et Maréchalerie. | |||
Direction des Exercices pratiques. | |||
ARLOING, | Anatomie générale. | ||
Anatomie descriptive. | |||
Extérieur des animaux domestiques. | |||
Zoologie. | |||
Physiologie. | |||
chefs de service : | |||
MM. | MAURI, | Clinique médico-chirurgicale. Pathologie et Histologie pathologique spéciale. | |
BIDAUD, | Physique, Chimie. | ||
LAULANIÉ, | Anatomie, Histologie norm. Physiol. et Extérieure. | ||
LAUGERON, | Clinique chirurgicale, Pathologie et Histologie pathologique générales. Zootechnie. Extérieur. | ||
LABAT | Clinique, Thérapeutique et Pharmacie. |
À mon père — à ma mère
Reconnaissance et tendresse filiale
À MES SŒURS & À MON BEAU-FRÈRE
Gage d’affection
À mon Oncle Pierre LARRIEU
À MES PARENTS.
À MES PROFESSEURS
À MES AMIS
Le cheval primitif, celui de la création, devait être bien différent, quant aux formes, de celui qui existe aujourd’hui, même à l’état sauvage. Rien dans la nature ne peut nous donner l’idée de ce qu’il était originairement, puisque cette espèce n’a plus, à l’état sauvage, de type auquel on puisse la rapporter ; car ceux que l’on trouve aujourd’hui à cet état, loin de devoir leur existence à leur type primitif, ne la doivent, au contraire, qu’à des chevaux domestiques abandonnés par l’homme dans les pampas de l’Amérique où cet animal n’existait pas lors de la découverte de ce continent, ou dans les steppes de la Tartane.
Ceux-là même, dont l’origine sauvage date à peine de trois siècles, sont bien différents par les formes de ceux que l’homme fait aujourd’hui pour satisfaire le caprice ou la mode, et l’idée que l’on se fait de la beauté de cet animal ferait trouver fort laids les chevaux sauvages à petite taille, à tête grosse et très-forte, à éminences osseuses très-prononcées, à ventre volumineux, à membres grêles et secs.
Mais, tel qu’il est à présent à l’état domestique, le cheval, lorsqu’il conserve tous ses organes, est tellement beau, tellement fier, si agréable à voir, qu’il est fâcheux que quelques services spéciaux, et même l’amélioration de l’espèce, exigent impérieusement de recourir à la castration de cet animal.
Et pourtant de nos jours, cette opération n’est pas en usage dans quelques contrées du globe, dans celles surtout qui sembleraient par le climat et par la température élevée dont elles jouissent, avoir moins besoin, pour conserver à leurs chevaux cette fierté naturelle, ce semblant d’énergie que donnent à ces animaux autant le climat que la faculté de se reproduire, du maintien de cette faculté.
L’Espagne, l’Afrique et la majeure partie de l’Asie sont dans ce cas, et les services divers, celui de l’armée surtout, se font sans trop d’inconvénients avec des chevaux entiers. Mais ces chevaux entiers, si dociles, en général, dans ces pays chauds, semblent au contraire devenir difficiles et même méchants, à mesure que l’on avance dans les contrées tempérées ou froides.
A quoi doit-on attribuer cette différence dans le caractère des chevaux entiers ?
C’est, sans nul doute, aux divers modes d’élevage et d’éducation.
L’Arabe, sous la tente, qui regarde son cheval plutôt comme un compagnon, comme un ami, que comme une machine destinée à l’aider dans ses travaux, ou comme une marchandise d’une valeur quelconque, vit avec lui, pour ainsi dire, en famille ; par ses soins affectueux, ses caresses continuelles, il lui fait subir les influences sympathiques des habitudes en augmentant l’intelligence qu’on ne peut refuser à cet animal, au point de le faire obéir au moindre appel, comme le ferait le chien le plus soumis.
Tandis que dans les pays civilisés de l’Europe, où tout est calcul, le cheval, qui partage cependant avec l’homme et ses travaux et sa gloire, n’étant estimé que par la valeur des services qu’il rend et des revenus qu’il rapporte, subit, par les mauvais traitements qu’il endure, des influences toutes contraires. Il craint l’homme contre lequel il se défend sans cesse, et il finit souvent par devenir méchant. Dans cet état, la castration, à laquelle on recourt souvent, modifie le caractère de l’animal qui devient alors, le plus souvent, docile et caressant.
La pratique de la castration est fort ancienne, car dans l’antiquité, non-seulement on savait la pratiquer sur les mâles, mais aussi sur les femelles de plusieurs animaux domestiques.
Le cheval dut, à cause de la difficulté que l’on rencontrait à l’employer, surtout au service de la selle, subir cette opération presque aussitôt qu’il fut domestiqué, et cette habitude de l’émasculation, souvent indispensable pour rendre cet animal docile, s’est propagée, de siècle en siècle, jusqu’à nous.
Maintenant, en France au moins, tous les services,
particuliers, soit à la selle, soit à la voiture, et le
service de l’armée, se font au moyen de chevaux
hongres, et il n’y a plus que quelques services publics,
tels que les postes, les diligences, les roulages,
etc., qui se servent encore de chevaux entiers que
d’anciens préjugés leur font conserver en cet état.
Cette opération n’influe pas d’une manière notable sur le développement des chevaux. Deux chevaux de même espèce, du même âge, de même stature, également bien traités sous le rapport de la nourriture, du travail, des abris ; placés enfin sous tous les rapports dans les mêmes conditions, l’un châtré à l’âge de six mois, je suppose, c’est-à-dire aussitôt que cette opération est possible, et l’autre resté entier, auront pris, à quatre ans, le même développement l’un et l’autre. Et s’il y avait quelque différence entre eux, soit en faveur du cheval resté entier, soit en faveur de celui qui avait été châtré, il faudrait bien plutôt l’attribuer à l’influence des ascendants de ces animaux qu’à l’état entier ou hongre de chacun d’eux.
