Impressions de mes voyages aux Indes/Mon voyage en Birmanie

Sturgis & Walton company (p. 55-68).

UN AN APRÈS
MON VOYAGE EN BIRMANIE


Nous partons aujourd’hui pour aller passer le Noël à Calcutta, où la vie est plus attrayante, par ses distractions, telles que les courses, les plus renommées aux Indes. L’installation des tribunes est tout-à-fait une copie de Longchamps, mais avec un temps plus propice et un soleil toujours resplendissant.

Les quarante huit heures de voyage n’ont pas été trop fatigantes. Il est vrai qu’on s’habitue au déplacement et que notre wagon est tout ce qu’il y a de plus confortable.

Après un court séjour seulement, passé très gaiement, nous fîmes le projet de faire un voyage en Birmanie. Embarqués à bord du bateau « Angora », malgré que ce bateau ne fût pas très grand, il était des plus soignés et on y était vraiment comme chez soi.

Deux jours seulement de traversée et nous arrivions à Rangoon, par un temps superbe qui nous donnait au premier coup d’œil, la meilleure impression du nouveau pays que nous allions visiter.

Mais quel désappointement pour moi lorsqu’en arrivant, je tombais malade. Pendant presque deux semaines, je dus garder la chambre et ce n’était pas gai de rester dans cet hôtel « Minto-Mansions » dont je ne voyais que les murs, hauts, comme ceux d’une prison. Enfin ce fut une grande joie, lorsque j’eus la permission de faire ma première promenade en voiture. Ce pays nouveau me sembla délicieux et plein de charmes. Je trouvai le climat idéal, et le surlendemain matin, je me décidais à aller voir les principaux endroits, car notre itinéraire allait nous obliger à partir dans quelques jours.

Je commençais par la plus grande pagode, appelée « Shew Dayon » qui est la plus importante et aussi un chef-d’œuvre dans son style bouddhiste. Avant d’y pénétrer, il faut faire l’ascension d’un énorme escalier sans fin, couvert de tuiles formant des arcades. De chaque coté sont installées de petites boutiques de toutes espèces, la plupart

Pagode Shew-Dagon

Pagode Shew-Dagon


renfermant des fleurs et des bougies que les fidèles achètent pour porter dans le sanctuaire de Bouddha. Du plus riche au plus pauvre, l’offrande est faite chaque matin ; la physionomie de chacun exprime après sa piété, une satisfaction sereine par la croyance qu’il a que tout lui sera favorable le reste de la journée.

Les autres boutiques sont remplies d’images et d’objets sacrés, d’articles usuels et d’étoffes. L’ensemble en est si pittoresque et attrayant qu’on y reste des heures et des heures sans s’en apercevoir. Le brouhaha du peuple, les quelques peintres installés çà et là avec leurs palettes, les photographes qui braquent leur appareil sur tout le monde, les paysans qui font un bruit infernal avec leurs sandales en bois, qui frappent sur la pierre comme de petits marteaux, tout cela vous aimante et vous fait oublier le lieu ou l’on est.

Ce qui attira le plus mon attention, ce sont les petites birmanes qui gardent les boutiques. Elles sont d’une coquetterie extraordinaire, et possèdent un petit air provoquant, qui vous oblige à tourner la tête malgré vous. Très crânement, elles font leur toilette devant tout le monde, sans aucune gêne d’être vues. Elles prennent le plus grand soin de leur coiffure ; leur chevelure est très noire, bien huilée et relevé sur le sommet de la tête par un petit peigne et la traditionnelle fleur piquée avec grâce. Elles se poudrent aussi d’une poudre très blanche très épaisse et se maquillent un peu. En somme, elles n’ont que le désir de paraître et plaire à tous ceux qui les regardent. Elles ressemblent beaucoup aux japonaises par la conformation de leur visage et leur petite taille. Leur démarche est gracieuse et leur corps souple a de charmants mouvements, on ne peut vraiment pas leur résister et on est obligé de leur acheter quelque chose même si on ne désire rien. Leur costume est bizarre, la jupe toute droite n’a que deux mètres d’ampleur et est tellement ajustée qu’elle leur moule le corps. Le corsage n’est qu’une camisole sans forme, soit en soie, soit en mousseline. On peut dire qu’elles sont toutes d’une propreté méticuleuse, une des choses principales dans l’accomplissement de leur petite personnalité.

