Impressions de mes voyages aux Indes/Mes voyages aux Indes

Sturgis & Walton company (p. 1-4).

MES VOYAGES AUX INDES


Jeudi 6 Février, 1913.

Nous partons aujourd’hui faire une tournée dans différents états de Rajputana. Nous voyageons dans notre wagon privé qui doit Jullundur à six heures et demie.

Nous avons passé toute la nuit, ainsi que la journée du lendemain sur la grande ligne, c’est à six heures du soir seulement que nous arrivâmes à Rutlam, pour changer de train et prendre la petite ligne, dans la direction d’Odaipure. S. A. Le Maharajah de Baroda eut l’amabilité de mettre à notre disposition son wagon-salon et par train spécial nous sommes arrivés le lendemain à dix heures du matin. La poussière était fort désagréable et le paysage aride avait pour nous un aspect étrange, habitués à notre végétation plus florissante du Punjab.

Un des officiers de S. A. Le Maharana d’Odaipure nous attendait à la gare, et après nous avoir adressé les compliments de bienvenue il nous accompagna en automobile jusqu’au Guest-House, mis à notre disposition pour la durée de notre séjour. La maison était très confortable, mais très simplement meublée ; le panorama qui se déroulait à nos yeux était pittoresque, et en même temps des plus curieux, par ses montagnes grisonnantes, desséchées, brûlées par le soleil.

Au pied de notre maison, se trouvait un joli lac artificiel, appelé « Satch-Sagar, » où les montagnes se reflètent dans ses eaux verdâtres qui donnent une certaine fraîcheur à cette nature si revêche.

Notre première nuit fut très agitée. Les moustiques étaient insupportables, et lorsque nous commencions à sommeiller, des cris déchirants de chacals nous réveillaient en sursaut. N’y avait-il rien de plus désagréable à entendre au milieu de la nuit, rien de plus lugubre, que ces frémissants hurlements qui durèrent jusqu’au lever du jour ?

Une vieille légende rappelle qu’un jour, un des Empereurs Moghols de Delhi, avait été réveillé en sursaut par des cris déchirants de chacals. Effrayé, ne se rendant pas compte de ce que c’était, il fit appeler aussitôt un de ses ministres, pour lui demander, qui se permettait de troubler son paisible sommeil à des heures si indues de la nuit. « Majesté, lui dit-il, ce sont des chacals qui n’ayant rien à manger, rien pour se vêtir, implorent votre bonté en demandant que votre Majesté leur vienne en aide et soulager leur misère. » « Bien, répondit l’Empereur, demain je vous ferai remettre cinq mille Rupees, pour que vous distribuiez à chacun, des vêtements et de quoi manger, j’espère qu’ils seront satisfaits. » Quelle fut la joie du ministre, en s’apercevant que sa réponse improvisée avait si bien réussi et qu’il en aurait un si joli profit. La nuit suivante. Sa Majesté fut encore réveillée par les mêmes cris que la nuit précédente, et de nouveau fit appeler son ministre. « Comment se fait-il, lui dit l’Empereur en colère, que vous n’ayiez pas exécuté mes ordres, puisque vous avez reçu l’argent nécessaire pour secourir ces pauvres animaux, pour lesquels vous aviez tant de pitié. » Le Ministre, qui avait d’avance pensé à ce qu’il pourrait bien répondre à Sa Majesté, bien crédule, lui répondit avec beaucoup d’assurance, étant persuadé de l’effet de ses paroles : « Sire, je suis très peiné de votre colère, n’ayant rien à me reprocher. Votre Majesté en sera assurée lorsqu’Elle saura que ces chacals, reconnaissants de vos bienfaits, viennent seulement vous témoigner toute leur gratitude avec l’assurance de leur plus profond respect. »

L’Empereur touché, attendri par tant de sincères démonstrations, congédia son ministre, qui ne fut pas fâché de s’en être tiré à si bon compte.