Les preuves à l’appui de ce que j’avance sont nombreuses dans bien des contrées ; mais c’est surtout en Basse-Normandie qu’elles abondent. Là on trouve chez le plus grand nombre des cultivateurs, côte à côte dans la même écurie, des chevaux du même âge et presque toujours de la même race, dont les uns sont restés entiers et les autres ont été coupés à six mois, à un an, à dix-huit mois ou deux ans. Ces chevaux étant soumis aux mêmes conditions d’élevage, prennent un développement tellement identique, qu’à quatre ou cinq ans ils ont absolument la même taille, la même ampleur, mais non les mêmes formes.
Cette question si évidente peut être résolue par tout le monde, il suffit pour cela d’entrer dans une des écuries d’une ferme de la Basse-Normandie, par conséquent elle n’a besoin d’aucun développement.
Physiologiquement parlant, l’on sait d’ailleurs que l’enlèvement des organes testiculaires ne produit d’effet que sur certaines parties du corps. Il diminue chez certains animaux l’intensité de la voix ; il arrête dans d’autres la pousse, outre mesure, des dents canines, des ergots, etc. ; mais dans aucun cas, il n’empêche la croissance ni le développement du corps, comme nous en fournissent la preuve des bœufs qui, quoique châtrés à la mamelle, sont généralement plus grands et plus volumineux que les taureaux de la même race.
Nous voyons donc par ce simple exposé que le développement
des chevaux ne reçoit aucune influence
par la castration ; mais il n’en est pas de même de
la conformation, qui subit, par cette opération, des
modifications sensibles, selon l’âge auquel les chevaux
ont été opérés. Aussi vais-je faire une étude de
ces modifications sur la conformation dans le chapitre
suivant.
Le poulain châtré à la mamelle, à six mois par exemple, c’est-à-dire aussitôt que les testicules sont descendus dans les bourses, ne prend pas la conformation, surtout dans son avant-main, qu’il aurait eue s’il fût resté entier jusqu’à l’âge adulte. La conformation du cheval châtré jeune se rapproche de beaucoup de celle de la jument : sa tête est plus sèche, plus osseuse ; son encolure est droite et mince, elle a quelquefois le coup de hache ; le garrot est saillant, le dos et les reins sont moins larges.
Si le poulain n’est châtré qu’à l’âge d’un an, et même à l’âge de dix-huit mois, l’influence de cette opération est encore à peu près la même que chez celui qui a été châtré à six mois ; seulement l’encolure est un peu moins grêle.
Si le poulain n’est châtré qu’à deux ans, l’influence de cette opération n’est plus sensible ; la tête reste plus musculeuse, l’encolure plus forte, mais encore droite, et le garrot plus gras, plus empâté, quoique saillant.
A trois ans, pour la plupart des races au moins ; le poulain ayant pris les formes du cheval adulte, ces formes, après la castration faite à cet âge, ne sont changées que dans l’encolure et le garrot, dont la première éprouve une légère dépression musculaire, et le second devient moins empâté et par conséquent plus saillant.
A quatre ans et au-dessus, quand les animaux ont pris ou à peu près leur complet développement, la castration pratiquée alors ne produit plus qu’un changement dans la direction de l’encolure, qui, de rouée qu’elle était avant l’opération, devient encore à cet âge, plus droite et moins matérielle.
Quelques personnes pensent que, si la castration pratiquée sur de jeunes sujets arrète le développement du train antérieur, elle augmente au contraire celle du train postérieur. Je ne suis pas de cet avis, car si le train postérieur ne diminue pas comme l’antérieur d’une manière notable, il est bien certain qu’il n’augmente pas non plus et qu’il reste au moins dans l’état où il serait arrivé sans cette opération.
Un fait plus certain, c’est que la castration arrête, en partie, le développement du train antérieur, qui conserve, à peu de chose près, les formes qu’il avait au moment de la castration, cet arrêt se fait toujours au détriment des muscles de ces parties qui deviennent plus denses et plus serrés. Ce changement qui s’opère dans les formes de l’animal, doit être pris en grande considération avant d’émasculer un poulain on doit aussi considérer la race à laquelle il appartient et le service auquel ou destine l’animal. C’est ainsi que dans les races légères lorsque l’avant-main n’est pas assez développé, à six mois, à un an, à dix-huit mois, à deux ans et même à trois ans, il faut attendre que cette partie se développe avant de faire cette opération.
Il en sera tout autrement pour les espèces communes, chez lesquelles la tête, l’encolure et les épaules sont trop développées ; on ne saurait alors trop se hâter de faire la castration, parce qu’en donnant aux animaux des formes plus gracieuses, on leur donne aussi plus de légèreté, plus de force musculaire, plus de vitesse, plus de force et par conséquent on les rend plus durs à la fatigue.
Il ne peut donc pas y avoir de règles rigoureusement
fixées, sous le rapport de la conformation, dans
la fixation de l’âge que doivent avoir les chevaux
pour être châtrés, puisque cette opération doit être
subordonnée à la conformation de chacun d’eux, à
la race à laquelle ils appartiennent et au service
auquel on les destine. Cependant, en général, je
pense que l’âge de deux à trois ans est le plus convenable.
Le caractère des chevaux éprouve à la suite de la castration une influence salutaire, quel que soit l’âge de l’animal auquel on la pratique.
Le cheval, comme du reste tous les animaux, obéit à deux forces qui le font mouvoir : l’instinct et l’intelligence. On trouve la première de ces forces chez tous les animaux ; mais la seconde, qui repose sur l’éducation, est plus ou moins puissante suivant l’aptitude du cheval. Il est évident qu’en supprimant toute tendance à une passion quelconque, on augmente cette aptitude à apprendre ; aussi les chevaux hongres sont-ils plus dociles et apprennent-ils par conséquent plus facilement que les chevaux entiers, qui, toujours distraits par la moindre des choses, ne se prêtent que peu à ce qu’on leur demande.