La femme birmane est si commerçante que l’homme n’a aucun souci dans les affaires : il ne s’occupe absolument de rien. Il est souvent présent, mais reste calme, patient et indifférent. Je crois qu’il reconnaît les capacités de sa compagne et pour cela se tient à l’écart, pensant qu’il n’aurait certainement pas le même succès.

Une coutume originale parmi ce sexe féminin, est de fumer un long et épais cigare blanc, qui à première vue, ressemble à un morceau de canne à sucre. Toutes ces femmes fument en se promenant ou en travaillant. Toute la journée elles ont le cigare à la bouche, qui est considéré d’un grand chic, par le peuple et l’aristocratie. Ce cigare se compose d’un mélange de plantes séchées, roulottées dans de grandes feuilles blanches d’une très faible odeur.

Elles font tout cela avec tant de naturel et d’indifférence en public, qu’on finit par s’y habituer, en ne trouvant rien d’étrange ou de disgracieux dans ce geste masculin, qui après tout leur sied à merveille.

Leur caractère est doux et des plus sociables, leur visage intelligent et souriant à tout le monde. Leurs manières maternelles doit rendre leur vie intérieure agréable et confortable.

Après avoir traversé cette longue et interminable galerie, nous arrivâmes enfin au haut d’une énorme plateforme où se trouvait la pagode. Cette pagode est couverte d’un énorme dôme pointu, tout doré, de style chinois. Dans l’intérieur où tout le monde a le droit de pénétrer sans aucune particularité, se dresse une gigantesque statue de Bouddha, ayant ses disciples à ses cotés. Toute peinte en doré, cette statue est détériorée à la base par les bougies de toutes couleurs et les fleurs fraîches ou fanées qui lui ont été offertes par les dévots les belles gerbes répandent une odeur nauséabonde qui vous ordonne de rester le moins longtemps possible. La piété qu’ont tous ces fidèles est imposante. Ils se prosternent au pied de leurs idoles avec tant de passion, qu’on les sent prêts à faire tous les sacrifices, poussés au plus haut degré par leur fanatisme.

La plupart de ces idoles sont peintes d’un rouge écarlate et enguirlandées de fleurs faites en suif, elles vous font une impression sanguinaires. Tout autour, il y a d’autres pagodes avec d’autres statues représentant Bouddha dans ses différentes poses. Quelques unes ont des statues colossales démesurées, les bras les jambes sont absolument disproportionnés d’avec le corps et pour les regarder de toute leur hauteur, il faut lever la tête à se briser le cou. Quelques unes sont en marbre, en bois ou en plâtre : la collection en est comique et variée.

L’architecture de ces pagodes est chinoise ; beaucoup sont construites en bois, patiemment sculpté et dentelé. Ce travail est fort curieux et appréciable pour les connaisseurs. Les prêtres bouddhistes qui sont toujours très nombreux, gardent avec un soin précieux une vitrine, dans laquelle sont enfermés les bijoux des idoles. Quelques uns sont d’une grande valeur, ainsi que des ornements, des costumes et quelques armes : tout ceci est exposé constamment au public et ne sert qu’aux cérémonies religieuses.

Dans cette enceinte sacrée, malgré le va et vient et le tumulte de la foule, on se sent pris d’un certain recueillement par tous ces gens qui prient avec une foi si ardente. Tous ces fidèles sont pieds-nus pour entrer dans les endroits sacrés, mais les prêtres n’obligent pas les étrangers à le faire ; ils leur laissent beaucoup de liberté, ce qui est tout-à-fait contraire dans les temples et mosquées des Indes, où ils sont très exigeants.