Je vois chaque jour, parmi les chevaux que l’on châtre à l’École vétérinaire, que la plupart sont difficiles, quelques-uns même dangereux à abattre, et il faut souvent prendre des précautions infinies pour éviter d’en être blessé ; et cependant ces mêmes chevaux, lorsqu’ils sont guéris de la castration, deviennent dociles, faciles à approcher et rendent les caresses qu’on leur prodigue. Ne voit-on pas souvent des cultivateurs recourir à la castration pour quelques bidets d’allure dont ils ne peuvent pas s’aider tant ils sont méchants, et ces animaux devenir doux et soumis, après cette opération.
En Basse-Normandie, on a l’habitude d’élever les chevaux au piquet. On entend par mettre les chevaux au piquet, les attacher sur une prairie artificielle, ordinairement en sainfoin, au moyen d’une longue corde fixée par un bout au licol du cheval, et par l’autre à terre, au moyen d’un piquet en bois ou en fer.
La plupart des chevaux ainsi attachés dans les champs sont entiers ; aussi, si près d’eux il passe des juments, ils se débattent tant, qu’ils arrachent leurs piquets, fondent sur ces juments, et occasionnent souvent ainsi de graves accidents. Si ces chevaux sont hongres, au contraire, ils voient avec indifférence passer à côté d’eux les juments et les chevaux et ne bougent pas plus que s’ils n’avaient rien vu ; donc la castration a modifié en mieux le caractère.
J’ai connu un étalon qui était si méchant, si dangereux
à approcher, que le palefrenier, qui, cependant,
le pansait depuis plusieurs années, eut par
deux fois le bras cassé par cet animal. On châtra ce
cheval qui fut acheté par un propriétaire du pays, et
qui s’en servit au cabriolet, pendant plusieurs années,
et il devint, après l’opération, aussi docile et
caressant qu’il était méchant auparavant.
Que l’on parcoure les foires qui se tiennent dans les diverses localités ; que l’on pénètre au milieu des chevaux entiers, soigneusement séparés des juments, et même des chevaux hongres, et l’on devra s’estimer très-heureux si l’on en est quitte pour quelques contusions, car souvent on s’y fait casser un membre, et quelquefois on y laisse la vie ; tandis que du côté des chevaux hongres, on ne court presque aucun danger d’être blessé.
Que de mal n’a-t-on pas d’ailleurs, lorsque, dans
ces foires, on a acheté plusieurs de ces chevaux entiers,
pour les conduire à destination ! Il faut des précautions
infinies pour éviter d’être blessé, et souvent
on est obligé de martyriser ces pauvres bêtes pour
les empêcher de se faire de mal entre elles ou de
blesser les conducteurs. Et cependant, à peine ces
chevaux, si fougueux, si méchants et si dangereux
à aborder, sont-ils châtrés et guéris de cette opération,
qu’ils deviennent doux et faciles à conduire et
peuvent être approchés sans aucun danger. Si j’osais
établir une comparaison, je parlerais des taureaux
qui font la monte, et qui, arrivés à l’âge de quatre
ou cinq ans, sont devenus très-dangereux et qu’on
n’ose aborder à l’étable ou à l’herbage, qu’avec les
plus grandes précautions. Les vachers même, qui
les pansent journellement, ne les approchent qu’avec
crainte et toujours avec précaution ; et cependant,
ces animaux, châtrés à cet âge deviennent des bœufs
très-dociles et se laissent alors atteler, sans montrer
la moindre méchanceté ni la moindre impatience.
L’influence qu’exerce la castration faite à un âge plus ou moins avancé sur la force et la vigueur de l’animal qui a été soumis à cette opération, est une question plus difficile à résoudre que la précédente. Cependant, étayé de l’opinion de mes professeurs, de celle d’un grand nombre de cultivateurs aussi intelligents qu’instruit, et surtout de celle de savants physiologistes, je vais essayer de la résoudre.
Lorsque les commandants des dépôts de remonte ne durent plus acheter des chevaux entiers, l’une des principales objections que firent les cultivateurs contre la castration fut dictée par la croyance qu’ils avaient que les chevaux châtrés de jeune âge n’auraient plus la force de faire les travaux pénibles de la culture. Presque tous, par cette raison, hésitèrent d’abord à faire subir cette opération aux jeunes poulains.
Cependant, poussés à la castration de leurs chevaux par MM. les officiers acheteurs des dépôts de remonte, encouragés par les sociétés d’agriculture, et tentés surtout par l’appât de primes accordées, dans plusieurs départements, aux poulains opérés avant l’âge de deux ans, les éleveurs se décidèrent peu à peu à faire castrer au moins les poulains qu’ils jugeaient susceptibles de faire des chevaux de troupe.
N’ayant fait châtrer qu’une partie de leurs poulains, les cultivateurs purent facilement juger, comparativement, de la force et de la vigueur des poulains hongres, et de ceux qu’ils avaient laissés entiers. N’ayant reconnu aucune différence appréciable dans ces qualités, ils finirent peu à peu par les faire castrer. Aujourd’hui, la plupart des grands fermiers n’ont plus, à deux ans, que des chevaux hongres.
Les chevaux de trait et ceux qui, par leurs qualités, promettent de devenir des étalons, sont seuls exceptés pendant le jeune âge et ne sont émasculés qu’à leur quatrième année, lorsque les premiers peuvent faire des chevaux de trait pour la guerre, et que les seconds n’ont pas été achetés par les haras. Cette crainte des cultivateurs était tellement générale et leur paraissait si bien fondée que l’on dût étudier et suivre pendant plusieurs années les chevaux châtrés jeunes, pour s’assurer si réellement ils avaient moins de force que ceux du même âge qui étaient restés entiers. L’opinion qu’on se forma alors, et d’une manière conforme aux nombreux renseignements qu’on avait pris auprès des cultivateurs, fut bien précise et bien nette : c’est qu’on ne remarquait aucune différence dans la force et la vigueur de ces animaux, soit qu’ils fussent entiers, soit qu’ils fussent hongres.
Si ces faits, dont on peut se convaincre journellement en Basse-Normandie, en entrant dans la première grande ferme venue, où l’on trouve toujours des termes de comparaison, ne suffisaient pas pour résoudre la question, on pourrait les appuyer d’une foule d’autres pris chez tous les maîtres de poste de l’est et du sud-ouest de la France. Là, tous les relais sont indistinctement formés de juments et de chevaux hongres de petite taille et de mince corpulence ; et, cependant, malgré les difficultés qu’offrent toujours les pays montagneux, et malgré l’insuffisance d’une nourriture toujours donnée avec parcimonie, ces chevaux chétifs font avec la malle-poste quatre lieues à l’heure ; ils vont par conséquent aussi vite dans ces montagnes, que peuvent le faire avec une abondante nourriture, les chevaux entiers des relais de poste du nord et de l’ouest sur le terrain plat.
Il est juste de dire que les chevaux hongres des relais
de poste du midi ont un avantage immense sur
ceux entiers des relais du nord ; c’est de rester complètement
tranquilles après une course, de se reposer
à l’aise, et de manger leur ration sans inquiétude ni
passion ; ce que l’on ne rencontre pas parmi les
chevaux entiers qui, à cause de la fougue de leurs
désirs, ne sont jamais tranquilles, se battent sans
cesse, même après une longue course.
L’on trouverait enfin, chez nos voisins d’outre-Manche, de nouvelles preuves de la force et de la vigueur des chevaux hongres, comparées à celles des chevaux entiers. C’est à n’en pas douter ; l’Angleterre est le pays du globe où les voitures publiques vont le plus vile, et cependant le service s’en fait exclusivement avec des chevaux hongres et des juments. Mais comme ici l’on pourrait objecter que ces animaux font relativement une durée de service moins grande que les chevaux entiers, je puis donner des preuves contraires, en faisant voir de plus que les chevaux hongres du midi durent au moins aussi longtemps que les chevaux entiers des autres contrées de la France.
Voici ce que rapporte M. J. Lacoste, vétérinaire principal au dépôt de remonte de Caen :
« J’ai eu à soigner et à diriger pendant plusieurs années deux relais de poste composés de chevaux hongres et de juments. Lorsque je commençai à visiter ces animaux, quelques uns avaient déjà de quinze à vingt ans, et faisaient le service depuis trois à quatre ans, et cependant deux malles-postes, passant ou repassant quatre fois par jour, occupaient quotidiennement de quinze à vingt chevaux sur vingt-cinq. Des diligences employaient le reste, et forçaient souvent ces animaux à doubler le service, et pourtant, dans l’espace de cinq ans, il n’est mort dans l’un de ces établissements qu’un seul cheval, et trois dans l’aulne.
« J’ai vu, dans les pays où l’on a d’ordinaire des chevaux entiers pour le service des postes, plusieurs relais avoir des chevaux hongres qui faisaient le service tout aussi bien que les entiers et que les postillons préféraient pour les courses. Ces animaux, qui étaient moins souvent malades que les entiers, duraient aussi plus longtemps qu’eux. »
Quant à savoir si la castration faite plus tard, lorsque les chevaux ont acquis tout leur développement, à l’âge de quatre ou de cinq ans, par exemple, modifie leur force et leur vigueur, Je pense encore que l’influence qu’elle peut leur faire éprouver est complètement nulle.
Avant 1830, les foires de la Normandie étaient encombrées de chevaux qui avaient des caractères de ressemblance formant une race ; les marchands de Paris achetaient aux foires principales de nombreux attelages parfaitement appareillés et qui avaient de la réputation, puisque le roi, les princes, les hauts dignitaires de l’État n’en possédaient pas d’autres. Les chevaux de selle suffisaient aux remontes des gardes-du-corps, des régiments de la garde royale, et plusieurs de ces régiments étaient montés d’une manière remarquable.
Tout le monde sait en effet que la garde royale, les gardes-du-corps étaient mieux montés que nos troupes actuelles, et que, par conséquent, leurs chevaux étaient supérieurs à ceux que livre le commerce et à ceux qu’on a aujourd’hui dans l’armée. Et cependant, ces chevaux, achetés, comme nous venons de le dire, en Normandie, dans la plaine de Caen, à un prix bien au-dessous de celui qu’on paie aujourd’hui les chevaux de troupe de la même arme, étaient castrés immédiatement après l’achat qui se faisait comme aujourd’hui, entre l’âge de quatre à sept ans, et envoyés, les casseaux encore au derrière, aux divers régiments auxquels ils étaient destinés.
Ces animaux, toujours émasculés après l’âge de quatre ans, car les cultivateurs normands ne vendaient jamais à cette époque un seul cheval hongre, faisaient pourtant un excellent service, et duraient, en moyenne, de huit à neuf ans dans les corps. Ces escortes que fournissaient ces chevaux, sous Louis XVIII surtout, escortes qui se faisaient toujours au galop, sont une preuve irrécusable de leur force et de leur vigueur.
Les chevaux du roi qui, tous, alors étaient achetés entiers en Normandie et châtrés après l’achat, viennent encore appuyer l’opinion émise que la force et la vigueur sont les mêmes chez les chevaux hongres, que chez ceux restés entiers, car ces chevaux de la cour, en traînant un poids énorme faisaient de cinq à six lieues à l’heure.
Des expériences nombreuses faites tant en France qu’à l’étranger, prouvent enfin que les chevaux châtrés conservent la même force qu’avant la castration, d’après tous les faits que je viens de citer, et que je pourrais multiplier au besoin, il est évident que la castration, faite à n’importe quel âge, n’influe en rien sur la force et la vigueur des chevaux ; qu’au contraire elle facilité l’élevage des jeunes animaux, qui se tarent moins d’ailleurs pendant les travaux pénibles, qui se reposent mieux après la fatigue, et qui vivent plus longtemps.