Après avoir passé une partie de la journée dans la « Shew-Dagon » où je me sentais de plus en plus attirée, je me décidais enfin à faire une promenade dans la ville. Peuplée par tant de différentes races, aux allures dégagées et entraînantes, je trouvai cette ville gaie et animée. L’influence chinoise y est très dominante : il y a des quartiers entiers bâtis tout spécialement pour eux-mêmes et qui sont très curieux.

J’ai rencontré plusieurs dames chinoises, elles sont des personnes très avancées. Une chose que je n’ai pu m’empêcher de remarquer, ce sont leurs pieds, d’une petitesse incroyable, comme un enfant de trois ans. Elles portent des chaussures de soie de couleur, serrées à un degré inimaginable, qui n’ont pas de semelles et appuient simplement sur un haut talon de bois, tout droit, placé au milieu. C’est avec une diflîculté inouie qu’elles peuvent marcher ; mais elles font souffrir davantage je crois, ceux qui les regardent.

Les costumes de toutes ces races asiatiques sont très variés et très seyants. On voit tous les habitants tête nue, s’abritant d’une ombrelle en soie ou en papier, qui offre un cachet gracieux à leur personnalité, dans laquelle il y a tant d’amabilité et de charme.

La verdure autour de la ville est magnifique, la végétation y est très abondante, mais ce qu’il y a de remarquable ce sont deux superbes lacs aux eaux claires et limpides, au milieu desquels s’élèvent de ravissants ilôts. On y fait beaucoup de canotage, un club très joli est construit au bord du lac où l’ombrage si épais y attire un grand nombre de promeneurs pendant l’été. Un magnifique jardin fait tout le tour de ces lacs ; les piétons seuls ont le droit d’y pénétrer. Cependant dans une certaine partie, les voitures y sont autorisées, mais pas du tout les automobiles.

De grandes pelouses au gazon si vert et si uni, représentent de grands tapis de soie étendus. Chaque jour, le soir vers cinq ou six heures, cette promenade devient mondaine : on y rencontre de très beaux attelages ; cet ensemble donne presque l’impression des lacs du Bois de Boulogne. Naturellement c’est l’endroit favori de tout le monde, car aussi on a la facilité de pouvoir côtoyer ces lacs pendant plusieurs kilomètres et il y a bien peu de villes qui soient ainsi favorisées.

Dans l’après-midi du lendemain, nous étions invités chez le Chef de police, pour assister à la réjouissance d’un arbre de Noël. C’était une charmante réunion dans le jardin, avec une multitude de divertissements, entre autres celui des marionettes, spécialité de ce pays, et des dances birmanes qui nous ont intéressées et beaucoup amusées. À sept heures, l’arbre de Noël qui était au milieu de la pelouse, fut illuminé, c’était d’un effet magnifique. Un aéroplane très ingénieusement fait, fit quelques tours en l’air et descendit à nos pieds, en nous apportant le « Papa Noël » superbement habillé. Cette idée nouvelle et spirituelle fit l’admiration de tout le monde, en répandant une agitation extraordinaire parmi les enfants, qui trépignaient de joie et battaient des mains, pour tomber ensuite en extase devant cet envoyé du ciel, qui attirait toute leur curiosité. J’eus l’occasion de faire la connaissance de plusieurs Dames birmanes : elles sont absolument charmantes et parlent l’anglais à ravir ; elles ont quelque chose de si attirant qu’elles jouissent d’une grande popularité parmi la société anglaise. Enchantée de mon après-midi, je rentrais en hâte pour le diner, car nous devions aller passer la soirée chez une de nos connaissances qui avait engagé tout spécialement une troupe de danseuses, pour nous offrir une représentation.

Quel curieux et nouveau spectacle nous attendait. Dans un énorme salon, au milieu d’une brillante assistance la représentation commença, vingt danseuses, toutes de la même taille, au corps mince et menu, étaient habillées de blanc, avec la jupe très serrée et le corsage très collant, ayant une basque ouverte de chaque coté, avec des pointes qui se redressent. Ce genre est tout-à-fait chinois. Elles sont terriblement fardées, ce qui leur donne un teint blafard effrayant, avec leurs petits yeux très noirs, au regard si perçant. Elles sont parées d’une quantité de bijoux faux, éclatants, de forme très originale, dont l’ensemble est vraiment un tableau unique. Rangées symétriquement, elles ne bougent pas de place, mais les mouvements rythmés de leur corps et spécialement ceux des bras et des doigts, ont beaucoup de signification paraît-il, lorsqu’on comprend leur langage, car tout en dansant, elles chantent d’une voix criarde, étourdissante. Une d’elles donne le ton et le chœur commence si haut qu’on devient abasourdi après quelques minutes. Les femmes jeunes ou vieilles sont un peu difficiles à reconnaître, aussi nous les fit-on remarquer par un signe bizarre qui est une grande particularité chez la femme de cette classe et dans la société. C’est par leur coiffure que ce secret est connu ; ainsi les jeunes filles dont les cheveux sont coupés, sont âgées au-dessous de quinze ans ; les autres qui ont un chignon au milieu et les cheveux coupés tout autour de la tête, sont entre quinze et vingt ans ; les autres, aux cheveux longs ont dépassé cet âge. Ce détail est assez important à connaître, quand on sait que la coiffure joue un si grand rôle parmi les Birmanes, pour laquelle elles ont tant

Les éléphantes après leur bain

Les éléphantes après leur bain


de soin et de coquetterie. À notre étonnement de voir les femmes les plus âgées en première ligne et toutes les plus jeunes derrière, mais elles se conservent si bien et savent si bien s’arranger qu’on voit peu la différence.

Les chants terminés, nous entendîmes un bruyant murmure venant de la pièce voisine. Quand nous demandâmes ce que c’était, on nous dit que chaque mère de ces danseuses accompagnait sa fille et qu’elle l’attendait à côté pour rentrer chez elle aussitôt la séance finie. Enchantés de notre soirée qui avait été un spectacle tout-à-fait nouveau pour nous, nous prîmes congé de notre hôte, assez tard dans la nuit.

Sur le point de quitter Rangoon le surlendemain, j’allais au club qui est à quelques pas de l’hôtel : la société y était agréable, et nombreuse, à l’occasion de la sauterie hebdomadaire ou chacun se lançait dans les nouvelles danses, telles que le one-step, le tango et la maxixe ; cette petite attraction amusa beaucoup les curieux. Après cela, j’allais dans les magasins, pour y faire quelques emplettes nécessaires.

Je jetais un dernier coup d’œil sur cette grande ville, qui possède 250, 000 habitants. Cette population très mélangée riche et pauvre, montre dans certains carrefours beaucoup de misère. Les enfants, à demi-vêtus, pullulent dans ces rues étroites et malpropres : ils se cramponnent à vous, en vous offrant leurs services de porteur, ou bien vous demandant l’aumône. Avec peine on s’en débarrasse, et quelques sous les rendent heureux.

Avec regret, nous quittions cette jolie ville et nous prenions le train à midi pour aller à (Mandalay) visiter un peu de la haute Birmanie. La durée du voyage fut d’une journée seulement. Dans chaque gare un peu importante où le train s’arrêtait, nous fûmes très surpris de voir un grand nombre de Punjabis au visage sympathique, qui vinrent saluer Son Altesse. Le bruit s’était vite répandu qu’un Maharajah du Pundjab voyageait dans ce pays : aussi s’informèrent-ils du jour et de l’heure de son passage pour venir présenter leurs respects.