Je pense donc que l’idée, malheureusement trop
enracinée chez les maîtres de poste, les relayeurs de
toute espèce, les rouliers, etc., que les chevaux entiers
sont plus forts que les chevaux hongres, n’est
qu’un préjugé qu’il faut, par tous les moyens possibles,
faire disparaître comme s’opposant à l’amélioration
générale de l’espèce chevaline.
La France possède certainement des chevaux en assez grand nombre pour suffire à tous ses besoins, si ces animaux avaient les qualités requises pour les divers services.
Il est déplorable qu’avec les trois millions de chevaux qu’elle possède, il nous faille recourir à l’étranger pour fournir aux besoins du commerce et même de l’armée, toutes les fois qu’un besoin exceptionnel se fait sentir.
Il serait temps de remédier à cet inconvénient, tellement grave, que chaque fois que nous avons à craindre la guerre il nous met à la merci de l’étranger. Jusqu’à présent, l’on ne s’est attaché qu’à faire des chevaux de luxe, en disant que ceux de qualité inférieure seraient propres à faire des chevaux de troupe. Partant de cette idée, on n’a cherché à produire qu’une amélioration de luxe ; mais, comme les chevaux mâles ou femelles de cette qualité sont rares en France, on n’est arrivé qu’à des résultats excessivement restreints, résultats qui n’ont jamais suffi pour faire progresser l’amélioration de l’espèce sur un assez grand nombre d’individus pour pouvoir améliorer en masse. On ne s’est pas aperçu qu’avec ce système exclusif, on faisait le contraire de ce qu’on aurait dû faire. Si l’on eut amélioré en masse toutes les races chevalines, soit par elles-mêmes, soit par des croisements, on aurait sans doute fait quelques beaux chevaux de moins ; mais aussi sur la totalité on en aurait obtenu de meilleurs, qui, en quelques années, auraient suffi à tous les besoins du commerce et de l’armée, même en temps extraordinaire.
Puisque nous avons, en nombre, assez de chevaux pour suffire à tous les services, s’ils avaient les qualités qu’exigent ces services, il est tout simple et tout naturel que l’un doive chercher à leur donner les qualités qui leur manquent, et on arrivera à ce résultat :
1° Par le choix relatif des étalons et des juments. 20 Par une meilleure et plus abondante nourriture. Sans ces deux conditions, inutile de chercher à améliorer les races de chevaux, prises en masse. Tant que le cultivateur aura la latitude de faire saillir sa mauvaise jument par un cheval entier plus mauvais encore, il est évident qu’il n’obtiendra qu’un produit détestable ; et lorsqu’on aura remédié à ce grave inconvénient, on n’aura encore que des produits de petite taille, rabougris, si on ne leur donne pas, pendant le jeune âge, toute la nourriture indispensable à cet accroissement.
Ceci est si évident, qu’il suffit de voir les belles races de chevaux dans une contrée, pour pouvoir affirmer que l’agriculture y est en progrès. Que l’on visite la plaine de Caen, quelques cantons de la Haute-Vienne, les environs de Tarbes, etc., et l’on verra que l’agriculture est toujours en rapport avec l’amélioration de l’espèce chevaline ; ou plutôt ces belles races ne se trouvent là que parce que l’agriculture y est portée à son plus haut point de prospérité.
Il ne faut pas non plus oublier que, pour améliorer par les croisements les races chevalines, l’origine, le régime et le climat des deux races ne doivent pas être trop disparates ; et malheureusement, on a souvent oublié ou plutôt méconnu ces principes, en transportant dans le midi par exemple, sous un climat chaud et où l’agriculture est encore arriérée, des étalons normands de race et d’origine tout-à-fait différentes de la race qu’ils devaient améliorer et grandir. Et l’on n’a pas senti que, pour donner de la taille à une race, il ne suffisait pas de celle du père, ou plutôt que cette taille disproportionnée avec celle de la mère, devait produire des chevaux décousus, à cotes plates et courtes, et à poitrine étroite.
C’est ce qui est arrivé à la race navarrine, que les forts et grands carrossiers normands qui étaient au dépôt d’étalons de Tarbes ont perdue ou au moins détériorée et dont les débris que l’on rencontre encore ne se sont conservés à grand-peine que par quelques arabes auxquels ont eu recours de préférence les cultivateurs instruits, qui savent très-bien que la situation topographique de la contrée, la température dont elle jouit, s’opposeront toujours à l’élévation de la taille ordinaire que ces deux conditions déterminent.
Ainsi, soit que l’on veuille améliorer par la race elle-même à laquelle on s’adresse, soit que l’on veuille arriver plus vite à ce résultat en croisant deux races entre elles, on ne doit pas perdre de vue qu’il doit exister un rapport intime entre cette amélioration et les progrès de l’agriculture ; que l’on doit toujours faire choix de bons producteurs ; que lors des croisements, on ne doit pas trop s’écarter de l’origine des deux races, du régime que suivaient les animaux, du climat qu’ils habitaient, et enfin qu’on doit éviter la consanguinité.
Ces principes rappelés, je vais tâcher de prouver que la castration générale des jeunes chevaux est une mesure indispensable pour l’amélioration en masse de l’espèce chevaline, et que l’on ne parviendra à changer l’aspect misérable de la population chevaline de la France, qu’en obligeant, par une loi, à castrer tous les chevaux, sans distinction de races ni de services auxquels ils peuvent être propres, avant l’âge de deux ans ou au plus tard à cet âge. Mais avant, nous devons chercher à apprécier les circonstances principales auxquelles on peut attribuer la dépréciation de nos races chevalines. Personne ne contestera que les bons étalons manquent en France ; mais c’est surtout le nombre de ces animaux qui fait défaut ; car ceux que nous possédons dans les haras, ceux approuvés ou simplement autorisés, peuvent, tout au plus, saillir soixante mille juments dont la moitié à peine produit un poulain. Cette pénurie d’étalons se fait surtout sentir dans les pays qui se livrent à l’élève des chevaux. Là les juments doivent toujours avoir un produit chaque année ; et le propriétaire, soit par insouciance, soit par ignorance, se sert pour faire saillir sa jument, faute d’en trouver de meilleurs à proximité, du premier cheval entier qui lui tombe sous la main.
La mesure qu’avait prise en 1845 le ministre de l’agriculture et du commerce, en formant une troisième classe d’étalons, les étalons autorisés, produirait de bons effets, si elle pouvait se généraliser ; mais les propriétaires d’étalons n’y trouvant aucun bénéfice pécuniaire, dans la plupart des contrées, ne feront pas la moindre démarche, les moindres frais de déplacement, pour faire autoriser leurs chevaux ; et d’ailleurs, ceux de ces animaux qu’on n’aura pas voulu autoriser n’en continueront pas moins à faire la monte. Vers les centres principaux de la population chevaline, là où les chevaux sont le but presque principal de l’industrie agricole, comme, par exemple, dans les arrondissements de Caen (Calvados), de Tarbes (Hautes-Pyrénées), de Limoges (Haute-Vienne), on adoptera cette mesure, et l’on s’empressera, sans doute de faire autoriser les chevaux dans l’espoir de les faire approuver plus tard, ou de les vendre mieux. Mais sur les points où l’industrie chevaline est annihilée par les avantages que produit l’élève d’autres animaux, ou par toute autre industrie agricole, cette sage mesure ne produira aucun fruit. Et c’est cependant dans ces contrées, où le nombre des juments est quelquefois considérable, qu’il faudrait forcément appeler l’attention des cultivateurs sur l’amélioration de l’espèce chevaline.
En citant un exemple de l’incurie des cultivateurs pour l’amélioration de l’espèce chevaline, je me ferai peut-être mieux comprendre.
Dans le département du Calvados, l’arrondissement de Vire possède plus de quinze mille juments qui toutes sont livrées à la reproduction. Pour la saillie de toutes ces juments, il n’y a dans tout l’arrondissement que quatre étalons nationaux en station au chef-lieu ; un pareil nombre d’étalons approuvés se trouvent dispersés dans le reste de l’arrondissement. Les cultivateurs, qui ne peuvent en profiter, vu leur éloignement et leur rareté, conservent chez eux un cheval entier de race bretonne de la plus commune espèce, qui, tout en faisant le service de limonier, est chargé de la saillie des juments de la ferme. Les ascendants étant de qualité très-médiocre, les descendants sont nécessairement mal conformés, très-communs, et ne sont guère propres qu’à porter des choux au marché ou à traîner une brouette. Et cependant tous ces produits se vendent à la foire d’Etouvy, où quelques cultivateurs de la plaine de Caen choisissent les moins mauvais, et les marchands de la Picardie enlèvent ceux qui restent, lesquels l’un dans l’autre ne coûtent pas plus de 100 fr.
Cette observation peut être appliquée dans une foule de localités, dans la Bretagne, les Ardennes, le midi de la France et les Landes en particulier.
Que faudrait-il donc a tous ces pays pour les obliger à faire de bons élèves ?
Leur fournir de bons étalons, et en assez grand nombre. Alors, pouvant espérer de bons produits qui se vendraient à un prix assez élevé pour indemniser les éleveurs des sacrifices qu’ils feraient eu achetant de meilleures juments, ils ne manqueraient pas de s’en procurer. Mais, tant qu’ils ne verront pas le moyen de faire saillir leurs juments par des étalons de bonne qualité, ils garderont les mauvaises qui ne leur rapporteront pas grand-chose, il est vrai, mais aussi qui ne leur coûtent pas davantage et avec lesquelles ils font cependant leurs travaux aratoires.
L’incurie qu’apportent dans le choix des juments
les cultivateurs des contrées où l’élève du cheval
n’est qu’un accessoire très-minime de l’industrie
agricole ne doit pas étonner quand on voit ceux
du Cotentin dans la Manche, du Bessin dans le
Calvados, pays où l’industrie chevaline est d’une
très-grande importance, se servir, pour faire saillir
leur juments, du rebut de leurs élèves, rebut
que les cultivateurs n’ont pas pu vendre aux foires
de Saint-Côme, de Saint-Floxel ou de Bayeux,
à cause des tares trop évidentes, ou du cornage
dont ils sont souvent atteints.
Il est vrai que l’administration des haras ne peut pas fournir assez d’étalons nationaux ou approuvés pour faire saillir le nombre immense de juments poulinières que la France possède. Mais il me semble que cette administration n’avait pas pour mission seulement de faire saillir leurs juments, elle devait encore s’occuper en masse, de l’amélioration des chevaux, et provoquer des mesures de l’administration supérieure, qui certes ne les lui aurait pas refusées, pour arriver à ce résultat. Elle pouvait, en adoptant un système général de perfectionnement des races, rendre des services éminents et bien mériter de la patrie. Mais, pour cela, il ne fallait pas rejeter, comme impropres à l’amélioration des races, tous les chevaux qui n’avaient pas pu faire preuve de vitesse sur les hippodromes. Il fallait, au contraire, admettre, faute de mieux, des étalons, non parfaits sans doute, mais toujours meilleurs que les ignobles chevaux entiers dont se servent les cultivateurs dans les neuf-dixièmes des cas. Elle devait enfin s’occuper de l’amélioration générale des juments.
Il ne fallait pas, qu’au mépris des influences climatériques, topographiques et alimentaires, elle cherchât à grandir la taille de certaines races, avant d’avoir cherché à améliorer l’agriculture du pays où elle agissait, pour qu’elle pût lui fournir les éléments nécessaires à cette élévation obtenue seulement au détriment des autres qualités. Elle aurait dû, enfin, ne pas laisser dans la même station, toujours les mêmes étalons, de manière à ce que, au moyen de la consanguinité, les défauts des ascendants, transmissibles surtout alors, ne s’augmentassent pas outre mesure.
Cette disette de bans étalons se fait aussi vivement sentir dans les pays où l’on se livre presqu’exclusivement à l’élève de la mule. Mais, dans ces contrées, au lieu de chercher à améliorer et à augmenter la population chevaline, il faut ouvrir le débouché qui leur manque et qui est la condition vitale du succès ; car, si l’on se livre à l’élève du mulet, ce n’est nullement par caprice, puisque la jument livrée au baudet conçoit plus difficilement qu’avec le cheval, qu’elle est plus sujette à avorter, et que le mulet périt souvent à la suite de l’hématurie, maladie quelquefois épizootique, sept à huit jours après la naissance ; mais c’est que cet animal se vend très-facilement à l’âge de six mois ou plus tard, et à un prix souvent plus élevé que ne vaut le poulain à un âge bien plus avancé.
D’ailleurs, l’élève des chevaux jusqu’à cet âge est impossible dans la majeure partie de la France, où l’on se livre à l’élève du mulet. Le morcellement de la propriété, l’exiguité du logement, l’inutilité de ces animaux pour les travaux aratoires, et le peu de fortunes rurales, ne permettent pas de garder les poulains jusqu’à cet âge : parce que se succédant chaque année, le nombre en deviendrait trop considérable pour pouvoir être logés et nourris.
Avant donc de penser à faire élever, dans le midi, des chevaux à la place des mules, il faut d’abord établir un débouché qui offre les mêmes chances de profits que l’élève du mulet. Dans cette intention, M. le ministre de la guerre avait pris en dix-huit cent quarante-cinq, en faisant acheter les poulains à dix-huit mois, une mesure sage et vraiment nationale, mesure qui aurait produit un bien immense pour l’amélioration et la reproduction de l’espèce chevaline. Ce qui a fait malheureusement tort à cette mesure bienveillante, c’est qu’on voulut la généraliser, en donnant à toute la France ce qui ne convenait qu’à une partie. Car ce débouché si utile, si indispensable même, dans le midi, où l’on ne sait véritablement que faire de poulains que l’on ne peut pas élever jusqu’à quatre ans, devenait nuisible en Normandie, en Bretagne, et partout où l’agriculture, se servant de chevaux, à besoin de les acheter jeunes pour réaliser un bénéfice, lorsqu’elle les revend à quatre ou cinq ans. Or, cette mesure si nationale n’a manqué que parce qu’on a voulu la généraliser. Les cultivateurs des contrées à qui elle nuisait, en renchérissant la marchandise, se sont récriés contre elle, et ces plaintes fondées servirent pour le moment la cause de l’administration des haras qui eut assez d’influence pour la faire rejeter.
Eh bien, en agissant ainsi, cette administration n’a vu que son intérêt du moment ; car si elle eût réfléchi aux conséquences fâcheuses qu’elle produirait dans les pays dont le viens de parler, et dont l’effet a été de laisser la France sans chevaux au moment du danger, cette administration aurait pris à cœur d’appuyer, pour certains pays qui ne peuvent s’en passer, cette mesure pleine d’avenir, et à laquelle on sera forcé de revenir, si l’on veut obtenir ces chevaux de cavalerie légère, si beaux, si fringants, si maniables, qu’on ne trouve que dans le midi.
Si l’État ne pouvait pas élever ces jeunes animaux (et dans tous les cas je pense qu’il ne devrait pas le faire), soit à cause de l’embarras qu’ils occasionneraient, soit parce que cela élèverait trop le prix de revient, il pourrait, au moins, faire acheter ces animaux dans le midi, les faire transporter dans les plaines, de l’ouest et du nord de la France, où ils seraient vendus aux enchères.
Je doute que l’État perdit sur le prix d’achat et de transport ; mais cela serait-il, que la somme serait si minime qu’elle ne pourrait pas entrer en compensation avec le bien que cette mesure produirait, d’abord dans le pays où elle serait mise à exécution, et par suite pour la nation en lui fournissant le nombre de chevaux dont elle aurait besoin dans tous les temps.
Cette mesure, d’ailleurs, aurait un double avantage, celui de fournir un débouché et celui d’offrir aux poulains par l’émigration, à l’âge de six mois, dans ces pays mieux cultivés, une nourriture plus abondante et plus substantielle, et de leur donner par conséquent cette ampleur qui leur manque généralement. Car aujourd’hui, personne ne l’ignore, les poulains transportés de bonne heure, dans des pays éloignés de ceux qui les ont vus naître, nourris et traités en tout comme ceux de la contrée où ils se sont transportés, prennent un peu de la ressemblance des indigènes ; c’est ainsi que les chevaux du Poitou, élevés en Normandie, deviennent plus légers, moins communs qu’ils ne l’auraient été dans leurs pays. Le cheval breton même, transporté jeune dans un pays plus chaud et plus sec, devient moins matériel et moins commun.
Grâce à cette mesure transitoire, que l’on a cru devoir proposer, on pourrait donc espérer d’augmenter considérablement le nombre des naissances de poulains, et celui de faite par l’émigration dans des pays plus riches, des chevaux plus étoffés, plus élevés en taille, et par conséquent d’obtenir en plus grand nombre de bons chevaux de cavalerie légère et même de ligne. Mais cela ne saurait suffire. Maintenant que nous avons reconnu dans l’absence de bons étalons ou, ce qui revient au même, dans l’usage général de mauvais reproducteurs, la cause principale de l’état d’infériorité de nos races chevalines, c’est de ce côté que nous devons porter le remède. Or, c’est à cela que tend la mesure de castration générale que l’on devrait proposer et qui aurait pour effet d’accroître suffisamment le nombre de bons étalons pour qu’ils puissent servir seuls à la saillie de près d’au million de juments poulinières que possède la France.
Mais, comme je l’ai déjà dit, il faudrait pour arriver à ce but que le gouvernement veuille porter son concours à cette grande régénération, qui est une question d’économique politique assez importante pour que rien ne soit négligé pour la résoudre. Une loi devrait donc intervenir ; et elle forcerait de faire castrer tous les chevaux, non susceptibles de devenir des étalons, à l’âge de deux ans au plus tard.
Cette loi, dont j’ai parlé plus haut, on la dira arbitraire ; mais quelle est la loi qui ne l’est pas sous quelque point de vue ? Dans tous les cas, elle ne sera pas plus arbitraire que celle de l’expropriation pour cause d’utilité publique. C’est aussi au nom de l’utilité publique qu’on devrait la demander, car la fabrication des chevaux est aux moins aussi nationale que la construction d’une route ou d’un canal.
L’âge que j’assigne ici pour la castration des chevaux est sans doute un peu prématuré, au moins pour certaines races, puisqu’il ne laisse pas à ces animaux le temps de compléter leurs formes ; mais je crois qu’il faut maintenir cette époque dans l’intérêt de l’amélioration, afin d’empêcher le mal produit par cette foule d’étalons rouleurs ou autres qui font souvent la saillie à l’âge de deux ans.
Mais dans tous les cas, avant de faire la castration, il faudrait établir des commissions cantonales qui devraient se rassembler au printemps. On obligerait, pour la première année, tous les propriétaires de chevaux mâles, arrivant à la fin de leur deuxième année et au-dessus, à les conduire devant ces commissions, qui seraient chargées de choisir et de désigner ceux qui, par leurs qualités, seraient susceptibles de devenir de bons reproducteurs. La première année, les commissions seraient peut-être obligées d’agir par simple élimination des chevaux défectueux ; mais avant peu d’années, le choix tomberait sur l’élite de ces animaux améliorés, tant mâles que femelles. De ce premier choix, d’ailleurs, il résulterait nécessairement une légère amélioration qui, s’augmentant successivement chaque année, permettrait aux commissions d’être plus difficiles pour les choix ultérieurs.
Tous les chevaux choisis par ces commissions seraient seuls conservés entiers, tandis qu’on châtrerait impitoyablement tous les autres, et cette opération devrait se faire dans la quinzaine qui suivrait la visite des commissions, afin d’éviter que ces animaux, plus ou moins médiocres ou mauvais, ne puissent saillir les juments. On ne trouverait encore à la deuxième année que des produits non améliorés puisqu’ils seraient nés avant la mise en vigueur du système ; aussi la commission serait-elle encore obligée d’agir par simple élimination des chevaux défectueux, comme pour la première année.
La troisième année, les produits provenant de l’élite des chevaux choisis la première fois, n’ayant encore qu’un an, le choix par les commissions se ferait comme les deux premières années.
Mais la quatrième année, les commissions devant agir sur les poulains de deux ans, issus du premier choix, elles trouveront déjà des chevaux moins défectueux, et le choix sera beaucoup plus facile et beaucoup plus considérable.
La cinquième année, l’amélioration serait plus sensible, et l’on trouverait à choisir de meilleurs étalons. Cette amélioration, se continuant progressivement d’année en année, on aurait avant dix ans, un nombre considérable de chevaux améliorés, qui ayant une valeur plus grande que ceux qui les auraient remplacés, seraient mieux nourris et mieux soignés, et par conséquent s’amélioreraient chaque jour davantage.
Avec ce système, qui obligerait de châtrer tous les chevaux non désignés pour faire des reproducteurs, les éleveurs n’ayant plus à leur disposition ces ignobles chevaux entiers qu’ils ne conservaient que parce que les tares dont ils étaient atteints en empêchaient la vente, ni cette foule d’étalons rouleurs plus mauvais encore, seraient bien forcés de s’adresser aux étalons choisis par les commissions.
Ce moyen d’amélioration, par la castration générale devra être secondé par la défense, sous peine pécuniaire, de faire saillir ces chevaux avant qu’ils aient atteint l’âge de quatre ans, parce que le développement du cheval n’est complet qu’à cette époque, et que les chevaux de deux ans, que l’on livre à la reproduction, et cela même où l’industrie chevaline est considérable, ne peuvent qu’énerver et abâtardir les races.
C’est à un semblable moyen, la castration générale, que les chevaux bretons durent, pendant le siècle dernier, leur immense réputation.
Mais comme la jument transmet bien plus certainement que l’étalon, les défauts et les qualités qu’elle possède, il faudrait, par des encouragements, engager les cultivateurs à conserver les meilleures pouliches pour la reproduction.
Il faudrait, enfin, que les étalons choisis fussent distribués, de manière que les propriétaires de poulinières n’aient pas à faire un long trajet pour les envoyer à la monte ; car souvent l’occasion décide à faire saillir une jument qui ne l’aurait pas été sans cela.
C’est de ce système que l’on peut et que l’on doit attendre l’amélioration de l’espèce chevaline ; car avec ce moyen on agit partout à la fois, et, on produit par conséquent un résultat proportionné aux moyens employés. On n’obtiendra certainement pas d’abord partout des produits de première qualité, parce que partout ne se seront pas rencontrés des juments et des étalons de premier choix ; mais on les obtiendra dans les localités où se trouveront les animaux réunissant les conditions voulues pour cette prospérité, et dans celles de ces localités où aucune influence amélioratrice ne pouvait agir jusqu’à ce moment, on obtiendra par cette mesure de meilleurs résultats qu’avec le système actuel de quelques contrées. Si cette loi, qui obligerait à la castration générale des jeunes chevaux, ne pouvait pas être obtenue, on pourrait, peut-être en employant un autre moyen, arriver au même résultat.
Ce serait de placer un impôt sur tous les chevaux entiers au-dessus de deux ans qui ne seraient pas approuvés ou autorisés à faire la monte.